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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 6 novembre 1996

.1809

[Français]

Le président: Je déclare ouverte la séance de travail pour l'étude du projet de loi C-32.

[Traduction]

Nous avons le grand plaisir d'accueillir ce soir les représentants de l'Association du Barreau canadien.

.1810

[Français]

Je voudrais vous dire, avant de débuter, que nous nous excusons du retard. Il y avait un vote en Chambre et, naturellement, on prolongera la séance en conséquence pour vous donner tout le temps qui vous a été alloué.

Nous avons le plaisir d'accueillir M. André Gervais, vice-président de l'Association du Barreau canadien;

[Traduction]

M. Roger Hughes, président de l'Institut canadien des brevets et marques;

[Français]

M. Bernard Mayer, membre du Comité conjoint sur la législation du droit d'auteur;

[Traduction]

M. Stewart Rennie, membre, Section de la recherche juridique de la Division de la Colombie-Britannique de l'Association du Barreau canadien; et Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit.

Monsieur Gervais, vous avez la parole.

M. P. André Gervais (vice-président, Association du Barreau canadien): Merci, monsieur le président. Je remercie les membres du comité d'avoir invité l'Association du Barreau canadien à participer au débat sur les modifications à la Loi sur le droit d'auteur qui sont contenues dans le projet de loi C-32.

[Français]

L'ABC est une association nationale représentant 34 000 juristes dans l'ensemble du Canada. Nos principaux objectifs sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans cette optique que nous vous présentons nos commentaires.

[Traduction]

L'Institut canadien des droits et marques est une association nationale représentant plus de 1 000 personnes qui se spécialisent dans des questions concernant la propriété intellectuelle. L'Association du Barreau canadien encourage sans détour le gouvernement à moderniser et à clarifier la législation canadienne en matière de droit d'auteur.

En outre, le Comité mixte de la Loi sur le droit d'auteur de l'Institut canadien des brevets et marques et de l'Association du Barreau canadien a étudié le projet de loi et présenté un important document portant sur des aspects techniques de ce texte législatif.

[Français]

Je n'ai pas l'intention de discuter ici des modifications proposées dans le mémoire technique du comité conjoint. Je tiens en revanche à souligner que ce mémoire est l'aboutissement des efforts considérables de certains spécialistes du droit de la propriété intellectuelle parmi les plus éminents au Canada. Je suis persuadé que votre comité ne pourra que bénéficier de leurs judicieux conseils.

[Traduction]

J'invite maintenant M. Bernard Mayer à prendre la parole sur les amendements techniques au nom du comité mixte du droit d'auteur.

M. H. Bernard Mayer (membre, Comité mixte de la Loi sur le droit d'auteur de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des brevets et marques): Le mémoire du comité mixte des deux organisations est un mémoire de nature technique. Il vise à exposer des problèmes techniques que le comité mixte a mis en lumière au cours de son étude de la loi. Il y est également tenu compte de l'expérience pratique de ses membres eu égard à l'application et à l'observation de la loi ainsi qu'au fonctionnement de la Commission du droit d'auteur.

Le comité mixte n'estime pas qu'il lui revient de se prononcer sur des questions de politique comme la portée des droits voisins, la portée d'exemptions, et d'autres questions. Nous ne ferons qu'une brève déclaration afin de laisser suffisamment de temps pour les questions. Nous aimerions, néanmoins, faire les observations qui suivent.

Quand un projet de loi aussi complexe est soumis à un débat public, il est inévitable que surgissent de nombreuses questions d'ordre technique. Ces interrogations ne tiennent pas seulement à la rédaction, mais aussi à des conséquences pratiques qui n'ont peut-être pas été entièrement prises en compte par les rédacteurs. Notre mémoire expose différents points de ce genre, qui sont très divers et ne peuvent pas être présentés sommairement.

En tant qu'avocats, nous sommes particulièrement préoccupés par les dispositions de mise en application de la loi. Un droit ne signifie rien si l'on ne peut pas facilement le faire respecter. Comme nous l'indiquons dans notre mémoire, nous savons par expérience que dans bien des cas nous sommes dépassés par les conséquences des progrès techniques accomplis depuis l'adoption de la loi ainsi que par l'évolution du marché et les recours possibles en droit civil.

Nous avons à soumettre un bon nombre d'observations détaillées, et nous estimons que les modifications apportées par le projet de loi afin de simplifier la procédure et les dommages-intérêts préétablis contribueront à rétablir l'équilibre entre demandeurs et défendeurs. Nous reconnaissons que tout système de recours civil doit être jugé équitablement non seulement pour les demandeurs, mais aussi pour les défendeurs. Nous estimons que, compte tenu des observations que nous présentons dans notre mémoire, le projet de loi permettra d'atteindre cet objectif.

Nous croyons que les dispositions pénales de la loi en vigueur, qui ont été largement modifiées en 1989, fonctionnent bien. Le projet de loi n'apporte que quelques changements à la loi. On trouvera nos observations dans notre mémoire.

Soulignons qu'un des changements, qui a trait aux planches pouvant servir à la contrefaçon, nous préoccupe. Nous en traitons en détail dans notre mémoire.

