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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 24 octobre 1996

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[Traduction]

Le président: Bonjour. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous entamons notre examen des sciences et de la technologie et du «déficit d'innovation» au Canada.

Avant d'accueillir nos témoins et d'entreprendre nos travaux, j'aimerais que l'on s'occupe de trois questions d'ordre administratif. Il s'agit, tout d'abord, d'approuver le mandat du comité en ce qui concerne l'examen des sciences et de la technologie.

J'ai fait distribuer aux membres du comité le texte de notre mandat en les invitant à y réagir. Je pense que tout le monde accepte l'ordre de renvoi. Si c'est bel et bien le cas, je demanderai qu'on propose l'adoption d'une motion à cet effet. S'il y en a parmi vous qui ont des préoccupations relativement aux travaux annoncés, nous prévoirons une discussion là-dessus ultérieurement, mais personne ne m'a saisi de problèmes au cours des dernières semaines.

Monsieur Schmidt.

M. Schmidt (Okanagan-Centre): Ceci concerne non pas l'ordre de renvoi mais plutôt les autres travaux auxquels nous nous consacrerons. Le programme est assez intense, et j'imagine que d'autres réunions encore viendront s'y intercaler afin que l'on puisse mener tout cela à bien.

Le président: Oui.

M. Schmidt: Très bien.

M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Monsieur le président, je propose l'adoption du mandat du comité.

La motion est adoptée

Le président: La deuxième motion concerne l'adoption du calendrier de travaux proposés. Évidemment, pour l'instant, ce sera le travail en table ronde.

M. Bodnar: Je propose l'adoption d'une motion à cet effet.

La motion est adoptée

Le président: Enfin, les membres du comité sont-ils d'accord pour que le mercredi 30 octobre à 15 h 30, nous accueillions des représentants du secteur bancaire relativement à l'examen trimestriel du financement consenti à la petite entreprise?

Des voix: D'accord.

Le président: Ce sera M. Lastewka qui présidera la séance.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Comme cela vous a été expliqué dans les invitations qui vous sont parvenues, cette réunion marque le début d'un examen des sciences et de la technologie par le Comité permanent de l'industrie de la Chambre des communes. Il s'agit ici d'un territoire tout à fait nouveau pour nous.

Nous vous sommes reconnaissants, à vous qui êtes les experts, d'avoir pris le temps de venir vous joindre à nous. Nous sommes des généralistes au vrai sens du terme. J'imagine qu'on pourrait parfois remplacer le mot «généraliste» par «amateur», mais nous sommes tous convaincus qu'il s'agit ici d'une question extrêmement importante pour l'avenir du pays. Nous aimerions apprendre. Nous avons organisé un programme de travail pour les prochains mois pour vous entendre, vous et d'autres.

Nous vous demandons votre indulgence car vous avez devant vous des personnes qui s'attaquent à ce qui constitue pour eux un tout nouveau dossier. Il y aura peut-être donc des questions auxquelles vous réfléchissez depuis des années et pensez peut-être avoir réglées, mais qui sont pour nous tout à fait nouvelles. Nous envisageons donc avec plaisir de vous écouter.

La table ronde a pour objet de nous donner l'occasion d'entendre différents points de vue, puis d'intervenir. En règle générale, une séance de comité dure deux heures. Or, nous avons réservé cette salle pour trois heures. Nous verrons entre midi et 13 heures où nous en sommes. Si les députés ont l'impression d'avoir épuisé leurs questions et si vous, de votre côté, pensez nous avoir dit tout ce que vous aviez à nous dire, nous pourrons nous entendre pour clore la séance n'importe quand. Nous verrons comment les choses se dérouleront.

J'invite également les députés à garder bien à l'esprit le fait qu'il s'agit ici d'une table ronde, ce qui signifie que bien que nous fonctionnions de façon traditionnelle, la formule retenue laissera un petit peu de souplesse aux députés qui s'intéressent à une question bien particulière. Au cours des mois à venir, nous aurons tous l'occasion de soulever des questions mais nous ne le ferons pas selon le mode de fonctionnement traditionnel voulant que chacun dispose de cinq minutes. J'aimerais être aussi généreux que possible en ce qui concerne le temps alloué à chacun, à moins que ne rencontrions un problème, auquel cas il me faudra commencer à imposer des limites.

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Je vais inviter les témoins qui viennent de l'extérieur du gouvernement à ouvrir la discussion. Nous avons parmi nous aujourd'hui un certain nombre de personnes qui ont fait carrière dans le domaine.

Je demanderai au professeur John de la Mothe de commencer, suivi par le professeur Palda.

M. John de la Mothe (directeur du Programme de recherche sur la gestion et l'économie internationales, Université d'Ottawa): Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, je suis très heureux d'être ici parmi vous aujourd'hui. Je pense que nous convenons tous que les questions liées à la science, à la technologie et à l'innovation sont des questions qu'il est extrêmement important qu'un comité comme celui-ci examine. Je suis très heureux de l'occasion qui m'a été donnée de venir ici vous en entretenir.

Comme vous le devinez sans doute, en ma qualité de professeur à l'Université d'Ottawa j'ai l'habitude de parler en blocs de trois heures. Je vais néanmoins m'efforcer de me limiter à dix minutes.

Je vous dirai, en guise d'introduction, que je suis maître de conférences sur les sciences et le gouvernement à l'Université d'Ottawa et directeur de son Programme de recherche sur la gestion et l'économie internationales. J'ai passé un peu de temps au sein du système fédéral canadien - dix années consacrées aux politiques en matière de sciences - et quelques années à l'OCDE. J'ai également enseigné à Harvard et au MIT.

Pour nous mettre dans le bain, j'aimerais, pendant huit minutes et demie, vous parler de façon plutôt générale de la nouvelle économie et du rôle qu'y joueront la science, la technologie et l'innovation. Les journalistes, et nous-mêmes dans notre quotidien professionnel, utilisons très allègrement des expressions qui englobent beaucoup de choses: par exemple «mondialisation» et «économie du savoir», et il y en a bien d'autres encore. Nous les utilisons si régulièrement qu'il nous arrive souvent d'oublier qu'elles renvoient en fait à des dynamiques très réelles et très changeantes: la façon dont nous créons des emplois, la façon dont nous stimulons la croissance et la façon dont s'opèrent des déplacements démographiques et industriels qui ont une incidence sur notre production industrielle, notre rendement commercial, etc.

Parler un petit peu de ce que l'on entend par la nouvelle économie, ou de ce que l'on a appris sur ce que représente cette nouvelle économie, n'est pas du tout un exercice imprudent. Si vous me permettez d'établir quelques contrastes très simples, au cours des 50 dernières années environ, le Canada est devenu un pays très riche grâce, comme vous le savez tous, à des intrants matériels bruts, à des produits bruts ou à du commerce tangible de produits physiques. Pendant de nombreuses années, la préoccupation du Canada et de l'ensemble des pays de l'OCDE était la suivante: quelles combinaisons coûts, compétition axée sur le prix, et main-d'oeuvre- capital allaient amener une amélioration de la productivité. Nous avons mis l'accent sur le commerce de biens tangibles, par exemple exportation de voitures, de bois d'oeuvre ou de minerai. Si vous travailliez à l'intérieur d'un secteur donné, vous saviez d'où venait la concurrence. Vous aviez des ennemis visibles. Si vous aviez une aciérie, vous saviez quels étaient vos cinq gros concurrents, ce qu'ils payaient pour la fonte brute, ce qu'ils payaient pour le transport, quels étaient leurs principaux clients, etc.

Par contraste, vous pourriez dire que dans la nouvelle économie, la nouvelle concurrence s'appuie beaucoup plus des avoirs intangibles et les ennemis sont eux aussi davantage intangibles ou invisibles. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la connaissance devient un facteur de production important: en effet, comptent aujourd'hui non seulement les genres de choses que l'on trouve autour de soi - par exemple arbres, roches ou autres - mais également des choses que l'on peut créer dans notre propre imagination, d'où l'importance de la créativité et de la recherche et du développement organisés. La recherche et le développement organisés sont devenus une force motrice pour le Canada et pour l'ensemble des pays avancés membres de l'OCDE.

En un sens, l'on pouvait déceler tous ces changements dramatiques. Je ne vais pas vous faire tout un cours sur la théorie économique ou commerciale, mais si vous remontiez aux années 1950 - et sans doute jusqu'aux années 1970 - et si vous examiniez les macro-indicateurs du rendement économique, vous verriez qu'il s'opérait toute une danse. Du point de vue analyse économique et élaboration de politiques, c'était très rassurant. L'on pouvait voir que les mouvements commerciaux et les mouvements des investissements ainsi que les augmentations de productivité étaient plus ou moins, par quelque dynamique magique, reliés les uns aux autres. L'on ne pouvait pas déceler la trame, mais l'on constatait qu'au fil du temps il y avait des gains côté commercial et des gains côté investissement, surtout pour les installations et le matériel en ce qui concerne ces derniers.

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Il se faisait donc des investissements dans les installations physiques. Les investissements dans les usines et le matériel et dans la technologie et la machinerie débouchaient sur des gains côté productivité: en effet, si vous achetiez les techniques les plus récentes, la productivité augmentait et cela se trouvait manifesté d'une façon ou d'une autre dans des augmentations du rendement commercial.

L'explication du contenu commercial était assez évidente. Les auteurs d'ouvrages spécialisés parlaient de la théorie commerciale néo-ricardienne. Selon cette théorie, si l'on parvient à comprendre le contenu commercial ainsi que nos partenaires commerciaux... Par exemple - et je vais tenter une explication très simpliste - le Canada possède beaucoup de produits bruts, notamment bois et minerai, alors il est logique que nos exportations, à une certaine époque, aient été axées sur ces produits-là. De la même façon, jusqu'aux années 1970, nous ne produisions pas beaucoup de vin destiné à l'exportation. Or, c'était le cas du Portugal. L'on pouvait également logiquement s'attendre à ce que le Brésil exporte du caoutchouc. Ce sont des atouts naturels, des caractéristiques naturelles de l'économie qui ont amené ce genre de spécialisation, ce genre de contenu, ce genre de profil sectoriel.

Si l'on suit cette logique jusqu'au bout, cela est très rassurant. Cependant, les choses ont commencé à s'écrouler avec la découverte d'un certain nombre de phénomènes. Par exemple, pendant les années 60, selon cette théorie, l'Allemagne, qui fabriquait des outils électriques manuels, n'aurait pas dû exporter aux États-Unis, qui en fabriquaient aussi, mais en fait, le commerce de ces produits entre les deux pays était très fort. Vous vous seriez dit: «Eh bien, ça ne devrait pas être le cas, car chacun des deux pays a un avantage comparatif; chacun d'eux peut le faire, alors pourquoi avoir des échanges commerciaux dans ce domaine?».

L'on a découvert la réponse: tout simplement, les Allemands exportaient des outils électriques destinés au secteur de la construction. Il s'agissait d'outils très solides, très puissants, très bien conçus et dont les moteurs ne brûlaient jamais.

Les Américains, eux, exportaient des outils Black & Decker, conçus pour être accrochés dans le garage et ne jamais être utilisés. Les bricoleurs s'enfermaient dans le garage, disaient «Bonsoir chérie, je te reviens plus tard», prenaient une bière avec les copains, martelaient quelques coups, faisaient quelques tas de sciure de bois, mais ne fabriquaient en fait jamais rien. Si vous essayiez de construire une maison avec des outils Black & Decker, vous brûleriez le moteur de tous vos outils électriques dans la première matinée sur le chantier.

La qualité, le rendement et la conception nous ont fait nous concentrer sur des niches différentes. Cette prise de conscience a été rendue beaucoup plus dramatique lorsqu'on s'est rendu compte aux environs des années 1970 que la productivité était en train de baisser, ce qui est un important indicateur. En même temps, l'on achetait beaucoup d'ordinateurs centraux, qui étaient tout nouveaux sur le marché. Les mouvements d'investissements battaient tous les records, et, typiquement, on avait toujours pensé que les investissements, c'étaient les achats d'usines et de matériel. Le commerce était toujours en expansion, mais pas au même niveau que l'investissement.

Pour en arriver à l'essentiel, ce qui se passait, au fond, c'est qu'une mondialisation était en train de s'opérer grâce aux nouvelles technologies et aux satellites. Des flux de capitaux beaucoup plus importants ont pris naissance et ont atterri, de façon imprévue, dans des universités telles le MIT, McGill, l'université de Toronto, l'université de Heidelberg et la Polytechnique de Milan. L'on a commencé à voir émerger un phénomène en vertu duquel des compagnies investissaient dans de nouvelles idées sans physiquement construire quoi que ce soit, sans physiquement aller où que ce soit. Elles pouvaient acheter des droits de propriété intellectuelle, dépenser 5 millions de dollars à l'université de Manchester, récupérer tous les résultats des travaux de recherche menés dans le cadre d'un projet de télécommunications, et ainsi de suite.

On a ainsi constaté dans d'autres secteurs de l'économie un découplage massif. À l'époque, bien sûr, on était aux prises avec la crise du pétrole, on abandonnait l'étalon or et il se déroulait dans l'économie mondiale d'autres choses qui avaient un effet déstabilisant. Mais il s'opérait par ailleurs en dessous de tout cela une restructuration fondamentale de la nature de la croissance économique, de la création d'emplois, etc.

L'on constate aujourd'hui au Canada que la majorité des nouveaux emplois et des nouvelles entreprises appartiennent au secteur des services, mais l'on n'entend plus par là les restaurants et les hôtels, mais plutôt les compagnies de conception de logiciels, les constructeurs d'ordinateurs, les fournisseurs d'entreprises, les services informatiques et les services bancaires. Dans ces secteurs se créent ce que Robert Reich, le secrétaire d'État américain, appelle des «emplois symboliques de type analyste», qui sont occupés par des personnes qui consacrent le gros de leur temps à jouer avec des données, à manipuler des chiffres, à jongler avec des interprétations, etc., au lieu de ramasser du charbon à la pelle ou autre.

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Pendant cette période, et même un petit peu plus tôt - en fait, pendant les années 1960 - , on a vraiment pris conscience du rôle important de la science et de la technologie du point de vue des pouvoirs publics, du point de vue économique. On y avait été beaucoup sensibilisé, bien sûr, par le Sputnik en 1957 et par la bombe atomique en 1945, mais les retombées civiles ou économiques ne sont clairement ressorties que dans les années 1960 et 1970.

Ce dont on s'est rendu compte, c'est que les gouvernements se précipitaient pour financer, au niveau national, la recherche scientifique et le développement technologique. Cela s'est fait dans tous les pays membres de l'OCDE, à telle enseigne qu'aujourd'hui nous dépensons collectivement, en tant que groupe de l'OCDE, plus de 380 milliards de dollars par an au titre de la science et de la technologie. Les avantages ont été manifestes, et il suffit de prendre comme exemple la salle où nous nous trouvons. Il s'agit d'une belle réalisation technologique, avec les micros, l'éclairage, toutes ces installations permanentes que nous tenons tous pour acquises.

Pendant les années 1980, tous les pays membres de l'OCDE ont sombré dans une certaine confusion. On a commencé à mettre l'accent sur la recherche et le développement en tant qu'outil compétitif en soi, et l'on a commencé à se préoccuper des objectifs en matière de R-D. Le macro-indicateur était le DBRD-PIB, soit les dépenses brutes en recherche et en développement exprimées en tant que pourcentage du produit intérieur brut. Au sein de l'OCDE, chaque pays a commencé à essayer de se situer par rapport aux autres pays de l'OCDE. Le rapport aux États-Unis était d'environ 3 p. 100, tandis qu'il était de près de 1,5 p. 100 au Canada.

Il y a un type en ville qui s'occupe de politique scientifique depuis vraisemblablement 25 ans, et qui est en train de rédiger sa biographie, qui aura pour titre From 1.5% to 1.5%: My 25 years in Canadian Science Policy. Notre rendement à ce chapitre a été plus ou moins constant. Nous sommes au bas du G-7 ou du G-8, et cela n'est guère étonnant. La Suède affiche un rapport DBRD-PIB de beaucoup supérieur au nôtre, et ainsi de suite, mais cela ne pose pas de problème en soi.

Lors de la campagne électorale de 1983, on a commencé à être obsédé par les objectifs en matière de DBRD-PIB. Bien sûr, à l'époque, la blague à l'OCDE était que le moyen le plus rapide de doubler son DBRD-PIB était de faire chuter l'économie, selon une règle arithmétique qui était la norme. Mais l'idée que l'on peut doubler son DBRD-PIB du jour au lendemain est une notion dangereuse et trompeuse. Il ne s'agit pas tout simplement de dépenser dans l'après-midi 1 milliard de dollars de plus. C'est une question de capacité des usagers, de potentiel d'absorption technologique et de disponibilité d'utilisateurs dans les secteurs civils: il faut que quelqu'un puisse utiliser tout ce qui est produit.

Pendant les années 1970 et 1980, donc, il était beaucoup question de la nature de l'innovation, qui était à l'époque exprimée par le modèle d'innovation linéaire. Le modèle linéaire se présentait sous trois formes: la poussée scientifique, la force de la technologie et la force du marché. Essentiellement, l'innovation et la livraison des idées sur le marché s'inscrivaient dans une ligne droite.

Dans le schéma «poussée scientifique», il y avait des chercheurs qui faisaient tout ce qu'ils voulaient et qui jetaient quantité de résultats de travaux de recherche par-dessus bord. Les ingénieurs et les technologues fouillaient dans la poubelle, y trouvaient de temps à autre quelque chose d'utile, l'inséraient dans un produit et voilà qu'on débarquait sur le marché. Tout cela était alimenté par des idées scientifiques.

Dans le modèle «force technologique», les technologues ou les ingénieurs s'attaquaient à l'élaboration d'un nouveau produit. Par exemple, ils disaient: «Oups, nous avons un goulot d'étranglement: comment faire pour aller d'ici à là? Il s'agit surtout d'un problème de recherche scientifique». Ils renvoyaient ainsi le problème à la communauté scientifique. Celle-ci le réglait, peut- être dans le cadre d'un contrat, livrait la réponse à la communauté des ingénieurs, et tout reprenait son cours normal.

Dans le modèle «force du marché», quelqu'un se réveillait un beau matin et disait: «En tant que société de consommation, nous aimerions avoir un téléviseur couleur. Pourriez-vous s'il vous plaît nous en donner un?».

Bien évidemment, chacun de ces modèles est très loin de correspondre à la façon dont le monde de la recherche fonctionne véritablement, de la façon dont se vit l'innovation et de la façon dont l'économie et les consommateurs réagissent aux nouvelles idées ainsi qu'aux nouveaux produits et aux améliorations technologiques.

L'on s'est donc quelque peu éloigné de cela, même s'il demeure beaucoup de vestiges et un énorme intérêt à l'égard de ce genre de modèle. Tout d'abord, cela plaît parce que c'est simple. Mais c'est également faux. Comme le disait Mencken, il existe pour chaque problème difficile une réponse qui est simple, élégante, et fausse. Cela débouche également sur une position ou une perspective de politique naturelle qui est plutôt centralisée, où la réponse vient d'en haut et où il est possible de dire que l'on va consacrer de l'argent à telle ou telle chose parce qu'on sait que le système fonctionne. Rien de tout cela n'est guère utile.

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Ces dernières années, on est passé à une discussion beaucoup plus utile ce, grâce à une quantité de travail énorme sur l'économie de l'innovation. Le professeur Palda s'occupe de ce genre de travail.

On en est arrivé à une toute nouvelle compréhension de la théorie commerciale, de l'économie de l'innovation et de la façon dont l'innovation amène le rattrapage et la relance, du point de vue économique, sur le plan création d'emplois, acquisition de compétences, etc., et du rôle des différents secteurs et des différents intervenants dans l'économie. En un mot, l'on ne met plus l'accent sur la recherche et le développement, mais sur l'innovation.

L'innovation, comme l'a expliqué Joseph Schumpeter, l'économiste, se présente sous cinq formes de base: le processus de l'innovation - qui permet de mieux faire les choses, le processus de fabrication étant régularisé; l'innovation de produits - le nouvel emballage, le nouveau jouet, un nouveau bien de consommation; la réorganisation sociale - qui est la façon d'organiser l'entreprise à l'intérieur, en vue d'atteindre les objectifs en matière de productivité - Ford était très fort là- dessus et a réorganisé ses usines selon les préceptes de Taylor - ; l'innovation de marché - soit la découverte ou l'ouverture de nouveaux marchés pour l'entreprise; et l'accès à du nouveau matériel - et cela peut se faire au moyen de substitution de facteurs ou de remplacement pur et simple par des matériaux qui ont de meilleures propriétés, qui sont tels qu'ils sont plus malléables dans le cadre du processus de production.

