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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 13 mars 1997

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[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Nous reprenons notre audience sur le projet de loi C-46. Nous allons maintenant entendre l'organisation Les femmes et le droit de McGill, contrairement à ce que dit notre avis. Oui, notre avis dit bien qu'il s'agit de Christine Lonsdale. Elle est de l'Université McGill, où elle est étudiante, je crois. C'est une excellente université, il faut le dire.

Madame Lonsdale, je pense que vous avez entendu nos derniers témoins. Faites votre exposé, après quoi les députés ici présents pourront vous poser des questions. Prenez tout le temps que vous voulez, mais assurez-vous de nous laisser du temps pour vous poser des questions.

Mme Christine Lonsdale (Les femmes et le droit, Université McGill): Je m'appelle Christine Lonsdale. Je suis étudiante en deuxième année de droit à McGill. Je représente aujourd'hui Les femmes et le droit, une association étudiante qui s'intéresse aux questions qui concernent les femmes, particulièrement dans le domaine juridique.

Je veux tout d'abord m'assurer que tout le monde a un exemplaire de mon mémoire parce que je vais me contenter d'en commenter les idées principales. De manière générale, ce projet de loi est bon et nous avons une proposition d'amendement.

Pour commencer, on sait que 90 p. 100 des victimes d'agression sexuelle sont des femmes. Nous savons que la plupart de ces agressions ne sont pas signalées. Nous savons que la plupart des agressions signalées ne font pas l'objet de poursuites judiciaires. Et nous savons que dans la plupart des cas où il y a poursuite, il n'y a pas condamnation.

Dans presque toutes les poursuites où l'on allègue qu'il y a eu agression sexuelle, la défense demande à voir les dossiers de counselling. Je dois dire que l'essentiel de mon exposé porte sur les dossiers de counselling. Je crois comprendre que le projet de loi va plus loin que ça, mais c'est le sujet qui motive notre intervention aujourd'hui.

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Il convient également de noter, et je pense que cela a été dit plus tôt, que dans les poursuites pour d'autres infractions, il est extrêmement rare qu'on demande à voir les dossiers de counselling. D'ailleurs, si l'on demande à voir ces dossiers, la permission est généralement refusée.

Ce qui me ramène à ma première observation, à savoir que le processus de demande en deux parties que l'on propose est extrêmement important et essentiel dans ce projet de loi étant donné que l'on reconnaît d'emblée que c'est le droit à la vie privée du plaignant qui est en jeu. Tous les Canadiens jouissent du droit à la vie privée, et ce droit protège ce qu'il y a de plus intime dans leur vie. On se trompe lorsqu'on dit que le fait de montrer des dossiers personnels à un juge ne constitue pas une atteinte à ce droit à la vie privée. Tel est l'état de la loi aujourd'hui; à ce stade-ci du processus, on ne se préoccupe pas du droit à la vie privée du plaignant. Ce projet de loi change cet état de choses, et c'est très important.

L'éminent juriste américain, Oliver Wendell Holmes, se plaisait à dire que le droit que j'ai de brandir le poing s'arrête là où votre nez commence. Je crois qu'il est extrêmement important de rappeler cette analogie dans ce cas-ci parce qu'il s'agit de concilier deux droits qui entrent en conflit. L'avocat de la défense vous dira que ce conflit doit toujours être résolu en faveur de la défense, alors que ce que nous prétendons nous, c'est qu'il faut à tout le moins tenir compte du droit à la vie privée du plaignant dans le contexte de ce projet de loi.

Nous faisons également valoir qu'une règle générale a été établie en jurisprudence criminelle, à savoir que les dossiers de counselling ne sont pas jugés pertinents étant donné la nature de ces dossiers eux-mêmes. Ces dossiers ne sont pas des comptes rendus factuels. Leur visée est très différente. On y fait surtout état du bien-être émotif de la victime qui pourrait fort bien se faire des reproches à un moment quelconque du processus. Cette réaction ne se limite pas aux victimes d'agression sexuelle; c'est une réaction fort commune.

Chacun admet que dans la plupart des cas, la connaissance de ces dossiers peut infléchir le processus de recherche des faits, mais l'on constate qu'une règle différente a été établie dans le cas des agressions sexuelles. Particulièrement au cours des quelques dernières années, on a constaté que ces dossiers sont très souvent extrêmement pertinents.