.1815

Nous sommes conscients du fait que le projet de loi ne vise pas à régler les problèmes découlant de progrès techniques comme l'avènement d'Internet. Il faut toutefois dire que certaines de ces dispositions sont largement tributaires de la nouvelle technologie - par exemple, différentes exemptions s'appliqueraient aux transmissions sur le réseau Internet. Nous suggérons de revoir les exemptions afin de s'assurer qu'elles n'ont pas une portée plus grande qu'on ne le souhaite.

Le projet de loi élargit de façon sensible les dispositions concernant les droits voisins. Il importe que la loi soit claire quant aux liens qui existent entre ces droits et les droits d'auteur traditionnels. Nous craignons que l'approche suivie dans le projet de loi ne sème la confusion.

Nous regrettons qu'il ne soit pas précisé dans le projet de loi que la Couronne, tant au niveau fédéral que provincial, est liée par la loi. La position prise dans le projet de loi n'est pas claire; elle peut être liée implicitement, mais il faudrait préciser la position du législateur. Bien que la Couronne agisse habituellement à ces deux titres comme si elle était liée, le fait de ne pas énoncer clairement cette responsabilité peut miner la position du titulaire du titre et constitue une lacune importante.

J'aimerais maintenant céder la parole à M. Gervais.

M. Gervais: Merci.

J'aimerais présenter au comité une importante préoccupation d'ordre politique dont il est question dans le mémoire qui vous est soumis: je parle de la nécessité de s'assurer que ces amendements ne privent pas les Canadiens d'un accès à leur système de justice. En particulier, les amendements proposés ne doivent pas entraver la prestation de services juridiques à un coût raisonnable, pas plus qu'ils ne doivent restreindre l'accès à de l'information juridique de qualité. Pour la bonne administration de notre système de justice, il est essentiel que la population ait accès à l'information juridique. Pour pouvoir vraiment faire appel à la justice, il faut que l'information juridique soit abordable, à jour, exacte, complète et disponible dans les deux langues officielles.

De nombreux tribunaux canadiens ont besoin de photocopies de lois pertinentes. De nombreuses maisons d'édition canadiennes n'imposent pas pour l'instant de redevances pour la reproduction d'ouvrages servant dans le cadre de poursuites judiciaires, mais la possibilité existe. Le cas échéant, il en résulterait une hausse des frais, ce qui en retour limiterait l'accès à la justice. Cette conséquence toucherait davantage ceux qui n'ont que peu de moyens ou ceux qui doivent faire appel à des services d'aide juridique. Il pourrait aussi devenir plus difficile pour les bibliothèques de maintenir des collections à jour et complètes des documents juridiques qu'on peut avoir à consulter.

[Français]

Nous estimons, par conséquent, que la justice serait mieux servie si le projet de loi était modifié de façon à prévoir qu'aucune reproduction faite à des fins de procédures judiciaires ne constitue une violation du droit d'auteur. Cette exception pourrait comprendre, entre autres, le report des procédures.

Par procédure judiciaire, on entend toute procédure devant une cour, un tribunal ou une autre instance ayant compétence pour statuer sur les droits et obligations d'une personne.

[Traduction]

Pour ces raisons, nous estimons que, dans l'intérêt de la justice, le projet de loi devrait être amendé de manière à disposer qu'aucune mesure prise relativement à des poursuites judiciaires ne constitue une violation du droit d'auteur. Cette exception inclurait, sans s'y limiter, les comptes rendus des poursuites. Les comptes rendus des poursuites incluraient les poursuites devant toute cour, tout tribunal et toute personne ayant compétence pour trancher toute question relative aux droits ou aux responsabilités d'une personne.

Nous savons que le gouvernement a fait savoir qu'il y aurait une phase subséquente à l'examen de la Loi sur le droit d'auteur. Toutefois, l'accès à la justice est un besoin si prioritaire que nous demandons qu'on inclue dans le projet de loi une exemption concernant les procédures judiciaires.

[Français]

Je vous remercie.

[Traduction]

J'ai maintenant le plaisir d'inviter M. Stewart Rennie à nous parler des amendements ayant trait à la politique.

M. Stewart Rennie (membre, Section de la recherche juridique de la Division de la Colombie-Britannique, Association du Barreau canadien): Merci.

Monsieur le président, comme vous l'a dit M. Gervais, notre mémoire expose notre politique. Il vise à mettre en lumière les questions que posent les amendements dans la mesure où ils ont une incidence sur l'accès à la justice et la prestation de services juridiques de qualité aux Canadiens. Je vais préciser certaines des questions qu'a soulevées M. Gervais, en me concentrant sur la recherche juridique.

Nous redoutons l'effet que les amendements auront probablement sur la prestation de services juridiques aux Canadiens, ainsi que sur l'accès à la justice. À ce propos, nous craignons trois choses. D'abord, à mesure que les gouvernements publieront de moins en moins d'information juridique, la population devra de plus en plus faire appel à des maisons d'édition commerciales pour s'informer sur les lois. Faute d'un marché pour cette information juridique, la population pourra être privée de ces renseignements. Par conséquent, les Canadiens pourraient avoir à se contenter d'informations juridiques périmées, qui pourraient les induire en erreur et porter atteinte à leurs droits.

.1820

Deuxièmement, nous constatons que l'on fait de plus en plus appel à des maisons d'édition commerciales. Bien que les maisons d'édition canadiennes n'imposent pas pour l'instant de redevances pour la reproduction d'ouvrages en vue de poursuites judiciaires, les amendements proposés maintiennent cette possibilité. L'imposition de redevances rendrait les coûts de l'information juridique prohibitifs pour les utilisateurs - la population canadienne.