Miser sur l'innovation plutôt que sur la R-D est extrêmement important. Cela suppose un certain partenariat: il ne s'agit pas d'attendre que les chercheurs trouvent l'idée, que les technologues ou le marché dictent par magie les besoins, mais de permettre à des partenariats d'instaurer des synergies, des liens usagers- producteurs. Quantité de sociétés novatrices travaillent de nos jours délibérément avec leurs fournisseurs, dans l'usine, pour leur expliquer: voici comment nous utilisons votre produit, pouvez-vous noua aider à aplanir le processus? Ce genre de choses a toutes sortes de ramifications sur le plan gestion. Il y a tout un rôle de création de connaissances, ce qui signifie qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un doctorat. Vous pouvez très bien avoir été formé au collège professionnel et malgré tout diriger une société de technologie de pointe en achetant des produits chez Radio Shack.

Il en résulte une situation telle que chacun, grâce à son entrepreneurship et à sa créativité, peut faire partie de la solution plutôt que d'attendre que les chercheurs dans les laboratoires pondent une gamme d'intrants possibles. Il en résulte plusieurs choses: cela permet au gouvernement de se concentrer sur ce qu'il peut faire; cela permet aux gens de participer à la solution; et cela permet aux chercheurs et aux ingénieurs dans les laboratoires à se consacrer à ce pour quoi ils sont doués, c'est-à-dire résoudre les problèmes techniques de l'avancement de la connaissance et constituer un nouveau stock qui va déboucher sur la création d'éléments genre Radio Shack.

Tout cela s'est trouvé reflété dans le cadre d'un modèle qui a été baptisé «système national d'innovation», et qui est très nouveau. Il s'agit d'une formule qui pose des problèmes à certains égards, mais on la retrouve dans les récents documents relatifs à l'Examen des sciences et de la technologie, notamment le plan stratégique du Conseil national de recherches et certaines des stratégies qui en découlent.

Cela permet de mettre l'accent sur l'établissement de priorités pour le gouvernement, sur l'harmonisation promise dans l'Examen des sciences et la technologie, et sur la coordination. Au lieu que la façon dont le système fonctionne soit dictée par le haut, cela permet selon moi au gouvernement de reconfigurer la façon dont il va s'occuper de financement, de travail, d'organisation et de stimulation de la recherche et du développement, de création d'emplois axés sur l'innovation, la science et la technologie, de création de secteurs et de multiplication de possibilités technologiques.

Il me semble que je parle depuis 22 minutes au lieu de dix, alors je vais m'arrêter là.

Le président: Merci beaucoup. Vous nous avez fait une excellente entrée en matière, et nous allons revenir sur certaines des idées que vous avez évoquées. La seule raison pour laquelle nous suivons la règle des dix minutes est que vu le nombre de personnes qu'il y autour de la table, le temps va passer très vite.

L'intervenant suivant sera le professeur Palda. Vous pourriez peut-être nous parler un petit peu de vous-même et des principaux thèmes qui vous occupent.

M. Kristian S. Palda (professeur émérite, université Queen's): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, de m'avoir invité et d'écouter tous ces exposés de dix minutes.

En ouvrant la séance, vous avez dit que le comité est très intéressé à apprendre des choses au sujet de nouvelles questions, de nouvelles évolutions. Je suis professeur émérite à l'université Queen's et je me souviens d'avoir comparu devant le comité en 1988, et l'on avait alors discuté de questions semblables. J'ai également comparu devant un comité sénatorial en 1984 et toutes ces choses... pas juste mes conférences qui ont été reprises dans des rapports.

J'aimerais dire que la mémoire institutionnelle est incrustée dans ces rapports parlementaires, et peut-être que vous pourriez les consulter, car nombre des questions que nous allons aborder aujourd'hui ont déjà fait l'objet de discussions.

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Le professeur de la Mothe a admirablement résumé l'histoire des idées et de l'économie des30 ou 40 dernières années. Il a également mentionné que les nouvelles stratégies du gouvernement semblent être davantage adaptées... ou en tout cas, il recommanderait que les nouvelles stratégies du gouvernement soient davantage adaptées à la réflexion contemporaine en matière d'innovation et de capacité d'innovation.

J'ai du mal à croire que c'est le cas, car je parle un petit peu partout de l'idée que le gouvernement devrait être moins présent, dépenser moins d'argent, et moins s'ingérer dans l'économie de la recherche et du développement et dans le subventionnement des sciences appliquées.

On m'avait demandé d'apporter 20 copies de ce mémoire, en vue de leur distribution aux membres du comité, mais on me dit que le texte n'a pas été traduit. Je pourrai vous faire exactement le même exposé en français, si vous préférez. Mais il serait bon que vous ayez le texte devant les yeux, car je pourrais ainsi vous renvoyer à trois graphiques qui s'y trouvent.

Le président: Nous avons le document ici. Il me faut l'autorisation du comité pour distribuer le texte en anglais seulement, après quoi il sera traduit.

Monsieur Leblanc.

M. Leblanc (Longueuil): D'accord.

M. Palda: Je peux commencer tout de suite, avant que vous ne l'ayez.

Étant donné que j'aimerais prendre un maximum de dix minutes, je compte ne vous entretenir que de trois des principales conséquences, cernées dans le cadre de mon examen permanent des politiques canadiennes en matière d'innovation, et qui ont fait l'objet d'un livre que j'ai publié il y a trois ans avec l'Institut Fraser.

La conséquence essentielle en ce qui concerne les politiques en matière d'innovation des gouvernements fédéral et provinciaux, est que les pouvoirs publics devraient tout d'abord se demander si nous avons des manquements côté esprit d'innovation. Il y aurait peut-être ensuite lieu de se demander si le gouvernement peut insuffler un peu d'énergie à l'innovation. Troisièmement, nous devrions nous demander comment nous y prendre.

La première étape serait de faire une comparaison internationale de la capacité d'innovation du Canada ou de son manque de capacité d'innovation. Si vous prenez la figure 1, vous y verrez que lorsque je parle de capacité d'innovation, je ne parle pas uniquement d'innovations - nouveaux produits et procédés - mais également de la diffusion des innovations, de leur adoption par des sociétés clientes ou par des consommateurs.

La diffusion positive d'une innovation nous donne une idée de la capacité d'innovation. Par conséquent, il faut se débrouiller pour tenir compte des deux choses. Mais les deux choses sont très difficiles à mesurer. Et il est trompeur de parler de mesures de capacité d'innovation qui nous amènent à comparer des torchons et des serviettes.

Cependant, lorsqu'on ne se concentre que sur l'aspect innovation, l'on sait, d'expérience, que l'innovation industrielle suppose souvent du travail de recherche et de développement, que c'est la direction qui est responsable d'amener cela au marché, et que livrer une innovation sur le marché ou à l'usine suppose un investissement énorme, et pas uniquement un investissement dans la recherche, mais également un investissement côté livraison sur le marché, publicité, etc.

Ces innovations seront donc fonction non seulement des compétences de la direction et des laboratoires de recherche et de développement, mais également des conditions dans les milieux d'affaires.

L'on peut penser que les conditions dans les milieux d'affaires sont cycliques, et qu'elles sont surtout fonction du contexte. En d'autres termes, il s'agit de savoir si les pouvoirs publics gèrent leur boutique de façon responsable, avec des taxes qui sont raisonnablement basses, sans imposer un trop lourd fardeau réglementaire aux sociétés, etc.

En effet, toutes ces choses participent de l'innovation et de la création, tout comme la recherche fondamentale, bien sûr, qui est souvent le produit d'universités, et les retombées, soit le travail novateur qui a été fait dans d'autres industries, au Canada et à l'étranger.

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Il s'agit néanmoins là d'une vision plutôt complexe. Si vous voulez ramener cela à une mesure du DBRD-PIB, dont parlent tant les politiciens... Je me souviens que, dans les années 1960, les politiciens essayaient d'axer leurs programmes sur la volonté de faire passer les dépenses brutes sur la recherche et le développement divisées par le PIB de 0,85 ou 0,9 p. 100 à 2 ou 2,5 p. 100. Il n'est pas vraiment juste de dire qu'on est figé à 1,5 p. 100 depuis 25 ans. Le rapport s'est quelque peu amélioré. Mais ce rapport DBRD-PIB, qui est très simple à comprendre, est trompeur en tant qu'indicateur des innovations réalisées par le Canada ou par un quelconque autre pays.

Permettez-moi de vous dire quelques mots là-dessus, car cela est souvent au coeur même de la discussion. Pourquoi est-ce trompeur? Pourquoi ce ratio d'intensité à l'échelle de l'économie est-il trompeur? Il est trompeur pour plusieurs raisons.

Premièrement, la R-D n'est qu'un facteur parmi d'autres dans la capacité d'innovation. Pendant longtemps après la guerre, le Royaume-Uni a été dans le premier peloton pour ce qui est de l'intensité de ses travaux de recherche. Je suis pour ma part tout à fait convaincu qu'au Royaume-Uni le ratio était de l'ordre de 5 ou 6 p. 100, mais ce travail n'a rien donné d'autre que de nouveaux missiles et autres produits militaires. Cela n'a que très peu à voir avec l'état de préparation des sociétés en matière d'adoption de nouveaux produits ou procédés. Le Japon, pendant les années 1960 et 1970, a affiché un ratio très bas. Le pays absorbait, au lieu de créer, de nouvelles technologies.

L'intensité des recherches à l'échelle de l'économie est très grandement influencée par les dépenses au titre de la défense. Le Canada consacre une bien moindre proportion de son PIB à la défense que, par exemple, la France. D'autre part, étant donné qu'une part importante de la R-D industrielle concerne le secteur manufacturier et qu'au Canada la part de ce secteur dans le produit intérieur brut est inférieure à celle relevée au Japon, l'on peut s'attendre à ce que, toutes choses étant égales, le rapport DBRD-PIB du Canada soit inférieur.

Mais au Canada en particulier, il importe de souligner la présence des multinationales. Si nous suivions les études faites par Industrie Canada dans les années 1970 et un certain nombre d'autres études réalisées depuis, nous nous apercevrions que les filiales canadiennes - principalement celles de sociétés américaines, mais également de sociétés suisses, britanniques et allemandes - ont beaucoup bénéficié de la recherche effectuée à l'étranger. Cela est dû au fait que dès que l'on appartient à la chaîne multinationale, si un laboratoire dans le sud de la France, mettons, fait une certaine contribution, le laboratoire à Mississauga bénéficiera gratuitement, ou presque, des résultats ainsi obtenus.

L'importation invisible de R-D n'intervient pas dans le ratio DBRD-PIB. L'on pourrait très bien dire que si l'on tenait véritablement compte de ces importations invisibles, le ratio DBRD-PIB du Canada dépasserait, et de loin, les 2 p. 100.

Je maintiens donc que le rendement du Canada sur le plan innovation n'a pas été très bien documenté, mais il n'est sans doute pas aussi mauvais qu'on le dit sans cesse, et je songe tout particulièrement aux gens qui placent le Canada, avec l'Italie, au dernier rang parmi les membres du G-7 en matière de rendement dans le domaine de la recherche.

La question qui s'impose alors est celle de savoir ce que le gouvernement peut y faire, si même il peut y faire quelque chose. Nous avons une histoire truffée d'échecs, à commencer par le plus gros, soit l'Énergie atomique du Canada Limitée. Les déficits accumulés par cette société sont sans conteste les plus importants au pays dans le secteur scientifique. Mais nous avons également Canadair, Bombardier, Telidon, etc.

Mais il s'agit là d'exemples bien précis. La question qu'il faut se poser est celle de savoir quel soutien le gouvernement a accordé aux activités de R-D industrielles au Canada. La réponse est la suivante: un soutien plus que généreux. Les recherches effectuées par plusieurs instituts canadiens très sérieux établissent qu'à l'exception de Singapour, le Canada a le plus généreux régime fiscal en matière de soutien à la R-D au monde.

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Il existe deux catégories de soutien fédéral. Si vous regardez la figure C, vous verrez que le soutien est partagé entre subventions et crédits d'impôt. Vu l'heure, je vais me contenter de dire quelques mots au sujet des crédits d'impôt.

Vous bénéficiez de crédits d'impôt dès lors que vous avez entrepris du travail de R-D. Si le ministère du Revenu a approuvé votre dépense, alors vous recevez automatiquement l'argent. Personne ne demande si ce travail de R-D aurait été accompli en l'absence d'un crédit d'impôt ni si quelqu'un d'autre n'effectuait pas en même temps le même genre de recherche, devant déboucher sur le même type de produit ou de procédé.

Il est par ailleurs possible de faire des recherches plus approfondies sur les subventions et de déterminer si une société mérite une subvention et en a besoin. La façon de s'y prendre est résumée dans mon mémoire. Il faut, bien sûr, disposer d'une bureaucratie, et il faut pour cela des comités consultatifs et tout le reste, et une enquête beaucoup plus ciblée. C'est pourquoi la filière fiscale est plus simple et moins exposée, si je puis dire, aux pressions de lobbyistes, etc.

La filière fiscale... En plus d'autoriser les sociétés à déduire 100 p. 100 de leurs dépenses au titre de la recherche, on leur a accordé jusqu'ici bien plus de 1 milliard de dollars en crédits d'impôt, et, comme je l'ai mentionné, l'on ignore si les travaux concernés auraient été effectués en l'absence de ces crédits d'impôt.

L'on peut donc dire que le contribuable n'est peut-être pas très bien servi par ces investissements dans des innovations naissantes. Il y a peut-être lieu de se demander, pour en revenir à la déclaration initiale, si le climat commercial général est tel que l'industrie, les services, etc. investiront dans la recherche sans forcément pomper le contribuable. Vous devriez peut-être réfléchir à cette question qui occupe les économistes depuis au moins dix ou 15 ans.

Le président: Merci beaucoup, professeur. Vous nous avez exposé un point de vue très stimulant. Je pense qu'il nous faudra y revenir et en discuter.

J'inviterai maintenant Jim Goodfellow, de Deloitte and Touche à faire son exposé, s'il le veut bien.

M. Jim Goodfellow (directeur national, Deloitte and Touche): Merci, monsieur le président.

Je suis comptable agréé chez Deloitte and Touche, et j'y suis responsable de diriger la fonction innovation chez nous. Je suis également très actif au sein de l'Institut canadien des comptables agréés. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de participer aux discussions de ce matin.

La question de l'amélioration de nos systèmes d'innovation et de nos capacités de recherche ainsi que celle du développement de notre capital intellectuel sont, je pense, d'une importance critique. Le professeur de la Mothe a abordé cette question dans le contexte de la nouvelle économie. Ce que j'aimerais pour ma part faire ce matin c'est vous donner une micro-vision de la situation et vous exposer mon expérience dans mon travail avec nos clients, parmi lesquels figurent un grand nombre de compagnies de haute technologie, mais d'autres également. Je pense que cela servira à illustrer plusieurs des points qui ont été soulevés ici ce matin.

Mon expérience, le fruit d'avoir servi un certain nombre de clients, surtout dans le domaine de la haute technologie, mais également de mon travail en matière d'établissement de normes de comptabilité auprès de l'Institut canadien des comptables agréés, au sein duquel je suis très actif depuis de nombreuses années, étant ancien président de l'Accounting Standards Board et ayant travaillé aux côtés d'organismes de réglementation de l'achat-vente d'actions relativement à la divulgation de renseignements au public et de toutes sortes d'autres questions de mesure, m'a appris deux choses: tout d'abord que l'innovation, la recherche effective et le développement de capital intellectuel sont critiques pour les compagnies et leur capacité d'être concurrentielles. J'ai constaté un changement important, tout particulièrement pendant la décennie en cours, au fur et à mesure qu'on a été sensibilisé à la nouvelle économie et qu'on a commencé à la vivre. J'ai vu certains de mes clients disparaître et j'en ai vu d'autres naître. J'ai vu des clients se réinventer. Les changements ont été importants.

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Le passage de la possession d'avoirs tangibles à la possession d'avoirs intangibles et les questions qu'a évoquées le professeur de la Mothe relativement aux concurrents invisibles et à la nécessité de créer et de gérer le capital intellectuel, sont absolument critiques et seront fondamentaux tant au niveau de la compagnie - et je songe ici à la capacité d'être concurrentiel - qu'à celui du pays, pour ce qui est de notre capacité de réussir dans ce marché mondial.

Voilà donc la première chose que j'ai apprise. La deuxième chose que j'ai apprise est que l'innovation, le capital intellectuel, la recherche et le développement sont très difficiles à mesurer au niveau de la compagnie et dans le contexte de l'économie dans son ensemble, même si mon travail ne m'amène pas à intervenir dans ce domaine. Au niveau de la compagnie, ces nouveaux avoirs critiques sont très difficiles à mesurer. Nos anciens systèmes ne fonctionnent pas très bien. Il nous faut de nouveaux outils et de nouvelles méthodes de mesure.

Comme Tom Peters, l'un des grands professeurs de gestion et gourous en matière de consultation, l'a, je pense, dit, ce qui est mesuré est géré et est fait. Si votre principal avoir est un capital intellectuel invisible et intangible que vous avez beaucoup de mal à mesurer, alors il vous sera très difficile de le gérer. Il suffit de regarder le coefficient de capitalisation des résultats des compagnies de haute technologie et les écarts énormes entre la valeur marchande de leurs actions en circulation et leur valeur comptable, et cet écart peut être attribué à leur capital intellectuel. Si vous allez leur demander ce que c'est ou si elles ont des systèmes capables de leur dire pour l'exercice en cours si le capital intellectuel a augmenté ou a reculé, elles ont beaucoup de difficulté.

J'exhorte le comité, alors qu'il cherche des solutions, à mettre dans son assiette le défi suivant: celui d'élaborer de meilleurs systèmes de mesure, même si cela est très difficile. À l'heure actuelle, l'on ne sait pas quelle forme pourraient prendre ces systèmes de mesure.

La profession de comptable peut aider et peut également, je pense, contribuer aux problèmes auxquels nous nous trouvons confrontés, bien que je ne veuille pas dépeindre la profession comme étant responsable du déficit d'innovation qui existe ou qui n'existe pas. Si vous prenez la comptabilité et songez aux indicateurs économiques dont on a parlé, soit dépenses brutes en matière de recherche et de développement par rapport au produit intérieur brut, et d'autres choses du genre, la comptabilité ne fait pour l'heure que mesurer les intrants. Tout ce que nous pouvons cerner en matière de mesure du capital intellectuel c'est le montant d'argent que l'on peut consacrer à la R-D. Cela crée certains problèmes.

De la même façon, pour ce qui est de la formation et d'autres questions entourant le développement du capital intellectuel, l'on ne mesure en fait que les intrants. L'on ne mesure pas le produit. Les intrants, qui sont classés sous la rubrique coûts, sont considérés comme étant des coûts d'exploitation. Par conséquent, lorsque les temps sont durs, ces coûts peuvent être réduits et les résultats sur le plan comptable donnent un effet pervers. Les choses s'améliorent, mais vous pouvez néanmoins continuer de vous attaquer au coeur de votre capital intellectuel. Et le tout recommence. Si nous n'avons pas d'indicateurs qui nous disent où se situe notre capital intellectuel, alors, malheureusement, l'actuel système le traite comme étant un coût. Lorsque vous réduisez ce genre de choses, le résultat à court terme est que les choses s'améliorent ou donnent une meilleure impression. Vos gains augmentent.

La situation n'était sans doute pas aussi désespérée autrefois, car la comptabilité a vraiment mûri à l'ère industrielle, lorsque les questions primordiales en matière de comptabilité étaient celles de savoir comment comptabiliser les usines et le matériel, comment évaluer leur durée de vie utile, comment distribuer leur coût dans le temps, comment répartir les revenus dans les différentes périodes, etc. Ces problèmes n'étaient pas graves. Dans la nouvelle économie, comme l'a expliqué le professeur de la Mothe, lorsque vos principaux avoirs prennent la forme de capital intellectuel et lorsque vos principaux concurrents sont invisibles, un système qui n'est axé que sur la comptabilité de choses tangibles devient davantage un problème.

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Les réponses à cela ne sont pas claires. Cela va exiger un travail énorme, car si vous prenez une approche qui dit qu'il nous faut attribuer une valeur numérique au capital intellectuel d'une entreprise, surgissent alors toutes sortes de problèmes de mesure. Je ne sais pas quelles sont les solutions, mais il est clair qu'il nous faut nous attaquer à ces questions.

À cet égard, l'Institut canadien des comptables agréés a, dans le cadre de sa nouvelle vision quant à la façon dont la profession devrait s'attaquer à ce genre de questions, créé un groupe, que nous avons appelé la Canadian Performance Measures Initiative, en vue de tenter de lancer des travaux de recherche en coparticipation avec des sociétés, des universités et tout autre intéressé en vue d'élaborer des indicateurs et de s'attaquer au problème dans le but de trouver de meilleurs outils et méthodes de mesure.

