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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 18 juin 1996

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[Traduction]

La présidente: Nous entendons cet après-midi, de l'Association du barreau canadien,John Conroy, qui préside le Comité de l'emprisonnement et de la libération; Alan Manson, qui siège au sous-comité du même nom; et Joan Bercovitch, qui est directrice principale des Affaires juridiques et gouvernementales. Bienvenue.

Veuillez nous faire part de votre mémoire, après quoi nous vous poserons des questions.

Mme Joan Bercovitch (directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien): Je vous remercie de nous donner l'occasion de présenter notre point de vue aujourd'hui, mesdames et messieurs.

Comme vous le savez, l'Association du Barreau canadien est un organisme national qui représente les avocats, les juges, les étudiants en droit et les professeurs de droit d'un bout à l'autre du Canada. Un élément central du mandat de l'ABC est d'améliorer le droit et l'administration de la justice. Nous sommes convaincus que les arguments que nous vous présentons cet après-midi sont compatibles avec cet objectif.

Le mémoire a été élaboré par notre Section nationale de droit pénal et par son Sous-comité de l'emprisonnement et de la libération, dont M. Conroy et le professeur Manson font tous deux partie. M. Conroy en est le président. Nous nous excusons de ne pas vous avoir fait parvenir le mémoire plus tôt, mais étant donné la hâte avec laquelle on a convoqué ces audiences, il n'était pas pratique pour nous de le faire, et nous nous excusons de cet inconvénient.

John Conroy préside le Comité de l'emprisonnement et de la libération de l'ABC. Il est l'auteur d'un livre intitulé Canadian Prison Law. Il est le plus expérimenté de tous les avocats spécialisés dans l'incarcération au Canada, et il se spécialise plus particulièrement dans le droit postsentenciel, l'incarcération et l'élargissement. Il a été l'avocat à l'occasion de six auditions tenues aux termes de l'article 745 en Colombie-Britannique. Il jouit d'une très forte réputation en la matière.

Le professeur Manson est membre du Sous-comité de l'emprisonnement et de la libération et est professeur de droit à l'Université Queen's. Il est rédacteur en chef adjoint de Criminal Reports, publication dans laquelle il publie lui-même des articles. Il a été avocat à l'occasion de deux audiences tenues aux termes de l'article 745, et il a mis au point les contestations constitutionnelles qu'il a lui-même présentées dans le cadre de l'audience tenue aux termes de l'article 745 dans l'affaire Vaillancourt, en 1988.

Le mémoire sera présenté par M. Conroy et M. Manson. Ils répondront ensuite tous les deux à vos questions. Merci.

M. John Conroy (président, Comité de l'emprisonnement et de la libération, Association du Barreau canadien): Merci. Le mémoire est assez bref, et je ne le lirai donc pas au complet, même si je crois comprendre que vous n'avez pas encore eu la chance de le lire. Je vais aborder certains points, mais je m'en remettrai à Alan pour traiter des recommandations précises.

Je voudrais vous parler de l'affaire qui nous occupe d'un point de vue à la fois général et pratique, ayant moi-même plaidé dans le cadre de six demandes de ce genre. La première question que je dois poser, c'est: pourquoi faisons-nous cela, et qu'est-ce qui presse? On nous a présenté un projet de loi la semaine dernière, et il nous a fallu nous préparer à la hâte pour venir vous faire un exposé.

J'ai lu dans les médias que le ministre aurait dit que nous ne faisions pas cela à cause deM. Olson. À ma connaissance, ce type était la seule raison pour laquelle il fallait se presser auparavant. Donc, si ce n'est pas à cause de lui, qu'est-ce qui presse tant?

Dans le document d'information on dit qu'il faut «faire en sorte que seuls les plus méritants puissent nous présenter une demande, de manière à renforcer la sécurité de la collectivité». Permettez-moi de vous présenter certaines situations concrètes. Ayant plaidé dans six cas de ce genre en Colombie-Britannique, je peux vous dire que Clifford Olson n'a pas l'ombre d'une chance de faire accepter sa demande. C'est tout simplement ridicule de s'imaginer qu'il puisse y parvenir.

C'est ridicule de penser qu'un jury le moindrement informé lui donnera le feu vert. Même si, par miracle, il réussissait à faire accepter sa demande, il est ridicule de croire que la Commission des libérations conditionnelles puisse trouver qu'il respecte les critères. Cet homme est toujours incarcéré dans un établissement à sécurité super maximale. Il n'a même pas réussi à se rendre à la sécurité maximale, sans parler d'un établissement à sécurité moyenne ou minimum.

Vous devez comprendre que quand quelqu'un communique avec moi, habituellement par téléphone parce que cette personne ne peut pas venir me voir, elle me demande d'évaluer sa demande. À titre d'avocat, je ne veux pas accepter une demande qui est une cause perdue. Je veux défendre une demande qui, à mon avis, est fondée, et je fais donc une vérification préalable de cette demande.

Le facteur le plus important, c'est de savoir si la personne a purgé 15 ans. Une personne ne peut même pas présenter de demande avant d'avoir purgé 15 années d'emprisonnement, et, habituellement, il faut un an pour que la demande aboutisse devant le jury. Cela dépend beaucoup des processus préliminaires qui existent actuellement.

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Il y a bien des gens qui m'ont téléphoné et qui sont toujours incarcérés dans une unité spéciale de détention, un centre psychiatrique ou un établissement à sécurité maximum. Je leur dis que s'ils font une demande, le jury leur dira de ne plus revenir et qu'ils seront pris avec une sentence d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération avant 25 ans. Je leur dis: vous devriez concentrer vos efforts et vos énergies pour vous changer vous-même et devenir meilleur. Si vous ne le faites pas, inutile d'y songer. Si vous voulez changer, peu importe ce que vous avez fait, arrangez-vous pour aboutir dans un établissement à sécurité moyenne, sur le point d'être transféré dans un établissement à sécurité minimum, ou bien arrangez-vous pour pouvoir faire face à une commission des libérations conditionnelles en espérant que les commissaires amorcent quelque chose. Si vous n'êtes pas dans cette situation, vous ne devriez jamais présenter de demande.

Si vous examinez les statistiques tirées de la feuille de renseignements du ministre, vous verrez que 74 personnes ont présenté une demande et que 60 p. 100 des personnes admissibles ne l'ont pas fait. Donc, le processus de sélection fonctionne, en ce sens que la plupart des gens - à l'exception d'un cas bizarre autant qu'étrange, à supposer que M. Olson présente une demande - du moins ceux qui sont raisonnables, examinent la question, demandent conseil et ne présentent pas de demande. Voilà pour le premier point. Il est très important de se rappeler qu'on peut se faire dire de s'en aller et ne plus revenir.

En Colombie-Britannique, et c'est la même chose dans la plupart des autres provinces, nous commençons par nous pencher sur la nature de l'infraction, car le jury en sera saisi. Parfois, nous devons nous reporter à la décision d'une cour d'appel ou à la transcription de la procédure d'il y a15 ou 16 ans, pour essayer d'établir les faits, afin que le jury soit pleinement informé de tous les faits entourant l'infraction.

Deuxièmement, nous devons tenir compte de la personnalité du délinquant. Cela met toujours en cause la préparation, par le Service correctionnel du Canada, d'un rapport d'admissibilité à la libération conditionnelle énonçant en détail tout l'historique du cas, auquel on annexe tous les rapports psychiatriques et psychologiques dont cette personne a fait l'objet.

La politique du service est de ne pas faire de recommandations, mais ce rapport établit tous les antécédents de la personne. Ainsi, on peut examiner l'évolution de la personnalité du détenu entre le moment de son incarcération et la date de la présentation de la demande et, surtout, la conduite de la personne qui purge la peine. C'est un facteur très important. Si quelqu'un a tué plusieurs personnes et n'a rien fait de bon, on lui conseillera évidemment de ne même pas prendre la peine de présenter une demande. Mais si un meurtrier multiple a changé de façon significative, cela devrait se refléter dans sa conduite, puisque l'incarcération est un facteur important dont le jury tient compte.

Les processus fonctionnent très bien. Encore une fois, si vous vous reportez à la trousse d'information, vous verrez qu'après avoir tenu cette audience préliminaire pour nous assurer que tous les critères sont remplis sur le plan de l'admissibilité, et après avoir établi tous les éléments de preuve admissibles dans le rapport sur l'admissibilité à la libération conditionnelle, le jury doit prendre une décision. Il peut faire des recommandations au sujet du meurtre au deuxième degré, mais pour le meurtre au premier degré, il doit rendre une décision. C'est une disposition unique du Code criminel. C'est le seul article du code qui permet à une collectivité, c'est-à-dire au grand public, de participer à un dossier mettant en cause la sentence.

Je crois qu'il est important également de prendre du recul et de se rendre compte de ce qui se passe dans le contexte du prononcé d'une sentence. Normalement, l'avocat prend la parole et plaide au moment de la déclaration de culpabilité, ou au moment du plaidoyer, et traite de l'infraction et du délinquant et de la proportionnalité entre les deux. Au Canada, la marque de notre société civilisée, c'est que nous rendons la justice sur un plan individuel, en tenant compte des circonstances particulières de chaque cas.

En ce qui concerne le meurtre au premier degré, le Parlement a décrété en 1976 qu'il ne rouvrirait pas le dossier de celui qui a commis ce crime haineux. Le condamné se voit donc obligé de purger sa peine de détention à perpétuité, avec un minimum de 25 ans d'emprisonnement, mais s'il a changé au bout de 15 ans, il peut faire une demande spéciale - qui n'est pas admise d'office - ce qui permet de rouvrir le dossier pour pouvoir examiner les circonstances spécifiques à chaque cas. C'est à ce moment-là que la fonction de détermination de la peine entre en jeu, et que la collectivité, plutôt que le juge, a l'occasion unique de décider si la sentence peut-être commuée ou non.

Si l'on regarde les chiffres, 20 p. 100 des détenus se sont vu refuser leur demande. Donc, même après présentation de la demande, le jury a déterminé que 20 p. 100 des sentences ne devraient pas être réduites, mais a consenti à accueillir 79,4 p. 100 des demandes. Il est donc manifeste que le jury est bien en mesure de faire la différence entre ceux qui sont méritants et ceux qui ne le sont pas tout en tenant compte des circonstances spécifiques à chaque cas.

Plus important encore, vous pouvez ensuite voir ce qu'il advient de chaque cas, lorsque le détenu se tourne vers la Commission des libérations conditionnelles pour essayer de la convaincre qu'il répond aux critères. Les statistiques que vous trouvez à la deuxième page de la feuille d'information, que vous avez sans doute tous reçue, sont très claires sur la façon dont a réagi la commission. Notez que sur les 75 personnes à qui l'on a consenti la mise en liberté sous condition, une seule, qu'un jury avait jugée admissible et à qui la Commission des libérations conditionnelles avait accordé la libération conditionnelle, a récidivé en commettant un vol à main armée.

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D'après mon expérience, la comparution devant la commission de ceux qui ont déjà présenté une demande au jury constitue une démarche très lente et très prudente. La commission commence par accorder la permission de sortir avec surveillance, pendant un an ou deux, puis la permission de sortir sans surveillance, et accorde ensuite la semi-liberté, et enfin la libération conditionnelle totale.

La Commission nationale des libérations conditionnelles ne voudrait surtout pas voir son nom imprimé en toutes lettres dans les journaux parce qu'elle a fait une erreur ou a été trop généreuse. Elle a, bien sûr, déjà fait des erreurs, car l'erreur est humaine. Mais d'après mon expérience la commission est extrêmement prudente, surtout dans des cas de ce genre.

Avant de céder la parole à Alan Manson, je signale que le ministre aurait affirmé que seuls les plus méritants d'entre les détenus peuvent présenter une demande. Qu'entend-il par là? Entend-il par là que si vous avez commis plusieurs meurtres ou des meurtres en série vous n'êtes pas méritant? Entend-il par là que si vous avez un jour commis un crime de ce genre et que l'on vous a donc considéré comme une très mauvaise personne, puis que vous vous êtes bien conduit pendant 15 ou16 ans, ce qui prouve que vous avez évolué pour le mieux et que vous avez changé, vous êtes méritant? Le mérite dépend-il de la capacité d'une personne de changer, de devenir une bonne personne après avoir été une mauvaise personne? Ou le mérite s'applique-t-il uniquement à ceux qui n'étaient pas si méchants que cela, et à qui on accorde la permission de présenter une demande à un jury?

Il faut comprendre exactement pourquoi nous proposons cela et pourquoi nous proposons ce type de modification. Il peut y avoir bien des criminels qui ont sans doute tué deux personnes, mais qui néanmoins évoluent pour le mieux, alors qu'il peut également y avoir des tas d'autres gens qui ont peut-être tué une seule personne, mais qui refusent d'évoluer et que l'on ne pourrait considérer comme méritants. Nous affirmons qu'il faut tenir compte de toutes les circonstances spécifiques aux différents cas, et que c'est exactement ce que prône la justice au Canada.

Je vais maintenant demander à mon collègue de vous parler de nos recommandations.

M. Alan Manson (Sous-comité de l'emprisonnement et de la libération, Association du Barreau canadien): Merci, John.

Je voudrais passer à la page 5 de notre mémoire à la couverture bleue, mais auparavant j'aimerais répéter deux choses.

