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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 13 juin 1996

.0934

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Aujourd'hui, dans le cadre de notre examen du Budget des dépenses principal, nous étudions le Bureau du Commissaire à l'information. Nous recevons M. John W. Grace, commissaire, accompagné de M. Dupuis et de M. Leadbeater.

.0935

M. Ramsay (Crowfoot): Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Pour la gouverne des membres du comité, j'ai déposé une motion auprès du greffier. Vous voudrez peut-être l'annoncer aux autres membres du comité pour qu'ils soient au courant.

La présidente: Je suis sûre qu'ils en recevront copie.

M. Ramsay: Bien. Merci.

La présidente: Monsieur Grace, je crois que vous avez une déclaration à faire avant que nous ne passions aux questions. Vous avez environ une heure.

M. John W. Grace (commissaire à l'information du Canada): Parfait.

[Français]

Madame la présidente et membres du Comité permanent de la justice et des questions juridiques,

[Traduction]

je vous remercie d'avoir trouvé, ce printemps, un moment pour le Commissariat dans votre emploi du temps chargé.

Votre invitation à comparaître aujourd'hui indique que vous considérez le droit d'accès à l'information comme un élément essentiel pour garantir la transparence et une plus grande responsabilité de l'administration publique, pour mettre au jour et empêcher les extravagances, le gaspillage ou la stupidité - ou les trois.

Si vous ne souhaitiez que regarder nos dépenses à la loupe, ce qui, après tout, constitue la raison officielle de notre présence ici, peut-être ne voudrez-vous pas vous donner cette peine. Vous avez bien d'autres chats plus richement dotés à fouetter.

Comme vous l'aurez remarqué en parcourant rapidement nos documents budgétaires, nous ne sommes pas très gros. Le Commissariat, dans son entièreté, n'emploie que 33 personnes, dont une équipe de gestion composée de trois membres, moi y compris, 21 enquêteurs qui instruiront quelque 1 800 plaintes cette année, trois avocats et six employés de soutien.

Nous partageons avec le Commissariat à la protection de la vie privée un groupe administratif composé de 14 personnes.

Mon commissariat n'a pas de service d'élaboration des politiques, de section de recherche ni d'agents des affaires publiques; ces fonctions ont été sacrifiées sur l'autel des compressions budgétaires.

Tout cela pour dire que, si un gouvernement voulait affaiblir, voire supprimer une loi qui peut parfois être irritante - elle peut mettre dans l'embarras des ministres et des hauts fonctionnaires - il ne pourrait pas prétendre avec crédibilité qu'il le fait dans le but d'équilibrer son budget. Non pas que je croie que se prépare une attaque contre le droit d'accès ni contre l'existence d'un agent du Parlement indépendant chargé d'instruire les plaintes.

Dans la bureaucratie fédérale, toutefois, souffle un vent d'hostilité à l'égard de l'accès à l'information, résultant de l'indignation contre ce que certains voient comme du gaspillage, particulièrement en période d'économies, quand il faut répondre à des personnes qui peuvent demander de l'information volumineuse, difficile à trouver ou susceptible de donner une image négative de leurs institutions. Même après 13 ans d'application de cette loi, la transparence gouvernementale reste pour certains gestionnaires peu plausible.

C'est peut-être la raison pour laquelle je soutiens que l'argument de la responsabilité financière peut servir de couverture à des ressentiments tenaces contre une loi qui est parfois contraignante.

La Loi sur l'accès à l'information a des avantages qui sont à la fois concrets et profonds. Le droit de savoir a amené plus d'attention, de modération, d'intégrité et d'honnêteté dans l'administration publique. La crainte d'être découvert offre une puissante incitation à agir dans l'intérêt du public. L'accès à l'information détenue par le gouvernement, de droit, et non pas par faveur, est devenu, en cette époque marquée par le cynisme, un ingrédient essentiel d'une démocratie saine.

La loi représente rien de moins qu'une passation des pouvoirs, aussi modeste soit-elle, de l'État au particulier. Elle est une réfutation constante d'une observation qu'avait faite Max Weber il y a 50 ans: toute bureaucratie s'efforce instinctivement d'accroître la supériorité des gens détenteurs d'information du fait de leur travail en assurant le secret de leurs connaissances. Il ne s'agit pas d'un instinct mauvais. Les motifs sont peut-être bons. Mais les bureaucraties répugnent à partager les pouvoirs que ces connaissances peuvent conférer.

.0940

Certes, la Loi sur l'accès à l'information peut être améliorée et j'ai préconisé des réformes. Il y a trois ans, j'ai fait 43 recommandations de changements au Parlement, recommandations fondées sur ce que nous avons appris au fil des années. Ces changements n'ajouteraient pas beaucoup aux coûts de l'accès à l'information, mais ils dorment sur les tablettes réservées aux vieux rapports annuels. Si j'ai été réconforté par les promesses qui ont été faites de renforcer la Loi sur l'accès à l'information - et je ne doute pas qu'elles possèdent de bonnes intentions - , je déplore cependant qu'aucune proposition de changement n'ait vu le jour. Je déplore aussi qu'aucune forme de débat public sur d'éventuelles réformes n'ait encore été prévue. Nous y reviendrons tout à l'heure.

Cependant, la nécessité que le gouvernement et la bureaucratie s'engagent publiquement à favoriser la transparence transcende la nécessité d'améliorer la loi. Par exemple, le fait de modifier la Loi ne mettra pas un terme aux retards chroniques quand il s'agit de répondre aux demandes d'accès. La Loi est claire: l'institution gouvernementale doit répondre dans les 30 jours. Pas nécessaire de modifier la loi pour cela.

La réforme ne doit pas s'amorcer en effet par de nouvelles modifications, mais bien par un plus grand respect de la Loi dans sa forme actuelle: la volonté de faire fonctionner la Loi comme le Parlement avait décidé qu'elle devrait fonctionner. Cela suppose que les ministres et les sous-ministres montrent la voie. Leur attitude à l'égard de l'accès à l'information donne le ton et détermine la façon dont leurs collaborateurs s'acquitteront de leurs obligations en vertu de la Loi. Je regrette qu'ils n'aient pas montré la voie de manière plus ferme.