L'autre chose que j'aimerais dire en conclusion est que lorsqu'on se penche sur les pratiques des compagnies - et lorsque j'examine les pratiques de mes clients, parmi lesquels figurent un certain nombre de très grosses multinationales basées au Canada et de très grosses multinationales appartenant à des intérêts étrangers - eh bien, dans ce contexte, le point soulevé tout à l'heure au sujet du régime fiscal favorable au Canada est très vrai. Nombre de ces sociétés ont mené des études et conclu qu'exception faite de Singapour, le Canada est le meilleur pays au monde pour faire du travail de recherche et de développement.

Le défi pour la filiale canadienne de la multinationale étrangère était d'essayer de convaincre l'administration étrangère de la validité de son projet afin que davantage de R-D soit effectuée au Canada. Faisait donc partie du système de marché interne de cette compagnie la façon de défendre ce point de vue.

La recherche-développement dans les multinationales est organisée à l'échelle mondiale. Tout se fait à la vitesse de la lumière. C'est invisible et cela se déplace partout à l'intérieur de la société. Je ne pense cependant pas que nous ayons fait assez pour promouvoir les avantages du Canada en tant que lieu d'accueil de la R-D, surtout auprès des multinationales, et nous n'avons pas non plus fait assez pour armer les cadres canadiens de multinationales étrangères de données susceptibles de convaincre leurs supérieurs d'envisager sérieusement le Canada comme base pour la R-D.

L'autre chose que j'aimerais souligner est que tout le concept de la R-D doit changer. L'ancien paradigme dans l'industrie était le laboratoire au bout du couloir ou dans un parc de recherche, et mon travail était de gérer l'usine et celui du laboratoire était de produire les idées. Ce que nous constatons aujourd'hui c'est que toute la société est engagée dans le processus d'innovation dans le but d'habiliter tous les employés à participer aux quatre types d'innovations dont le professeur de la Mothe a parlé.

Cela exigera d'importants changements dans la gestion. Il nous faut, pour créer l'environnement requis, former de nouveaux genres de cadres, ou bien les rééduquer, les recycler; il faut des cadres qui soient à l'aise dans leur travail et qui sachent comment utiliser ces processus de création indépendante sans pour autant perdre le contrôle de toute la boîte. Parfois, lorsqu'ils imposent de vieilles techniques de commandement et de contrôle, ils tuent le processus qui sous-tend le tout.

Cela m'a fait plaisir de vous exposer ces idées. J'encourage le comité à poursuivre ses efforts, car votre tâche est très importante, tant pour les sociétés que pour le pays.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Goodfellow, en particulier d'avoir soulevé de nouveau la question de l'utilisation de notre régime fiscal pour encourager la R-D et de ce qu'il convient de faire à cet égard. Plusieurs personnes ont abordé la question avant vous.

Je donne maintenant la parole à Chris Albinson, de l'Association canadienne de technologie de pointe. Monsieur Albinson.

M. Chris Albinson (directeur, Consortium et Relations gouvernementales, Association canadienne de technologie de pointe): Je vous remercie, monsieur le président.

Avec votre permission, j'aimerais faire distribuer le texte des huit diapositives que je vais utiliser dans mon exposé, si cela convient.

Le président: Oui, très bien. La greffière va s'en charger.

M. Albinson: Excellent.

En guise d'introduction, je me nomme Chris Albinson. Je suis membre du conseil d'administration de Newbridge Networks, une société ayant son siège dans l'ouest d'Ottawa. Je représente ici l'ACTP, l'Association canadienne de technologie de pointe.

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Cette association compte 1 000 membres dans tout le pays et est actuellement la plus importante association technologique du pays. Près de 85 p. 100 de nos membres sont des petites et moyennes entreprises. Aussi, je suis venu aujourd'hui pour essayer de vous expliquer les problèmes très réels que rencontrent ces entreprises, et aussi les perspectives de croissance très réelles qui s'offrent à elles et ce que le comité peut faire pour les aider à réaliser ce potentiel. C'est le sujet dont je veux vous entretenir aujourd'hui.

Quelques mots sur mes antécédents. J'ai enseigné à l'Ivey Business School de l'université Western Ontario et travaillé à l'étranger, en Europe de l'Est et en Russie, pendant près de trois ans, pour aider ces pays à adapter chez eux la technologie, et je m'occupe actuellement de développement d'entreprises, c'est-à-dire du lancement d'entreprises technologiques dérivées, pour le compte de Newbridge, thème dont je viendrai parler au comité le 31 de ce mois. En outre, je siège actuellement à l'Institut canadien de recherches en télécommunications, l'ICRT.

J'aimerais vous parler aujourd'hui des cinq conditions d'une économie dynamique axée sur l'innovation. Je vous citerai un exemple, car on peut parler dans l'abstrait de facteurs économiques et de chiffres macro-économiques comparatifs, mais il est bon de voir des exemples concrets de la manière dont le cycle de l'innovation crée des richesses et des emplois dans notre pays. Je vous parlerai d'un exemple que je connais très bien.

Je passerai ensuite quelque temps à vous parler du système d'innovation lui-même, en indiquant ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien, à notre avis. Je traiterai ensuite de la compétitivité de ce système et des interrelations que l'on trouve à cet égard, avant de présenter nos recommandations. J'espère faire tout cela en dix minutes, et j'ai donc du pain sur la planche.

À notre sens, cinq conditions doivent être réunies si l'on veut une économie axée sur l'innovation. La première est un environnement pour la R-D offrant des coûts et une fiscalité compétitifs. Je ne soulignerai jamais assez qu'un cadre stable et efficient pour la R-D est absolument vital si l'on veut voir des sociétés canadiennes exportatrices innover et créer des richesses et des emplois au Canada. J'en parlerai plus en détail tout à l'heure.

Un autre facteur essentiel est une main d'oeuvre instruite, dynamique et hautement qualifiée. Nous avons aujourd'hui une main-d'oeuvre qualifiée. Mais je suis persuadé que nous n'avons pas une main-d'oeuvre dynamique. C'est un aspect auquel il est difficile de remédier, mais sur lequel il est indispensable de se pencher.

Il faut également une politique agressive d'ouverture des marchés et de promotion des exportations. Nous avons besoin d'un marché intérieur compétitif, ouvert et dynamique, mais aussi d'une politique d'acquisition rapide et agressive des produits des petites et moyennes entreprises qui se concentrent sur l'exportation... un espace commercial plus grand.

L'exemple dont je veux vous parler aujourd'hui est celui de Newbridge Networks, que je connais bien. Cette société a choisi de s'établir au Canada principalement parce que le coût de la recherche-développement y est très attrayant, de même que l'accès au marché, comparé à d'autres pays. La compagnie estimait que ces deux éléments, combinés à une main d'oeuvre hautement qualifiée, lui donnaient une bonne plate-forme de lancement, et c'est ainsi qu'elle a démarré il y a dix ans.

Comme vous pouvez le voir, son expansion a été spectaculaire. Le chiffre d'affaires dépassera largement 1 milliard de dollars, alors qu'il est parti d'un peu plus de 2 millions de dollars à ses débuts, il y a dix ans.

Quelles sont les retombées de ce genre de création de richesses par une telle compagnie? Cela signifie 4 000 emplois de haute technologie créés au Canada, dont 1 000 l'année dernière, et 1 000 de plus l'année prochaine; des recettes totales à l'exportation de 3,8 milliards de dollars, et toujours en croissance; 580 000 heures chaque année de formation professionnelle assurée par nous. La compagnie apporte également des retombées substantielles chez ses fournisseurs: 800 emplois directs et des achats au Canada pour une valeur de 400 millions de dollars - chiffres qui pourraient d'ailleurs être beaucoup plus élevés si le Canada avait une capacité de fabrication de puces de silicium. Nous sommes le seul pays du G-7 qui ne possède pas actuellement cette capacité, ce qui équivaut un peu à avoir un constructeur automobile n'ayant pas accès à des pièces de voiture. C'est pour nous un frein.

Par ailleurs, nous avons reversé aux gouvernements fédéral et provinciaux 675 millions de dollars d'impôts directs. Et il y a dix entreprises dérivées qui ont créé encore 600 emplois et injecté 400 millions de dollars dans l'économie locale, rien qu'à Kanata.

Je voulais donner simplement cet exemple au comité. Je ne prétends pas que ce soit un cas typique, mais je dis que c'est révélateur du pouvoir de l'innovation, lorsque celle-ci est bien maîtrisée et concentrée. Le Canada gagnerait à avoir davantage d'entreprises appartenant à des Canadiens et gérées par des Canadiens, travaillant pour l'exportation. Je pense que nous pouvons réaliser cela si nous en avons la volonté.

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Quels sont les atouts et quels sont les problèmes? Je pense que nous avons un coût de recherche-développement très compétitif. Comme le comité le sait, les décisions de R-D ne sont pas prises en un seul jour, elles sont étalées dans le temps. Il est très important, si l'on veut de la R-D au Canada, de disposer d'un environnement stable et de faible coût. Ericsson, à Montréal, est un exemple d'une société qui a commencé avec un très petit effort de R-D comme retombée d'un réseau cellulaire que le gouvernement a commandé et qui jouit aujourd'hui, je crois de trois mandats mondiaux de produits à son centre de Montréal, et qui emploie plus de 1 000 ingénieurs, contre 150 au départ.

Le Canada est très compétitif et j'aimerais réitérer ce que Jim a dit tout à l'heure. Notre faiblesse à l'heure actuelle est que nous ne faisons pas une promotion aussi agressive de cette capacité que nous le pourrions. Ericsson a établi son centre à Montréal un peu par hasard et, ce faisant, a découvert que c'était un lieu beaucoup plus propice pour la R-D que la Suède, et y a développé énormément ses activités. Nous devrions faire plus pour commercialiser cet avantage auprès d'autres encore.

La croissance réelle des dépenses de R-D et de formation du secteur privé est une tendance indéniable, ainsi que le montrent les chiffres des économistes. La part des produits de haute technologie dans le total des exportations est en hausse réelle, étant passée de 10 p. 100 à environ15 p. 100 aujourd'hui. Nous avons un environnement stable et attrayant pour la R-D et nous devons protéger agressivement cet avantage, notamment sur le plan des crédits d'impôt. Nous avons fait un travail phénoménal, même au cours des trois dernières années, en ce qui concerne l'accès aux marchés et aux capitaux, mais il ne faut pas s'arrêter là.

Quels sont donc les problèmes? Qu'est-ce qui nous empêche de créer 100 nouveaux Newbridges? L'un des phénomènes qui nous préoccupent est que la proportion de personnel R-D par 1 000 actifs est à peu près stagnante. Il y a plusieurs raisons à cela et je vais traiter d'une en particulier.

On nous a beaucoup parlé des dépenses brutes de R-D en pourcentage du PIB, et je ne vais donc pas m'y attarder.

La fuite des cerveaux est une préoccupation très réelle en ce moment. L'université de Waterloo est l'un des établissements les plus innovateurs et les mieux branchés du pays, en partie grâce à son programme d'alternance travail-études et en partie grâce à sa collaboration active avec l'industrie. Cet établissement produit régulièrement certains des ingénieurs informaticiens les plus brillants. Il n'est pas étonnant que Bill Gates déclare que c'est l'université du monde où il recrute le plus.

Le problème est que l'année dernière, il y avait 30 compagnies de la Silicon Valley qui sont venues recruter à l'Université de Waterloo. Cette année, il y en aura 100, qui toutes vont venir rafler ces diplômés pour les emmener aux États-Unis. Il nous faudrait 20 000 informaticiens de plus pour développer cette industrie chez nous. Plus les États-Unis nous prendront les produits de nos universités et plus il sera difficile pour nous de réussir.

Il y a plusieurs éléments de solution à ce problème, tant à court terme qu'à long terme. À court terme, l'octroi de visas d'immigration à des informaticiens venant d'Inde, de Russie et de Chine a réduit la pénurie, mais à long terme le pays devra s'attaquer au fait que nous continuons à produire 2 000 enseignants par an qui n'ont pas de perspective d'emploi et que nous avons, d'autre part, des entreprises qui ne trouvent pas d'informaticiens et d'ingénieurs en électricité. Il y a un décalage dans le système qu'il faut rectifier.

Cela m'amène au dernier point. Ce que j'appelle la «connexité» entre les efforts des secteurs privé et public en matière de science et technologie reste mauvaise, et cela gêne grandement notre système d'innovation. Je parlerai un peu plus de cet aspect au moment de la prochaine diapositive.

J'admets tout de suite que c'est là une représentation plutôt simpliste d'un système d'innovation, mais je pense qu'il importe de parler de ce qui...

Je parle du défi de 18 mois. Aujourd'hui, dans la Silicon Valley, si vous avez une idée, vous pouvez trouver le financement et les chercheurs, avoir votre structure en place, avoir rapidement des clients, mettre sur pied tous vos réseaux de distribution, et passer du stade de l'idée au stade du produit aux mains du consommateur en l'espace de 18 mois. Je vous le demande, y a-t-il un lieu au Canada où cela soit possible aujourd'hui? Il n'y en a sans doute pas, et c'est pour nous un réel défi.

Qu'est-ce que l'innovation? L'innovation consiste à créer quelque chose que quelqu'un est prêt à payer et à le fournir à ses clients avant que quelqu'un d'autre le fasse. À moins d'avoir un système d'innovation plus dynamique, qui fonctionne plus vite et réagisse plus vite, nous aurons beaucoup de mal à rester concurrentiels à long terme.

Quelles sont les raisons de cette insuffisance, au niveau des intrants? Nous avons des mécanismes insuffisants pour assurer la pertinence des recherches, c'est-à-dire assurer que les recherches sont utiles à l'industrie et que les résultats peuvent être utilisés et déployés. Nous n'avons pratiquement pas de mécanismes de dissémination, c'est-à-dire qu'une fois les recherches effectuées, il n'existe pas de mécanisme pour en assurer la diffusion dans l'industrie. De ce fait, nous dépensons des sommes énormes sur d'excellentes recherches faites par des gens très compétents, dont les résultats dorment sur des étagères et ne sont jamais disséminés, ne sont jamais commercialisés. C'est un gros problème.

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Du côté des ressources humaines, l'impôt sur le revenu est certainement un problème majeur. L'ACTP vient d'achever une enquête auprès des étudiants de quatrième année et d'anciens de l'Université de Waterloo, leur demandant où ils préféreraient s'établir. On constate aujourd'hui un effet de deuxième génération qui nous fait très peur.

L'effet de deuxième génération est que la première vague de diplômés qui sont partis aux États-Unis s'inquiétaient d'aspects tels que l'assurance-maladie et la criminalité. Le problème aujourd'hui est que les quelque 1 000 Canadiens qui travaillent dans la Silicon Valley reviennent et disent: Oh, il n'y a pas de problème de criminalité, oh, on paye moins d'impôts, et oh, il n'y a pas de problème d'assurance-maladie - les entreprises vous couvrent.

Donc, beaucoup de ces considérations qui faisaient que nos diplômés hésitaient à s'expatrier commencent à ne plus jouer. Les jeunes diplômés, en particulier, qui n'ont pas de lien, qui n'ont pas encore de famille, peuvent très facilement s'expatrier, accepter des postes aux États-Unis. Cela va nuire à notre cycle d'innovation, car l'ingrédient clé de l'innovation, ce sont les ressources humaines. Cela nous préoccupe donc beaucoup.

Pour ce qui est des capitaux, je dirais que le gouvernement a fait un excellent travail et continue à le faire, tant au niveau du secteur public que du secteur privé.

Des fonds comme le TPC et CANARIE aident les petites et moyennes entreprises à étaler les risques de leurs projets. Du côté public, il y a un meilleur accès au marché des capitaux, particulièrement aux États-Unis, qui permet aux entreprises d'accéder à ces capitaux et de les mettre en oeuvre pour la R-D très facilement. Je pense donc que nous faisons un bon travail à ce niveau.

La structure et la réglementation ont également été améliorées mais il subsiste quelques problèmes. Nous devons bien nous mettre dans la tête que les solutions proprement canadiennes ne marchent pas. Nos cycles d'innovation doivent être fondamentalement tournés vers l'exportation. Aussi, nous devons veiller à produire pour le marché mondial plus vite et mieux que d'autres dans le monde. Protéger nos compagnies innovatrices n'est pas dans notre intérêt à long terme. Encore une fois, je pense que c'est l'un des leviers économiques essentiels qui amènent les entreprises à faire davantage de R-D.

En ce qui concerne notre compagnie, nous avons décidé de ne pas accroître notre travail de R-D à l'étranger, de faire porter tout notre effort sur le Canada. C'est un choix. Il signifie que notre R-D ne se fait pas à proximité de nos clients, mais ici, au Canada.

Nous avons pris cette décision économique, parce que la R-D coûte moins cher ici. Nous sommes prêts à sacrifier l'avantage que représente le fait d'effectuer la R-D à proximité de nos clients. Cela présente certains inconvénients, mais nous avons pris cette décision. Donc, si le Canada maintient cet environnement stable et en fait la promotion, vous trouverez davantage d'entreprises faisant de la R-D au Canada.

Enfin, pour ce qui est des acquisitions et du déploiement précoces, sur le plan des achats, les pouvoirs publics ont fait preuve de lenteur et d'absence de sens stratégique. Si vous allez acheter des produits à une entreprise petite ou moyenne, assurez-vous de le faire vite afin que celle-ci puisse voir comment son produit se comporte, et aidez-la à exporter ce produit. C'est une politique d'achats stratégique, et non pas utilitaire. Si c'est le levier que vous allez utiliser, veillez à ce qu'il soit axé sur l'exportation.

En ce qui concerne le déploiement, je pense que le gouvernement a fait un excellent travail avec, par exemple, la fibre optique, le cellulaire et le LMCS. Si nous déployons ces technologies et travaillons agressivement sur des aspects tels que la convergence, les entreprises canadiennes peuvent mettre à l'essai leurs produits, trouver les défauts et les rectifier avant que d'autres pays ne prennent de brevet sur la technologie. Nous avons ainsi une technologie qui fonctionne bien, qui a fait ses preuves et qui est prête à l'exportation immédiatement. Je pense donc qu'un déploiement agressif est une bonne chose.

Sur le plan des exportations, des mesures telles que l'ALENA et le travail de télécommunications en vue de réduire les barrières donnent d'excellents résultats. D'autres efforts, tels que l'Équipe Canada pour promouvoir les produits canadiens à l'étranger sont également excellents et doivent être poursuivis. L'Accord de libre-échange avec Israël, par exemple, est aussi une bonne chose.

Je vais passer aux recommandations. Que devons-nous continuer à faire? Je pense que nous devons maintenir un environnement compétitif et stable pour la R-D. C'est la pierre angulaire de cette politique et il ne faut pas y toucher.

Pour ce qui est de l'amélioration de l'accès aux marchés et aux capitaux, nous avons de bons résultats mais devons faire encore plus. Il y a ensuite le partage des risques financiers de la R-D au moyen de la connectivité dont j'ai parlé, de la mise en commun des recherches.

Le déploiement rapide est également très important. Il nous faut prendre un cycle d'innovation conçu dans les années 1960 et 1970, avec les institutions qui en font partie, et l'adapter. Waterloo l'a fait par le biais de son programme d'alternance travail-études. Les étudiants effectuent des stages en entreprise et retournent ensuite en salle de classe. Si l'enseignant ne leur enseigne pas des choses utiles, ils le font savoir, contrairement à ce qui se passe dans d'autres universités qui enseignent pendant quatre ans à des étudiants qui se rendent compte seulement à la fin qu'ils ne savent rien.

Ce n'est pas sain. Il faut améliorer la connexité à tous les paliers du processus, tant au niveau de la formation qu'à celui de la recherche.

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À quoi faut-il remédier d'urgence? Encore une fois, la connexité de la recherche institutionnelle et de la formation est un impératif. Il faut rendre ce système plus dynamique et plus rapidement adaptable aux circonstances. Si un produit passe du stade de l'idée à la commercialisation en l'espace de 18 mois, il n'y a que très peu d'institutions capables de faire des recherches valables sur ce produit.

Il faut donc une meilleure connexion entre l'industrie et les établissements, afin que ces derniers fassent un travail à long terme mais toujours d'utilité concrète, de façon à ce que la technologie soit disséminée plus rapidement, soit déployée par l'industrie et mise sur le marché très rapidement. On ne peut faire cela sans le ciment de la connexité.

La fuite des cerveaux, encore une fois, est un problème croissant. Ce sera un frein majeur à la croissance et à la création de richesses.

Enfin, il s'agit de se montrer agressif en matière d'achat et de déploiement. Si nous faisons tout cela, le résultat sera l'innovation, la croissance, la création d'emplois et la richesse, une spirale de prospérité, comme celle de Silicon Valley, de Triangle Park, etc. Le meilleur moteur de richesse de ce pays est peut-être bien celui de l'ouest d'Ottawa, baptisé Silicon Valley du Nord. Malheureusement, cette concentration ne vient qu'au 26e rang de l'Amérique du Nord, juste derrière Austin, au Texas. Je sais que nous pouvons faire mieux et, avec votre aide, nous pouvons espérer y arriver.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci infiniment, monsieur Albinson. Vous nous avez donné un aperçu enthousiaste de votre domaine et je sais que les membres du comité auront beaucoup de questions à vous poser le moment venu.