D'abord, nous ne comprenons pas pourquoi vous expédiez ce projet de loi. Ensuite, nous n'avons encore entendu aucun argument fondé sur des principes ou aucun élément de preuve démontrant qu'il faut modifier l'article 745, qui, à notre avis, est juste et efficace et donne l'occasion unique à la collectivité de prendre part à la détermination de la peine. J'y reviendrai avec grand plaisir plus tard et je répondrai à toutes vos questions, si quelqu'un peut justifier le principe d'un amendement.

Notre mémoire présente quatre recommandations. D'abord, nous recommandons de ne rien changer au processus actuel et de rejeter le projet de loi C-45. Au cas où notre recommandation n'intéresserait personne, je voudrais aborder brièvement trois des éléments du projet de loi: le processus de sélection, l'unanimité du jury et l'exception pour meurtres multiples.

En ce qui concerne le processus de sélection, il est prévu que le juge en chef ou son délégué recevra une preuve par affidavit du détenu, et devra déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s'il existe une possibilité réelle que la demande du détenu soit accueillie par un jury. À notre avis, ce n'est pas au juge à faire cela.

En effet, les juges ont l'habitude d'examiner les preuves qui déterminent la culpabilité ou l'innocence. Or, il s'agit de déterminer si les membres de la collectivité - vous, moi, nos amis ou nos voisins - pourraient constater qu'il y a eu changement chez quelqu'un qui a commis un crime violent 15 ans auparavant.

Nous affirmons pour notre part que tout cas où il existe une possibilité qu'un jury raisonnable réduise la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle devrait être envoyé à un jury. C'est d'ailleurs ce qui avait été prévu en 1976, et cela cadre bien avec la participation de la collectivité. S'il doit y avoir un processus de sélection, il faut plutôt se demander si le dossier du détenu indique une impossibilité que la demande soit accueillie. Autrement dit, si le juge en chef ou son délégué ouvre un dossier et déclare que rien dans l'affaire n'est fondé, la demande devrait carrément être rejetée du système judiciaire. Cette façon de faire n'a rien à voir avec le fait d'essayer, pour un juge, de déterminer selon la prépondérance des probabilités comment un jury réagirait à une preuve par affidavit, alors que le jury en fait entendrait et verrait le détenu en personne.

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De plus, on peut s'attendre à ce que les détenus qui purgent actuellement une peine d'emprisonnement et qui savaient qu'ils auraient la possibilité de faire réviser leur admissibilité devant un jury contesteront en vertu de la Charte la modification rétroactive de leur peine en invoquant le fait qu'un juge leur enlève toute possibilité de se faire entendre par un jury. Il est manifeste que le recours à la Charte sera risqué si le juge a pour seul rôle de décider s'il y a ou non impossibilité que la demande soit accueillie; en effet, si le cas n'a aucun fondement aux yeux du juge, il est peu probable qu'un détenu invoquera la Constitution et arguera qu'on lui a refusé la protection que lui assure la Charte, une fois l'absence de fondement du cas décidée par le juge.

Voilà pourquoi notre mémoire recommande en deuxième lieu de se demander plutôt si la demande indique une «impossibilité d'être accueillie» par un jury. Dans l'affaire Swietlinski, je signalerais que la Cour suprême du Canada a déjà affirmé que les notions de fardeau de la preuve, de preuve au-delà d'un doute raisonnable et de preuve selon la prépondérance des probabilités ne conviennent pas dans une demande faite au titre de l'article 745. Voilà pourquoi nous disons également que le projet de loi C-45 pose la mauvaise question. S'il doit y avoir processus de sélection, il faudrait se demander uniquement si la demande indique une «impossibilité d'être accueillie» par un jury, auquel cas la demande ne devrait pas lui être soumise.

En ce qui concerne le deuxième critère, l'unanimité du jury, j'ai déjà obligé des jurés, lors d'une audience tenue au titre de l'article 745, à me présenter une récusation motivée, en raison de publicité locale; il est manifeste que ces questions entraînent des réponses émotives, et dans ces cas-là on entend surtout s'exprimer des jurés qui croient, par exemple, à la peine capitale. Si l'on exige l'unanimité du jury, il suffit d'un seul juré pour faire changer le verdict. Sans unanimité, le verdict ne tient plus.

Par conséquent, étant donné les opinions divergentes qui existent dans une collectivité, je prédis que chaque avocat qui présentera une demande au titre de l'article 745 exigera des récusations motivées pour essayer de déterminer qui pense quoi, puisqu'il suffit qu'une seule personne s'oppose à la démarche pour saper tout le processus. C'est surtout pour cette raison que la règle de l'unanimité nous inquiète.

À notre avis, les problèmes qu'entraînerait le projet de loi dépassent de loin l'utilité que l'on pourrait invoquer. On peut contester du point de vue constitutionnel la règle de l'unanimité. Ensuite, il faudrait diviser en deux étapes distinctes la procédure par jury. Le jury devrait se prononcer deux fois: d'abord sur la réduction de la période d'inadmissibilité, puis sur l'importance de la réduction. Si les 12 jurés optent pour la réduction ils devront ensuite aller délibérer pour décider de l'importance de la réduction. À défaut de procéder par étapes, n'importe lequel des jurés peut changer d'avis et rendre le débat interminable.

Pour résumer, nous considérons que l'unanimité du jury ne serait d'aucune utilité et pourrait causer toutes sortes de problèmes.

Quant à l'exclusion des détenus accusés de plusieurs meurtres, nous sommes certes d'accord pour dire qu'il est tout à fait légitime de tenir compte du nombre de morts causées. Ce qui nous inquiète, c'est que vous avez ciblé une petite catégorie de détenus en disant que, quelles que soient les circonstances individuelles, leurs crimes sont tellement révoltants qu'ils n'auront même pas droit à voir leur cas examiné par un jury composé de membres de la communauté.

Cela nous inquiète sérieusement, parce que le fait d'exclure un petit groupe de détenus constitue une concession de principe qui pourrait devenir le premier pas vers la réclamation du retour de la peine capitale. Si nous admettons que notre système, nos processus, nos jurys et nos membres de la communauté ne peuvent pas statuer sur les cas les plus graves, nous aurons beaucoup d'ennuis. L'Association du Barreau canadien est tout à fait prête à accepter que 12 membres d'une communauté quelconque au Canada pourraient tout à fait examiner n'importe quel cas, et nous jugeons que le Parlement devrait aussi être prêt à laisser 12 membres de n'importe quelle communauté du Canada examiner un cas particulier. Nous jugeons donc qu'il serait tout à fait malavisé de créer une telle exclusion pour les détenus accusés de plusieurs meurtres.

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Voilà les trois recommandations que nous formulons au sujet du projet de loi C-45, et elles sont toutes fondées sur notre conviction que personne n'a présenté le moindre argument de principe ou la moindre preuve pour montrer qu'il faudrait modifier le système actuel. Merci.

[Français]

La vice-présidente (Mme Torsney): Nous voici maintenant à la période des questions. Je cède la parole à M. Langlois pour la première question.

M. Langlois (Bellechasse): Les questions que vous vous posez sont les mêmes que celles que je me suis posées la semaine dernière, lors de mon intervention à la deuxième lecture du projet de loi en Chambre. Vous y répondez d'une façon pas nécessairement identique, mais fortement similaire.

Je vais reprendre les points soulevés à rebours. La règle de l'unanimité du jury - et je vais ajouter les arguments que vous avez soulevés aux miens - m'apparaît être une règle dangereuse.

Les statistiques actuelles au Canada nous démontrent que dans certaines provinces, l'unanimité peut être facilement atteinte en raison de la façon dont les jurys envisagent l'application de l'article 745, alors que dans d'autres provinces, en raison de certains courants politiques, les jurys sont plutôt opposés à la réduction du délai préalable à la libération conditionnelle.

Je me suis dit que le fait de donner une marge d'un tiers aux jurys qui peuvent s'opposer à l'application de l'article 745 permettrait d'avoir une certain norme nationale. En tant que législateurs fédéraux en matière de droit criminel, nous n'avons pas à partager avec d'autres l'application de cette loi, qui relève de la seule compétence du Parlement fédéral. Donc, il faudrait que notre loi s'applique autant à Toronto qu'à Québec, Edmonton ou Vancouver.

Garder une marge de manoeuvre permettrait qu'un détenu puisse avoir la même chance d'être remis en liberté ou d'avoir une audition équitable où qu'il soit au Canada. C'est ce que j'avais en tête. Vous m'avez donné une argumentation supplémentaire en déposant votre mémoire et les raisons pour lesquelles vous vous opposez à la règle de l'unanimité.

Un autre motif que j'ai soulevé lors de la comparution de M. le ministre Rock était que l'on mêlait certaines choses. Pour la détermination d'un verdict de culpabilité, lors du procès, le rôle du jury est bien différent. Il s'agit de juger au-delà de tout doute raisonnable de la culpabilité ou de l'innocence de quelqu'un. C'est intimement lié à la notion de présomption d'innocence inhérente à notre droit criminel.

Au stade d'une audition, en vertu de l'article 745, ce n'est plus le rôle du jury. Son rôle ressemble alors au rôle d'un jury en matière civile. Or, lorsqu'il y a procès avec jury dans nos cours de justice en matière civile, on n'exige pas l'unanimité. Nos lois n'exigent pas l'unanimité dans les provinces, non plus que chez nos voisins américains, parce qu'il s'agit de questions qui peuvent donner lieu à des débats plus ou moins basés sur la sémantique et des évaluations très personnelles.

La décision du jury est finalement une recommandation sur un point de vue qui sera suivie d'auditions devant la Commission nationale des libérations conditionnelles si, dans un premier temps, le jury recommande que le processus se continue. Ce n'est donc pas une décision, mais une étape obligatoire lors de laquelle le jury donne son accord. Ce sont les raisons pour lesquelles je m'opposais au verdict unanime.

Quant aux personnes ayant commis des crimes à répétition - hier, nous utilisions l'expression mass murderers ou serial killers pour les qualifier - , plus nous chercherons à définir, plus nous restreindrons la possibilité pour un détenu d'adresser une demande. On veut fixer une barrière au départ.

Je partage le point de vue de ceux qui disent que la barrière devrait être laissée aux jury ou au juge qui fera une prédétermination ou une sélection, selon le terme que vous utilisez dans votre mémoire. Comme il est à peu près impossible de donner une définition du meurtrier en série ou de la personne qui a commis plusieurs crimes sans tomber dans l'arbitraire, je préférerais que ces dispositions soient biffées du projet de loi.

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Dans le fond, il me semble que si nous adoptions cette définition, nous nous retrouverions toujours avec des cas d'exception, où il serait évident pour tout le monde qu'une personne n'est pas sujette à récidive et serait admissible.

On va tomber à quoi? Le seul recours qui demeurera sera le pardon royal, donc des considérations politico-juridiques. Selon ce que disait un juge qui m'enseignait à la faculté de droit, le ministre de la Justice ou le Cabinet décidera, suivant des principes de justice qui auront été établis, si une personne doit avoir le pardon royal ou non.

Pour les avocats qui plaident en droit criminel, il n'y a à peu près rien de pire que de présenter une requête au gouverneur en conseil demandant le pardon royal. Il n'y a pas de moyen de contrôle et la décision n'a pas à être motivée. C'est un geste de désespoir pour un avocat que d'être obligé de s'adresser à Sa Majesté pour demander un pardon royal. Je préfère un système où les règles sont carrément établies. Pour ces raisons, je laisserais le système comme il est à l'heure actuelle.

Pour ce qui est du processus de sélection, je m'étais dit qu'il y avait peut-être lieu de revoir cette étape. Devrait-elle être instaurée, puisqu'actuellement, n'importe qui - on a soulevé des noms de meurtriers connus à qui je n'ai pas besoin de faire de la publicité - , du seul fait de l'écoulement du temps, peut demander à un juge en chef d'une province de convoquer un jury.

Nous pourrions aussi accepter le système tel qu'il est à l'heure actuelle, en nous disant que le jury jugera des faits et tirera les conclusions qu'il jugera appropriées dans un tel cas.

Quant au processus, je dois vous avouer que mon opinion est beaucoup moins arrêtée. Si toutefois le processus de sélection était maintenu, puisque l'article 745.1 proposé dans le projet de loi stipule que le juge qui serait désigné par le juge en chef pour entendre une demande de mise en liberté - bien qu'ici le terme «entendre» ne prévoie pas d'audition, mais plutôt la soumission de documents auprès du juge - , non seulement ne serait pas tenu d'entendre les parties, mais n'aurait pas la possibilité de le faire, semble-t-il. S'il devait y avoir une audition, on devrait invoquer la règle de l'audi alteram partem ou du duty to act fairly. Quelque chose semble manquer. On envoie des documents au juge de part et d'autre. Sur quels critères se basera-t-il pour se prononcer?

Je me dis que si on établit un critère de sélection - et je ne suis pas nécessairement défavorable à un processus de sélection - , on doit permettre aux parties de se faire entendre. Nous pourrions bien sûr faire une preuve par affidavit pour commencer, mais on ne peut pas complètement éliminer une procédure contradictoire à ce stade-là, ni le droit d'interroger les preuves que chacun peut mettre en doute, parce qu'on n'a aucune garantie sur la qualité de la preuve qui peut être offerte. L'article 745.1 ne précise d'ailleurs rien à cet égard; c'est ce qui me fait peur.

Alors, les règles applicables en matière criminelle et la Loi sur la preuve au Canada devraient s'appliquer à l'article 745.1. On ne peut pas admettre n'importe quoi en preuve.

Dans sa forme actuelle, le texte me paraît pas acceptable. Vous suggérez cependant un critère extrêmement fort pour le juge. Vous dites qu'à toutes fins pratiques, il est tout à fait impossible de convaincre le jury.

