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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 8 octobre 1996

.1520

[Traduction]

La présidente: Cet après-midi, nous accueillons Leslie Church, Ali Ahmad et Kent Teskey, pour le Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton.

Selon notre habitude, je vous demanderai de nous faire votre exposé et de nous laisser du temps pour vous poser des questions. Allez-y.

M. Kent Teskey (membre, Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton): Je vous remercie de nous avoir invités à vous présenter notre point de vue sur cette question cruciale pour les jeunes et pour la population toute entière.

Je suis venu ici en bus et si vous revenez un jour dans le cadre d'un comité mixte municipal-fédéral sur les autobus, j'aurais un certain nombre de choses à vous dire là-dessus.

Permettez-moi de me présenter et de vous présenter mes collègues. Je m'appelle Kent Teskey. Je suis accompagné de Leslie Church et Ali Ahmad. Nous sommes tous membres du deuxième mandat du Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton. Nous n'avons aucun titre. Le Conseil est un organisme égalitaire où personne n'a de titre. Nous nous intéressons aux questions qui concernent la jeunesse.

Je peux comprendre que l'idée d'un conseil de la jeunesse soit nouvelle pour certains d'entre vous. Je vais vous expliquer un peu comment nous sommes nés, et cela vous donnera peut-être une idée déjà de notre position.

En 1993, l'ancien maire de la ville, Jan Reimer, a mis sur pied une commission sur la sécurité dans les villes, commission chargée de trouver les moyens de rendre les rues d'Edmonton plus sûres pour les citoyens. La création d'un conseil de la jeunesse chargé de représenter le point de vue des jeunes directement auprès du conseil municipal a été l'une des initiatives de cette commission.

Le Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton a commencé son premier mandat en 1995 avec 21 membres. C'est un organisme totalement indépendant du conseil municipal d'Edmonton. Nous avons notre propre budget, nous sommes indépendants et nous n'avons aucun compte à rendre au conseil municipal sur nos positions.

Nous nous efforçons de représenter le point de vue du plus grand nombre possible dans notre société, tous sexes, ethnies et religions confondus. Nous estimons avoir fait des progrès considérables en ce sens. Nous reflétons assez fidèlement la mosaïque edmontonnienne, et donc canadienne.

Voilà un portrait rapide du Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton.

Quand Leslie, Ali et moi avons su que nous ferions cette présentation, nous avons dû engager une réflexion pour savoir ce que nous pensions vraiment de la Loi sur les jeunes contrevenants, et en quoi elle consiste exactement. Nous avons conclu que comme il y a de la diversité dans notre ville, et même entre nous trois, la loi non plus n'est pas homogène. C'est une loi énorme qui touche les jeunes de 12 à 17 ans, et un échantillon très important de la culture canadienne y est représenté.

Nous avons décidé de considérer la Loi sur les jeunes contrevenants sous l'angle de la manière dont le gouvernement applique les lois du Canada à la jeunesse et les moyens d'infliger des conséquences adéquates à la récidive.

Nous avons conclu que la Loi sur les jeunes contrevenants touche en fait trois types de jeunes.

Le premier est composé de ceux dont on ne parle pas dans les journaux. Ceux qui n'entendent parler de la Loi sur les jeunes contrevenants que dans leur cours de sciences sociales, ceux qui de leur vie n'ont jamais véritablement affaire à la loi. Beaucoup de ceux-là à qui nous avons parlé estiment que certains aspects de cette loi sont trop cléments.

Le deuxième groupe comprend les contrevenants qui, ayant cédé une fois à leurs hormones, autour de 13 ou 14 ans, ont commis une erreur grave, sont punis comme il se doit, et n'ont pas commis d'autre infraction depuis. Pour eux, la conséquence est raisonnable. Ils n'en portent par la tache toute leur vie et ils estimeront certainement que cette loi est acceptable.

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Et puis il y a ces jeunes qui constituent une petite minorité bruyante. C'est à eux que s'en prennent les médias. Leurs histoires sont parfois tout à fait extraordinaires. On nous y parle de contrevenants chroniques, ou de crimes extrêmement troublants. Bien qu'ils ne représentent qu'une toute petite minorité des jeunes contrevenants, il me paraît très important de nous arrêter à leur cas.

C'est en songeant à eux que les gens jugent la Loi sur les jeunes contrevenants trop clémente, acceptable ou trop dure. Ma collègue, Leslie Church, va vous présenter ces trois points de vue et vous transmettre certaines des idées qui sont ressorties de nos conversations avec les jeunes pour savoir comment réagir dans les trois cas.

Permettez-moi de vous signaler que nos opinions sont les nôtres, et qu'elles traduisent ce que nous ont dit divers groupes de jeunes. Nous ne prétendons pas vous apporter la perspective de la Ville d'Edmonton. Nous sommes ici tout simplement pour vous présenter un point de vue aussi équilibré que possible.

Je donne maintenant la parole à Leslie.

Mme Leslie Church (membre, Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton): Merci, Kent.

Pendant près d'un siècle, les jeunes qui commettaient des actes criminels tombaient sous le coup de la Loi sur les jeunes délinquants. Dans sa version de 1908, elle permettait que des enfants de sept ans à peine soient accusés d'infractions criminelles et tous les jeunes pouvaient être enfermés pour des périodes illimitées. Les jeunes de plus de 16 ans étaient tout simplement emprisonnés avec des criminels endurcis.

Dans les années 80, les gens, estimant que la loi n'avait pas évolué avec la pensée en matière de jeunes contrevenants, ont jugé qu'elle devait être modifiée.

La Loi sur les jeunes contrevenants devait comprendre au moins cinq grands principes. Nous les avons résumés: premièrement, les jeunes sont responsables de leurs actes illégaux, mais pas dans la même mesure que les adultes. Deuxièmement, la Loi sur les jeunes contrevenants s'efforce d'assurer la protection de la société. Elle tient compte aussi du fait que les jeunes ont des besoins spéciaux et doivent donc être guidés et aidés. Elle préconise d'autres mesures que le recours aux tribunaux tant que la société peut être protégée. Enfin, les jeunes ont des droits et des libertés, et notamment le droit d'en être informés.

Depuis son entrée en vigueur en 1981 et son application dans notre société et notre contexte social, la Loi sur les jeunes contrevenants est loin de faire l'unanimité. Beaucoup considèrent qu'elle est trop dure envers les jeunes contrevenants, tandis que d'autres la jugent trop clémente. Pour diverses raisons, bien des gens considèrent qu'elle ne respecte pas les principes que je viens d'énumérer, et dans certains cas, ce sont ces principes mêmes qui sont critiqués.

Le style de notre présentation sort quelque peu de l'ordinaire. Au lieu de ne présenter qu'une seule perspective, la mienne, nous avons à nous trois préparé trois différents points de vue, comme Kent a commencé à vous le dire. Nous allons aborder la Loi sur les jeunes contrevenants sous un angle à la fois, et suggérer des changements possibles, ainsi que les avantages qu'ils présenteraient sous chacun de ces points de vue.

Nous allons commencer par l'idée que la Loi sur les jeunes contrevenants est trop clémente. Ce point de vue tient principalement au fait que la criminalité des jeunes est en hausse, même si en réalité le meurtre, par exemple, ne représente que 0,05 p. 100 des infractions commises par les jeunes. Il reste que les statistiques sont en hausse.

Par conséquent, ce que nous notons surtout, c'est une augmentation des crimes violents commis par des jeunes, et le public s'en émeut. Ces protestations pourraient changer la loi actuelle.

Par exemple, à Scarborough, en Ontario, en 1985, un jeune de 14 ans a été accusé du meurtre d'une famille de trois personnes. Adorateur déclaré de Satan, il prétend avoir entendu des voix qui lui ordonnaient de commettre ces meurtres. Durant le procès, les avocats de la défense et de la Couronne convenaient qu'il était probablement aliéné au sens légal, et qu'il devrait être admis dans un hôpital psychiatrique pour une longue durée. La sentence du juge a choqué tout le monde. Il a prononcé une condamnation de trois ans seulement de prison. Bien entendu, nous savons qu'avec les modifications récentes il serait maintenant passible d'une peine de cinq à sept ans, mais on peut continuer de se demander si la loi actuelle n'est pas trop clémente envers ces jeunes qui commettent des crimes violents. Est-ce que trois, cinq ou même sept ans sont une peine suffisante pour des crimes haineux commis apparemment en toute connaissance de cause?

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Les changements qui découleraient de cette perspective, et de cette affaire, illustrent la crainte que la Loi sur les jeunes contrevenants ne donne pas suffisamment de responsabilité aux jeunes, ne les encourage pas à accepter les conséquences de leurs actes de manière à les dissuader et à les empêcher de commettre des crimes.

Parmi les changements envisageables de ce point de vue, il y a d'abord l'adoption d'une peine maximum plus longue pour les crimes avec violence.

Comme je l'ai dit, beaucoup de gens estiment encore que les peines prévues actuellement sont insuffisantes pour avoir véritablement un effet dissuasif et arrêter l'augmentation de la criminalité chez les jeunes.

Il faudrait peut-être également prévoir une nouvelle politique concernant le transfert des jeunes contrevenants devant un tribunal pour adultes. Notons que la Loi sur les jeunes contrevenants a davantage de dispositions en ce sens que n'en contenait la Loi sur les jeunes délinquants. Mais le public se demande si ces possibilités de transfert sont utilisées efficacement comme dissuasifs et si un nombre suffisant de jeunes délinquants sont effectivement traduits devant des tribunaux pour adulte.

Dans cette perspective, les gens se demandent si les jeunes de 16 à 17 ans doivent être traités comme des adultes ou s'il faut continuer de les dorloter comme des enfants. Cela nous amène à un autre changement possible, qui consisterait à réduire l'âge minimum. Actuellement, pour être accusé d'une infraction, le jeune doit avoir au moins 12 ans. Cette disposition ne prend pas en compte les enfants des rues qui sont plus jeunes. En même temps, comme je le disais, on dorlote les jeunes de 16 et 17 ans qui peuvent être des adultes mûrs même s'ils ne sont pas encore légalement reconnus comme tels.

De plus, nous suggérons de modifier les restrictions imposées aux médias en matière de publicité. Cela par souci de protéger la société. Le jeune de 14 ans dont je vous ai parlé a été relâché en 1989 et son identité est restée secrète. Il est donc libre, sans que le public sache qu'il présente une menace potentielle pour la société.

Il y a aussi l'idée de modifier la politique concernant l'obligation de consentir au traitement. C'est là une disposition de la Loi sur les jeunes contrevenants qui est controversée, et qui fait qu'on peut se demander si elle est trop clémente.

Les jeunes auxquels un traitement est recommandé peuvent refuser de s'y soumettre. En Ontario, de 1984 à 1991, 12 jeunes seulement par année, en moyenne, ont entrepris le traitement qui leur était recommandé. Donc, même si des centres de traitement sont disponibles, la question est de savoir s'ils sont utilisés pleinement.

Voilà la perspective de ceux qui estiment que la Loi sur les jeunes contrevenants est peut-être trop clémente. Les changements qui en découlent concernent principalement les récidivistes dangereux.

Il y a un autre point de vue, et c'est que certaines parties de la Loi sur les jeunes contrevenants sont certainement trop dures. Cette perspective s'appuie sur deux principes: premièrement, pour les crimes moins graves, les peines sont trop strictes; deuxièmement, la réinsertion sociale ou le traitement, ainsi que les mesures de rechange, ne sont pas appliquées aussi efficacement qu'elles pourraient l'être sous le régime actuel et dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants.

La difficulté consiste à trouver le juste équilibre entre la nécessité de protéger la société, qui est l'un des objectifs premiers de la Loi, avec la nécessité de réinsérer dans la société les jeunes coupables d'infractions criminelles.

Dans cette perspective, il nous semble qu'on fait peut-être trop de place à la société et pas suffisamment aux jeunes contrevenants pour essayer de les réinsérer comme membres actifs de cette société.

En 1986 et 1987, 24 p. 100 des jeunes contrevenants traduits devant un tribunal ont été mis en détention. En 1983, la dernière année sous le régime de la Loi sur les jeunes délinquants, 15 p. 100 seulement des jeunes contrevenants traduits devant un tribunal ont été détenus. La durée de la peine semble donc s'être allongée avec la Loi sur les jeunes contrevenants, tandis que l'un des principes directeurs de cette loi était que les jeunes ont besoin d'être guidés et aidés et qu'il faut pouvoir dans leur cas recourir à des mesures de rechange, à la condition que la société soit protégée.

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Si les jeunes sont mis en détention plus longtemps, pourquoi la criminalité parmi eux augmente-t-elle? La réponse, vu dans cette perspective, est claire: la détention n'est pas nécessairement un moyen de réinsertion des jeunes contrevenants. Pourquoi? En partie en raison du manque de fonds et en partie en raison de l'incapacité du Canada à mettre à disposition des jeunes contrevenants des centres de traitement et de réhabilitation.

En Ontario, où existent des centres de traitement, des foyers collectifs, des centres de détention et d'observation, les jeunes y sont souvent placés au hasard, en fonction des places disponibles au moment de leur condamnation.

On n'a pas su adapter le système aux besoins des jeunes contrevenants; on a voulu adapter le jeune contrevenant aux besoins et aux contraintes du système. Il y a donc conflit.

Avec les traitements appropriés, on peut réduire la récidive de 25 p. 100 à 40 p. 100. Sans traitement, 60 p. 100 environ des jeunes tendent à récidiver. Nous nous demandons si c'est là une des raisons pour lesquelles la criminalité parmi les jeunes semble progresser.

En même temps, les provinces n'ont pas les ressources nécessaires pour mettre sur pied de bons programmes de réinsertion. La Loi sur les jeunes contrevenants s'appuie donc beaucoup sur la restitution par le service communautaire et sur la détention. On peut avancer que toute la notion du traitement, dont on a tant parlé dans le contexte de la Loi sur les jeunes contrevenants, est en fait ignorée au profit de solutions plus accessibles, telles la restitution et le service communautaire.

La Loi sur les jeunes contrevenants ne présente pas nécessairement un problème en soi. Dans cette perspective, si nous avions davantage d'argent et moins de paperasserie, si nous pouvions utiliser les fonds afin d'améliorer les centres de détention et de mettre sur pied de meilleurs programmes de traitement, il serait peut-être possible de faire davantage pour la réinsertion des jeunes, et d'éviter ainsi l'augmentation de la récidive.

La réinsertion et le traitement supposent que les jeunes soient considérés comme des victimes et non comme des criminels, comme c'est le cas actuellement.

Voilà pour la deuxième perspective selon laquelle la Loi sur les jeunes contrevenants est trop dure et ne répond pas aux besoins de certains contrevenants.

Enfin, certains pensent que la Loi sur les jeunes contrevenants est acceptable, comme le démontre le faible taux de meurtre. Le public est souvent influencé par l'image que lui présentent les médias de la jeunesse, sous forme de jeunes contrevenants ou de jeunes tout simplement destructifs. En général, les médias se concentraient sur la perception négative de la jeunesse dans notre société.

Il faut revenir au fait que le taux de meurtre est faible, puisqu'il représente moins de 1 p. 100 de toutes les infractions commises par les jeunes, et que dans l'ensemble il est donc vraiment minime. Autrement dit, pourquoi modifier la Loi pour si peu de cas, compte tenu surtout du fait que les peines pour les contrevenants violents ou destructeurs ont récemment été accrues?

On peut aussi considérer que l'augmentation de la criminalité peut être plus apparente que réelle, encore une fois à cause des médias, qui ont tendance à se concentrer sur les crimes extraordinaires que commettent les jeunes, sans considérer les infractions mineures.

En outre, la Loi sur les jeunes contrevenants n'est pas nécessairement responsable de l'augmentation de la criminalité. Le fait est qu'à moins qu'on ne les exécute, un criminel sur trois, adolescent ou adulte, récidive. C'est davantage une question de milieu d'éducation que de dispositions dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

De plus, les limites d'âge sont peut-être réalistes. Dix-huit ans est le symbole de l'âge adulte. Si l'on avait des jeunes contrevenants de moins de 12 ans, ils ne comprendraient probablement pas le système de justice criminelle. Et certaines lois provinciales qui concernent les enfants, comme la loi sur la protection de l'enfance en Alberta, comprennent notamment des dispositions prévoyant la mise en garde des enfants de moins de 12 ans dans des centres de traitement. C'est peut-être mieux que de leur imposer toute la force de la loi.

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La Loi sur les jeunes contrevenants prévoit aussi des mesures de rechange, presque une soupape, par lesquelles les jeunes contrevenants peuvent plaider coupables et ne pas comparaître devant un tribunal. Ils sont presque directement soumis à une autre forme de punition: services communautaires, restitution, etc.

La peine maximum est suffisante. C'est là certainement un des principaux points de controverse de la Loi sur les jeunes contrevenants. Si certains estiment que les peines maximales actuelles sont insuffisantes, il ne faut pas oublier que sept ans c'est très long dans la vie d'un adolescent. À 16 ans, sept ans correspondent à 15 ou 20 ans pour un adulte. C'est une période de croissance, de développement, et il est peut-être préférable d'imposer des peines plus courtes dans l'intérêt du développement et de la stabilité à long terme de l'être humain.

Selon bien des gens, les principes que nous avons décrits sont respectés, les jeunes acceptent leurs responsabilités puisqu'ils comparaissent devant des tribunaux, la société est protégée puisque les tribunaux s'occupent des jeunes contrevenants; et le régime actuel prévoit des mesures pour guider ou aider les jeunes.

Vous pouvez donc constater que toute révision à la Loi sur les jeunes contrevenants devra être très vaste, aller très loin. Nous ne cherchons pas à punir les jeunes comme s'ils étaient tous récidivistes ou dangereux. Il y a là parmi le public une erreur de perception dont il faut tenir compte dans toute opinion exprimée sur le sujet. Les gens ont tendance à mettre tous les jeunes contrevenants dans le même sac, à les juger tous dangereux et potentiellement récidivistes.

Ce n'est pas nécessairement le cas. De nombreux groupes de pression insistent sur la nécessité de durcir la Loi, de la rendre plus sévère, simplement en raison de cette perception que tout jeune contrevenant est dangereux et récidiviste.

Il faut traiter les cas des contrevenants dangereux séparément afin de ne pas mélanger l'image de celui-ci avec celle du jeune qui ne commettra probablement qu'un seul crime, et pour lequel le régime actuel est adéquat.

Nous estimons aussi qu'il faut donner aux traitements une chance de démontrer leur efficacité, surtout aux yeux de ceux qui jugent la Loi sur les jeunes contrevenants trop clémente. Il faut pouvoir démontrer que par le traitement il est possible de réhabiliter les jeunes contrevenants sans nécessairement les placer en détention.

Il faut aussi donner aux traitements la possibilité de remplacer la détention, comme le préconisent ceux qui jugent la loi trop sévère. Il faut donner au traitement une chance et permettre à cette méthode de venir soutenir le principe initial de la Loi sur les jeunes contrevenants selon lequel les jeunes ont des besoins spéciaux et doivent être guidés et aidés.

La société doit être protégée, mais les jeunes contrevenants ont eux aussi besoin de protection. Pour toutes ces raisons, et de ces différentes perspectives, vous pouvez constater que beaucoup de gens souhaitent des modifications au système actuel, mais la question est de savoir pour qui et comment le faire.

Merci.

La présidente: Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Teskey: Au nom du Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton, je remercie ce comité qui nous donne l'occasion de nous exprimer et qui est prêt à entendre l'opinion et les vues des jeunes de la ville. L'exercice me semble utile, surtout lorsqu'il s'agit d'une question si controversée. Je suis heureux de constater que tant de points de vue différents sont présentés ici.

Je vous remercie.

La présidente: Merci.

Monsieur St-Laurent, vous avez dix minutes.

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[Français]

M. St-Laurent (Manicouagan): Vous avez parlé de trois groupes bien distincts d'individus dans votre organisation, qui représentent, à mon avis, à peu près tous les dires de la société. Autrement dit, vous avez fait largement état de ce qu'on entend depuis qu'on siège au comité et de ce qu'on cherche comme solutions de rechange au problème auquel nous travaillons.

Vous avez parlé notamment de divulguer les noms. Vous avez mentionné entre autres le cas d'un enfant de 14 ans dont la vie aurait été influencée si son nom avait été divulgué. Votre organisation est-elle en faveur de cela ou trouve-t-elle cela un peu désuet?

[Traduction]

M. Teskey: Du point de vue du Conseil actuel, c'est effectivement une des solutions qu'ont suggérée les jeunes d'Edmonton. En tant que membre du Conseil, je serais arrogant si je vous donnais mon avis sur la question, car je ne peux honnêtement pas parler au nom des autres membres.

Vous devez considérer quel est le meilleur moyen de servir le public et en même temps de servir les jeunes concernés afin qu'ils ne soient pas marqués à vie. C'est de cela qu'il s'agit, dans le fond.

Est-ce rendre service à un jeune de 16 ans que de l'envoyer en prison pour la durée maximum de la peine, de l'exposer ainsi à des influences qui pourraient en faire un criminel aguerri, ou encourager le côté déviant de sa nature, ou y a-t-il d'autres moyens de l'aider, de le réinsérer dans la société? C'est une question que nous devons tous nous poser, mais quelle que soit la position choisie, il faut garder à l'esprit avant tout les intérêts du jeune, dans l'intérêt de la société.

[Français]

M. St-Laurent: Avez-vous, dans le cadre de votre analyse, rencontré des délinquants? S'il ne s'agit que d'une analyse que vous avez faite entre vous, y a-t-il des délinquants, des ex-délinquants, des ex-prisonniers ou des prisonniers dans votre organisation?

[Traduction]

M. Teskey: Encore une fois, le deuxième mandat du Conseil a débuté en septembre. Je ne peux pas parler de l'expérience qu'ils ont avec les jeunes contrevenants, mais nos statuts disent que vous ne pouvez pas demander à participer au Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton si vous avez un casier judiciaire.

M. Ali Ahmad (membre, Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton): En fait...

M. Teskey: Cela a-t-il changé?

M. Ahmad: ... actuellement si vous avez un casier judiciaire, vous pouvez devenir membre du Conseil, mais si vous avez une activité criminelle ou obtenez un casier judiciaire durant votre mandat, vous êtes radié et vous aurez à comparaître devant les administrateurs du Conseil.

M. Teskey: Toutes mes excuses.

Bien entendu, en tant que membres du Conseil, nous ne pouvons pas vous garantir que nous avons cette perspective-là parmi nos membres, mais de par la diversité des sexes, des religions et des cultures qui sont représentés au Conseil, je crois pouvoir dire que nous compensons toute lacune que nous pouvons avoir du point de vue de la représentation des jeunes délinquants au sein du Conseil.

Je ne peux pas vous dire s'il y en a parmi nous qui ont un casier judiciaire. Je crois que c'est confidentiel pour le moment.

.1550

[Français]

M. St-Laurent: Je ne cherchais pas à aller aussi loin que cela. Vous êtes appelés à représenter des jeunes et nous sommes en train de faire une consultation en vue d'élaborer la meilleure loi possible, au cas où il serait possible, par exemple, de secourir un jeune contrevenant avant qu'il ne devienne un vrai bandit adulte. Nous faisons un travail, mais nous avons besoin de vous et d'un peu tout le monde.

Vous dites parler au nom des jeunes. Avez-vous consulté des contrevenants ou est-ce une analyse qui a été faite uniquement par les membres de votre groupe assis autour d'une table? Avez-vous fait une recherche dans tous les milieux? Je ne veux pas mettre en doute votre crédibilité et votre bon travail, mais je prends des notes et j'ai besoin de savoir d'où vient votre analyse. Vous mentionnez trois groupes qui représentent l'opinion d'à peu près toute la société. D'où viennent vos recherches? Avez-vous rencontré des jeunes contrevenants ou arrêté des gens dans la rue? Avez-vous rencontré des groupes de parents? Avez-vous rencontré des policiers?

[Traduction]

Mme Church: Vu les délais serrés, nous avons organisé une table ronde pour nous permettre de préparer notre exposé. À nous tous, nous avons soulevé le plus grand nombre d'idées possibles et à partir de cette recherche nous avons élaboré notre présentation en essayant de présenter toutes les différentes perspectives sur la question.

Nous profitons de l'expérience de nos membres et de leurs contacts avec d'autres organisations. Mais en tant que Conseil, non, nous n'avons pas fait d'études directement auprès des jeunes contrevenants. Nous fondons notre présentation, notre information, sur les interactions individuelles de nos membres avec d'autres organismes de jeunes de la ville.

Il faut dire que pour devenir membre du Conseil de la jeunesse, vous devez faire état de votre expérience et de votre participation à des projets de services communautaires. On peut donc dire que nous sommes un groupe qui a fait des contacts et qui se réunit pour discuter des divers problèmes. Nous avons essayé de rassembler une vingtaine de personnes pour représenter tous les aspects et les différentes organisations de la ville.

On a l'impression que différents organismes pilotes ont placé des membres au sein du Conseil afin d'être sûrs d'être entendus. Quand je vous dis que nous en avons parlé en table ronde avec le Conseil de la jeunesse, cela veut dire en fait que nous avons cherché l'opinion de membres dans toute la ville.

M. Teskey: Si à titre individuel ou collectif nous vous disons par exemple qu'il faut appliquer les dispositions prévoyant les traitements pour les jeunes contrevenants, c'est une déclaration générale, mais elle provient de notre expérience.

Je fais à l'occasion du bénévolat auprès de la Mission de l'espoir, qui est près de l'ancienne voie du CN, donc dans le centre-ville. J'y ai rencontré une personne qui avait eu maille à partir avec la loi dans sa jeunesse, une ou deux fois, et qui n'a jamais terminé l'école secondaire. Il a maintenant environ 25 ans et il se bat pour essayer de se donner une éducation.

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Donc quand nous parlons de traitement, c'est que nous avons une certaine expérience qui nous mène à ces conclusions ou à différentes perspectives. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Je pense qu'Ali et Leslie ont fait le même genre d'expérience.

[Français]

M. St-Laurent: Comment voyez-vous le rôle des parents ? Vous n'en avez pas parlé dans votre présentation. Est-ce que votre groupe l'a fait, lui? Si on ne veut pas qu'il fasse partie du problème, il faudrait qu'il fasse partie de la solution. Je me mets à la place des jeunes. Comment voyez-vous la place des parents dans les solutions de rechange que vous suggérez à l'incarcération ou encore à l'intervention préventive, avant la commission des actes, dès qu'on s'aperçoit qu'un jeune est susceptible de devenir un jeune contrevenant?

[Traduction]

Mme Church: Oui, et nous savons que le milieu dans lequel un enfant a grandi joue un rôle énorme dans la formation de l'adulte, pour déterminer s'il deviendra ou non un contrevenant.

L'un des plus grands problèmes qui se pose pour certains d'entre nous quand on parle de faire participer les parents, c'est qu'il est difficile de demander aux parents de venir en aide à un jeune contrevenant lorsque les choses en sont là. Le fait que le jeune ait commis une infraction tend déjà à démontrer qu'il y a eu rupture dans la structure familiale et que c'est ce qui a poussé le jeune à la délinquance.

M. Teskey: Il ne s'agit pas seulement ici de la relation entre la justice et les parents. Il y a de nombreuses perspectives dont il faut tenir compte, comme celle, pour reprendre un stéréotype, du jeune contrevenant que la police ramène à ses parents. Il y a beaucoup à faire pour établir des liens positifs avec la justice, la police et la collectivité.

À l'école secondaire Ross Sheppard où je fais actuellement ma 12e année, nous avons en permanence un agent de la police d'Edmonton. Il n'est pas là en qualité de gardien armé, il est là comme personne-ressource, comme visage humain de la police.

L'idée de s'adresser à la police peut être très intimidante. Mais grâce à un programme comme celui-là, au moins au niveau local, il est possible de créer des liens positifs qui nous permettent d'avoir des modèles positifs, tout d'abord, qui peuvent guider les jeunes sur le droit chemin et, deuxièmement, s'il y a des problèmes, vous avez quelqu'un à qui vous adresser.

C'est une très bonne façon de forger des liens entre la justice et la collectivité. C'est un excellent exemple de ce qui se fait actuellement.

M. Ahmad: Nous reconnaissons l'importance du rôle des parents. Parfois ils ont un excellent travail, mais l'enfant tout à coup commet une grosse bêtise. Dans ces cas-là, ce serait une bonne idée de faire appel aux parents.

Je choisirais la voie de la thérapie ou d'une séance de counselling professionnel. Il faut que les parents participent. Nous ne pouvons pas les dégager de toute responsabilité, mais il faut leur donner le moyen de faire quelque chose de constructif.

Une séance de thérapie, qui leur permet de décider ce qu'il faut faire et de voir la situation avec calme serait sans doute la meilleure façon de les faire participer à la première étape. Si on obtient leur participation à cette étape-là, il y a de bonnes chances d'éviter les deuxième, troisième et quatrième infractions. C'est la meilleure façon de régler le problème.

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, dix minutes.

.1600

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Je remercie les membres du Conseil de la jeunesse d'être venus aujourd'hui nous faire entendre leur point de vue. Je comprends qu'il est le résultat de vos contacts avec des jeunes qui n'ont pas d'activités criminelles ou qui ne sont certainement jamais tombés officiellement sous le coup de la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est exact?