Je donne maintenant la parole à M. Bruce Hutchinson, de l'Association canadienne d'administrateurs de recherche universitaire. Monsieur Hutchinson.

M. Bruce Hutchinson (Association canadienne d'administrateurs de recherche universitaire): Bonjour. C'est un plaisir que de me trouver ici.

Afin de me situer, je suis chimiste de formation, ai travaillé pendant dix ans dans l'industrie pétrochimique comme directeur du centre de recherche d'une entreprise, ai géré l'un des réseaux de centres d'excellence pendant quatre ans et suis actuellement directeur des services de recherche de l'université Queen's.

Avant de commencer mon exposé, je tiens à dire que le professeur de la Mothe me semble avoir très bien résumé le processus d'innovation et son évolution. Dans mon exposé, je reviendrai également sur certains propos tenus ici par d'autres.

Le président: Monsieur Hutchinson, vous avez un texte en langue anglaise, et avec votre permission je vais le faire distribuer aux membres du comité.

M. Hutchinson: Très bien.

Je vais commencer. Je suivrai le texte.

Je représente ici l'Association canadienne d'administrateurs de recherche universitaire. Notre organisation regroupe les vice-présidents responsables de la recherche ou leurs homologues, tous les responsables administratifs de la recherche dans les petites et grandes universités du Canada. Nous appuyons les chercheurs, en identifiant les sources de crédits de recherche et en établissant les dossiers de demandes de crédit, en administrant les fonds octroyés et, dans bien des cas, en protégeant et en exploitant la propriété intellectuelle de nos établissements.

Vu l'association que je représente, je vais limiter mes propos au secteur universitaire. C'est un secteur, comme M. Goodfellow l'a souligné, qui représente un important patrimoine intellectuel, patrimoine qu'il est extrêmement difficile de mesurer.

Je ferai ressortir trois choses dans mon exposé. Premièrement, le Canada doit continuer à investir dans le patrimoine intellectuel de ses universités. Deuxièmement, nous considérons que le gouvernement doit transférer ou sous-traiter aux universités une plus grande part de la recherche fondamentale de ses ministères. Troisièmement, et je reprends là l'un des thèmes de M. Albinson, il faut intensifier les programmes qui favorisent les partenariats entre les universités, les pouvoirs publics et l'industrie.

Mon exposé sera centré sur le rapport consécutif à l'Examen des politiques en matière de science et de technologie, publié au début de l'année. À notre sens, ce rapport ne reconnaît pas suffisamment l'importance du patrimoine intellectuel des universités, tant sur le plan de la capacité de recherche que sur celui de la production de diplômés hautement qualifiés, ces derniers étant un ingrédient majeur du système d'innovation au Canada.

Notre recherche universitaire est de qualité compétitive à l'échelle internationale, bien que notre système coûte moins cher que celui d'autres pays développés. Il importe de ne pas éroder encore davantage cette ressource par des coupures dans les crédits octroyés aux conseils subventionnaires, lesquels sont la principale source de crédits de recherche universitaire au Canada.

Nous pensons qu'il y a un lien étroit entre la recherche universitaire et la qualité de l'enseignement dispensé à nos étudiants. Ainsi, financer la recherche ne conduit pas seulement à des découvertes d'intérêt commercial, social et culturel, cela apporte également le stimulant intellectuel requis par l'enseignement des étudiants. Pour soutenir la concurrence internationale, nous avons besoin à la fois d'une technologie de pointe et de ressources humaines hautement qualifiées.

.1115

Si l'on veut avoir une stratégie viable en matière de science et de technologie au Canada, il est indispensable de continuer à financer les programmes de recherche fondamentale des conseils subventionnaires, programmes assortis d'une évaluation des pairs. C'est ce qui sous-tend - et d'autres intervenants l'ont déjà dit - la qualité des diplômés universitaires et toute la capacité en matière de science et de technologie.

Un aspect que j'aimerais faire particulièrement ressortir est que le gouvernement fédéral doit collaborer avec ses partenaires provinciaux pour améliorer l'infrastructure des universités canadiennes. Bien que l'infrastructure universitaire ne soit pas aussi visible du public que les routes et les égouts, l'infrastructure de recherche canadienne est tout aussi importante pour la nouvelle économie. Cela englobe la réfection des bâtiments universitaires, de nouvelles ressources de bibliothèque et d'information, et de nouveaux matériels de recherche et d'enseignement, assortis du personnel de soutien technique et de contrats d'entretien. Il ne sert à rien de doter les laboratoires universitaires de nouveaux équipements, si on ne fournit pas aussi les ressources nécessaires à leur utilisation. C'est un problème important et pressant qui réclame une solution.

Si je reconnais que la capacité d'innovation ne dépend pas seulement de la recherche fondamentale universitaire - et d'autres intervenants l'ont déjà souligné - il est clair à nos yeux que la recherche fondamentale est un pilier essentiel.

Deuxièmement, tout en reconnaissant que le gouvernement fédéral et ses ministères ont un rôle important à jouer dans la recherche dans des domaines d'intérêts publics, en matière de sécurité et de normes, nous pensons que le gouvernement ne met pas suffisamment à profit les connaissances et ressources du secteur universitaire. Nous pensons qu'il y aurait intérêt à transférer une partie des recherches, des chercheurs et des ressources, dans certains domaines choisis, aux universités, où cette synergie nouvelle apporterait une capacité de recherche accrue. Nous pensons que l'examen des politiques en matière de science et de technologie n'a pas suffisamment prêté attention au potentiel d'un tel déplacement de la recherche fondamentale des ministères vers les universités.

Le rapport insiste beaucoup sur la création d'organes consultatifs auprès des laboratoires gouvernementaux, et si cela vaut mieux que de se fier uniquement à des systèmes d'agrément interne, nous pensons que ce n'est pas une méthode aussi efficace de promouvoir l'excellence de la recherche qu'un système d'examen par les pairs. Nous pensons donc que le transfert d'une partie de la recherche fondamentale au secteur universitaire permettrait d'accroître le rendement de la recherche.

Le dernier point que j'aborderai intéresse la connexité, dont M. Albinson a parlé avant moi. Je désigne cela sous le nom de partenariats. Je pense que c'est l'une des choses que le gouvernement fait plutôt bien, en favorisant des partenariats entre le secteur privé, les universités et les ministères et organismes gouvernementaux. Il faut multiplier ces partenariats. En effet, ils remplissent cette fonction dont nous avons parlé, consistant à relier nos meilleurs chercheurs aux industries et entreprises ayant des besoins, et nous pensons que c'est un moyen efficace de transférer ce patrimoine intellectuel ou de le connecter au secteur privé, dans l'intérêt économique du pays.

Des initiatives telles que le programme des réseaux de centres d'excellence doivent être maintenus. Étant donné la réussite de ces centres, je considère qu'il faudrait en stabiliser le financement. J'entends par là que ces crédits devraient devenir partie intégrante du financement national global de la science et de la technologie, c'est-à-dire être inscrits au budget A, de façon à ce que ces crédits ne soient pas remis en question tous les quatre ans. Ce mécanisme de liaison représente un investissement important et je pense que tout le monde ou presque en reconnaît l'utilité.

Ces réseaux ont particulièrement bien réussi à mettre en liaison les meilleurs chercheurs du pays. Nous avons des chercheurs très capables un peu partout, mais notre géographie interdit de les rassembler tous en un même lieu. Il est donc très important de concentrer les travaux de ces chercheurs dans les domaines importants pour le Canada et de relier cette recherche avec celles du secteur privé et du gouvernement.

Il faut également continuer à financer largement les programmes de partenariat des conseils subventionnaires. Je pense qu'il faudrait encourager le Conseil de recherches en sciences humaines à intensifier considérablement son programme de partenariat avec les ministères et le secteur privé. Cela intéresse en particulier les nouvelles structures de gestion qui seront requises par l'économie nouvelle et j'estime qu'il y a là quantité de possibilités de partenariats très utiles, particulièrement dans le domaine des sciences humaines.

Le dernier point que je ferai ressortir est que, pour que les universités puissent être des partenaires de premier plan dans les programmes de partenariat, elles ont besoin d'une forte capacité de transfert des technologies. Je ne pense pas que notre situation soit aussi sombre que le ditM. Albinson, sur le plan de la connexité, mais je pense qu'il y a certainement lieu d'améliorer cette capacité.

Le CRSNG a lancé un nouveau programme pour renforcer la capacité de transfert technologique des universités, qui vient de démarrer, mais il faut faire encore plus pour soutenir durablement la capacité des universités à protéger, identifier et établir un savoir-faire professionnel pour ce qui est de l'exportation de propriété intellectuelle vers des partenaires. Un partenaire veut avoir en face de lui un homologue compétent et professionnel avec lequel négocier et j'estime qu'il nous faut améliorer cette capacité au Canada. Le programme lancé par le CRSNG est un pas dans la bonne direction, mais il ne représente qu'une injection de crédits pendant trois ans et nous pensons que ce financement devrait être à plus long terme.

.1120

Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole ce matin. J'ai limité mon intervention au secteur universitaire, mais j'espère que mes propos s'articulent avec ceux des autres participants. Merci beaucoup.

Le président: Merci infiniment, monsieur Hutchinson, d'avoir introduit l'éclairage universitaire dans ce débat, car c'est un sujet très important à long terme.

Je demanderais aux témoins, en particulier ceux qui lisent un texte, de souffler de temps en temps pour permettre aux interprètes de les rattraper. Ils font un excellent travail, mais ils doivent pouvoir vous suivre et c'est parfois difficile lorsqu'ils ne vous connaissent pas. Depuis le temps qu'ils nous traduisent, ils ont appris nos marmonnements, à nous les députés.

Je vais maintenant donner la parole à un ou deux représentants du gouvernement qui ont travaillé sur ces questions. Notre premier témoin sera Richard Flageole, directeur principal des Opérations de vérification au Bureau du vérificateur général.

M. Richard Flageole (directeur principal, Opérations de vérification, Bureau du vérificateur général du Canada): Je vous remercie de cette invitation à participer à cette table ronde. C'est un secteur très important de l'activité fédérale et notre bureau a consacré une bonne partie de ses efforts de vérification aux projets de science et de technologie, ces trois dernières années.

Je suis accompagné de Jacques Goyer. Jacques est le responsable des vérifications intéressant la gestion des ressources humaines, et c'est donc lui qui a conduit la partie de la vérification portant sur la gestion du personnel scientifique. Pour ma part, je suis comptable agréé et responsable du portefeuille science et technologie au sein du bureau. Nous avons tous deux participé de près à tout le travail de vérification effectué dans ce domaine au cours des trois dernières années.

Je vais également permettre à votre interprète de l'anglais au français de souffler un peu. Je ferai mon exposé dans les deux langues, et nous avons des notes dans les deux langues.

Mon exposé de ce matin comprendra trois volets. En premier lieu, j'aimerais vous présenter un sommaire de nos principales conclusions. Notre rapport de 1994 comprend 85 pages, et je vais essayer de le résumer en une minute et demie. Nous avons également publié le mois dernier notre rapport de suivi sur deux de ces chapitres, et j'essaierai très brièvement de vous en faire un bon résumé.

Ensuite, je mettrai en lumière deux aspects particuliers. J'ai pris connaissance des questions faisant partie de votre mandat. Deux éléments intéresseront particulièrement le comité. Il s'agit de la nécessité d'une stratégie axée sur les résultats et la nécessité de faire en sorte que le gouvernement rende pleinement compte de ses activités en matière de science et de technologie, et notamment de l'exécution de sa stratégie.

Pour conclure, j'énoncerai ce que nous considérons être les conditions essentielles à une bonne exécution de la stratégie.

En bref, nous avons effectué en 1993-1994 ce que nous appelons une vérification sectorielle dans le domaine des sciences et de la technologie. Ce fut un projet de grande envergure. Nous nous sommes penchés sur quatre éléments particuliers: le mécanisme central servant à assurer l'orientation et la coordination générale des efforts à l'échelle de l'administration fédérale; la gestion des activités au sein de cinq ministères et organismes - Pêches et Océans Canada, Environnement Canada, Conseil national de recherche, Centre de recherches sur les communications et Ressources naturelles Canada; la gestion du personnel scientifique; enfin, les encouragements fiscaux au titre de la recherche et du développement, sujet déjà abordé par les intervenants précédents.

Je me concentrerai ce matin sur les observations intéressant l'ensemble de l'administration fédérale et n'entrerai pas dans les détails relatifs aux ministères particuliers.

Il est important de noter que le gouvernement a annoncé dans le budget de février 1994 son intention de «mettre en place une véritable stratégie, une stratégie qui présente de véritables priorités, une véritable orientation et un véritable examen des résultats». À cette fin, il a lancé en juin 1994 l'Examen de la politique en matière de science et de technologie. C'était en plein milieu de notre vérification. Dans notre rapport de novembre 1994, nous avons exprimé notre appui à cette initiative, mais avons également fait observer que des efforts similaires déployés par le passé n'avaient pas produit de résultats.

.1125

Si vous regardez notre rapport de 1994, nous y dressons toute la chronologie des études menées au fil de 30 années, commençant avec la Commission Glassco en 1962. M. Palda, qui a déjà parlé ce matin, était là en 1988 et en 1984. Nous avons donc tout ce passé derrière nous.

Sur la base de ces antécédents, nous avons fait des suggestions et des recommandations au gouvernement sur la conception et la mise en oeuvre de la stratégie à laquelle il travaillait. En gros, nous avons dit qu'il fallait à l'échelle de l'administration fédérale des priorités claires, des orientations précises, qu'il fallait véritablement décider ce que l'on voulait faire. Nous avons dit que les ministères et les organismes devaient travailler de concert au lieu de suivre chacun leurs intérêts propres. Nous avons parlé de la nécessité d'une meilleure concertation et collaboration avec les provinces, l'industrie, les universités et autres parties intéressées. Nous avons insisté sur la nécessité d'un plan d'action axé sur les résultats. Nous avons parlé de la nécessité d'un mécanisme efficace de supervision du portefeuille des sciences et de la technologie à l'échelle de toute l'administration fédérale.

Nous avons beaucoup mis l'accent sur une meilleure information du gouvernement, des parlementaires et du public concernant les activités et les résultats en matière de science et de technologie. Nous nous sommes également penchés sur le volet ressources humaines, un élément très important de tout le système. Nous avons parlé de la nécessité d'un cadre juridique et administratif mieux adapté à la gestion du personnel scientifique. Les scientifiques sont différents des autres fonctionnaires et je pense qu'il faut tenir compte de ces différences. Nous avons parlé d'une meilleure capacité de gestion de la recherche au sein des ministères et organismes. Enfin, nous disions qu'il fallait une approche plus stratégique de la gestion du personnel scientifique. C'étaient là les principaux messages du rapport.

En mars 1996, le gouvernement a publié sa stratégie. Nous en avons fait une étude de suivi et déposé notre rapport à ce sujet en septembre dernier. Dans l'ensemble, nous sommes fort encouragés par les progrès réalisés à l'égard des problèmes que nous avons soulevés en 1994. Quantité d'éléments, tant dans la stratégie que dans le cadre de gestion des ressources humaines, visent à répondre aux préoccupations que nous avions exprimées. Ainsi que nous l'écrivons dans le rapport de septembre dernier, nous pensons que ces initiatives représentent probablement le meilleur effort jamais déployé pour régler tous ces problèmes.

Mais il faut signaler, cependant, que sur bon nombre de ces questions, beaucoup reste à faire. Certaines des initiatives sont de grande portée. Ces problèmes sont complexes et leur solution exigera du temps et bon nombre des initiatives, particulièrement celles en rapport avec la stratégie, n'en sont encore qu'au stade de l'énoncé de principes ou de la planification.

[Français]

J'aimerais m'attarder à deux aspects particuliers: l'importance d'avoir une stratégie axée sur les résultats et l'importance de s'assurer que le gouvernement rendra pleinement compte de ses activités.

En ce qui concerne les résultats, je pense que la stratégie fait intervenir des aspects très importants. Les ministères et les organismes vont devoir se fixer des buts, des objectifs clairs, établir des mesures de rendement, élaborer des cadres d'évaluation, et tout cela va se faire à l'intérieur du nouveau système de gestion des dépenses qui est présentement mis en place par le Secrétariat du Conseil du Trésor.

Par contre, lorsqu'on a fait notre vérification de 1994 auprès des organismes particuliers, on a noté que la plupart d'entre eux étaient encore très loin de satisfaire à ces exigences. Je pense que l'intention est excellente, mais qu'il faut être réaliste: ça va prendre du temps car ce n'est pas facile.

Au niveau de l'administration fédérale dans son ensemble, il y a quand même un certain nombre de projets qui sont en cours en ce moment. Il y a un projet de Statistique Canada, par exemple, qui vise à concevoir, élaborer et mettre en oeuvre un nouveau système d'information de la technologie. Il y a aussi d'autres initiatives que nous mentionnons dans notre rapport. Encore une fois, ce sont des choses complexes qui vont prendre un certain temps à se faire. Ce sont vraiment deux éléments essentiels de la stratégie. D'autre part, étant donné la complexité de la tâche, nous pensons qu'il faudra suivre de près les progrès réalisés dans ce secteur.

En ce qui concerne l'information au Parlement, la stratégie ouvre la voie à une bonne amélioration comparativement à ce qu'on avait avant.

.1130

On parle du nouveau système de gestion des dépenses. Tous les ministères vont devoir préparer un rapport sur leurs priorités, leurs initiatives, leurs plans de dépenses, leurs défis de gestion et leurs mesures de rendement. Tout cela va se faire dans le cadre des plans ministériels qui seront présentés. Ce nouveau système de gestion des dépenses prévoit aussi des rapports concernant le rendement des ministères qui devront être déposés au Parlement chaque automne. Je pense donc qu'il y a là un grand potentiel d'amélioration.

Dans notre rapport de 1994, on insistait beaucoup sur le besoin d'avoir de l'information, non seulement au niveau des ministères, mais aussi au niveau du gouvernement dans son ensemble. On a envisagé la question d'avoir un rapport consolidé qui donnerait de l'information sur le rendement des ministères et organismes et, une fois qu'on les aurait mis ensemble, sur des questions de portée gouvernementale, parce qu'il y a beaucoup de questions qui débordent du cadre d'un ministère en particulier, et également sur la performance du Canada en général en matière de sciences et de technologie.

Nous pensons que ce rapport est essentiel pour permettre aux parlementaires d'évaluer si les dépenses au titre de la recherche et du développement prennent en compte les besoins du Canada et toutes les possibilités qui s'offrent à nous. C'est essentiel également pour obliger le gouvernement à rendre compte des résultats.

La stratégie n'exige pas qu'un rapport global soit préparé à l'intention du Parlement. Par contre, à la suite des discussions qu'on a eues avec les représentants d'Industrie Canada, et M. Silverman va peut-être en parler plus tard, on nous a indiqué que le ministre de l'Industrie allait recommander au comité du Cabinet chargé de la politique de développement économique qu'un tel rapport consolidé soit préparé à l'intention des parlementaires et du public en général.

[Traduction]

Pour conclure, le gouvernement fédéral a assurément démontré une volonté de faire en sorte que les dépenses de S-T soient plus efficaces et plus avisées. Comme nous l'avions noté en 1994, une telle volonté ne s'est pas manifestée de façon suivie au fil des ans. Des études et des consultations publiques avaient été annoncées à grand renfort de publicité, tout comme la publication des rapports subséquents. Mais nous avons constaté en 1994 que les résultats n'ont malheureusement pas répondu aux attentes.

Lors de l'étude de suivi que nous avons faite au cours des quatre ou cinq derniers mois - et il importe de le signaler - nous avons relevé un très fort niveau de soutien et d'engagement, même d'enthousiasme, chez quantité d'intervenants, à l'égard des mesures proposées. Mais nous avons constaté également un certain degré de scepticisme - certains ont parlé «d'optimisme prudent» - quant à l'exécution de ces mesures. Je pense que ce scepticisme découle surtout des nombreuses tentatives infructueuses effectuées par le passé pour résoudre ce même problème. Il importe donc de tout faire cette fois-ci pour réussir.

La mise en oeuvre de toutes ces mesures représente un défi énorme. Nous pensons que quatre ingrédients sont indispensables à l'exécution de la stratégie et à la mise en place du cadre de gestion.

Nous insistons d'abord sur la persévérance et sur l'esprit d'initiative à tous les échelons de l'administration, depuis les ministres jusqu'aux scientifiques dans les laboratoires. Nous mettons l'accent sur des plans de mise en oeuvre par étapes, axés sur les résultats. La stratégie et le cadre de gestion comportent quantité d'initiatives et il s'agit de bien les échelonner dans l'ordre chronologique - qui doit faire quoi, quand et comment. Quelles seront les ressources requises? Qui sera responsable des résultats, de l'exécution de la stratégie?