Si l'on me permet de citer la jurisprudence, je dirai que la cause Hunter c. Southam a été l'une des premières causes fondées sur la Charte où l'on a arrêté les principes qui doivent guider les perquisitions et saisies, et c'est celui-là qui est à l'origine du droit à la vie privée. Le principal argument invoqué dans cette cause a été le suivant: pour protéger la vie privée, il faut disposer d'un système qui autorise cet accès au préalable. Nous faisons valoir que votre projet de loi est tout à fait conforme à cette philosophie; si l'on veut avoir accès à ces dossiers, il faut avoir une bonne raison. Ce droit n'est pas automatique, et il faut donner une bonne raison pour avoir accès à ces dossiers.

Notre association croit aussi que notre droit a longtemps défavorisé les femmes qui se disaient victimes d'agression sexuelle dans la mesure où on les jugeait moins crédibles que d'autres victimes. Des progrès ont été faits de ce côté. On a vu émerger des initiatives législatives comme les lois sur la protection des victimes de viol, et ces modifications législatives ont résulté dans une large mesure de pressions visant à obtenir l'accès aux dossiers de counselling. C'était, d'une manière, un moyen plus discret de discréditer les femmes devant les tribunaux. Il faut donc régler cela et adopter une loi qui interdise la consultation de ces dossiers.

Je rappelle qu'il est dit dans le jugement Hunter c. Southam qu'on ne saurait avoir accès à ces dossiers sans un bon motif. Dans La Reine c. Dyment, la cour a dit de plus que c'est une chose que d'avoir un motif pour pénétrer dans le domicile de quelqu'un, mais qu'il faut avoir un motif supérieur si l'on veut attenter à l'intégrité corporelle de quelqu'un. Dans le jugement Dyment, il était question d'un échantillon sanguin, d'un dossier médical. La cour a dit très clairement qu'on ne pouvait exiger un tel dossier pour des motifs arbitraires, sous prétexte qu'on pourrait y trouver quelque chose.

Notre association est d'avis que le même critère, et rien de moins, doit s'appliquer aux dossiers de counselling. Un critère supérieur devrait même s'appliquer parce qu'il s'agit ici de l'intégrité de l'esprit. Il s'agit ici d'une preuve qui ne serait pas soumise au tribunal à moins d'avoir une bonne raison d'enquêter de ce côté.

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Votre projet de loi s'inspire fortement de cette philosophie. Il est absolument nécessaire de maintenir l'intégrité du processus en deux étapes, et il faut éviter de le diluer au cours du processus d'amendement, comme l'ont exigé certains groupes. Ce qui m'amène à ma seconde observation, à savoir qu'il faut une bonne raison pour exiger la production des dossiers de counselling.

J'ai la certitude que vous connaissez tous le jugement O'Connor de la Cour suprême. Dans cette affaire, la majorité a défini un certain nombre de motifs qui pourraient donner accès aux dossiers de counselling et qui disent pourquoi les dossiers de counselling sont pertinents de manière générale. Si vous voulez passer aux pages 3 et 4 du mémoire, je vais vous lire ces motifs parce qu'ils sont au coeur de notre proposition d'amendement.

Le premier, c'est que ces dossiers peuvent contenir des informations concernant le déroulement des événements qui sont à l'origine de l'accusation criminelle. Deuxièmement, ces dossiers peuvent révéler l'utilisation d'une thérapie qui aurait influencé le souvenir qu'a le plaignant des événements qu'il allègue. Et troisièmement, ces dossiers peuvent contenir des informations qui ont trait à la crédibilité du plaignant, dont des facteurs comme la qualité de la perception des événements au moment où l'infraction a été commise et le souvenir qu'on en a depuis.

Notre association ne se préoccupe pas beaucoup du troisième motif parce que nous jugeons que le projet de loi est suffisant à cet égard. Mais nous avons des préoccupations quant aux deux premiers. Étant donné le penchant très fort de la Cour suprême sur ce point, à savoir que ces deux éléments constituent des motifs extrêmement pertinents donnant accès aux dossiers de counselling, nous craignons que l'on donne ainsi à l'avocat de la défense une nouvelle arme pour contester la loi que vous proposez.

