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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 30 mai 1996

.1325

[Français]

La présidente: Bonjour, mesdames et messieurs. Il me fait grand plaisir d'ouvrir cette séance.

[Traduction]

C'est pour moi un grand honneur de vous accueillir ici aujourd'hui. Il est essentiel que les membres du comité puissent entendre votre témoignage et le lire très attentivement par la suite. Les parlementaires ont besoin de votre témoignage pour pouvoir donner des conseils éclairés à la Chambre des communes afin qu'elle puisse prendre des mesures éclairées en fonction des questions qui se posent.

Je crois que vous êtes bien conscients du fait que notre comité a fait une étude de suivi très importante intitulée Le plan d'ensemble que nous avons déposé en décembre 1995. Nous avons formulé les neuf recommandations, que vous connaissez très bien, et nous avons demandé au gouvernement d'y répondre.

Je veux simplement indiquer à l'intention de ceux qui, à l'avenir, dans une perspective archivistique, pourraient fort bien lire le compte rendu de nos délibérations sur papier et sur Internet, que les recommandations visent fondamentalement ou essentiellement à assurer une reddition de comptes de la part des politiques et des fonctionnaires, une collaboration interministérielle et l'inclusion des préoccupations relatives aux déficiences dans l'élaboration de politiques et de programmes. C'est ce que j'appelle le prisme de la déficience. Le gouvernement doit se servir de plusieurs prismes. Il doit notamment examiner la situation à travers le prisme du sexe et à travers le prisme de la déficience.

Les recommandations visent également à ce que les lois et les règlements soient examinés en vue d'éliminer les obstacles à la pleine participation des personnes ayant des déficiences - et je crois que la politique des communications constitue l'élément le plus fondamental à cet égard; à prévoir dans la mise en oeuvre du nouveau Transfert canadien des dispositifs de protection pour les personnes ayant des déficiences; à tenir compte des besoins des personnes ayant des déficiences dans toutes les mesures d'emploi et de formation professionnelle financées par le gouvernement fédéral; à assurer l'examen du régime fiscal fédéral, sur le plan tant des politiques que de l'administration - c'est précisément pour discuter de ce sujet que nous avons invité le ministre du Revenu national à témoigner devant nous; à assurer l'examen complet des politiques et des programmes relatifs à la déficience auxquels collaborent le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux; et, enfin, à préserver le Programme de réadaptation professionnelle des handicapés qui assure la participation du gouvernement fédéral au financement de certains programmes provinciaux destinés aux personnes ayant des déficiences.

Je sais que vous connaissez bien toutes ces recommandations. Je dirais aussi que vous nous aidez dans notre tâche comme défenseurs professionnels importants des intérêts des personnes ayant des déficiences. Je voudrais donc savoir ce que vous pensez de la réponse du ministre. Le ministre sera ici la semaine prochaine.

Par ailleurs, j'aimerais aussi, si vous êtes en mesure de le faire - et si vous croyez que cela entre dans vos attributions - que vous examiniez le rôle du gouvernement fédéral dans le contexte de l'évolution de la fédération et de sa définition comme fédération souple. Dans quels domaines le rôle du gouvernement fédéral devrait-il être distinct du rôle des provinces, si l'on veut, ou dans quels domaines leurs responsabilités respectives se rejoignent-elles, et quels résultats, en particulier, souhaiteriez-vous voir?

Je crois qu'il serait utile pour nous d'entendre vos vues à ce sujet pour que nous puissions éventuellement donner des conseils au ministre quant à la perception que vous avez de la situation quand il se présentera devant nous. Enfin, si vous étiez dans un hélicoptère et que vous survoliez notre société, quels sont les trois principaux souhaits auxquels vous voudriez que nous donnions suite, si tant est que leur réalisation serait possible dans notre société en évolution?

Cela dit, je crois que c'est vous qui allez prendre la parole en premier, Francine Arseneault. Je vous demanderais de bien vouloir vous présenter et présenter aussi les témoins qui sont à la table. Nous vous en serions très reconnaissants. J'ose espérer que vous n'avez pas été trop incommodés du fait que vous avez dû attendre, mais cela fait partie de la vie sur la colline du Parlement.