Enfin, nous pensons qu'il faudra une supervision parlementaire de l'exécution de la stratégie et du cadre de gestion. Je pense que les travaux actuels du comité vont dans ce sens.

Enfin, le test ultime de la stratégie et du cadre de gestion sera la mesure dans laquelle ces initiatives sont acceptées et mises en oeuvre par le gouvernement, le Conseil du Trésor et son Secrétariat, les ministères à vocation scientifique et les établissements de recherche. Nous pensons que votre comité peut jouer un rôle important à cet égard.

Je vous remercie.

[Français]

Le président: Merci beaucoup pour vos commentaires et vos idées sur le point 19 concernant notre rôle.

[Traduction]

Je pense que vous avez soulevé quelques questions très importantes. Il est bon d'avoir quelqu'un qui a suivi tout cela de l'intérieur, en détail. Merci beaucoup.

.1135

Nous avons demandé à M. Silverman de se joindre à la table ronde. Le ministère nous a fait en juin dernier un exposé complet sur toute sa perception du processus en matière de science et de technologie. Je lui ai demandé de dire quelques mots sur les développements intervenus depuis juin. Nous aurons ensuite la période des questions des députés.

Monsieur Silverman.

M. Ozzie Silverman (directeur général, Direction de la Stratégie scientifique, ministère de l'Industrie): Je vous remercie, monsieur le président.

Je n'ai pas l'intention de parler aujourd'hui de la stratégie en matière de science et de technologie. Je vais plutôt traiter des questions un et deux de votre mandat.

Tout d'abord, en guise de présentation, je travaille dans l'administration fédérale depuis plus de 20 ans, en diverses capacités. Auparavant, j'étais dans le secteur privé, dans ce que l'on appelait alors «l'industrie de haute technologie».

Je suis actuellement directeur général de la Stratégie scientifique à Industrie Canada, une direction qui ne s'occupe pas que de sciences puisqu'elle recouvre également l'innovation. Je suis le président de la Commission de la politique scientifique et technologique de l'OCDE, à Paris, laquelle constitue pour le Canada un observatoire de ce qui se fait dans les pays de l'OCDE sur le plan de l'harmonisation des politiques et des solutions aux problèmes critiques que maints témoins ont mentionnés ce matin.

Je vais tenter de répondre principalement aux questions un et deux de votre mandat. La première est de savoir quelles sont les industries et technologies clés qui ouvrent des perspectives au Canada, à l'orée du siècle prochain.

En ce qui concerne les industries clés, d'après les recherches que nous avons menées à Industrie Canada, au cours de la décennie 1980-1990, les industries à forte concentration de savoir ont pris le pas sur les autres secteurs, du point de vue de la production, de l'emploi et de la croissance des salaires.

Le principal responsable de cette recherche, M. Surendra Gera, est ici avec moi. Si le comité souhaite en savoir davantage à ce sujet, nous pourrons lui fournir, aujourd'hui ou plus tard, les documents voulus.

Cette constatation est conforme aux conclusions des recherches entreprises à l'OCDE sur les pays membres - à savoir que ce sont les entreprises hautement performantes et les industries de haute technologie qui sont caractérisées par le comportement le plus innovateur ou les technologies les plus avancées. Ce sont ces entreprises-là qui connaissent une croissance de l'emploi supérieure à la moyenne et qui emploient les travailleurs les plus hautement qualifiés.

Si nous considérons spécifiquement le secteur de haute technologie... Prenons l'expérience américaine. En 1985, une étude du ministère du Commerce américain a déterminé qu'une entreprise de haute technologie - je pense que l'on peut résumer les choses ainsi - qui exporte sa production et emploie directement 1 000 personnes engendre 1 839 emplois supplémentaires ailleurs, tant dans le secteur de haute technologie que dans le secteur non technologique ou ailleurs dans l'économie. Au total, vous obtenez donc 2 839 emplois.

Il n'y a aucune raison de penser que ce soit sensiblement différent au Canada. Les indications anecdotiques que nous avons, en provenance de ce que l'on vient d'appeler la Silicon Valley du Nord, par exemple, montrent que les chiffres sont à peu près les mêmes au Canada. Nous venons d'ouvrir des pourparlers avec l'ACTA en vue d'effectuer une analyse similaire chez nous, afin de vérifier ces chiffres.

Aussi impressionnants que soient ces derniers, cela ne signifie pas qu'un pays doive se concentrer exclusivement sur les industries de haute technologie. En effet, la diffusion de la technologie engendre d'importants effets positifs sur la productivité et l'emploi dans des pans entiers de l'économie, particulièrement dans le secteur des services d'information, d'informatique et de télécommunications.

Voyons maintenant quelles sont les technologies clés. Je pense que les plus importantes parmi ce que vous pourriez appeler les «technologies critiques» sont les technologies habilitantes. On peut définir ces dernières comme des technologies susceptibles de transformer les fondements de la concurrence dans des secteurs économiques entiers et d'engendrer des industries nouvelles.

On en a déjà vu des exemples. Par exemple, tout l'axe du progrès en agriculture s'est déplacé, au détriment des produits chimiques et en faveur des procédés biologiques. C'est une transformation complète. Ce type de technologie est réellement la clé de la construction et du maintien d'une base industrielle compétitive à l'échelle internationale.

.1140

On pourrait mentionner aussi les technologies requises pour le développement durable, car si vous appliquez des pratiques de développement durable, vous obtiendrez aussi ce que d'aucuns ont appelé ce matin des retombées bénéfiques sur le restant de l'économie.

Cela nous amène à la question numéro deux, le rôle des pouvoirs publics dans la promotion des technologies émergentes. Je pense que l'on peut définir un certain nombre de cas où le gouvernement a un rôle légitime à jouer. Premièrement, s'il y a un terrain de jeu inégal, cela me paraît justifié. Il arrive, par exemple, que d'autres gouvernements mobilisent les ressources nationales de façon à donner un avantage comparatif à leurs entreprises, créant ainsi un terrain de jeu inégal.

Il y a aussi la situation que les économistes qualifient de «défaillance du marché», ce qui peut signifier deux choses sur le plan pratique. Premièrement, le développement de technologies à haut risque, aux résultats incertains, et de coût relativement élevé exige un degré d'effort et de risque qui dépasse la capacité de la plupart des entreprises canadiennes. Où se situe le rôle légitime des pouvoirs publics sur le plan du partage des risques et des bénéfices? On a déjà vu un aspect de la défaillance du marché. Un autre aspect est le cas où les entreprises hésitent à investir car elles ne peuvent capturer tous les avantages qui en résultent. C'est très fréquent. C'est d'ailleurs le type de défaillance du marché qui justifie les incitations fiscales à la R-D, au Canada et dans un certain nombre d'autres pays.

Dans une telle situation, les entreprises qui voudraient investir ne peuvent récolter tous les avantages, mais l'économie d'ensemble le peut. Il peut y avoir des retombées positives pour d'autres entreprises, d'autres secteurs et le public en général, si bien qu'il y a une justification pour le gouvernement à intervenir, particulièrement lorsque ces retombées promettent d'être importantes.

Il y a d'autres cas où il existe un rôle légitime pour le gouvernement, dans ce que l'on appelle les technologies émergentes ou les technologies critiques. Ainsi, lorsqu'il s'agit de maximiser les transferts de savoir et les retombées des laboratoires publics - par exemple, le Centre de recherche en communications a une capacité «d'incubation». Un autre exemple est la suppression des barrières à la coopération technologique internationale. Ainsi, l'accord que le Canada a conclu avec l'Union européenne autorise maintenant les entreprises et universités canadiennes à collaborer, à titre de partenaire, avec les pays de l'Union européenne. Auparavant, il n'était possible que de sous-traiter des travaux aux entreprises européennes. Un tel accord, bien entendu, élargit la gamme des partenaires possibles, étale les risques et ouvre des marchés en Europe. C'est un gros avantage et c'est un rôle légitime pour le gouvernement que de faire ces choses. Je cite simplement cela à titre d'exemple. Il y en a beaucoup d'autres que je pourrais mentionner, notamment des accords avec les États-Unis.

Les politiques cadres sont importantes et ne doivent pas être oubliées. Ce sont elles qui établissent les conditions dans lesquelles les entreprises travaillent - par exemple, la façon dont le Conseil des normes fonctionne et la manière dont le Canada gère ses opérations de normalisation et sa coopération au sein des organisations internationales, les modalités applicables aux faillites etc., ce sont toutes là des choses extrêmement importantes.

Un autre exemple est le soutien à la recherche universitaire et l'établissement de liaisons fortes entre universités et industries. Ainsi que M. Hutchinson l'a mentionné, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie s'est montré particulièrement actif à cet égard.

Il y a d'autres domaines encore où il y a une collaboration entre secteurs privé et public sur le plan de la stratégie, par exemple l'idée d'avoir des programmes d'action complémentaires et qui se renforcent mutuellement - ainsi, le voyage récent à l'étranger du ministre de l'Industrie pour tenter d'attirer l'usine de fabrication de puces électroniques que Newbridge vient de mentionner et qui est un élément d'infrastructure vital. C'est là un bon exemple de collaboration entre secteurs privé et public. Il y a beaucoup d'initiatives de cette sorte, qui ne sont guère connues ou qui ne sont pas perçues comme un effort collectif de la part des secteurs public et privé.

La collaboration fédérale-provinciale est un autre domaine. La stratégie en matière de science et de technologie vise une collaboration plus étroite avec les provinces. Par exemple, la semaine dernière, le 17 octobre, le gouvernement fédéral a signé à Edmonton un protocole d'entente avec les quatre provinces de l'Ouest en vue d'une collaboration dans le domaine de la planification des sciences et de la technologie.

Avant même la signature de cet accord, un groupe de travail réunissant le gouvernement fédéral - le Conseil national de recherche, Industrie Canada et Diversification économique de l'Ouest pour la partie fédérale - et les quatre provinces, avait déjà été constitué. De fait, on vient d'achever une grande étude sur les technopoles potentielles dans les quatre provinces de l'Ouest. Cette étude représente une analyse impressionnante effectuée en collaboration.

.1145

Il règne l'idée caricaturalement fausse que ce type de collaboration n'existe pas, mais elle est pourtant réelle dans bien des cas. J'ai noté également que les premiers ministres, après leur conférence récente, ont appelé à une collaboration plus étroite avec le gouvernement fédéral et nous allons mettre en train les mesures à cet égard. Le premier ministre en a donné l'engagement récemment, dans sa réponse à Ralph Klein.

En ce qui concerne les défis du futur, nous en discernons deux principaux. Premièrement, au-delà du seul secteur de haute technologie, il y a la nécessité d'accroître le nombre d'entreprises innovatrices au Canada. C'est indispensable si l'on veut améliorer la productivité de l'économie, laquelle alimente à son tour la croissance économique et la hausse des salaires.

Le deuxième défi dérive de la constatation - et le professeur de la Mothe l'a mentionné tout au début - que la compétitivité des pays dépend de plus en plus de la capacité des économies à créer, distribuer et utiliser le savoir. Dans cette perspective, la performance d'une économie en matière d'innovation ne représente pas seulement la somme des activités innovatrices des entreprises et institutions individuelles, car c'est toute la performance d'ensemble de l'économie qui dépend du maillage et de la collaboration interactive des organisations en vue du partage des connaissances et de l'apprentissage.

La gestion des connaissances devient ainsi extrêmement importante. Elle l'est déjà, mais elle gagne encore en importance, non seulement au niveau des entreprises mais aussi des pouvoirs publics et des individus. La plus grande difficulté se situe au niveau des individus. Pour vous montrer l'importance que cela prend ou à quel point cela est entré dans la conscience des entreprises, la première conférence européenne sur la gestion du savoir se tiendra début décembre, à Londres, en Angleterre.

J'ajouterai aussi qu'il faut soigneusement distinguer entre le savoir et l'information. Avec l'Internet, par exemple, beaucoup de connaissances sont codifiées et deviennent de l'information, mais ce n'est pas la même chose que le savoir-faire, la connaissance tacite de la façon de faire quelque chose. C'est une chose que d'avoir toutes ces informations sur l'Internet, mais ce n'est pas parce qu'on vous montrera sur Internet comment effectuer une opération chirurgicale du cerveau que vous pourrez faire la même chose en salle d'opération, à moins que vous ayez 15 années de formation médicale. Même alors, la raison pour laquelle on envoie des internes dans les hôpitaux, c'est pour leur permettre d'acquérir l'expérience pratique, avec des patients réels.

L'acquisition de ce type de savoir tacite est essentielle pour l'économie du savoir, et ce sera un gros défi, car les individus devront assumer davantage de responsabilités à l'égard de leur acquisition de ce savoir, et les établissements d'enseignement vont devoir être plus flexibles dans leur façon de dispenser ces connaissances.

Pourquoi l'innovation est-elle si importante? Parce que le Canada accuse un retard dans la croissance de la productivité de son économie. Les chiffres de l'OCDE montrent que de 1979 à 1994, le Canada a pris du retard sur les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni. La productivité totale croît à un rythme plus lent au Canada et cela se répercute sur la production et les niveaux de revenu réel du pays. Il est donc essentiel de privilégier l'innovation, de façon à faire grimper la productivité.

Pour terminer, j'aimerais aborder deux aspects soulevés par des intervenants précédents. Tout d'abord, le professeur Palda a indiqué que la TPRD - la dépense brute de recherche-développement - divisée par le PNB n'est pas un bon indicateur de l'innovation ou de la performance en matière d'innovation. Il a tout à fait raison.

On assiste aujourd'hui à un changement de conception radical. Pendant beaucoup trop de décennies, on s'est exclusivement attaché aux intrants, et cela est un problème également au niveau de l'entreprise, comme on l'a déjà mentionné: on mesurait les intrants au lieu de chiffrer les extrants. Le gouvernement fédéral a récemment débloqué des crédits considérables, je crois 4,5 millions de dollars sur quatre ou cinq ans, qui seront canalisés par Industrie Canada, en collaboration avec Statistique Canada, en vue de mettre au point une nouvelle génération d'indicateurs de production et de statistiques pour l'économie innovatrice. On va se pencher ainsi sur de nombreux aspects de la production, non seulement celle des administrations publiques, mais aussi celle de l'industrie. Il est absolument essentiel que nous parvenions à mieux mesurer la performance en matière d'innovation.

.1150

Parallèlement à cela, je pense pouvoir dire que nous avons joué un rôle de chef de file à l'OCDE, à Paris, pour amener d'autres pays à entreprendre ce genre de travail. Il y a maintenant un programme établi à l'OCDE visant à élaborer de nouveaux indicateurs de production. Il s'agit ici d'obtenir des concours à nos propres travaux car, comme je l'ai dit, c'est complexe même au niveau d'une entreprise; vous pouvez imaginer que c'est encore infiniment plus complexe au niveau national. Si nous pouvons amener plusieurs pays à travailler là-dessus simultanément, nous pourrons accélérer le cycle d'innovation et trouver plus rapidement une réponse à ce genre de questions. Nous espérons ainsi parvenir à des indicateurs communs, de façon à pouvoir effectuer des comparaisons entre pays.

Enfin, Richard Flageole a mentionné que la stratégie en matière de science et de technologie n'oblige pas le gouvernement à faire rapport au Parlement - je pense que c'est exact. Il a indiqué aussi que des fonctionnaires d'Industrie Canada lui ont fait savoir qu'ils recommanderaient au ministre de rendre ces comptes. Je suis pas mal sûr que le ministre abordera cela avec ses collègues, mais je ne peux prédire le résultat. Mais, au niveau politique, ils ont certainement conscience du problème et y réfléchiront.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Silverman. Je suis sûr que le comité fera appel de nouveau à votre expérience, non seulement au sein du gouvernement canadien, mais également de l'OCDE.

Je donne la parole à M. Leblanc.

[Français]

M. Leblanc: Je pense que nous avons reçu beaucoup de réponses aux question que nous avions posées.

Il est certain, à mon avis, que le fait d'avoir encore un pourcentage très élevé de personnes très compétentes qui sont aptes à travailler et qui n'ont pas de travail, est tout simplement désastreux.

Tantôt, Chris Albinson a dit que beaucoup de nos jeunes scientifiques quittaient le pays, ce qui est très inquiétant et désastreux. De plus, cela coûte très cher. M. Silverman a dit tantôt qu'il faudrait peut-être payer davantage nos scientifiques pour les garder au pays et il a donné une partie de la réponse à la question que je voulais poser.

Je sais que tout cela est très complexe et qu'on ne peut pas changer la situation en une nuit, mais je voudrais que vous élaboriez davantage sur le fait que nous avons un pourcentage très élevé de gens compétents qui ne trouvent pas d'emploi à l'heure actuelle.

Chacun de vous a parlé de ce problème assez brièvement et j'aimerais que vous nous disiez plus clairement ce qu'il faudrait faire pour qu'on puisse, à moyen terme, arriver à créer des emplois afin de rétablir une économie équilibrée, car plus cela devient inquiétant, moins les investisseurs viennent. Je pense donc qu'on a besoin de se réajuster assez rapidement et de redonner confiance aux investisseurs pour qu'ils viennent au Canada.

Je vous pose cette question qui est très large. Vous nous avez déjà donné de grandes réponses, mais je me demande si nous pourrions aller encore plus loin dans ce sens.

Je vais peut-être demander à ce jeune homme de répondre le premier parce que j'ai bien aimé son intervention et que cette question concerne plus directement son rapport.

[Traduction]

M. Albinson: Monsieur Leblanc, mon français est malheureusement celui de Kingston, Ontario. Il me ferait honte et vous ferait honte, et je ne peux donc répondre en français. Je vais essayer en anglais à la place.

.1155

Je pense que nous avons quelques problèmes systémiques, surtout au niveau de l'éducation. Cela nous ramène à ce que je disais tout à l'heure au sujet de la connexité. Nous vivons toujours dans une culture qui incite nos jeunes à vouloir devenir médecins, avocats et enseignants. Nous n'avons pas une culture qui les pousse à devenir ingénieurs ou informaticiens ou à construire des choses. Le Canada produit proportionnellement trois fois moins d'ingénieurs et de scientifiques que le Japon, par exemple, et moins que l'Allemagne.

Il y a des préventions culturelles fondamentales, à long terme, qu'il faut changer. Je conviens avec le député qu'il faut agir rapidement à cet égard, car les résultats des changements que nous apporterons mettront littéralement des années à se matérialiser dans la main-d'oeuvre.

Il y a certaines mesures à court terme que nous commençons déjà à prendre, comme par exemple de recycler les diplômés à la sortie des établissements d'enseignement, afin de les doter des compétences requises pour qu'ils soient employables. Ma société, à elle seule, va chercher à embaucher 1 000 personnes l'année prochaine et, très franchement, nous allons avoir beaucoup de mal. Notre expansion est actuellement freinée par la pénurie de main-d'oeuvre. Nous ne trouvons pas au Canada les gens dont nous avons besoin. Nous devons aller les chercher en Chine, en Inde et en Russie. C'est une réelle tragédie, sachant que nous dépensons des sommes immenses pour l'enseignement, et que des gens suivent toute cette filière et en sortent à l'autre bout incapables de trouver du travail. Il faut changer cela.

Je cite encore une fois l'Université de Waterloo comme modèle où l'industrie et l'enseignement peuvent interagir de façon régulière, ce qui fait que les diplômés de cet établissement ont la formation voulue, sont préparés à travailler. Si nous avions six autres Waterloo dans ce pays, nous nous porterions beaucoup mieux.

Nous devons également beaucoup mieux familiariser nos jeunes dans les cégeps et les écoles secondaires avec les perspectives d'emploi ouvertes par la technologie, afin qu'ils sachent où vont se situer les emplois. Pourquoi n'y a-t-il pas un accès à l'Internet dans chaque bureau de conseiller d'orientation du pays, afin que les jeunes puissent voir où sont les emplois? Pourquoi ne publie-t-on pas les chiffres de placement des universités afin que les étudiants puissent voir ce que font les universités pour les doter d'un emploi?

Si vous demandez aux étudiants pourquoi ils vont à l'université, certains vous diront que c'est pour ouvrir leur horizon, certains diront que c'est pour acquérir une culture générale, mais la plupart répondront que c'est pour trouver un emploi. Nous ne leur donnons pas les renseignements élémentaires qui leur permettraient de voir que s'ils se lancent dans telle discipline, leur probabilité de trouver un emploi est x, et que s'ils font d'autres études, la probabilité est de y. Aujourd'hui, rien qu'à Ottawa, il y a 2 000 enseignants en attente de poste qui n'ont aucun espoir de jamais trouver du travail dans leur domaine. C'est mal. Nous les avons trompés. Nous avons gaspillé notre argent et nui à notre avenir. Il faut changer cela.