M. Teskey: Je crois que c'est essentiellement juste. Tous trois nous nous rangeons dans la majorité de ceux qui pour qui la Loi sur les jeunes contrevenants est quelque chose que nous étudions dans le cadre de nos études sociales à l'école. C'est certainement vrai pour la majorité d'entre nous. Mais nous avons aussi établi des contacts dans la collectivité qui nous ont permis de vous apporter aujourd'hui un point de vue assez équilibré.

M. Ramsay: Alors, si je comprends bien, vous avez peut-être entendu des jeunes contrevenants.

M. Teskey: Oui, je crois que de par notre expérience communautaire, nous avons eu durant notre adolescence des contacts avec divers organismes où beaucoup de gens avaient eu affaire avec la Loi sur les jeunes contrevenants.

Cela a sans doute influencé notre façon de voir le problème, car la Loi sur les jeunes contrevenants cesse d'être un document impersonnel pour devenir quelque chose... Je crois que nous avons tous un ami qui s'y est frotté. Cela a certainement modéré notre point de vue et nous a permis de vous donner une perspective équilibrée.

M. Ramsay: Quand vous dites qui s'y est frotté, voulez-vous dire qu'il y a eu un contact?

M. Teskey: Oui.

M. Ramsay: Je comprends.

La Loi sur les jeunes délinquants prévoyait des possibilités de traitement qui ont disparu avec la nouvelle Loi. Avec les amendements que le ministre de la Justice a introduit il y a un an environ, on peut dire que certaines de ces possibilités de traitement ont été réinstituées. Que pensez-vous du fait que la Loi sur les jeunes contrevenants ne prévoit aucune structure ou cadre pour le traitement des jeunes de moins de 12 ans?

Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Nous avons parlé ce matin à une personne qui est dans une prison à sécurité maximum, et qui a commis ses premières infractions à cinq ans. L'Alberta, à la différence du Québec, n'a pas de loi sur la prévention de la jeunesse, loi qui permet une intervention précoce auprès des jeunes de moins de 12 ans.

La présidente: Non, pas prévention, mais protection. Au Québec, on ne vise pas la prévention de l'enfant, mais sa protection.

M. Ramsay: Oui.

Elle permet aux autorités provinciales d'intervenir si l'enfant court un risque ou a besoin d'aide, y compris s'il commet ce qui serait autrement considéré comme un acte criminel.

Nous n'avons rien de tel en Alberta. Alors que recommanderiez-vous pour des enfants de cinq ans, ou pour des gens comme cette personne qui à cinq ans était déjà en difficulté et s'était engagée sur la voie qui l'a menée jusqu'au pénitencier?

M. Ahmad: Permettez-moi de répondre. À un âge si tendre, on peut présumer qu'il y a une part de responsabilité parentale. Toute loi qui touche les enfants, qui protège les enfants, doit aussi concerner les parents, dans un contexte familial où on peut prévoir des séances de counselling pour l'unité familiale, si nécessaire, au lieu d'enlever l'enfant à sa famille pour le lui rendre plus tard.

Comme je le disais, toute thérapie recommandée pour ces jeunes enfants, trop jeunes pour tomber sous le coup de la LJC, doit inclure les parents. Ce serait sans doute la meilleure solution.

M. Ramsay: Recommanderiez-vous un cadre juridique qui l'autorise?

Mme Church: Je croyais que nous avions un tel cadre juridique en Alberta avec la Loi sur la protection de l'enfance qui autorise la province à prendre sous sa garde un enfant de moins de douze ans, si nécessaire. C'est en quelque sorte une loi pré-jeune contrevenant pour ceux qui sont trop jeunes.

.1605

Il me semble qu'adopter une loi semblable à celle sur les jeunes contrevenants mais qui s'adresserait aux enfants de moins de 12 ans c'est s'aventurer sur un terrain dangereux en ce sens qu'on risque à cet âge-là de faire beaucoup de tort à un enfant en lui imposant des peines sévères comme celle que prévoit la Loi sur les jeunes contrevenants au lieu de prévoir des mesures moins rigides, comme le fait la Loi sur la protection de l'enfance qui laisse davantage de possibilités de traitement et de counselling - et même de garde, si c'est vraiment nécessaire - que ne le permet la stricte application de la loi.

M. Ramsay: Bien.

M. Teskey: Pour revenir à votre exemple, cela dépend de notre capacité à lire l'avenir. Quand j'avais 11 ans, je ne songeais même pas à me mettre au volant d'une voiture; aujourd'hui des enfants volent des voitures en trafiquant les fils électriques. Il faut se demander dans quelle mesure nous sommes prêts à laisser au système judiciaire ces décisions difficiles sur des cas très spéciaux.

M. Ramsay: Ce que je me demandais, c'est quelle est la meilleure façon de traiter un enfant de 11 ans qui vole des voitures? Cela est arrivé très souvent dans cette ville. Et la police a simplement ramené l'enfant à ses parents. S'il y a des lois provinciales qui traitent de ces problèmes, elles n'ont pas été invoquées. L'autorité n'a pas été invoquée.

La question est de savoir s'il faut établir un cadre juridique au niveau fédéral qui traiterait des jeunes en difficulté au-delà de ce que font les lois provinciales, en Alberta, par exemple. Quel que soit le traitement, comme le précise la Loi sur les jeunes contrevenants, ce traitement, ou la décision, quelle qu'elle soit, doit prendre en considération la protection de la société et l'intérêt de l'enfant. Quelle est la meilleure façon de traiter cet enfant? Les parents ont-ils besoin d'aide? La famille a-t-elle besoin d'aide? Faut-il donner des cours d'éducation parentale, par exemple?

Il semble y avoir actuellement un vide, du moins dans cette province, qui fait que les enfants se retrouvent en difficulté et qu'il ne semble pas y avoir de cadres juridiques permettant aux agents de la protection de l'enfance d'intervenir et, avec le consentement, le soutien et la collaboration des parents, de les placer dans un programme de traitement qui les remettra progressivement sur la bonne voie.

M. Ahmad: Si le problème est là, il faut certainement prévoir un cadre juridique pour s'occuper de ces jeunes oubliés. Mais, ce faisant, il ne faut pas oublier qu'à moins de 11 ou 12 ans, ou plus jeunes encore, les séances de counselling doivent englober toute la famille. À cet âge-là, la pression des camarades, bien que présente, n'a pas autant d'impact. À un si jeune âge, avant de prendre quelque mesure que ce soit, il faut évaluer la situation familiale.

Par conséquent, tout cadre juridique devra englober les parents dans le counselling.

M. Ramsay: Enfin, d'après votre expérience au Conseil de la jeunesse, estimez-vous que le cadre juridique de l'Alberta soit suffisant pour traiter les cas des jeunes de moins de 12 ans et qui donc échappent à la Loi sur les jeunes contrevenants?

M. Teskey: Le problème actuellement c'est que nous avons tendance à mélanger nos perspectives. Je pense, comme madame la présidente et comme mes collègues que nous avons une Loi sur la protection de l'enfance, mais je ne peux m'empêcher de me demander si elle a jamais été censée traiter d'un si gros problème.

Dans la même veine, j'ai un ami qui travaille au ministère de la Famille et des Services sociaux de l'Alberta. Les jeunes en difficulté sont placés dans des foyers nourriciers. Dès qu'on examine la question des enfants de 10 ans et moins, on en vient forcément à se demander si le filet de sécurité sociale est vraiment adéquat. Je ne sais pas si nous pouvons simplement adopter des lois qui s'adressent aux enfants et espérer que cela réglera tous nos problèmes. Je ne suis pas certain que le filet de sécurité suffise à répondre aux cas spéciaux.

.1610

M. Ramsay: Merci.

La présidente: Madame Torsney.

Mme Torsney (Burlington): Merci, madame la présidente.

Vous nous avez fourni un excellent résumé de ce que disent les Canadiens. Vous présentez le point de vue d'Edmonton, mais il est vrai qu'il y a ceux qui pensent que la loi est trop clémente, ceux qui disent qu'elle est trop sévère, et ceux encore qui sont entre les deux.

J'aimerais savoir ce que vous pensez. Vous avez de toute évidence beaucoup réfléchi à la question. À quel âge avez-vous eu connaissance de la Loi sur les jeunes contrevenants?

M. Teskey: En 10e année.

Mme Torsney: Comment en avez-vous eu connaissance?

M. Teskey: Par mes cours d'études sociales. Cela faisait partie du volet canadien des études sociales en 10e année. Une partie du cours porte sur le système de justice canadien, et on y parle notamment de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Mme Torsney: Quel âge a-t-on en 10e année?

M. Teskey: Quatorze ou 15 ans.

M. Ahmad: Dans certains endroits, on en parle plus tôt. C'est prévu au programme de la 10e année, mais avant cela, nous avons déjà des contacts avec des agents de police qui viennent dans les écoles parler de la Loi sur les jeunes contrevenants dans le cadre des cours sur la gestion de carrière ou la dynamique de vie, la santé ou autre. On en parle, on en discute.

Pour certains, ces discussions interviennent très tôt dans la scolarité. D'autres n'ont pas les mêmes possibilités.

M. Teskey: Cela dépend du programme scolaire, et il varie. Mais pour répondre à votre question, le sujet est officiellement au programme en 10e année.

Mme Torsney: Et vous Leslie, pareil?

Mme Church: Oui.

Mme Torsney: Que pensez-vous de la loi après toutes ces recherches que vous avez faites?

Mme Church: Personnellement, j'estime qu'en Alberta la loi est adéquate. Ce n'est pas nécessairement la loi qui est en faute; les problèmes viennent davantage du fait que la loi n'est pas appliquée en fonction des objectifs qu'elle visait. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai parlé notamment de la question de financement.

Les principes qui sous-tendent la loi sont valables et ils doivent certainement être respectés. Je veux dire qu'il n'est pas nécessaire d'adopter une nouvelle loi pour renforcer des principes que j'estime solides. Le problème quant à moi, - et cela vaut pour tout notre système juridique - c'est la surcharge du système. Nous n'avons pas les ressources nécessaires au Canada pour traiter efficacement les criminels, quel que soit leur âge.

Pour parler des jeunes en particulier, je ne crois pas que nous ayons au Canada les ressources nécessaires pour donner à un jeune qui dévie déjà du droit chemin toute l'attention individuelle qu'il lui faudrait. Un enfant qui a pris le mauvais chemin a besoin d'une attention spéciale pour être réinséré dans la société et se comporter comme celle-ci l'exige, respecter le code de conduite établi par notre code pénal.

Mme Torsney: En le serrant dans les bras et en lui donnant une carotte, ou en le menaçant du bâton?

Mme Church: Je suis davantage pour la carotte. Je pense que l'effet dissuasif est meilleur. Il a été démontré un peu partout dans le monde que la peine de mort n'entraîne pas nécessairement une baisse de la criminalité et n'est pas dissuasive. La détention ne facilite pas nécessairement la réinsertion sociale. Dans ce cas, vous jetez un jeune dans un milieu qui ne favorise pas sa réinsertion, mais qui l'exposera à d'autres jeunes qui connaissent essentiellement les mêmes problèmes.

M. Teskey: Il faut leur donner une carotte et s'en servir pour les frapper. Je sais que c'est une image boiteuse, mais il me semble qu'il faut un peu des deux. On ne peut pas dire simplement: «Quelle horreur». Et d'un autre côté vous pouvez le faire; on ne peut pas tout couvrir à la fois.

.1615

J'estime qu'il faut donner au système judiciaire canadien tous les outils possibles dont il a besoin pour faire face à l'incroyable diversité des situations qui s'y présentent quotidiennement.

M. Ahmad: J'ajouterais que la Loi sur les jeunes contrevenants fonctionne bien dans le cas d'une première infraction. On dit que ceux qui ont le plus besoin d'une deuxième chance sont ceux qui ne la méritent pas. Je pense qu'il faut donner à tous une deuxième chance. C'est à la quatrième, cinquième ou sixième infraction que la Loi sur les jeunes contrevenants ne fonctionne plus pour la plupart des gens.

À cette étape-là, il devient évident que la loi n'est plus adéquate. Dans toute modification, il faudra tenir compte du fait que le système fonctionne très bien pour ceux qui ne commettent qu'une infraction, mais qu'il est inadéquat pour les récidivistes et les crimes graves.

J'estime qu'il faut donner à tous une deuxième chance. Quand on a un contrevenant qui en est à sa première infraction, c'est peut-être la famille qui a besoin d'aide, ou peut-être simplement l'enfant. Il faut que cette aide soit disponible.

Mme Torsney: Ce qui m'embête, c'est qu'une fois un cadre juridique en place, comme vous l'avez dit Leslie, tout le monde attend que «la loi» entre en scène au lieu d'essayer d'intervenir auprès des enfants avant 12 ans, en essayant de les aider à devenir meilleurs. Nous attendons qu'il y ait une victime, qu'un crime ait été commis, et le jeune a alors mis le pied dans le système juridique, avec tous ses inconvénients.

Certains nous ont dit que les noms de tous les enfants devraient être rendus publics - et vous avez soulevé cette question - afin que l'on sache qui est fréquentable et qui ne l'est pas. Ou encore, quand un enfant est ramené chez lui par la police, si vos parents le savent, ils peuvent vous empêcher de le fréquenter.

Pensez-vous que cela fonctionne?

M. Teskey: Pas du tout.

Mme Torsney: Pouvez-vous expliquer votre point de vue?

M. Teskey: Il ne faut pas persécuter les enfants. Une école secondaire dans les années 1990, ce n'est pas vraiment un paradis sur terre. Ça peut être un environnement très froid. Si l'on fait porter à quelqu'un l'étiquette du criminel, on crée une attente, ou un moule.

Mme Torsney: Mais, Kent, qu'en disent vos parents? Si vous ramenez chez vous Johnny, qui est en difficulté, est-ce qu'ils vont vous dire de ne pas le fréquenter?

M. Teskey: Oui, mais qu'est-ce que cela change...? Je comprends la perspective du parent. Je suis sûr que mes parents vous diraient que si mon ami Ted a volé la caisse d'un magasin, ils voudraient le savoir. Par contre, est-ce que cela rend vraiment service à Ted de l'exclure totalement de la société, de lui faire porter ce stigmate? Est-ce que ça l'aide? Est-ce que cela favorise sa réinsertion? Je dirais que non.

Mme Torsney: Diriez-vous que vous savez déjà qui sont les fauteurs de trouble?

M. Teskey: Oui, on le sait. Donner leur nom ne leur fera pas du bien, parce que les parents l'apprennent, et ça pose un problème.

Mme Torsney: Pensez-vous que vos parents puissent vous empêcher de fréquenter quelqu'un qui vous attire? Vous êtes un brave garçon, mais...

M. Teskey: Chacun fait ses choix. Il vient un moment dans la vie d'un enfant où ses parents doivent se dire: Bon, j'espère lui avoir appris à faire les bons choix. Il faut lâcher la bride. Maintenant, je peux conduire, je peux prendre le bus. Mes parents ne m'accompagnent pas au magasin en me tenant par la main. Ces temps-là sont révolus. Le monde a changé. Les parents peuvent accompagner les enfants jusqu'à un certain point et espérer qu'ils leur ont transmis de bonnes valeurs.

Mme Church: Là-dessus, je dois préciser que je pensais surtout en disant cela à des gens qui ont été victimes de jeunes contrevenants et qui jugent de leur devoir de veiller à ce que ça n'arrive pas à d'autres en signalant le coupable et en l'isolant de la société. C'est une des faiblesses que l'on reproche à la Loi sur les jeunes contrevenants.

.1620

Mme Torsney: En fait, Leslie, votre exemple est celui d'un enfant qui a servi ses trois ans de peine, qui a payé sa dette à la société en perdant sa liberté pendant trois ans, ou pendant une période appropriée.

Vous avez dit que la collectivité ne veut pas les recevoir. Où doivent-ils aller? Doivent-ils quitter le pays? On ne peut pas changer la réalité; on ne peut pas ressusciter un mort. Faudra-t-il que ces jeunes portent une étiquette infamante toute leur vie?

Mme Church: Cela nous ramène un autre problème, celui du récidiviste. Le pourcentage de récidive est si élevé que bien des gens estiment qu'il est dans l'intérêt de la société de publier le nom du contrevenant.

Mme Torsney: C'est parfois parce qu'ils sont forcés à côtoyer les Teds de ce monde.

M. Teskey: Il y a toujours ce problème de ceux qui ont payé leur dette envers la société, et qui en sortant de prison, surtout s'ils sont jeunes, se retrouvent dans une prison plus vaste. Ils entrent dans un monde qui les a jugés une fois pour toute.

Où peuvent-ils espérer être acceptés? Sans doute parmi ceux qui sont exclus comme eux. Est-ce vraiment une bonne chose de créer des cellules de gens stigmatisés qui se regroupent et qui ne redeviendront probablement jamais ce qu'ils ont été? Il me semble que non.

M. Ahmad: Dans la plupart des cas, quand les gens essaient de se réformer, ils essaient de fréquenter des gens comme Kent et Leslie, des organismes comme le Conseil de la jeunesse de la Ville d'Edmonton, ou d'autres qui peuvent les mettre en contact avec des gens bien.

Si ma mère m'interdit de fréquenter un tel parce que c'est un mauvais garçon, et si tous les parents interdisent à leurs enfants de fréquenter ce garçon, vous l'avez totalement exclu de la société. Cela va à l'encontre des principes de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pour une infraction mineure comme un vol ou un vol à l'étalage, on aura totalement isolé un jeune et on aura été à l'encontre des objectifs de la loi. En cas de récidive et de crimes graves, peut-être que...

Mme Torsney: Leslie, vous avez beaucoup parlé de statistiques. J'aimerais que vous nous donniez vos sources. Par exemple, vous avez parlé de jeunes contrevenants traités en Ontario. Je ne crois pas avoir ce genre d'information.

Mme Church: Je pourrai vous la donner plus tard.

Mme Torsney: J'apprécierais beaucoup. Merci.

La présidente: Merci.

En conclusion, je vous demanderais de considérer cette hypothèse. Vous avez dit qu'il y a une augmentation des crimes commis par des jeunes. Vous devriez peut-être vous demander s'il y a effectivement augmentation ou s'il y a davantage de mises en accusation. C'est en fait le cas en Ontario, et je soupçonne que c'est vrai aussi en Alberta. C'est peut-être que le système applique la loi, plutôt...

M. Teskey: Ou une fonction des outils dont dispose le système judiciaire, des solutions de rechange à la mise en accusation. C'est très juste.

La présidente: Ou la police.

M. Teskey: Tout à fait.

La présidente: Je vous remercie. Votre exposé était très intéressant et rafraîchissant. Nous sommes heureux de vous avoir entendus. Merci.

Nous allons prendre une pause de deux minutes pour permettre au prochain groupe de prendre place.

.1624

.1631

La vice-présidente (Mme Torsney): La séance reprend.

Nous avons le plaisir d'accueillir, au nom de la Parent Support Association, Mme Elaine McMurray, directrice générale; Mme Joan Bever, consultante en matière de programme; etMme Denise Blair, coordonnatrice communautaire pour la Calgary Youth Justice Committee Resource Team.

Mesdames, soyez les bienvenues. Comme vous avez un avion à prendre, nous n'allons pas perdre de temps. Organisez-vous comme vous l'entendez.

Mme Elaine McMurray (directrice générale, Parent Support Association): Merci, et merci de votre compréhension. Malheureusement, nous devons présenter un atelier à Calgary ce soir et nous devons prendre l'avion de 16 heures Airbus.

Je sais que vous avez reçu notre mémoire et je ne vais donc pas le lire ligne par ligne, car il me semble assez clair. Je dois dire cependant que nous avons été ravies d'être invitées devant votre comité pour souligner que dans toute modification à la Loi sur les jeunes contrevenants, il faut aussi tenir compte des besoins des parents. Nous avons entendu les jeunes qui nous ont précédées, et ils ont dit certaines choses très justes.

Nous avons fait remarquer notamment que souvent les parents se montrent très responsables et ouverts, et font de gros efforts pour être de bons parents. Mais voilà qu'un enfant se met dans la tête que ce soir il va sortir. Les parents se couchent, l'enfant est couché - et en tant que parents nous avons le droit de dormir - puis l'enfant se relève et sort en cachette.

J'ai un exemple classique du père qui entend le téléphone sonner à 3 heures du matin. Et le scénario est le suivant:

On ne peut pas enfermer les enfants. Ce ne serait pas une bonne chose. Qu'adviendrait-il en cas d'incendie? Ce serait impensable.

Dans certains cas, il n'y a pas moyen d'empêcher les enfants de se mettre en difficulté.

Le plus triste dans cette affaire, c'est que papa et maman s'étaient montrés très responsables, et que l'aide juridique a exigé qu'en plus ils payent les frais. Les parents se sont dits qu'ils étaient responsables, qu'ils avaient veillé à ce que leur enfant soit à la maison le soir, à ce qu'il soit au lit, ait un réveil à lui, tout ce qu'il faut. Pourquoi alors devraient-ils payer les frais d'assistance juridique? L'enfant aussi doit prendre des responsabilités.

Nous avons donc une solution à proposer. Le bureau d'aide juridique dit qu'il ne peut pas faire payer les enfants parce qu'ils sont mineurs, mais pourquoi ne pas changer cette règle. Pourquoi ne pas saisir les futurs...?

En matière de pension alimentaire aux enfants, on a trouvé toutes sortes de solutions originales. Il est impossible d'obtenir un permis si on n'a pas versé la pension alimentaire. Pourquoi ne pas lier le permis, ou le permis de port d'arme, ou autre, au remboursement de la facture d'aide juridique? L'aide juridique n'est pas un cadeau; il faut la rembourser. Ce n'est pas quelque chose qu'on vous offre gratuitement.

Nous tenons à insister là-dessus. Mettons les responsabilités là où il faut, surtout là où elles sont ressenties.

Nous convenons par ailleurs que les parents doivent accepter leurs responsabilités et que certains ne le font pas. Nous le savons. Mais beaucoup de parents le font. C'est au tribunal de démontrer que les parents ne sont pas de bons parents. Je ne devrais pas avoir à vous prouver que je suis un bon parent. Nous nous sommes efforcés de l'être. Le fardeau de la preuve doit être inversé. C'est vraiment important.

.1635

Le point principal est le suivant. Depuis la rédaction de notre mémoire, notre organisme est devenu un des fers de lance à Calgary dans la mise en place de comités de la justice pour la jeunesse conformément à l'article 69. L'article 69 est caché tout au fond de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je l'ai découvert tout à fait par hasard. Je cherchais quelque chose dans la loi un jour et je suis tombée sur cet article. J'ai décidé d'agir, j'ai fait appel à toutes sortes d'organismes, j'ai obtenu des fonds, et j'ai engagé Denise pour travailler au projet.

Au Manitoba, ces comités donnent d'excellents résultats. En Alberta il n'en existe que quelques-uns dans les régions rurales et un peu aussi dans les villes. Nous recommandons de faire à l'article 69 une place plus importante dans la Loi sur les jeunes contrevenants ou d'en parler dans le préambule, car il permettrait de régler un bon nombre de problèmes sociaux.

Les comités de justice pour les jeunes permettent de faire participer les parents au processus, et donc de les responsabiliser. On peut aussi inclure la collectivité. Nous recommandons vivement que l'on envisage des solutions de rechange, telles ces comités de justice pour les jeunes.

Cela permettrait de régler un bon nombre des problèmes sociaux qui sont négligés. La Loi sur les jeunes contrevenants s'applique aux jeunes de 12 ans et plus, mais le modèle des comités de justice pour les jeunes pourrait probablement être adapté aux plus jeunes dans le contexte des lois sur la protection de l'enfance. Cela permet de créer un environnement que nous avons négligé. Cet article est caché tout au fond de la Loi.

C'est donc là notre principale recommandation aujourd'hui. Ressortons l'article 69. Voyons comment on peut mieux l'appliquer et mieux le faire connaître.

À part cela, comme je l'ai dit, nos recommandations me semblent assez claires. Nous nous en tiendrons à cela. Nous sommes prêtes à répondre à vos questions.

La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.

[Français]

Monsieur St-Laurent, dix minutes, s'il vous plaît.

M. St-Laurent: Je vais m'en tenir à deux thèmes particuliers, notamment l'âge. Les personnes que nous avons rencontrées un peu partout depuis qu'on se promène pour le bien de la cause nous ont naturellement présenté toutes sortes d'hypothèses concernant l'âge. À l'heure actuelle, c'est 12 ans. On parle de ramener cela à 10 ans.

On a rencontré ce matin des jeunes délinquants du pénitencier qui nous racontaient qu'il était ridicule de penser à faire comparaître un jeune de moins de 13 ou 14 ans devant l'actuel système de la justice.

On a rencontré à Montréal des jeunes contrevenants qui, avec beaucoup d'émotion, nous ont dit qu'à 10 ans, l'enfant n'avait pas besoin des bras d'un policier, mais de ceux de sa mère. Ce sont des termes qui nous portent à réfléchir.

Je dois avouer que c'est la première fois qu'on interroge des gens qui se présentent en tant qu'association de parents. Quel est, selon vous, l'âge où il serait acceptable que l'enfant soit appelé à faire face au système criminel?

Vous allez me dire qu'une mère va répondre: «Jamais!» Mais il nous faut aller plus loin, parce que nous avons besoin de choses pour travailler, de chiffres, de données statistiques et de vos expériences à cet égard.

[Traduction]

Mme McMurray: À mon avis, il ne faut pas descendre à moins de 12 ans, mais je ne dirais pas - et pourtant je suis une mère - que nous n'avons jamais besoin de la justice. S'il est clair qu'un jeune a enfreint la loi, il doit en être tenu responsable. Mais je ne crois pas que les enfants de moins de 12 ans soient capables d'avoir des intentions criminelles. Ils peuvent faire des bêtises, comme nous en avons tous fait quand nous étions jeunes. Mais nous n'étions pas des criminels; nous faisions certaines choses parce que nous lancions des défis, ou pour d'autres raisons du même genre.

.1640

C'est dans ce sens-là, à mon avis, qu'il faut remettre l'accent sur l'aspect social, qu'il faut examiner par exemple les programmes d'éducation des parents. Quand les policiers ramassent Pierre, Jean ou Jacques parce qu'il a volé une voiture à l'âge de dix ans, ils doivent parler à la famille, lui dire ce qui se passe et lui demander de quelles ressources elle a besoin - il ne s'agit pas de les fournir; ce n'est pas le travail des policiers. Ensuite, s'ils se rendent compte que la famille ne veut pas collaborer, ils peuvent appeler les services sociaux ou les services d'aide à l'enfance pour leur dire qu'il y a des parents qui ne s'occupent pas de leur enfant et qui ne le protègent pas. Parce que l'enfant qui fait ce genre de choses a grand besoin d'être protégé.

Je pense donc que nous devons vraiment examiner l'aspect social de la question dans le cas des jeunes enfants. Les options sont là. Mais comme certaines personnes l'ont déjà souligné, elles sont du ressort provincial. Je pense que c'est cela, le problème; c'est là que les choses se gâtent.

[Français]

M. St-Laurent: À quelques endroits, on a entendu parler d'une chose assez intéressante. On a mentionné qu'il serait possible de déterminer, chez des enfants de trois à cinq ans, ceux qui, de par leur comportement, auraient tout de suite besoin d'aide ou d'un suivi. Les enfants et les parents seraient ensemble parce qu'à cinq ans, l'enfant n'est quand même pas dans la rue, laissé à lui-même. Quelle est votre opinion là-dessus?

Selon vos expériences et les gens que vous connaissez, est-il possible de déceler ce besoin chez un enfant de trois à cinq ans? Serait-il alors préférable de commencer à intervenir tout de suite afin de prévenir l'inévitable?

[Traduction]

Mme McMurray: Encore une fois, je pense que cela se rattache à l'aspect social de la question. Nous disons depuis longtemps qu'il faut éduquer les parents. Dans notre société, si des parents vont suivre des cours, les gens ont souvent tendance à les juger et à dire qu'ils doivent être de bien mauvais parents s'ils ont besoin d'apprendre leur rôle de parents. Il faut renverser cet état d'esprit et féliciter plutôt les gens qui suivent ce genre de cours.

Quand on achète une nouvelle voiture, on reçoit un manuel d'instructions sur son fonctionnement, mais quand on ramène un nouveau-né à la maison, on ne reçoit aucune directive. Les seules directives que nous ayons viennent de notre enfance. Et si notre enfant ne se comporte pas comme nous au même âge...

Par exemple, ma fille est très différente de moi et de mes frères. J'ai eu beaucoup de difficulté avec elle jusqu'à ce que je me rende compte que j'avais besoin d'aide. Je n'avais jamais eu de modèle pour élever un enfant ayant son tempérament. Ce n'est pas qu'elle soit méchante, ni moi non plus. C'est simplement que la situation ne nous était pas familière. Si j'ai seulement appris à conduire une voiture automatique et que j'en achète une manuelle, il faudra bien que quelqu'un me montre comment la faire rouler.

Quand nous réussirons à changer cette attitude et à reconnaître que, quand on a un enfant, il faut apprendre à s'en occuper, je pense que nous aurons fait beaucoup de progrès. C'est d'ailleurs déjà commencé. Mes enfants sont adultes. Quand j'étais enceinte d'eux, les cours prénataux n'existaient pas. Mais ils sont courants aujourd'hui. Tout le monde y va. Pourtant, une fois le bébé arrivé, personne ne va plus nulle part, comme si tout le monde devait savoir quoi faire.