Nous sommes d'accord pour dire que, conformément à l'esprit de ce projet de loi, cette preuve ne devrait pas être sollicitée à moins d'avoir un bon motif. Mais étant donné la structure du projet de loi, qui fait état des motifs admissibles, où l'on s'assure une fois de plus que les critères sont bien arrêtés, nous sommes d'avis que ces deux motifs devraient être ajoutés à la liste étant donné que les tribunaux ont dit clairement qu'il s'agissait de motifs raisonnables donnant accès aux dossiers de counselling.

Nous tenons à rappeler encore une fois que la structure du projet de loi est telle que, et je crois qu'on a avancé le contraire devant votre comité auparavant, l'un de ces motifs exclus pourrait, dans certaines circonstances, être invoqué par la défense pour obtenir l'accès à ces dossiers de counselling. Je crois que les mots essentiels ici sont «de son propre chef» ou quelque chose du genre. Si l'on prend le cas des souvenirs fictifs, il y a des circonstances où cela peut constituer une préoccupation légitime. Nous craignons cependant qu'on en fasse un motif général pour exiger constamment l'accès à ces dossiers.

Si l'on pouvait prouver qu'il y a des raisons pour lesquelles on devrait s'interroger sur les lacunes d'une thérapie particulière, il ne fait aucune doute que l'on invoquerait cette loi-ci, mais nous craignons encore là qu'on s'en serve comme argument pour contourner l'esprit de ce projet de loi.

Avant de répondre à vos questions, en résumé, nous tenons à dire que ce projet de loi est extrêmement important. Je suis heureuse de voir qu'on ne ménage aucun effort pour l'adopter avant les prochaines élections parce qu'il existe un problème très grave qu'il faut régler au moyen de ce projet de loi, sans quoi, il faudra attendre longtemps avant que ce soit fait.

Deuxièmement, nous avons une proposition d'amendement qui fait état de ces deux motifs d'exclusion supplémentaires, à savoir les deux premiers motifs avancés par la Cour suprême dans le jugement O'Connor, qui constitueraient de bons motifs pour avoir accès aux dossiers de counselling.

Merci.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci, madame Lonsdale.

Chers collègues, avez-vous des questions? Chose certaine, vous avez soulevé ici de nouveaux éléments. Monsieur DeVillers.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Les témoins qui vous ont précédée nous ont dit être contre le projet de loi parce qu'il constitue une injure à la magistrature, à savoir que nous n'avons pas confiance dans les juges et que nous ne les jugeons pas capables de déterminer si ces dossiers peuvent être accessibles ou non. Que répondez-vous à cette objection?

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Mme Lonsdale: À mon avis, on ne saurait dire que ce projet de loi constitue une atteinte à l'intégrité de la magistrature étant donné que l'on confie un rôle très important au juge dans ce processus. C'est le juge, après tout, qui va décider à l'origine si l'on a prouvé qu'il y avait pertinence ou non. Ce premier obstacle franchi, c'est encore le juge qui va prendre connaissance de tous les dossiers et qui va décider ce qui doit être communiqué à la défense pour qu'elle puisse assurer une défense pleine et entière.

Cependant, il est évident que l'on propose cette loi parce que nous ne sommes pas heureux de la façon dont la magistrature a interprété cette disposition. Je pense que c'est compréhensible. Nous nous retrouvons ici dans un contexte pénal, et les juges sont parfaitement conscients de la nécessité de protéger les droits de la défense dans ce processus. C'est cela surtout qui retient leur attention, et je pense que ce qui nous préoccupe dans le processus improvisé que nous avons maintenant, c'est qu'on ne donne pas aux juges la possibilité de tenir compte pleinement du droit à la vie privée du plaignant. Ce projet de loi part du principe que si l'on donne au juge une structure qui lui permet de prendre connaissance des dossiers, il parviendra à la bonne décision. Je n'y vois nullement un affront à la magistrature.

M. Paul DeVillers: On a fait valoir aussi que l'on établit ici un critère plus élevé pour les dossiers dans ce genre d'affaire, les infractions sexuelles, et ce fait - le fait que nous ayons un critère plus élevé - pourrait être contesté à leur avis en vertu de la Charte. Que répondez-vous à cette objection?