Mme Francine Arseneault (présidente, Conseil des Canadiens avec déficiences): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je suis Francine Arseneault, présidente du Conseil des Canadiens avec déficiences. Je tiens à vous remercier de nous avoir donné à tous l'occasion de vous rencontrer de nouveau. Nous sommes très au courant du rapport que vous avez évoqué, Le plan d'ensemble, et nous sommes heureux des recommandations qui étaient formulées. Nous sommes là aujourd'hui pour examiner la réponse du gouvernement, Une maison aux portes ouvertes: une responsabilité partagée. Aussi nous nous sommes regroupés pour faire connaître nos vues à ce sujet.

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Je vous présenterai les personnes qui se trouvent à la table, et chacune d'elles abordera un des aspects sur lesquels nous croyons qu'il est important de faire connaître nos vues. Laurie Beachell est coordonnatrice nationale du Conseil des Canadiens avec déficiences. Nous avons aussi à la table Pierre Quenneville et Jean-François Martin, de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Lucie Lemieux-Brassard représente COPHAN. Traci Walters et Allan Simpson sont de l'Association canadienne des centres de vie autonome. Frank Smith représente l'Association nationale des étudiants handicapés au niveau postsecondaire.

Je tiens à attirer votre attention sur une des déclarations du Livre rouge que nous connaissons tous tellement bien: nous voulons un pays, peut-on lire, où règne l'espoir plutôt que la crainte. Nous voulons un pays dont nous sommes les forces vives plutôt qu'un boulet à traîner. Nous voulons un pays où les adultes peuvent trouver un travail décent et où les enfants peuvent s'épanouir. Dans un autre paragraphe, on nous présente une vision du Canada dont nous espérions tous qu'elle deviendrait réalité.

Or, dans la réponse qu'il fait à votre rapport, le gouvernement présente une autre vision. Il est question dans les deux derniers paragraphes de la page 6 d'une dévolution de responsabilités, le gouvernement s'engageant à ne pas utiliser son pouvoir de dépenser dans des domaines de compétence exclusivement provinciale et à se retirer des domaines qu'il conviendrait de confier à d'autres secteurs de la société.

La communauté des personnes handicapées est affligée par ce changement de cap par rapport à la vision qui devait nous permettre de vivre dans un pays où règne l'espoir plutôt que la crainte. Je voudrais que certains de nos représentants qui sont ici parlent de la vision qu'ils ont, eux, et qui devrait se substituer à celle qui nous est présentée ici.

Allan, vous pourriez peut-être commencer par nous parler de la vision du Canada tel que nous voudrions qu'il soit.

M. Allan Simpson (membre du conseil d'administration, Association canadienne des centres de vie autonome): Je fais partie de l'exécutif national de l'Association canadienne des centres de vie autonome, ACCVA, ainsi que du Centre de vie autonome de Winnipeg. J'ai déjà travaillé dans le secteur des assurances et au Conseil des Canadiens avec déficiences, quand le Conseil en était encore à ses débuts.

Dans nos échanges, nos délibérations et nos recherches, nous avons commencé par examiner la nature de notre société, la nature de la citoyenneté, la nature de nos rapports avec l'État. Nous avons été très impressionnés et très heureux de constater que les membres de votre comité parlementaire, qui a une excellente réputation, se sont élevés au-dessus des considérations partisanes et des questions de partage de compétence avec lesquelles nous sommes aux prises aujourd'hui au Canada pour en arriver à la conclusion que la nature de la déficience - la participation pleine et entière des personnes ayant des déficiences - était tellement critique et tellement importante qu'elle symbolisait finalement notre société dans son ensemble.

Cette participation pleine et entière des personnes ayant des déficiences étant dorénavant compromise comme certains l'ont dit, par le fait qu'elle relèverait d'un autre secteur de compétence, nous nous sommes rendu compte que non seulement la situation des personnes handicapées s'en trouverait touchée, mais la société canadienne dans son ensemble serait lancée sur une nouvelle voie, une voie où les habitants de certaines régions du pays ne seraient pas reconnus comme des participants à part entière et n'auraient pas les mêmes droits en tant que citoyens.

Même si nous sommes aujourd'hui à une croisée des chemins, nous avions une certaine vision du Canada et nos collègues dans les différentes régions du monde considèrent la nature de la participation des personnes handicapées à la vie du pays, des provinces et des municipalités comme unique en son genre, comme le gage d'une société moderne qui chérit et valorise le potentiel le plus caché de tous ses membres et qui tient à en assurer l'épanouissement.