Troisièmement, nous craignons que les bibliothèques qui réunissent et gardent de l'information juridique dans tout le pays n'aient à subir une hausse des redevances. Par conséquent, elles réduiront leurs services, ce qui limitera d'autant l'accès à l'information juridique.

L'exception décrite par M. Gervais garantirait l'accès à la justice ainsi que la qualité des services juridiques offerts aux Canadiens. Il ne s'agit pas par cette exception d'accorder des privilèges spéciaux aux juristes, mais simplement de se montrer justes envers les citoyens qui ont besoin de faire appel au système de justice. L'exception consacrerait la pratique qui consiste à photocopier l'information juridique qui doit servir dans des poursuites judiciaires.

Afin d'assurer à tous les Canadiens l'accès à la justice, nous prions le comité de recommander d'inclure une exception de manière que ne soit pas considéré comme une violation du droit d'auteur le fait de copier des ouvrages devant servir à des poursuites judiciaires.

Merci.

[Français]

Le président: Cela complète-t-il votre témoignage, monsieur Gervais?

M. Gervais: Oui, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gervais.

Nous commencerons la période de questions avec M. Leroux.

M. Leroux (Richmond - Wolfe): Merci pour votre mémoire. Je dois vous dire que le comité travaille depuis déjà plusieurs semaines à entendre des témoins, à les questionner, à échanger avec eux et qu'il lui faudra aussi prendre connaissance des mémoires qui lui seront présentés.

On reçoit votre mémoire à l'instant. Je vous avoue que j'éprouve un malaise à cet égard. J'aurais aimé pouvoir l'examiner, l'évaluer et en discuter avec d'autres afin de pouvoir poser les bonnes questions. Néanmoins...

M. Gervais: Nous nous excusons, mais une fois que le document a été complété, il a fallu le faire réviser par plusieurs comités du Barreau et cela a entraîné des délais inévitables.

M. Leroux: J'aimerais soulever une question en ce qui a trait à ce que l'on entend des témoins, particulièrement des ayants droit, les auteurs. Ils nous disent que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, semble dénaturer la reconnaissance du droit d'auteur. On parle d'exceptions expropriant les auteurs d'un certain nombre de droits. On ajoute des droits voisins et d'autres droits.

On veut qu'on établisse bien la démarcation entre le droit d'auteur et les droits voisins. Vous dites qu'il faut que ce champ soit clarifié. Vous avez noté quelque chose qui ne semble pas clair. J'aimerais que vous élaboriez sur ce que vous avez perçu dans ces deux champs.

[Traduction]

M. Mayer: Monsieur le président, c'est une des choses qui ont été mentionnées dans notre déclaration. L'article 90 du projet de loi dit que «les dispositions de la présente loi relatives au droit d'auteur... n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits conférés par la partie I». À notre avis, cette disposition va probablement semer la confusion. Je pense qu'elle vise à protéger, par exemple, les sociétés ayant des droits d'exécution musicale. Si c'est là l'intention, il y a de meilleurs moyens d'y arriver.

.1825

La question est abordée à la page 46 de notre mémoire, si le comité veut bien s'y reporter, et l'on y expose certains des problèmes que la situation actuelle pourrait causer. Il y a d'autres moyens de régler ces problèmes. Par exemple, la position de la SOCAN et de la société de droits d'exécution musicale, si c'est là l'intention, pourrait être évaluée en fonction d'un critère soumis à la Commission du droit d'auteur, par exemple. Nous exposons en haut de la page 46 les types de problèmes qui pourraient en résulter.

[Français]

M. Leroux: Vous avez bien dit la page 46 de la version anglaise?

[Traduction]

M. Mayer: Oui.

[Français]

M. Leroux: Existe-t-il une version française?

[Traduction]

M. Roger T. Hughes (président, Institut canadien des brevets et marques): C'est en cours de traduction.

M. Mayer: Je regrette, nous n'avons pas de version française.

[Français]

M. Leroux: Vous n'avez pas de texte français?

M. Hughes: Plus tard.

M. Leroux: Après votre témoignage?

M. Hughes: Oui.

M. Leroux: C'est difficile de travailler comme cela.

[Traduction]

Le président: Avez-vous terminé, monsieur Mayer?

M. Mayer: Oui.

Le président: Merci.

[Français]

Désirez-vous un peu de temps pour lire cela, monsieur Leroux?

M. Leroux: Je prendrai connaissance des mémoires. On les examinera. J'aurais une autre question à poser, mais elle a trait particulièrement aux recours. Je vais laisser la parole à M. Bélanger. Je préfère approfondir le mémoire.

[Traduction]

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney: (Hamilton Mountain): Merci d'être venus ce soir.

À propos de l'article 38.1, vous dites que l'instauration d'un régime de dommages-intérêts préétablis faciliterait les recours civils. Nous sommes heureux que vous soyez d'accord.

Pour ce qui est du paragraphe 38.1(1), vous avez fait remarquer que le plafond serait de 20 000 $ et vous vous demandez si cela suffirait. Vous mentionnez que dans certaines circonstances, aux États-Unis, le niveau pourrait atteindre 100 000 $. Pourriez-vous préciser votre position et nous dire pourquoi vous ne jugez pas ces 20 000 $ suffisants?