Quand il est question d'enfants de zéro à 12 ans, et même d'adolescents, il faut vraiment envisager de travailler avec les parents pour améliorer leurs compétences parentales, pour les soutenir et pour essayer de voir comment il est possible de mieux fonctionner comme parents dans notre société.

[Français]

M. St-Laurent: Dans l'analyse que nous faisons, toutes sortes d'hypothèses sont apportées. Si on modifiait la loi actuelle, croyez-vous qu'on devrait faire participer les parents à ce processus de consultation et d'aide pour le jeune délinquant, lorsque celui-ci est arrêté par la police? Il entre tout de suite dans un processus juridique minimum et, à l'heure actuelle, on ne tient pas beaucoup compte des parents.

On fait ce qu'on a à faire au niveau juridique et on renvoie l'enfant à la maison. Quelle est votre suggestion?

.1645

Est-ce que vous suggérez qu'on insère la responsabilité parentale de faire le suivi avec des spécialistes, des professionnels du milieu? Que nous suggérez-vous d'insérer dans la loi à cet égard pour essayer de régler le problème?

[Traduction]

Mme McMurray: À notre avis, aucun jeune contrevenant, à quelque niveau que ce soit, ne devrait être renvoyé chez lui sans programme familial. Le programme familial peut inclure des solutions comme le counselling familial, un couvre-feu pour l'enfant ou d'autres mesures du genre, mais il doit être établi en collaboration avec tous les autres intervenants et avec la famille.

Ce qui se passe souvent dans le cas des jeunes contrevenants, c'est que les services d'aide à l'enfance ont eu à intervenir, et parfois aussi l'école, ce à quoi vient s'ajouter le système judiciaire. La famille a donc trois plans de travail différents qui ne sont pas nécessairement compatibles.

Donc, nous recommandons instamment que tous les jeunes contrevenants qui sont renvoyés chez eux fassent l'objet d'un programme familial tenant compte de la participation de tous les autres organismes qui travaillent avec la famille.

[Français]

M. St-Laurent: Votre groupe est certainement né d'un manque dans le système. Comment votre association est-elle venue au monde? Quels sont ses objectifs premiers?

[Traduction]

Mme Joan Bever (consultante en matière de programme, Parent Support Association): Notre association a été fondée il y a près de 15 ans par un groupe de parents qui ne trouvaient pas les outils dont ils avaient besoin. Il s'agissait de gens qui jugeaient nécessaire d'améliorer leurs compétences parentales ou d'en apprendre plus long sur ce qu'ils ne savaient pas. Beaucoup d'entre eux avaient des enfants difficiles et ne possédaient pas eux-mêmes les ressources suffisantes pour s'en occuper.

Bon nombre des parents que nous voyons à la Parent Support Association ont déjà reçu du counselling et continuent d'en recevoir, ou de suivre une thérapie familiale, mais ils trouvent utile d'avoir le soutien d'une organisation et d'autres personnes qui ont à résoudre à peu près les mêmes problèmes qu'eux.

L'association est un groupe d'entraide et de soutien aux parents. En un sens, pour certains parents, selon le moment où ils arrivent dans notre organisation, il peut s'agir uniquement de montrer aux autres et de se prouver à eux-mêmes que ce qu'ils ont fait est bien, qu'ils sont sur la bonne voie, et de s'appuyer mutuellement.

[Français]

M. St-Laurent: Merci.

La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup.

Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.

[Traduction]

M. Ramsay: Merci, madame la présidente.

Mesdames, je vous remercie d'être venues. Je suis content que vous soyez ici.

Ma femme et moi avons élevé quatre enfants. En fait, nous en avons encore deux avec nous, et nous avons fait nous aussi tout ce que nous pouvions.

J'en reviens à ce qu'a dit Kent, qui faisait partie du groupe précédant le vôtre, à savoir que les parents ne peuvent pas tout faire. Ils apprennent à leurs enfants ce qu'ils pensent être ce qu'il y a de mieux. Ils font tout leur possible pour eux, mais après un certain âge, tout ce qu'on peut faire, c'est de les laisser aller et de se croiser les doigts en espérant que les leçons qu'on leur a apprises, les valeurs qu'on leur a inculquées leur permettront de passer à travers les épreuves et les tentations qu'ils rencontreront sur leur chemin.

Quand on examine la loi et le cadre législatif que nous pourrions adopter ou modifier, par rapport à ce qui existe déjà, pour protéger la société, d'une part, et pour aider les enfants quand ils se retrouvent en difficulté, d'autre part, pour leur fournir la formation et la réinsertion dont ils ont besoin, ou encore l'amour et les soins qui leur ont fait défaut quelque part - ou pour corriger ce qui les a poussés à se rebeller contre l'amour et les soins de leurs parents - , on constate des anomalies.

Premièrement, il ne s'agit pas de l'âge auquel l'enfant devrait être assujetti à la Loi sur les jeunes contrevenants. La question n'est pas là. La question, c'est ce qu'il faut faire des enfants de moins de 12 ans puisqu'il n'y a pas ou à peu près pas de cadre juridique permettant de leur offrir des services. Personne ne peut décider à l'improviste de faire ceci ou cela pour un enfant. Il faut un cadre juridique pour intervenir. Les parents sont les seuls à pouvoir le faire, parce que c'est leur devoir et leur responsabilité.

.1650

Mais si le cas dépasse les capacités des parents, ou si les parents ne veulent tout simplement rien savoir, comme cela se produit parfois - soit qu'ils ont jeté l'éponge, soit qu'ils ne se sont jamais vraiment intéressés comme ils l'auraient dû à l'éducation de leurs enfants - que pouvons-nous faire sans ce cadre-là?

Comme je l'ai déjà mentionné, il y a au Québec une Loi sur la protection de la jeunesse, qui comble cette lacune pour les enfants de 12 ans et plus. C'est une bonne loi. Elle prévoit les ressources et les pouvoirs nécessaires pour intervenir lorsqu'il est prouvé qu'un enfant a besoin de services, qu'il a besoin d'aide. Les intervenants peuvent travailler avec les parents. Ils ont les pouvoirs nécessaires pour le faire. Ils peuvent frapper à la porte et dire qu'ils sont inquiets de la situation d'un enfant, par exemple.

En vertu de l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants, il était possible, par l'entremise du système judiciaire, de s'occuper des enfants de n'importe quel âge qui montraient des signes de ce genre, ou qui avaient commis un crime.

Il y a eu tout récemment en Ontario un enfant de 11 ans qui a violé une fillette de 13 ans, ou du moins qui est accusé de l'avoir violée. Qu'est-ce que nous pouvons faire d'autre que de remettre cet enfant à la société d'aide à l'enfance, en espérant que la loi lui permette d'agir dans les meilleurs intérêts de l'enfant?

C'est la question que nous devons résoudre. Certaines personnes jugent que l'âge de 12 ans est approprié, comme vous l'avez dit, pour que la Loi sur les jeunes contrevenants commence à s'appliquer. Mais, dans certaines provinces au moins, est-ce que nous n'avons pas abandonné les enfants plus jeunes? Qu'en pensez-vous, compte tenu du fait, évidemment - mais je n'arrête pas de vous poser des questions sans vous laisser le temps d'y répondre - que l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants prévoyait des options de traitement qui ont été pour la plupart supprimées dans la Loi sur les jeunes contrevenants? Comme je l'ai dit à l'autre groupe, les modifications apportées récemment à cette loi ont permis de rétablir ces options jusqu'à un certain point, mais il ne restait plus que des options relatives à l'établissement de la peine.

Donc, que peut-on faire d'un jeune de 10 ou 11 ans qui continue à voler des voitures? Pensez-vous qu'il devrait y avoir un cadre juridique pour protéger la société contre ce genre de choses et pour prévoir un programme de traitement qui pourrait donner à cet enfant ce dont il a besoin?

Mme McMurray: Je pense que la loi albertaine sur la protection de l'enfance, qui relève du ministère de la Famille et des Services sociaux, prévoit exactement le genre de mesures dont vous parlez. Elle contient toutes les dispositions que vous avez mentionnées, monsieur. Elle précise que tout enfant qui présente un risque pour lui-même ou pour la société peut être arrêté. Cette loi n'est peut-être pas toujours appliquée, mais à ma connaissance, elle l'est habituellement. Je connais bien des familles où des enfants de huit à onze ans ont eu des problèmes et où la société d'aide à l'enfance est intervenue, avec tout ce qui s'ensuit.

La loi sur la protection de l'enfance permet toutes sortes de mesures innovatrices de counselling, de thérapie familiale et de soutien à domicile. Il existe en Alberta un programme tout nouveau qui vient de recevoir du financement dans le cadre du projet d'intervention précoce du ministère albertain de la Famille et des Services sociaux, et qui offre des services de soutien à domicile pour aider les parents qui ont des enfants de six à douze ans à améliorer leurs compétences parentales. Il y a toutes sortes de programmes. Ces choses-là existent, mais nous ne sommes pas toujours au courant.

J'ai lu moi aussi dans le journal cette histoire du garçon de 11 ans en Ontario. Je ne connais pas le ministère ontarien qui s'occupe des services sociaux et de la famille; je ne peux donc pas vous répondre. Mais en Alberta, il existe certainement des lois. Elles sont appliquées, et même très bien appliquées. Il y a actuellement une restructuration majeure en cours, pas sur le plan législatif, mais sur le plan de la prestation des services. Cela permettra d'améliorer encore la situation.

Donc, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de changer les choses.

M. Ramsay: J'ai vu des articles dans le journal au sujet d'un jeune garçon de la région qui volait voiture après voiture; la police l'a ramassé et s'est contentée de le reconduire à la maison. C'est tout ce que j'en sais, mais on dirait bien, du moins dans ce cas, que les programmes d'aide à l'enfance ne répondaient pas aux besoins de l'enfant.

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Mme McMurray: En fait, ils y répondaient. Le ministère de la Famille et des Services sociaux travaillait en étroite collaboration avec la famille de l'enfant. Il lui apportait diverses formes d'appui. Mais cet enfant-là était très déterminé. Quoi qu'on fasse, à moins de l'enfermer et de jeter la clé jusqu'à ce qu'il ait 50 ans, il allait continuer à voler des voitures. Il y a parfois des gens qui ont décidé tout simplement qu'ils vont faire ce qu'ils veulent, envers et contre tout; nous en connaissons tous. Ce ne sont pas nécessairement des criminels, mais il y a des gens comme cela dans notre société. Quoi qu'on fasse, cela n'y changera rien, tout simplement.

Donc, oui, les services d'aide à l'enfance se sont occupés du cas.

M. Ramsay: Alors, vous dites que les propriétaires d'automobiles vont simplement devoir courir le risque de se faire voler par ce gamin?

Mme McMurray: Non, sûrement pas. Je ne dis pas que c'est ce que nous devrions faire. Je dis qu'il faut reconnaître qu'il y a de rares cas - et ils sont rares. Chaque fois qu'on lit ce genre de choses dans les journaux, on s'imagine qu'il y a des centaines d'enfants dans cette situation. En fait, il ne s'agissait que d'un petit garçon dans une ville de 825 000 habitants, qui a fait la manchette jour après jour à lui tout seul. Mais nous avons tous eu l'impression que tous les enfants de 11 ans de Calgary s'apprêtaient à voler nos voitures.

En fait, la ville de Calgary a répondu en achetant un hélicoptère muni d'un système de traitement acoustique, qui a permis de réduire le nombre de vols de voitures de 250 p. 100 en six mois. Les jeunes ne peuvent plus se sauver et provoquer des poursuites à haute vitesse.

M. Ramsay: Mais il reste quand même anormal que n'importe quel enfant de moins de 12 ans puisse continuer à faire ce genre de choses et à menacer ainsi la propriété privée des citoyens.

Donc, même si je suis d'accord avec vous pour dire que ce n'est pas un problème répandu - en fait, toute la question des jeunes contrevenants ne concerne qu'un faible pourcentage des jeunes; la plupart de nos jeunes sont bien tranquilles, et les parents font du bon travail - , mais il faut essayer de le régler. Ce n'est pas normal.

Est-ce que notre comité devrait faire comme si le problème n'existait pas? Sinon, avez-vous des suggestions à faire sur cette anomalie, à part celle que vous avez faite, à savoir que nous laissions tout simplement les choses telles quelles?

Mme McMurray: Non. J'ai parlé des comités de justice pour la jeunesse. Évidemment, la loi s'applique aux enfants de 12 ans et plus, et ces comités aussi par conséquent. Mais il me semble que nous pourrions y apporter des modifications. Je ne sais pas exactement comment cela pourrait s'inscrire dans les relations interprovinciales et fédérales-provinciales au sujet des services d'aide à l'enfance, mais il doit bien y avoir un moyen. Les comités de justice pour la jeunesse pourraient devenir des «comités de bien-être communautaire», ou quelque chose du genre. Ils pourraient être une ressource pour la famille de ce garçon de 11 ans, ou pour les voisins. Si on recommençait à s'entraider entre voisins, peut- être que, quand cet enfant se sauve...

Quand j'étais jeune, nous avions des personnes âgées comme voisins. Je me souviens qu'un jour, à l'âge de 18 ans, j'étais rentrée d'une soirée avec mon petit ami et nous nous étions assis dehors. Le lendemain, le vieux monsieur avait dit à ma mère exactement à quelle heure j'étais rentrée, pour le cas où elle ne l'aurait pas su. Les gens se sentaient responsables les uns des autres. Je pense que ce serait utile si nous revenions à ce genre de choses.

La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Ramsay. Vous avez pris vos dix minutes exactement.

Monsieur Gallaway.

M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Nous semblons croire, comme l'ont dit les témoins précédents, qu'il existe un continuum d'opinions au sujet de la loi et de son fonctionnement. J'étais donc très content d'entendre ce que vous aviez à nous dire aujourd'hui.

On nous a aussi posé des questions sur les lois relatives à l'aide à l'enfance en Ontario - ou plutôt en Alberta. Je suppose que nous sommes en Alberta aujourd'hui.

Mme McMurray: Si c'est mardi...

M. Gallaway: Ce doit être Edmonton, oui.

Si nous devions partir du principe que les lois albertaines sur l'aide à l'enfance ne fonctionnent pas, simplement pour les besoins de notre discussion, que personne ne s'occupe des jeunes de moins de 12 ans, que personne ne les aide, quelle que soit leur situation... Si c'était effectivement vrai, qu'est-ce qui vous fait croire qu'on changerait les choses en abaissant l'âge auquel ces jeunes seraient traduits devant le système de justice pénale?

Mme McMurray: Je pense que cela ne changerait rien. À mon avis, ce n'est pas en abaissant l'âge que nous allons résoudre le problème, puisque cette solution ne s'attaque pas aux causes profondes du problème. Pourquoi, par exemple, la famille de cet enfant est-elle en plein chaos? En abaissant l'âge, nous n'arriverions à rien à cet égard. C'est là que les services d'aide à l'enfance peuvent remplacer les bras aimants d'une mère. Cette analogie est très belle. C'est cela, l'aide à l'enfance: le rapprochement des familles, le travail auprès des familles, la reconstruction, l'éducation des parents, le travail avec le système scolaire, et tout le reste.

L'enfant qui fait ce genre de choses a probablement aussi des problèmes à l'école, avec ses amis, et ainsi de suite. Donc, si nous travaillons avec le jeune dans un contexte plus social...

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C'est pourquoi je suis convaincue qu'en abaissant l'âge d'application de la loi pour inclure les enfants plus jeunes, nous ne réussirons qu'à leur mettre le doigt dans l'engrenage du système judiciaire, ce qui ne les aidera vraiment pas. Au contraire, ils vont rencontrer les gros méchants criminels, ceux que nous ne voudrions surtout pas leur voir comme amis. Ils vont aller cambrioler des maisons à l'âge de dix ans. Supposons par exemple que nous arrêtions un jeune de huit ans en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, parce qu'il aurait volé une voiture. À l'âge de dix ans, nous allons devoir le mettre en prison pour s'être introduit chez vous par effraction.

Je pense que nous ne nous rendrions pas vraiment service comme société. Nous le savons tous. Nous savons ce qui se passe dans les pénitenciers. Nous savons ce que les gens y apprennent. Nous savons que les enfants y seraient en contact avec la drogue et avec toutes sortes d'autres choses, quoi que nous fassions. Je ne crois pas que nous voudrions voir nos jeunes de dix ans dans cette situation-là.

M. Gallaway: J'ai lu les trois histoires de cas citées dans votre mémoire. Le premier cas est celui d'un jeune de 14 ans qui avait volé une voiture. En Ontario, par exemple, le Procureur général de la province a laissé entendre qu'il voulait déposer des mesures législatives pour ajouter une responsabilité civile à la Loi sur les jeunes contrevenants. Donc, d'après ce qu'envisage le gouvernement provincial, si le jeune de 14 ans qui vole une voiture causait par la même occasion des dommages matériels soit à la voiture, soit à la propriété d'autres personnes, ses parents seraient responsables de ces dommages. Autrement dit, les parents vont devoir sortir leur carnet de chèques. Comment réagissez-vous à cela?

Mme McMurray: En tant que parent, voici ma réaction: si vous voulez me rendre responsable, vous devez changer la loi pour que je puisse attacher ma fille de 14 ans dans son lit si elle fait des bêtises. Pour que je puisse la droguer pour l'empêcher de sortir le soir. Pour que je puisse poser des barreaux à ses fenêtres et verrouiller les portes à double tour pour l'empêcher de sortir et pour pouvoir dormir. Je n'ai pas signé de contrat quand j'ai eu cet enfant-là, pour dire que je ne devais pas dormir jusqu'à ce qu'elle ait 18 ans.

Je suis désolée, mais nous avons le droit de dormir. Les enfants peuvent se sauver, comme celui-là l'a fait. Ses parents ont bien essayé d'être de bons parents; ils ont fait leur possible. Je pense qu'il faudrait d'abord prouver qu'ils ont été de mauvais parents, qu'ils faisaient la noce, qu'ils avaient un comportement répréhensible et qu'ils avaient abandonné l'enfant. Alors, il serait peut-être possible de tenir les parents responsables, mais je pense que la majorité de ces enfants-là ont des parents qui ont tout essayé. Je ne voudrais pas d'une loi qui me permette de faire tout ce que je viens de vous dire. Je ne voudrais pas être obligée d'enfermer mon enfant.

En fait, il y a environ cinq ans, je me souviens d'un cas où c'est exactement ce qui s'était passé. Il s'agissait d'une femme de Vancouver dont la fille de 14 ans se sauvait continuellement et travaillait comme prostituée. Sa mère allait la ramasser chaque soir, et elle a fini par l'attacher dans son lit. Les autorités ont été averties, et la mère a été accusée de voies de fait, de séquestration illégale et de toutes sortes d'autres crimes graves. À mon avis, elle n'aurait pas dû attacher son enfant dans son lit, mais cela vous montre un peu à quel point elle était désespérée.

Ce sont des cas très difficiles. Il faut examiner le genre de traitement en profondeur dont les familles ont besoin. En intentant des poursuites au civil contre moi et en m'obligeant à payer, vous n'apprendrez rien à l'enfant. En fait, l'enfant va peut-être même se dire: «Pourquoi est-ce que je m'en ferais? Ma mère va payer, ou mon père.»

M. Gallaway: Dans beaucoup de municipalités du pays, les conseils scolaires en particulier ont adopté ce qu'ils appellent une politique de tolérance zéro. Donc, si Philippe et Alexandre se bagarrent un peu dans la cour d'école à la récréation, la police s'en mêle. Il y a toujours eu des batailles dans les cours d'école, mais cette politique donne raison aux gens qui disent que les jeunes contrevenants sont plus violents qu'avant, qu'ils sont pires à certains égards que dans un «bon vieux temps» mythique et que les statistiques le prouvent parce qu'on signale des milliers de cas de plus.

En tant que parents, que pensez-vous de ce genre de politique? Comment réagissez-vous au fait que ces conflits entre jeunes, ou ces bagarres dans les cours d'école - puisque je préfère les appeler de cette façon - ont toujours existé, mais qu'elles sont aujourd'hui considérées comme des actes criminels et peuvent nécessiter une intervention des tribunaux?

Mme McMurray: Pour bon nombre des parents qui viennent dans nos groupes, c'est une question qu'ils ont beaucoup de mal à comprendre. Ils viennent dans un groupe d'aide aux parents parce qu'ils pensent: «Mon Dieu, mon enfant s'est battu. C'est toujours mal de se battre, mais je me suis battu moi aussi quand j'avais 14 ans.» La plupart de gens l'ont fait. Si vous étiez une fille, vous mordiez et vous griffiez, tandis que les garçons se battaient derrière la grange. Vous avez raison de dire que ces choses se produisaient avant et qu'elles vont toujours se produire.

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Mais les parents sont vraiment mécontents parce que leur enfant a maintenant un casier judiciaire pour voies de fait. Or, c'est considéré comme un crime majeur. Donc, si l'enfant a été accusé de voies de fait et que la famille veut aller à Hawaï pour Noël, parce qu'elle est assez riche pour pouvoir se le permettre, elle ne peut pas y aller simplement parce que l'enfant ne peut pas traverser la frontière. Le recours à ces sanctions majeures est vraiment très préoccupant.

Je ne dis pas que j'approuve la violence dans les cours d'école, loin de là; dans le meilleur des mondes, personne ne se battrait. Mais c'est une chose qui arrive; c'est une réalité. Pourquoi est-ce que nous n'essayons pas de rapprocher les deux enfants en cause, avec l'aide de leurs parents, comme cela se faisait avant? Maman et papa A et maman et papa B, de même que garçon A et garçon B, iraient à l'école et s'assoiraient ensemble pour discuter de ce qui s'est passé et de ce qu'il faut faire pour régler le problème. Et on pourrait en arriver à des solutions créatives dans un cadre familial, sans avoir recours au système de justice pénale.

Mais si on accuse ces enfants de voies de fait, ils se retrouvent en détention parce qu'il s'agit d'un crime majeur.

La vice-présidente (Mme Torsney): Est-ce qu'on ne les met pas souvent à la porte de l'école en Ontario?

Mme McMurray: Oui, il y a des problèmes avec les écoles en ce moment. Même si la Loi sur l'éducation précise que les enfants doivent aller à l'école jusqu'à l'âge de 16 ans, il y a parfois des problèmes en ce sens que les enfants doivent subir des conséquences très sérieuses, même si ce n'est pas toujours eux qui ont commis le crime. Mais c'est eux qui se sont fait prendre - nous savons tous que ce sont aussi des choses qui arrivent.

Il faudrait donc en revenir à des solutions plus communautaires. Je sais bien que les éducateurs disent qu'ils en ont assez à faire et qu'ils sont très occupés à l'école. Mais il n'est pas nécessaire que ce soient les enseignants qui s'en chargent. Nous pourrions faire appel à des bénévoles ou à d'autres personnes qui pourraient s'occuper des cas de ce genre. Il y a toutes sortes de services de médiation.

M. Gallaway: J'aimerais vous poser une dernière question. Dans vos déclarations sur le rôle des parents, vous dites en troisième lieu qu'il faut aider les enfants à accepter leurs responsabilités et à prendre leur propre vie en main. Je pense que c'est ce que nous voulons tous en tant que parents.

Dans le cas des jeunes, nous appliquons dans le système judiciaire un principe mythique qu'on appelle la «protection de la société» - mais je ne devrais pas parler de principe mythique parce que nous nous attendons tous à ce que la société soit protégée. Nous pensons que tout ce concept de protection de la société... Je commence à croire que bien des gens - ou du moins la majorité des gens qui ont comparu devant notre comité - estiment que la protection de la société équivaut à l'incarcération. Comment établissez-vous l'équilibre entre la nécessité de permettre aux enfants d'assumer leurs responsabilités et de prendre leur vie en main, et celle de protéger la société? Comment conciliez-vous ces deux idées?

Mme McMurray: Si nous pouvons travailler avec nos enfants et leur apprendre à assumer la responsabilité de leurs actes, je pense qu'il y aura moins d'actes criminels parce que nous aurons des citoyens responsables.

Mme Bever: Quand on parle d'enfants de cinq ou six ans, je pense que, si nous pouvions commencer à appliquer le principe selon lequel les gens - et les enfants en particulier - doivent être responsables de leurs actes dès leur jeune âge, le reste suivrait. Le système scolaire n'aurait pas les difficultés qu'il connaît maintenant, et les effets se feraient sentir partout. En fait, les enfants commenceraient à se sentir plus responsables de leurs actes, et les parents pourraient à leur tour se décharger de certaines des responsabilités qu'ils assument actuellement, mais qui, en réalité, ne devraient pas leur revenir.

M. Gallaway: Merci.

La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney voudrait poser une petite question, après quoi je vais devoir vous laisser partir.

Mme McMurray: Je suis vraiment désolée de devoir m'en aller.

La vice-présidente (Mme Torsney): Nous sommes désolés d'avoir été retardés ce matin. Nous étions au pénitencier à sécurité maximum, et c'était très intéressant.

M. Maloney (Erie): Dans votre scénario numéro un, vous indiquez que, si nous devions recommander de tenir les parents responsables, ce devrait être seulement dans les cas où nous pourrions prouver que les parents ont négligé leurs responsabilités. Quelles sont les sanctions qui devraient être imposées à ces parents?

Mme McMurray: Tout d'abord, il faudrait leur montrer comment devenir des parents responsables, parce qu'ils ne savent peut- être même pas comment s'y prendre. Donc, il faudrait notamment les obliger à suivre des cours pour améliorer leurs compétences parentales. Il devrait probablement y avoir aussi un type quelconque de counselling familial ou de soutien à domicile.

Dans le cadre des programmes de soutien à domicile, un conseiller familial vient à la maison et observe les interactions qui s'y déroulent. Il montre ensuite aux parents des réponses plus appropriées quand il se passe quelque chose de particulier; il leur donne les moyens de régler le problème. Il s'agit en réalité de cours pratiques sur la façon de devenir des parents responsables. Je pense que la plupart des parents qui se comportent de façon irresponsable ne savent pas comment assumer leurs responsabilités; ils n'ont ni les outils ni les compétences nécessaires.

Ce serait donc la principale sanction, et elle serait probablement appliquée dans le cadre d'une ordonnance de probation quelconque, ce qui permettrait de s'assurer que les parents respectent la sanction puisqu'il ne suffit pas simplement de leur dire quoi faire. Il faut leur dire qu'ils ne font pas bien leur travail de parents, qu'on veut les aider à y arriver, qu'ils sont en probation pour un an et que, pendant cette période, ils devront faire certaines choses. À la fin de l'année, il devrait y avoir un mécanisme d'évaluation permettant de déterminer s'ils se comportent de façon plus responsable.

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M. Gallaway: Merci.

La vice-présidente (Mme Torsney): Mesdames, je vous remercie beaucoup d'être venues cet après-midi. Je sais que vous n'avez pas vraiment le temps, mais je me demandais si vous pourriez prendre quelques minutes pour réfléchir à ce que nous avons entendu ce matin, en particulier de la part des jeunes qui avaient été dans un établissement pour jeunes contrevenants à Calgary. Ils nous ont dit qu'ils n'avaient eu aucun traitement, qu'ils n'avaient bénéficié d'aucun programme et qu'ils avaient appris uniquement à commettre des crimes plus graves - et c'est ainsi qu'ils se sont retrouvés là, au pénitencier à sécurité maximum.

J'ai été extrêmement surprise de voir que les cours sur les compétences parentales ne faisaient pas partie du programme, parce qu'il y a des cours de ce genre dans beaucoup d'établissements ontariens pour jeunes contrevenants. On reconnaît que ces enfants-là n'ont peut-être pas eu de bons exemples de leurs parents - peut-être que oui, mais peut-être que non. Certains d'entre eux deviendront des parents plus tard et ils sauront alors comment briser ce cercle vicieux.

Je ne sais pas si vous travaillez là en ce moment ou s'il est possible de changer les programmes qui sont appliqués là-bas, mais j'ai eu un choc quand j'ai entendu tous ces jeunes dire qu'ils ne faisaient rien, qu'ils se contentaient de passer le temps.

Mme McMurray: Oui, vous avez raison.

La vice-présidente (Mme Torsney): Ils font des pompes. C'est ce qu'ils nous ont dit.

Mme McMurray: C'est une situation qu'il faut améliorer. La Loi sur les jeunes contrevenants prévoit différentes options de traitement, et nous devons vraiment nous assurer que les jeunes et leurs familles en bénéficient.

La vice-présidente (Mme Torsney): Je vous remercie beaucoup d'être venues. Si vous avez oublié quelque chose, n'hésitez pas à nous envoyer une note. Nous vous souhaitons une bonne réunion ce soir et un vol sans histoire.

Mme McMurray: Merci.

La vice-présidente (Mme Torsney): Nous allons suspendre nos travaux pendant quelques minutes.

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La présidente: Nous revoici. Nous avons avec nous M. Mark Genuis, de la Fondation nationale de recherche et d'éducation de la famille.

Je vous souhaite la bienvenue. Nous avons votre mémoire. Voulez-vous nous en exposer les grandes lignes?

M. Mark Genuis (directeur général, Fondation nationale de recherche et d'éducation de la famille): Oui, je me ferai un plaisir de prendre quelques minutes pour vous présenter notre mémoire, si vous me le permettez.