Il subsiste à l'égard de la Loi sur l'accès à l'information une idéologie d'animosité latente, habituellement sous-jacente, et avec une telle idéologie, il ne faut pas se surprendre que des documents soient falsifiés, que des retards déraisonnables se produisent et que des demandes soient rejetées sous prétexte qu'elles sont frivoles et vexatoires. De mon point de vue (que je reconnais subjectif), le fait de bien appliquer la Loi sur l'accès à l'information devrait être considéré comme étant aussi important que n'importe qu'elle autre responsabilité dans une institution gouvernementale bien gérée.

Cela étant dit, j'aimerais souligner que, malgré les quelques enclaves dans lesquelles les problèmes sont devenus endémiques, comme la Défense nationale, la Loi fonctionne étonnamment bien. Il ne se passe guère de jours sans que je lise quelque chose ou que je voie ou j'entende un reportage dans les médias sur la diffusion de documents importants grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Je suis convaincu que vous en avez eu connaissance.

Pourtant, les médias ne constituent que 11 p. 100 environ des utilisateurs de la loi. Soit dit en passant, les entreprises représentent le groupe de demandeurs le plus important, avec quelque43 p. 100, contre 35 p. 100 pour les membres du public. Le reste est constitué d'universitaires et d'organismes privés.

Les députés me disent qu'ils trouvent la Loi sur l'accès à l'information utile pour obtenir l'information dont ils ont besoin dans leur travail. Je me réjouis que vous et vos collègues ayez davantage recours à la Loi et au Commissariat, et je vous encourage fortement à continuer dans cette voie. De mon point de vue purement égoïste, plus les députés éprouveront les avantages et les lacunes de la loi, plus les pressions en faveur d'une réforme s'accentueront. Vous avez le pouvoir de transformer vos frustrations en pressions en vue de changements constructifs.

Le Parlement a depuis trois ans mon plan directeur en vue de l'amélioration d'une loi déjà efficace. Bien que vous ayez déjà beaucoup de pain sur la planche, je pense que l'élaboration de propositions de réforme devrait relever, dans les premiers temps, de votre comité ou, si nécessaire, d'un comité spécial.

Dans l'état actuel des choses, il n'y a que des initiés qui travaillent à l'élaboration de propositions de réforme. Seul le point de vue des initiés est pris en considération. Si le processus de réforme était confié à un comité parlementaire (comme on l'a fait en 1986), dès le départ les propositions de réforme d'une loi complexe pourraient être enrichies par un éventail de points de vue, particulièrement les partisans traditionnels de la transparence gouvernementale: les députés, à qui nous devons la Loi, les médias, les universitaires, les entreprises, les citoyens et les citoyennes - même le Commissaire à l'information. La réforme devrait reposer sur la conviction que les citoyens idéaux sont des citoyens éclairés et que le gouvernement idéal est un gouvernement transparent.

.0945

Je ne voudrais pas parler trop longtemps - j'ai d'ailleurs presque fini - mais je me dois de mentionner les incidents troublants qui ont été révélés pendant l'année écoulée et qui concernaient la falsification et la destruction de documents. Pendant l'année, mon commissariat a mené cinq enquêtes dans quatre ministères au sujet de la destruction ou de la falsification de documents - présumément dans le but de faire obstacle au droit d'accès. Une enquête a été menée ou est en cours à Santé Canada, à Transports Canada et à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et deux autres visent la Défense nationale. Dans l'un des cas concernant la Défense nationale, les allégations ont été jugées fondées. Les enquêtes se poursuivent à Santé Canada et à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. L'enquête relative à la Défense nationale a été rouverte à la suite de nouvelles preuves qui ont récemment été mises au jour.

Ces incidents sont alarmants. Premièrement, parce que leur nombre est sans précédent. Deuxièmement, parce qu'ils mettent brutalement en lumière la fragilité du droit d'accès et la facilité avec laquelle on peut le miner.

Vous avez reçu ce matin à vos bureaux mon rapport annuel. Il sort aujourd'hui. Pour une fois, les députés l'auront avant les médias. Il devrait toujours en être ainsi et j'en suis satisfait.

Je recommande dans ce rapport que la Loi sur l'accès à l'information soit modifiée en prévoyant une infraction pour quiconque couvre des infractions ou des omissions destinées à faire obstacle au droit d'accès. Ce genre d'infraction n'est pas actuellement prévue.

Ces incidents font également ressortir, à mes yeux du moins, la nécessité d'adopter des dispositions législatives protégeant les dénonciateurs. Les cas de falsification et de destruction de documents ne sont mis au jour que si les initiés - et nous parlons ici de fonctionnaires - acceptent de signaler ces méfaits aux autorités. Dans l'état actuel des choses, et comme nous l'avons vu dans le cas de la Défense nationale, pour certains, la déloyauté est pire que la falsification de documents. Les fonctionnaires de n'importe quel ministère qui dénoncent les actions de ce genre craignent d'être blâmés ou pénalisés, et leur crainte est justifiée. Des outils juridiques sont requis pour décourager et condamner toutes représailles contre un «dénonciateur» qui, de bonne foi, révèle des méfaits commis contre la Loi sur l'accès à l'information.

J'ai fini mon sermon. Je vous remercie de votre attention. Je serai évidemment ravi de transformer ce monologue en dialogue.

Madame la présidente, je suis à votre disposition.

La présidente: Merci.

Nous allons commencer par un tour de 10 minutes. Monsieur Langlois.

[Français]

M. Langlois (Bellechasse): Est-ce que vous pourriez faire en quelque sorte une évaluation des ministères et organismes auxquels la loi s'applique et avec lesquels vous avez à traiter? Pouvez-vous nous dire quels sont les ministères qui coopèrent le plus avec vous et quels sont ceux qui coopèrent le moins? Est-ce que vous pourriez en faire une brève analyse critique et nous faire part des raisons que vous croyez déceler derrière le fait que ces ministères ou organismes collaborent plus ou moins?

M. Grace: Merci pour votre question.

[Traduction]

Je vous donnerai tout d'abord la réponse statistique. Cette année - et la liste change - le ministère contre lequel nous avons reçu le plus de plaintes est celui de la Défense nationale. Nous en avons reçu quelque 421. Viennent ensuite le ministère des Finances, avec 205 plaintes; Citoyenneté et Immigration, 159; Revenu Canada, beaucoup moins, 58 et Santé Canada, 56.