Mme Lonsdale: Je suis persuadée que ce sera contesté en vertu de la Charte. Ce qu'il faut se rappeler, et j'insiste là-dessus, c'est que les normes ont évolué dans certains secteurs pour l'accès aux dossiers de counselling. Le problème, ce n'est pas que l'agression sexuelle est différente, mais qu'elle est traitée différemment par les tribunaux. En fait, il s'agit d'un crime violent. Ce genre de dossiers ne sont pas habituellement recevables pour d'autres affaires, mais on a laissé entendre que d'une façon ou d'une autre, dans les cas d'agression sexuelle, il fallait davantage vérifier la crédibilité de la plaignante, parce qu'on craint qu'elle ait reçu des soins psychologiques, et que cela soulève des problèmes particuliers à ce genre d'affaire.

M. Paul DeVillers: Oui. J'ai essayé d'amener les témoins précédents à reconnaître que dans les affaires d'agression sexuelle, la crédibilité de la plaignante était plus mise en doute que dans les autres affaires criminelles. Je ne pense pas avoir obtenu cet aveu. Êtes-vous d'accord avec ces témoins, ou pensez-vous que la crédibilité de la plaignante est plus mise en doute dans ces cas-là?

Mme Lonsdale: Je ne vois pas comment on pourrait en douter. Dans certains cas, c'est nécessairement le coeur même du procès. Mais je dois reconnaître que les règles de base sont différentes; voilà où est le problème. Nous disons que dans certains cas, oui, il faut pouvoir consulter ces dossiers, mais il ne s'agit pas d'un droit automatique et on ne saurait présumer qu'il y a un problème. On entend alors de vagues allégations, jetées au hasard, pour abuser de cette procédure. C'est ce que ce projet de loi veut empêcher.

M. Paul DeVillers: Merci, madame la présidente.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Madame la présidente veut savoir si vous avez des questions.

M. John Maloney (Erie, Lib.): Non, pas moi, madame la présidente. J'apprécie votre présence ici aujourd'hui. Je suis désolé que les choses aient mal tourné lors du vote.

Vous étiez ici lorsque les trois témoins précédents ont fait leur exposé. Je présume que ce sont tous des avocats d'expérience. Ils ont remis en question certains des chiffres que nous leur présentions. Vous avez aussi cité quelques chiffres au début de votre exposé. Ils nous ont posé une question que je vous renvoie: où êtes-vous allée pêcher ces chiffres, comment savez-vous qu'ils sont exacts? Est-ce que ça peut vous aider?

Mme Lonsdale: Je ne peux prétendre au même nombre d'années d'expérience et je ne peux dire que je sais tout ce qui se passe dans les tribunaux, chaque jour. Je dirais aussi, par contre, que le fait d'être en cour tous les jours, à représenter certains intérêts, influence certainement le point de vue qu'on adopte.

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En fait, on trouve les fondements de cela dans un cours de droit criminel de base. Au début, nous devons lire toutes sortes de choses à ce sujet. On insiste beaucoup sur le contexte social qui entoure ces dispositions particulières du Code criminel.

J'avoue que j'entends dire aujourd'hui pour la première fois que cela peut être contesté. Je pensais que c'était une chose généralement acceptée.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Rideout.

M. George S. Rideout (Moncton, Lib.): Madame la présidente, dans un témoignage entendu ce matin, on nous a demandé si un fonctionnaire du ministère de la Justice avait déclaré aux députés qu'ils ne font pas confiance au système judiciaire. Il faudrait peut-être voir si ces allégations sont fondées, puisque cela donne une bien mauvaise image du ministère de la Justice. Je suis convaincu que la présidente voudra tirer cela au clair.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Oui, c'est certainement un problème puisque l'individu n'est pas là pour se défendre.

M. George Rideout: Exactement.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Si j'ai bien compris, leur point de vue sur la situation est complètement différent.

M. George Rideout: Je pense que cette personne, ou ces fonctionnaires du ministère, doivent mettre les choses au clair pour dissiper cette mauvaise impression.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Peut-être faudrait-il leur permettre de faire une déclaration liminaire ou quelque chose de ce genre lors de l'étude article par article.

M. George Rideout: Oui, quelque chose de ce genre.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Madame Lonsdale, je vous remercie beaucoup de votre exposé. Je pense que vous nous avez donné matière à réfléchir. J'ai l'impression que vous avez une brillante carrière devant vous; vous aurez à les affronter dans peu de temps. Je vous souhaite bonne chance dans vos études.

Mme Lonsdale: Merci.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): La séance est levée jusqu'à 15 h 30 lundi quand nous entendrons un procureur de la Couronne. Mardi, si le projet de loi a été renvoyé, nous allons commencer l'étude article par article.

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