Le président: Professeur de la Mothe, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. de la Mothe: Je ne puis pas donner de réponse précise, uniquement des indications anecdotiques. L'un des problèmes que nous avons, ce sont les attentes déraisonnables de certains étudiants. À l'Université d'Ottawa, par exemple, une véritable mutation institutionnelle est en cours. Chris a cité Waterloo comme exemple d'ouverture sur l'industrie, de coopération et de partenariat avec la collectivité. On commence à voir la même chose ici, à Ottawa.

L'un des problèmes que nous avons sur le plan de la formation scientifique, par exemple, est que les étudiants en science ne sont pas amenés à s'intéresser à l'industrie de haute technologie. Ils passent beaucoup de temps à apprendre la théorie et à faire des expériences en laboratoire. Je vous ai parlé de plusieurs douzaines de compagnies qui se plaignent que si elles embauchent un scientifique, même titulaire d'un doctorat, qui est très bon mais qui ne s'intéresse pas à l'entreprise, à l'aspect commercial, aux produits, cette personne pourra gagner 25 000 $ ou 35 000 $ par an à faire un bon travail de conception ou de fabrication de puces électroniques. Mais si ces diplômés s'intéressaient à l'entreprise, il y aurait beaucoup plus de possibilités pour eux au sein de l'organisation.

Une chose dont je suis très satisfait à l'Université d'Ottawa, c'est que nous offrons, à partir de septembre, une spécialisation en gestion des sciences et de la technologie à notre École de commerce, en collaboration avec l'École d'ingénieurs. Comme Chris le sait, nous travaillons en collaboration très étroite avec l'OCRI, l'Ottawa-Carleton Research Institute, et avec l'Université Carleton et bon nombre des sociétés de Kanata, de façon à mieux cerner les besoins de l'entreprise.

.1200

Nous modifions très rapidement le contenu de nos cours. Ce n'est pas le cas de tout le monde, bien entendu. Vous connaissez les intellectuels. C'est la seule espèce qui dévore ses jeunes. Ce sont des gens très difficiles à recycler. Mais c'est en train. C'est une réaction indirecte, lente. Ce n'est pas sous l'impulsion du gouvernement, mais les choses commencent à bouger très nettement à Saskatoon, dans la région de Waterloo-Kitchener, dans la région d'Ottawa-Carleton. Je ne sais pas si le mouvement est assez rapide, mais l'évolution des attentes et une meilleure connexion entre les partenaires sont des choses très importantes.

Le président: À l'intention des membres de la table ronde et des députés, nous n'allons pas faire de pause et si quelqu'un veut se lever pour se dégourdir les jambes ou prendre une tasse de café, n'hésitez pas.

[Français]

M. Leblanc: On a remarqué que, dans des pays comme le Japon et l'Allemagne, par exemple, il y a beaucoup plus d'études partagées; c'est-à-dire qu'on passe un an ou deux à l'université, un an ou deux dans l'entreprise et on revient à l'université, que ce soit au niveau technique ou au niveau universitaire. Vous dites qu'il faut davantage d'ingénieurs. Et pourtant, au Québec, il y en a environ 32 000, mais seulement 10 000 ont du travail. Les autres vivotent. C'est très dommage.

Je pense que ce n'est pas le nombre qui manque, mais il faut peut-être une formation plus pointue, liée plus directement aux besoins de l'entreprise. Alors que faut-il faire? Vous avez répondu partiellement à ma question en disant qu'il fallait que nos étudiants passent de l'université à l'entreprise et de l'entreprise à l'université pour une formation qui soit cohérente. Tout ceci me semble très important et je voudrais vous demander quels sont les changements à apporter.

[Traduction]

Le président: Voulez-vous commencer, professeur de la Mothe?

M. de la Mothe: C'est une question difficile. Le marché du travail ne se laisse pas aisément coordonner. Bon nombre d'étudiants qui se lancent dans des études de génie électrique parce qu'il y a une forte demande cette année sortiront de l'université dans quatre ou cinq ans et la demande n'existera plus.

Chris a mentionné quelques idées novatrices, telles que l'utilisation de l'Internet, par exemple, pour améliorer l'information sur le marché du travail, déterminer où se trouvent les emplois. Très souvent, il y aura des emplois disponibles en génie électrique à Montréal, et une pénurie d'ingénieurs chimistes à Montréal, à un moment donné. Il faut mieux disséminer l'information. Le CRSNG a essayé de dresser une liste des diplômés en sciences et en génie canadiens travaillant aux États-Unis, dans l'espoir de les faire revenir. Dans bon nombre de ce que le Globe and Mail appelle les «villes intelligentes», quantité d'institutions s'efforcent de trouver par elles-mêmes des mécanismes novateurs de façon à disposer de meilleurs outils de communication.

Si vous allez à Kanata et y prenez régulièrement votre petit déjeuner, vous pouvez apprendre qui offre des emplois et qui licencie. Il est notoire qu'à Kanata, chaque fois que quatre ou cinq offres d'emploi sont publiées dans la presse locale, il y a probablement 200 postes à pourvoir. Il s'agit donc de savoir comment établir des contacts, de façon à être mieux renseigné.

Je trouve, personnellement, qu'il incombe à des professeurs comme moi de savoir ce qui se passe à Kanata. Je peux ainsi faire évoluer les attentes des étudiants et peut-être les mettre en contact avec quelqu'un comme Chris et les insérer de cette façon dans des réseaux. C'est un mécanisme très informel et empirique, mais le marché du travail fonctionne dans une certaine mesure au moyen de tels signaux.

Je ne sais pas s'il y a une stratégie globale impulsée d'en haut qui aurait des chances de donner des résultats à court terme, mais ce qui se fait dans la région d'Ottawa-Carleton depuis trois ans montre qu'il y a là un mouvement très dynamique et robuste. Les gens se parlent. Les gens modifient leurs attentes. Les gens essaient de nouer des contacts. Ils savent que le gagne-pain de leurs étudiants et le gagne-pain de la région sont en jeu.

.1205

Le président: Monsieur Goodfellow, voulez-vous intervenir sur ce sujet?

M. Goodfellow: J'ai une brève observation à faire. Je pense que l'université de Waterloo est un réellement bon exemple de cas où nous créons un établissement de niveau mondial qui produit des diplômés de niveau mondial, que nous perdons ensuite parce que le monde en prend conscience et vient nous les enlever.

Je pense que le défi qui nous est posé, et la solution, réside dans la création de la communauté d'affaires dynamique et conquérante dont Chris parle, marquée par la collaboration entre les universités, l'industrie et les pouvoirs publics, qui saura retenir et intéresser nos diplômés. Ce sont ces entreprises-là qui vont offrir des perspectives à nos scientifiques.

Le président: Monsieur Hutchinson, avant que je donne la parole à M. Schmidt.

M. Hutchinson: Une dernière intervention à ce sujet. Je me souviens avoir participé à une réunion - je pense que c'était en 1988 - où le CRSNG prédisait que nous allions connaître une grosse pénurie d'ingénieurs. Or, pendant tout le début des années 1990, quantité d'ingénieurs se sont trouvés sans travail. Les choses évoluent très rapidement dans ce secteur. Ce que disait M. Albinson au sujet du recyclage est donc très important.

La seule chose que je voudrais ajouter est que beaucoup d'efforts sont déployés pour enseigner l'entrepreunariat et le mentorat par certains des centres d'excellence de l'Ontario et des centres d'excellence fédéraux, ce qui revient à réorienter les étudiants vers l'industrie.

Waterloo a été citée en exemple, et il y a aussi Ottawa. Je peux vous citer une demi-douzaine d'entreprises nouvelles à Kingston engendrées par l'université Queen's, fondées par des diplômés de l'université qui ont monté leur propre compagnie. Je pense qu'il y a une nette évolution culturelle dans nos universités, mais il est difficile de changer de cap du jour au lendemain.

Le président: C'est votre tour, monsieur Schmidt.

M. Schmidt: Merci beaucoup, monsieur le président. J'ai trouvé passionnant l'échange d'idées de ce matin et si les travaux du comité continuent ainsi, on peut s'attendre à un excellent rapport. C'est en tout cas ce que j'espère.

Je veux féliciter chacun d'entre vous de l'exposé qu'il a fait. J'ai un certain nombre de questions qui en découlent et qui vont, je l'espère, déboucher sur d'autres volets de l'étude.

Pour commencer, quelle est la structure gouvernementale qui pourrait le mieux prévenir les situations néfastes contre lesquelles on nous met en garde? Je veux parler particulièrement de l'abolition du Conseil consultatif national des sciences et de la technologie et son remplacement par un autre organe consultatif qui est censé, d'une façon ou d'une autre, coordonner les propositions qui seront soumises au Comité des politiques du développement économique lequel, à son tour, fera apparemment des recommandations au Cabinet en vue de la prise de décisions.

Je vous demande donc, tant selon l'optique des universités que celle de l'industrie et du vérificateur général, comment il est possible de rendre effectivement opérationnelle une stratégie en matière de science et de technologie axée sur les résultats, s'il n'y a nulle part, apparemment, de responsable ultime?

M. Flageole: Lisez notre rapport de 1994. Nous y parlons de structure, mais je ne pense pas qu'il appartienne au vérificateur général de dire au gouvernement quelle structure de gestion mettre en place. Mais je pense que votre question est pertinente.

Nous avons dit qu'il faut que quelqu'un, quelque part, ait une vue d'ensemble de ce qui se fait à l'échelle de toute l'administration fédérale. Je pense que c'est encore plus important aujourd'hui qu'il y a une quinzaine d'années, car il se fait beaucoup de travail scientifique et technologique, non seulement à l'appui de la mission spécifique d'une organisation, mais aussi à d'autres fins, telles que la croissance économique ou la création d'emplois.

Différents modèles sont possibles, et je pense que M. Silverman sera mieux en mesure de répondre à cette question. Il y a différentes façons. On peut regarder ce qui se fait à l'étranger. Ce que nous disons dans le chapitre de suivi, c'est que la décision appartient au gouvernement et qu'il nous serait très difficile de nous prononcer. Il faudra voir comment les choses vont tourner dans la pratique, car, encore une fois, nous avons quelque chose uniquement sur le papier.

.1210

On a remplacé le CCNST par un autre comité. Celui-ci va conseiller le Comité du développement économique du Cabinet, lequel soumettra des priorités et des propositions au Cabinet. Je pense donc que, pour notre part, nous allons devoir attendre. Peut-être cela va-t-il bien marcher, peut-être une autre structure serait-elle meilleure.

M. Schmidt: Tout cela est bien beau. Je pense que ce n'était pas un secret qu'il fallait apporter ce genre de changement. Mais, selon mon expérience d'autres organisations, lorsqu'un vérificateur arrive pour disséquer un système qui ne fonctionne pas, il formule des recommandations sur ce qu'il faudrait faire. Or, en l'occurrence, on s'est contenté de dire: «Vous devez faire quelque chose», et le gouvernement a fait quelque chose.

Il me semble donc que l'une des fonctions qui existent... non seulement chez le vérificateur général, mais je veux réellement demander aux universités, ainsi qu'à l'industrie, si elles considèrent que cette structure peut effectivement faire ce que vous avez demandé au gouvernement de faire.

Je comprends que vous refusiez d'évaluer ce que le gouvernement a décidé de faire, mais j'aimerais néanmoins obtenir une réponse dans cette table ronde, car c'est après tout cela que nous recherchons, résoudre les problèmes. Y a-t-il une probabilité que cette structure fonctionne mieux que celle qu'elle remplace? Je suppose que c'est la véritable interrogation.

Le président: Y en a-t-il parmi les autres témoins qui ont des observations à faire, sur la base de leurs rapports avec le gouvernement? Je donne la parole à M. Silverman.

M. Silverman: Comme Richard Flageole l'a dit, nous, dans l'administration, avons également examiné de très près les structures de direction à l'étranger. Ces structures varient considérablement entre la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France, le Japon, etc. Quel que soit le pays, vous trouvez une structure qui reflète les réalités politiques et la structure socio-économique, de même que l'histoire du pays. Nous ne voyons réellement aucune structure de direction qui soit clairement meilleure qu'une autre. Vous pouvez chercher aussi longtemps que vous voudrez, c'est la conclusion à laquelle vous aboutirez.

En Grande-Bretagne, par exemple, la structure de direction a été modifiée il y a deux ou trois ans, en faveur d'un bureau du cabinet chargé des sciences et de la technologie. Mais après un remaniement ministériel ultérieur, la décision a soudain été prise de retrancher ce bureau du cabinet de John Major et de le placer directement au ministère du Commerce et de l'Industrie. Les structures de direction sont donc perpétuellement mouvantes, et c'est un phénomène virtuellement universel.

Lors de l'examen des politiques en matière de science et de technologie, les ministres en ont discuté entre eux et ils ont opté pour un système où chaque ministre est comptable et responsable de ses crédits pour les sciences et la technologie. Autrement dit, pour chaque ministre, la science et la technologie n'est pas une fin en soi, c'est un moyen. Si on prend le cas du ministre de l'Agriculture, ce ministre doit décider quelles vont être ses priorités, à la lumière de son mandat et de ses objectifs.

Parallèlement, la décision a été prise d'instaurer un processus collectif d'examen des dépenses et priorités, et c'est précisément ce que va faire le Comité des politiques de développement économique ou CPDE.

En ce qui concerne l'abolition du CCNST et la création du Comité consultatif des sciences et de la technologie par le premier ministre, il ne faut pas en conclure qu'il n'y a pas actuellement de responsable ultime. À l'évidence, le responsable ultime, c'est le gouvernement. C'est le gouvernement qui doit tenir ses engagements.

Prenez n'importe quel pays, vous y trouverez différentes structures de direction. Dans certains, comme au Japon, les structures sont internes au système, dans d'autres elles sont externes. Le travail effectué par le CCNST était excellent, mais mener des études à long terme et rédiger des rapports ne correspondait pas au temps de cycle d'innovation que Newbridge recherche, c'est-à-dire à l'exigence d'une action immédiate.

Donc, avec le Comité consultatif des sciences et de la technologie, qui se réunit la semaine prochaine ici, à Ottawa - et soit dit en passant, en présence de membres du Cabinet - le cycle de réaction au problème va s'accélérer. Ainsi que le premier ministre l'a indiqué dans son communiqué de presse il y a quelque temps, le comité aura pour mission première de se pencher sur l'innovation au sein de l'économie et rechercher des façons d'améliorer la performance, particulièrement dans le secteur privé.

.1215

Voilà donc la structure. Je pense qu'il y a de bonnes raisons d'être confiant, mais seul le temps nous dira quels en seront les résultats.

M. Albinson: Je partage votre préoccupation. Je n'ai pas siégé à l'un de ces comités au cours des 20 dernières années, mais j'ai observé une accélération spectaculaire de la technologie, de l'adoption des innovations, du rythme de création d'emplois et de richesses, même au cours des trois dernières années. C'est phénoménal.

Une chose curieuse s'est produite récemment en Ontario et aussi suite aux coupures budgétaires fédérales. Lorsque les crédits pour la recherche universitaire, en particulier, ont été coupés, nous avons été inondés de chercheurs universitaires venant frapper à nos portes pour dire qu'ils avaient cette belle technologie et nous demander si nous ne voulions pas la financer et peut-être l'utiliser?

Je ne dis pas nécessairement que c'est un bon moyen de faire les choses, mais cela suscite au moins la question de savoir pourquoi cela ne se faisait pas auparavant. Pour être équitables, pour pouvoir suivre les progrès de façon transparente, il nous faut des mécanismes permettant de connaître les montants investis dans l'innovation et les résultats tangibles obtenus. Tout le monde ici s'accorde à dire que c'est très difficile à mesurer. Comment mesure-t-on ces choses, etc.?

Il faut néanmoins le faire. Il nous faut une comptabilité transparente. Peut-être faudrait-il une espèce d'indice de l'innovation ou de la science et de la technologie, publié annuellement - par exemple, où notre pays se situe-t-il par rapport aux dix facteurs clés suivants, qu'il s'agisse du nombre de spécialistes formés et placés dans les entreprises, ou du montant des redevances d'exploitation produites par des technologies que le gouvernement et les universités ont réussi à transférer au secteur privé, le secteur privé s'engageant en retour à verser des redevances - pas des sommes aussi grandes qu'elles deviennent une barrière, mais assez pour indiquer que le secteur privé trouve quelque utilité à ces technologies.

Je partage donc votre préoccupation: si nous ne mesurons pas nos résultats, si nous ne les rendons pas visibles, si nous ne faisons pas le point chaque année, il est peu probable que la situation change beaucoup.

M. Schmidt: Puis-je poser une autre question?

Le président: Je sais que M. Bodnar doit partir. Je reviendrai à vous plus tard. Nous avons encore beaucoup de temps. Acceptez-vous que M. Bodnar passe avant vous?

M. Schmidt: Oui.

Le président: Monsieur Bodnar.

M. Bodnar: Merci beaucoup, monsieur le président.

J'ai trouvé la matinée fascinante. Mes propose visent davantage à expliquer certains des éléments soulevés qu'à critiquer. J'essaie de ne pas critiquer des gens dont je suis sûr qu'ils connaissent beaucoup mieux le domaine que je ne le pourrais jamais.

Je suis très heureux que le professeur de la Mothe ait mentionné Saskatoon. C'est une université proche de mon coeur, tout comme Innovation Place et la relation entre le gouvernement, l'université et le secteur privé, à l'Université de la Saskatchewan, dans le domaine de la recherche agricole et biotechnique.

C'est pourquoi j'ai été frappé que le professeur Palda ait dit qu'il y a peu d'exemples d'une stimulation réussie sous forme d'intervention gouvernementale. Je n'ai rien vu montrant que ces interventions soient rares.

Je vais peut-être vous poser ma série de questions, et vous pourrez répondre ensuite, professeur.

M. Palda: Excepté en agriculture.

M. Bodnar: J'imagine qu'il faut lire entre les lignes pour le savoir.

Plus bas sur la page, vous parlez des subventions publiques à la recherche dans le secteur privé. Vous dites qu'il n'y a pas réellement d'étude d'ensemble à ce sujet. Vous dites que, en toute probabilité, l'absence de données publiées signifie simplement que «les subventions à l'innovation n'apportent pas les résultats espérés». Je me demande si ce n'est pas là simplement une déduction cynique devant l'absence d'étude. Je ne vois rien dans votre texte à l'appui de cette affirmation.

.1220

Je cite une autre affirmation de votre texte, là où vous concluez:

Je ne sais pas ce que vous entendez par frugalité et abstinence, mais je suppose qu'il s'agit d'une moindre intervention gouvernementale et de dépenses moindres. Est-ce que cela accomplirait réellement ce que vous souhaitez et ce que souhaitent d'autres participants à la table ronde?

Enfin, en ce qui concerne les crédits d'impôt, dont vous dites qu'il faut se demander si la recherche n'aurait pas été faite même en leur absence, est-ce bien là la seule question qu'il faut se poser? Ou bien ne faut-il pas en poser une autre: est-ce que cette recherche n'aurait pas été faite plutôt dans un autre pays, si cette incitation fiscale n'avait pas été offerte - en d'autres mots, un transfert et une fuite des cerveaux encore plus grands au détriment du Canada, en l'absence de ces politiques, c'est-à-dire rien d'autre qu'une perte pour notre pays?

Monsieur Palda?

Le président: Nous allons commencer par vous, professeur Palda. Je suis sûr que d'autres membres du panel voudront répondre également.

M. Palda: Cela fait pas mal de questions.

M. Bodnar: J'essaie de m'instruire.

M. Palda: Frugalité et abstinence signifient moins d'impôts, moins d'activités gouvernementales.

Lorsque vous parlez d'emplois, songez aux charges sociales. Nous entrons maintenant dans un système où nous finirons par avoir un impôt uniforme, bien que tout le monde dans cette salle soit opposé à l'impôt uniforme, simplement parce que la proportion des charges sociales va croître par rapport à l'impôt sur le revenu.

Toujours en ce qui concerne la frugalité, c'est-à-dire de moindres dépenses publiques pour la R-D, le meilleur exemple est le Japon, où les subventions gouvernementales sont très faibles et où la recherche gouvernementale ne dépasse probablement pas le cinquième du total des dépenses de recherche.

Pour ce qui est des crédits d'impôt, la principale question qu'il faut se poser en ce qui concerne le soutien gouvernemental à la R-D industrielle - je ne parle pas de la recherche fondamentale universitaire - est celle de l'appropriabilité. M. Silverman l'a déjà mentionné. Autrement dit, est-il vrai qu'il y a une défaillance du marché parce que les entreprises ne peuvent protéger leurs résultats de recherche, parce qu'elles ne peuvent les breveter, ou parce que d'autres vont en profiter très vite etc.?

La question de savoir s'il y a appropriabilité ou non ne peut trouver réponse dans un système fiscal mécanique. Seule une forme de comité d'enquête, sous la tutelle d'un ministère comme Industrie Canada et disposant du soutien d'experts externes, peut apporter cette réponse. Évidemment, ce processus est lent et coûteux et sans doute exposé à des pressions externes.