J'ignore ce que vous penserez de ma suggestion, mais je vous la livre en vrac en vue d'obtenir par la suite vos commentaires. S'il y a un processus de sélection, le rôle du juge doit être à peu près l'équivalent de celui du juge à l'enquête préliminaire ou du magistrat qui préside l'enquête préliminaire; c'est-à-dire qu'il déterminerait si un jury bien dirigé en droit pourrait libérer l'accusé.

J'étais presque satisfait de ce critère que je soumets à votre commentaire. Il me semble peut-être un peu moins sévère, bien qu'il le soit peut-être autant. J'aimerais entendre vos commentaires sur l'approche que je viens de vous livrer.

[Traduction]

M. Manson: Je serai très bref, parce que c'est exactement ce que nous recommandons, mais en d'autres termes. En disant qu'il n'y aurait aucune chance de succès, on demande effectivement s'il existe des preuves quelconques selon lesquelles un jury raisonnable, à qui l'on aurait donné des instructions appropriées, recommanderait une réduction de la période d'inadmissibilité. Nous sommes donc tout à fait d'accord pour dire qu'on devrait appliquer le même critère que celui qu'applique maintenant le juge à l'audience préliminaire. S'il existe des preuves quelconques, le cas devrait être renvoyé à un jury. Dans le cas contraire, s'il n'y a aucune chance de succès, le processus devrait s'arrêter là.

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Nous sommes donc tout à fait d'accord pour dire que le critère à appliquer dans le cas du processus de sélection serait de rejeter immédiatement les cas qui n'ont aucun fondement. Si un cas présente certains éléments positifs, il devrait aller de l'avant. Ce sont les membres de la communauté, c'est-à-dire les membres du jury, qui devraient évaluer le cas. En effet.

M. Conroy: J'ajoute que, pour ce qui est de savoir si un juge peut essayer de prédire ce que fera le jury d'après les questions que le juge lui-même examinera lors du processus de sélection, à mon avis, s'il y a des preuves que le détenu s'est amendé et que son comportement s'est amélioré, il faudra que le juge essaie d'évaluer la situation sur papier, mais il devra à ce moment-là prédire de quels faits le jury tiendra compte si le cas est renvoyé à un jury.

Selon moi, c'est en partie pour cela que la procédure pour les audiences préliminaires est telle qu'elle est, à partir du libellé du code pénal lui-même jusqu'à la façon dont le juge peut déterminer l'existence de preuve. S'il y a des preuves qui appuient les arguments de la Couronne lors d'une audience préliminaire, le cas sera renvoyé au jury.

Ce devrait être la même chose ici.

M. Ramsay (Crowfoot): Je vous remercie de votre exposé. C'est un excellent mémoire, qui explique bien dans quelle mesure le projet de loi à l'étude va faire un gâchis de l'article 745.

Ce qu'il faut se demander en réalité, et la seule chose qu'il faut se demander, c'est si l'article 745 devrait exister ou non. Voilà la question. Il ne s'agit pas de savoir si nous allons tripatouiller cet article, comme le propose le projet de loi, et causer le genre de problèmes dont vous parlez dans votre mémoire.

C'est très facile pour moi de ne pas aimer votre position après avoir entendu des victimes du crime parler au comité ce matin pendant près de deux heures. Nous avons entenduSharon Rosenfeldt, Mme de Villiers, Steve Sullivan, Debbie Mahaffy, Darlene Boyd et Johanne Kaplinsky. Ils pensent que vous défendez des gens qui ont été trouvés coupables d'un meurtre au premier degré, que vous seriez prêts à forcer les victimes à souffrir les mêmes douleurs et angoisses chaque fois que le meurtrier de leur enfant présente une demande qui doit être étudiée. Même ceux qui n'essaient pas consciemment de le faire revivent les mêmes angoisses chaque fois qu'un appel interjeté par un meurtrier au premier degré ranime leurs souvenirs.

Cela m'inquiète de voir que, parce que vous défendez les droits des meurtriers au premier degré, vous êtes prêts à ne tenir aucun compte des droits des victimes, de leurs souffrances et de leurs angoisses. Je ne comprends pas comment vous pouvez faire la part des choses.

Il y a ici contradiction entre deux choses, soit le fait que vous défendez les droits des meurtriers au premier degré de demander une libération conditionnelle anticipée ou au moins une réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle après avoir purgé 15 ou 16 années de leur peine, et les droits de ceux qui souffrent depuis que leur enfant a été tué et qui souffriront encore à cause de ce que vous voulez voir maintenu dans le Code criminel dans le cas des meurtriers au premier degré.

J'ai beaucoup de mal à faire la part des choses entre les droits du criminel et ceux des victimes innocentes.

De votre côté, vous défendez ceux qui ont commis le crime le plus révoltant qui soit visé par le Code criminel.

En 1976, quand on a aboli la peine capitale, il n'était pas nécessaire d'adopter l'article 745. Son absence n'aurait pas entraîné de contestation aux termes de la Constitution. La loi aurait pu être adoptée à l'époque telle qu'elle est et telle que chaque juge la lit à toute personne trouvée coupable d'un meurtre au premier degré: vous êtes condamné à l'emprisonnement à vie sans espoir d'obtenir une libération conditionnelle avant d'avoir purgé 25 années de votre peine. Les juges ne mentionnent jamais l'article 745.

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Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'avoir l'article 745. Il n'était pas nécessaire de l'adopter au départ. Cependant, comme il l'a été, c'est pour cela qu'il peut y avoir contestation.

Bien entendu, des groupes de victimes de tout le pays protestent, et j'ajoute... nous pourrions en discuter très longtemps. Combien y a-t-il de meurtres au premier degré chaque année? Combien de familles sont touchées par ces meurtres comme celles que nous avons entendues ce matin? Il y a de plus en plus de gens dans chaque communauté qui ont le même problème. C'est pour cela que de plus en plus de gens au Canada voudraient qu'on élimine simplement l'article 745.

C'est donc là-dessus que porte le débat actuel maintenant que le ministre de la Justice a présenté cette demi-mesure imparfaite qui ne fait qu'aggraver la situation, non seulement pour ceux qui pensent comme moi, mais aussi pour vous. Vous recommandez de rejeter le projet de loi C-45. C'est justement ce que je compte faire, mais pour des raisons tout à fait différentes des vôtres.

Si vous voulez commenter mes observations, vous pouvez certainement le faire.

M. Conroy: Je dois d'abord vous dire, monsieur Ramsay, que ceux d'entre nous qui s'occupent de la détermination de la peine sont convaincus qu'une approche progressiste envers la détermination de la peine appelle la participation de la communauté. Il y a notamment des cercles de détermination de la peine qui permettent aux victimes de participer au processus, des conférences avec des membres de la famille qui permettent aux victimes d'avoir leur mot à dire dans le processus de détermination de la peine au lieu de se contenter de faire une simple déclaration écrite, et ce genre de choses améliorent le système de justice pénale. Nous voudrions donc que les victimes participent beaucoup plus qu'elles ne le font maintenant au processus.

Je vous rappelle cependant que la justice au Canada est appliquée de façon individuelle et que nous devons examiner chaque crime et chaque délinquant. Si quelqu'un est condamné à l'emprisonnement à vie, cette peine s'applique pour le reste de sa vie. Une peine d'emprisonnement à vie dure toute la vie, peu importe ce qui arrive.

Certains ne font rien pour changer et ne méritent rien. Cependant, il y en a qui peuvent changer, même s'ils ont fait quelque chose d'horrible. Qui plus est, la peine imposée au délinquant ne dépend pas uniquement des souffrances de la victime. Ce n'est pas ce que nous faisons au Canada, parce que la vengeance et la rétribution n'ont pas leur place dans un système raisonnable de détermination de la peine. Nous croyons qu'il faut faire toutes sortes de choses pour aider les victimes, mais il ne faut pas essayer de relier directement une peine d'emprisonnement à vie et les souffrances des victimes.

M. Ramsay: Je comprends votre raisonnement.

M. Conroy: N'oubliez pas non plus que la Cour suprême du Canada a bien dit que ces révisions judiciaires pour obtenir la libération conditionnelle sont très importantes pour éviter qu'une peine ne contrevienne à l'article 12 de la Charte, qui porte sur les peines cruelles et inusitées. C'est ce qu'a dit la Cour suprême quand la loi relative aux délinquants dangereux a été examinée. C'est important maintenant, et c'était aussi important en 1976, même si la Charte n'existait pas à cette époque. Maintenant qu'elle existe, c'est encore plus important. S'il n'y a pas de révision judiciaire en vue d'accorder la libération conditionnelle, la Cour suprême pourrait décréter que la loi impose une peine cruelle et inusitée.

Il faut donc équilibrer l'intérêt du public et l'intérêt individuel. Quelle meilleure façon de le faire que d'en confier le soin à un jury composé de Canadiens ordinaires qu'on choisit au hasard pour prendre une telle décision? Le jury sera au courant des souffrances de la victime.

Nous sommes bien d'accord pour dire qu'il faudrait faire autre chose pour permettre aux victimes de participer à la révision prévue à l'article 745 si elles le veulent. Cependant, comme vous l'avez dit, bon nombre des victimes ne veulent pas participer au processus du tout. Par ailleurs, chaque fois que le nom d'un délinquant paraît dans le journal, que ce soit à sa propre demande ou que son nom soit mentionné par les médias ou les politiciens, les victimes ressentent la même chose. Le simple fait de voir le nom du délinquant ressuscite le crime. Cela n'arrive pas uniquement à cause des révisions judiciaires faites après que le détenu a purgé 15 années de sa peine.

M. Manson: Puis-je ajouter quelque chose, monsieur Ramsay?

M. Ramsay: Nous n'avons pas tellement de temps.

La présidente: Vous avez posé la question, et vous devez maintenant accepter la réponse.

M. Ramsay: J'ai posé ma question à M. Conroy, et il m'a répondu, mais allez-y.

La présidente: Je vais laisser M. Manson répondre.

M. Manson: Il importe de comprendre que, malgré les opinions tout à fait sincères deMme de Villiers, de Mme Rosenfeldt, de Mme Mahaffy, de M. Sullivan, de Mme Boyd et d'autres, il y a d'autres victimes qui ont des opinions différentes sur la façon dont le système de justice pénale devrait répondre à leurs besoins. La semaine dernière, quand le ministre de la Justice a rencontré les dirigeantes de groupes de femmes nationaux, dont bon nombre travaillent assidûment pour aider les femmes et les enfants qui sont victimes de violence, ces groupes ont tous recommandé qu'on ne modifie pas l'article 745.

.1615

J'ai vu tout récemment un merveilleux documentaire américain intitulé From Fury to Forgiveness, où l'on montrait les différentes réactions de personnes qui ont souffert une perte tragique. À mon avis, même s'il importe de tenir compte de l'avis de chacun, la réforme du système de justice pénale au Canada ne doit pas se laisser mener par l'émotion et les réactions humaines. Il faut que la réforme soit motivée par la raison et la mesure.

Je ne veux cependant pas minimiser le moindrement la douleur de ceux que vous avez mentionnés. J'espère que vous le comprenez.

M. Ramsay: Vous n'avez fait que prendre mon temps de parole.

M. Manson: Je m'en excuse.

La présidente: J'ai l'impression que nous vous reviendrons plus tard.

Nous avons maintenant M. Allmand, qui va très bien se comporter aujourd'hui.

M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Je le promets.

Monsieur Conroy et monsieur Manson, ce qui m'inquiète beaucoup, c'est le processus par lequel le juge évaluera les demandes des détenus. Vous pourriez peut-être me dire dans votre réponse s'il y a d'autres cas où les juges font un examen de ce genre.

Je voudrais d'abord savoir dans quelle mesure il s'agit d'un processus judiciaire lorsque le juge examine l'affidavit. Pensez-vous que les avocats pourraient demander qu'il y ait un contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit? Si l'on autorisait un tel contre-interrogatoire, ce ne serait plus simplement un examen documentaire suivi d'arguments.

Je voudrais aussi savoir si vous pensez que la Couronne ou les avocats du demandeur pourraient interjeter appel à ce sujet. Si le juge permet au demandeur de passer devant un jury, la Couronne ne pourrait-elle pas en appeler de sa décision et dire que le juge a mal interprété l'affidavit? Je peux entrevoir toutes sortes d'arguments de la part des avocats.

J'en discutais avec certains de mes collègues, et, d'après nous, ce qui se rapprocherait le plus d'un tel processus juridique, ce serait les demandes de libération sous caution appuyées par des affidavits. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Cette procédure serait-elle la même que la procédure pour les demandes de libération sous caution au sujet desquelles les décisions sont rendues en fonction de preuves documentaires?

C'est ma première question.

M. Conroy: Si mon collègue veut répondre à votre question au sujet de la libération sous caution, je répondrai à la première partie de la question. Si quelqu'un pense que les avocats vont simplement accepter cette façon de faire les choses dans le cas d'une audience qui peut avoir des conséquences pour la liberté des gens, je peux vous dire que les avocats...

M. Allmand: Des deux côtés.

M. Conroy: ...les avocats des deux côtés, surtout ceux du demandeur au départ, vont se pencher très sérieusement sur le processus de sélection pour voir s'il se conforme aux principes énoncés à l'article 7 de la Charte, par exemple le principe de la justice fondamentale, parce que c'est la liberté des gens qui est en cause.