Au cours des 15 ou 20 dernières années, les personnes handicapées ont contribué à l'évolution de la Charte des droits et libertés. Nous avons négocié quotidiennement avec M. Chrétien et avec le comité parlementaire à l'époque au sujet de l'inclusion des personnes handicapées comme membres à part entière de notre société. Nous savions que, si nous n'étions pas inclus dans la Charte, nous deviendrions des citoyens de deuxième ordre. Dans le débat en cours, nous commençons à constater que la nature de la société canadienne est en mutation. Nous ne devons toutefois pas considérer les citoyens comme des cubes qu'on peut déplacer à volonté. Nous devons considérer les rapports comme horizontaux, comme transversaux et donc au-dessus des frontières, des limites de compétence et des secteurs, quels qu'ils soient.

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Quand les personnes handicapées sont reléguées à la charité, à la dépendance, quand on les considère comme un fardeau pour la société, c'est toute la société qui se trouve déconsidérée. On sème le doute et le désarroi dans le coeur et l'esprit des personnes âgées, des jeunes et de tous ceux qui ont un handicap - et tous ceux qui sont dans cette salle ont un handicap quelconque. On commence à perdre l'espoir qu'on avait dans son pays et la foi qu'on avait dans sa société.

Les représentants qui sont ici aujourd'hui ne recherchent pas le pouvoir ni la richesse ni quoi que ce soit d'autre pour eux-mêmes. Nous cherchons à consolider le rôle des citoyens et du pays dans son ensemble et nous voulons faire connaître notre leadership et nos contributions. Il en va de nos familles, de nos voisins, de nos collectivités, de nos églises, de nos entreprises, de nos centres d'entraide. Nous avons l'occasion de rebâtir l'esprit du Canada, avec ces éléments nécessaires et précieux que sont les provinces et les rapports avec les provinces. Nous avons l'occasion de jouer un rôle de chef de file. Les personnes handicapées ont l'occasion de contribuer à leur société et d'y jouer un rôle de chef de file. Pour cela, nous avons besoin de l'aide de votre comité parlementaire, de celle du ministre et aussi de celle du Conseil des ministres. Nous avons besoin que tous les partis à la Chambre continuent à s'élever au-dessus des considérations partisanes.

Mon collègue tout de blanc vêtu ici en face de moi symbolise l'espoir ou encore le drapeau blanc de la reddition. Je vois dans ce drapeau blanc de jeunes plants et des papillons, d'où émanent couleurs et brillance. Je pourrais toutefois prendre ce verre d'eau avec ses pouvoirs de guérison ou avec sa capacité de destruction par l'inondation, et je pourrais le verser sur ces papillons et ces jeunes plants qui grandissent dans notre société. Ce geste repose sur une pensée: aider ou entraver. Cette pensée repose sur une valeur: quelles valeurs ont les citoyens qui grandissent dans cette couverture blanche? Doivent-ils être considérés comme des citoyens à part entière ou comme des vers de terre qui méritent d'être éliminés?

Oui, la mondialisation est une force à laquelle nous ne pouvons pas échapper, mais non, monsieur Chrétien, nous ne pouvons pas permettre qu'elle détruise les talents cachés et les contributions des personnes ayant des déficiences. Nous avons tous une contribution à apporter. Nous voulons tous apporter notre contribution. Nous avons tous quelque chose à donner au monde du travail. Nous avons tous des talents à mettre à profit et des familles à élever. Nous devons - et j'insiste là-dessus - reconnaître toutes les personnes handicapées comme des citoyens à part entière.

Le principal défi que je dois relever avec ma collègue Traci tient au fait que quand le ministre nous invite à envisager de nouveaux partenariats, ou bien nous travaillerons avec des personnes dynamiques qui auront donné la preuve de leur compétence ou bien nous nous réunirons en un groupe informel et nous continuerons à tourner en rond sans jamais arriver au but. Oui, le Canada est un pays fondé sur le partage et la compassion et il a un réseau de mécanismes fédéraux et provinciaux par lequel il est possible d'arriver à des solutions. Au bout du compte, cependant, le leadership national, la sécurité nationale, les biens et les services nationaux et les situations d'urgence nationales doivent être la responsabilité ultime du gouvernement fédéral. C'est là la nature de la société canadienne. Quand les choses vont mal, la société canadienne exige que les autorités fédérales exercent un leadership efficace.