Mais nous optons pour un processus différent, à savoir un soutien fiscal sous forme de crédit d'impôt qui ne peut faire d'enquête là-dessus, qui ne peut déterminer si les entreprises n'auraient pas entrepris ces recherches de toute façon, qui ne peut que distribuer l'argent automatiquement, à titre de principe général. Si la recherche est effectuée dans un autre pays, en l'absence de ces avantages fiscaux, est-il vrai que nous n'en retirerons aucun bénéfice?

Demandez à Newbridge ou demandez à Industrie Canada, vous verrez que nous bénéficions de retombées venant de partout. Ce que nous dépensons, en tant que contribuables, bénéficiera largement à l'industrie allemande, française, britannique et japonaise, et inversement. L'effet de la mondialisation est maintenant tellement fort qu'il est très difficile d'affirmer que si nous ne finançons pas quelque chose, cette chose se fera ailleurs et que d'autres en profiteront beaucoup plus que nous.

Le président: Y a-t-il d'autres interventions?

M. Albinson: Je suis d'un avis différent.

Premièrement, je réfute la comparaison avec le Japon, lorsqu'on nous dit qu'il n'y a pas de recherche gouvernementale. J'ai passé deux semaines au Japon au début de l'année, et ce que fait le Japon est très clair.

.1225

Dans le secteur des télécommunications, par exemple, il y a la compagnie NTT, qui est aujourd'hui la plus grosse compagnie de télécommunications du monde. Chaque habitant du pays, par le biais du coût plutôt élevé des services de télécommunications, verse une taxe indirecte qui finance un investissement dans la R-D par NTT à hauteur de 4 milliards de dollars. La compagnie, en retour, fait profiter ses partenaires industriels du Japon de ses résultats à peu près gratuitement. Cela ne transparaît peut-être pas des statistiques d'ensemble, mais le Japon a très bien su coupler le besoin de subventionner la R-D industrielle, par le biais d'un fournisseur de services qui en fait profiter ses fabricants, cette technologie étant ensuite exportée dans le monde entier.

Je conteste donc catégoriquement que le Japon ne subventionne pas. Il subventionne, et il subventionne beaucoup plus que nous.

En ce qui concerne le crédit d'impôt pour la R-D, il a à peu près le même effet que le mécanisme japonais. Il permet aux industries de décider dans quoi elles veulent investir leurs fonds de R-D, et le gouvernement les aide à faire cet investissement. C'est essentiellement ainsi que fonctionne le mécanisme. L'industrie apporte 80 p. 100 des fonds de R-D et le gouvernement, par le biais du crédit d'impôt, contribue 20 p. 100, ce qui nous rend 20 p. 100 plus compétitifs que les États-Unis. De ce fait, les compagnies, au lieu de faire leur recherche là où se trouvent leurs clients, c'est-à-dire aux États-Unis ou en Europe, choisissent de la faire au Canada.

C'est la pierre angulaire de notre politique d'innovation, si nous voulons que ces 4 000 emplois de Newbridge, par exemple, soient situés dans l'ouest d'Ottawa plutôt qu'à Herndon, en Virginie. C'est un élément très essentiel, j'insiste là-dessus.

Le président: Professeur de la Mothe.

M. de la Mothe: Ce n'est pas un secret que le professeur Palda et moi-même soyons en désaccord, et depuis pas mal de temps, sur ces aspects. Je reconnais être un bon Huguenot. Dans la plupart des cas, je suis plutôt pour l'abstinence et ce genre de choses, mais en l'occurrence je ne vois pas trop ce que cela signifie. Il y a une littérature très abondante montrant que cas par cas, région par région, secteur par secteur, l'intervention gouvernementale a largement contribué à stimuler la croissance dans les secteurs à haute et moyenne technologie.

Si vous essayez simplement de visualiser l'idée que nous voulons assurer la croissance économique au Canada, comme partout dans l'OCDE, vous réalisez que, mettons, le budget de l'année prochaine prévoit une croissance de 4 p. 100. Nous savons intuitivement que cette croissance ne sera pas également distribuée à travers tout le Canada, à travers tous les secteurs, à travers toutes les régions. Il y aura des pôles de croissances et des régions qui n'en profiteront pas. Cela nous amène à une observation très simple: dans toute économie nationale, dans tout système national d'innovation, il y a des aimants, des effets d'attraction. Ces aimants sont les villes intelligentes et les régions intelligentes dont nous parlons.

Si vous regardez les forces motrices qui ont alimenté l'économie européenne au cours de 20 dernières années, vous voyez tout de suite qu'il y a eu une spécialisation technologique, une spécialisation des capacités et des potentiels économiques, alimentés par des pôles de croissance. Le Baden-Württemberg, la Catalogne, la concentration de créateurs de logiciels autour de Milan - tous ces pôles ont engendré d'énormes retombées. Et cela pas seulement dans les industries de base - dans le cas de Baden-Württemberg, la construction aéronautique, aérospatiale et automobile - mais également chez tout un éventail de fournisseurs et d'industries apparentés.

Les universités dans ces régions ont compris l'ensemble des compétences requises par ces industries locales. Si vous essayez d'ouvrir une firme de logiciel au Baden-Württemberg, les banquiers vous regarderaient comme si vous étiez un être un peu bizarre. Mais si vous le faites à Milan, le système bancaire comprend les logiciels. La même chose est vraie au Canada, la même chose est vraie le long de la route 128, dans la Silicon Valley, à Silicon Hills et dans le Triangle de Baltimore. Ce phénomène de croissance en grappes engendre toute une série d'avantages directs. Il y a des raisons qui font que Newbridge soit installé à Kanata. Il y a des raisons qui font que Gandalf et Nortel soient situés là où ils sont.

Mais l'observation intéressante est que si vous remontez dans l'histoire du changement technologique, même l'histoire récente... prenez Hewlett-Packard. C'est sûr, l'entreprise a démarré dans un garage, mais la réussite de Hewlett-Packard est directement liée au complexe militaro-industriel américain, c'est-à-dire au gouvernement. La même chose est vraie de toute la Silicon Valley, de toute la route 128.

Oh, vous m'interrompez?

Le président: Je vous remercie.

M. Bodnar: Monsieur le président, me donnez-vous juste 30 secondes?

.1230

Le diagramme joint au mémoire du professeur Palda, la figure 3, porte sur les subventions fédérales à l'industrie. Ce diagramme s'arrête en 1990. En 1996, et plus particulièrement de 1993 à 1996, les subventions ont été dans une large mesure supprimées, particulièrement celles des organismes régionaux mais aussi celles de tous les autres. La courbe aurait une apparence sensiblement différente si elle avait été prolongée au-delà de 1993.

Le président: Monsieur Schmidt.

M. Schmidt: J'aimerais me pencher sur un autre domaine, le CRSNG et le réseau des centres d'excellence.

J'aimerais savoir si le réseau des centres d'excellence a démontré l'existence d'un partenariat réel entre diverses industries, les universités et les chercheurs travaillant en dehors du complexe universitaire; c'est-à-dire, les fonds dépensés pour le réseau des centres d'excellence ont-ils effectivement un meilleur rendement quantitatif ou qualitatif que les subventions du CRSNG? En effet, ces dernières me semblent souvent être administrées par un groupe collégial gravitant autour de l'université. Les centres d'excellence, pour leur part, me semblent être un milieu plus ouvert, ainsi que M. de la Mothe et d'autres l'ont indiqué. Faudrait-il modifier le processus et la structure à l'intérieur desquels les subventions du CRSNG sont administrées de façon à les aligner davantage sur ceux du réseau des centres d'excellence?

Le président: Commençons par M. Hutchinson.

M. Hutchinson: Je vous remercie de cette question. Je pense qu'elle est importante et qu'il faut y réfléchir.

La première observation à faire est que la plupart des chercheurs universitaires faisant partie du réseau des centres d'excellence reçoivent également d'importantes subventions du CRSNG ou du CRM. Ce ne sont pas deux groupes distincts. Ce sont les mêmes personnes qui sont...

M. Schmidt: Nous les payons donc deux fois?

M. Hutchinson: Nous finançons des recherches allant dans deux directions différentes. Il est important de bien le comprendre. Si vous n'avez pas l'assise de la recherche fondamentale, qui n'est pas ciblée, vous n'avez pas réellement de socle sur lequel construire les centres d'excellence, qui eux, sont plus ciblés. J'estime qu'il faut financer les deux.

M. Schmidt: Ce n'était pas ma question. Ma question n'était pas de savoir s'il est opportun ou non de subventionner. Ma question portait sur la structure de décision concernant les projets approuvés et financés par le CRSNG.

M. Hutchinson: Je vais y répondre. Je précise que dans le réseau des centres d'excellence, du fait qu'il s'agit d'un partenariat entre secteur public et secteur privé, on prend des recherches de haut niveau et on les oriente vers les besoins et les intérêts de l'industrie concernée. Ce que vous envisagez serait une chose viable et utile. Cela nous ramène à la question de la connexité dont M. Albinson a parlé.

Cependant, il y a deux types de programmes au sein du CRSNG. Il y a le programme de la recherche fondamentale, par lequel on distribue des subventions de fonctionnement pour ce que l'on appelle la recherche désintéressée, et il y a aussi le programme des partenariats. Ce dernier a pris de l'expansion et représente une part non négligeable des crédits du CRSNG, étant davantage axé sur une collaboration individuelle entre compagnies et chercheurs universitaires.

Ayant vu fonctionner les centres d'excellence, je suis convaincu qu'il est indispensable de financer la recherche désintéressée. Je connais de nombreux cas où des recherches fondamentales ont été reprises par un centre d'excellence et financées de manière plus directe.

Donc, du point de vue universitaire, je considère que l'examen par les pairs de notre recherche fondamentale, qui est l'assise de toutes les autres recherches, est essentiel. Il ne faut pas l'entamer davantage.

M. Schmidt: Je suis d'accord, mais ce n'était pas la question.

Le président: Monsieur Shepherd.

.1235

M. Shepherd (Durham): Je vous remercie, monsieur le président. J'étais impatient de pouvoir poser quelques questions. J'ai trouvé la matinée très intéressante.

Un certain nombre de témoins ont évoqué la question des sociétés multinationales, etM. Silverman a parlé de la différence entre la connaissance et l'information. J'ai une sorte de prélude à ma question, à savoir que je considère le système canadien des crédits d'impôt comme une sorte d'arrosage indifférencié. Peu importe que vous soyez une société multinationale ou nationale, une petite ou une grosse entreprise, chacun profite de la douche.

Je ne sais pas si des études ont été faites pour déterminer si l'apport des sociétés multinationales sous contrôle étranger ne consiste pas réellement en de l'information plutôt qu'en la création d'une industrie à base de savoir - et j'imagine qu'à mes yeux la science et la technologie ont besoin d'une masse critique pour évoluer - et si notre régime d'avantages fiscaux ne devrait pas davantage être concentré sur les petites entreprises ou les sociétés multinationales sous contrôle canadien. Peut-être M. de la Mothe pourrait-il répondre.

M. de la Mothe: Oui, c'est là un ensemble de questions très intéressant. Il ressort de données anecdotiques que le type de R-D effectué au Canada par une entreprise basée aux États-Unis, mettons, se situe surtout du côté «D» de l'éventail. Ces entreprises préfèrent donc garder le capital intellectuel à proximité de leurs sièges, et je pense que c'est vrai également des multinationales canadiennes. Je pense que cela reste encore vrai dans une large mesure.

Cela nous amène à la définition de R-D dans le code des impôts, et le professeur Palda et Jim Goodfellow pourraient en parler. Si ma mémoire est bonne, cette définition est relativement lâche. On s'est plaint, par exemple, que les banques puissent bénéficier de crédits d'impôt de R-D. Je ne sais pas dans quelle mesure cela est raisonnable ou non, car je ne me suis pas penché sur la question et je n'en ai pas de connaissance directe, mais il pourrait y avoir là un problème au niveau de la définition. Jim aura peut-être quelque chose à dire à ce sujet, et peut-être Ozzie aussi.

Le président: Oui, si le député est d'accord, M. Silverman aimerait ajouter quelque chose.

M. Silverman: Je vous remercie, monsieur le président.

Pour répondre à votre question, une application plus ciblée des crédits d'impôt pour la R-D fait apparaître immédiatement, à mes yeux, plusieurs problèmes. Premièrement, exercer une discrimination entre les entreprises en fonction de leur taille ou de la nationalité de leurs propriétaires pourrait être considéré par d'autres pays comme du favoritisme, une absence de traitement national. Le gouvernement canadien adhère au principe du traitement national, qui veut que nos sociétés, par exemple Nortel aux États-Unis, aient accès aux mêmes avantages que les sociétés américaines... Il faut se montrer très prudent à cet égard, car nous avons affaire à une industrie mondialisée.

Deuxièmement, les multinationales étrangères contribuent très largement à la croissance économique et à l'innovation au Canada. Troisièmement, il existe des interrelations très importantes entre grosses et petites entreprises. Dans le secteur aérospatial, par exemple, les grosses compagnies font office de moteur de l'innovation chez les petites, si bien que vous avez des centaines... Je pense que Pratt & Whitney, à elle seule, a au moins 1 200 fournisseurs, pas tous situés au Canada, mais un grand nombre sont ici, au Canada. Ces clients exigeants que sont les grosses compagnies engendrent l'élan innovateur chez les petites compagnies. Vous avez donc ce type de relation.

Cela nous ramène à l'effet multiplicateur des grosses entreprises de haute technologie. Une telle entreprise, comptant un nombre d'employés x, a un gros effet multiplicateur d'emplois ailleurs dans le secteur de la haute technologie et dans le secteur des services et chez ses fournisseurs etc. Je pense que c'est ce genre de brassage et d'innovation dans l'économie, du fait des interrelations entre grandes et petites compagnies, qui crée réellement les emplois. Il faut donc considérer le fonctionnement du système d'ensemble et se montrer très prudent avec la sélectivité, du moins sur le plan fiscal.

Dernière remarque, le principe même des encouragements fiscaux est de ne pas sélectionner. Je pense que le ciblage se fait davantage au niveau des aides directes plutôt que des aides indirectes par le biais du régime fiscal. C'est pourquoi, dans la plupart des pays, vous ne trouverez guère d'expérimentation avec un ciblage des encouragements fiscaux à la R-D.

.1240

Le président: Plusieurs autres membres de la table ronde ont exprimé le souhait de répondre à votre question, monsieur Shepherd. Je commencerai par M. Goodfellow.

M. Goodfellow: Je ferai plusieurs observations. Premièrement, lorsque vous parlez de multinationales, ne songez pas seulement aux grosses multinationales. Nous avons dans notre pays un nombre énorme, et croissant, de petites et moyennes multinationales, et j'ai l'impression que Newbridge était une société multinationale dès le premier jour. Donc, la question de l'octroi de crédits de R- D aux multinationales ne concerne pas que les grosses multinationales.

Deuxièmement, n'oubliez pas que dans tout système de crédits d'impôt, pour en retirer quelque avantage, vous devez faire des profits, devoir des impôts. La réussite du système fondé sur les crédits d'impôt tient en partie au fait que l'on finance des entreprises qui réussissent, c'est-à-dire des entreprises qui transfèrent effectivement les connaissances retirées de la R-D et qui produisent de recettes fiscales.

L'inconvénient est que les entreprises qui ne font pas de profits, qui sont au stade du développement ou cherchent à lancer leur produit et ce genre de choses - cette méthode ne leur apporte rien. Il leur faut donc un mécanisme par lequel elles peuvent mettre à profit ces crédits d'impôt - soit de les vendre, soit quelque autre mécanisme qui leur permette de bénéficier de cette mesure.

Je me fais donc l'écho de Chris; je pense que les crédits fiscaux sont l'un des piliers de notre réussite sur le plan du développement de la R-D et de la technologie dans notre pays. Je pense que l'un de nos défauts est que nous n'en faisons pas assez la publicité et que nous n'appuyons pas les responsables canadiens de ces multinationales qui fonctionnent à l'intérieur d'un marché interne propre à ces compagnies. Ainsi que le professeur de la Mothe l'a dit, la tendance naturelle des sociétés est de conserver leur capital intellectuel à proximité de leur siège.

Aussi, si vous êtes une filiale canadienne et que vous essayez d'obtenir pour vous tel nouveau laboratoire de recherche qui doit se construire, la tendance naturelle de la société sera de garder ce capital intellectuel à proximité du siège. Nous devons armer nos dirigeants de filiale canadiens avec autant d'information que possible, afin qu'ils puissent se mettre sur les rangs et obtenir l'implantation de ce laboratoire chez nous, car devinez quoi: cela va ouvrir des emplois pour nos diplômés, ici, et tout ce genre de choses.

Le président: Professeur Palda.

M. Palda: Oui, juste un petit rappel technique. Je pense que M. Silverman a bien énuméré les principales raisons, mais il existe aussi une catégorie fiscale appelée «sociétés privées sous contrôle canadien» et je suis certain qu'elles bénéficient de toute façon d'un régime fiscal plus avantageux que les autres.

Vous pouvez le voir dans le rapport de 1994 du vérificateur général. À la page 32-12, il y a un tableau qui montre les crédits d'impôt obtenus par ces entreprises, et sur la page suivante les chiffres des autres sociétés. On établit donc une distinction entre les deux.

Le président: Monsieur Flageole.

M. Flageole: Monsieur le président, ainsi que M. Palda vient de le mentionner, nous avons un chapitre particulier dans notre rapport de 1994 qui donne pas mal de renseignements sur le fonctionnement de tout le système, et M. Palda a raison de signaler que des règles différentes s'appliquent selon le type de société.

La remarque générale que je ferais - et l'on en a déjà parlé ce matin - est qu'un crédit d'impôt est un moyen administrativement facile d'encourager quelque chose. C'est beaucoup plus simple qu'un mécanisme de subvention, où vous avez besoin d'un comité et de toute une évaluation. L'un des inconvénients, en revanche - et M. Silverman en a fait état - est qu'il est difficile de cibler, car la nature du régime fiscal est telle qu'il faut donner des définitions générales.

Comme M. de la Mothe l'a mentionné ce matin, la définition de science et technologie ou de recherche et développement dans la Loi de l'impôt sur le revenu est extrêmement lâche. Le risque est que l'on en vienne ainsi à subventionner des choses que l'on ne veut pas réellement encourager. Il s'agit en fait de déterminer deux choses: il y a le «quoi» et le «qui». Une fois que vous décidez du «quoi», il devient très difficile de différencier au niveau du «qui».

M. de la Mothe a parlé du tollé qui s'est produit en 1994 au sujet des crédits d'impôt dont ont bénéficié les banques. Je pense que cela a été rectifié depuis. Mais c'est un bon exemple de ce qui peut se produire. De la manière dont le règlement fiscal était rédigé, le travail effectué par les banques pour mettre au point leur propre système informatique pour leur propre usage était admissible aux crédits d'impôt. Elles bénéficiaient de quatre crédits d'impôt, tout comme une autre société qui faisait de la R-D dans le but de commercialiser ses produits.

.1245

Il est très important que le ministère des Finances et Revenu Canada soient très bien renseignés. Ils ont besoin de savoir qui touche quoi. Ils ont besoin d'un mécanisme de contrôle pour assurer qu'ils subventionnent bien ce qu'ils ont l'intention de subventionner. C'est un élément indispensable d'un mécanisme fiscal.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Albinson, vous pouvez dire un dernier mot sur cette question et nous passerons ensuite à M. Leblanc.

M. Albinson: Les crédits d'impôt représentent effectivement un gros morceau du budget de la S-T et il faut être très bien renseigné sur l'utilisation qui en est faite pour éviter les dérapages.

Le comité ne sait peut-être pas qu'au cours des 12 derniers mois, le ministère des Finances et Revenu Canada ont activement révisé tout le programme et ont considérablement modifié les règles de façon à exclure certaines des entreprises qui en bénéficiaient sans répondre aux objectifs du programme. Le règlement a été sensiblement modifié au cours des 12 derniers mois.

Comme cela a déjà été mentionné, l'un des problèmes est que lorsqu'on définit le «quoi», parfois on ne peut définir le «qui». Par suite des restrictions d'admissibilité introduites au cours des 12 derniers mois, des petites et moyennes entreprises canadiennes, qui étaient précédemment admissibles et qui font un très bon travail, ne le sont plus.

Vous avez toujours cette difficulté à déterminer où tirer le trait. Nous avons déplacé sensiblement le trait au cours des 12 derniers mois, pour restreindre l'admissibilité, et cela fait mal à certaines petites entreprises membres de l'ACTA, particulièrement des petites entreprises de logiciels qui ne sont plus admissibles.

Je voulais donc attirer l'attention là-dessus. C'est une chose très difficile à faire, et nous en avons conscience, mais il faut y travailler.