Je pense que ce que vous dites au sujet de l'affidavit est tout à fait exact. N'oublions pas que l'affidavit viendra présumément du demandeur lui-même et contiendra le plus de détails possible et peut-être aussi des déclarations sous forme d'affidavits faits par des gens qui pourraient témoigner plus tard, y compris des témoins professionnels comme des psychiatres ou des psychologues. Il y aura peut-être aussi des déclarations de ce genre dans les documents de la Couronne, mais c'est difficile de le savoir d'avance. J'ai cependant l'impression que si une question de fait est contestée, les avocats voudront pouvoir faire un contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit.

Chaque fois que quelqu'un doit prendre une décision basée uniquement sur des preuves documentaires sans qu'on puisse avoir d'interrogatoire et de contre-interrogatoire, si un fait est contesté et si la crédibilité de l'affidavit est contestée, l'interrogatoire est la seule façon de déterminer la crédibilité. On ne peut pas le faire uniquement sur papier. Cela posera donc un problème.

Il y aura un problème énorme relativement aux appels. Le détenu ou le demandeur dont la demande sera rejetée va certainement interjeter appel. Le contraire pourrait aussi se produire, puisque la Couronne pourrait interjeter appel. Avant d'en arriver en dernière instance, il faudra bien du temps avant qu'une décision finale soit rendue et que le détenu puisse demander sa libération conditionnelle.

Cela va être plus coûteux pour le système judiciaire et les services d'aide juridique parce que la plupart de ceux qui ont passé de telles périodes en prison vont demander l'aide juridique. Ils n'auront pas d'argent pour présenter leur demande. Ce processus ajoutera toutes sortes d'étapes supplémentaires à ce qui existe maintenant, et tout cela va augmenter les coûts.

Je vais laisser Alan répondre à la question au sujet de la libération sous caution.

.1620

M. Manson: Il importe de noter que, au nouveau paragraphe 745.2(1), on dit que la cour d'appel pourra trancher sur toute question de droit ou de fait ou une combinaison des deux. Dans les autres dispositions, cependant, il n'est pas question d'affidavits. Il n'est pas question de documents attestés sous serment, mais uniquement de textes écrits.

Selon moi, vous avez soulevé un point très important. En Ontario, le détenu présente sa demande et jure que l'affidavit contenant le détail de la demande dit la vérité. J'ignore ce qui se fait dans les autres provinces. Chaque province et chaque territoire a ses propres règles. Dans le cas de l'article 745, on n'exige pas de documents attestés sous serment. L'article ne parle que de documents écrits. Il est assez étrange qu'on n'exige pas de documents attestés sous serment.

Si les règles provinciales exigent des affidavits, comme je pense qu'elles le feront certainement, il y aura un contre-interrogatoire. Vous avez tout à fait raison.

M. Allmand: Si ces documents ne sont pas attestés sous serment, il me semble bien évident que l'avocat de la Couronne voudra un contre-interrogatoire pour vérifier la véracité des documents et des déclarations.

M. Manson: En effet. Et si vous nous demandez s'il existe une procédure du même genre dans d'autres cas, je vous répondrai que celle qui se rapproche le plus de celle-ci se retrouve au civil, où l'on peut présenter une requête demandant le rejet de l'action si aucune preuve n'est fournie que celle-ci est fondée. Une telle requête s'appuie sur des affidavits et des arguments oraux avant l'audition des témoignages. Ce critère se rapprocherait de celui dont nous parlions tantôt, où il n'y a aucune chance de succès. C'est vraiment un critère minimal, mais c'est ce qui se rapprocherait le plus de cette situation à mon avis.

M. Allmand: Selon vous, les demandes de libération sous caution ne sont pas vraiment comparables.

M. Manson: Lors d'une audience pour accorder une libération sous caution, le juge entend des témoignages oraux. Dans certains cas, on examine la demande uniquement en fonction de documents, mais de telles audiences sont...

M. Allmand: Très bien, je passe à ma question suivante. Vous dites que, vu que vous ne pouvez même pas présenter une demande à l'heure actuelle avant que 15 ans ne se soient écoulés, il faut d'habitude encore un an avant que le cas ne soit examiné par un jury. Je suis au courant d'un cas que j'ai suivi il y a deux ans, à l'été 1994, où la période d'inadmissibilité a été réduite à 15 ans, alors qu'on était déjà dans la 16e année de la peine, et ce cas n'a toujours pas été entendu par la Commission des libérations conditionnelles.

Vu que vous vous êtes occupé de cas de ce genre, pourriez-vous dire combien de temps ils prennent d'après vous?

En sommes-nous maintenant à la 18e année de la peine? Le détenu en est maintenant à la 18e ou à la 19e année de sa peine, même si le jury a réduit la période d'inadmissibilité à 15 ans. Le détenu n'a toujours pas passé devant la Commission des libérations conditionnelles.

En moyenne, combien de temps avez-vous constaté qu'il fallait avant qu'un cas de ce genre soit présenté à la commission? J'ajoute aussi, parce qu'on l'oublie souvent, que même si 79 p. 100 de ceux qui ont présenté une demande ont obtenu une réduction quelconque de leur période d'inadmissibilité, seulement 17 de ces 50 détenus ont obtenu leur libération conditionnelle totale. Je voudrais savoir après combien d'années ces cas sont examinés par la commission.

M. Conroy: Et, d'après les chiffres donnés sur la feuille de renseignements, cinq cas n'ont toujours pas été examinés.

Je pense que la première chose sur laquelle il faut insister de nouveau, c'est que le détenu peut présenter une demande dès qu'il a purgé 15 années de sa peine. S'il n'a pas les services d'un avocat, ce qui arrive parfois, un avocat ira le voir et lui dira peut-être qu'il n'obtiendra probablement pas de réduction et proposera que l'audience soit ajournée pour attendre que le détenu ait purgé 17, 18, 19 ou 20 années de sa peine, quand nous jugeons que la demande pourrait être acceptée.

Prenons un cas où le jury a réduit la période d'inadmissibilité. Dans la plupart des cas dont je me suis occupé, on a obtenu une réduction de la période d'inadmissibilité à 17, 18, 19, 20 ans pour les détenus déclarés coupables d'avoir tué un policier. En Colombie-Britannique, nous ne sommes jamais allés devant un jury avant que le détenu ait purgé 19 ou 20 années de sa peine, même s'il était admissible à la semi-liberté trois années plus tôt.

Dans chacun de ces cas, et pour les cinq dont je me suis occupé... le premier vient tout juste - et son cas a été entendu il y a cinq ou six ans - de commencer à sortir sans surveillance, puisqu'il n'en a obtenu l'autorisation que cette semaine.

M. Allmand: Ce que je voulais signaler, c'est que l'on oublie qu'il peut se passer pas mal de temps entre le moment où le juge et le jury rendent leur décision et la date de l'audience devant la Commission des libérations conditionnelles.

M. Conroy: Je dirais qu'il se passe en moyenne de six à huit mois en Colombie-Britannique, mais il s'agit de permissions de sortir avec surveillance, et non pas d'une libération conditionnelle. Le détenu serait admissible à la libération conditionnelle, mais la commission envisage uniquement des permissions de sortir avec surveillance.

Comme je l'ai dit, le premier détenu dont je me suis occupé il y a au moins cinq ou six ans a l'autorisation de sortir avec surveillance depuis un an et demi, je pense, et vient tout juste d'obtenir la permission de sortir brièvement sans surveillance, mais dans des conditions très structurées et très bien appliquées. Il n'a toujours pas eu sa libération conditionnelle. Aucun des cinq ou six dont je me suis occupé ne l'a obtenue jusqu'ici.

Je me suis occupé d'un détenu qui avait commis un meurtre au deuxième degré. Il importe de se rappeler que cet article s'applique aussi aux détenus trouvés coupables d'un meurtre au deuxième degré si leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle dépasse 15 ans. Je me suis donc occupé d'un détenu trouvé coupable d'un meurtre au deuxième degré qui a obtenu sa libération conditionnelle, mais aucun des détenus qui ont été trouvés coupables d'un meurtre au premier degré n'a obtenu sa libération conditionnelle. Ils ont seulement l'autorisation de sortir avec ou sans surveillance.

.1625

M. Manson: Je peux vous donner l'exemple d'un détenu dont je me suis occupé au printemps 1994 et qui était probablement l'un des meilleurs candidats à pouvoir profiter des dispositions de l'article 745 à passer devant un jury. Le jury l'a tout de suite déclaré admissible. À ce moment-là, il pouvait déjà s'absenter de l'établissement correctionnel 80 heures par trimestre, avec l'approbation de l'établissement et de la Commission des libérations conditionnelles. Il devait encore demander la semi-liberté et la libération conditionnelle totale, et il lui a fallu presque un an et demi avant d'obtenir sa libération conditionnelle totale après l'audience tenue aux termes de l'article 745.

C'était un très bon candidat. Les mauvaises demandes sont refusées. Vous pouvez voir d'après les chiffres que la Commission des libérations conditionnelles a refusé d'accéder à la demande de six personnes pour lesquelles un jury avait recommandé une réduction de la période d'inadmissibilité.

M. Allmand: Ce qu'il faut retenir, c'est que personne n'est libéré après seulement 15 ans.

M. Conroy: Non, certainement pas. Vous savez peut-être que, selon la loi, la Commission des libérations conditionnelles n'a pas compétence en matière de permissions de sortir avec surveillance, mais tient quand même des audiences à ce sujet. Ces audiences servent de moyen de contrôle supplémentaire, même si la commission n'a pas compétence en la matière.

M. Allmand: J'ai quelques autres questions à poser.

La présidente: Merci, monsieur Allmand. Vous aurez un autre tour plus tard.

M. Allmand: Je ne veux pas mal me comporter.

La présidente: Vous faites très bien jusqu'ici.

M. Conroy: Nous vous donnerons une révision en 15 minutes.

La présidente: Monsieur Langlois. Pas de questions. Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Merci de me redonner la parole aussi rapidement.

Bien sûr, vous faites beaucoup confiance au système des libérations conditionnelles, mais à mon avis cela reflète une certaine insensibilité de votre part à la perte de vies humaines.

L'année dernière, 15 personnes ont été tuées par d'anciens détenus libérés avant d'avoir purgé toute leur peine. Apparemment, sept de ces détenus avaient été libérés par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Quinze autres détenus libérés avant d'avoir purgé toute leur peine ont fait une tentative de meurtre... 22 ont commis une agression sexuelle, 21 des voies de fait graves et 71 un vol à main armée. Depuis 1987, d'anciens détenus libérés d'une façon ou d'une autre avant d'avoir purgé toute leur peine ont tué 206 personnes et essayé d'en tuer 162 autres.

Selon moi, on est de plus en plus insensible à la perte de vies humaines. Comme le directeur de la prison des femmes à Edmonton le disait lui-même après qu'une détenue a perdu la vie à cause d'un meurtre ou d'un suicide - et cela a bien l'air d'un meurtre - on met le système à l'essai, et ce sont des choses qui arrivent.

Si 15 personnes mouraient, non pas à cause d'un meurtre, mais simplement à cause de décisions prises directement ou indirectement par un organisme, une entreprise ou une agence quelconque au Canada, il y a des têtes qui tomberaient. Et s'il s'agissait d'un organisme fédéral, ce serait une honte nationale. Pourtant, les gens comme vous ne se plaignent pas dans de tels cas, alors que vous devriez vous préoccuper beaucoup de toutes ces questions.

Après avoir fait cette observation, je voudrais parler de la confiance que vous faites au jury. Certaines des plus graves erreurs judiciaires commises au Canada sont imputables aux décisions d'un jury.

Il y a l'affaire Donald Marshall, l'affaire Wilson Nepoose, et bien d'autres. J'ai toute une pile de dossiers sur mon bureau qui me viennent de détenus prétendant la même chose et disant qu'ils sont innocents et qu'il s'agit d'une erreur judiciaire.

Les jurys font un excellent travail si on leur présente les renseignements nécessaires et s'ils ont la vérité sous les yeux. Ils se trompent rarement, sinon jamais. Mais le fait est que la vérité se fait diluer par les forces de l'ordre, les procureurs de la Couronne, et par les avocats de la défense dans certains cas. Pour une raison ou une autre, il leur arrive parfois de ne pas présenter les faits dont ils disposent et qui pourraient aider leur propre client.

Il me semble que l'argument selon lequel on doit faire confiance aux jurys est très difficile à soutenir, surtout dans le cas des audiences tenues aux termes de l'article 745. Je n'ai jamais assisté à de telles audiences, mais, d'après ce qu'on me dit, il y a de fortes probabilités que l'on ne donne pas aux jurys tous les renseignements pertinents sur lesquels ils pourraient fonder une décision équitable.

Qu'en pensez-vous?

.1630

M. Conroy: Je ne suis vraiment pas d'accord avec vous. À mon avis, le jury est le dernier mécanisme vraiment indépendant de prise de décisions qui existe dans notre société. Je suis dans la même situation que vous. Vous recevez sans doute la plupart de vos renseignements des médias, du reportage de 10 secondes, du journal, d'histoires que d'autres vous racontent, etc., plutôt que des preuves qui peuvent être présentées à propos d'un cas quelconque selon les règles de la preuve lors d'un procès devant un jury.

M. Ramsay: Non, non. N'essayez pas de deviner d'où je tiens mes renseignements, monsieur Conroy.

M. Conroy: La plupart des renseignements qui viennent de gens voulant modifier le système de justice pénale proviennent de ces sources.