Avant que je me laisse trop emporter par mes émotions, Traci peut peut-être prendre la relève et vous parler un peu de ce que sont les centres de vie autonome.

Mme Traci Walters (directrice nationale, Association canadienne des centres de vie autonome): Auparavant, je voudrais réagir à la réponse du gouvernement fédéral. Nous voulons souligner le manque de substance de cette réponse du gouvernement fédéral au rapport du comité permanent.

L'automne dernier, quand nous avons témoigné devant votre comité et que nous avons vu les députés de tous les partis se mettre d'accord pour dire que le financement en bloc aurait des conséquences néfastes pour certains Canadiens, nous étions pleins d'espoir. Nous avons témoigné devant vous, et vous avez déposé votre rapport, qui est excellent, le 13 décembre. Nous avions des espoirs. Toutes nos organisations auraient cessé d'exister au 31 mars. Nous avons donc attendu; nous espérions pouvoir compter sur un processus de consultation qui nous permettrait de nous faire entendre.

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Puis, à la fin janvier, nous avons appris que c'était la fin. Nous avons reçu une lettre nous informant que nous ne relèverions plus de la compétence fédérale. Plus tard, le message s'est éclairci encore davantage quand le gouvernement fédéral a déposé sa réponse.

Nous avons constaté qu'on répondait non à presque tout. Après toutes vos recommandations bien senties, on répondait non à la désignation d'un secrétaire d'État qui aurait des attributions officielles précises en ce qui touche la déficience. On répondait non à une stratégie nationale, non à une vision claire, non à la collaboration intergouvernementale, non à un rapport annuel sur les questions concernant les personnes handicapées, non à l'inclusion, dans les mémoires au Cabinet, d'une analyse des conséquences que subissent à chaque année les personnes ayant des déficiences. On a dit non à une vérification sociale, non à des normes, non à l'inclusion dans le prochain recensement de données concernant les déficiences et non à la protection du programme de réadaptation professionnelle - aucune protection garantie pour ce programme. On n'a pris aucun engagement à l'égard des personnes handicapées et on n'a pris aucun engagement non plus en reconnaissance de tout le travail que font nos organisations, qui sont dirigées par des personnes handicapées et pour elles. Les contributions que nous avons apportées au cours des 15 dernières années... centres de vie autonome, le mouvement que nous avons lancé en ce sens, le travail, tous ces groupes d'entraide au niveau local qui aident les personnes handicapées à améliorer leurs compétences pour qu'elles puissent s'intégrer à la société, participer au marché du travail et contribuer à la vie politique, économique, culturelle et sociale...

À tout cela, on a répondu par un non clair catégorique, mais on a toutefois dit oui à deux choses... Peut-être dans un cas et oui dans l'autre. Il y aura peut-être un jour un examen des lois. Un jour peut-être. Nous ne serons plus là, car nous avons tous été informés de l'élimination de l'aide financière que nous recevons jusqu'à maintenant. Ainsi, quand viendra le temps d'examiner les lois, il n'y aura plus de personnes handicapées à la table pour expliquer ce qu'il faut pour protéger les personnes handicapées au Canada.

Nous avons aussi reçu un oui catégorique. Oui, M. Young dit qu'il est le principal ministre responsable des Canadiens handicapés. Nous avons reçu tous ces non, mais aussi un oui catégorique, à savoir que le ministre est responsable. Il n'a pourtant jamais rencontré les représentants de notre organisation. On a pris une décision très importante qui portera un coup terrible aux Canadiens ayant des déficiences. Il a répondu non quand il s'est agi de nous rencontrer, mais il a dit que oui, il est le ministre responsable. Nous sommes extrêmement déçus, et nous avons besoin de savoir quelle est la position du gouvernement fédéral relativement à cet aspect de la politique sociale.

M. Jean-François Martin (membre du conseil d'administration, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Bonjour. Pierre et moi sommes ici aujourd'hui au nom de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire.

[Français]

La présidente: Jean-François, vous pouvez parler dans votre langue.