Je dois dire que la liste varie. Je ne crois pas qu'il y ait de gros problèmes endémiques dans ces quatre derniers ministères. Le nombre de plaintes augmente ou diminue pour des raisons différentes chaque année selon le ministère. Quelquefois, quelqu'un s'intéresse particulièrement au ministère et l'inonde de demandes. Mais c'est le tableau d'honneur que nous avons dressé pour cette année.

.0950

La grande majorité de ces cas concerne des retards et non pas une tentative de cacher ou de ne pas dévoiler des renseignements. C'est simplement que ces ministères ne réussissent pas à répondre aux demandes dans les 30 jours prévus dans la loi. C'est alors que nous nous faisons nous-mêmes inonder de plaintes et les délais de réponse représentent certainement la grande majorité des plaintes que nous recevons. Ce sont d'ailleurs les plus faciles à examiner.

Peut-être voudriez-vous connaître le nombre de plaintes que nous recevons au sujet d'exemptions, d'informations que l'on ne veut pas dévoiler, que l'on déclare confidentielles. Il n'y a pas de gros problèmes à ce sujet. Les ministères connaissent la loi. Ils savent ce qu'ils peuvent ne pas dévoiler. Les problèmes commencent quand les demandes s'empilent.

Quant à la deuxième partie de votre question, je crois y avoir répondu dans l'analyse rapide que je vous ai présentée. N'hésitez pas toutefois à me demander une précision si vous le souhaitez.

[Français]

M. Langlois: Je vais recibler ma question, particulièrement en ce qui concerne le ministère de la Défense nationale. On s'est rendu compte, particulièrement après l'affaire somalienne, que plusieurs choses ont été divulguées, non pas par l'intermédiaire du commissaire, mais par des voies externes, des voies parallèles, qui nous ont fait découvrir des choses.

Ce genre d'information, souvent non identifiée, est parvenue jusqu'aux médias, spécialement dans l'affaire somalienne. Pouvez-vous nous dire, puisque cette information ne vous a pas été transmise, si vous pensez que l'on a voulu vous la cacher volontairement? Quelle est votre opinion?

[Traduction]

M. Grace: Ma foi, monsieur, je dois dire qu'une bonne partie des informations qui ont été dévoilées aux Canadiens l'ont été par suite de demandes d'accès à l'information et à l'intervention de notre commissariat. On a dit que sans la Loi sur l'accès à l'information, l'affaire somalienne n'aurait pas été portée à l'attention du public comme elle l'a été. Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que la plupart des informations dont nous disposons au sujet des problèmes survenus en Somalie sont venus d'ailleurs. Une bonne partie de ces informations ont en fait été obtenues grâce à la persistance de quelqu'un demandant accès à l'information. Nous savons que le ministère ne peut se féliciter de sa performance au titre de l'accès. Nous le traînons d'ailleurs devant les tribunaux pour motif de secret excessif au sujet de la Somalie. Je ne pense pas toutefois que le Commissariat ni la Loi soient en cause à ce sujet. Je dirais plutôt le contraire.

[Français]

M. Langlois: Dans votre enquête sur la Somalie, certains documents, semble-t-il, ont été détruits. J'aimerais que vous me disiez si, à votre connaissance, certains documents ont effectivement été détruits.

D'autre part, est-ce que vous avez l'impression ou la preuve qu'on vous aurait transmis des documents qui pourraient être considérés comme faux dans ce dossier-là?

[Traduction]

M. Grace: Oui, nous avons fait enquête sur les allégations selon lesquelles quelqu'un ayant demandé des informations aurait reçu des documents qui avaient été falsifiés. Notre rapport à ce sujet se trouve au complet dans le rapport que vous avez sous les yeux, monsieur. Nous l'avons rendu public parce que le plaignant nous a autorisés à le faire. Normalement, les plaintes restent confidentielles.

Donc, effectivement, nous avons constaté que certains dossiers avaient été falsifiés et je crois que cela étant, la Commission d'enquête a repris la même question. Le rapport est très éloquent.

.0955

Comme je l'ai dit dans ma déclaration, j'ai rouvert l'enquête après avoir obtenu d'autres renseignements. Tant que l'enquête ne sera pas terminée, je ne peux pas donner beaucoup plus de précisions sur les événements ayant entouré la destruction ou la falsification des documents sur la Somalie.

La preuve de falsification de documents allait au coeur même d'une enquête très importante et très sérieuse.

[Français]

M. Langlois: À votre avis, lorsqu'on vous transmet un document volontairement falsifié ou altéré, est-ce que cela constitue, selon notre loi, une violation du Code criminel concernant la fabrication et l'usage de faux, et n'est-il pas possible de porter plainte au plan criminel contre les personnes qui agissent de la sorte?

[Traduction]

M. Grace: C'est une excellente question. Je crois qu'il existe en effet un article du Code criminel qui porte sur le non-respect d'une loi. Je crois aussi - je ne suis pas avocat - que cet article n'est pas très souvent invoqué. Je crois qu'il est trop général. C'est la raison pour laquelle j'estime que, après les expériences que nous avons vécues récemment...

La Loi sur l'accès à l'information prévoit actuellement une amende de 1 000$ pour quiconque fait obstruction lorsque le Commissaire à l'information et son Commissariat mènent une enquête. Je souhaiterais que cet article soit élargi afin de couvrir les cas de destruction de dossiers. Il y a quelque chose dans le Code criminel, mais c'est trop éloigné. Je préférerais qu'il y ait quelque chose dans la loi même.

M. Ramsay: Merci, messieurs, de comparaître devant nous ce matin.

Au bas de la page 2 de votre déclaration, vous indiquez avoir fait 43 recommandations il y a trois ans. Si ces recommandations avaient été suivies, cela aurait-il changé les choses en ce qui concerne l'affaire de la Somalie?

M. Grace: Je ne le pense pas. Je répète que l'on peut changer toutes les lois que l'on veut mais que si les gens ne veulent pas respecter la loi, s'il n'y a pas la volonté de respecter l'esprit et la lettre de la loi, cela ne sert à rien.