Pour commencer, je vous remercie beaucoup de nous avoir permis de vous présenter aujourd'hui notre exposé et notre mémoire. C'est un honneur. Nous avons divisé notre mémoire en cinq parties. La première, qui n'est qu'une introduction, porte sur les tendances relatives à la jeunesse canadienne d'aujourd'hui. La deuxième est un simple survol, dans lequel nous examinons la question et nous analysons certains travaux de recherche pertinents; nous y avons inclus également un résumé et quelques recommandations.

Permettez-moi de souligner tout d'abord que je ne suis pas ici pour présenter mon propre point de vue, ni mes pensées ou mes idées personnelles. Mon exposé portera surtout sur la recherche effectuée au sujet de certains aspects précis du développement de l'enfant et de la jeunesse. C'est de ces aspects-là que nous voulons vous parler aujourd'hui.

Les données je vais vous citer au sujet des tendances dans ce domaine viennent du Service correctionnel du Canada; vous trouverez les références à la fin du mémoire.

La majeure partie des recherches théoriques ont démontré que, dans notre société moderne, 20 p. 100 de nos jeunes et de nos jeunes adultes présentent des troubles affectifs ou mentaux plus ou moins graves sur le plan clinique. Depuis quelques années, dans notre région du monde, nous parlons beaucoup des libertés individuelles et de la réalisation des rêves personnels, par exemple. Mais quand on dit ce genre de choses aux jeunes et aux jeunes adultes, il me semble qu'ils sont sérieusement limités dans leur capacité d'être libres, intérieurement et socialement.

Le taux de suicides au Canada chez les enfants de 10 à 14 ans a augmenté de 1,101 p. 100 entre 1955 et 1992, d'après les chiffres de Statistique Canada. Et ce pourcentage tient compte de la croissance démographique de notre pays. Vous pouvez voir ici un graphique qui illustre cette statistique. Comme vous pouvez le constater, la ligne de l'avant correspond à la croissance démographique. Celle du fond, qui va vers le haut, montre l'augmentation du taux de suicides chez les petits Canadiens de 10 à 14 ans. Dans le cas des enfants de 15 à 19 ans, l'augmentation est de 600 p. 100. Selon l'UNICEF, le taux de suicides chez nos adolescents est le troisième au monde, avant celui des États-Unis. Et pour les jeunes adultes, le taux a augmenté de 338 p. 100 au Canada depuis 1955.

Si je vous présente ces chiffres, avec les autres chiffres portant sur la délinquance ou la criminalité, c'est parce qu'il semble que les enfants qui commettent des infractions sont souvent - quoique pas toujours - violents non seulement extérieurement, mais aussi envers eux-mêmes. Dans bien des cas, les problèmes sont liés et les gens sont les mêmes.

Le pourcentage des crimes violents a augmenté de 124 p. 100 au Canada entre 1986 et 1994, et celui des homicides commis par des jeunes a augmenté de 54 p. 100 entre 1986 et 1995. En 1986, les jeunes avaient commis 8 p. 100 des homicides; ce chiffre est maintenant d'environ 12 p. 100.

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La présidente: J'aimerais vous demander une précision parce qu'on nous cite toutes sortes de statistiques différentes.

M. Genuis: Je n'en doute pas.

La présidente: Je voudrais être certaine que nous fonctionnons tous à partir des mêmes données.

Est-ce que vous incluez les voies de fait simples dans ces statistiques?

M. Genuis: Je vous cite directement les chiffres de Juristat et...

La présidente: Donc, cela inclut les voies de fait simples.

M. Genuis: Oui.

La présidente: D'accord. Je m'excuse de vous avoir interrompu.

M. Genuis: Je vous en prie.

Au Canada, dans le cas des crimes reliés à la drogue, le chiffre est de 83 p. 100 pour les trois années visées.

Le chiffre suivant est très important. Entre 1990 et 1995, le pourcentage des récidivistes parmi les jeunes qui ont été traduits devant les tribunaux pour la jeunesse n'a à peu près pas changé; il s'établit à 45 p. 100. De plus, 60 p. 100 de ces récidivistes avaient été condamnés trois fois ou plus. Ce qui est inquiétant dans ces chiffres, évidemment, c'est qu'on dit souvent dans le grand public que quelques jeunes seulement commettent la plupart des crimes, mais je voudrais faire deux remarques à ce sujet-là.

Premièrement, le pourcentage de récidivistes est d'environ 45 p. 100; il s'agit donc de moins de la moitié des crimes. Mais comme notre taux de criminalité augmente, ce petit groupe augmente également parce qu'il continue à se situer autour de 45 p. 100. Donc, il semble bien que ce petit groupe grossisse de plus en plus.

Par ailleurs, l'été dernier, le Solliciteur général a publié un document selon lequel 75 p. 100 des criminels dangereux et 70 p. 100 des criminels violents présentant un risque élevé avaient eu des démêlés avec la justice pendant leur jeunesse. Donc, si le nombre des jeunes contrevenants augmente, il est à craindre que le nombre des criminels adultes continue d'augmenter aussi, et la vitesse à laquelle il grimpe est plutôt alarmante. Compte tenu de toutes ces tendances négatives et inquiétantes, il faut se tourner à notre avis vers la prévention.

Le Comité permanent de la justice et des questions juridiques a une tâche très importante à remplir; il doit examiner les questions relatives aux jeunes contrevenants et réparer les dommages qui ont été faits par beaucoup de nos jeunes, et à beaucoup de jeunes. Mais ce qui doit surtout nous inciter à réfléchir, c'est que, quels que soient les changements apportés à la Loi sur les jeunes contrevenants, que le comité décide d'insister sur l'incarcération et la responsabilité ou plutôt sur la thérapie et le traitement, ou encore sur une combinaison des deux, il y aura malheureusement toujours un certain nombre d'enfants qui échapperont au système et qu'il sera impossible d'atteindre.

Donc, le moyen d'appui le plus efficace, et le biais par lequel nous voulons vous présenter le problème aujourd'hui et vous demander de l'envisager - donc, le moyen le plus efficace de soutenir ces jeunes et leurs victimes consiste à augmenter les efforts du gouvernement, et d'ailleurs de tous les Canadiens, en vue de la prévention des pathologies adolescentes liées à la criminalité. C'est sur cet aspect que je vais insister pour la suite de ma présentation.

Ce qu'il faut savoir, c'est comment les enfants développent des habiletés qui leur permettent de devenir des adolescents sains, productifs et heureux plutôt que des jeunes contrevenants. Je vais donc vous décrire les études qui ont été faites à ce sujet-là. Je vais d'abord vous parler de la recherche sur ce qu'on appelle l'attachement, ou la formation des liens affectifs, après quoi je vais passer à un des aspects des soins non parentaux.

La théorie sur cette question remonte à 1951. L'Organisation mondiale de la santé avait commandé à la fin des années 40 à un Anglais, le Dr John Bowlby, une étude internationale - qu'elle a d'ailleurs publiée - sur la délinquance juvénile et le développement de l'enfant; elle lui avait demandé d'établir une perspective théorique en fonction de toutes les données qui existaient alors sur le développement de la délinquance et la façon de la prévenir.

Le Dr Bowlby a parcouru le monde, interrogé des spécialistes et examiné toutes les données disponibles; en 1951, il a constaté que ces données étaient tellement constantes qu'il a formulé ce qu'on a appelé la théorie de l'attachement. Selon cette théorie, les enfants qui forment des liens affectifs solides avec leurs parents ont de bonnes chances de se développer harmonieusement jusqu'à l'adolescence. Mais quand ces liens ne sont pas solides, ce n'est pas de très bon augure parce que la criminalité juvénile semble souvent en résulter.

L'Organisation mondiale de la santé a publié en 1962 une autre étude réalisée par une Canadienne, Mary Ainsworth, et d'autres travaux de recherche ont été effectués depuis dans le monde entier. Nous les présentons plus en détail dans notre mémoire.

En 1994, j'ai eu la chance d'effectuer moi-même de la recherche sur l'attachement et ses répercussions à long terme, à l'aide de méthodes qui nous permettent aujourd'hui d'examiner les liens de causes à effets. J'ai analysé les expériences vécues dans l'enfance, leur influence sur le processus de formation de liens affectifs, et les répercussions qu'a à long terme la formation de ces liens entre les jeunes enfants et leurs parents.

Il y a eu également d'autres études sur la question, notamment celle de van Ijzendoorn et de Bakermans-Kranenburg, qui ont effectué ce que nous appelons une méta-analyse.

Très brièvement, la méta-analyse est en quelque sorte l'étape qui suit l'analyse documentaire. Vous allez peut-être entendre parler souvent de l'analyse des documents ou des recherches portant sur la question. Mais, dans le monde scientifique, l'analyse documentaire est de moins en moins pertinente, et de moins en moins acceptée. Nous travaillons maintenant en fonction de ce que nous appelons la méta-analyse, qui consiste à regrouper toute l'information relative à un sujet donné, à la standardiser et à la soumettre à une nouvelle analyse. De cette façon, nous supprimons les préjugés des chercheurs - parce que les chercheurs sont des êtres humains. Quand on élimine leurs préjugés de départ, on en arrive à une manière beaucoup plus solide, beaucoup plus précise et beaucoup plus exacte de comprendre l'information.

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Les résultats de la recherche sont tout à faits clairs et cohérents. Nous constatons en fait que les enfants dont les liens affectifs avec leurs parents sont fragiles, éprouvent des difficultés par la suite. Cet attachement, ces liens affectifs constituent une variable essentielle du développement de l'enfant. La santé, la productivité et le bonheur de l'enfant devenu adolescent sont une conséquence de son attachement à ses parents ou y sont directement liés. En revanche, des liens affectifs fragiles ont l'effet diamétralement opposé et créent des problèmes émotionnels et de comportement qui atteignent des niveaux cliniques, notamment la criminalité chez les jeunes.

Les expériences vécues par les enfants sont extrêmement importantes, mais elles le sont surtout par la manière dont elles s'intègrent à ce processus de formation de liens affectifs. Il ne semble pas y avoir de relation de cause à effet entre les expériences enfantines et les résultats de ce processus. Leur combinaison semble être la condition de la plus ou moins grande solidité des liens affectifs avec les parents, mais ce sont ces liens eux-mêmes qui déterminent les effets ultérieurs. J'espère que vous verrez dans un instant la pertinence de ces remarques.

Parmi les facteurs négatifs ou les influences négatives sur la formation des liens affectifs pendant l'enfance - mentionnons deux d'entre eux qui ont été établis - il y a les soins non parentaux réguliers avant que l'enfant ait atteint l'âge de cinq ans, l'exploitation sexuelle, les mauvais traitements physiques, les menaces, le fait d'être longtemps séparé d'un des parents ou des deux, et une faible participation parentale à la vie de l'enfant. En revanche, lorsque les parents prennent une part très active à la vie de leurs enfants, les résultats sont remarquables. Apparemment, les parents font un excellent travail lorsqu'on leur en donne la possibilité ou lorsqu'ils prennent le temps nécessaire pour le faire.

Un autre facteur très important dans ce domaine est celui de l'attachement à l'unité parentale. Les recherches dans ce domaine visent à déterminer si les enfants forment des liens individuels distincts avec chaque parent ou les forment avec les deux à la fois, c'est-à-dire avec l'unité ou avec le couple que constituent le père et la mère. Les résultats ont été très clairs. Une autre méta-analyse a été publiée en 1991. Nous avons nous-mêmes étudié cette question, comme l'a fait un autre chercheur du nom de Kenny, en 1990.

Tous les chercheurs ont constaté que l'attachement des enfants à un parent est en un sens presque totalement tributaire de la force de leur attachement à l'autre parent. Si donc les liens affectifs qui m'unissent à un de mes parents sont fragiles, il y a de fortes chances pour qu'il en aille de même dans mes rapports avec mon autre parent.

Par exemple, si les deux parents se séparent et si l'un d'entre eux, ou les deux, essaie de détruire les liens qui unissent l'enfant avec l'autre parent, il compromet du même coup ses propres rapports avec l'enfant, alors que si les parents collaborent, ils créent un profond sentiment de force et de sécurité chez leurs enfants. Les enfants sont donc attachés à la fois à leur père et à leur mère et l'attachement à l'égard de l'un est presque tributaire de l'attachement à l'égard de l'autre. Les résultats des recherches sont très concordants dans ce domaine.

Nous examinons ensuite une question qui a récemment été abondamment débattue dans la presse et dans les cercles gouvernementaux - celle des soins non parentaux. Heureusement, nous disposons maintenant de plusieurs méta-analyses là-dessus. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la méta-analyse permet d'éliminer tout parti pris dans l'examen, mais il faut bien comprendre qu'il y a certaines limites dans ce domaine. Une d'entre elles tient au fait qu'un pourcentage important des participants examinés dans le monde entier appartiennent à la moyenne sur le plan socio-économique.

Deuxièmement, la majorité des études effectuées jusqu'à présent n'ont pas examiné avec autant de soin qu'elles auraient dû la question de la qualité. Il y a des progrès dans ce domaine mais il reste encore du chemin à faire. On a souvent critiqué la méta-analyse à cause de ce que l'on appelle un «problème de mise sur les tablettes de la littérature grise du fait que les études importantes ne sont pas publiées. Mais la méta-analyse est un moyen de surmonter ce problème.

On reproche aussi à la méta-analyse d'utiliser des études qui emploient des méthodes différentes d'examen de la même question, mais l'argument n'est en fait pas très valable. Il s'agit au contraire d'un des points forts de la méthode car il permet de donner plus de validité à l'argumentation. En effet, lorsque des méthodes différentes sont utilisées pour examiner la même question et lorsque les résultats concordent, cela ne donne que plus de force à vos conclusions.

Ces méta-analyses constituent donc l'information qui fait le plus autorité sur le sujet.

Les chercheurs ont rapporté qu'un enfant qui est régulièrement gardé par des personnes autres que des parents pendant plus de 20 heures par semaine souffre d'effets indubitablement négatifs dans trois des quatre principaux domaines décrits dans les recherches: le développement social et émotionnel, l'adaptation sur le plan du comportement, l'établissement de liens affectifs. Nous avons déjà parlé de l'importance de la formation de liens affectifs avec les parents pendant l'enfance.

En ce qui concerne le développement cognitif, les chercheurs n'ont pas relevé de différences vraiment sensibles entre les enfants soumis à une garde non parentale et les autres.

Il faut aussi noter que lorsque nous parlons du risque accru de fragilisation des liens affectifs, 50 p. 100 des enfants soumis à une garde non parentale régulière pendant plus de 20 heures par semaine, forment des liens affectifs solides avec leurs parents. Mais cela signifie également que 50 p. 100 d'entre eux n'y parviennent pas. Autrement dit, 50 p. 100 des membres de la population n'ont jamais établi de liens affectifs solides avec leurs parents, ce qui représente une augmentation considérable par rapport au niveau de base lorsqu'on exclut la garde non parentale régulière.

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D'autre part, si nous considérons les variables médiatrices de la qualité de la garde, l'âge d'entrée, la situation socio- économique, la structure familiale, etc., on constate que ces variables ont une forte influence sur ce que deviendront ces enfants. Il semble que cela se traduise plutôt par une distanciation de l'enfant par rapport aux parents, plutôt que par un effet son développement futur. Ce qui semble primer, c'est la séparation régulière et longue d'avec les parents lorsque l'enfant est très jeune. Rappelons que cela se produit dans le cas d'une garde non parentale régulière de plus de 20 heures par semaine. Chacune de ces analyses a montré que les soins dispensés par les parents donnaient toujours des résultats nettement supérieurs à la garde non parentale.

Je vais maintenant résumer et faire quelques recommandations. Premièrement, j'ai parlé de la garde non parentale. J'ai ensuite montré que lorsque cette garde est régulière, elle a un effet nettement négatif dans d'autres domaines du développement de l'enfant que l'on croyait jusque-là renforcés lorsqu'il était confié à une garde non parentale, notamment le développement social et l'adaptation sur le plan du comportement. Or, on constate que ce qui se passe est exactement contraire à ce qu'on prétend depuis une trentaine d'années. La Fondation nationale de recherche et d'éducation de la famille demande donc instamment au comité permanent d'accorder beaucoup d'attention au développement positif des enfants au Canada et de recommander la prise de mesures dans ce domaine.

La prévention chez les jeunes est le plus puissant outil de développement positif dont dispose notre société. La prévention est aussi la méthode la plus économique qu'on puisse utiliser pour inverser un grand nombre des tendances qui nous inquiètent. L'information que nous avons présentée montre clairement que les soins aux enfants, lorsqu'ils sont prodigués par les parents, sont un instrument très puissant de prévention de problèmes ultérieurs.

Nous espérons que vous tiendrez compte de cette information dans le travail si important que vous effectuez. Nous recommandons que le gouvernement fédéral s'efforce d'accroître le pouvoir économique des familles canadiennes. En effet, une enquête nationale assez récente montre clairement que la vaste majorité des parents, environ 70 p. 100 dans notre pays, ont répondu que s'ils étaient économiquement en mesure de le faire, ils consacreraient beaucoup plus de temps aux soins et à l'éducation de leurs enfants. Dans les familles biparentales, il est fréquent que les parents travaillent à l'extérieur parce qu'ils estiment que c'est une nécessité économique. Si la garde non parentale régulière des enfants est un aspect négatif de notre société, il nous semble que s'il existe des moyens pour le gouvernement d'offrir plus de possibilités et de latitude aux parents, il serait sage qu'il prenne la décision de le faire.

En augmentant leur pouvoir économique, nous permettrons aux parents de choisir les voies dans lesquelles ils veulent engager leurs familles au lieu qu'ils soient obligés de travailler pour joindre les deux bouts. L'existence de ces options permettrait aux parents de consacrer plus de temps et d'attention au soin et à l'éducation de leurs enfants. C'est une tâche que les parents canadiens ont dit qu'ils veulent assumer et dont ils s'acquittent bien.

Je serai heureux de vous faire quelques autres recommandations plus précises, mais je vous ai présenté l'essentiel de ce dont je voulais m'entretenir avec vous aujourd'hui.

Je vous remercie de votre attention. Je suis prêt à discuter des points précis qui peuvent vous intéresser.

La présidente: Monsieur Ramsay, avez-vous des questions à poser?

M. Ramsay: Je voudrais tout d'abord remercier Mark de son exposé.

Si ce que vous dites est vrai, c'est un document extraordinaire que vous avez remis au comité, car la conclusion qu'on peut en tirer est qu'en dépit de tout ce que nous pouvons faire, si des liens affectifs ne s'établissent pas dans l'enfance, nous allons être confrontés à une augmentation constante de la criminalité juvénile. C'est du moins la conclusion que j'ai retirée de votre exposé.

Je voudrais vous poser la question suivante. Dans la documentation préparée pour nous par le personnel de recherche du comité pour notre voyage au Québec, cette question a été effleurée par un des auteurs qui ont présenté un mémoire. Selon lui, ce genre de liens affectifs sont plus importants lorsqu'ils se tissent entre l'enfant et le père qu'entre l'enfant et la mère. Cela m'a beaucoup surpris, car je croyais que c'était toujours avec la mère que les liens affectifs les plus forts se formaient.

La présidente: Pourriez-vous nous citer le passage pertinent de cet article?

M. Ramsay: Madame la présidente, ce document se trouve à mon bureau et je pourrai certainement trouver la citation recherchée. Si quelqu'un a...

La présidente: Non, nos recherchistes ne connaissent pas cette étude. C'est pourquoi nous vous le demandons.

M. Ramsay: Ça se trouve pourtant dans la documentation qui a été préparée pour notre voyage au Québec. Les membres du comité peuvent en prendre connaissance; elle est à leur disposition.

La présidente: Tout ce que je vous demande c'est de trouver le document et de nous donner la citation.

M. Ramsay: C'est ce que je vais faire, croyez-moi.

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Que signifient donc ces ruptures de mariage si nombreuses; que signifie donc le fait qu'il y ait tant de parents seuls, de mères chefs de famille? Si ce que vous dites est exact, non seulement les familles biparentales dans lesquelles le père et la mère travaillent et les enfants passent plus de 20 heures par semaine dans des garderies de jour courent des risques, mais il y a aussi d'autres situations, lorsqu'il y a une rupture, un divorce, lorsqu'un parent s'en va ou se trouve séparé de ses enfants, ou lorsque la mère est célibataire. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

M. Genuis: Oui, je le ferai avec plaisir.

Permettez-moi quelques observations préliminaires. Premièrement, nous devons faire tout notre possible pour que l'information que nous présentons ne soit pas simplement le reflet de notre opinion personnelle. Nous essayons de vous présenter les recherches et l'information la plus complète qui existe aujourd'hui dans ce domaine.

Je vous le répète, ce n'est pas mon opinion que je suis en train de vous donner. Cela n'a en fait rien à voir avec ce que je pense personnellement, mais il est très important de vous communiquer cette information.

Vous avez dit qu'il n'y a pas de formation de liens affectifs. Il faut tout d'abord bien vous dire que ces liens se forment toujours. La question est de savoir s'ils sont solides ou pas.

Nouer des liens affectifs avec le père est d'une importance critique, en particulier à une époque où il y a tant de ruptures et tant de pères qui renoncent à toutes leurs responsabilités à l'égard de leurs familles. S'il existe un document qui dit que c'est d'une importance critique, eh bien, c'est d'une importance critique. Quant à savoir si cela a plus d'importance que l'établissement de liens affectifs avec la mère, à ma connaissance, je n'ai rien vu qui le prouve.

Lorsque nous considérons cette question, nous constatons que les liens affectifs sont aussi solides avec chaque parent qu'ils le sont avec l'unité parentale. On pourrait se demander si, au lieu de considérer leurs parents comme des individus distincts, les enfants les voient en fait comme une unité, un couple indissociable, car il semble y avoir un lien entre les deux formes d'attachement. C'est une question qui mérite d'être étudiée car l'attachement à l'égard des deux parents est très important.

Lorsque vous demandez ce que nous réserve l'avenir à une époque où il y a tant de parents seuls et tant de ruptures, je tiens à préciser que beaucoup de parents seuls travaillent et font absolument de leur mieux. Un très grand nombre de familles monoparentales sont une réussite. C'est indiscutable. Il y a aussi beaucoup de familles biparentales qui ont échoué. Ça aussi, c'est indiscutable.

En tant que chercheurs, ce qu'il faut déterminer c'est comment réduire au minimum les risques que courent les jeunes ou comment les placer dans la situation qui permettra d'obtenir les meilleurs résultats. Que se passe-t-il dans la société? Sur un plan général, notre fondation entreprend aujourd'hui un projet de recherche sur la structure familiale. Nous avons étudié toutes les études faites dans ce domaine dans le monde entier. Ce qui est clair et qui ressort constamment de nos recherches, de nos entretiens avec les gens c'est que les enfants semblent mieux s'épanouir lorsqu'ils vivent avec leur père et leur mère et que ceux-ci sont mariés.

Le gouvernement à Halifax a publié une étude longitudinale couvrant une période de dix ans. Je crois qu'elle est intitulée «Mothers and Children». Je pourrais vous trouver la référence exacte. Cette étude portait, je crois, sur la période de 1981 à 1991, mais je me trompe peut-être.

Les auteurs de l'étude ont séparé les jeunes parents des parents plus âgés, c'est-à-dire ceux qui, selon leur définition, avaient 20 ans ou plus. Ils ont étudié les parents seuls et les parents mariés. Chose intéressante, ils ont inclus les conjoints de fait dans le groupe des parents seuls. Ils ont constaté que lorsque les enfants avaient une mère de plus de 20 ans ou lorsque leur mère était mariée, les enfants ont beaucoup plus d'avantages que les enfants appartenant à d'autres constellations familiales.

Je ne voudrais pas en tirer trop de conclusions, mais c'est une constatation très intéressante. Cette étude longitudinale a été effectuée au Canada et contient donc des données importantes dont l'examen s'impose.

M. Ramsay: Le besoin de former des liens affectifs - le sentiment de sécurité dont vous parlez - peut-il être satisfait lorsque les grands-parents, par exemple, ou un membre de la famille étendue remplacent les parents?

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M. Genuis: La famille étendue est une chose merveilleuse, mais je ne suis pas certain de ce que vous voulez dire lorsque vous employez le mot «remplacer». Il est certain que pour les enfants, les liens qu'ils forment avec le dispensateur de soins principal, la personne qui, dans leur esprit, est celle qui est et sera toujours là lorsqu'ils ont besoin d'elle, la personne qui ne va pas disparaître dès l'année suivante, etc... Si un grand- parent est le dispensateur de soins principal et si l'enfant peut toujours compter sur lui, puisque, dans son esprit, il sera toujours là, il est certain que l'enfant se sentira en parfaite sécurité avec ce grand-parent. Les chances de succès s'en trouveraient considérablement accrues.

Il faut cependant étudier cela de plus près, car il ne s'agit encore que de données préliminaires. Un danger possible est que lorsque les familles font appel aux grands-parents pour qu'ils s'occupent de leurs enfants au lieu de les confier à une garderie de jour, il semble, d'après les premières données que nous avons pu obtenir que les liens affectifs avec les parents risquent de se fragiliser. C'est en tout cas ce que nous montrent les données jusqu'à présent. Mais bien des questions se posent encore et il faudrait obtenir plus de précisions.

Quoi qu'il en soit, les familles étendues sont une chose merveilleuse.

M. Ramsay: Il est difficile de tirer des conclusions. Vos données conduisent à un certain nombre de conclusions très importantes, mais il faudrait que j'étudie plus à fond les documents, votre témoignage et les références pour pouvoir tirer... J'ai presque peur de tirer les conclusions auxquelles les données que vous avez présentées semblent me mener. D'une part, elles montrent que si le parent conduit ses enfants chez un grand-parent, les liens affectifs qui l'unissent à ses enfants pourraient être menacés. Supposons donc que les parents meurent très jeunes et que l'enfant soit confié à la garde du grand- parent, cela permettrait-il de former les liens affectifs suffisamment solides, dont vous avez décrit la nécessité dans votre exposé?

M. Genuis: Il y a plusieurs choses à considérer. Un des éléments est que si les parents sont vivant et travaillent à plein temps, par exemple, et que les grands-parents s'occupent des enfants de 8 heures à 17 heures ou de 9 heures à 16 heures, par exemple, les enfants vivent deux situations différentes chaque jour, mais cela devient une routine. Si, par malheur, les parents meurent, et les enfants vont s'installer chez les grands-parents, ces derniers assument alors la responsabilité de dispensateurs de soins à plein temps.

M. Ramsay: Sans qu'il y ait aucun manque de continuité.

M. Genuis: ... sans manque de continuité, et cela change tout.

Toutes sortes d'autres éléments peuvent entrer en jeu. Mais d'après les données, et il s'agit des données du monde entier, le plus important n'est pas la qualité des soins que reçoivent les enfants; ce n'est pas non plus la situation socio-économique, ni la structure de la famille. Il semble en fait que le problème est que les enfants sont régulièrement séparés de leurs parents. Ce n'est pas qu'on ne prenne pas aussi bien soin d'eux dans une garderie de jour, mais ce qui importe, c'est que ce soient leurs parents qui le fassent. La séparation semble donc être le facteur qui peut compromettre la formation de liens affectifs. C'est apparemment là que le bât blesse.

Franchement, la principale conclusion qu'on peut tirer de cette information c'est que les soins dispensés par les parents sont toujours supérieurs aux formules non parentales. Dans le monde entier depuis 1957, toutes les données indiquent clairement que les parents font un excellent travail, qu'ils sont de bons dispensateurs de soins à leurs enfants. Il y a de mauvais parents, il y a des parents qui négligent leurs enfants mais en général, ils s'acquittent bien de leurs responsabilités lorsqu'on leur en donne la possibilité.

La présidente: Les membres du parti ministériel ont-il des questions à poser?

Mme Torsney: Je remarque que vous avez un doctorat et... Qu'est-ce qu'un CPsych --un psychologue clinicien?

M. Genuis: En Alberta, c'est un psychologue agréé.

Mme Torsney: Est-ce un travail à plein temps, ou offrez-vous aussi des services de conseils familiaux?

M. Genuis: J'avais un cabinet il y a deux ou trois ans, mais je ne fais plus de counselling. La fondation est maintenant mon emploi à plein temps.

Mme Torsney: Et quel doctorat avez-vous?

M. Genuis: J'ai un doctorat en psychologie de l'orientation et ma thèse portait sur les conséquences à long terme de la fragilité des liens affectifs dans l'enfance.

Mme Torsney: Je remarque que votre en-tête comporte une liste de six noms. Combien de personnes ou combien d'associations sont-elles membres de la Fondation nationale de recherche et d'éducation de la famille?

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M. Genuis: En ce moment, la fondation entreprend officiellement une campagne de recrutement de nouveaux membres. Nous avons actuellement environ dix membres directs. La raison en est, naturellement, que nous n'avons commencé notre campagne qu'il y a deux jours. Ces deux dernières années, nous nous sommes consacrés à la recherche, à la collecte d'information et à la préparation de notre organisation afin de pouvoir entreprendre un travail espérons-le solide dans le domaine de l'étude et du soutien des familles.

Voilà ce que représente notre fondation.

Mme Torsney: Vous êtes donc une association charitable, c'est-à-dire que vous délivrez des reçus aux fins de l'impôt aux personnes qui font des donations.