Pour ces révisions faites après 15 ans, une des choses les plus intéressantes est la réaction des jurés après coup. Ils viennent nous voir pour nous dire qu'ils ne savaient absolument pas que le système des prisons fonctionnait de cette façon ou que le système de libération conditionnelle fonctionnait ainsi. Ils tiraient leurs renseignements des journaux ou de la télévision et n'étaient tout simplement pas au courant. Ils ont donc beaucoup appris lorsque les responsables des prisons, les avocats de la Couronne, leur ont appris comment cela fonctionnait.

Habituellement, c'est la première fois qu'ils sont jurés. Ils ne sont pas soumis aux pressions des médias comme les juges, en particulier aujourd'hui. S'il s'agit d'un cas controversé et que l'on est juge, on se retrouve avec des manifestants devant le tribunal et des gens qui crient et hurlent devant les médias pour essayer d'influencer le juge d'une façon ou d'une autre. On ne peut pas faire cela aux jurés, car ils sont inconnus. Ils sont anonymes et ont simplement été choisis au hasard; ils prennent les choses au sérieux; ils suivent les instructions du juge et se font dire de ne pas s'occuper des médias ni de tout ce qui ne fait pas partie des témoignages qu'ils entendent.

M. Ramsay: Ils agissent simplement en fonction des renseignements qu'on leur donne.

M. Conroy: En effet, c'est-à-dire des preuves et des témoignages admissibles aux termes de la loi, monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Et si cela est incomplet, comment peuvent-ils parvenir à une décision appropriée?

M. Conroy: Si les preuves et les témoignages ne sont pas fiables ou ne sont pas admissibles pour une raison ou une autre, ils ne devraient pas être présentés aux jurés. La Couronne est là pour représenter le peuple.

M. Ramsay: Mais ce n'est pas là la question.

M. Conroy: Si la Couronne fait erreur et ne présente pas les éléments voulus, elle doit être tenue comptable de ses actes et critiquée.

M. Ramsay: Comment en arrive-t-on à cela? Par la procédure prévue à l'article 745?

M. Conroy: Non, il ne s'agit pas de l'article 745. C'est en fait à des gens comme vous d'attirer l'attention du procureur général.

La présidente: Monsieur Ramsay, nous ne pouvons avoir de conversations privées, etM. Allmand aimerait lui aussi poser des questions.

Cinq minutes. Je vous accorde des minutes Ramsay.

M. Allmand: Merci.

J'ai été intéressé par ce que vous avez dit à propos de l'unanimité du jury et du fait que cela peut mener à des récusations motivées. Dans le système actuel, est-ce utilisé souvent? Dans la formation d'un jury, fait-on souvent face aux problèmes de récusation motivée?

M. Manson: Je puis vous dire que je connais un cas, et un seul, de récusation motivée. C'était en Ontario; j'y ai fait allusion tout à l'heure. C'est parce qu'il y avait eu une publicité particulière dans les dix jours précédant le début de l'audience.

Il y a un certain nombre de décisions de cours d'appel qui ont porté sur la question du seuil habituel pour la récusation motivée.

Nous estimons que si l'on exige l'unanimité, tous les avocats présenteront des demandes de récusation motivée. Ce n'est pas forcément mauvais, mais ce sera un élément essentiel pour s'assurer que tous les membres du jury respectent le processus et n'essaieront pas de s'y opposer. Cela allongera les audiences.

Je ne suis pas opposé aux récusations motivées dans une situation où on a lieu de s'inquiéter, mais je trouve tout à fait inhabituel que l'on adopte une loi qui prévoit dès le début ce motif d'inquiétude.

M. Allmand: Oui, monsieur Conroy.

M. Conroy: En Colombie-Britannique, je crois que nous n'avons eu qu'un cas de récusation motivée complète, et il nous a fallu deux semaines pour sélectionner le jury. Il s'agissait du fameux «Squamish five», et le juge a déclaré qu'il n'autoriserait plus jamais de récusation motivée.

Dans ces révisions faites après 15 ans et dans les procès pour meurtre en général, j'ai constaté que les juges hésitent beaucoup en Colombie-Britannique à nous permettre de suivre le processus du Code criminel, qui est unique en son genre, à savoir que les jurés choisissent le juré suivant, etc.

Habituellement, donc, on se contente de faire une déclaration générale devant l'ensemble du groupe avant même que les noms soient tirés. Dans un cas de libération conditionnelle, la pratique serait de demander à ceux qui ont une opinion arrêtée dans un sens ou dans l'autre, sur la libération conditionnelle ou sur les meurtres au premier degré, ou ce genre de choses, de nous le dire quand ils se présentent, de sorte que nous n'ayons pas parmi les jurés quelqu'un qui pense que la révision aux termes de l'article 745 ne devrait pas exister et que l'on devrait appliquer la peine de mort. C'est insulter le Parlement que de dire que l'on n'est pas d'accord et que l'on préfère l'autre système.

.1635

M. Allmand: Mais vous dites que ce juge en Colombie-Britannique a dit qu'il ne tolérerait plus cela.

M. Conroy: C'est parce que cela a pris du temps.

M. Manson: Il ne s'agissait pas d'un cas aux termes de l'article 745.

M. Conroy: Non, en effet.

M. Manson: Il s'agissait d'un procès au criminel.

M. Allmand: Bien, très bien. Mais vous dites qu'avec ce changement, si l'on exige que le jury soit unanime, vous supposez et je suppose aussi que dans chaque cas il y aura récusation motivée. Un juge ne pourra jamais empêcher cela.

M. Conroy: Les juges hésiteront, mais étant donné la façon dont cela est structuré, nous pensons qu'il sera difficile aux juges de d'y opposer. Et nous espérons en tout cas que les tribunaux supérieurs déclareront que dans ce genre de cas et de circonstances, ce devrait être autorisé.

M. Allmand: Le fait est que 42 p. 100 seulement ont fait une demande. Ces statistiques peuvent sembler assez incroyables. On pourrait supposer que tout le monde présenterait une demande à l'approche des 15 ans.

Vous nous avez l'un et l'autre indiqué que vous conseillez parfois aux intéressés, s'ils n'ont aucune chance, de ne pas même présenter de demande.

J'en ai parlé à certaines personnes. Au Québec, je sais qu'une aide juridique est à la disposition de ceux qui présentent une demande, et il y a plus de demandes au Québec que dans toute autre province, plus de réductions... et, également, moins d'opposition à l'article 745 que dans toute autre province. C'est dans la province où l'on y a eu le plus souvent recours qu'il y a le moins de manifestations, de pétitions ou de mouvements, etc., visant à l'éliminer.

Je sais que vous venez de provinces différentes, mais vous représentez l'Association du Barreau canadien. Pourriez-vous nous dire quelles provinces offrent une aide juridique à ceux qui veulent présenter de telles demandes? Je ne crois pas que l'Ontario le fasse. Je ne sais pas si c'est vrai ou faux.

M. Conroy: Je crois que toutes les provinces le font, mais elles essaient toutes actuellement de déterminer si l'on devrait considérer le bien-fondé des demandes. Autrement dit, les sociétés de services juridiques devraient-elles examiner tout d'abord le bien-fondé des demandes, présélectionner les cas pour limiter les coûts?

M. Allmand: Mais, à l'heure actuelle, toutes les provinces offrent une aide juridique.

M. Conroy: Je le crois.

M. Allmand: J'ai reçu des lettres de détenus me disant qu'ils ne peuvent obtenir d'aide juridique pour ce genre de choses.

M. Conroy: De quelles provinces?

M. Allmand: Il faudrait que je vérifie dans ma correspondance. Cela m'a été dit par d'autres travailleurs sociaux et des gens qui travaillent dans des organismes bénévoles pour essayer d'aider les détenus.

M. Conroy: Ce qui arrive souvent, c'est que nous avons des prisonniers d'autres provinces. Par exemple, nous avons beaucoup de détenus condamnés pour meurtre au premier ou au deuxième degré en Colombie-Britannique. Ils font une demande en Colombie-Britannique, puis il y a des communications avec l'aide juridique en Ontario, et l'on parvient à une certaine entente de réciprocité.

M. Allmand: Il faut que ce soit dans la province.

M. Conroy: Mais une bonne partie du travail préparatoire et tous les témoins se trouvent souvent dans la province où la personne est en prison, si bien que l'on essaie ensuite de faire quelque chose parce que l'audience doit se tenir dans la province où a été commis le meurtre. Donc, dans certains cas, nous avons utilisé des bandes vidéo et autre chose de ce genre pour essayer de minimiser les coûts en ne faisant pas venir tout le monde.

Je sais que les sociétés d'aide juridique discutent de tout cela et envisagent de partager les coûts lorsque la personne se trouve dans une autre province. Je crois donc que les intéressés peuvent ainsi être aidés. Je suis surpris de vous entendre dire que ce n'est pas le cas parce que c'est traité comme une audience de meurtre au premier degré.

M. Allmand: Peut-être qu'ils parlaient de ces coûts.

M. Manson: Il y a des compressions budgétaires dans tout le pays, et les programmes d'aide juridique ont été considérablement réduits partout. Quand il y a des questions de coûts hors de la province, ce dont parle John, et qu'il y a quelqu'un qui a passé les 15 dernières années en prison en Colombie-Britannique, on le renvoie en Ontario pour les audiences, mais le travail préparatoire doit être fait par des agents en Colombie-Britannique. Les programmes d'aide juridique commencent à beaucoup hésiter à payer ces coûts hors de la province. Ce n'est pas la même chose que de payer les frais d'avocat à l'audience, mais comme tous ceux qui ont exercé le droit le savent, si la cause n'a pas été bien préparée, cela ne sert à rien.

M. Conroy: Si je prépare la cause, ils ne m'enverront pas en Ontario la défendre; c'est l'avocat en Ontario qui devra le faire.

La présidente: Merci. Monsieur Langlois. Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: J'aimerais vous demander votre avis sur ce qui vous semble être une diminution des peines prévues au Code criminel.

La contrefaçon et l'emploi de documents contrefaits appellent une peine maximum de 14 ans. Autrefois, l'introduction par effraction dans un dessein criminel entraînait une peine d'emprisonnement à perpétuité. Les relations sexuelles avec une personne de sexe féminin de moins de 14 ans entraînaient l'emprisonnement à perpétuité. Il y a un certain nombre d'infractions au Code criminel qui se rapprochent beaucoup de la période de 15 ans.

.1640

Je ne sais pas si vous avez examiné le projet de loi C-17. Il prévoit de réduire certains de ces actes criminels à une procédure sommaire aussi. Le maximum de 14 ans serait réduit à 10 ans sur déclaration de culpabilité. Avez-vous l'impression que l'on diminue les peines en général?

M. Conroy: Non, mais je demanderais à Alan de répondre.

M. Manson: Une des raisons pour lesquelles on crée ces nouvelles déclarations de culpabilité par procédure sommaire assorties de peine maximum de 18 mois plutôt que de six, c'est que l'on veut permettre aux avocats du ministère public de s'occuper plus rapidement de questions plus graves au lieu de devoir passer par les étapes de l'enquête préliminaire et du procès avec jury. L'agression sexuelle, par exemple...

M. Ramsay: Je comprends bien le raisonnement, mais ce n'est pas ma question.

M. Manson: Pour répondre à votre question, je ne suis pas du tout d'accord avec vous. Si vous considérez le nombre d'années, d'années-personnes, qui sont passées en prison au Canada, il y en a tous les ans de plus en plus. La population des prisons augmente chaque année, alors que le taux de criminalité, notamment le nombre de crimes violents, diminue. Parlons par exemple des meurtres.

M. Ramsay: D'accord, mais est-ce là la question?

M. Manson: Nous parlons ici de meurtres. Il y a une minute, vous donniez certains chiffres, et je voulais vous dire que, en 1994, le nombre de meurtres était le plus faible que l'on ait connu depuis 25 ans au Canada.

M. Ramsay: Combien cela faisait-il?

M. Manson: Cinq cent quatre-vingt-seize. Cela fait...

M. Ramsay: Cela vous réconforte-t-il?

M. Manson: Monsieur Ramsay...

M. Ramsay: Vous trouvez cela réconfortant? Pas moi.

M. Manson: Je trouve réconfortant que le nombre de crimes violents diminue, oui.

Je ne suis pas venu ici pour me faire harceler, monsieur Ramsay. Si vous voulez m'écouter, laissez-moi parler.

M. Ramsay: Je suis désolé si je vous harcelle. Continuez.

M. Manson: La question n'est pas de savoir si cela me réconforte.

Un autre chiffre important est celui des taux de succès ou d'échec des personnes condamnées pour meurtre qui ont bénéficié d'une libération conditionnelle. Le SCC a fait une étude de 15 ans de tous ces condamnés relâchés entre 1975 et 1990. Dans tout ce groupe, il y a eu cinq meurtres. C'est une fraction de 1 p. 100. Le nombre d'infractions criminelles contre la personne est de 2,79 p. 100.

M. Ramsay: Vous voyez, la question n'est pas de savoir combien il y a de personnes qui ont commis des meurtres au premier degré. Il faut savoir qu'est-ce qui est une peine juste et équitable pour le meurtre planifié et délibéré d'une personne innocente.

M. Manson: La peine est l'emprisonnement à perpétuité. Ces gens-là sont contrôlés par l'État à vie. C'est la peine la plus sévère de notre système, et c'est très sérieux.

M. Ramsay: La question de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle avant 25 ans peut-elle être contestée en vertu de la Constitution?