[Traduction]

M. Martin: Non, je préfère parler en anglais, puis passer au français.

La présidente: D'accord, c'est un bon exercice.

[Français]

Moi, je vais pratiquer mon franglais.

[Traduction]

M. Martin: L'Association canadienne pour l'intégration communautaire est une fédération regroupant 12 associations provinciales et territoriales qui comprennent plus de 40 000 membres. Nous travaillons auprès et au nom de personnes ayant un handicap intellectuel et de leurs familles.

Comme beaucoup d'autres Canadiens, certains de nos membres ont voté pour le présent gouvernement dans l'espoir qu'il respecterait l'engagement qu'il avait pris dans le Livre rouge de promouvoir l'emploi et la croissance et de relancer l'économie. Selon nos calculs, il en coûte plus de 4,6 milliards de dollars par an à l'économie canadienne du fait qu'on continue d'exclure les personnes ayant des déficiences. Il est temps que le gouvernement s'intéresse de plus près au coût attribuable à l'absence de soutien et de services à l'emploi.

Les personnes qui ont un handicap veulent travailler et elles peuvent travailler. Pourtant, plus de la moitié d'entre elles se trouvent exclues du marché du travail et sans emploi. À l'heure actuelle, c'est non pas le handicap, mais le système qui empêche ces personnes de participer pleinement à la vie en société.

Je demanderais à mon collègue d'illustrer ce point.

[Français]

Pierre, est-ce que tu pourrais te présenter?

M. Pierre Quenneville (président, Comité consultatif des auto-intervenants, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Je m'appelle Pierre Quenneville. Je viens du Saguenay - Lac St-Jean, dans la province de Québec.

M. Martin: Dis-moi, Pierre, as-tu déjà eu un travail?

M. Quenneville: J'ai déjà eu un travail dans le domaine du tabac.

M. Martin: Pendant combien de temps as-tu eu ce travail?

M. Quenneville: Je l'ai eu pendant à peu près 11 mois.

M. Martin: Ce n'était pas 11 semaines?

M. Quenneville: Onze semaines, à peu près.

M. Martin: Tu as eu 11 semaines.

M. Quenneville: Oui.

M. Martin: D'accord. Actuellement, que fais-tu?

M. Quenneville: Je suis à l'aide sociale.

M. Martin: Tu reçois l'aide sociale?

M. Quenneville: Oui.

M. Martin: Donc, il n'y a pas de travail actuellement?

M. Quenneville: Il n'y en a pas.

M. Martin: D'après toi, pour quelle raison n'as-tu plus de travail?

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M. Quenneville: Parce que je n'ai pas de diplômes scolaires. C'est très difficile pour moi.

M. Martin: Très bien. Tu m'as parlé de stages.

M. Quenneville: Il y a ici des stages qui ne sont pas vraiment adéquats.

M. Martin: Tu fais allusion aux stages de 11 semaines que tu passes en entreprise?

M. Quenneville: C'est ça. Onze semaines, je trouve que c'est trop court. Ce n'est pas assez pour avoir le chômage. On tombe automatiquement à l'aide sociale.

M. Martin: Parce que l'entreprise ne te garde pas après les 11 semaines.

M. Quenneville: C'est en plein ça.

M. Martin: Très bien.

[Traduction]

C'est un des exemples illustrant que les personnes handicapées essaient de se trouver un emploi, mais qu'elles n'y arrivent pas.

Par ailleurs, je suis le père d'un enfant trisomique, la trisomie étant une déficience intellectuelle. Je n'ai pas choisi d'avoir un fils handicapé, mais j'ai choisi de travailler avec lui pour qu'il puisse avoir la vie qu'il souhaite avoir. C'est facile à dire, mais pas facile à faire.

Le premier contact avec la société a donc été très difficile pour nous. Comme la plupart des parents, nous avons décidé de mettre notre fils en garderie. J'ai consulté les pages jaunes et j'ai trouvé cinq garderies. J'ai appelé les cinq, et je me suis fait dire: pas question. Regarde ton fils, il est différent; il a un handicap.