M. Genuis: En effet.

Mme Torsney: J'étais un peu perdu; je ne réussissais pas à comprendre si, au départ, vous vouliez trouver des travaux de recherche qui confirmeraient la formation de liens affectifs ou si vous y êtes venu un peu par hasard et que c'est une question avec laquelle vous vous êtes débattu avant de parvenir à cette conclusion.

M. Genuis: Excellente question. Si vous me le permettez, je vais esquisser un bref historique car c'est très important.

Pour ma maîtrise, j'ai étudié le problème de l'exploitation sexuelle des jeunes garçons. Nos recherches et notre examen des études spécialisées nous ont révélé un fait étonnant: l'exploitation sexuelle semblait être la cause - dans les documents, le mot «causer» était parfois utilisé - elle était responsable de tout, et était liée à tout. L'exploitation sexuelle des garçons, et aussi des filles, semblait causer toutes sortes de problèmes.

En un sens, comme le disait mon directeur de thèse, il est théoriquement impossible que quelque chose puisse être la «cause de tout». Nous avons examiné d'autres domaines de recherches et avons constaté que les mauvais traitements physiques, psychologiques, le délaissement, etc., semblaient être liés au même groupe de problèmes. Nous avons alors entrepris des recherches pour voir si, ces différentes difficultés causant tous ces problèmes différents, il ne resterait plus qu'à conclure que n'importe quoi peut être causé par n'importe quoi, ce qui est inquiétant.

Nous avons donc essayé de trouver dans les ouvrages de recherche quelque chose qui pourrait nous aider à mieux expliquer ou mieux comprendre cela. Une approche empirique consistait à étudier le développement de l'attachement chez l'enfant. Apparemment, toutes ces expériences et ces effets étaient liés, un peu comme les fils d'une tapisserie finissent par former un tout, si vous voulez.

Nous nous sommes aperçus que les recherches faites dans le monde entier étaient très concordantes. Elles concluaient toutes que les liens affectifs formés pendant l'enfance ont un effet sur l'avenir. Les touts premiers liens ainsi tissés ont un effet sur le comportement de l'enfant, et ainsi de suite. Selon certaines études, l'effet était peu sensible mais la vaste majorité d'entre elles concluaient le contraire.

Nous avons essayé d'utiliser ces données pour aller un peu plus loin, en employant des techniques toutes récentes, et voilà ce qu'ont été nos constatations. C'est une approche totalement empirique qui était destinée à nous aider à comprendre comment toutes ces expériences différentes semblaient avoir tous ces effets différents.

Mme Torsney: Savez-vous qu'il y a des différences entre la situation des soins aux enfants aux États-unis et au Canada?

M. Genuis: Il y a des différences dans le monde entier.

Mme Torsney: Mais une des particularités des États-Unis dans ce domaine, naturellement, est que la plupart des entreprises n'ont peu ou pas de programmes de congé parental, en tout cas pas le genre de programmes de congé parental que nous avons au Canada, qui sont financés par les contribuables. C'est pourquoi les parents sont obligés de placer des bébés d'une ou deux semaines dans des garderies.

M. Genuis: C'est vrai.

Mme Torsney: Comme certaines de vos études ont été faites aux États-Unis, je me demande si cela ne change pas les choses.

La seconde question fort intéressante en ce qui concerne la garde des enfants est que la possibilité d'intervenir et de savoir quand les enfants sont maltraités - physiquement, émotionnellement et sexuellement - s'est déjà présentée autrefois. C'était à l'époque où les enfants allaient à l'école à l'âge de cinq ans. Aujourd'hui, comme il y a plus d'interaction avec les autorités et que celles-ci sont tenues de signaler ce genre d'incident, il est possible d'intervenir et d'aider les enfants qui sont maltraités chez eux, ou délaissés. Une garderie peut donc être une bonne chose pour beaucoup d'enfants.

M. Genuis: Permettez-moi de répondre à vos deux remarques. Premièrement, pour ce qui est de la comparaison avec les États- Unis, chez nous aussi, des enfants encore tout petits sont régulièrement gardés par des personnes autres que leurs parents. Quant aux États-Unis, il est fréquent que les enfants soient placés en garderie dès l'âge d'un, deux ou trois ans.

C'est la raison pour laquelle, lorsque nous avons examiné les résultats des recherches, au moment où les chercheurs effectuaient les méta-analyses, ils ont effectué un contrôle pour déterminer l'âge d'entrée et ont constaté qu'il avait vraiment très peu d'influence.

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Je crois qu'il y a eu un certain nombre de mises à jour de ces données et que les chercheurs trouveront peut-être d'autres effets liés à l'âge d'entrée. Mais pour le moment, l'information la plus fiable dont nous disposons indique qu'avant l'âge de cinq ans, le risque est important. Pour ce qui est des données venant des États-Unis, il suffit simplement de contrôler l'âge d'entrée - parce qu'il varie considérablement - jusqu'à ce que la validité et la pertinence des données soient établies.

Le second point concerne le contrôle effectué pour déterminer s'il y a eu mauvais traitement. S'il existe une bonne méthode de contrôle, nous serions certainement prêts à l'utiliser car il est indiscutable qu'aucun enfant ne mérite d'être maltraité. C'est évident. L'autre élément à considérer, cependant, est que la vaste majorité des parents ne maltraitent pas leurs enfants. La méthode qui consiste à placer tous les enfants dans des garderies de jour de manière à voir si leurs parents les maltraitent ne nous paraît pas très raisonnable car en les traitant ainsi, on risque d'affaiblir les liens affectifs qui les unissent à leurs parents.

Si donc il y a une méthode de contrôle et de prévention appropriée... je suis tout à fait d'accord, l'idée est excellente. Il ne me paraît cependant pas que le fait d'exposer des enfants à un risque d'une autre nature est la meilleure façon pour notre pays de réaliser des progrès dans ce domaine.

Mme Torsney: J'ai remarqué que vous avez utilisé beaucoup de données statistiques au début de votre exposé afin de mieux faire ressortir les tendances. Savez-vous que les données de 1995 révèlent la plus forte diminution jamais enregistrée des crimes de violence au Canada? Comment conciliez-vous cela avec votre prémisse de base?

M. Genuis: Il est indiscutable que le nombre de crimes de violence commis par des adultes a diminué, et c'est merveilleux. En fait, j'ai eu l'occasion d'en parler avec M. Scott Newark, le directeur général de l'Association canadienne des policiers. Il est très...

La présidente: Il est membre de votre conseil d'administration.

M. Genuis: En effet. Il est très satisfait de ces chiffres. C'est merveilleux. Ce que nous regrettons c'est que l'on n'observe pas la même tendance chez les jeunes violents. C'est un sérieux problème.

Mme Torsney: Si quelqu'un jetait un bref coup d'oeil au texte de votre exposé et à vos conclusions, pensez-vous qu'il en conclurait que la garde d'enfants ne vaut rien du tout ou qu'en fait, elle est un danger pour nos collectivités?

M. Genuis: J'espère surtout que cette personne conclurait que les parents font vraiment un excellent travail. Ce qui ressort de tout cela, c'est que les parents obtiennent de bien meilleurs résultats que les autres dispensateurs de soins, qui ne signifie pas que la garde d'enfants ne vaut rien, mais franchement, elle présente des risques.

J'espère aussi que la même personne en conclurait que les parents de notre société devraient aussi pouvoir décider s'ils veulent, ou non, la recourir à la garde non parentale. Si les parents le veulent, la possibilité devrait certainement leur en être offerte. En revanche, si tant de parents qui travaillent disent qu'ils préféreraient ne pas avoir à le faire et qu'ils préféreraient s'occuper de leurs familles...

Mme Torsney: D'un côté le travail rémunéré, de l'autre non.

M. Genuis: Grand merci. Ces parents-là méritent notre considération pour leurs remarquables contributions et on devrait peut-être leur donner la possibilité de faire ce choix, ce qui serait terriblement profitable à notre société.

Mme Torsney: Je voudrais savoir si les membres de votre conseil d'administration pourraient déterminer quels programmes de soutien des familles sont offerts dans leurs entreprises. Je sais qu'une enquête a été faite sur les sociétés pour lesquelles il est bon de travailler et je ne suis pas certaine que quelques- unes aient réussi... ni si elles avaient des «politiques conviviales à l'égard des familles», comme on les appelle. Je crois que les autres...

M. Genuis: Puis-je répondre à cela? C'est une excellente remarque. C'est très bien dit et c'est très pertinent, et il s'agit d'un point extrêmement important. Un domaine que nous étudions actuellement... Beaucoup de gens - qu'ils le veuillent ou non - sont bien obligés d'avoir un travail rémunéré.

Nous discutons actuellement avec une société au Canada de la possibilité de marier - si vous me pardonnez l'expression - notre information avec des programmes novateurs, destinés en particulier aux parents de jeunes enfants, afin de leur permettre de faire un choix et de les laisser, s'ils le désirent, consacrer plus de temps aux soins et à l'éducation de leurs familles sans qu'ils soient ostracisés pour cela par les entreprises où ils travaillent... Nous essayons de trouver un moyen de le faire et d'aider l'employé sans porter de préjudice financier à l'entreprise. Nous en sommes actuellement au stade initial de l'organisation d'un projet pilote résolument empirique dont c'est l'objectif car, - je suis d'accord avec vous - c'est très important.

Mme Torsney: Un des membres de votre conseil d'administration travaille à Ernst & Young. Je ne suis pas certaine que le programme de partenariat de cette société permettrait aux employés de prendre un congé pour s'occuper de leurs jeunes enfants. Nous le vérifierons, mais c'est incontestablement un des griefs qui ont été faits à tous ceux qui ont un programme de partenariat, qu'il s'agisse de comptables, d'experts-conseils ou d'avocats.

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Je voudrais aussi savoir si vous êtes au courant des recherches que l'Organisation nationale anti-pauvreté fait sur les très jeunes familles?

M. Genuis: Non, je ne connais pas bien ces recherches. Pourriez-vous nous les expliquer?

Mme Torsney: Une des choses qui préoccupent cette organisation c'est que 40 p. 100 des familles dont le chef a moins de 30 ans vivent au-dessous du seuil de la pauvreté. Cela peut également avoir des répercussions sur leur rôle au sein des collectivités et sur la santé de ces familles et de ces enfants.

M. Genuis: La pauvreté est indiscutablement une source de stress. Il y a deux points à soulever, mais pas nécessairement deux conclusions à atteindre. Le premier concerne le seuil de pauvreté lui-même. Je crois comprendre que ce seuil est relatif et donc, qu'il change. Je ne sais pas si les personnes qui se trouvent juste au-dessous de ce seuil seraient vraiment considérées comme vivant dans la pauvreté.

Mme Torsney: Permettez-moi de préciser qu'actuellement, lorsque vous vivez juste sur le seuil de pauvreté cela signifie qu'un beau mercredi, vous risquez de vous retrouver sans plus rien avoir à donner à manger à votre famille. Cela revient donc en fait à vivre en-dessous du seuil de pauvreté.

M. Genuis: C'est ce que nous appellerions la vraie pauvreté. Merci.

L'autre remarque que je voudrais faire c'est que bien que ce soit là un sérieux problème et que, bien évidemment, le fait de ne pas avoir de quoi manger constitue un risque grave pour une famille, les données ne semblent pas indiquer que la pauvreté fait de mauvais parents. Il y a beaucoup d'excellents parents qui sont pauvres et qui ont réussi à faire de leurs enfants des jeunes de qualité. Je crois qu'il faut se garder d'établir un lien direct entre la pauvreté et l'incapacité, parce qu'il ne me semble pas exister.

Une autre étude souvent mentionnée dans ce domaine est le Perry Preschool Project. Nous avons récemment reçu le rapport de suivi effectué sur une période de 27 ans. J'ai noté avec beaucoup d'intérêt qu'il ne s'agit pas du tout d'un programme de garderie de jour. Le Perry Preschool Project est un programme de soutien des familles. Les enfants commencent à l'âge de trois ans et suivent ce programme pendant deux ans. Ils sont séparés de leurs parents pendant environ 12,5 heures par semaine et jamais plus de 20 heures, et il y a des visites à domicile hebdomadaires d'une heure et demie.

Il convient aussi de noter que ce projet ne concerne que des enfants d'une certaine origine ethnique, d'une extrême pauvreté, appartenant à des familles à risque très élevé et ayant une capacité intellectuelle marginale. Il ne faudrait pas que les gens essayent d'utiliser cette information pour tirer des conclusions générales au sujet de l'ensemble de la population.

Ce projet comportait aussi un objectif tout à fait louable et qui a d'ailleurs été très souvent atteint. Il s'agissait pour ces jeunes d'obtenir au moins leur diplôme d'études secondaires. Je ne suis pas certain que ce soit là le plus bel objectif qu'on puisse fixer à notre population. Certes, c'est important et c'est merveilleux de réussir, mais nous avons aujourd'hui au Canada une foule de gens qui mènent à bien leurs études secondaires, qui mènent à bien des études postuniversitaires et qui se débrouillent fort bien dans d'autres domaines.

Il n'est donc pas question de généraliser les résultats de cette étude et de les utiliser dans le débat sur les garderies de jour.

Mme Torsney: Avez-vous des enfants?

M. Genuis: Oui.

Mme Torsney: Qui s'occupe d'eux?

M. Genuis: Josée, ma femme, s'occupe maintenant d'eux à plein temps.

Mme Torsney: Est-ce une solution idéale pour votre famille en particulier ou l'est-elle pour les familles en général?

M. Genuis: Elle est certainement idéale pour notre famille. Rien ne prouve cependant que ce doit être l'épouse ou la mère qui remplisse cette fonction, et c'est pourquoi vous ne m'entendrez jamais dire que cela devrait être le travail à plein temps d'une femme. Jamais je ne le dirai.

Nous avons des jumeaux. Ils pesaient chacun trois livres à la naissance, et cela n'a donc pas été très facile. Josée a continué à travailler à temps partiel et je suis resté à la maison à temps partiel, il y a donc eu un échange entre nous. Lorsque la fondation a commencé à prendre de l'importance, elle a de plus en plus accaparé le temps dont je disposais. Nous avons donc fait ce choix. Ma femme a une petite entreprise à domicile mais elle se consacre surtout aux soins et à l'éducation de nos enfants. Pour notre famille, c'est la meilleure formule.

La présidente: Merci, madame Torsney.

Avant de terminer, et j'ai horreur de m'attarder sur des statistiques mais je tiens malgré tout à ce qu'il y ait une certaine cohérence dans ce que nous disons. Vous avez déclaré que les homicides commis par des adolescents au Canada ont augmenté de 54 p. 100 entre 1986 et 1995. Je crois que vous feriez bien de vérifier ce chiffre, car d'après les renseignements que nous avons, il est demeuré constant.

M. Genuis: Je le ferai avec plaisir. Les chiffres sont, je crois, de 47 p. 100 et 64 p. 100. Je les ai vérifiés hier. Ils se trouvaient dans un Juristat intitulé «Les homicides au Canada». Selon l'équipe de recherche, le nombre des homicides commis par des adolescents demeure stable. Voilà ce qu'on disait dans ce bulletin. Mais lorsque vous examinez les chiffres, bien qu'il y ait des fluctuations...

.1800

La présidente: Les résultats sont donc meilleurs dans votre analyse que dans le leur. Est-ce cela que vous voulez dire, Mark?

M. Genuis: Non. Ce que je dis c'est qu'au lieu de nous attacher uniquement aux conclusions des recherches, nous essayons maintenant de voir quels sont les chiffres réels. C'est tout. Les chiffres réels sont...

La présidente: Si vous le voulez, nous vous communiquerons les chiffres que nous avons. Ils ne concordent pas avec ce que vous dites.

M. Genuis: Je vous en serais reconnaissant, car il s'agit d'une publication officielle. S'il y a des publications qui présentent des données inexactes, je préférerais utiliser celle qui fournit des données correctes. Si ce sont vos chiffres qui sont les bons, nous pourrons corriger le Juristat.

La présidente: Merci.

M. Genuis: Je vous remercie vivement du temps que vous m'avez accordé.

La présidente: Nous allons lever la séance. Nous entendrons ensuite un dernier groupe.

.1801

.1811

La présidente: Bien, nous reprenons la séance et nous allons terminer la journée par une table ronde.

Je tiens tout d'abord à vous souhaiter la bienvenue à tous. Je vais faire un tour de table pour vous présenter: Maureen Collins, de la Société John Howard d'Edmonton; Henri Marsolais, de la ville d'Edmonton; Martin Garber-Conrad, de la Edmonton City Centre Church Corporation; Jim Robb, de l'Aide juridique; Christine Leonard, de la Société John Howard de l'Alberta; Sue Olsen, de la police d'Edmonton; Carola Cunningham, des Native Counselling Services of Alberta; et Patty Ann LaBoucane, de la même organisation.

Je sais qu'en un sens, c'est une façon un peu artificielle de tenir un débat, mais cela nous a paru donner de bons résultats dans d'autres collectivités. Nous apprécions la formule car elle nous permet de rencontrer un nombre important de personnes à la fois et de lancer la discussion sur un grand nombre de notions et d'idées.

La meilleure façon de procéder serait peut-être d'inviter chacun d'entre vous à faire un bref exposé de deux minutes environ - après quoi, nous pourrons poser des questions. Voulez-vous commencer au nom de la Société John Howard, Maureen?

Mme Maureen Collins (directrice générale, Société John Howard d'Edmonton): Avec plaisir.

Je suis directrice générale de la Société John Howard d'Edmonton. Nous sommes l'organe d'action de l'organisation. Nous avons offert à Miriam de l'aider à réunir quelques personnes qui, je le sais, s'intéressent beaucoup au sujet discuté aujourd'hui.

L'intérêt que nous portons à ces questions est double. Nous offrons souvent dans les écoles des services d'éducation qui sont axés sur la jeunesse, la prévention du crime, le respect de la loi et l'acceptation de la responsabilité que cela implique. Nous faisons cela depuis le début des années 80. Nous avons aussi à Edmonton un foyer pour jeunes contrevenants que vous devez visiter, je crois, demain, entre 11 heures et 13 heures.

J'espère que notre discussion portera aussi sur le cas des enfants qui échappent aux mailles du système; sur les méthodes possibles de prévention et d'intervention préventive lorsque l'on s'aperçoit que ces enfants sont en difficulté; sur le repérage des enfants et de leurs familles qui sont en difficulté et sur le fait que sans intervention, il est très probable que ces enfants auront maille à partir avec la justice comme adolescents et peut- être aussi, comme adultes. Je souhaiterais aussi que nous examinions les moyens de leur éviter d'être incarcérés dans la mesure du possible, de manière à ce qu'on puisse mettre en place des ressources suffisantes pour ceux qu'il est nécessaire d'incarcérer car ils sont dangereux et auront probablement toujours affaire à la justice.

La présidente: Très bien.

Cette façon de se présenter me paraît excellente. Dites-nous à quels domaines vous vous intéressez et nous en profiterons, croyez-moi.

Monsieur Marsolais.

M. Henri Marsolais (directeur, Mill Woods Centre, Services à la famille et à la communauté, ville d'Edmonton): Je m'appelle Henri Marsolais. Je suis directeur d'un centre de services sociaux dans la partie sud de la ville. La principale raison de ma présence ici est qu'au cours des dix dernières années j'ai participé à la gestion du programme de mesures de rechange. L'an dernier, j'ai joué un rôle direct dans l'organisation d'un comité de justice pour la jeunesse. Autrement dit, je m'intéresse surtout à tout ce qui a trait à la justice réparatrice et à la participation directe de la communauté à ce processus.

La présidente: Monsieur Garber-Conrad.

M. Martin Garber-Conrad (directeur administratif, Edmonton City Centre Church Corporation): Je travaille pour une organisation, la City Centre Church Corporation, qui gère deux ou trois programmes destinés aux jeunes contrevenants, encore que pas exclusivement à eux.

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Le programme «Crossroads Outreach» est destiné aux adolescents et aux jeunes adultes qui se livrent à la prostitution de rue, auxquels il offre un service d'action sociale, quelques logements où ils peuvent être suivis, et un nouveau programme appelé «Kids in the Hall», qui est un programme de formation à l'emploi. Un pourcentage élevé des participants ont eu affaire au système de justice pour les jeunes contrevenants.

Ma première réaction à l'égard de la Loi sur les jeunes contrevenants est qu'elle ne contient pas grand-chose de critiquable mais que pour le reste, elle ne contribuera guère au règlement du problème. Le problème de la criminalité chez les jeunes doit être résolu dans le cadre de la prévention, en particulier de celle qui s'appuie sur le développement social, et pour cela, une intervention préventive est indispensable.

Deuxièmement, un des plus grands reproches que l'on puisse faire à la Loi sur les jeunes contrevenants est qu'elle fait une trop large place à l'incarcération, beaucoup plus large que ce n'est le cas dans le système pour les adultes.

Troisièmement, il y a trop peu de programmes - je sais qu'au premier chef, ce n'est pas une responsabilité fédérale - destinés aux jeunes qui ont affaire à la justice. Il faudrait s'orienter beaucoup plus vers d'autres solutions: logement, emploi, services de santé mentale, traitement des victimes d'actes de violence et autres types de programmes.

La présidente: Merci.

Monsieur Robb.

M. James C. Robb (avocat principal, Legal Aid Youth Office): Merci. Je suis avocat-conseil principal au Legal Aid Youth Office, établi dans le cadre d'un projet pilote spécial lancé en 1993 pour fournir une aide juridique aux jeunes contrevenants qui comparaissent devant les tribunaux pour adolescents d'Edmonton et de Calgary, où sont instruites la majorité des affaires mettant en cause de jeunes contrevenants. Entre ces deux villes, nous nous occupons d'environ 2 500 jeunes par an.

Nous ne sommes cependant pas uniquement un bureau d'aide juridique. Notre mode de fonctionnement est assez peu conventionnel, et en Alberta il est même unique en son genre, car nous ne voulons pas de récidivistes chez nous. Nous avons donc nos propres travailleurs auprès des jeunes, dont la tâche exclusive, abstraction faite des résultats sur le plan légal, est de trouver de l'aide pour les jeunes, en particulier dans le domaine de l'alcoolisme et de la toxicomanie, qui jouent probablement un rôle dans 90 p. 100 des crimes dont nous nous occupons. En ce moment, nous avons des jeunes de la Colombie- Britannique au Labrador qui participent à ces programmes.

Il y a un an ou un an et demi, nous avons également commencé à nous attaquer au problème de la création de ressources. Ce problème n'est pas uniquement dû aux compressions budgétaires car il y a également d'énormes lacunes juridictionnelles dont sont victimes beaucoup d'enfants. Nous essayons de combler ces lacunes en créant un partenariat avec des organismes dont certains sont représentés autour de cette table, afin d'essayer de développer des ressources: logement protégé de remplacement, techniques de maîtrise de la colère, emploi. Nous essayons en ce moment d'élaborer un programme de traitement des cas d'agression sexuelle. Si vous êtes une victime d'agression sexuelle, vous êtes actuellement sur une liste d'attente d'un an, un an et demi.

Après ce que je viens de dire, vous vous doutez certainement que je ne crois pas que le système judiciaire parvienne jamais à régler le problème de la criminalité chez les jeunes. Après trois années de travail exclusif sur des questions relatives aux jeunes contrevenants, j'en suis plus que jamais convaincu.

À mon avis, il y a un faible pourcentage de jeunes criminels endurcis dans le système, mais ils sont loin d'être la majorité. À mon avis, le Canada a beaucoup trop recours à la solution de l'incarcération. Il y a des problèmes cachés de stéréotypes raciaux dans notre système. Dans l'unité des jeunes enfants du EYOC, 87 p. 100 sont des Autochtones, et ils sont 60 p. 100 pour l'ensemble du centre.

.1820

Si nous ne nous attaquons pas aux véritables problèmes du système, nous ne réussirons jamais à rien changer. Des mesures uniquement conçues pour surcharger un système déjà débordé et pour accroître le nombre des jeunes incarcérés ne feront qu'épuiser encore plus rapidement les ressources déjà très fragiles et franchement très limitées qui existent actuellement pour lutter contre les véritables problèmes.

J'ai terminé.

La présidente: Merci. Madame Leonard.

Mme Christine Leonard (directrice générale, Société John Howard de l'Alberta): Merci. Nous sommes la branche provinciale de la Société John Howard, et nous ne sommes pas un organisme d'action directe. Nous nous occupons de recherche et d'éducation.

La Société John Howard de l'Alberta a suivi avec intérêt les diverses modifications apportées au fil des ans à la Loi sur les jeunes contrevenants depuis son entrée en vigueur. Nous produisons des documents d'éducation publique très divers portant sur la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est un domaine auquel nous nous intéressons depuis des années.

Depuis quelques années, nous nous efforçons de mieux informer le public des avantages qu'offre le développement social pour la prévention du crime. Nous lui montrons comment il est possible de déjudiciariser les enfants à long terme, mais pour cela, il faut investir dès maintenant. Notre organisation ne croit pas que des modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants contribueront à améliorer la sécurité dans nos collectivités. La vraie solution est la prévention à long terme.

La présidente: Merci. Madame Olsen.

Constable Sue Olsen (agent des ressources autochtones, Edmonton Police Service): Merci. Je travaille dans les établissements scolaires des quartiers pauvres. Un des problèmes auxquels sont confrontés les agents de police de patrouille est l'absence complète de dispositions concernant les enfants de moins de 12 ans ayant une activité criminelle. Nous nous trouvons donc placés dans une situation d'«attente» car il faut qu'ils aient 12 ans pour que nous puissions les inscrire dans des programmes de services et nous occuper d'eux avant qu'ils ne créent de problèmes plus graves.

La participation au programme de mesures de rechange est une garantie d'échec pour certains jeunes Autochtones. Ceux-ci ne trouvent pas chez eux, dans leur famille ou dans leur collectivité, les ressources qui leur permettraient de respecter l'engagement pris dans le cadre du programme de mesures de rechange, et ils ne tardent donc pas à être de nouveau judiciarisés.

Nous avons formé un certain nombre de partenariats avec bon nombre des organismes représentés ici aujourd'hui; cela va du programme «Success by 6» dans les écoles des quartiers pauvres aux visites d'agents de police dans les écoles autochtones et à l'examen des problèmes.

Nous reconnaissons, je le répète, les contraintes qu'impose l'insuffisance des ressources. Cependant, en ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants, nous nous demandons s'il convient de procéder à un examen critique de l'ensemble de la loi ou seulement de certaines parties de celle-ci. Pour ce qui concerne est de police d'Edmonton, c'est l'aspect longitudinal et l'intervention préventive qui nous intéressent.

La présidente: Merci. Madame Cunningham.

Mme Carola Cunningham (gestionnaire du programme, Native Counselling Services): Bonjour. Native Counselling Services est une organisation de l'Alberta. Nous avons plus de 150 employés qui travaillent dans de centres ruraux et urbains. Nous assurons le fonctionnement de plus de 36 comités de justice pour la jeunesse et de conseils de détermination de la peine dans la province. Nous dirigeons deux foyers pour jeunes contrevenants et nous employons aussi des agents de probation de la jeunesse et des travailleurs auprès des jeunes.

Nous sommes fermement convaincus que si l'on modifie la loi, cela ne mettra pas un terme à la criminalité chez les jeunes car celle-ci est due à des problèmes profondément enracinés, qui se manifestent dès la naissance. Nous souhaiterions vivement que les divers ordres de gouvernement s'engagent à collaborer afin d'aider les jeunes à vivre dans la société actuelle. Au cours des neuf derniers mois, nous avons constaté à Edmonton une terrible augmentation des actes de violence commis par des jeunes contrevenants.

Nous sommes très fortement partisans de la garde en milieu ouvert pour les jeunes femmes. Rien n'est prévu pour cela dans notre pays, où la majorité des jeunes contrevenantes sont d'origine autochtone. Nous nous intéressons d'autre part beaucoup au maintien de l'identité culturelle et à la possibilité de pratiquer nos coutumes.

Je laisserai le soin à Patty de vous parler des foyers d'accueil. À notre avis, le gouvernement ne joue pas un rôle suffisamment actif dans le domaine communautaire.

.1825

En Alberta, de nouvelles mesures ont été prises en faveur de l'aide sociale à l'enfance. On a créé un commissariat de l'aide à l'enfance. On a parlé de prévention, mais cela ne donnera aucun résultat à moins que l'éducation, la justice et le développement social ne travaillent la main dans la main avec les collectivités.

Nous souhaiterions que l'on donne un rôle plus important aux conseils de détermination de la peine dans les comités de justice pour la jeunesse. Ils ont souvent les mains liées parce qu'ils ne peuvent s'occuper que des contrevenants primaires. Il faudrait que nous trouvions des moyens d'exercer une influence sur les enfants qui n'en sont pas à leur premier méfait et à qui cette possibilité n'a jamais été offerte.

Nous sommes également d'accord avec ce que Sue Olsen disait au sujet des enfants de moins de 12 ans. Il y en a une quantité qui commettent impunément des délits, et la police attend qu'ils aient 12 ans avant de les inculper pour des actes commis des années plus tôt. Il faut trouver un moyen de mieux engager la participation de ces enfants, même dans le cadre de comités de justice pour la jeunesse ou de conseils de détermination de la peine qui les guideraient comme tout autre membre de la collectivité.