M. Mayer: J'estime que dans cette question des dommages-intérêts préétablis il s'agit simplement d'un barème qui serait appliqué par le tribunal. On a fait valoir qu'il existe différents programmes de très grande valeur, par exemple des programmes informatiques, qui ont une valeur très supérieure à 20 000 $. Par conséquent, on renforcerait l'intérêt de cette disposition en haussant le montant en question. Je pense que ce ne serait pas injuste envers les défendeurs, puisque le tribunal disposerait encore d'un barème, et je pense qu'il est très peu probable que cette hausse entraîne l'attribution d'un dédommagement indûment élevé.

Mme Phinney: Alors quand vous dites que si nous portons ce plafond à 100 000 $ on augmentera de façon importante le nombre de cas où cette disposition sera invoquée, ce n'est pas pour que les avocats aient davantage de causes à défendre, mais simplement pour que plus de gens puissent en poursuivre d'autres. Est-ce ce que vous voulez dire?

M. Mayer: Oui.

Mme Phinney: Merci. Je reprendrai mes questions plus tard.

[Français]

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Je partage les préoccupations de mon collègue quant à la non-disponibilité des documents dans les deux langues officielles, surtout qu'il s'agit d'une association nationale. Parfois, on peut être un peu plus flexibles mais dans ce cas-ci, une association nationale, qui dit représenter tout le monde d'un océan à l'autre, devrait être plus aux aguets.

J'aurais des questions à poser à M. Gervais. Si je comprends bien, la proposition principale du mémoire que vous nous présentez aujourd'hui au nom de l'Association du Barreau canadien est qu'aucun acte accompli - cela veut dire n'importe quel acte - aux fins d'une procédure judiciaire ne porte atteinte au droit d'auteur. Pourriez-vous être un peu plus spécifique, monsieur Gervais, et dire ce que cela comprend ou plutôt ce que cela exclut? Y a-t-il des choses que vous ne pourriez pas faire? Qu'est-ce que cela veut dire au juste?

M. Gervais: Cela veut dire tout ce qui est utilisé pour des fins de procédures judiciaires. Il faut parfois donner des photocopies au tribunal, donner des photocopies des jugements et de la jurisprudence aux clients, etc. On parle de tout ce qui peut, d'une façon quelconque...

M. Bélanger: Des photocopies de quoi?

M. Gervais: Ce pourrait être des photocopies de règlements, de lois, de la jurisprudence, de jugements antérieurs...

M. Bélanger: D'analyses de jugements aussi.

.1830

M. Gervais: Oui.

M. Bélanger: En fin de compte, tout.

M. Gervais: Tout ce qui peut avoir un rapport quelconque avec la procédure judiciaire.

M. Bélanger: Donc, vous proposez que les avocats et les avocates aient le droit de photocopier n'importe quoi, pourvu que cela se rapporte à une cause quelconque.

M. Gervais: Pourvu que cela se rapporte à des procédures judiciaires. Vous parlez des avocats. Il y a un coût à cela et les déboursés sont imputés aux clients. Donc, ce n'est pas l'avocat qui va en souffrir, mais les clients. Ceux qui n'en ont pas les moyens vont peut-être hésiter à entamer des procédures lorsqu'ils vont savoir à l'avance que cela va leur coûter assez cher parce qu'il y a beaucoup de documentation à reproduire.

M. Bélanger: Dans votre proposition, y a-t-il des choses d'exclues, des choses que vous ne pourriez photocopier sans porter atteinte au droit d'auteur?

M. Gervais: Si c'est pour des fins de procédure judiciaire, il n'y a pas d'exclusions. Si cela se rapporte à des procédures judiciaires, qui sont utiles pour des fins judiciaires, il y aura une exemption.

M. Bélanger: Ne trouvez-vous pas que c'est un peu exagéré?

M. Gervais: Non, pas du tout. C'est dans l'intérêt du public, des gens qui veulent aller en cour pour protéger leurs droits et faire une réclamation quelconque. C'est pour eux. C'est pour essayer d'éliminer ou de réduire les coûts des déboursés.

M. Bélanger: L'Association s'est-elle penchée sur les tarifs que les bureaux d'avocats, les conseillers juridiques exigent de leurs clients pour faire des photocopies? Vous êtes-vous penchés là-dessus un peu?

M. Gervais: Pas pour les fins de cette présentation, non.

M. Bélanger: Vous n'auriez pas eu l'idée, par exemple, d'offrir en contrepartie de ne rien demander à vos clients pour toute photocopie pour laquelle vous ne payez rien?

M. Gervais: Des photocopies pour lesquelles nous ne payons rien?

M. Bélanger: Vous ne payez pas de droit d'auteur, mais vous demandez peut-être 50 cents ou 1 $ la copie.

M. Gervais: Cela dépend. Je ne peux vous dire combien un cabinet d'avocats demande pour une photocopie.

M. Bélanger: Vous ne vous êtes pas penchés sur cet aspect du dossier?

M. Gervais: Non, parce que le coût qui doit être absorbé par le cabinet ou par l'avocat est chargé aux clients.

M. Bélanger: Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric (Cambridge): Monsieur le président, j'ai deux questions à poser.