Je ne pense pas que ces amendements auraient changé quoi que ce soit.

Ce qui aurait pu changer les choses, c'est si en haut de la hiérarchie, quelqu'un avait dit, peu importe le passé, le nouveau gouvernement croit à l'accès à l'information, veut que ça marche, se veut ouvert et transparent - non pas seulement de façon générale mais en appliquant précisément la Loi sur l'accès à l'information. Un signal des ministres à leurs fonctionnaires constituerait un élément de dissuasion efficace pour empêcher que des documents soient trafiqués.

M. Ramsay: Si vos recommandations n'auraient pas changé grand-chose dans ce cas particulier et sachant ce que vous avez dit dans votre déclaration, à savoir qu'il est presque naturel pour une bureaucratie de répugner à révéler des informations qui risquent de porter à contester certaines décisions prises par des éléments de cette bureaucratie, est-ce que la seule mesure envisagée serait que le gouvernement fédéral déclare qu'il est favorable à ce que les citoyens canadiens aient librement accès à l'information? Est-ce la seule mesure que nous puissions espérer pour que nos institutions fédérales répondent aux demandes d'information qui leur sont présentées?

M. Grace: Il est certain que des voeux pieux seraient déjà un bon début.

Certaines des recommandations que j'ai faites sont d'ordre purement pratique.

.1000

Vos questions semblent indiquer que vous ne pensez pas que la hiérarchie puisse changer grand-chose; je pense en particulier aux sous-ministres. Nous avons des exemples de sous-ministres, de très hauts fonctionnaires, qui méprisent réellement la Loi sur l'accès à l'information: c'est gênant, c'est inutile et ça coûte cher. Ce genre d'attitude se répand ensuite dans leur ministère. Les gens croient qu'ils peuvent alors impunément falsifier des documents et, ce faisant, se faire bien voir de leurs supérieurs.

M. Ramsay: M. Langlois vous a posé une question à laquelle j'aimerais revenir. Que penseriez-vous d'instaurer une amende en cas de falsification délibérée de documents?

M. Grace: J'en ai fait la recommandation. C'est dans ce rapport.

M. Ramsay: Cela faisait-il partie de vos 43 recommandations?

M. Grace: Oui. Je recommande que l'on considère comme une infraction criminelle la destruction ou la falsification de documents demandés aux termes la Loi sur l'accès à l'information.

M. Ramsay: Donc, à l'heure actuelle, les fonctionnaires fédéraux peuvent falsifier et détruire des documents sans que cela ne soit considéré comme une infraction criminelle?

M. Grace: Sauf, comme je le disais à M. Langlois, qu'il y a un article du Code criminel rarement utilisé qui stipule qu'il est criminel de ne pas respecter une loi du Parlement... à part cela, ce n'est pas considéré comme une infraction criminelle. On peut avoir des ennuis, certains ministères en ont eus...

M. Ramsay: Quelle loi enfreint un fonctionnaire qui détruit ou falsifie des documents?

M. Grace: À mon avis, ce n'est précisé dans aucune loi.

M. Ramsay: C'est donc possible... Aujourd'hui, au Canada, n'importe quel fonctionnaire peut détruire ou falsifier des documents en toute impunité.

M. Grace: C'est contre la Loi sur l'accès à l'information, mais celle-ci ne prévoit pas d'amendes.

M. Ramsay: Il n'y a donc pas d'amende pour les fonctionnaires qui détruisent ou falsifient des documents. Ils peuvent créer de fausses déclarations, falsifier un document pour donner une idée fausse et cela n'entraîne aucune amende.

M. Grace: Pratiquement, c'est cela.

M. Ramsay: Si tel est le cas, quel genre d'amende recommanderiez-vous?

M. Grace: J'ai recommandé une amende de l'ordre de 1 000$. Il se pose alors une question. Supposez que quelqu'un ne paie pas cette amende? Met-on cette personne en prison parce qu'elle a falsifié des documents?

M. Ramsay: Qu'en pensez-vous?

M. Grace: Heureusement, ce n'est pas moi qui légifère. Je pense qu'il faudrait qu'il y ait une sanction. En effet, si l'amende n'est pas payée, il faudrait tout de même une sanction. Je ne pense pas que cela serait très bon pour une carrière dans l'administration, c'est certain. C'est probablement plus grave que de payer une amende de 1 000$.

M. Ramsay: Si l'accès à l'information est aussi important que vous l'indiquez dans votre déclaration - et je suis d'accord, c'est très important - il devrait être très grave de falsifier des documents et de mentir à ceux qui cherchent des informations. Ce devrait être très sérieux et je ne pense pas qu'une amende suffise. Il devrait y avoir d'autres possibilités qui vont plus loin. Peut-être une amende, peut-être le renvoi; mais c'est habituellement à la chaîne de commande de décider d'un renvoi.

Ces bureaucraties - et j'en ai fait partie - ne fonctionnent pas habituellement de façon très démocratique. Elles sont au contraire très autocratiques. Les décisions sont prises au sommet et la chaîne de commande suit. C'est ce que nous voyons à la Défense nationale où, apparemment, on a ordonné à une dame de détruire des documents. On crée des bureaucraties pour servir une démocratie mais celles-ci sont par nature très autocratiques. Qui va donc influencer qui? Sont-ce les institutions autocratiques de l'administration qui vont influer sur la démocratie ou les traditions démocratiques de notre régime qui vont influer sur nos institutions? À votre avis, qui est en train de gagner la bataille aujourd'hui?

.1005

M. Grace: Je dirais qu'à long terme, c'est la transparence qui l'emporte. Je crois que l'accès à l'information est irréversible. Je vous rappellerai les nombreux succès que nous avons obtenus. Les bons éléments l'emporteraient si la hiérarchie faisait preuve de bonne volonté, si les cadres supérieurs respectaient la loi, la lettre et l'esprit de la loi.

Nos opinions ne diffèrent pas trop là-dessus. Je conviens qu'il devrait exister certaines sanctions.