Bien entendu, comme tous les membres de cette table ronde l'ont dit, les ressources sont inexistantes. Les agents de probation doivent s'occuper de plus en plus de cas. Certes, l'a probation est une bonne formule pour les jeunes contrevenants, mais si vous n'avez pas les ressources nécessaires pour faire votre travail, vous êtes privé de tout moyen ou de toute autorité pour le faire. Je vous remercie.

La présidente: Madame LaBoucane.

Mme Patty Ann LaBoucane (Native Counselling Services): Bonjour, je m'appelle Patty LaBoucane et je représente également les Native Counselling Services. Je suis directrice d'une installation de garde en milieu ouvert appelée Kochee Mena, ce qui en cri veut dire recommencer. Nous dispensons des programmes adaptés aux besoins culturels des garçons autochtones dont la majorité ont de 15 à 17 ans, qui sont tous de jeunes contrevenants ayant une peine à purger.

Je voudrais tout d'abord dire qu'en ce qui concerne les jeunes contrevenants, c'est sur la guérison qu'il faut mettre l'accent. Cela devrait être notre priorité. Il est indispensable qu'on affecte des ressources aux programmes adaptés à la réalité culturelle et aux programmes qui tiennent compte des besoins sociaux de ces jeunes contrevenants.

En outre, les anciens contrevenants devenus adultes qui travaillent dans des organismes de protection de la jeunesse devraient pouvoir le faire sans être soumis à une supervision constante. Pourtant, aux termes des dispositions relatives aux jeunes contrevenants, et c'est le cas dans mon foyer pour enfants en particulier, ces anciens contrevenants doivent être supervisés de manière directe et constante lorsqu'ils travaillent avec de jeunes contrevenants. Il convient de noter que certains des meilleurs guérisseurs de la communauté autochtone ont eux-mêmes été incarcérés dans le passé. Pour faciliter les choses, il faudrait modifier la loi.

Je tiens également à réitérer que les jeunes contrevenantes sont exposées à des mesures de discrimination car, qu'elles aient fait l'objet d'une mesure de garde en milieu ouvert ou de garde en milieu fermé, tout se passe dans le même établissement. Elles ne bénéficient pas des mêmes possibilités de réinsertion ou de participation à un programme que les contrevenants. Je précise que la plupart d'entre elles sont des Autochtones. Je vous remercie.

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, permettez-moi de vous rappeler que plusieurs personnes veulent peut-être répondre à la même question. Vous disposez donc de dix minutes.

M. Ramsay: Je tiens à remercier les personnes qui ont bien voulu participer à cette table ronde. Nous ne passons pas suffisamment de temps avec des personnes comme vous. Le temps semble toujours manquer. Manifestement, vous consacrez vous-même énormément de temps à ces questions et vous auriez probablement plus d'information à présenter que le temps dont nous disposons ne le permet, mais notre emploi du temps le veut ainsi.

Patty, vous avez dit qu'il faudrait modifier la loi. Voudriez-vous dire au comité ce que devraient être ces modifications?

Mme LaBoucane: Je veux parler des délinquants sexuels adultes qui travaillent avec de jeunes contrevenants. Si j'interprète bien la loi actuelle, ils doivent alors être placés sous supervision directe, et je pourrais... Je vous laisse la parole.

Mme Cunningham: La loi dispose clairement que les contrevenants adultes ne peuvent pas être mélangés avec les jeunes contrevenants. Ils n'ont pas le droit de se trouver dans le même bâtiment ni dans les mêmes locaux. Toute fréquentation entre les deux groupes est interdite.

M. Ramsay: Pendant qu'ils purgent leur peine.

Mme Cunningham: Oui, mais beaucoup d'anciens contrevenants passent toute leur vie sous un régime de libération conditionnelle totale...

M. Ramsay: Je vois.

Mme Cunningham: ... ce sont maintenant des membres sains et productifs de notre société. On trouve parmi eux certains de nos meilleurs travailleurs auprès des jeunes contrevenants. Pourtant, ils ne sont pas autorisés à le faire.

.1830

M. Ramsay: Comment savez-vous qu'ils sont les meilleurs puisqu'ils ne sont pas autorisés à travailler? Comment prouvent- ils leur supériorité?

Mme Cunningham: Dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance. Ils sont autorisés à travailler dans les foyers d'accueil et pour les services sociaux catholiques avec des enfants confiés à l'assistance sociale.

M. Ramsay: Bien.

Je constate avec regret que nous avons entendu des témoignages contradictoires au sujet des dispositions législatives qui permettent à la province de l'Alberta de s'occuper d'enfants de moins de 12 ans coupables d'actes criminels. Nous avons également entendu dire plus tôt aujourd'hui, à une autre table ronde, que la Loi sur les services sociaux comporte les dispositions nécessaires pour intervenir lorsque des enfants de moins de 12 ans ont une activité criminelle. Sue, Mme Cunningham et vous-même avez dit que ce n'était pas le cas. Pourriez-vous nous l'expliquer.

Mme Olsen: La Child Welfare Act couvre les questions d'aide à l'enfance. La Loi sur les jeunes contrevenants ne prévoit aucune possibilité d'inculpation d'un enfant de moins de 12 ans, mais à partir de 12 ans, il peut être mis en accusation par un agent de police. Selon les dispositions de la Child Welfare Act, c'est alors aux services sociaux d'intervenir et de prendre éventuellement cet enfant sous leur protection, s'ils le désirent, et traiter la situation dans ce contexte.

Cependant, dans la plupart des cas, ce sont des situations qui ne sont pas nécessairement portées à l'attention des services sociaux de l'enfance. Chaque fois que je rencontre une jeune contrevenant de 11 ans, je ne prends pas mon téléphone pour prévenir ces services et leur dire, nous avons là un enfant qui a commis une infraction, qu'il s'agisse d'un méfait, d'un acte d'agression, ou d'autres choses. Premièrement, les services sociaux de l'enfance de notre province ont déjà à intervenir dans suffisamment de situations de crise pour pouvoir s'occuper d'autre chose.

Nous avons donc bien la Child Welfare Act, mais on ne peut pas l'invoquer pour assurer le maintien de l'ordre. En tout cas, nous ne le faisons pas.

M. Ramsay: Votre politique vous interdit-elle de prendre le téléphone et de signaler aux services sociaux de l'enfance qu'il y a un enfant dont le comportement criminel indique qu'il a besoin de traitement ou d'aide?

Mme Olsen: Certainement pas. Dans bien des cas, comme vous le savez, ces enfants ont déjà eu affaire au système judiciaire ou sont déjà des clients des services sociaux, à cause de leur père ou de leur mère ou d'autre chose. Quant à la place qui leur revient dans le système - s'agit-il d'une situation de crise, compte tenu du nombre d'enfants qui sont là et qui sont en danger - je n'en sais rien. Mais effectivement, rien ne nous empêche de le faire.

M. Garber-Conrad: Autant que je le sache, ce n'est pas le cadre juridique qui pose problème. La Child Welfare Act en fournit un. Mais en fait, les politiques et les procédures des services sociaux de l'enfance de cette province, en particulier dans les grandes villes, l'importance des besoins et la gravité relative des problèmes dont ils ont le temps de s'occuper, excluent toute possibilité de prise en charge d'un enfant de moins de 12 ans pour la simple raison que l'acte commis par celui-ci serait considéré comme un crime, un an plus tard. Cela ne change pas grand-chose qu'un agent de police appelle les services sociaux de l'enfance. Ces services doivent s'occuper de tant d'enfants qui ont, hélas, manifestement besoin d'une protection immédiate et urgente qu'ils n'ont absolument pas le temps de s'occuper de ceux qui ne sont pas dans cette situation; en fait, ils ne peuvent même pas s'occuper de tous ceux qui en ont besoin.

Le problème ne tient donc pas au cadre juridique. Le problème est dû à l'insuffisance des ressources ainsi qu'aux politiques et aux pratiques qui ont été élaborées en fonction d'une certaine conception de ce que cela signifie pour un enfant d'avoir besoin d'une protection immédiate.

.1835

M. Ramsay: Examinons cette question d'un peu plus près. Aux termes des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, ce comité et le gouvernement fédéral n'ont pas à se soucier d'un acte criminel commis par un enfant de moins de 12 ans parce qu'il ne s'agit pas encore d'un acte criminel. Seul le gouvernement fédéral peut définir ce qu'est un tel acte.

Je voudrais demander à ceux d'entre vous qui trouvent la loi acceptable et pensent qu'elle ne devrait pas être modifiée ce qui se produirait si le... Je crois que c'était la responsable du foyer Syl Apps en Ontario qui m'a dit que les crimes commis par des enfants de plus en plus jeunes, sont de plus en plus graves. Lorsque je lui ai demandé si elle s'attendait à ce qu'un jour des enfants de 10 ou 11 ans commettent un meurtre, elle m'a répondu par l'affirmative.

Le professeur Bala a soumis le même genre de situation au comité. Que se passe-t-il lorsqu'un enfant de 10 ou 11 ans commet un meurtre? Que doit-on faire?

Il incombe au gouvernement fédéral de protéger la vie et les biens de ses citoyens, mais il a renoncé à cette responsabilité avec l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, responsabilité qui était pourtant la sienne en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants. Croyez-vous que nous devrions persister dans cet abandon, si je puis me permettre d'utiliser ce terme, ou pensez-vous que notre société est suffisamment bien protégée contre les personnes de moins de 12 ans? Qu'en pensez- vous?

M. Garber-Conrad: si vous me le permettez, je dirais que nous n'avons pas de mesures de protection suffisantes de la société non plus d'ailleurs que de moyens de guérison pour les enfants plus âgés que cela. C'est là le vrai problème. Ramener l'âge à 10 ou à neuf ans et assujettir ces enfants aux dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants leur assurerait seulement les mêmes lamentables services que ceux qui sont déjà offerts aux enfants de 12 ans. À mon avis, non seulement cela ne protège pas la société, mais cela garantit que ces enfants deviendront des criminels à l'âge adulte et que le mal qu'ils se feront alors à eux-mêmes et à la société sera bien pire.

Dans la pratique, je crois que la question de l'âge importe peu. Le vrai problème est celui de trouver les ressources nécessaires pour les programmes de traitement, la guérison et la prévention. Toutes ces manipulations de l'âge de responsabilité ne serviront absolument à rien.

La présidente: Vos dix minutes sont écoulées.

M. Ramsay: Ce n'est pas ce que me dit ma montre.

La présidente: D'autres personnes voudraient aussi répondre, monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Très bien, madame, mais si vous dites que je dispose de dix minutes, il m'en reste au moins une.

La présidente: Non, monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Bien.

La présidente: D'autres personnes voudraient-elles intervenir? Oui, monsieur Robb.

M. Robb: Je suis suffisamment âgé pour me souvenir que j'ai travaillé comme avocat lorsque la LJD était en vigueur. J'ai commencé à travailler dans ce domaine en 1973, à une époque où la LJD autorisait la mise en accusation des jeunes de moins de 12 ans. Franchement, une des choses qui m'ont scandalisé après une longue période d'interruption au cours de laquelle j'ai eu des activités bien plus paisibles à l'université de l'Alberta, a été le peu de changements qui se sont produits entre 1973 et 1996. En fait, les choses ont empiré.

J'ai eu à défendre quelqu'un qui avait été accusé de meurtre en vertu de l'ancienne LJD. Cela arrive, mais c'est le genre de crime - le genre de scénario - qui est invoqué pour justifier parfois la criminalisation généralisée et croissante de notre jeunesse, sans tenir aucun compte des véritables problèmes. Il y a d'autres solutions.

Par exemple, avec la collaboration d'une école située dans un quartier difficile d'Edmonton, nous avons élaboré un programme dans lequel les agents de police chargés de l'aide nous renvoient les jeunes de moins de 12 ans. C'est lorsqu'ils ont plus de 12 ans que la sonnette d'alarme se déclenche.

.1840

Pour faire tout cela, on n'a pas besoin d'une loi. Nous n'en avons pas besoin pour comprendre qu'il est temps de nous réveiller et de commencer à intervenir et à essayer de trouver les ressources dont ont besoin beaucoup de ces enfants.

Ramener simplement l'âge à 10 ans fera certes, bondir de joie l'avocat que je suis, car le seul résultat d'une telle mesure sera de donner du travail à tous avocats et de détourner à leur profit des ressources dont on a vraiment besoin ailleurs.

La présidente: Ne soyons pas trop sévères à l'égard des avocats.

M. Marsolais: Non, non. Inutile de parler d'eux en bien ou en mal. Je crois qu'il faut chercher la solution ailleurs que dans notre système de justice.

Le rôle joué par les cercles de guérison - il s'agit surtout de la communauté autochtone - a montré que le processus de guérison devait se dérouler au sein de la communauté. L'appareil judiciaire est incapable de répondre à ce besoin. En tout cas, ses efforts n'ont pas été très convaincants.

Ce qui nous intéresse vraiment c'est la possibilité de travailler avec les citoyens afin d'offrir une forme de justice différente - une justice axée sur la guérison, la réparation.

Je n'ai rien contre les lois, mais je crois que les programmes, les orientations et les mesures de prévention doivent viser à un retour à ce qui est important dans la communauté, dans les familles, dans les milieux où vivent les jeunes, plutôt qu'à ce qui est important dans les institutions.

Mme Cunningham: Dans le même ordre d'idées, je songe à tout l'argent dépensé pour les examens et aux avocats qui s'enrichissent parce que la loi est ainsi conçue. Lorsque je songe à un retour aux principes originaux des Autochtones, je constate qu'il y en avait quatre: l'honnêteté, la bonté, la force et le partage. Si vous appliquiez ces principes, personne ne tuerait, ne volerait, ni ne ferait de mal à quiconque, et nous travaillerions tous de concert.

À notre époque, c'est une attitude incroyablement idéaliste, mais le problème qui se pose aujourd'hui n'est pas celui de la loi. Ce qui est grave c'est que ce qui faisait la force morale de notre société a complètement disparu. Les parents ne savent plus élever leurs enfants, car les enfants ne les écoutent plus et ils n'écoutent pas non plus leurs enfants.

Il faut revenir à certains enseignements de base. Il faut habiliter les collectivités et leurs habitants pour qu'ils assument leurs responsabilités en ce qui concerne leurs enfants. Il faudrait pour cela étendre le recours aux conseils de détermination de la peine et aux comités de justice communautaire et leur laisser le soin de s'occuper des leurs.

Lorsqu'un enfant comparaît devant quatre anciens de la communauté et que la vieille dame à qui il a volé une hache est assise là, un processus de réconciliation avec la victime s'engage. L'enfant reconnaît la victime de son vol. Inévitablement, cela a beaucoup plus d'effet que s'il était assis dans un tribunal et que l'avocat lui répétait constamment de plaider non coupable. Cela ne donne jamais de bons résultats. Tout ce que l'enfant apprend, c'est à jouer le jeu et à exploiter le système, et tout ce que nous faisons, c'est de jeter de l'argent par la fenêtre.

Je songe à tout l'argent dépensé au tribunal qui pourrait être consacré à fournir des ressources communautaires. Nous pourrions en faire beaucoup plus avec cet argent.

M. Gallaway: Ma question s'adresse à M. Robb, mais j'espère que d'autres personnes y répondront également.

Nous avons souvent entendu dire que beaucoup de temps s'écoule entre l'événement, ou l'incident, et la prise de la décision. Particulièrement dans le cas des jeunes, il est important que les actes et leurs conséquences soient clairement liés dans le temps.

Je ne sais pas si le problème se pose en Alberta, mais il existe dans certaines régions de notre pays où le processus se déroule avec une telle lenteur que lorsque la décision arrive, il n'y a plus aucun lien avec l'acte qui l'a inspiré.

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Que feriez-vous pour changer le système - pas nécessairement la loi - pour éviter que cela ne se produise? Comment procéderiez-vous?

M. Robb: Un certain nombre de facteurs entrent en jeu. Premièrement, en ce qui concerne l'Alberta, je peux vous parler de la situation à Edmonton et à Calgary, qui sont nos deux plus grands centres.

Il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Un des points qui ressortent clairement de notre projet est que, depuis trois ans, la longueur des rôles des causes à été considérablement réduite à Edmonton et à Calgary. Lorsque nous avons commencé à Edmonton, nous avions affaire à des rôles de 18 à 20 pages. Cela provoquait une accumulation constante des dossiers.

Le règlement des affaires qui devraient et peuvent être correctement traitées est beaucoup plus rapide maintenant. Je crois qu'il serait parfois bon que la défense réfléchisse un peu à la manière dont elle mène l'affaire.

C'est un aspect de la situation. Je crois que des règlements des tribunaux plus rigoureux - un certain nombre de mesures précises pourraient être prises - ont contribué à l'atteinte de ce résultat.

Par exemple, nous tenons une fois par mois avec le représentant de la Couronne ce que l'on appelle une réunion de règlement des cas. Il y a trois ans, il fallait atteindre six ou sept mois pour obtenir une date pour le procès et encore, à condition qu'il n'y ait pas d'ajournement. Aujourd'hui, à Edmonton, je peux obtenir une date dans le mois. Vous voyez donc que le système peut fonctionner autrement.

Quant aux décisions, en Alberta, il faut actuellement de six à huit semaines pour préparer un rapport prédécisionnel. Cela aussi, peut-être changé. Aux termes d'un accord que nous avons conclu, nous pouvons maintenant utiliser un rapport prédécisionnel qui date de moins de six mois, accompagné d'une mise à jour, au lieu d'être obligés de réinventer à chaque fois la roue. Dans bien des cas, il suffirait de faire preuve d'un peu de bon sens.

Donc, lorsque je considère tous ces retards, je reconnais avec vous que toutes les études classiques sur les mesures de dissuasion montrent que ce n'est pas tant la décision elle-même que le fait que votre affaire sera rapidement instruite qui compte, et ce n'est nulle part plus important que dans le cas des jeunes.

Je reconnais aussi avec vous que, peu importe que l'enfant soit finalement reconnu coupable ou innocent, si l'affaire traîne pendant un an, ce n'est pas une bonne solution. En fait, je ne veux pas que notre système devienne de plus en plus proche de celui qui est utilisé pour les adultes, car celui-ci comporte de nombreux mécanismes de retardement du processus.

Comme je viens de le dire, un certain nombre de mesures de bon sens pourraient être prises dès maintenant, même en l'absence de toute disposition législative. Je crois cependant que dans les domaines où il existe des problèmes, le recours à la disposition qui permet au tribunal de promulguer des règlements - cela ne se fait pas très souvent - serait très utile pour réduire les retards.

Nous avons également remarqué que les dossiers devraient être soumis à un tri préalable beaucoup plus rigoureux. Un des véritables problèmes, dans le cas des crimes commis par les jeunes, est dû au fait que plus vous surchargez le système, à moins d'accroître les ressources dont peut disposer le tribunal, plus vous aurez de problèmes.

En tant qu'avocat, je peux vous dire que ceux qui bénéficient de la situation, se sont les cinq à dix pour cent de délinquants endurcis. Ce sont ceux qui savent quand il ne faut rien dire. Lorsqu'ils s'introduisent quelque part par effraction, ils portent des gants. Ce sont en général ceux qui sont les plus susceptibles d'exploiter le système. Plus vous surchargez le système, plus cela leur est facile. Ce sont eux qui, parce que le tribunal est débordé ou les rôles des cas s'allongent inconsidérément, qui ont le plus de chances de s'échapper par les mailles du filet. Ils sont beaucoup plus habiles que les autres.

Je crois qu'avec un meilleur système de tri préalable, nous pourrions réduire la longueur des rôles des cas au point où la police et le ministère public pourront se concentrer sur les dossiers qui le méritent vraiment. En ce moment même, à Edmonton et à Calgary, en première comparution - nous sommes avocats de service pour la défense dans les deux tribunaux pour adolescents de Calgary et d'Edmonton - mois après mois - la tendance a été stable pendant plus de deux ans - un tiers des cas sont définitivement réglés en première comparution. Je peux vous dire que cela fait une différence extraordinaire, différence qu'en tant qu'avocat de la défense, je ne devrais pourtant pas apprécier.

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Lorsque nous avons commencé, notre meilleure défense était la probabilité de l'absence des témoins à charge, à cause du nombre trop élevé de dossiers. Aujourd'hui, avec des rôles moins bien remplis, cela n'arrive presque jamais. Autrement dit, nous sommes obligés d'avoir une défense honnête, si vous me permettez d'utiliser ce terme.

Il est possible de rendre le système plus efficace. C'est indiscutable. Je crois qu'un plus large usage des règlements, en vertu des dispositions existantes, faciliterait les choses.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu à vos questions.

La présidente: Je voudrais enchaîner sur ce point; par curiosité, pourriez-vous me dire, de ce tiers de cas qui sont traités en première audience, ou à la première comparution, combien auraient cependant dû être portés devant un tribunal? Après tout, cela ne fait-il pas partie du problème?

M. Robb: En effet, c'est un aspect de la question. Nous en revenons encore à la sélection. De ce tiers, environ dix pour cent des accusations sont immédiatement retirées. Autrement dit, nous examinons le dossier et nous constatons qu'il n'y a rien à faire ou que, dans certains cas, aucune infraction n'a été commise. Les accusations sont donc retirées.

On peut régler les questions de la surinculpation - par exemple, agression armée: une boule de neige. On peut régler rapidement ce genre d'accusations, si un avocat est sur place...

Je dois admettre que cela susciterait la controverse, si mes collègues avocats de la défense sont à l'extérieur de mon bureau. Nous n'avons aucun intérêt financier à faire traîner les dossiers. Pour nous, avocats de service, la tâche est un peu différente. Nous sommes là pour protéger les droits des enfants, et nous le faisons avec énergie quand cela s'impose. Mais on peut faire beaucoup plus.

L'expérience a aussi été intéressante; maintenant que nous avons réussi à alléger le rôle de la cour, nous constatons que les procureurs et les avocats de la défense discutent beaucoup plus de ce qui est le mieux pour l'enfant. L'idée peut sembler révolutionnaire, mais c'est vraiment ce qui se fait.

Par exemple, si le délégué à la jeunesse élabore un plan de gestion de cas pour inscrire l'adolescent à cinq programmes différents, nous accepterons d'ajourner l'affaire pour tenter l'expérience. Franchement, moins il y a d'affaires devant les tribunaux et plus cela devient possible.

La présidente: Merci.

Je suis désolé, monsieur Gallaway. Allez-y.

M. Gallaway: J'ai encore une question à poser.

Madame Cunningham, vous avez dit - et je crois que je vous cite fidèlement - que la criminalité chez les jeunes «commence dès la plus tendre enfance» (voir la partie de Jean).

Madame Olsen, vous avez défini un groupe que vous avez appelé, je crois, «les moins de 12 ans».

J'ai cru comprendre qu'il y avait un certain consensus - je ne veux pas dire que tout le monde est d'accord - , qu'en fait, la loi albertaine sur la protection de l'enfance fournit généralement un cadre législatif acceptable dans le cas d'enfants de moins de 12 ans. On a aussi dit, au sujet de l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants, que si l'âge limite était ramené à sept ou à dix ans, ou quelque chose de ce genre, on se trouverait à recruter ces enfants dans le système. Quelqu'un a signalé que ces enfants seraient traités aussi mal que dans le système actuel.

De toute évidence, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial se renvoient la balle en ce qui concerne le système. Pendant ce temps, du moins dans certaines provinces, nous faisons face à de très importantes réductions budgétaires, appelez cela comme il vous plaira. Le libellé de la loi sur la protection de l'enfance ne change pas, mais si on modifie simplement le seuil dans la définition de ce qui constitue un enfant ayant besoin de protection, vous dites que, par définition, ce n'est pas un problème parce que nous pouvons trouver des façons...

Je me demande si vous avez quelque chose à dire à ce sujet.

M. Garber-Conrad: Je suis parfaitement d'accord avec vous. C'est certainement ce que nous avons fait, nous avons simplement modifié les définitions, sans doute par nécessité autant que par mauvaise volonté.

.1855

Il y a longtemps, du moins dans le contexte de mon travail, que les responsables de l'aide à l'enfance ont cessé de fournir des services aux jeunes de 16 et de 17 ans. Il est déjà trop tard pour eux et, dans deux ou trois ans, ils auront droit à l'aide sociale. Les responsables n'auront plus du tout à se soucier d'eux. Ils ont baissé les bras parce qu'ils n'avaient tout simplement pas de ressources pour aider adéquatement ce groupe d'âge.

Je crois que c'est ce qui se passe. Ce n'est pas nécessairement de la mauvaise volonté. C'est simplement la réalité. Pour des raisons concrètes, vous devez éliminer bien des gens que vous ne pourriez pas aider de toute façon.

Contrairement à certains de mes collègues, je suis trop jeune pour avoir travaillé dans le contexte de la LJD. Mais d'après ce que j'ai lu et entendu, ce cadre législatif était lui aussi inadéquat.

Je comprends le point de vue des législateurs fédéraux. C'est l'outil dont vous disposez, et il est normal que vous cherchiez à régler le problème en vous en servant, mais je ne crois pas que la solution se trouve dans des mesures législatives.

Dans le contexte des relations fédérales-provinciales, je comprends très certainement que vous soyez irrités et perplexes. Ce serait bien pour les gens d'Ottawa ou d'ailleurs de pouvoir se tourner vers les provinces pour les questions de services sociaux ou de politique sociale, tout ce secteur d'activité dont vous cherchez à vous défaire, et exiger le respect de normes ou d'un niveau de financement, etc. Je ne crois pas qu'une modification de la loi vous permettra d'arriver à vos fins, pas plus qu'un retour à l'ancienne loi.

La présidente: Madame Collins, je vous ai promis...

Mme Collins: Je sais. Vous avez promis...

Je veux répéter ce que Martin vient de dire, parce que je connais le dilemme et parce que je comprends qu'on révise la loi, mais nous ne pourrons jamais imposer par la loi un comportement acceptable, et c'est essentiellement ce dont nous parlons. De quelle façon peut-on forcer les gens à se tenir debout et à marcher droit?

Vous avez posé à Jim une question fort pertinente: Combien de ces enfants devraient avoir déjà comparu devant les tribunaux? Combien de ces adolescents ne devraient vraiment pas avoir affaire au système? Autrefois, on traitait de leurs cas dans les cours d'école. Les directeurs ont maintenant le sentiment qu'ils n'ont pas les pouvoirs nécessaires et ils ont peur de s'attaquer au problème. Les corps policiers avaient beaucoup de latitude, une latitude qu'ils ont l'impression qu'on leur a maintenant retirée, et ils ont peur...

D'après mon expérience, et j'ai travaillé auprès des adultes et des adolescents - , je suis certaine que c'est ce que vous entendez dans tout le pays au cours de la tournée que vous menez actuellement, lorsque vous parlez à diverses personnes qui ont des difficultés, et j'espère que certaines de ces personnes sont des parents. Ils vous disent: «Je ne sais pas quoi faire de mon enfant. Je sais qu'il est mal parti. Qu'est-ce que je peux faire?» Ces gens s'arrachent les cheveux. Si c'est de leur enfant qu'il s'agit, vous pouvez être certain qu'ils ne vous demanderont pas une loi plus sévère. Ce qu'ils vous demandent véritablement, ce sont des ressources pour aider leur famille, parce qu'il y a aussi sans doute des frères et soeurs qui viennent derrière.

Je crois que le terrain est de plus en plus favorable à une intervention communautaire significative et à des solutions communautaires à ce qui est, essentiellement et fondamentalement, un problème communautaire.

Si le petit voisin lance une pierre dans ma fenêtre, je veux que mon quartier soit une communauté suffisamment saine et forte pour que, premièrement, on me dise ce qui s'est passé et, deuxièmement, que nous trouvions une solution. Ce sont des choses qui arrivent.

Parallèlement, on vous parle de cercles de détermination de la peine et des résultats positifs que ces cercles obtiennent au sein des comités de justice pour la jeunesse, de toute l'énergie bénévole qui est canalisée dans ce processus... D'un point de vue philosophique, comment peut-on aider cet adolescent et sa famille au sein de notre collectivité? Par des mesures de rechange? Un mécanisme de règlement des différends? La médiation entre la victime et le contrevenant? Ce sont toutes là des options valables, possibles dans le cadre de la loi actuelle.

Par ailleurs, nous avons trop tendance à nous tourner vers les tribunaux et les peines comportant le placement sous garde des adolescents. Ce sont là les mesures les plus coûteuses que nous pouvons prendre, et les programmes communautaires ont peine à vaincre l'obstacle du statu quo. Il n'y a aucune raison pour que le statu quo disparaisse. Dans un climat économique difficile, nous surchargeons le système et nous sous-utilisons le potentiel de certaines initiatives intéressantes au sein de la collectivité.

Il y a toujours de nouveaux programmes. Le ministre de la Justice, Allan Rock, nous promet la médiation entre la victime et le contrevenant. Malheureusement, ces programmes sont mis sur pied, ils survivent deux ans, puis ils disparaissent.