Premièrement, le projet de loi ne propose pas de définition du terme «artiste-interprète». Êtes-vous d'avis que ce terme devrait être défini dans le projet de loi?

Ma deuxième question est la suivante. Pourquoi refiler à vos clients le coût de la copie de documents juridiques? Pourquoi ne pas l'absorber dans votre propre budget? Même si le gouvernement légiférait au sujet des frais de service exigés par les banques, ces dernières les refileraient quand même aux consommateurs. À votre avis est-ce juste?

M. Hughes: Je peux répondre à votre première question au sujet de «l'artiste-interprète». À l'heure actuelle, le projet de loi ne referme pas de définition du terme «artiste-interprète». Dans notre document conjoint - et c'est ce dont je parle - nous recommandons d'établir une telle définition.

Il y a tout un débat au sujet de ce qu'est un artiste-interprète. Dans le cas d'un spectacle sur scène, on peut dire que le chanteur est l'artiste-interprète. Mais qu'en est-il de la personne qui travaille dans un studio de mixage - qui travaille un petit peu comme l'interprète dans sa cabine - est-ce un artiste-interprète? D'aucuns estiment que cette personne est un artiste-interprète, et dans un contexte comme celui-là on peut se demander où commence et où finit le travail d'un artiste-interprète. Sur le plan des relations commerciales, cela n'est pas sans causer énormément de problèmes - qui est autorisé à recevoir ce droit, et qui ne l'est pas?

Par conséquent, nous recommandons d'intégrer au projet de loi une définition claire de ce qu'est un artiste-interprète. Personnellement, j'aurais cru qu'il s'agissait de la personne qu'on voit sur scène. Mais comme je l'ai dit, il y a tout un débat autour de cela, et c'est une décision que le gouvernement devra prendre.

.1835

Deuxièmement, au sujet des copies, je tiens à dire qu'il n'en est pas question dans notre mémoire. Il s'agit d'une situation qui concerne uniquement l'ABC. M. Gervais peut répondre à votre deuxième question.

M. Gervais: Au sujet de la copie, l'avocat ou le cabinet d'avocats assume le coût lié à la photocopie de documents exigés pour certaines procédures judiciaires. Ce coût est refilé au client. Pour cette raison, nous recommandons de prévoir une exemption, car ce coût, si le nombre de copies est élevé, peut être assez considérable et risque d'imposer un fardeau indu à des particuliers, surtout des particuliers peu nantis qui n'ont pas les moyens d'assumer ce coût.

M. Peric: À votre avis, quelle est l'ampleur de ces coûts pour un cabinet d'avocats de taille moyenne?

M. Gervais: Tout dépend de la situation de chacun. Il peut arriver qu'on doive photocopier des centaines ou des milliers de pages, ou quelques-unes seulement. Tout dépend de la procédure judiciaire en question.

M. Peric: Combien payez-vous environ pour une copie, et combien exigez-vous de votre client pour la même copie?

M. Gervais: Cela devrait être le même montant.

M. Peric: En effet, mais est-ce le cas?

M. Gervais: Je ne peux parler au nom des avocats du Canada et vous dire combien ils exigent de leurs clients pour la photocopie. Nous n'avons pas fait d'enquête à ce sujet. Mais la note devrait couvrir le coût de l'équipement, les frais généraux, le papier et le personnel nécessaire pour s'acquitter de cette tâche.

M. Rennie: Permettez-moi d'ajouter qu'on effectue aussi énormément de copies de documents dans des bibliothèques juridiques en préparation de procédures judiciaires. Je pense qu'il convient d'expliquer que les bibliothèques juridiques sont ouvertes aussi bien au public qu'aux avocats ou aux chargés de recherche en droit, qui peuvent tous se servir de l'information qui s'y trouve. Il est possible de prendre des arrangements, dans l'intérêt du client, pour photocopier des documents qui l'informeront sur des questions de droit et lui permettront de savoir quels sont ses droits juridiques.

M. Peric: Dans votre réponse, vous avez laissé entendre que les frais généraux devraient être inclus dans le prix. Partageriez-vous les coûts avec les artistes? Refileriez-vous la redevance à l'artiste, ce qui représente le coût qui est inclus?

M. Gervais: Il s'agit du coût direct lié à la photocopie. Cela ne devrait entraîner aucun profit.

M. Peric: Autrement dit, vous feriez un profit au nom de l'artiste.

M. Gervais: Non. Il s'agit d'un coût direct qui est refilé au client.

M. Peric: Mais ce coût englobe les frais généraux.

M. Gervais: Mais cela ne représente pas un profit. C'est le coût lié au fonctionnement de la machine.

M. Peric: Mais vous pourriez exiger ce que vous voulez à titre de frais généraux. Qui contrôlerait cela?

M. Gervais: C'est une possibilité. Oui, c'est une possibilité.

M. Peric: Merci.

Le président: Monsieur Arseneault.