En ce qui concerne les sociétés multinationales, j'en reviens encore à l'exemple d'Ericsson. Le gouvernement a pratiquement obligé Ericsson à ouvrir un centre de R-D au Canada, en échange du marché de matériel téléphonique cellulaire, lorsque celui-ci lui a été adjugé. Une fois qu'Ericsson a ouvert son centre, la société a découvert qu'il y avait un bonus, en ce sens que le Canada est un lieu très compétitif et très propice pour la R-D.

Vous pouvez donc avoir des multinationales qui font un excellent travail chez nous et y placent un important capital intellectuel et je ne pense pas qu'il faille les exclure. Ericsson emploie aujourd'hui un millier d'ingénieurs à Montréal et fait un excellent travail, en mettant au point ses produits chez nous et en les vendant dans le monde entier. Ils ne sont pas seulement destinés au marché canadien.

Si nous faisons connaître cette capacité et administrons avec soin les programmes, nous pouvons en retirer beaucoup d'avantages.

Le président: Je vous remercie.

Trois députés souhaitent poser des questions. Je vous signale qu'il n'est pas loin de 13 heures et que nos témoins sont là depuis trois bonnes heures et nous devrions peut-être songer à bientôt lever la séance.

Monsieur Leblanc.

[Français]

M. Leblanc: Avant que vous ne soyez là, monsieur le président, et que votre parti soit au pouvoir, j'étais moi-même au pouvoir avec le Parti progressiste-conservateur et j'étais président du Comité des sciences et de la technologie. À ce moment-là, nous nous posions une question qui m'apparaissait importante: est-ce que les résultats de la recherche sont suffisamment bien communiqués? On sait que, souvent, il y a une mauvaise communication des résultats de la recherche, ce qui fait que les secteurs qui en ont besoin ne peuvent pas s'en servir. C'est ma première question.

La deuxième est un peu connexe: est-ce qu'on pourrait mieux commercialiser les résultats de la recherche? Certaines entreprises, par exemple, changent de produit ou d'activité et elles pourraient vendre certains fruits de leur recherche. Est-ce qu'il ne faudrait pas essayer de trouver une meilleure façon de commercialiser les fruits de la recherche pour les rendre plus accessibles? C'est une grande question. On en avait discuté à ce moment-là, mais je pense qu'elle est toujours d'actualité.

[Traduction]

Le président: Y a-t-il des témoins qui souhaiteraient se lancer sur cette question?

[Français]

M. Flageole: On a beaucoup parlé de cela lorsqu'on a regardé les laboratoires des ministères et les laboratoires fédéraux spécifiques. Je pense que la réponse est non en ce qui concerne la question de savoir si les résultats sont suffisamment communiqués. Est-ce que ces résultats pourraient être mieux commercialisés? La réponse est clairement oui.

.1250

Un intervenant a parlé ce matin de résultats de recherche qui restent sur les tablettes dans les ministères. On a vu cela. Je pense qu'il y a vraiment un besoin - et on a mis beaucoup l'accent là-dessus - d'améliorer toute la capacité des organismes fédéraux de commercialiser leurs résultats en les sortant des laboratoires. Une des difficultés à cet égard est que cela demande une certaine expérience. Il est difficile de demander à un scientifique qui travaille sur son projet particulier de faire du marketing et de sortir de son laboratoire pour aller rencontrer des entreprises privées et dire qu'il a trouvé une excellente idée.

Ils ne le font pas pour deux raisons: ils n'ont pas le temps de le faire et ça ne les intéresse pas, dans bien des cas. On a beaucoup insisté sur le besoin, pour les ministères et les laboratoires fédéraux, d'être capables de mettre leurs résultats sur le marché. Il y a certaines initiatives intéressantes dans certains organismes comme le Conseil national de recherches du Canada, par exemple, où on a créé un organisme qui travaille à cela. Le Centre de recherches sur les communications faisait aussi des choses relativement intéressantes: il y a CANMET qui travaille beaucoup avec l'industrie.

C'est certainement un secteur où il faut absolument améliorer la situation parce qu'il peut y avoir un impact très important.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie.

M. Silverman souhaite ajouter un petit mot.

M. Silverman: Vous trouvez actuellement sur Internet des renseignements sur les travaux de tous les laboratoires fédéraux. Nous pensons diffuser prochainement sur Internet tous les résultats de recherche publiés et toute la technologie disponible.

Le président: Monsieur Hutchinson.

M. Hutchinson: Je ferai valoir qu'aussi précieux que soit Strategis - Strategis est un site internet qui renseigne sur les travaux en cours - cette affaire de mise en relation de fournisseurs de recherche et d'usagers potentiels est un travail qui exige une forte présence humaine. Cela ne se fait pas tout seul. C'est la différence entre l'information et le savoir.

Au cours des trois ou quatre dernières années, j'ai personnellement constaté un changement notable en ce qui concerne l'effort que les ministères consacrent à cela. Le changement est important. C'est ce que je voulais dire lorsque j'ai indiqué que les universités prêtent aujourd'hui davantage attention à tout ce domaine de la construction de partenariats et de la liaison avec les utilisateurs.

Il ne s'agit pas seulement de savoir ce qui existe; il faut le comprendre suffisamment, avoir quelqu'un du côté des créateurs qui connaisse suffisamment bien les travaux pour pouvoir les expliquer à l'utilisateur. Il faut introduire le chercheur dans le processus. Je constate que les chercheurs universitaires sont de plus en plus prêts à le faire.

Il faut, en quelque sorte, un interprète pour faciliter ce processus. C'est ce que font les agents de transfert technologique. C'est un processus qui exige l'intervention humaine.

À l'Université Queen's, une compagnie dérivée, du nom de Neurochem, vient de se créer dans les deux dernières semaines, avec l'un des plus gros apports de capital initial dans une entreprise de biotechnologie médicale. Il a fallu six ans, à partir du moment où nous avons eu l'idée de recherche, pour trouver le capital- risque requis pour démarrer l'entreprise.

C'est peut-être plus récemment que cela que les plus grands changements sont intervenus, mais il a fallu en l'occurrence un gros travail de la part de notre bureau de transfert de la technologie, pour rassembler les capitaux et mettre les chercheurs en liaison avec les utilisateurs potentiels.

C'est un processus qui exige du capital humain. Je ne pense pas qu'un site Internet règle le problème.

Le président: Monsieur Lastewka.

M. Lastewka (St. Catharines): Je vous remercie, monsieur le président.

Je voudrais tout d'abord remercier les témoins de leurs exposés. J'ai réellement apprécié leurs points de vue, parfois divergents. Cela m'aide à comprendre.

Certains d'entre vous ont souligné de nouveau que nous passons de l'économie ancienne à une économie nouvelle et qu'il nous faut agir davantage à l'échelle mondiale; nous n'avons pas le choix.

Les témoins ont également indiqué qu'il y a aujourd'hui davantage de publicité. Nous savons ce qui se fait dans les universités, alors qu'auparavant nous ne le savions pas. Pourquoi? Qu'est-ce qui a changé?

Les témoins du Bureau du vérificateur général ont parlé du «qui», du «quoi» et du «quand», et de l'objectif et tout le reste. J'imagine que cela s'applique également aux autres domaines, d'après ce que j'ai entendu aujourd'hui.

.1255

Plus je vous écoute, plus il me semble que nous allons tous devoir passer de l'économie ancienne à l'économie nouvelle, à l'économie du savoir, et que nous allons devoir mieux comprendre le système, qui fait quoi, quand et comment c'est transféré, comment nous changeons l'enseignement pour l'adapter à ce que j'appelle le système - c'est peut-être un mauvais terme. Mais nous devons tous apprendre à faire les choses plus vite, ai-je entendu.

Je ne suis pas certain que l'on s'accorde sur la manière. Le Bureau du vérificateur général nous a un peu parlé de ce qui se fait à cet égard. L'industrie nous a dit que le temps presse, que plus vite on agit, plus vite on avance; si cela prend trop de temps, il est trop tard et rien ne bouge.

Ma question, et je l'adresse peut-être aux universitaires et à M. de la Mothe, est de savoir si tout le monde ici s'accorde à dire qu'il faut concevoir un meilleur système, un système canadien?

Il devient très clair à mes yeux, suite à mes discussions avec les petites entreprises et quelques universités, que beaucoup de choses sont tenues pour acquises, considérées comme inchangées par rapport à il y a trois ou cinq ans, alors que toutes les conditions ont changé. On vient de nous parler d'un changement.

Le président: Professeur de la Mothe.

M. de la Mothe: Parlez-vous de sensibilisation générale au système national d'innovation ou bien simplement...

Je détecte chez mes étudiants de première année, par exemple, une beaucoup plus grande ouverture au cybertravail qu'il y a cinq ou dix ans. Leurs attentes changent. Ils sont beaucoup plus entreprenants. Ils sont beaucoup plus souples, ce qui est surprenant. Ils sont beaucoup plus polyvalents. Ils recherchent des solutions au lieu d'attendre que quelqu'un les leur apporte. Ils s'attendent de moins en moins à être soutenus, même s'ils n'aiment pas forcément cela.

Je pense donc qu'il y a un changement de mentalité fondamentale, du moins dans ce que je vois autour de moi. Mon université vient de voir son budget amputé de 23 millions de dollars, et rien ne stimule davantage l'attention qu'une perte de 23 millions de dollars.

Mon impression est qu'il n'y a pas de transition en douceur. Il y a des secteurs extrêmement problématiques, du point de vue de la flexibilité ou de la marge de manoeuvre qu'ils ont dans la pratique. Mais je perçois un changement énorme, dans l'économie d'ensemble, dans la façon dont les institutions, les pouvoirs publics, les entreprises, les universités et les collèges appréhendent le problème, définissent le problème. Leur disposition à collaborer, à mon avis, est un bon signe. Je suis très optimiste sur la direction générale empruntée.

Il y a des problèmes. Il est toujours difficile de transformer une main-d'oeuvre, des gens âgés de 45 ou 50 ans qui ne sont pas habitués à se recycler, à faire de l'éducation continue. Je pense qu'il faut examiner de près ces domaines et offrir une aide pour faciliter la transition, mais dans l'ensemble je trouve que la notion de système d'innovation passe bien.

Écoutez Peter Gzowski le matin, par exemple, ou d'autres stations de radio, on y parle de gens qui s'activent, qui agissent et je suis plutôt optimiste, dans l'ensemble, sur notre capacité non seulement à rattraper, mais à rester dans le peloton de tête.

Le président: M. Hutchinson souhaite intervenir.

M. Hutchinson: Oui, je ne voudrais pas vous laisser partir sur l'impression qu'il n'y a pas eu des changements majeurs dans les universités au cours des cinq dernières années. En fait, le rythme de ces changements s'accélère encore, vu la situation financière actuelle.

Je viens de l'université Queen's, qui est probablement très traditionnelle, ayant toujours été une université quelque peu conservatrice. Depuis que j'y suis arrivé en 1990, l'université a... elle est en train de construire un complexe bioscientifique. C'était inconcevable avant 1990, d'ériger un bâtiment universitaire dans l'idée d'y inclure un incubateur. Mais ce bâtiment est en train de monter, et il comprendra un incubateur pour de nouvelles entreprises. Nous reconnaissons donc que l'université jouera un rôle dans le lancement de compagnies.

.1300

Vous parlez du réoutillage des professeurs. Oui, nous avons beaucoup d'enseignants dans cette tranche d'âge dont nous devons modifier les attitudes, mais beaucoup de professeurs ont pris une retraite anticipée. Ce sont d'ailleurs souvent les plus entreprenants. Je cite encore une fois le cas de Queen's. Avec la construction du complexe bioscientifique doté d'un incubateur, trois sociétés de biologie ou de biotechnologie ont déjà été fondées à Queen's dans les trois dernières années, à l'initiative d'enseignants et avec un financement de l'université. Au moins l'un des ces entrepreneurs est un enseignant qui a pris sa retraite anticipée et qui a mis sur pied une compagnie de biotechnologie végétale, qui vient d'obtenir des capitaux-risques et qui a démarré.

Ces changements ont donc lieu, peut-être pas aussi largement que vous l'aimeriez, mais il y a des efforts considérables. On nous a parlé de Saskatoon et de la vaste interaction entre les laboratoires gouvernementaux et Innovation Place. Je ne voudrais donc pas que vous partiez d'ici avec l'idée qu'il n'y a pas des changements d'orientation importants dans les universités. Je pense qu'il y a un fort mouvement en ce sens.

Le président: Quelqu'un a-t-il encore une intervention ou une question?

M. Lastewka: Je reconnais qu'il y a beaucoup de changements en train partout - dans l'administration gouvernementale, dans l'industrie, dans les universités. Je viens d'une grosse multinationale et je dois souligner que même si les multinationales ne font pas de recherche ici au Canada, elles dépensent certainement beaucoup auprès de petites et moyennes entreprises qui font de la recherche au Canada. Il ne faut pas l'oublier.

J'en reviens à ce que disait le vérificateur général sur la nécessité de déterminer quelle part de la recherche fondamentale - ou de la recherche pure, peu importe - doit être faite dans les laboratoires gouvernementaux et quelle part dans les universités, par le biais des divers systèmes. Comment mieux relier entre eux les domaines de recherche? Je sais que beaucoup de bon travail a été fait par le réseau des centres d'excellence. Faudrait-il mettre davantage l'accent là-dessus, car finalement nous sommes tous dans le même bateau? Je sais que certaines universités se demandent si cela pourrait marcher et si la recherche fondamentale va encore être financée. Quel système faut-il revoir pour garantir aux contribuables le meilleur rendement sur l'argent dépensé, quel qu'en soit le montant?

M. Albinson: Nous avons parlé d'agents de transfert technologique; nous avons parlé des méthodes d'évaluation des dépenses. Si on n'exerce pas de contrôle sur la manière dont les organisations investissent leurs fonds de recherche et transfèrent ces résultats de recherche à l'industrie, les choses n'iront pas mieux. Je pense que c'est la même chose pour les universités que pour le CNR.

Je ne veux pas toucher à la recherche fondamentale. Elle est nécessaire et elle doit rester à part. Mais lorsque nous faisons de la recherche appliquée, pourquoi ne pas avoir un système de paiement de redevances d'exploitation, de telle façon que les laboratoires gouvernementaux tout comme les universités soient obligés d'atteindre un certain objectif de redevances pour les technologies qu'ils mettent au point? Cela ne signifie pas que toutes les recherches vont aboutir, mais certaines le devraient. Une partie devrait être transférée et l'industrie devrait être disposée à les acquérir en échange de redevances. Si l'établissement ne remplit pas ses objectifs de redevances, cela signifie qu'il n'investit pas ses crédits judicieusement. Il faut qu'il y ait un indicateur d'une sorte ou d'une autre.

Le président: Merci beaucoup. Je donne la parole à M. Duhamel.

[Français]

M. Duhamel (Saint-Boniface): J'ai beaucoup apprécié cet échange d'information et j'ai deux questions à poser.

[Traduction]

Je remplace un collègue et je n'ai pas entendu tous les témoignages, et si les questions que je vais poser l'ont déjà été, il suffit de me le dire, monsieur le président. Je chercherai la réponse dans le procès-verbal.

Je suis membre du comité des finances et nous entendons actuellement des témoins dans le cadre de nos consultations prébudgétaires. Nous avons reçu des représentants des collèges et universités et des responsables de la santé, et ils expriment des préoccupations assez semblables aux vôtres.

Existe-t-il un mécanisme formel d'interaction vous permettant de dialoguer, ou bien est-ce une simple coïncidence? S'il n'y a pas de tel mécanisme ou série de mécanismes, faudrait-il en instituer? Serait-ce utile? Je pose la question car il me semble que si plusieurs secteurs parlaient d'une même voix et mettaient l'accent sur certains changements qui leur apparaissent nécessaires, cela amènerait les gouvernements à bouger plus rapidement.

.1305

J'ai entendu dire ici, au cours de la dernière heure, que le système laisse à désirer. Vous avez énuméré les problèmes et nous pouvons y réfléchir. Il y a également des problèmes financiers, si j'ai bien suivi et bien compris. Combien faudrait-il pour rester compétitifs par rapport à nos principaux partenaires?

Je pose la question car lorsque j'écoute les témoignages des établissements postsecondaires et ceux des professions de la santé, ils avancent des chiffres. Mon impression est que ces chiffres ne doivent pas nécessairement être cumulés, car ils parlent en fait de recherche fondamentale et d'autres types de recherche, d'innovation et de technologie.

Quelqu'un pourrait-il m'aider à m'y retrouver?

Le président: Quelqu'un souhaite-t-il répondre à ces deux questions de M. Duhamel?

M. Palda: Au sujet de la deuxième question,

[Français]

vous demandez combien il y en a. Eh bien, la question est tellement difficile qu'on ne peut pas y répondre, mais vous pourriez peut-être vous demander ce que le gouvernement pourrait faire en réduisant le fardeau fiscal, en réduisant les moyens d'investissement de la communauté commerciale et industrielle, afin qu'on puisse atteindre les objectifs proposés et la compétitivité qu'on désirerait en ce qui concerne la science et la technologie. Et il y a cette question: combien davantage faudrait-il dépenser? C'est une question que vous vous posez et que beaucoup de gens se sont posée. C'est l'opposé de cette question qu'il faudrait se poser: de combien pourrait-on réduire le fardeau sur nous tous afin qu'on puisse mieux performer?

M. Duhamel: Mais est-ce qu'on n'arriverait pas à une réponse semblable? Il me semble que oui.

M. Palda: Oui, mais alors il ne serait pas nécessaire que l'argent circule à travers le gouvernement et la bureaucratie de tous ces organismes paragouvernementaux.

M. Duhamel: Je comprends. Merci.

[Traduction]

Le président: Quelqu'un d'autre a-t-il une dernière intervention là-dessus? Monsieur Hutchinson.

M. Hutchinson: Je n'ai pas très bien compris. Quelle était déjà votre première question?

M. Duhamel: Toute forme d'interaction avec le secteur postsecondaire... Je sais que vous avez des contacts, mais y a-t-il un mécanisme d'interaction formelle, ou une série de mécanismes, qui vous permettent de parler de ces questions avec les collèges, les universités et les professionnels de la santé? Je parle là des besoins financiers et autres pour mener les recherches et ce genre de choses.

M. Hutchinson: Les universités se parlent beaucoup entre elles. Les universités ont des représentants siégeant aux conseils subventionnaires. Le Conseil de la recherche médicale, par exemple, comprend des universitaires.

Je ne suis peut-être pas aussi bien qualifié que d'autres pour répondre à cette question.

Le président: Pourquoi ne pas demander à M. Albinson de répondre, et lever ensuite la séance?

M. Albinson: Je crois que M. Hutchinson a parlé tout à l'heure des centres d'excellence. Je siège à l'Institut canadien de recherche en télécommunications, où vous avez l'industrie et les universités réunies autour de la même table, parlant de leurs programmes de recherche. L'industrie finance activement la recherche universitaire, et les universités utilisent aussi leur propre budget à cette fin. Ces mécanismes existent et ils fonctionnent bien.

Il faudrait peut-être simplement les renforcer, afin que les crédits de recherche confiés au secteur public soient complémentaires des crédits de recherché placés dans le secteur privé, afin qu'ensemble nous produisions davantage d'emplois et de richesses.

M. Hutchinson a parlé tout à l'heure de faire plus dans ce domaine. Je pense que ce serait une bonne chose.

Le président: Je vous remercie.

Juste avant de remercier tout le monde, je signale que M. Lastewka, qui est vice-président de ce comité, dirige un groupe de travail gouvernemental sur la commercialisation de la recherche et la collaboration. Si vous avez des compléments de réponse à lui offrir, il vous en serait reconnaissant. Ce groupe essaie de faire une synthèse de ces différentes idées, pour le compte du gouvernement.

En tant que président, je n'ai pas assez de mots pour vous exprimer notre gratitude. Vous avez couvert tous les sujets que nous avions retenus. Vous nous avez donné des réponses réfléchies qui pèseront d'un grand poids dans nos réflexions. Pour ma part, j'ai trouvé que les trois heures et demie ont passé très vite, mais je sais qu'elles ont dû vous paraître longues.

Comme quelqu'un l'a dit, vous êtes déjà passés par là. Nous en avons conscience. Il faut beaucoup de patience à des experts pour venir dans un nouveau groupe et tout reprendre à zéro, mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour que le public comprenne ces questions, favorise la recherche scientifique et technologique et soit informé des réussites comme des échecs.

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Le fait que vous deux soyez assis côte à côte est très symbolique, je trouve, et vous nous avez fait bénéficier de vos perspectives différentes.

Je veux remercier également les chargés de recherche et la greffière d'avoir organisé cette première séance, et en particulier les chercheurs pour la qualité de ce document. Pour ceux des membres qui n'ont pas encore lu le document d'information, il est extrêmement bien fait et j'en remercie les auteurs.

Mardi matin, nous ferons des visites d'installations, et je vous demande donc de vérifier votre horaire et indiquer au greffier où vous voulez aller, etc.

La séance est levée jusqu'au mercredi 30 octobre, à 15 h 30. Nous recevrons les banques.

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