M. Manson: Je crois que M. Conroy y a fait allusion. Notre Cour suprême a déjà indiqué lorsqu'elle a validé à la fois la peine pour meurtre au premier degré et d'autres peines indéterminées...

M. Ramsay: Pourquoi pensez-vous que ce soit toujours là?

M. Manson: Permettez-moi de finir. Je dis que lorsque la Cour suprême a validé...

M. Ramsay: [Inaudible-L'éditeur]

M. Manson: Laissez-moi finir, s'il vous plaît.

Lorsqu'elle a déclaré que ces deux types de peines étaient constitutionnelles, elle a tenu compte de l'article 745 et de la possibilité d'une solution sur mesure. Si l'on abandonne cela, il pourrait y avoir des contestations aux termes de la Constitution pour les peines prévues dans les cas de meurtre au premier et au deuxième degré par suite du jugement de la Cour suprême dans l'affaire Luxton et l'affaire Lyons.

Ce n'est pas plus difficile que cela. Tout avocat pourrait présenter cet argument si le Parlement décidait d'abroger l'article 745. Ne soyons pas naïfs. C'est la réalité constitutionnelle, que cela vous réconforte ou non.

La présidente: Monsieur Ramsay, je suis désolée. Mon père disait toujours: on paie et on prend un risque. Quand on pose une question, on reçoit une réponse. C'est ce qui arrive quand on pose des questions.

Je vous remercie tous de votre participation. Pour une fois, c'est M. Ramsay qui a eu le dernier mot. Nous passons à nos témoins suivants. Merci beaucoup.

Nous allons prendre quelques minutes de pause pour permettre aux témoins de s'installer.

.1644

.1648

La présidente: Je tiens à souhaiter la bienvenue aux représentants du Barreau du Québec,M. Giuseppe Battista et M. Michel Marchand.

Je vais vous signaler une chose. Vers 17 h 30, ce sera la pagaille parce que le timbre va commencer à retentir pour que nous allions voter à 17 h 45. Nous essaierons donc de siéger aussi longtemps que possible. Commencez et faites vos exposés, et nous passerons ensuite aux questions.

M. Giuseppe Battista (Association des avocats de la défense de Montréal): Je ferai un bref exposé. Michel Marchand vous parlera au nom du Barreau du Québec. Je suis ici au nom de l'Association des avocats de la défense de Montréal. Nous connaissons très bien les positions du Barreau du Québec, si bien que je passerai après M. Marchand.

[Français]

M. Michel Marchand (Barreau du Québec): Je représente ici aujourd'hui le Barreau du Québec.

Nous tenons tout d'abord à nous excuser de ne pas avoir présenté de mémoire, mais les délais étaient relativement courts. Quant à moi, je n'ai été avisé qu'en fin de journée vendredi; dans ce court délai, nous n'avons pu produire un mémoire, mais nous aurions bien aimé le faire.

Je viens vous faire part de la position du Barreau, qui regroupe les 16 000 avocats et avocates qui pratiquent dans la province de Québec.

.1650

La position que je présenterai aujourd'hui est celle qu'a prise le Comité permanent du Barreau du Québec en droit criminel. Le Barreau du Québec a plusieurs comités, dont un comité en matière criminelle qui siège de façon permanente et regroupe une quinzaine d'avocats, dont des procureurs de la Couronne, des avocats de la défense, des professeurs d'université et même un avocat représentant les policiers. Ce comité représente à peu près toutes les tendances au niveau du Barreau. Il a adopté une position unanime relativement au projet de loi qu'étudie le Parlement.

Au nom du Barreau du Québec, nous vous remercions de nous avoir invités. Fondamentalement, le projet de loi C-45 propose trois grands changements.

Premièrement, le projet de loi prévoit que la personne déclarée coupable de plus d'un meurtre ne puisse plus demander une révision judiciaire, comme c'est le cas actuellement. Il prévoit également un processus de sélection qui n'implique qu'une preuve documentaire; on ne fait même pas allusion à une audition.

De plus, le projet de loi stipule qu'on va non seulement se fonder sur la preuve documentaire, comme je viens de le mentionner, mais qu'il faudra également une preuve prépondérante et qu'il faudra convaincre le juge d'une possibilité réelle. C'est là une position assez rigide, assez dure.

On modifierait également la loi actuelle en exigeant que les jurés soient unanimes sur la décision initiale d'accorder ou de rejeter la demande.

Ces trois changements majeurs touchent le coeur même de la loi, et le Barreau du Québec est fondamentalement opposé aux amendements proposés dans ce projet de loi.

Tout comme les membres du comité, j'ai pris connaissance de documents émanant du cabinet du ministre de la Justice qui disaient que ce projet de loi faisait suite à des préoccupations exprimées par des groupes de pression. Ces mêmes documents ne faisaient pas état, au point de vue statistique, de problèmes urgents justifiant une modification de cette loi.

Il ne faut pas perdre de vue que la loi telle qu'elle existe, comme nous le confirment les documents qui nous ont été remis, visait fondamentalement trois buts: offrir un espoir de réadaptation aux personnes trouvées coupables de meurtre, assurer la protection des gardiens de prison et reconnaître que dans certains cas, l'incarcération n'est plus requise.

Si ce projet de loi est adopté, je pense que nous devrons oublier les préoccupations qui existaient au départ, au moment de la rédaction de la loi, parce qu'on en fait abstraction en grande partie dans l'actuel projet de loi.

Selon nous, les amendements proposés constituent vraiment une marque de non-confiance à l'égard de l'institution du jury, cette très belle institution. Nous avons recours à 12 citoyens indépendants qui jugent à la lumière des directives adéquates qu'ils ont reçues. Ce sont des représentants de la communauté. Ce projet de loi constitue une marque de non-confiance par rapport à l'institution.

Fondamentalement, ce projet de loi manifeste une peur face à ce qu'un jury raisonnablement instruit pourra décider après avoir entendu l'ensemble de la preuve. Les statistiques démontrent clairement que la majorité des demandes ont été accueillies par les jurys. On réagit en proposant un projet de loi afin que moins de jurys puissent se prononcer sur ces cas-là à l'avenir.

.1655

Nous trouvons paradoxal que l'on se propose de céder devant des groupes de pression composés de citoyens qui veulent enlever des pouvoirs à des jurys également composés de citoyens, mais de citoyens choisis au hasard dans la société, venant de tous les milieux et représentant toute la société. À la suite des pressions, on veut enlever ce pouvoir aux jurys.

Pour nous, il s'agit d'un défaut important du projet de loi. En effet, on veut faire en sorte que les citoyens, qui sont représentés par les jurys, ne puissent plus décider au cas par cas de l'opportunité de réduire ou non le délai préalable à la libération conditionnelle.

Si ce projet de loi est adopté, il faudra convaincre le juge, qui est un professionnel du droit, mais qui n'est quand même pas un jury ou une personne «ordinaire». On veut filtrer cette décision par l'entremise d'un juge.

Finalement, il n'y aura pas d'audition puisqu'il n'y aura qu'une preuve documentaire. Quand on lit le projet de loi et qu'on regarde ce qui est proposé en anglais, il est clair que l'on parle de documentation écrite. Donc, il n'y a pas véritablement d'audition.

D'autre part, le juge va pouvoir dire à l'accusé qui aura purgé 15 ans de sa peine qu'il refuse parce que les documents qu'il aura lus ne l'auront pas convaincu. Il pourra dire à l'accusé que, puisqu'il n'a pas de preuve prépondérante, un jury ne saurait être convaincu du bien-fondé de sa demande. Par conséquent, il refuse sa demande et lui dit de revenir 10 ans plus tard. Nous trouvons que tout cela est excessif.

En plus, on doit constater que le projet de loi propose un droit d'appel de cette décision préliminaire. Ce qui est un peu paradoxal, c'est qu'on donne à la Couronne le pouvoir d'en appeler sur des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait, alors que normalement, la Couronne a le droit d'en appeler sur des questions de droit et non sur des questions de fait ou des questions mixtes. On donne encore plus de pouvoirs au niveau de l'appel pour s'assurer qu'il y ait le moins de demandes possible qui aillent devant un jury.

Ce projet de loi propose également qu'une personne trouvée coupable de plus d'un meurtre soit écartée du processus de révision. Dans les journaux ou à la radio, on a dit: «Le Parlement propose un projet de loi contre les meurtriers en série». J'ai donc pensé, logiquement, qu'on voulait faire en sorte qu'une personne ayant commis trois, quatre, cinq ou six meurtres, un meurtrier en série commeM. Olson, ne puisse pas bénéficier d'une libération conditionnelle. Je me suis dit que ce n'était peut-être pas une mauvaise chose.

Mais quand on regarde le projet de loi, on se rend compte que ce n'est pas cela du tout. La loi dit qu'à partir du moment où une personne aura été trouvée coupable de deux meurtres, elle ne pourra plus demander de révision judiciaire. On ne dit pas que les deux meurtres doivent avoir été commis des jours différents. Donc, la personne qui commettra deux meurtres la même journée, avec le même motif criminel, pourra, selon ce qui est écrit dans ce projet de loi, se voir refuser une demande de révision judiciaire.

Il y a des cas célèbres, comme le cas Lortie au Québec, qui se qualifieraient peut-être au sens de cet article. Dans ce cas, la personne a plaidé coupable de meurtre au deuxième degré. Actuellement, il ne pourrait plus bénéficier d'un processus comme celui-là, alors qu'il a pu en bénéficier et ne semble pas avoir de problèmes particuliers à vivre en société. C'est ce que le projet de loi va faire.

Une avocate me racontait un cas où un jury, au Québec, avait accepté une révision judiciaire alors que la personne avait commis deux meurtres. Il y a d'abord eu un meurtre pour lequel la personne a été incarcérée, et ensuite, pendant qu'elle était détenue au pénitencier, elle s'est trouvée au coeur d'une rixe avec des codétenus et elle a été reconnue coupable d'un deuxième meurtre bien qu'elle ait plaidé la légitime défense. Cette personne s'est présentée devant un jury, il y a environ un an ou deux au Québec, et elle obtenu la libération conditionnelle; c'est-à-dire qu'elle a obtenu de demander la révision judiciaire. L'avocate m'a dit qu'après l'audition, les jurés voulaient rencontrer l'accusé parce qu'ils avaient été vraiment impressionnés par la preuve qui avait été faite.

.1700

Il faut donc être conscient qu'avec une loi comme celle qui est proposée, des cas comme celui-ci ne pourront plus se reproduire.

D'autre part, il y a la règle de l'unanimité. On dit maintenant qu'il va falloir qu'un jury soit unanime quant à la décision d'accorder ou pas la réduction du délai préalable à la libération conditionnelle. Cela nous apparaît comme un accroc à la démocratie, un accroc à la dissidence.

À notre avis, le processus actuel est très bien équilibré. On prévoit un jury de 12 personnes pour décider de la culpabilité de quelqu'un et il faut que ces 12 personnes aient un avis unanime. Au niveau de la révision judiciaire, on prévoyait, non pas la règle du 50 p. 100 plus un, mais la règle des deux tiers, ce qui nous semblait parfait.

Maintenant, on demande la règle de l'unanimité des 12 jurés. Mais il faut également se rappeler que le juge, lorsqu'il aura à décider de l'opportunité d'accorder ou pas une telle demande, devra renvoyer le tout devant un jury. Il faudra que le juge ait cela à l'esprit.

Est-ce que la personne va être capable de convaincre 12 jurés; pas les deux tiers du jury mais12 jurés? Finalement, ces dispositions vont faire en sorte que très peu de demandes vont pouvoir être entendues par des jurys.

Il faut se rappeler qu'une décision de ce genre, en vertu de l'article 745 actuel, permet simplement de réduire le délai; c'est-à-dire que cela permet à la personne de demander à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'étudier son cas. Ce n'est pas parce que la personne voit son délai préalable à la libération conditionnelle réduit qu'elle va nécessairement bénéficier d'une libération conditionnelle.

Il faut également avoir à l'esprit que, même si la Commission nationale des libérations conditionnelles accorde une libération conditionnelle, la personne demeure quand même, sa vie durant, sous la juridiction de la Commission des libérations conditionnelles, qui peut révoquer sa libération conditionnelle en tout temps. En terminant, la position du Barreau du Québec est que la loi ne cause pas de problèmes actuellement. Elle est efficace et n'a pas causé de problèmes au Québec. Il y a beaucoup de demandes qui ont été accordées et il ne semble pas y avoir de problème particulier.

Nous avons même été surpris de voir que le Parlement se saisissait d'une demande comme celle-ci pour faire changer un article de loi qui, selon nous, ne pose pas de problèmes particuliers.

D'autre part, dans la documentation qui nous a été remise par le ministère de la Justice, on voit que les sentences canadiennes, en matière de meurtre, sont très longues. Ce sont pratiquement les sentences les plus longues en Occident.

Notre position est de conserver le processus actuel, qui fait en sorte que les détenus trouvés coupables de meurtres qui purgent de longues sentences d'incarcération peuvent garder espoir. Pour un détenu, il est très important d'avoir de l'espoir et de se dire que, peut-être un jour, il va pouvoir sortir. Ayant cet espoir, il peut essayer d'avoir une bonne conduite, de respecter les gardiens, de respecter autrui et de s'amender pour essayer de changer.

Les amendements proposés mettent tout cela de côté et mettent aussi de côté l'institution du jury, alors que c'est un exemple qu'il faudrait continuer à suivre et non pas essayer d'abolir.

Finalement, le fait important est de reconnaître qu'un être humain peut s'amender et qu'un jury peut reconnaître ce fait-là.