M. Arseneault (Restigouche - Chaleur): Merci, monsieur le président.

Je voudrais m'attacher aux exceptions, notamment en ce qui concerne le droit d'auteur dans le cas de procédures judiciaires. On peut lire dans votre mémoire qu'aucune activité liée aux procédures judiciaires ne constitue une atteinte au droit d'auteur. Qui décide à quelle fin se fait la photocopie? Est-ce la personne qui fait la photocopie qui décide que le document en question servira à une procédure judiciaire? Et si la personne copie 1 000 pages et en soumet 500 au tribunal, cela signifie-t-il que les 500 autres pages représentent une violation du droit d'auteur? Une personne peut-elle photocopier 1 000 ou 2 000 pages en invoquant le fait qu'elle en a besoin pour le tribunal, et, après les avoir parcourues, décider qu'elle n'en a pas besoin? Où trace-t-on la ligne? Qui décide que les documents sont nécessaires pour une procédure judiciaire?

M. Rennie: Tant au niveau fédéral que provincial, il existe des règles de procédure établies par les tribunaux eux-mêmes. Ces derniers peuvent exiger des copies et décident combien de copies sont nécessaires pour les parties en litige. Ainsi, les règles de procédure constituent un frein à la copie illimitée de documents. En outre, le fait que des documents soient acceptés par un tribunal, qui les aura jugés pertinents et recevables, permettra de confirmer qu'ils ont été copiés aux fins d'une procédure judiciaire.

.1840

M. Arseneault: Mais un document jugé non pertinent et non recevable par un tribunal échapperait-il à votre exception? Le fait de l'avoir copié serait-il assimilé à une violation du droit d'auteur? C'est cela que je veux savoir.

M. Rennie: De la façon dont cette phrase est formulée dans notre mémoire, cette situation pourrait se produire.

M. Arseneault: Elle peut se produire et elle se produira. Oui, mais que va-t-il se passer à ce moment-là? Voilà ce que je veux savoir.

M. Rennie: Une situation comme celle-là peut survenir dans le contexte d'une discussion des faits et de la preuve entre l'avocat et son client quant à savoir ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas. Cela s'inscrit dans le processus qui consiste à offrir des avis et services juridiques.

M. Arseneault: Ce n'est pas tant la façon dont cela peut arriver qui m'inquiète, mais ce qui se produira en l'occurrence. S'agit-il d'une violation...? Vous êtes des avocats, mais pour le moment vous répondez comme des politiques. Nous sommes les politiques, et vous, les avocats. D'après ce que je lis là, s'il y a surabondance de documents photocopiés qui ne servent pas, dont les tribunaux n'ont pas besoin, l'avocat ou les mandataires de l'avocat qui auront fait ces copies auront-ils porté atteinte au droit d'auteur?

M. Gervais: Il convient de faire uniquement le nombre de copies requises.

M. Arseneault: Idéalement, mais si davantage de copies ont été faites...? Vous n'avez pas encore répondu à ma question. S'agit-il d'une violation du droit d'auteur, oui ou non?

M. Gervais: Non, car selon le jugement...

M. Arseneault: Ce ne l'est pas.

M. Gervais: ... de l'avocat qui prend la décision, toutes les copies en question seront nécessaires. Si au tribunal il est déterminé que les documents en question ne sont pas pertinents, si le juge en décide ainsi, les copies en question ne seront peut-être pas utilisées, mais elles étaient requises, étant donné que, de l'avis de l'avocat, elles étaient nécessaires pour la cause.

Une fois dans la salle du tribunal, pas question de dire: j'ai besoin de ces copies, et je vais aller les faire maintenant. Elles doivent être là, disponibles, sur la foi que c'est là la preuve que vous souhaitez présenter et que les copies en question seront nécessaires.

M. Arseneault: On donne donc carte blanche à l'avocat. L'avocat peut dire qu'il a besoin de ces photocopies pour le tribunal et décider de photocopier un article et puis un autre ayant un rapport quelconque avec sa cause.

M. Gervais: Non, l'avocat va faire ce qui s'impose dans le meilleur intérêt de son client, et s'il estime que des copies sont nécessaires, qu'il s'agisse d'une copie, de 10 ou de 100, c'est ce qu'il fera. L'avocat ou l'avocate doit agir dans le meilleur intérêt de son client. Je ne vois pas de problème. L'avocat porte un jugement quant au nombre de copies requises.

M. Arseneault: Passons maintenant aux livres. Un auteur, ou une personne que l'on peut identifier, comme un professeur de droit... Je ne suis pas avocat, de sorte que j'ignore ce qu'il en est, mais j'imagine qu'il y a des experts en droit qui rédigent des ouvrages et qu'il arrive qu'on y fasse référence au tribunal, voire même qu'on cite un passage de leur livre. En l'occurrence, il peut s'agir d'un livre à couverture rigide, d'un livre ordinaire. N'y aurait-il pas atteinte au droit d'auteur si l'on copiait un chapitre du livre en question pour le présenter au tribunal?

M. Gervais: Encore une fois, si le chapitre en question était copié aux fins d'une procédure judiciaire, il tomberait sous le coup de l'exception.

M. Arseneault: Que se passerait-il si tout le livre était copié?

M. Gervais: Si tout le livre était nécessaire? Je doute énormément que cela se produise, à moins que le livre ne soit consacré à un article en particulier ou qu'il n'y ait un chapitre qui porte sur une question particulière dont le tribunal devrait être saisi. Je n'ai jamais entendu dire qu'on ait copié tout un livre.