[Français]

Imaginez-vous comment on peut se sentir à titre de parents quand, au premier pas de son enfant dans la société, on se fait dire: «Non, il n'y a pas de place pour cet enfant ici». Ce jour-là, j'aurais aimé être à la place de mon voisin parce que mon voisin, lui, s'est réveillé un matin en se disant qu'il était temps d'envoyer sa petite fille ou son petit garçon à la garderie. Tout ce qu'il a eu à faire a été d'appeler à une garderie, dire qu'il avait un enfant à y envoyer, demander s'il y avait de la place et, dès le lendemain, l'enfant était intégré à la garderie. Tout s'est fait aussi simplement.

Pourtant, il a un enfant et moi aussi. Le mien court, le sien court. Le mien pleure et est difficile certains jours, le sien aussi. Où est la différence? C'est que le mien avait ce qu'on appelle la trisomie. C'était la seule différence; pour le reste, c'était un enfant pareil à celui du voisin.

[Traduction]

C'est pourquoi nous avons besoin d'un gouvernement proactif qui donnera l'exemple pour faire en sorte que tous les Canadiens aient des chances égales pour construire leur propre vie.

Maintenant, mon fils va à l'école. Demain, il va chercher un emploi. Comment réagiriez-vous si la seule perspective pour votre fille ou votre fils, après l'âge de 21 ans, était de rester à la maison et de regarder la télévision? Quant à moi, je ne veux pas d'un tel sort pour mon fils. Je veux qu'il termine ses études et qu'il cherche un emploi avec les mêmes chances de succès que tous les autres. Mais il n'aura pas les mêmes chances, car les employeurs éventuels verront le handicap avant de voir la personne. C'est là le principal problème. Si l'on était prêt à admettre que mon fils est une personne avant d'être un handicapé et si le gouvernement intervenait pour venir en aide aux deux parties, pour assurer la qualité de l'insertion... Aidez mon fils à réaliser son rêve.

[Français]

Parfois mon garçon et moi nous promenons ensemble et il me dit: «Papa, j'aimerais être professeur comme toi». Ou bien, quand on croise un camion de pompiers, il me dit: «J'aimerais devenir pompier plus tard».

Il a des rêves comme tous les autres enfants. C'est sûr qu'il ne deviendra peut-être jamais professeur, pompier ou policier, mais il existe quelque part un travail qui attend cet enfant.

[Traduction]

Pourquoi faudrait-il que je lui dise que la seule chose à laquelle il aura droit sera de rester à la maison et de regarder les feuilletons à la télévision - il n'en est pas question - alors que son ami, Mike, pourra devenir professeur ou policier s'il le souhaite et s'il travaille suffisamment pour réussir?

Est-ce là cette société où l'équité pour tous est fondamentale? Non. Mais j'ai toujours confiance en l'avenir. Nous avons simplement besoin de personnes comme vous, qui croient en la diversité humaine et qui sont prêtes à tendre la main à une personne handicapée pour lui dire: «Viens avec nous, partageons nos connaissances; construisons une société dans laquelle tous les Canadiens auront un rôle à jouer.»

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Voilà comment je vois le Canada, et c'est comme cela que je souhaite que mon fils le voie également lorsque viendra pour lui le temps de trouver un emploi. Merci.

Mme Arseneault: Lucie.

Mme Lucie Lemieux-Brassard (présidente, Confédération des organismes provinciaux des personnes handicapées): C'est moi qui vais aborder la question de l'unité nationale et des normes nationales, car j'y crois très sincèrement. Comme Jean-François vient de le dire, on entend parfois des choses positives venant d'une région du pays, tandis que d'une autre région, on entend des histoires d'horreur. Est-ce là le pays que nous souhaitons?

Si nous sommes considérés comme des citoyens par la Loi sur les droits de la personne et par la Charte, nous devrions avoir la même qualité de vie et la même qualité de services en réponse à nos besoins et à notre handicap, compte tenu de nos aptitudes, qu'on a toujours tendance à oublier. Peu importe l'endroit où nous habitons. Malheureusement, le gouvernement fédéral a renoncé à ses engagements dans ce domaine.

J'ai participé hier à une réunion à Montréal, non pas avec le président de l'association, mais avec des gens de la base, qui me demandaient quelles étaient les véritables intentions du gouvernement - et je parle ici des deux niveaux de gouvernement. Nous avons l'impression que les gouvernements essayent tout simplement de trouver une façon plus efficace et plus discrète de purifier la race et de nous éliminer. Qu'est-ce que je pourrais bien leur répondre?