M. Ramsay: Si Richard Nixon avait détruit les cassettes du Watergate, il aurait peut-être pu finir son mandat de président des États-Unis. Il faut à coup sûr prévoir des sanctions sérieuses quand un fonctionnaire détruit et falsifie des documents. Il me semble étrange qu'il n'existe pas de loi à ce sujet.

M. Grace: C'est justement ce que je recommande, monsieur. C'est exactement ce que je recommande.

M. Ramsay: En l'absence de telles lois, quand ce genre d'information est révélée, je vous demande si la situation n'est pas en fait beaucoup plus grave que nous ne le croyons?

M. Grace: Je ne crois pas. Je crois que nous avons vu à peu près le pire - du moins je l'espère.

M. Ramsay: Est-ce que cette tendance à cacher des renseignements ou à falsifier des documents lorsque les médias ou tout autre citoyen intéressé demandent des renseignements qui risquent d'être gênants pour un fonctionnaire ou pour l'administration est généralisée?

M. Grace: Je ne puis quantifier la chose, mais je sais combien de plaintes nous avons reçues et combien d'incidents particuliers de falsification ou de destruction possible de documents ont été portés à notre attention.

M. Ramsay: Si comme haut fonctionnaire, il me suffit de falsifier un document pour cacher une erreur, que ce soit délibéré ou non, une erreur qui pourrait être gênante si elle était connue, si tout ce que j'ai à faire c'est de falsifier un document et de l'envoyer comme si c'était le document authentique, sans que cela n'entraîne aucune conséquence, c'est terriblement tentant.

M. Grace: Mais je crois que nous avons vu qu'il y avait des conséquences.

M. Ramsay: Quelles sont les conséquences?

La présidente: Vos 10 minutes sont écoulées, monsieur Ramsay.

M. Grace: C'est rendu public.

M. Ramsay: C'est une conséquence.

La présidente: Monsieur MacLellan.

M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je tiens à vous souhaiter la bienvenue, monsieur Grace, ainsi qu'à vos collaborateurs et vous féliciter de ce que vous faites, car ce n'est pas facile. La nature même de vos fonctions est très frustrante parce que ce n'est qu'à force de frustrations et de volonté de parvenir à une meilleure imputabilité que nous réussirons. C'est une bataille qui n'en finit pas et je suppose que cette sensation ne peut que persister.

Je vous demanderai simplement quelques précisions. Vous avez dit que vous aimeriez que la même peine maximum de 1 000$ soit infligée à quelqu'un qui détruit délibérément des dossiers qu'à quelqu'un qui vous gêne ou vous empêche de faire votre travail. Très franchement, je crois que la destruction de documents mérite un peu plus qu'une amende de 1 000$. Pourriez-vous me préciser votre pensée? C'est quelque chose de très grave.

M. Grace: En effet. Cela va au coeur même de la loi. Si nous ne pouvons être assurés que les documents ne sont pas détruits, cela ne sert à rien.

Vous savez, ce chiffre de 1 000$, c'est simplement une suggestion. Je ne légifère pas. Si le Parlement décide que ce doit être 5 000$ ou qu'il faut mettre les gens en prison pendant deux ans, cela ne me dérange pas. C'est une bonne question. On peut se demander ce qui serait le plus approprié. Je pensais que 1 000$ est un bon début. C'est certainement beaucoup mieux que rien. Je ne crois pas toutefois qu'il faille négliger non plus l'importance de la réputation car il ne fait aucun doute que cela risque de sérieusement compromettre la carrière de l'intéressé.

Je ne tiens pas particulièrement à ce chiffre de 1 000$. C'est juste un début.

M. MacLellan: Il y a une lettre qui est datée du 10 juin et qui vient d'un major nommé Drapeau. Êtes-vous au courant? Il fait des commentaires très pertinents et certaines allégations très sérieuses. Il dit que la direction des affaires juridiques et la Direction des affaires publiques de la Défense nationale ont en fait une influence beaucoup plus importante qu'on pourrait le croire et que la règle est maintenant, comme peut-être dans d'autres ministères - et j'aimerais que vous nous disiez si vous pensez que cela se développe - de ne plus tenir de dossiers.

.1010

Vous dites d'ailleurs dans votre rapport annuel qu'il faut modifier la loi afin d'imposer la tenue de dossiers, particulièrement pour ce qui concerne les changements de décisions et d'orientations. Autrement, on ne saura jamais que ces changements ont eu lieu.

À mon avis, dire à une séance de reddition de comptes, «Eh bien, nous avons modifié notre politique à cet égard, mais il n'y a rien d'officiel à ce sujet», est une réponse tout à fait insatisfaisante.

Allez-vous prendre d'autres initiatives en ce sens ou simplement vous contenter de faire cette recommandation dans votre rapport? Je pose la question parce que je pense que c'est très sérieux. Si l'on ne fait rien, vous savez que cette pratique ne va que s'accentuer.

M. Grace: Je suis parfaitement au courant de la lettre du colonel Drapeau, ne serait-ce que parce qu'il cite la recommandation que j'ai faite il y a quelques années. Permettez-moi de vous la lire afin que tout le comité sache de quoi il s'agit. J'ai dit qu'il fallait établir des règles nouvelles et complètes pour la création et le maintien des dossiers. Ces règles mettraient un terme aux pratiques méprisantes de certains fonctionnaires qui découragent la création et le maintien de dossiers importants afin d'éviter les rigueurs de la transparence, et de la reddition de comptes, peut-on dire.

J'ai recommandé qu'on modifie la Loi sur les archives expressément afin d'obliger le gouvernement à ouvrir les dossiers détaillant ses fonctions, ses politiques, ses décisions, ses pratiques et ses transactions. Cela exigerait une modification à la Loi sur les archives. On pourrait peut-être avoir un article correspondant dans une Loi modifiée, révisée, sur l'accès à l'information. Chose certaine, on ne serait pas obligé de garder tous les bouts de papier.

La loi doit entrer dans l'ère de l'information. Toute la question du courrier électronique est le problème qui nous attend. Qu'est-ce qu'on doit conserver? Toute la question du courrier électronique, des dossiers électroniques, doit être examinée. À mon avis, c'est le genre de travail qu'un comité pourrait faire s'il veut recommander des modifications à la loi.