M. Arseneault: J'espère bien.

M. Gervais: Non. À ce moment-là, je pense que le cabinet d'avocats en question achèterait l'ouvrage.

M. Arseneault: Je voulais simplement faire valoir un argument, voir comment les choses se passent.

Je voudrais maintenant revenir sur le paragraphe 2 de la procédure judiciaire. Je ne connais pas très bien le système judiciaire ou la procédure judiciaire. Par exemple, une comparution devant le CRTC serait-elle considérée comme une procédure judiciaire?

M. Rennie: Cela le serait d'après le libellé de l'exemption que nous vous avons fourni.

.1845

M. Arseneault: Quel pourcentage des clients qui se présentent devant le CRTC sont des sociétés, par opposition à des particuliers? En avez-vous une idée?

M. Gervais: Non, je suis désolé. Je l'ignore.

M. Arseneault: Ainsi, l'avocat représentant les sociétés qui comparaissent devant le CRTC et d'autres instances de ce genre serait aussi autorisé à faire des photocopies?

M. Gervais: C'est exact.

M. Arseneault: Me reste-t-il du temps pour poser d'autres questions?

Le président: Une dernière question.

M. Arseneault: D'accord.

Certains témoins nous ont signalé qu'un certain nombre de bibliothèques juridiques exigent des frais de photocopie, ce qui leur rapporte des sommes substantielles. Je n'ai pas le témoignage en question devant moi, mais je crois que quelqu'un de Vancouver a cité le chiffre de 600 000 $. À la bibliothèque du Barreau du Haut-Canada on vend quelque 100 000 copies. Voilà pourquoi le comité a des réserves au sujet de cette exception. Nous allons examiner toute cette question de très près.

Ma question concerne le cas du libraire qui fait office de mandataire. Comme vous le savez, si un livre n'est pas disponible au Canada, il est possible de l'importer d'un autre pays. Les libraires nous ont demandé s'ils pourraient agir comme mandataires de quelqu'un. À votre avis, compte tenu de la teneur du projet de loi, un libraire peut-il agir comme mandataire d'un client? S'il ne le peut pas, pensez-vous que cela pourrait faire l'objet d'un amendement légitime?

M. Mayer: Cet argument ne vous a pas été présenté dans un contexte commercial. Si vous allez chez un libraire et que vous commandez un livre en particulier, le libraire l'achète et ensuite vous le revend. Normalement, la relation de mandataire n'entre pas en jeu dans ce genre de situation. D'un point de vue pratique, il serait assez rare qu'un libraire soit appelé à commander un livre auprès d'une maison d'édition américaine à titre de mandataire de telle ou telle société.

Votre question concerne la bonne interprétation de l'alinéa 45(1)a) qui est proposé et qui permet à une personne d'importer deux exemplaires au plus pour son propre usage. Si l'intention du projet de loi vise uniquement ce genre de transaction, si c'est ce que le comité souhaite, alors il ne faut pas s'attarder au concept de l'agence, mais plutôt reformuler un nouvel alinéa 45(1)a) qui viserait ce genre de commande spéciale.

M. Hughes: Aux pages 12 à 14 de notre mémoire, nous abordons la situation des libraires, qui ne correspond pas exactement à la question que vous soulevez, mais qui concerne de façon générale des questions de cette nature.

M. Arseneault: Merci, monsieur le président.

Le président: Mme Phinney, suivie de M. Peric, puis nous allons clore la période de questions.

Mme Phinney: Merci, monsieur le président.

Au paragraphe 29.4(2), les établissements d'enseignement font l'objet d'une exception, car ils sont autorisés à reproduire des oeuvres protégées lorsqu'il s'agit d'un exercice scolaire, d'un examen ou d'un contrôle. Bon nombre de témoins ont signalé que l'emploi du terme «exercice scolaire» dans cette exception a pour effet, sur le plan juridique, d'inclure tout ce qu'un enseignant peut demander à un élève de faire. Êtes-vous d'accord avec cette interprétation? Pouvez-vous suggérer une façon de reformuler cette partie de l'exception?

M. Mayer: Tout d'abord, en tant que comité, nous sommes d'accord avec cette interprétation. Cette disposition, si elle demeure, pourrait miner certaines autres exemptions beaucoup plus restrictives qui existent.

Les membres de notre comité sont certainement d'avis - bien que, je suppose, il s'agisse essentiellement d'une question de politique - que le terme «exercice scolaire» devrait être biffé et que l'on ne devrait mentionner que les examens ou les contrôles. Nous nous sommes même demandé si le terme «examen» ne devrait pas être mieux défini.

M. Hughes: Vous retrouverez cela en haut de la page 16 de notre mémoire, au paragraphe D.

Mme Phinney: Ma question porte sur le sens du terme «reproduction par reprographie». Les opinions divergent beaucoup quant aux technologies comprises dans ce terme. À votre avis, l'expression «reproduction par reprographie» comprend-elle la copie ou la transmission électronique?

.1850

M. Mayer: Je ne suis pas un expert en la matière, mais en fait j'en ai discuté encore une fois ce matin avec un autre membre de notre comité parce que je pense que c'est un point bien intéressant. Si j'ai bien compris, habituellement lorsque l'on songe à la reprographie, on pense automatiquement à la photocopie, mais le terme est assez large pour englober par exemple une reproduction numérique ou par balayage, et on peut se demander si cela est important dans le contexte du projet de loi tant que l'exemplaire demeure une reproduction numérique, etc.