On dit que les comités de justice pour la jeunesse donnent des résultats phénoménaux dans les collectivités autochtones, et maintenant aussi dans des collectivités non autochtones, mais la loi nous interdit de les appuyer de quelque façon que ce soit, pas même pour verser 15 000 $ à un coordonnateur à temps partiel qui inscrira les affaires au rôle. Essentiellement, c'est un déplacement des ressources; il ne s'agit pas de se pencher sur la législation et de chercher à l'adapter à la situation, parce qu'on ne peut jamais jurer qu'un enfant de 10 ans ou de huit ans ne commettra pas un crime horrible. Mais c'est une fausse question, et si nous nous y arrêtons nous risquons de ne pas voir les questions plus importantes.

.1900

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, vous avez cinq minutes.

M. Ramsay: Merci, madame la présidente.

Nous pourrions peut-être envisager ce qu'un avocat qui a témoigné devant le comité a proposé, lorsque nous étions à Montréal. Quand nous avons commencé à parler de ce groupe d'âge, les 12 ans, il a suggéré qu'au lieu de réduire le seuil d'âge, nous le portions à 14 ans. Est-ce ce que nous devrions faire? De nombreuses personnes sont venues dire au comité qu'elles ne voulaient pas que les adolescents de 16 et de 17 ans relèvent des tribunaux pour adultes. Est-ce que nous devrions mettre les jeunes de 12 ans avec ceux de 18 ans, et sinon, pourquoi pas?

M. Marsolais: Je crois que, probablement, certaines des accusations déposées en Alberta ont effectivement ce résultat. L'âge varie selon l'infraction. Par exemple, dans une affaire de vol à l'étalage, le chef d'accusation le plus courant pour les jeunes contrevenants de 12, 13 ou 14 ans, on examine la possibilité d'une peine sous forme de lettre d'avertissement, par opposition à une intervention ou au dépôt d'accusations devant les tribunaux.

C'est peut-être ce qui se produit déjà pour certaines infractions. Je ne sais pas si c'est une solution, mais je crois que si on examine l'infraction et la nature de l'infraction et ce qui se passe pour le jeune contrevenant, sur le plan familial et sur d'autres plans, c'est peut-être l'angle sous lequel il faut aborder la question plutôt que l'âge.

L'intervention, judiciaire ou sociale, devrait être dictée par la situation de l'adolescent et de sa famille, pas seulement par la nature de l'infraction.

M. Ramsay: Est-ce que nous devrions alors envisager de confier aux services sociaux provinciaux les affaires de meurtre, de viol, etc.? Est-ce que c'est ce que vous voudriez recommander?

Vous ne pouvez pas examiner la question sous l'angle de l'infraction, du geste violent qui a été posé; c'est impossible pour l'instant, même au Québec, où la loi est très efficace et comble bien des lacunes. Il faut attaquer le problème avec les pouvoirs que détiennent les provinces en vertu de la Constitution, la préoccupation de la société à l'égard du bien- être de l'enfant qui a manifesté un besoin.

Mais que fait-on de la responsabilité? De quelle façon pouvons-nous équilibrer ces deux besoins, l'intérêt de l'enfant et la sécurité de la société? La question est vraiment là.

M. Robb: Je vais vous fournir une réponse très simple.

Nous venons de terminer le suivi du cas de certains adolescents qui ont été inscrits dans le groupe de gestion de la colère que nous avons mis sur pied en partenariat avec un autre organisme. Parmi les enfants qui ont terminé le programme - et je vous l'accorde, la période de suivi est fort brève - 10 p. 100 avaient récidivé au cours de la première année. Parmi les enfants qui n'ont pas terminé le programme, 60 p. 100 avaient récidivé, dans toutes les catégories de violence. Ce n'est pas un accident, ce n'est pas un hasard.

De même, lorsque nous avons examiné une centaine de dossiers tirés de notre ordinateur, parmi les enfants que nous avons inscrits à des programmes de désintoxication en résidence, un seul avait récidivé. De telles statistiques s'obtiennent par le travail, ce n'est pas un effet du hasard.

Franchement, certains de ces jeunes qui se sont repris en main ont 17 et 18 ans. Certains avaient été reconnus coupables à 20 ou 30 reprises. Ils n'avaient jamais eu droit à une cure de désintoxication dans notre système, moins encore à un tel programme en résidence. À mon avis, qu'il s'agisse de jeunes de 12 ou de 18 ans, le test véritable est de savoir s'ils sont prêts à faire un effort pour s'arracher au cercle vicieux de la délinquance. Ceux qui ne le sont pas sont ceux qui véritablement doivent avoir affaire à notre système de justice. Il y aura évidemment des rechutes, mais un grand nombre de ces adolescents feront l'effort nécessaire. C'est ce que nous voyons constamment.

.1905

Notre frustration, honnêtement, c'est que les organismes qui font du bon travail ne font que passer. Nous avons de la difficulté à tenir à jour notre registre d'organismes et à savoir ce qu'on offre pour les adolescents.

M. Marsolais: J'imagine que c'est une question difficile, mais je ne crois pas qu'un programme ou un ministère puisse la régler. Je crois que c'est notre société qui doit reconnaître que, quel que soit le crime, violent ou autre, c'est un crime qui est perpétré au sein de la société, contre la société et avec la société, et que la solution ne se trouve pas nécessairement dans des mesures législatives simples et proactives. Je crois que nous devons revoir la façon dont nous traitons les contrevenants.

Mme LaBoucane: Je veux vous faire part de certaines expériences que j'ai vécues personnellement.

Dans le cadre de mon travail auprès des jeunes contrevenants, j'ai pu constater qu'ils apprenaient mieux leur leçon lorsque leur geste entraînait des conséquences immédiates. Ils apprennent lorsqu'ils assument la responsabilité de leur geste, lorsqu'ils ont l'occasion d'en discuter et de comprendre véritablement ce qu'ils ont fait, lorsqu'ils peuvent dire qu'effectivement, c'est ce qu'ils ont fait. D'après ce que m'a dit chaque enfant à qui j'ai pu parler au sujet de son expérience du placement sous garde, je sais maintenant que lorsqu'un enfant est placé sous garde il vit une expérience totalement négative. Aucun des garçons à qui j'ai parlé ne m'a dit qu'il avait appris quelque chose ou qu'il était content de lui lorsqu'il était sous garde.

J'ai appris autre chose grâce au Native Counselling Services, j'ai appris que lorsque nous donnons des moyens aux collectivités pour qu'elles assument la responsabilité de leurs enfants, nous obtenons des résultat fabuleux.

Les cercles de détermination de la peine sont l'une des solutions possibles, mais plutôt que de faire comparaître ces enfants en justice avant de les renvoyer devant les cercles de détermination de la peine, il faudrait veiller à ce qu'ils se réconcilient avec la victime avant même de rencontrer le juge. Dans le cercle, ils ont l'occasion de parler avec les victimes. Si les membres de la collectivité considèrent que c'est nécessaire, il est possible de les envoyer ensuite devant le tribunal et de déposer officiellement des accusations. Je crois pourtant qu'on parviendra à la réconciliation dès cette première étape dans la majorité des cas. La conséquence est immédiate, et les adolescents vont en tirer les leçons qui s'imposent.

Au bout du compte, je crois que ce que nous voulons faire c'est d'enseigner. Nous ne cherchons pas à punir. Si nous voulons punir, alors nous allons faire du bon travail. Si nous voulons enseigner, nous ne sommes pas sur la bonne voie.

La présidente: Merci.

Monsieur Maloney.

M. Maloney: On nous a dit au cours de nos réunions que la Loi sur les jeunes contrevenants ne valait rien, que des adultes se servaient des jeunes contrevenants pour leur faire commettre des vols parce que les peines sont plus légères, etc. On nous dit que les adolescents reviennent sans cesse dans le système, et qu'ils ne reçoivent pas un traitement efficace. Nous devons aussi tenir compte de cet aspect.

On nous dit aussi que peut-être il faudrait que les comités de justice pour la jeunesse et les cercles de détermination de la peine ne se limitent pas aux auteurs d'une première infraction. Sue me dit que, parfois, les mesures de rechange sont vouées à l'échec, peut-être encore une fois faute de ressources.

Quel est le message qu'on essaie de nous transmettre ici? S'il vous plaît, aidez-moi. De quel côté devrions-nous nous tourner?

M. Cunningham: Je crois que le message est fort clair, la loi, les mesures législatives, ne vont pas régler le problème. C'est un problème sociétal, et il est grand temps que les ministères collaborent, qu'ils mettent leurs ressources en commun pour aider les collectivités à étouffer les problèmes dans l'oeuf. Aidez-les à élaborer des plans communautaires et des méthodes pour solutionner les problèmes dès qu'ils se présentent.

Nous encourageons la guérison naturelle dans nos collectivités, parce que tout est là. Pensez un peu à votre enfance. Si vous avez grandi dans une ferme ou dans une petite collectivité, lorsque quelqu'un était malade ou avait des problèmes chez vous, vos voisins venaient demander ce qu'ils pouvaient faire pour vous aider. C'est à cela qu'il nous faut revenir, et ce n'est pas difficile. Il faut que le gouvernement cesse de jouer au missionnaire et de dire aux gens ce qui est bon pour eux. Nous devons laisser les gens nous dire ce qui leur convient, et ensuite travailler pour eux.

.1910

M. Maloney: Est-ce que quelqu'un veut ajouter quelque chose?

M. Marsolais: J'aimerais faire un commentaire. C'est au sujet du programme de mesures de rechange, un programme auquel je participe depuis dix ans et qui, à mon avis, a été un peu malmené ici.

La difficulté à cet égard, d'après ce que je crois comprendre, c'est qu'on veut que les jeunes contrevenants assument effectivement la responsabilité de leurs gestes à l'extérieur des tribunaux. Ils devront assumer certaines conséquences naturelles de leurs infractions et, dans le même contexte, ils assument une part de responsabilité en ce qui concerne la réconciliation avec la collectivité. Cette partie de la loi est un volet très positif, du moins d'après ce que j'ai pu voir. Je prête peut-être un peu le flanc aux critiques de mes collègues ici présents.

Toutefois, je crois que nous devons nous tourner vers l'avenir. Je crois que le programme de mesures de rechange donne de bons résultats pour ce qui est de décourager ou d'éviter le recours aux tribunaux. Mieux encore, c'est un moyen de faire participer de plus en plus la collectivité au sein du système de justice.

Maintenant que des comités de justice pour la jeunesse ont été formés, du moins à Edmonton, les citoyens affirment qu'ils veulent avoir leur mot à dire dans le système de justice pour les jeunes. Ils veulent y participer et contribuer à changer la situation des jeunes. Je crois que c'est ce que veut la société. En Alberta, divers groupes se réunissent pour tenter d'éviter le système de justice de différentes façons, et je crois que c'est bien évident. Les citoyens nous font savoir que si le système de justice ne répond pas à leurs besoins, ils chercheront d'autres façons de parvenir à leurs fins.

Mme Olsen: Je veux faire une remarque au sujet du programme de mesures de rechange. J'y ai envoyé des adolescents.

Je me souviens en particulier du cas d'un adolescent qui était accusé d'agression sexuelle. J'avais le sentiment que c'était là la meilleure solution pour lui, qu'il y trouverait l'appui dont il avait besoin, et que son comportement à l'époque, j'en avais la certitude, allait être corrigé d'une manière qui n'allait pas... J'étais simplement convaincue que cet enfant ne nous poserait plus de problèmes par la suite. J'en ai parlé avec le procureur qui s'est rangé de mon avis.

Je crois toutefois que si nous voulons un système de mesures de rechange, il nous faut... Il y a des adolescents, en particulier de jeunes contrevenants autochtones, qui n'ont tout simplement pas accès à ces mécanismes de soutien. C'est pour cela qu'ils reviennent devant les tribunaux. C'est pour cela que nous intervenons nous aussi à nouveau dans le système.

Je crois que c'est la raison pour laquelle certains de ces enfants sont voués à l'échec, que ce n'est pas véritablement la faute du système de mesures de rechange, mais plutôt à cause de la façon dont nous utilisons le programme, parce que nous ne reconnaissons pas, au moment où nous recommandons d'appliquer des mesures de rechange à un enfant, que cet enfant ne parviendra peut-être pas à accomplir le travail communautaire qu'on lui impose, parce que sa mère n'a pas de voiture ou parce que son père a des problèmes de toxicomanie et qu'il ne peut pas répondre aux besoins de l'enfant à cet égard. Je crois que c'est la raison des échecs des mesures de rechange, plus encore dans le cas des jeunes Autochtones que dans celui des contrevenants accusés d'une première infraction.

M. Robb: Je voudrais ajouter rapidement quelque chose.

Adoptons une perspective internationale pour nous pencher sur le taux d'incarcération des jeunes contrevenants au Canada. Nous n'y allons pas de main morte au Canada, certainement pas... En règle générale, deux provinces se distinguent nettement des autres: l'Alberta et le Manitoba. Si on regarde les taux d'incarcération des jeunes Autochtones, ils sont plutôt effarants dans les Prairies.

Demandez aux jeunes s'ils croient que les peines sont trop légères, ils vous répondront que oui. Chaque fois que nous disons que le système ne fait pas le poids, nous renforçons notre propre mythologie. L'une des plus grandes difficultés que nous rencontrons pour convaincre un enfant d'envisager, par exemple, un traitement, c'est de le convaincre que c'est nécessaire, si vous voulez, qu'il y va de son intérêt sur le plan juridique.

.1915

C'est là le problème. Je ne suis pas certain que nous allons beaucoup plus loin. Une partie du problème vient du fait que nous tenons à notre mythologie.

Prenez les centres pour jeunes contrevenants, ils ont été construits pour accueillir 175 personnes. C'était là le nombre d'adolescents que nous croyions devoir placer sous garde en même temps. Pourtant, ils sont souvent 200 à la fois dans ces installations. Lorsque nous avons commencé, il y avait plus de 300 adolescents dans les centres de ce genre. Je crois que vous constaterez que la situation est la même dans tout le pays.

Quand j'y pense - et c'est quelque chose que j'ai déclaré publiquement auparavant - mon projet était conçu pour déterminer ce qui, honnêtement, était le plus économique - les avocats ou le personnel judiciaire. J'ai un personnel composé de 14 avocats et de trois délégués à la jeunesse. Si vous parlez d'un projet de lutte à la criminalité juvénile, vous devez inverser les proportions: trois avocats et 14 délégués à la jeunesse qui aideront les jeunes à trouver les ressources dont ils ont besoin et à s'inscrire à des programmes qui leur conviennent. En toute honnêteté, la partie vraiment valable de notre projet aura été réalisée par trois personne dans nos bureaux - les délégués à la jeunesse.

La présidente: Monsieur Robb, existe-t-il des documents au sujet de votre programme?

M. Robb: Non. Un jour, j'écrirai mes mémoires et une description de ce que j'ai vécu...

La présidente: Alors il ne nous reste plus qu'à vous ramener à Ottawa avec nous.

M. Robb: C'est exact.

M. Garber-Conrad: S'il vous plaît, emmenez-le.

Des voix: Oh, oh!

M. Robb: Je suis l'un de vos prisonniers; ne me racontez pas d'histoires!

La présidente: Monsieur Garber-Conrad.

M. Garber-Conrad: Les mythes se superposent les uns aux autres. Il y a notamment le mythe qui veut que le système pour les jeunes contrevenants soit laxiste. Ce n'est certainement pas vrai pour ce qui est de l'incarcération, en particulier les détentions avant le procès.

Deuxièmement, il faut croire à l'efficacité de l'incarcération. Il y a des douzaines d'États juste de l'autre côté de la frontière où il a été prouvé que l'emprisonnement n'améliorait pas le climat social, ne protégeait pas mieux la société, n'entraînait pas une réduction de la criminalité, rien de positif. Toutes ces opinions erronées s'empilent les unes par- dessus les autres.

Je sais aussi qu'il y a des récidivistes qui ont commis des infractions graves; les services de police les connaissent. En tant que membre de la collectivité, je dois dire que c'est vraiment affreux. Nous devons mettre ces gens derrière les barreaux non pas parce que c'est un traitement efficace, non pas parce que cela va les remettre sur le droit chemin, mais parce que c'est plus sûr pour notre collectivité.

Il est absurde d'utiliser ces cas pour illustrer ce dont nous parlons au sujet des jeunes contrevenants. Nous parlons de 60 jeunes à Edmonton, dans un groupe de 6 000 ou de 2 500, le nombre importe peu. Il est impossible de définir des politiques, des procédures ou une loi qui s'appliquent également à ces deux groupes de criminels - et on ne devrait pas nous le demander.

On pourrait sans doute soutenir qu'il faut renvoyer ces 60 adolescents dans le système pour adultes, déplorer le fait que notre société n'ait pas su leur donner ce dont ils avaient besoin, etc., abolir la Loi sur les jeunes contrevenants et cesser de nous occuper de ceux qui ont moins de 18 ans. Je ne crois pas que nous ferions fausse route si nous décriminalisions tous les cas sauf ces 60 jeunes de moins de 18 ans. Nous devrions simplement insister pour que les services d'aide à l'enfance fassent correctement leur travail, ou pour que les ressources gouvernementales au sein de la collectivité fassent le travail qu'elles ne font pas, quelque chose comme ça.

De toute évidence, il y a des jeunes de moins de 18 ans qui ont besoin d'aide, mais je ne crois pas qu'il y ait la moindre preuve que le système pénal a jamais aidé les adolescents ou rendu les collectivités plus sûres - sauf dans le cas de ce très petit groupe de jeunes vraiment perdus. Nous ne savons absolument pas quoi faire d'eux. Nous devons les enfermer ou les envoyer quelque part. Si nous pensons à ces jeunes et si nous nous enlisons dans les grands débats qui entourent ces adolescents, nous allons nous tromper du tout au tout en ce qui concerne le reste de ces adolescents en danger et en ce qui concerne la sécurité de nos collectivités.

.1920

La présidente: Madame Leonard.

Mme Leonard: Vous vous demandez ce qu'est le message. La loi a été adoptée il y a seulement 12 ans. Elle a déjà été modifiée trois fois. Elle fait actuellement l'objet d'un nouvel examen. Chaque remaniement l'a rendue plus sévère. On a alourdi les peines. On a élargi les critères qui régissent le renvoi devant les tribunaux pour adultes. Pourtant, deux ans après l'adoption des dernières modifications, on nous demande à nouveau de toutes parts une loi plus sévère et de nouvelles modifications. De toute évidence, nous n'avons pas suffisamment resserré la loi, nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions, et c'est parce que la réponse n'est pas là. Regardez aux États-Unis, l'allongement des peines d'emprisonnement et le resserrement de la loi n'ont rien donné, cela ne donnera rien non plus au Canada. Le message, c'est que la loi ne peut pas régler le problème de la criminalité juvénile.

Mme Collins: J'espère que vous poserez la question demain, lorsque vous visiterez tous deux le centre pour jeunes contrevenants d'Edmonton et Howard House, parce que vous avez un point de vue intéressant et que différents adolescents y répondront différemment. Les grandes personnes me posent constamment la question. Je réponds: je ne sais pas, demandez à un adolescent.

En règle générale, ils fanfaronnent un peu. Je ne veux rien enlever à ce qu'ils disent, ou à ce qu'ils croient, mais parfois vous n'avez qu'une seule chance pour leur faire bien peur, et c'est la première fois qu'ils entrent en prison. Ils ne peuvent pas montrer qu'ils ont peur, parce qu'ils s'habituent à la culture des prisons très rapidement, même celle des prisons pour les jeunes, parce que c'est vraiment de cela qu'il s'agit. Je sais que vous avez voyagé dans tout le pays, vous avez vu d'autres centres pour jeunes contrevenants qui sont surpeuplés. La réponse est très différente lorsque vous leur parlez un par un, si vous pouvez trouver un coin tranquille et entamer vraiment un dialogue avec un adolescent à la croisée des chemins, qui n'a pas encore décidé de ce qu'il ferait de sa vie lorsqu'il serait adulte.

C'est vraiment une question révélatrice, et parfois j'ai de la difficulté à y répondre parce que bon nombre d'adolescents affirment que ce n'est qu'une petite tape sur les doigts, une véritable farce. La vérité derrière tout cela, si vous l'examinez un peu avec certains adolescents placés sous garde, en particulier s'ils n'en sont pas à leurs premiers démêlés avec la loi, c'est que la prison est encore préférable à leur cadre de vie. C'est une réalité que je trouve insupportable.

Dans notre foyer de groupe, il y a des jeunes qui reviendront, et il y a des jeunes qui s'en tireront. Je sais qu'on ne parle pas souvent de ces derniers. Trois ou quatre ans après qu'ils ont purgé leur peine de placement sous garde, nous les invitons à venir fêter Noël avec les 12 adolescents qui se trouvent au foyer ce jour-là, cette année-là. Nous invitons des voisins, des amis, toutes sortes de gens. Certains jeunes reviennent, parce que cette expérience a été leur plus beau Noël. Ce sont des adultes maintenant, ils ont quitté le système. Ils s'en souviennent comme d'un élément positif dans leur vie. Il est déchirant de penser que c'est le lien le plus fort qu'ils aient connu avec la collectivité.

C'est très révélateur pour moi, et c'est pourquoi je crois que c'est une importante question à poser. Je sais que vous essayez d'y répondre lorsque vous examinez la loi, mais j'espère que vous aurez le bon sens politique de faire la part des choses entre les collectivités plus sûres que veut la population et le fait de mettre tous ses oeufs dans le même panier; c'est votre travail, malgré toutes nos erreurs collectives, d'adopter des lois qui donneront les résultats souhaités. Pour amener des changements fondamentaux, je crois qu'il faut une volonté politique d'éduquer la population en lui disant: nous avons essayé cette solution et elle n'a pas donné de très bons résultats, voici une meilleure option pour les 80 p. 100 des personnes qui n'auraient jamais dû être emprisonnées. Nous allons consacrer nos ressources à ces 20 p. 100 qui gâcheront entièrement leur vie si nous n'apportons pas de changements fondamentaux. Ce sont là les proportions dont il faut tenir compte.

Avec les ressources du système, nous pouvons retirer ces adolescents du centre pour jeunes contrevenants d'Edmonton demain matin et les envoyer pendant quatre ans à l'université. En réalité, avec ce qu'ils nous coûtent en détention, ils pourraient faire des études universitaires. Et ils sont en prison. C'est un tel gaspillage de ressource, quand on pense à tous ces jeunes!

S'il vous plaît, posez la question demain, mais n'interprétez pas la réponse comme vérité d'évangile.

La présidente: Je veux vous demander ce que vous pensez d'un point qui a été soulevé à plusieurs reprises. Au cours de nos déplacements au pays, nous avons beaucoup discuté de certains mythes qui ont la vie dure. Nous avons entre autres parlé aujourd'hui d'une option souvent proposée: réduire l'âge minimal à dix ans, par exemple, encore un âge arbitraire. Pour justifier cette mesure, on cite les cas des deux enfants qui ont assassiné un tout-petit en Angleterre et une célèbre affaire d'agression sexuelle à Toronto.

.1925

Il y a quelques jours, j'ai lu dans le journal que les deux petits Anglais avaient été condamnés. Et j'ai vu que celui qui avait 11 ans avait déclaré que personne ne pouvait rien lui faire parce qu'il n'avait pas encore 12 ans - une déclaration qui en a scandalisé plus d'un - et que cet enfant est encore placé sous garde en milieu fermé. Il a 11 ans, il vient sans doute d'avoir 12 ans, et en vertu de la loi sur la protection de l'enfance en Ontario, il pourrait rester sous garde jusqu'à ce qu'il ait 16 ans.

Jim, est-ce que cette peine se compare à la sanction applicable aux adultes en cas de première agression sexuelle?

M. Robb: Tout à fait. Dans un cas de première agression sexuelle, sans doute... pour être honnête, le taux d'incarcération est un autre mythe. Nous croyons que les jeunes placés sous garde passent plus de temps - en prison, vraiment - sous garde que les adultes. Mais si on tient compte du fait que dans la majorité des cas les crimes...

La présidente: Mais cet enfant n'a pas eu droit à un procès.

M. Robb: C'est exact. Mis à part les aspects de procédure, nous voyons de nombreux jeunes qui passeront plus de temps sous garde que les adultes pour une infraction similaire. Je crois que cela a contribué à créer ce mythe. Je suis bien d'accord avec vous.

La présidente: Sur ce même sujet - et je ne sais pas si je prêche à des convertis mais j'espère que non - il me semble que dans le contexte de votre citation selon laquelle nous donnons aux jeunes enfants les mêmes services médiocres, si nous pénalisons le comportement des jeunes de 10 et 11 ans ou de ceux de huit et neuf ans ou d'enfants de moins de 12 ans, c'est encore à la province que nous nous en remettons. Voilà comment les choses fonctionnent.

Lorsque le procureur général de l'Ontario a comparu devant nous et qu'il a dit qu'il fallait abaisser l'âge à 10 ans, j'aurais dû lui répondre: «De toute façon c'est vous qui payez alors pourquoi ne pas vous en occuper immédiatement?» C'est direct et c'est...

M. Garber-Conrad: Les foyers d'accueil coûtent moins cher que les centres pour jeunes délinquants, dans la perspective des provinces.

M. Robb: Il me semble pourtant qu'il ne s'agit pas là d'une simple question d'argent. Il faut rationaliser l'utilisation des ressources. J'aurais parfois envie de vous jouer l'annonce «Payez maintenant ou payez plus tard». Je sais que les contextes sont différents mais nous allons devoir raffiner davantage la façon dont nous analysons la criminalité des jeunes.

Par exemple, il y a des contrevenantes qui sont extrêmement difficiles à traiter. Je pense à une enfant de 14 ans qui avait été agressée sexuellement de l'âge de sept ans et demi à l'âge de 11 ans. Elle avait quitté sa maison à 11 ans. Lorsque nous l'avons prise en charge, elle avait 14 ans, un casier judiciaire et elle se piquait à la cocaïne jusqu'à 10 fois par jour.

Les autorités de protection de l'enfance estimaient qu'elle avait choisi ce style de vie et qu'elle relevait donc de la justice. De son côté, la justice jugeait que cette fille ne pouvait recevoir une peine de plus de deux semaines pour cette infraction et qu'elle relevait donc des autorités de la protection de l'enfance. Si l'on examine la chose du point de vue provincial, tant que nous n'accepterons pas le fait que le montant dépensé ne change pas mais que c'est ce que nous offrons qui est important, je pense que nous continuerons à connaître ce genre de problème.

Tous ceux qui s'occupent de ce genre d'enfants sont incapables de comprendre les raisons de toutes ces luttes de pouvoir, ni l'origine des fossés qui s'élargissent entre les différents réseaux, ce qui garantit à peu près que les enfants n'ont pas accès aux services dont ils ont besoin.

Quant à savoir ce que veut dire cette catégorie d'enfants parmi les jeunes contrevenants en Alberta, on peut dire qu'il y a deux catégories de contrevenants qui sont traités de façon très injuste, les Autochtones et les adolescentes.

Il n'y a rien pour les contrevenantes. Il n'y a rien pour elles mais cela ne nous empêche pas de constater que la plupart d'entre elles ont été agressées physiquement et sexuellement. Je n'ai même pas la possibilité de connaître leurs problèmes parce que j'ai des listes d'attente d'un an et demi. Je dirais que la façon dont nous traitons ces deux catégories de contrevenants est une honte nationale, et je n'exagère pas.

.1930

Mme Olsen: J'aimerais faire un commentaire sur la question des moins de 12 ans.

Il y a tellement peu d'enfants qui commettent des crimes extrêmement violents. Je crois qu'une partie du problème vient de ce que je constate dans mon travail. Que faisons-nous avec ces jeunes? Nous les ramenons chez eux et disons à leur mère qu'ils viennent de voler un vélo de 1 200 $ ou qu'ils viennent de frapper brutalement un enfant plus jeune. Ce sont des jeunes que nous ramenions avant chez eux et leurs parents savaient comment agir avec ces enfants-là. Maintenant, c'est comme ça qu'on les traite.

Par contre, les services provinciaux ne s'en occupent pas. C'est là qu'est le fossé. Où placer ces enfants qui sont un peu entre deux mondes? Où devrais-je placer l'enfant qui n'est pas vraiment dur mais qui fait quand même beaucoup de bêtises? Je ne peux pas utiliser la loi fédérale parce qu'il est trop jeune. Je dois donc essayer de lui appliquer la loi provinciale mais les services dont il aurait besoin ne sont pas là. Voilà où est le problème.

Vous savez que les gens souhaitent abaisser la limite d'âge parce qu'ils considèrent que le système pénal est la solution. Il est de plus en plus fréquent d'entendre cela: «Nous allons l'accuser d'une infraction au Code criminel et ça lui permettra de recevoir l'aide dont il a besoin.» Il me paraît très triste d'utiliser le Code criminel de cette façon.

M. Robb: Et en plus, lorsqu'ils sont traduits devant les tribunaux, on constate qu'il n'y a pas non plus de ressources appropriées dans ce système.

M. Garber-Conrad: Certains suggèrent pour régler le cas des enfants de moins de 12 ans - et la plupart du temps j'espère que c'est une blague - que l'on arrête les parents au lieu des enfants; arrêter toute la famille. Le problème est que cela ne servirait pas à grand-chose parce qu'il n'existe pas de services pour cela.

Il y a des familles qui demandent de l'aide depuis des années et qui ne peuvent l'obtenir. Nous démontrons tous les jours que traduire ces gens devant les tribunaux pénaux n'arrange pas les choses. Je trouve ça fascinant parce que c'est très étrange et un peu comique, mais cela ne donne rien non plus parce qu'il n'y a pas de services pour eux.