Tout ce que je peux faire, c'est attirer l'attention du Parlement sur cette question. Je n'ai aucun pouvoir d'agir. Je hurle de temps à autre, je fais des discours et je vous dis à vous ce qu'il en est, mais à part ça... Mais c'est moi qui ai eu le mérite d'alerter les gens il y a quelques années de ça.

M. MacLellan: Chose certaine, vous avez demandé cela à titre officiel.

Croyez-vous que les choses s'améliorent, ou croyez-vous qu'avec cette tendance à ne pas conserver l'information ou de dossiers sur les décisions en matière de politique...? Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a un élément très subjectif ici dans la mesure où l'on ne peut conserver des notes sur tout ce qu'on fait, et je pense qu'il serait déraisonnable d'exiger une chose pareille, mais pour ce qui est des changements dans les grandes orientations gouvernementales, c'est tout à fait autre chose. Croyez-vous que les choses s'améliorent de manière générale?

De même, j'aimerais savoir ce que vous pensez de la recommandation du major Drapeau, qui demande qu'on désigne un ministre responsable de l'information, à qui vous rendriez des comptes au lieu d'en rendre au ministre de la Justice, qui est, dit-il, en conflit d'intérêts parce que le ministère de la Justice doit défendre ce qui pourrait être mis en accusation.

M. Grace: Je suis convaincu que la situation s'améliore. L'affaire de la Somalie où un ou deux incidents se sont produits ne devrait pas donner une idée négative de la situation. Comme je l'ai dit, l'accès à l'information est ici pour rester. C'est irréversible. On en voit l'influence.

Je reste étonné par le nombre de dossiers qui sont rendus publics sans que mes services interviennent, sans que qui que ce soit ait porté plainte. Il y a plusieurs gestionnaires, plusieurs ministères qui sont très heureux de cette loi.

Nous avons une nouvelle génération de gestionnaires qui ont grandi avec l'accès à l'information. Ils n'ont pas hérité de la vieille culture britannique qui nous interdisait de parler de ce qu'on faisait, qui donnait à penser que les fonctionnaires avaient toujours raison, cette attitude paternaliste ou maternaliste si vous voulez. Mais il y a beaucoup de gens, des gens qui sont sûrs d'eux, qui rendent leurs dossiers publics et qui prennent les risques qu'il faut. Ces gens savent que le pire se produit, non pas lorsque les informations sont rendues publiques, mais lorsqu'on cherche à s'esquiver, lorsqu'on cherche à cacher des choses, à retarder le processus, à faire traîner les choses en longueur. C'est là que c'est gênant.

.1015

Je suis heureux que vous ayez posé cette question. Il faut mettre les choses en perspective. On invoque la Loi de plus en plus. Les statistiques montent en flèche. Nous avons reçu 1 600 plaintes cette année. Nous avons reçu à peu près le même nombre de demandes. On publie des tas d'information. Donc, ne perdons pas de vue cette perspective à cause d'un ou deux incidents malheureux.

Je suis d'accord avec la recommandation de M. Drapeau, qui dit que la responsabilité de l'accès à l'information doit être retirée au ministère de la Justice et confiée à une autre autorité. J'ai d'ailleurs moi-même proposé une mesure en ce sens il y a quelques années de ça. Comme vous le dites, monsieur MacLellan, le ministère de la Justice a un conflit d'intérêts inhérent. Les autres ministères s'adressent à lui pour savoir quoi faire de certaines demandes d'accès à l'information. On demande au ministère de la Justice non pas comment il faut divulguer les choses, mais comment on peut justifier un refus, j'imagine.

Même si le ministère de la Justice a fait de bonnes choses pour faire avancer la loi, pour éviter ce conflit d'intérêts inhérent, je persiste à croire qu'il faut confier à une autre autorité la responsabilité d'administrer la loi. J'ai dit que le Conseil du Trésor pourrait agir à titre de dépositaire, faute de mieux. Le ministère de la Justice continuerait de conseiller ses ministères clients de son mieux. Le même ministère qui dit aux clients comment retenir les informations, s'il croit que c'est la bonne chose à faire, a beaucoup de mal à mon avis à faire preuve de transparence.

La présidente: Monsieur Langlois.

[Français]

M. Langlois: J'ai une question pour le témoin, si ça peut arranger M. MacLellan.

[Traduction]

M. MacLellan: Une petite question, dans la même veine.

Vous faites des enquêtes sur certains ministères, mais ce sont des enquêtes de routine n'est-ce pas, et il n'y a pas de dossiers sur les enquêtes qu'on fait sur le ministère de la Santé nationale ou un autre? Est-ce une chose normale ou peut-on s'attendre à des développements sensationnels ici?

M. Grace: Les enquêtes que vous mentionnez ne sont pas des enquêtes normales. Il s'agit d'enquêtes faisant suite à des allégations selon lesquelles on aurait falsifié ou détruit des dossiers afin de bloquer l'accès à l'information. Dans le cas du ministère de la Santé, on a prouvé à la Commission d'enquête du juge Krever sur le sang contaminé qu'on avait falsifié des dossiers. Nous ne pouvions tout simplement pas rester là à ne rien faire, et c'est pourquoi nous faisons enquête sur cette question très complexe. Nous avons été entravés parce qu'on a contesté notre compétence. C'est maintenant chose du passé. Nous espérons publier notre rapport à ce sujet dans quelques semaines. Je ne peux pas vous dire comment on va y réagir. Tout dépendra de ce que nous dirons.

Mais non, je peux vous assurer que le genre de demandes traitant de falsification de dossiers... Ce sont des enquêtes inhabituelles. Elles obèrent nos modestes ressources et nous les prenons très au sérieux.

[Français]

M. Langlois: Est-ce que vous pourriez nous expliquer les principales questions de droit qui ont été soulevées dans l'affaire Rubin et nous dire en quoi cela a pu affecter le fonctionnement de votre service?

[Traduction]

M. Grace: Si je comprends bien, monsieur Langlois, vous voulez savoir comment j'ai réagi à l'affaire Rubin à la Cour suprême du Canada. Je n'ai pas compris l'interprétation.