[Français]

La présidente: Ce n'est pas vrai, point!

[Traduction]

Mme Lemieux-Brassard: Si je considère que nous n'avons plus droit aux couches ni aux condoms urinaires, parce que le gouvernement dit qu'il ne reçoit plus les fonds nécessaires d'Ottawa, si nous n'obtenons plus de transport adapté parce que la péréquation n'est plus faite... Voilà la situation telle que nous la percevons et en faisons quotidiennement l'expérience. Le projet de loi C-12 prévoit qu'on peut obtenir de la formation professionnelle, mais seulement après être passé par l'assurance-chômage, et nous savons parfaitement que ce ne sera jamais notre cas.

Dans le contexte des changements apportés aux services sociaux et aux services de santé, nous nous faisons toujours répondre par le gouvernement provincial, non pas seulement au Québec, mais partout - nous lisons les journaux - qu'Ottawa ne transfère plus d'argent à cause du TCSPS, et que le gouvernement doit donc réduire nos services... Au même moment, on impose de nouvelles compressions à l'éducation postsecondaire. Dans tous les domaines, les fournitures médicales, les fonds supplémentaires pour les personnes handicapées... Combien de temps avons-nous dû nous battre pour cela? Il en va de même de St. John's, Terre-Neuve, à Vancouver. Et nous devons encore attendre.

M. Young dit dans le rapport qu'il veut continuer à donner l'exemple sur les questions concernant les personnes handicapées, mais en même temps...

[Français]

La présidente: Quelle page?

M. Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead): Page 7.

[Traduction]

Mme Lemieux-Brassard: C'est aux pages 6 et suivantes. Nous verrons bien ce qui arrivera. Voici ce qu'il dit à la page 6:

Il veut parler des provinces, mais qu'est-ce qu'en disent les provinces? Nous nous faisons dire quotidiennement qu'elles ne reçoivent plus d'argent d'Ottawa et qu'elles ne peuvent plus assurer nos services.

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Nous qui sommes rassemblés ici savons qu'il existe des nuances, mais au Québec les912 000 personnes handicapées ne le savent pas. Comment les 15 p. 100 de Canadiens handicapés pourraient-ils savoir qu'il existe des nuances? Ils savent ce qu'ils entendent et ce qu'ils ressentent. S'ils doivent payer pour leurs couches ou leurs services... La différence est considérable; c'est de cela qu'ils se rendent compte, c'est cela qu'ils savent.

Nous pensons que le gouvernement fédéral et M. Young devraient en convenir, donner l'exemple et agir, comme le ministre a dit qu'il le ferait. Agir, cela signifie, par exemple, fixer des normes nationales. Nous en avons déjà parlé le 26 octobre dernier. Nous avons déjà déposé des documents et des recommandations à ce sujet. Il faut faire en sorte qu'indépendamment de l'endroit où vivent les personnes handicapées elles aient droit aux mêmes critères essentiels de qualité de vie et de services que les autres citoyens - pas plus, mais pas moins. Voilà ce que pourrait faire et devrait faire le gouvernement fédéral.

Merci.

La présidente: Je dois vous signaler qu'il est 14 heures. Nous devons interrompre la séance.

Allan, Traci, Jean-François, Pierre et Lucie, vos interventions ont été très émouvantes.

Je ne sais pas si vous avez terminé vos exposés. Vous avez tous fait des remarques très sensibles et très justes en matière de diagnostic, et nous ne manquerons pas d'en tenir compte.

Je vous confie le sujet suivant: j'aimerais, Allan, que vous et les autres réfléchissiez à la question des relations fédérales-provinciales.

Traci, j'aimerais que vous et les autres réfléchissiez à la question du processus de consultation pour nous dire comment vous souhaitez qu'on l'organise, en indiquant si vous êtes satisfaits de la consultation jusqu'à maintenant et de quelle façon on pourrait l'améliorer.

J'aimerais qu'on étudie également la question de l'égalité et de la diversité aux termes de la Charte. Je comprends parfaitement votre désir de rencontrer le ministre, mais est-ce là le but ultime de cette consultation, et pensez-vous pouvoir obtenir des mesures concrètes de cette façon?

Merci beaucoup.

La séance est levée jusqu'à 15h10.

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