Nous sommes donc catégoriquement contre les amendements proposés et nous désirons que la loi actuelle ne soit pas modifiée.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

La présidente: Thank you, Mr. Marchand. Mr. Battista.

M. Battista: Je vais parler au nom de l'Association des avocats de la défense de Montréal.

Nous regroupons plus de 300 avocats qui pratiquent le droit criminel dans la région de Montréal.

Mon association vous remercie de nous avoir invités. Je vais être bref. Me Marchand a couvert l'ensemble des sujets qui, à nos yeux, posent des problèmes, et je voudrais simplement dire que nous sommes tout à fait d'accord sur la position du Barreau du Québec.

.1705

Je pourrais ajouter quelques éléments concernant le premier sujet qui a été soulevé, c'est-à-dire le fait d'être reconnu coupable de plus d'un meurtre.

[Traduction]

Je parle aussi anglais. Cela pourra peut-être vous faciliter les choses.

Pour ceux qui sont coupables de plus d'un meurtre, le problème que cela soulève aussi - et peut-être que c'est secondaire - c'est que les gens peuvent être déclarés coupables de meurtre par complicité. Ce n'est pas forcément eux qui ont commis le meurtre. Par exemple, quelqu'un qui est déclaré coupable de complicité pour avoir été avec deux autres personnes qui chacune ont tué quelqu'un. Ce n'est pas notre individu qui a commis le meurtre, mais il reste responsable d'un double meurtre et est non admissible à la libération conditionnelle même s'il pourrait bien la mériter.

L'autre question est la présélection par la magistrature. C'est tout à fait fondamental. Nous avons un processus selon lequel on décide de qui passe et de qui ne passe pas. Ce sont des gens qui évaluent les éléments de preuve. Il s'agit de simples citoyens, de Canadiens ordinaires. Nous créons maintenant un processus par lequel un professionnel du droit décidera si ce sera ou non un jury qui rendra le verdict. S'il est décidé que c'est le jury, on exigera que 12 personnes raisonnables soient absolument unanimes, ce qui compliquera pas mal les choses.

Lorsque le juge décide s'il veut ou non soumettre la question au jury, il doit décider que parmi tous les Canadiens raisonnables il n'y aura pas d'obstacle à l'unanimité, parce que, selon la prépondérance des probabilités, la possibilité réaliste que le juge aura à soupeser si nous essayons d'être objectifs à ce sujet et ce qu'il lui faudra décider, c'est s'il croit qu'il y a une possibilité raisonnable que les 12 personnes se mettent d'accord sur le fait que cette personne mérite que son cas soit examiné en vue d'une éventuelle libération conditionnelle.

Si nous voulons être objectifs à ce sujet, si un juge qui examine les choses raisonnablement évalue les éléments de preuve et en arrive à la conclusion qu'il est possible que 10 p. 100 de la population ne fasse pas l'unanimité, il ne devrait pas accepter la révision, même si la majorité des gens qui examineraient le cas et même si un autre juge qui l'examinerait pourraient être d'un avis différent.

Je dois donc vous dire, en toute déférence, que nous avons un processus de sélection qui élimine également l'idée de dissension. Les gens peuvent diverger d'opinion sur ces choses. Il s'agit de la capacité de quelqu'un de réintégrer la société. Ce que nous avions dans la loi et ce que nous avons toujours dans la loi, c'est la possibilité de soupeser les différents éléments, d'évaluer le pour et le contre et de discuter, en se fondant sur des expériences personnelles, afin de pouvoir décider si l'individu en question a fait ou non des progrès, fait ce qui était nécessaire et requis pour devenir un atout, et non pas un fardeau pour la société. C'est donc une autre question.

Et je dois vous dire que la présélection retire aux gens quelque chose qu'ils ont actuellement et donne aux professionnels du droit quelque chose qu'ils n'ont pas pour le moment. C'est-à-dire que c'est un jury qui décidera si quelqu'un peut ou non faire une demande à un professionnel, plutôt que l'inverse. Actuellement, ce sont les professionnels qui décident si l'on peut ou non confier à un jury une telle décision. Sous prétexte de répondre aux pressions du grand public, on retire à ce dernier le pouvoir qu'il avait auparavant. C'est exactement ce à quoi revient ce projet de loi.

Je ne veux pas me répéter, mais je dois vous dire en toute déférence que la majorité de huit contre quatre exigée est une norme, si vous voulez, une exigence qui tient compte du fait qu'il s'agit d'un processus très humain. Très souvent, pour ces audiences, on entend des experts et l'on tient compte d'évaluations, sachant que les gens peuvent avoir des avis différents.

Mais lorsqu'une majorité des deux tiers de gens raisonnables, après avoir longuement discuté, en arrivent à une conclusion, nous estimons que c'est là un moyen très juste de procéder. Et ce, sans oublier ce que l'on a dit avant, et je suis également prêt à répondre à vos questions.

Merci.

.1710

La présidente: Merci.

Monsieur Langlois, 10 minutes.

[Français]

M. Langlois: Je vais avoir peu de commentaires à faire puisque je partage plusieurs de vos préoccupations. J'ai mentionné, non seulement à vos collègues du Barreau canadien, mais aussi aux groupes que nous avons rencontrés hier, que lors de mon intervention en deuxième lecture, j'avais dit que j'appuierais le projet de loi en principe. Je commence maintenant à me poser des questions.

Quant à moi, la règle des deux tiers doit être maintenue fondamentalement. Il s'agit d'une dynamique qui est tout à fait différente de celle qui anime le jury au moment de la détermination d'un verdict. L'unanimité du jury sur le verdict est fondamentalement liée à nos règles de preuve et à la présomption d'innocence, mais au niveau de l'application de l'article 745, on est beaucoup plus dans un processus sociojuridique, où on peut avoir différentes écoles de pensée, ce qui est différent de l'évaluation d'une preuve hors de tout doute raisonnable. Ce ne sont pas les mêmes critères.

La règle de l'unanimité va avoir pour conséquence d'abolir par la porte de derrière ce qu'on ne veut pas faire devant, c'est-à-dire faire carrément disparaître cette possibilité du Code criminel.

D'autre part, je vois la règle des deux tiers comme étant une règle qui permet, suivant les fluctuations et les divers courants de pensée au Canada, une application à peu près égale des droits pour les détenus partout au Canada. Il y a des provinces, dont le Québec, où la réceptivité vis-à-vis de ces dispositions-là est meilleure. Il n'y a pas tellement de difficulté avec les jurys, mais il suffit que les jurys soient déjà convaincus que la personne aurait dû être pendue il y a longtemps ou qu'elle aurait dû faire l'objet de la peine capitale pour que cette personne-là ait les plus grandes difficultés à faire réduire sa peine. Par conséquent, je ne vois aucun problème à garder la proportion des deux tiers.

Au sujet de ce que vous avez mentionné concernant une personne qui aurait commis plus d'un meurtre, et là on vise les tueurs en série, je préfère faire confiance au jury qui devra prendre une décision plutôt que d'empêcher carrément ces détenus-là de s'adresser à un jury.

Je disais aux témoins précédents qu'on se retrouvera toujours avec des cas d'exception, où on sera appelé à faire appel à la prérogative royale ou à un recours en grâce, qui sont des procédures extrêmement aléatoires où ce sont le plus souvent les relations politiques qui vont régler la chose plutôt que les connaissances juridiques et la capacité de faire valoir son point de vue.

Il reste la question du critère de sélection préalable. Je ne suis pas nécessairement opposé au critère de sélection préalable. Mais, à mon avis, si on veut vraiment l'avoir, deux modifications doivent être nécessairement apportées. La première est qu'il doit y avoir une audition complète. On ne peut quand même pas envoyer au juge qui serait désigné pour étudier le cas des documents qui ne seraient même pas sous forme d'affidavit suivant ce qui est requis ici. Peut-être que des règles de pratique pourraient dire qu'il faut que ce soit accompagné d'un affidavit. Il faut, à mon avis, qu'il y ait la possibilité d'une audition de la partie adverse où les règles de l'audi alteram partem seraient appliquées.

Deuxièmement, le critère, pour le juge, qu'il y ait une possibilité qu'une réduction de la peine soit octroyée par le jury, m'apparaît également extrêmement aléatoire. Je suggérais tout à l'heure, et je le suggère encore, qu'on applique, en l'inversant, le critère qui se présente au niveau de l'enquête préliminaire, c'est-à-dire le critère qui devrait guider le juge.

S'il y a un processus de sélection, il devrait être le suivant. Est-ce qu'un jury bien informé en droit pourrait libérer ou réduire la peine du détenu? Si la réponse est oui ou peut-être, c'est automatiquement renvoyé au jury. Il y aurait donc un fardeau qui reposerait sur les épaules du juge.

Je partage aussi tout à fait votre point de vue en ce qui concerne la question des appels. Les appels de la Couronne devraient être uniquement limités aux questions de droit. Ils ne devraient surtout pas être étendus aux questions mixtes ou aux questions de faits simples.

C'étaient les commentaires que je voulais vous adresser. Vous pouvez les commenter si vous le désirez.

.1715

M. Battista: Je peux ajouter un élément sur la question des gens qui ont été reconnus coupables de plus d'un meurtre.

Je pense qu'il est fondamental de tenir compte d'un fait réel. Un jury pourrait se trouver devant une personne n'ayant commis qu'un seul meurtre et, au bout de 16 à 20 ans, juger que cette personne-là ne devrait pas être remise en liberté ou, au contraire, se trouver devant une personne ayant commis plus d'un meurtre et juger que celle-ci mérite la remise en liberté ou d'être prise en considération pour une libération conditionnelle. Un des grands défauts de ce projet de loi, c'est qu'il enlève cette possibilité. Certaines personnes avec qui nous avons discuté disaient que ce projet de loi traduisait la crainte quant à la réaction de gens bien informés d'un cas très particulier.

C'est aussi une de nos inquiétudes. Quand les jurys seront bien informé des faits spécifiques et précis d'un cas ou d'un dossier particulier, ils vont rendre une décision qui ne sera peut-être pas celle que rendrait un public mal informé.

M. Marchand: Je voudrais faire un commentaire. Au niveau du processus de sélection, vous avez mentionné que vous étiez favorable à un processus de sélection qui serait moins rigide que ce qui est proposé dans le projet de loi. Je suis d'accord, mais je pense quand même que l'absence de processus de sélection serait l'idéal. Quand on regarde les statistiques, on se rend compte que beaucoup de détenus font de l'autocensure. Ils ont décidé tout simplement proprio motu ou suite aux conseils des avocats de ne pas présenter de demande.

Sur 175 demandes potentielles, il y a eu 74 demandes, ce qui veut dire que 101 détenus n'ont pas présenté de demande. Il est probable qu'ils ont pensé que leur cas ne provoquerait pas la sympathie et ont décidé de ne pas demander la révision du dossier.

Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas envoyer le cas directement devant un jury. Cela permettrait à une personne, après 15 ans d'incarcération, d'avoir la possibilité d'être entendue par un jury qui prendrait une décision. C'est ma position.

M. Langlois: Il me semble que, fondamentalement, c'est un problème d'information du public. On laisse croire que des criminels comme Olson ou Bernardo pourront être remis en liberté dans15 ans. Techniquement, il est exact qu'ils pourront s'adresser au tribunal, en vertu de la loi actuelle, pour demander la convocation d'un jury, mais on sait très bien qu'aucun jury ne les remettra en liberté.

Il me semble qu'à tout le moins, il faudrait faire une campagne d'information pour que les gens connaissent l'état du droit. Certains, même s'ils connaissent l'état du droit actuel au Canada, se plaisent à jouer là-dessus et à dire que des criminels seront susceptibles d'être remis en liberté. Personnellement, j'ai aussi une grande confiance dans l'institution du jury. C'est un des rares groupes qui peuvent fonctionner de façon tout à fait indépendante.

Cependant, dans le projet de loi C-45, j'appuie les éléments additionnels dont pourra tenir compte le jury, comme l'information qu'il pourra recevoir de la part des victimes ou de leur entourage sur ce qui s'est passé. C'est une chose que j'appuie.

Quant au reste, une sélection préalable, mais avec des balises extrêmement serrées, pourrait possiblement rassurer une partie de la population qui semble assez inquiète à l'heure actuelle. Il faut dire que dans la législature actuelle, qui véhicule ce discours, plusieurs politiciens sont le reflet d'une partie de cette population. Ils ne sont pas nécessairement de mauvaise foi, et je présume même qu'ils sont de bonne foi. Mon collègue, M. Ramsay, fait souvent appel à ces notions-là et aux préoccupations de ces personnes, qui sont probablement justes dans leur cas. Il me semble donc que s'il y avait une sélection préalable bien balisée, on pourrait satisfaire les préoccupations de tout le monde.

C'est dans ce sens-là que je serais en faveur du projet de loi, mais je voudrais préciser que, personnellement, je n'aurais pas déposé ce projet de loi. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay.

.1720

M. Ramsay: Merci, madame la présidente.

Je tiens à vous remercier de votre exposé.

J'ai deux ou trois questions à vous poser. Si ce projet de loi est adopté, il me semble qu'un tueur en série n'aurait pas droit à une révision judiciaire et devrait faire ses 25 ans de prison avant de répondre aux conditions de la libération conditionnelle. S'il en est ainsi, cela serait-il considéré comme une punition cruelle et inhabituelle, et cela pourrait-il être contesté en vertu de la Charte?