M. Marsolais: Je me demandais si le comité avait examiné les expériences qui ont été faites en Nouvelle-Zélande et en Australie avec les conférences familiales. Si ce n'est pas le cas, nous devrions peut-être examiner cette expérience, compte tenu du fait que les fonds ne sont plus utilisés pour détenir les jeunes mais pour mettre sur pied des programmes qui réunissent les victimes avec les contrevenants au cours d'une réunion structurée. Cela semble avoir un effet beaucoup plus durable. C'est pourquoi je pense qu'avec le système judiciaire que nous avons aujourd'hui et avec les échecs assez retentissants que nous avons connu, on pourrait peut-être essayer quelque chose de tout à fait différent, sans risquer grand-chose.

La présidente: C'est tentant. Lorsque M. Robb a parlé du nombre des affaires qui avaient été résolues en une seule journée, je pensais à la somme que cela représentait. Que diriez- vous si à la fin du mois, un administrateur judiciaire annonçait que Jim Robb et le procureur de la Couronne avaient permis d'épargner 14 000 $ ce mois-là et demandait à quel organisme social il devait remettre ce chèque?

M. Robb: J'ai proposé que 50 p. 100 des sommes épargnées soient affectées aux ressources pour les enfants, ce qui a déclenché une hilarité générale.

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Merci, madame la présidente.

Si nous décidons d'exonérer les parents de toute responsabilité, je me demande quel pourra bien être le prochain groupe qui sera lui aussi exonéré de toute responsabilité? Je pense qu'il faut que les parents conservent une certaine responsabilité. Je fais ce commentaire mais je dois formuler ma question avant que ne s'écoulent les quatre ou cinq minutes qui m'ont été accordées ou avant que Jim Robb n'utilise mon temps de parole.

Ce n'est pas très gentil, Jim, mais il faut, de temps en temps, mettre un peu d'humour dans ces discussions.

.1935

Nous avons créé des institutions qui étaient de taille modeste au départ. Nous avons créé des services de police et des tribunaux, des procureurs de la Couronne et des procureurs de la défense. Pour quoi faire? Pour protéger la société, pour dissuader les citoyens de commettre des infractions et pour tenir compte des possibilités de réadaptation de ceux qui commettent des infractions contre les membres de la société. J'estime que nous avons perdu le contrôle de ces institutions et que celles-ci ne défendent plus maintenant que leurs propres intérêts. Elles ont perdu de vue leur raison d'être.

C'est pourquoi quand j'entends les membres des tables rondes et les autres témoins qui comparaissent devant le comité dire qu'il faut redonner des pouvoirs à la collectivité, je sais ce qu'ils veulent dire. C'est de cela qu'ils parlent. Ils disent que, pour une raison ou une autre, ces services de police imposants, ou cet édifice énorme - le palais de justice - ou ce juge très bien payé ne font pas le travail qu'ils devaient faire. Nous dépensons tout cet argent en espérant qu'ils vont le faire.

À mesure que les collectivités prennent de plus en plus conscience de la situation et se sensibilisent à ces questions, et que de plus en plus de gens retrouvent un sens des responsabilités que les parents ont peu à peu perdu pour différentes raisons - la famille étendue, etc. - nous sommes amenés à examiner la question des ressources. Mais pendant que nous cherchons des ressources pour agir, pour payer quelqu'un 15 000 $ pour le travail très important qu'il doit faire, que se passe-t-il? Nous nous heurtons aux intérêts des acteurs du système judiciaire qui ne veulent pas renoncer à leur empire - c'est le mot que j'utilise pour le décrire même si je ne devrais peut-être pas le faire.

Je ne veux pas manquer de respect mais il existe ce que j'appelle «une industrie de la justice» et elle a perdu de vue sa raison d'être. Nous voyons aujourd'hui des mères, des pères et des personnes concernées venir nous dire qu'il faut revenir aux principes de base, il faut revenir à la collectivité, et nous devons fournir aux bénévoles les maigres fonds dont ils ont besoin pour faire ce travail, c'est-à-dire protéger nos enfants, les retrouver et les ramener dans leur foyer, et assurer à la population la sécurité tant désirée.

Jim, je pense que tu as tapé dans le mille plusieurs fois aujourd'hui, tout commeM. Garber-Conrad. Nous devons sauver nos enfants tout en protégeant la société contre le petit groupe de personnes qui menacent votre vie et la mienne, celle de mon enfant et du vôtre. Voilà ce que nous devons faire, mais je me demande comment y parvenir lorsque tous les puissants intérêts en place nous disent que si nous voulons mettre sur pied ce programme, nous pouvons le faire mais nous ne pouvons pas toucher aux leurs, nous ne pouvons pas toucher à leurs ressources?

Ces institutions devraient travailler à supprimer leur raison d'être. Au lieu de construire davantage de palais de justice, de pénitenciers et d'institutions, nous devrions travailler sur les causes, nous devrions investir dans le domaine de la prévention de la criminalité et des techniques de signalement précoce. Mais nous ne bénéficions pas de cet appui. Demandez à n'importe quel groupe d'intérêt de venir devant le comité et demandez-lui ce que nous devons faire et ils vont tous dire la même chose: «Nous avons besoin de nos ressources.» Je crois qu'il faut prendre les ressources aux composantes secondaires du système pour les consacrer aux services de première ligne et les remettre à la collectivité. C'est ce qu'on nous a dit hier dans le Nord, à Yellowknife: remettez les ressources entre les mains des collectivités.

J'ai épuisé mon temps de parole.

Mme Collins: Vous avez fait une déclaration très convaincante, monsieur Ramsay. Je crois que vous êtes tombé en plein dessus.

Essentiellement, il faut amener le système à accepter de se remettre en cause. Il y a des gens de grande valeur qui sont pris dans ce système et dans ces structures. Nous en sommes arrivés à un point où nous dépendons depuis des années de ce que vous avez appelé l'industrie judiciaire, l'industrie correctionnelle. C'est une industrie qui représente 9 milliards de dollars. Si nous n'arrivons pas à modifier profondément le statu quo, ce qui veut dire en général, redéployer les ressources en fonction d'objectifs précis, cette industrie ne pourra que perdurer et aboutir à un échec. La tâche est trop lourde pour qu'un seul secteur puisse l'accomplir, ce qui ne nous a pas empêché de demander aux tribunaux et au système de justice de prendre en charge tous nos problèmes. Cela est trop coûteux et n'est pas efficace. C'est pourquoi je pense qu'il faut modifier le statu quo.

.1940

Je signale en passant que le projet de Jim est tout à fait révolutionnaire, pour ce qui est de la façon dont il a été abordé. Nous en sommes à la fin d'une étape de trois ans et cela fera l'objet d'un examen.

Il est difficile de remettre en cause le statu quo et d'arriver à le modifier mais je constate que l'Ontario réagit à la situation en construisant des superpénitenciers pouvant loger de 300 à 400 personnes.

La présidente: Et en inculpant 5 000 jeunes contrevenants de voies de fait simples.

Mme Collins: Ce sont des jeunes que nous allons revoir; ils vont obtenir leur diplôme jusqu'à ce que nous les fassions passer dans la catégorie supérieure.

Si vous en construisez, ils vont se remplir. Je ne dis pas ça à la blague mais nous allons les remplir et c'est vraiment une perte d'argent. Si nous décidons de fermer les pénitenciers, de prendre le temps de regarder la situation et de faire savoir qu'on ne dépensera pas un sou de plus en investissement de capital dans ce pays, nous allons être obligés de trouver d'autres ressources et d'autres façons de réagir à la situation en dépensant moins.

C'est donc un dilemme que vous avez fort bien décrit, mais nous avons tendance à mettre tout le monde dans le même sac, et c'est un sac très coûteux. Vous avez entendu plusieurs d'entre nous dire qu'il nous faut améliorer nos capacités en matière d'évaluation pour que l'on puisse détecter ceux qui ont besoin d'une intervention plus coûteuse, ce qui peut aller jusqu'à l'incarcération. Mais nous servons à peu près la même ration à tous, nous leur donnons une chance avec les mesures de rechange et puis, si ça ne marche pas, nous les mettons dans le système et il est très difficile d'en sortir.

M. Robb: Je crois qu'il faut partir du fait que statistiquement, 65 p. 100 des jeunes - et je parle de façon générale - qui comparaissent pour la première fois devant le tribunal pour adolescents n'y retournent jamais. Dans les 35 p. 100 de jeunes que l'on retrouve une deuxième fois devant ce tribunal, il y en a 60 à 65 p. 100 qui n'y reviennent qu'une fois ou deux. Il reste alors le groupe, le dernier groupe, qui revient sans cesse s'il n'y a pas d'intervention, et là je parle d'intervention musclée, qui peut aller jusqu'à l'incarcération et même parfois à de longues peines de prison, parce que c'est la seule chose qui est efficace.

La difficulté est de prédire le risque. Il y a tous ces jeunes qui sont traduits devant les tribunaux. Quels sont ceux qui font partie de la première tranche de 75 p. 100 et ceux qui font partie de la deuxième catégorie de 20 p. 100? C'est là le grand problème. Je sais que c'est une tâche qui me revient. Nous avons des jeunes de 12 ans qui sont parfois beaucoup plus difficiles qu'un jeune de 17 ans qui a déjà été déclaré coupable 20 fois. Cela paraît impossible mais c'est parfaitement vrai. C'est là un des grands problèmes.

Je suis assez d'accord avec la plupart des choses que vous avez dites. En trois ans, j'ai emmagasiné beaucoup de frustration. La plupart du temps, nous ne voyons même pas les parents. Disons-le carrément; nous ne les voyons pas. C'est pourquoi je crois qu'il faut examiner quelque chose qui a déjà été mentionné: les conférences familiales. L'idée de la conférence familiale est de travailler sur l'unité familiale. Dans certains cas, ce n'est pas là que réside le problème; dans d'autres, c'est le cas. Une fois devant le tribunal, tout le monde sait que la peine ne peut viser que l'enfant.

Il ne s'agit pas en fin de compte d'incriminer davantage les enfants ou les parents; il faut plutôt se demander - et c'est là un thème très commun - ce qui explique le comportement de l'enfant? Avec certains, et je crois encore - je pense que je le croirais jusqu'à la fin du projet - qu'il y a un tout petit groupe de jeunes qui aiment ce mode de vie et il est habituellement assez facile de les remarquer, qu'ils aient 12 ou 18 ans. Dans l'autre groupe, il y a des jeunes qui connaissent des problèmes particuliers et parfois, il y a des familles qui en ont aussi.

Lorsque je regarde ce que font certaines collectivités autochtones en matière de violence familiale, je constate qu'ils sont 10 fois plus efficaces que tout ce que nous faisons, et ce n'est pas avec eux que les avocats vont s'enrichir, non plus que le système judiciaire ou le système correctionnel. Leur péché, c'est d'être efficaces. On n'en parle beaucoup parce que la plupart de ces approches sont en théorie illégales. Elles ne respectent pas les principes en matière d'intervention; elles ne respectent pas les règles concernant le moment où sont prononcées les décisions. En tant que citoyen, je n'y comprends rien. Est-ce que c'est vraiment illégal? Cela est efficace. C'est illogique. C'est ce qu'il faut que nous fassions - examiner les parties de notre système qui sont illogiques.

La présidente: Merci.

.1945

Madame Torsney.

Je suis désolée, madame Cunningham. N'avouez pas maintenant que vous enfreignez la loi.

Mme Cunningham: Je me sens comme si je participais à un jeu à la télévision, et que j'essayais d'appuyer sur le bouton.

La présidente: Empruntez le revolver de Sue.

Des voix: Oh, oh!

Mme Cunningham: Je voulais confirmer ce que disait M. Ramsay quand il mentionnait que le système était lourd et qu'il voulait continuer à faire de l'argent.

J'ai un exemple de cela. Je me souviens qu'en 1975, Native Counselling a mis sur pied l'un de ses premiers programmes de mesures de rechange. Ce programme a été tellement efficace que le procureur de la Couronne y a mis fin parce qu'il n'avait plus rien à faire. Voilà une illustration particulièrement éclairante de ce dont vous parlez.

J'aimerais aussi vous parler de quelque chose que j'ai vécu. J'ai travaillé pendant 23 ans dans le système pour les adultes. J'étais la première femme autochtone à diriger un établissement correctionnel autochtone. Mais je ne l'administrais pas comme on le fait dans la plupart des établissements correctionnels. Je faisais beaucoup de choses bizarres mais je vais vous confier quelque chose. C'est nous qui avions le plus fort taux de libération des contrevenants autochtones pour l'ensemble du Canada. Nous avions les meilleurs taux de réussite en matière d'absence de récidive. La raison en est, en partie, que tout cela était fondé sur nos lois originales. On essayait de préserver la dignité des gens, de conserver des contacts humains dans le système.

J'ai fait une émission appelée Rage, et vous avez peut-être vu le documentaire dramatique, The Making of Rage, sur CBC. La première diffusion aura lieu en octobre au Colin Low Theatre. J'ai placé ma pub.

Pour réaliser cette émission, j'ai pris cinq des contrevenants les plus violents dans notre collectivité et j'ai décrit leur vie. Il est apparu très clairement qu'au cours de leur enfance - l'enfance - tous ces hommes auraient pu prendre une autre direction s'il y avait eu quelqu'un qui avait dit ce qu'il fallait et fait ce qu'il fallait au bon moment. Il leur a en effet fallu 45 ans de violence, d'allers retours dans les établissements correctionnels pour qu'ils réussissent finalement à surmonter ce qu'ils avaient vécu et se guérissent. Certains d'entre eux ont très bien réussi. C'est nous qui avons piloté ce projet.

Si nous pouvons le faire avec les contrevenants adultes, que ne pourrions-nous pas faire avec de jeunes enfants? Combien de temps faudrait-il pour pouvoir les ramener aux traumatismes qu'ils ont vécus dans leur enfance? Pas très longtemps. Combien de temps cela prendrait-il pour qu'ils guérissent si nous avions les ressources nécessaires? Pas très longtemps. Il faut aussi que les parents participent et travaillent avec eux. Cela est possible. Si cela est possible avec les adultes, pourquoi ne pourrait-on pas le faire avec les enfants?

Les enfants sont notre bien le plus précieux que nous ait donné le Créateur. C'est le seul don que le Créateur nous ait demandé de préserver et nous y arrivons très mal. Nous dépensons uniquement pour les adultes. Nous dépensons pour toutes sortes d'autres choses. Ceux pour qui nous dépensons le moins, ce sont nos enfants. Et ce sont des dons du Créateur.

La présidente: Merci.

Madame Torsney, vous avez les cinq dernières minutes.

Mme Torsney: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je crois que j'ai du mal à accepter que tous ces gens proposent des mesures.

Je trouve paradoxal que ce soit M. Ramsay qui nous ait ouvert la voie, parce que tous les jours nous recevons des projets de loi d'initiative privée qui demandent une peine minimale. Tous les jours, on nous propose d'imposer des peines plus longues, de restreindre l'accès à la libération conditionnelle, de limiter l'accès aux services d'aide, d'incriminer davantage les jeunes. C'est pourquoi je trouve paradoxal que nous soyons en train de découvrir une solution tout à fait différente.

Je voulais vous poser quelques questions au sujet des jeunes dont vous vous occupez et je sais que nous allons en rencontrer quelques-uns demain. Nous avons entendu parler, ce matin, de jeunes qui ont eu des problèmes très tôt, et qui n'ont pas eu accès à des ressources adaptées, qui ont purgé une peine à Calgary dans un établissement pour jeunes contrevenants et qui n'ont participé à aucun programme. On leur a appris à manipuler le système. En fait, l'un d'entre eux a déclaré ce matin que le problème avec les établissements à sécurité maximum, c'est qu'il avait du mal à les manipuler. Si seulement il y avait eu une structure pour eux plus tôt.

Quelqu'un a parlé des jeunes de 14 ans et de ce qui se passe avec les services à l'enfance et à la famille. Des gens qui travaillent avec les jeunes de la rue à Toronto m'ont dit qu'une prostituée de 13 ans n'intéresse aucunement la Société d'aide à l'enfance locale. Ils n'ont pas les ressources. Ils s'intéressent à son bébé mais pas à elle.

.1950

Il existe un service de police à Toronto qui comprend deux divisions différentes qui ont chacune une attitude tout à fait différente à l'égard des enfants. Les jeunes savent de quel côté de la rue ils peuvent se prostituer parce que d'un côté, on arrête les enfants et de l'autre, arrête les clients.

Il me semble que notre société est tellement hostile envers nos adolescents. La Loi sur les jeunes contrevenants et les choses que nous entendons dire sont peut-être les pires manifestations de tous ces problèmes.

Nous entendons souvent dire qu'il faudrait publier le nom de ces enfants pour pouvoir nous protéger d'eux et leur donner une leçon et qu'ainsi, ils ne commettront pas d'infraction. Ils disent qu'on devrait être beaucoup plus sévère avec ces jeunes. Qu'il faudrait les mettre dans des camps de type militaire. Il faudrait les secouer. Utiliser le fouet. À Winnipeg, il y a des gens qui vont nous dire qu'il faut réintroduire le fouet. Ils pensent que cela serait très efficace.

Je trouve particulièrement frustrant le fait que les journalistes étaient ici tout à l'heure mais qu'ils ne sont pas là maintenant. Ils n'ont donc pas eu la possibilité de vous entendre. Vous êtes nombreux à demander que l'on conserve la loi telle qu'elle est mais ce n'est pas ce que mes électeurs entendent. Ils entendent ce que demandent tous les jours d'autres personnes. Ils entendent dire que la loi est nulle.

Je crois qu'une des choses les plus tristes que nous ayons entendu nous a été dite par un juge de Toronto qui était un ancien avocat de la défense. Il nous a parlé d'une jeune femme qui se trouvait en prison, avec des fers aux pieds, derrière une vitre, lui dire que la Loi sur les jeunes contrevenants ne servait à rien et qu'il ne lui arriverait rien. Elle avait cru cette histoire. Il a finalement été obligée de lui rappeler où elle se trouvait et dans quelle situation. Cette histoire nous a tous fait rire parce qu'elle est tellement bizarre. Mais après, j'en aurais presque pleuré parce que j'étais émue de voir que cette adolescente avait cru à cette histoire.

Qu'allons-nous donc faire pour faire passer le message? Comment allons-nous dire aux policiers qu'il existe plusieurs solutions? Comment allons-nous dire aux gens qu'ils font de l'excellent travail? Comment allons-nous traiter nos jeunes de la rue du programme Kids in the Hall et des autres programmes? Aidez-nous parce que si nous ne changeons pas les choses, les gens vont nous traiter d'idiots et dire que nous n'écoutons jamais les autres et que nous ne faisons rien; il faudra changer la loi encore quatre fois parce que ce n'est jamais assez. Continuez à la changer jusqu'à ce que vous réussissiez.

Enfin, j'ai terminé ma tirade.

D'une Paddy à une autre...

Mme LaBoucane: Je veux tout d'abord parler du retour du fouet et de ce genre de choses.

Je sais d'expérience personnelle, et seulement parce que j'ai étudié avec Carola, qui m'a appris que la seule chose qui permet de rejoindre les jeunes contrevenants, c'est l'amour... C'est la seule chose à laquelle ils répondent. Je peux leur crier après. Je peux les engueuler. Je peux leur faire des discours. Je peux leur faire tout ce que je veux. Tant que je ne m'assois pas à côté d'eux pour leur dire que je veux vraiment faire quelque chose pour eux, que je suis en train de les voir se suicider et que je ne sais pas quoi faire, je ne rejoins pas le jeune. Cela a été prouvé des milliers de fois. L'amour est la seule chose qui fonctionne. Tous ceux qui travaillent avec les jeunes contrevenants et qui ont réussi à établir des rapports avec eux savent qu'il n'y a que l'affection et l'authenticité qui donnent des résultats. Je ne l'aurais jamais cru si je n'avais pas travaillé dans un établissement de garde en milieu ouvert pour jeunes contrevenants.

Lorsque les gens demandent à cor et à cri que les peines soient plus sévères et ci et ça, ce qu'ils veulent en fait, c'est se sentir en sécurité. Je suis profondément convaincue que la seule raison pour laquelle les gens demandent ce genre de chose, c'est parce qu'ils veulent se sentir en sécurité. Si l'on donne davantage de pouvoir aux collectivités, ils vont se sentir en sécurité. Je crois que ceux qui demandent des peines plus sévères et l'abaissement de la limite d'âge le font parce qu'ils estiment qu'ils n'ont pas de contrôle sur leur environnement et qu'ils n'ont pas les moyens de protéger leurs enfants. En redonnant des pouvoirs aux collectivités, nous pouvons répondre à cette préoccupation.

La dernière chose que je voulais dire est qu'il n'y a qu'une seule personne qui soit ici en train d'écouter cette discussion publique. On n'a pas fait de publicité. Les gens n'ont pu venir écouter ce qui se disait, écouter les gens qui travaillent dans le domaine. Cela me paraît criminel. Il faudrait que les citoyens puissent entendre ce genre de discussion. Ils n'ont pas la possibilité de travailler dans le système, ni d'être en contact avec ces enfants.

Merci.

Mme Collins: Je voulais faire un bref commentaire. J'ai déjà parlé de volonté politique. Je sais que vous entendez toutes sortes d'opinions au cours de vos audiences et qu'elles sont souvent contradictoires. Il n'y a pas de réponse simple et c'est en général ce que souhaite la population. Nous avons mis tous nos oeufs dans le panier des mesures punitives. C'est la direction que nous avons prise. Vous allez devoir être très courageux parce qu'il est beaucoup plus facile d'obtenir des votes en disant qu'il faut punir plus sévèrement les criminels.

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Je sais que cela existe. Dans ma sphère d'activités relativement limitée, je vois ce genre de choses. Il faut donc informer le public, utiliser les médias pour transmettre un message positif et être suffisamment courageux pour dire qu'il faut utiliser nos ressources pour faire de la prévention et de l'intervention précoce à cause de la façon dont nous avons fait les choses jusqu'ici. Et je peux vous dire que vous aurez peut- être à aller contre le système pour le faire. Je sais que les politiciens sont élus pour quatre ans mais à long terme, nous en retirerons des bénéfices. Je suis tout à fait d'accord avec Paddy. En fait, nous réagissons - et tant que nous ne ferons que réagir, nous ne pourrons pas préparer pour l'avenir - aux craintes qu'exprime la population. Elle a peur parce qu'elle se fonde sur de fausses idées.

Il s'est tenu à Edmonton cette semaine un congrès de jeunes leaders. Il y en avait environ 650 parmi les meilleurs et les plus intelligents. Ce seront les chefs de demain, et la criminalité et l'environnement sont des aspects auxquels ils s'intéressent beaucoup. Ils ont énormément d'idées fausses. Ce sont des jeunes très intelligents. Deux membres de mon équipe leur ont parlé ainsi que des politiciens et diverses autres personnes mais après cela, il y en avait encore 86 p. 100 qui voulaient renforcer la sévérité des sanctions. Mais avec du temps et des efforts pour dire voilà des choses qu'il faudrait essayer et prendre des risques pour le faire, cela fera une différence à long terme.

C'est là qu'intervient la volonté politique et le courage. Il est facile pour moi de dire abaissez l'âge ou envoyez tous ces jeunes dans le système pour adultes. N'oubliez pas que la LJC contient des principes affirmant qu'il faut traiter les jeunes comme des jeunes. Maintenant nous avons changé cela, nous avons ajouté, à moins qu'ils ne fassent quelque chose de très méchant et alors ce sont des adultes. Voilà à quoi ont servi les ajustements apportés jusqu'ici.

M. Garber-Conrad: Je crois que le gouvernement fédéral a encore un petit rôle à jouer. Le gouvernement pourrait faire des choses comme lancer des projets expérimentaux et des opérations très visibles comme les campagnes de sensibilisation de la population. La plupart d'entre nous avons besoin de 110 p. 100 de nos ressources pour pouvoir nous occuper des gens qui nous arrivent. Nous n'avons pas les moyens d'aller défendre ces idées dans la collectivité.

Je pense que Santé Canada pourrait participer et peut-être - - je ne sais pas ce qu'il y a à la Justice - le Conseil national de la prévention du crime. Il doit y avoir un moyen de poursuivre ce débat, même si l'on transfère certaines tâches aux provinces et avec ces aspects fédéral-provinciaux. Vous avez des ressources et il doit bien exister un moyen de trouver quelques miettes pour lancer des projets expérimentaux et pour mettre au point différents types de collaboration avec les collectivités. Court- circuitez les provinces, s'il le faut, si elles sont trop hostiles à ce point de vue. Je sais que nous ne pouvons pas demander à des politiciens d'être des leaders mais vous pourriez peut-être au moins dépenser un peu d'argent pour diffuser ces idées.

Je pense à certaines jeunes femmes dont nous nous occupons. J'essaie de ne pas trop dramatiser et il nous arrive rarement de voir des jeunes de 13 et 14 ans mais pensez à l'adolescente de 16 ans qui passe plusieurs heures tous les soirs dans la rue à se faire ramasser par des gars peu ragoûtants. Elle a été attaquée à coups de bouteilles de bière et de tournevis et violée de toutes sortes de façons. Lorsqu'elle rentre chez elle, son petit ami lui prend tout son argent. Qu'allez-vous lui faire pour la punir? La Convention de Genève interdit la plupart des mesures que vous pourriez prendre qui seraient pires que ce qu'elle vit. Et pourquoi se trouve-t-elle dans la rue? Parce que c'est encore mieux que chez elle.

Je ne sais pas. Ce n'est pas une réponse. Mais il faudrait trouver un moyen de communiquer ce message. Les gens ne se retrouvent pas dans ce genre de situation parce qu'ils veulent être méchants ou qu'ils veulent s'amuser ou pour d'autres raisons.

M. Robb: Je n'ai certes pas de solution simple à proposer. Nous connaissons tous les études qui indiquent que, dans les sondages, les gens extrapolent à partir d'un cas donné et généralisent ensuite. Je suis en salle d'audience tous les jours. Nous voyons les journalistes lorsqu'il y a une affaire de sexe et de violence. C'est tout.

Mme Torsney: Vous avez oublié de dire aux gens que vous alliez parler de ça.

M. Robb: Oui, vous avez raison.

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Paradoxalement, il arrive que personne, depuis les poursuivants jusqu'à la police, ne soit d'accord sur ce qu'il faut faire au sujet d'un enfant en particulier. Il nous arrive de nous affronter devant le juge. Pour parler d'Edmonton et de Calgary, je dirais qu'il est tout à fait paradoxal que nous soyons bien souvent d'accord avec eux sur l'approche à choisir. Nous voulons tous réduire la criminalité. Mais comment y parvenir?

J'avoue qu'un des organismes avec lesquels nous avons d'excellents rapports de travail est la ECP, la Edmonton City Police. Ils participent avec nous à des programmes de prévention. Il n'y a rien de mal là-dedans.

Mme Olsen: Edmonton Police Service.

M. Robb: Je suis désolé. Je voulais dire le Edmonton Police Service. Je suis un peu rétro. J'ai commencé en 1973 quand c'était la Edmonton City Police.

Mais lorsque je dis qu'il faudrait que vous ayez le courage de le faire, c'est la même chose pour nous. Ce n'est pas facile. Le financement n'est jamais garanti, pour personne. Je crois qu'il y a des gens qui travaillent dans le domaine avec les jeunes et qui ont besoin de voir cette marque de courage. Lorsque le moment arrive, il faut prendre position et dire que c'était la chose à faire. Si nous ne le faisons pas, vous serez seuls à porter cette responsabilité.

La présidente: Sue, je vais vous donner le dernier mot.

Mme Olsen: Je crois que le gouvernement doit prendre position. Je pense que d'une façon générale la Loi sur les jeunes contrevenants est une bonne loi. Je crois que nous n'avons pas les moyens et que c'est là un des grands problèmes.

Je pense également que les institutions ou les organisations comme le Conseil national de prévention du crime ne font pas suffisamment entendre leur voix. Nous n'entendons pas beaucoup parler de l'information du public. Que font-ils donc?

Nous entendons par contre beaucoup parler des crimes très violents dans les médias. Cela aggrave les peurs du citoyen moyen, en particulier, si l'incident se passe dans sa ville. Cela nourrit le mythe qu'il vit dans une ville ou un quartier violent.

Il y a si peu d'enfants qui participent vraiment à ce genre d'infractions. Je crois que nous l'oublions parfois. L'enfant qui tue quelqu'un ou commet une infraction violente a bien évidemment besoin qu'on intervienne. Mais nous ne disons pas suffisamment que les jeunes qui tournent mal ne représentent qu'un faible pourcentage de tous les jeunes. Le message que communique les médias est qu'il faut avoir peur des criminels; nous devrions tous avoir peur.

Avant que je ne travaille comme policière, j'étais sûre que je n'aurais jamais été me promener dans la 96e rue. Je n'ai plus peur de cela parce que je connais bien ce qui s'y passe. Il faut apprendre. Il faut comprendre ces collectivités et ces cultures. Voilà ce qu'il faut faire. Je crois que l'information est la chose à faire.

La présidente: Merci beaucoup.

Merci beaucoup de nous avoir aidés. Nous avons été heureux de vous avoir rencontré.

La séance est levée jusqu'à 8 heures demain matin pour notre prochain spectacle.

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