[Français]

M. Langlois: Je voudrais connaître les points de droit qui ont été soulevés.

[Traduction]

M. Grace: C'est une affaire intéressante. C'était la première cause d'accès à l'information à parvenir à la Cour suprême du Canada. J'aurais aimé dire qu'il s'agissait d'une affaire plus importante, mais ce n'est pas le cas.

.1020

Voici ce qui s'est passé. M. Rubin a demandé au Conseil privé de lui remettre certains dossiers. On a refusé. Il s'est plaint à mes services. Nous avons fait enquête et donné raison au ministère, à savoir que ces dossiers méritaient d'être exemptés. Il a perdu son procès.

Après que toute l'affaire a été réglée, il s'est adressé à la Cour fédérale pour obtenir copie de la correspondance qui avait été échangée entre mes services et le Conseil privé lors de notre enquête sur sa demande originale. Je dois préciser que la loi m'oblige à faire mes enquêtes en privé, à donner aux plaignants comme aux ministères l'assurance que ce qu'ils nous diront demeurera confidentiel. En substance, on ne peut pas dire publiquement quel dossier fait l'objet du contentieux.

Il a donc contesté le rejet de cette nouvelle requête visant à obtenir copie de la correspondance entre mes services et le Conseil privé. Il s'est adressé à la Cour fédérale, et la première instance lui a donné gain de cause. La cour a dit oui, la loi dit qu'on ne peut pas dévoiler de dossiers au cours d'une enquête. Le juge a dit que l'enquête était terminée, qu'on pouvait alors remettre les dossiers àM. Rubin, et il a rendu une décision en ce sens. Le gouvernement en a appelé de ce jugement de la première instance de la Cour fédérale, et la Cour d'appel fédérale a annulé le premier jugement nous obligeant à remettre nos dossiers.

Vous devez savoir que mes services n'étaient pas partie prenante dans ces affaires. Je ne tiens pas à être vu du côté de ceux qui disent non. Mais franchement, nous aurions pu accepter une décision dans un sens ou l'autre. Mais les ministères ne cessent de me dire que ces dossiers devraient demeurer confidentiels, qu'ils avaient de bonnes raisons de ne pas faire connaître ces informations au monde entier.

Je perdrais toute crédibilité si j'étais le premier à dire non, ma correspondance ou mes échanges avec le ministère, après que la cause a été entendue, ne devraient pas être dévoilés. Donc nous n'avons pas pris parti, parce qu'une décision dans un sens ou l'autre ne vous aurait pas dérangés.M. Rubin en a appelé à la Cour suprême du jugement de la Cour d'appel fédérale. La Cour suprême a repoussé son appel sans même délibérer. Donc, la loi confirme que les informations échangées entre mes services et les institutions gouvernementales constituent des informations privilégiées.

Ce n'est pas une question de droit majeure. En dépit de ce qu'ont raconté certains journaux à l'époque, ce n'était pas à mon avis une défaite pour l'accès à l'information. Nous n'étions pas partie prenante dans ces affaires.

Voilà qui vous donne un aperçu rapide et superficiel de cette question.

La présidente: Monsieur Discepola.

M. Discepola (Vaudreuil): Monsieur Grace, votre rôle est-il à votre avis essentiellement celui d'un ombudsman?

M. Grace: Oui, monsieur, je suis un ombudsman exclusivement.

M. Discepola: Existe-t-il d'autres mécanismes au sein de chaque ministère aujourd'hui qui peuvent répondre au très grand nombre de plaintes relativement à l'accès à l'information au sein de chaque ministère, ou êtes-vous le seul recours?

M. Grace: La pratique est telle que les particuliers adressent leur demande d'information au ministère. Si le ministère refuse de donner l'information, il dit au demandeur que s'il est mécontent de la décision, il peut se plaindre auprès du Commissaire à l'information. On donne au plaignant mon nom et mon adresse.

Il n'existe donc pas de mécanisme au sein du ministère lui-même qui permette d'en appeler de son refus.

M. Discepola: Y a-t-il des frais à l'accès à l'information?

M. Grace: Oui. Il faut payer un droit de 5$ lorsqu'on fait une demande. Ce 5$ vous donne cinq heures de temps de recherche pour obtenir le dossier. La loi prévoit aussi des coûts graduels et justifiables pour le traitement des demandes, pour la reproduction des dossiers par exemple. S'il y a beaucoup de dossiers et qu'il faut y consacrer plusieurs heures, la loi dit que les demandeurs doivent en payer le coût. Je suis d'accord. Je ne crois pas que le contribuable devrait financer des activités de recherches personnelles.

.1025

M. Discepola: Mais êtes-vous d'accord pour dire qu'il faut pénaliser ceux qui falsifient les documents - et je ne veux pas mettre les deux au même niveau?

Ce à quoi je veux en venir, c'est que j'ai vu des cas au niveau municipal où il y avait des abus extrêmes au niveau de l'accès à l'information. Cela se produisait toujours avant les élections municipales ou juste avant les négociations syndicales-patronales. Un syndicat apparaissait et demandait des informations s'échelonnant sur quatre ans, et les fonctionnaires municipaux devaient prendre des semaines pour obtenir toutes ces informations. Ça coûtait très cher. Quand quelqu'un demande toutes les factures de plus de 100$ envoyées par telle ou telle entreprise au cours des quatre dernières années... Avez-vous vu des cas d'abus? Si quelqu'un abuse de ce privilège - et je crois que c'est un privilège que d'avoir accès aux informations qu'on veut - doit-on prévoir des sanctions contre l'auteur de l'abus? Ou croyez-vous vous aussi que le traitement de toutes ces demandes doit se faire selon le principe du recouvrement des coûts?

M. Grace: Je pense qu'il peut y avoir des demandes frivoles et vexatoires. J'ai même recommandé qu'on ajoute une disposition dans la loi pour les cas où les demandes sont de toute évidence vexatoires. Cependant, d'après ce que j'en sais, c'est une chose très rare mais cette possibilité subsiste. Ce que vous dites ne m'étonne pas.

Il y a deux choses. D'abord, il faudrait recouvrer les coûts. Des coûts légitimes devraient être attribués à ces recherches. Pour que tout soit honnête, j'ai proposé que la personne qui... En fait, c'est déjà dans la loi, les gens peuvent contester l'estimation des coûts. Ils peuvent me demander de faire enquête sur la validité d'un tel coût. Il faut s'inquiéter de coûts qui pourraient devenir prohibitifs et décourager des demandes légitimes.