M. Battista: Je ne répéterai pas nécessairement ce que disait mon collègue à ce sujet, la mise en garde qui a été donnée par la Cour suprême dans l'affaire Luxton et autres lorsque l'on a examiné toute la question des peines. C'est toutefois mon point de vue.

Je comprends votre question. Je comprends que cela vous inquiète. Je ne considère pas que cela soit une vaine préoccupation. Toutefois, je ne crois pas et je ne puis croire qu'un Canadien raisonnable estime qu'un jury permettrait que des gens semblables soient libérés. Il n'y a pas à notre connaissance de cas semblables. Cela ne s'est jamais produit.

Il nous semble dommage, et nous indiquons pourquoi, pour ceux qui sont en prison pour meurtre... que pour l'exception, celle du tueur en série, nous supprimions cette possibilité pour des gens qui ont peut-être été victimes de circonstances ou qui se sont retrouvés dans des situations qui les ont poussés à commettre des actes qu'ils regrettent, qu'ils n'auraient jamais commis s'ils s'étaient trouvés dans des circonstances différentes, mais qu'ils ont tout de même commis. En tant qu'êtres humains, ils ont trouvé un moyen de devenir meilleurs, ils peuvent devenir des citoyens qui contribuent à la société, et nous ne devrions pas les empêcher de réintégrer la société simplement parce que nous craignons que ne soit libéré un individu que personne ne voudrait en fait libérer... Je suis convaincu qu'il n'y a personne ici qui croit vraiment qu'un tueur en série pourrait convaincre un jury de lui accorder sa libération sans problème. C'est évident.

M. Ramsay: D'accord. La question est la suivante: si ce projet de loi n'est pas adopté, des individus comme Clifford Olson auront le droit de faire appel devant un juge et un jury, et non seulement de le faire aux frais du contribuable, mais également d'obliger les victimes ou les familles des victimes à revivre cette agonie et ces bouleversements.

Dans une certaine mesure, si le projet de loi C-45 est adopté, cela arrivera encore parce qu'il y aura la révision judiciaire au niveau de la cour supérieure. S'il est adopté, les personnes coupables d'un meurtre au premier degré, les personnes coupables de plusieurs meurtres, les tueurs en série devront faire 25 ans de prison parce qu'ils n'auront pas la possibilité d'obtenir une révision judiciaire.

J'ai entendu ce que vous avez dit tout à l'heure, mais ma question est la suivante: estimez-vous que cela pourrait donner matière à contestation en vertu de la Charte pour peine cruelle et inhabituelle?

M. Battista: Je vous répondrai par l'affirmative et vous expliquerai pourquoi. Vous faites allusion à un individu particulièrement odieux ou à un scénario tout à fait odieux. Toutefois, la loi s'applique à tout le monde. Aussi, lorsque les tribunaux examinent les lois et décident si celles-ci sont conformes ou non à la Constitution, ils doivent évaluer l'incidence que ces lois peuvent avoir sur tous les Canadiens, sur tout le monde, et non pas simplement sur un individu odieux. C'est le problème que pose ce genre de loi.

Je crois, si je ne m'abuse, que quiconque a critiqué le projet de loi ne le critique pas pour les individus odieux. Nous convenons tous que ces gens-là appartiennent à une catégorie différente. Mais nous sommes tous convaincus que tout le monde est d'accord et qu'il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter. Ce qui nous inquiète, ce sont les cas de ces personnes qui vont se trouver prises, de ces personnes que les jurys autrement libéreraient parce qu'elles se sont repenties de leurs fautes et qu'elles ont fait 15 ans, quelquefois 18 ans, de prison.

.1725

D'autre part, vous ne pouvez pas négliger le fait que beaucoup ne présentent pas de telles demandes après avoir consulté un avocat. J'ai personnellement été consulté par quelqu'un et j'ai refusé d'intervenir et appris par la suite que deux autres avocats avaient rendu le même avis. Je veux simplement dire qu'il ne faut pas éliminer l'idée à la légère. Ces statistiques sont très éloquentes. Lorsque 175 personnes peuvent présenter une demande et que seulement 74 le font, c'est assez révélateur.

M. Ramsay: Ce qui semble vous inquiéter, c'est qu'un professionnel, c'est-à-dire un juge de la cour supérieure, prenne la décision et fasse l'examen initial des demandes. Mais n'est-ce pas le principe auquel on adhère au cours des enquêtes préliminaires?

M. Battista: En effet.

M. Ramsay: Dans ce cas, pourquoi vous opposeriez-vous à cela?

M. Battista: Parce que c'est l'inverse qui se produit. L'enquête préliminaire garantit qu'aucun accusé, même s'il est accusé à tort, ne verra ses droits contestés. Or, ici, nous décidons au départ si quelqu'un aura ou non la possibilité d'exposer son cas devant un jury. C'est l'inverse.

C'est comme si l'on disait à un accusé qu'avant de présenter sa défense il faudra qu'un juge décide si, d'après lui, le jury pourra admettre sa défense. Le juge ne décide pas si le jury entendra ou pas la défense, mais il décide d'entrée de jeu qu'un jury croira ou pas en la défense de l'accusé. Autrement dit, si, comme juge, je crois qu'un jury acceptera votre défense, je décide alors de l'envoyer à ce jury.

Vous proposez la même chose ici. Il ne s'agit pas d'établir un seuil et de se demander si les arguments présentés sont admissibles d'un point de vue juridique ou pas ou s'ils sont pertinents d'un point de vue juridique à l'affaire dont est saisi le jury. Non, on vous demande de décider d'entrée de jeu que le jury conclura telle ou telle chose. Le juge peut décider que, d'après lui, il est pratiquement impossible que 12 personnes s'entendent sur cette affaire-ci et que, par conséquent, il rejette la demande.

M. Ramsay: Je trouve intéressant que vous dépeigniez la situation de cette façon-là, car d'après mon expérience des enquêtes préliminaires auxquelles j'ai participé, le juge devait déterminer s'il existait suffisamment de preuves contre l'accusé pour justifier un procès. Je vois ici un parallèle, puisqu'il faut présenter à un juge de la cour supérieure les éléments de preuve qu'il devra examiner pour déterminer s'ils justifient un procès devant jury.

Je ne vois aucune contradiction avec ce que vous avez dit.

M. Battista: Dans ce cas, examinez le libellé du projet de loi. Il parle d'une prépondérance des probabilités. Le juge doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe une possibilité réelle. Le texte mentionne la

[Français]

prépondérance des probabilités qu'il existe une possibilité réelle,

[Traduction]

que selon la prépondérance des probabilités il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie. Or, pour une enquête préliminaire, on se demande plutôt s'il existe des preuves prima facie...? Si vous avez déjà assisté à des enquêtes préliminaires, vous vous rappellerez que dans bien des cas le juge conclut qu'à son avis la demande ne sera pas accueillie, mais qu'il se voit de toute façon dans l'obligation d'ouvrir un procès. Il arrive parfois que les juges se prononcent en ce sens lors des enquêtes préliminaires, au moment où ils reçoivent les éléments de preuve, même s'ils ne sont pas obligés de commenter l'affaire.

Dans le scénario qui nous occupe, le juge ne peut agir ainsi. Le juge doit se demander si, selon la prépondérance des probabilités, il est possible, voire réaliste, que 12 personnes s'entendent à l'unanimité. Il n'y a aucun parallèle ici.

M. Ramsay: Je vois. Deux brèves questions. D'abord, savez-vous combien coûte une audience tenue au titre de l'article 745 au Québec? Ensuite, pouvez-vous nous expliquer pourquoi 93 p. 100 des demandes au Québec ont été accueillies?

M. Battista: Pour ce qui est des coûts, je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres exacts. Si ce sont les statistiques qui vous intéressent, il faudrait se demander combien il en coûte au gouvernement de garder en prison des gens comme ceux-là qui pourraient être libérés... Autrement dit, voici la question que vous devez vous poser: combien m'en coûtera-t-il de garder en prison pendant au moins 25 ans des gens qu'un jury pourrait décider d'envoyer à la Commission des libérations conditionnelles, que ladite commission pourrait décider de libérer, et qui pourraient éventuellement devenir des membres actifs de la société? Voilà un des éléments permettant d'établir le coût.

M. Ramsay: Vous savez sans doute que Clifford Olson présentera sa demande, en dépit des réticences que pourrait avoir son avocat. Vous savez donc que le système judiciaire sera assailli de demandes de ce genre qui n'ont aucune chance de réussir et qui pourtant coûteront cher. Voilà pourquoi, personnellement, j'aimerais avoir une idée de ce que peut coûter une démarche semblable.

.1730

Je sais qu'il ne reste plus de temps, mais pourriez-vous répondre à ma dernière question et m'expliquer pourquoi plus de 90 p. 100 des demandes sont accueillies au Québec? C'est le taux le plus élevé au Canada.

M. Battista: Sans doute à cause de la présélection faite par les procureurs.

La présidente: Merci.

Même si la sonnerie est déclenchée, je laisserai M. Allmand poser une question.

[Français]

M. Allmand: Au début, maître Marchand, vous avez mentionné que votre position est celle de la Section criminelle du Barreau du Québec, et vous avez mentionné aussi que cette section comprenait des procureurs de la Couronne, des avocats de la défense et des professeurs et que vous étiez quand même unanimes. C'est ça?

M. Marchand: Exactement. C'est une position qui a été élaborée au sein du comité permanent en matière criminelle du Barreau du Québec et c'est la position unanime du Barreau.

J'entends encore un procureur de la Couronne de nous dire qu'il était contre toute modification. Il alléguait que ces modifications allaient faire en sorte qu'il y ait plus de danger à l'intérieur des institutions fédérales. Il est proche du pénitencier de Donnacona où il y a des détenus à haute sécurité. Il nous disait qu'il pourrait y avoir plus de danger au niveau des gardiens de prison et aussi qu'il fallait laisser de l'espoir aux détenus. Il est procureur de la Couronne depuis plus de 20 ans.

Je peux vous dire que c'est une position unanime, parce qu'au Québec, nous n'avons pas de problèmes. Je pense aussi que ce n'est pas seulement au Québec, mais partout au Canada. La majorité des citoyens croient en l'être humain et en la possibilité pour l'humain de s'amender et de changer son comportement. Il faut donc faire en sorte que la loi actuelle ne soit pas modifiée pour que les détenus sachent que, s'ils ont un bon comportement, ils ont une chance de s'amender. C'est une position qui est tout à fait unanime.

Pour terminer, je voudrais vous dire que j'ai fait le premier cas au Canada, à l'époque. Je me souviens que, par la suite, moi et Robert Sacchitelle, qui est maintenant juge, étions allés donner une conférence aux détenus du pénitencier Leclerc. Nous leur avions transmis le message, au cours de la conférence, qu'ils pouvaient changer de comportement et qu'avec un bon comportement ils pourraient bénéficier par la suite de cette disposition. Je me souviens qu'après la conférence, les détenus et les gardiens étaient venus nous voir pour nous féliciter. Même les gardiens approuvaient le discours que nous avions tenu aux détenus parce qu'ils pensaient que cela apporterait plus de sécurité dans la prison. Pour toutes ces raisons, il nous est difficile de voir qu'on modifie cette loi.

M. Allmand: Je veux savoir si vous avez la même position que le Barreau canadien sur la question de processus devant le juge seul. Vous remarquerez que dans le projet de loi, il est mentionné que la décision doit être prise «en se fondant sur les documents suivants». On ne mentionne pas que les documents doivent être assermentés. On ne parle pas d'affidavits. J'ai posé la question aux représentants du Barreau canadien.

Imaginez une situation où les avocats de l'autre côté ne peuvent pas exercer leur droit de contre-interrogatoire. C'est bien difficile pour des questions aussi sérieuses! Est-ce-que vous êtes d'accord qu'il est impossible de prendre une décision en se basant seulement sur des documents qui ne sont pas assermentés, sans contre-interrogatoire sur ces questions?

M. Marchand: Le Barreau du Québec partage tout à fait votre point de vue, d'autant plus que l'article 745.2 ne parle que de documents; il ne parle même pas d'audition. En plus, il y a le problème de l'affidavit. Au Québec, cependant, les règles de pratique prévoient que le détenu qui demande la révision doit soumettre un affidavit. Dans son cas, il va y avoir un affidavit, mais le projet de loi ne prévoit pas d'affidavit pour les autres documents. Cependant, les règles de pratique pourraient possiblement prévoir des affidavits pour ces documents-là, mais cela pourrait varier d'une province à l'autre. Le projet de loi, effectivement, parle de documents. On ne parle pas d'affidavits. Quand on parle d'un document, ce n'est pas un affidavit. C'est un document.

[Traduction]

M. Allmand: Un contre-interrogatoire.

[Français]

M. Marchand: Je pense qu'il n'y aurait pas de droit au contre-interrogatoire à ce sujet. Ce sont des documents. On pourrait caricaturer la situation en disant qu'un détenu ou son avocat pourrait poster le tout à un juge qui pourrait examiner tout ça dans son cabinet, dire que ce n'est pas sérieux et renvoyer le tout au détenu en lui disant: Bonjour, on se reverra dans 10 ans, monsieur.

.1735

Voilà le genre de disposition que l'on propose.

M. Allmand: Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Allmand.

Je remercie sincèrement les témoins. Il est malheureux pour vous qu'un vote vous fasse concurrence, mais, après tout, c'est pour cela que nous avons été élus. Merci.

Nous serons au Québec la semaine du 22 septembre pour étudier la Loi sur les jeunes contrevenants, et vous voudrez peut-être vous organiser pour venir témoigner.

La séance est levée.

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