Cependant, il y a toujours la possibilité d'inonder un ministère de demandes. La loi dit clairement qu'on ne peut pas paralyser un ministère pour répondre à quelques demandes d'accès à l'information, et c'est là une exemption légitime. Si le ministère dit ne pas pouvoir répondre à la demande en 30 jours, et en donne les raisons, en disant: Si vous n'êtes pas satisfait, déposez une plainte auprès de M. Grace, nous comprendrons. Nous agirons raisonnablement, je l'espère. Nous dirons oui, c'est une demande injuste; on aurait pu exiger trois mois pour le faire. Nous accepterons cela.

M. Discepola: J'aimerais vous poser une dernière question. Vous parlez de transparence et d'ouverture de la part du gouvernement, sauf pour les cas de sécurité nationale, mais pourquoi est-ce que quelqu'un devrait passer par l'accès à l'information pour obtenir un document? Pourquoi ne devrait-il pas recevoir l'information automatiquement?

M. Grace: C'est une bonne question. La Loi dit que cette mesure n'est pas conçue pour remplacer l'accès informel. On devrait déposer une demande formelle uniquement quand on prévoit des difficultés, ou lorsqu'on veut s'assurer que ses droits sont respectés, je suppose. La réponse, c'est d'avoir une ouverture systémique. Je préconise toujours cela. N'attendez pas une demande formelle, déposez-en une de façon informelle.

Mais oui, c'est une question d'attitude, monsieur Discepola. C'est une question d'attitude. Bien des ministères préconisent le recours à des demandes formelles. Je n'aime pas cette attitude.

La présidente: Une petite question pour Mme Torsney, pour utiliser le temps qui reste.

Mme Torsney (Burlington): Évidemment, les partis d'opposition utilisent parfois votre bureau pour essayer d'obtenir des renseignements, et c'est quelque chose qui recueille l'appui de tous les partis. Cependant, des partis d'opposition pourraient parfois obtenir une réponse de votre bureau et l'utiliser ensuite pour des fins purement politiques et opportunistes. Je me demande ce que vous faites dans ces cas-là et comment vous empêchez des gens de prendre des renseignements obtenus par le truchement de votre bureau et de les modifier.

M. Grace: Tout d'abord, les renseignements ne proviennent pas de notre bureau, mais plutôt du ministère qui détenait l'information au départ.

.1030

Pour ce qui est de notre bureau, nous réussissons parfois - et j'espère que c'est le cas - à aider le demandeur à obtenir des renseignements qui lui ont été refusés. Nous ne faisons aucun commentaire au demandeur, sauf peut-être pour dire qu'il a reçu un mauvais traitement de la part du ministère. Parfois, nous disons cela, mais nous ne parlons jamais de la nature de l'information demandée.

En passant, ce qui motive la demande n'est pas du tout pertinent. Quand on commence à parler motifs, on n'en finit plus.

La présidente: Ma question sera courte, mais elle déclenchera peut-être une longue réponse. C'est à vous de décider.

Pourquoi avons-nous besoin de votre bureau et d'un Commissaire à la protection de la vie privée? Pourquoi ne pas faire comme la plupart des provinces et ne traiter qu'avec un bureau au lieu de deux? Il me semble qu'on pourrait être plus efficace s'il n'y avait qu'un bureau. Qu'en pensez-vous?

M. Grace: Je suis d'accord. J'ai fait cette même recommandation à plusieurs reprises. Ayant occupé le poste de commissaire à la protection de la vie privée pendant sept ans et un poste dans le domaine de l'accès pendant six ans, je vois les deux bureaux travailler dans le même domaine, celui de l'accès. La protection de la vie privée a un côté spécial, celui de se préoccuper du traitement des renseignements sur la vie privée, mais je crois que l'on peut incorporer cet aspect-là.

Je crois qu'il devrait y avoir un seul bureau. Je pense qu'on pourrait faire des économies. Je suis impressionné par le fait que chaque province ait examiné la situation, comme vous l'avez dit, et choisi un guichet unique - le Québec, l'Ontario et plus récemment la Colombie-Britannique. Je ne vois pas le manque d'efficacité à ce niveau-là.

Ce qui importe peut-être le plus avant tout, je crois, c'est que le fait d'avoir deux bureaux sème la confusion, même parfois chez les députés. Quelle est la différence entre la protection de la vie privée...

La présidente: J'ai du mal à croire que parfois les députés s'y perdent, monsieur Grace.

M. Grace: Le mot «accès» est ambigu.

Je suis donc en faveur d'un guichet unique. Je ne connais pas d'autre juridiction où il y en a deux. C'est une anomalie que d'avoir deux commissaires.

Une autre raison pour laquelle je suis en faveur d'un seul bureau, c'est que parfois, pas souvent, mais parfois, chaque commissaire donne à un ministère des conseils différents sur le même sujet. Cela met le ministère ou le ministre ou le sous-ministre dans une situation un peu délicate, car peu importe ce qu'il fait, il va s'attirer des ennuis d'un commissaire ou de l'autre. Des ministres m'ont déjà dit qu'une personne devrait régler ces problèmes: dans ce cas-ci, est-ce que l'intérêt public prime la vie privée?

Dans le domaine de l'accès, nous sommes souvent appelés à prendre cette décision, car la plus grande exemption en vertu de l'accès à l'information est celle qui porte sur la vie privée. Des renseignements personnels ne peuvent pas être obtenus en vertu de l'accès à l'information, mais si, dans un cas donné, il est démontré que l'intérêt public est si grand qu'il devrait primer l'intérêt personnel, l'information sera peut-être divulguée. C'est une question de jugement.

Donc, pour les raisons que je vous ai données rapidement, je suis arrivé à la conclusion au fil des ans qu'un seul bureau servirait les deux causes très bien. Comme je pars, je peux le dire avec un certain désintéressement.

La présidente: Certains parmi nous vont peut-être partir aussi.

Merci beaucoup. Cette rencontre a été très instructive et très franche.

La séance est levée.

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