Le problème, c'est que lorsqu'on a une reproduction numérique, il est très facile d'en faire des exemplaires additionnels, et il risque d'y avoir des abus. Par conséquent, nous estimons qu'il est souhaitable d'avoir une interprétation de ce terme. J'ai cherché ce terme dans le Shorter Oxford English Dictionary, mais je n'ai pas pu le trouver.

M. Hughes: Il ne s'agit généralement pas d'un terme utilisé dans le domaine des arts. Si vous parlez à un avocat spécialiste du droit d'auteur et que vous parlez de reproduction reprographique, il vous regardera avec un air tout aussi ébahi que moi à l'heure actuelle.

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric: J'aime vos réponses. Vous n'arrivez pas à donner de réponse directe, oui ou non. Vous répondez toujours «je crois», «à notre avis» et «c'est tout à fait juste».

Je vais donc vous demander si vous croyez, ou si à votre avis... ou est-ce que vous demandez à notre comité d'exempter la reproduction de documents juridiques?

M. Gervais: Oui, nous demandons au comité d'accorder une exemption pour la reproduction de documents utilisés lors de procédures judiciaires.

M. Peric: Vous le demandez.

M. Gervais: Nous le recommandons au comité.

M. Peric: Lorsque vous avez un nouveau client, lui demandez-vous des honoraires pour toutes les heures, ou est-ce que vous lui demandez des honoraires partiels?

M. Gervais: Je suis désolé, je ne comprends pas la question.

M. Peric: Ce que je veux dire, c'est comment pouvez-vous demander à notre comité d'envisager d'accorder des exemptions pour la reproduction de documents juridiques alors que vous ne facturez pas votre client partiellement et que vous n'avez aucune compréhension à l'égard de l'artiste? Vous facturez à votre client des honoraires complets, mais vous croyez que les créateurs, les artistes, ne devraient pas être rémunérés pour leurs oeuvres. Et votre temps coûte très cher.

M. Gervais: Cela dépend de l'avocat.

M. Peric: À combien s'élèvent les honoraires minimums et les honoraires maximums? Il n'y a pas de maximum, je le sais, mais le minimum est sans doute de 150 $.

M. Gervais: Non, moins. Si vous vous adressez à mon cabinet, je vous trouverai un avocat qui ne vous demandera pas 150 $ s'il s'agit d'une question très simple.

Nous pensons au public. Nous pensons aux gens qui ont des fonds limités et qui devraient avoir accès à la justice. Comme vous le savez, la question de nouveaux systèmes judiciaires est très actuelle aujourd'hui. L'Association du Barreau canadien a en fait publié un rapport sur la question en août. L'objectif consiste donc à donner au public accès au système judiciaire à tous les niveaux, et, si on limite le coût pour les clients à cet égard, cela les encouragera à recourir aux tribunaux et au CRTC ou à tout autre conseil ou commission qui pourrait leur rendre justice plutôt que de dire tout simplement qu'ils n'en ont pas les moyens et qu'ils doivent renoncer à leurs droits, qu'ils devraient normalement pouvoir exercer.

Le président: Monsieur Peric, il ne vous reste presque plus de temps. Ce sera donc votre dernière question, et je vous demanderais d'être très bref.

M. Peric: Croyez-vous, ou êtes-vous d'avis, que les écrivains devraient être rémunérés pour leurs oeuvres?

M. Gervais: Je ne suis pas ici pour parler au nom des écrivains. Notre position concerne les documents judiciaires utilisés à des fins judiciaires, et je ne voudrais pas donner mon avis sur ce que les écrivains devraient recevoir. Ce n'est vraiment pas...

M. Peric: Une question qui vous regarde.

.1855

M. Gervais: Ce n'est pas que cela ne me regarde pas, mais je ne me sens pas compétent pour répondre à la question dans les circonstances.

M. Peric: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Bélanger, vous aviez une question à poser. Comme nous sommes en retard, pourriez-vous être assez bref, s'il vous plaît?

[Traduction]

M. Bélanger: Je voulais poser une question aux représentants de l'Institut canadien des brevets et marques. Dans votre mémoire, à la page 16 - à laquelle vous avez gentiment fait allusion - vous remettez en question la définition du terme «exercice scolaire» dans le projet de loi, et vous dites qu'on devrait envisager de biffer le terme «exercice scolaire», qui est un terme dont la définition est large, et définir ou nuancer les termes «examen ou contrôle».

Ayant pris cette position, êtes-vous d'avis que la proposition de l'Association du Barreau canadien devrait être plus étroitement définie, pour ce qui est de l'exception qu'elle demande?

M. Mayer: Notre comité mixte est un comité technique. Nous ne voulons pas nous mettre dans une position où nous serions critiqués pour manque d'objectivité, etc., de sorte que notre comité a décidé qu'il serait imprudent de...

M. Bélanger: Mais sur le plan technique, croyez-vous que la définition devrait être plus étroite?

M. Mayer: Je préfère ne pas répondre à la question. Je préférerais vraiment ne pas participer au débat sur cette question.

M. Bélanger: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Gervais, messieurs, je voudrais vous dire, avec la plus grande civilité, que je pense traduire un petit peu la pensée de tous les membres du comité en vous exprimant notre déception sur deux points.

Premièrement, nous n'avons pas reçu ce mémoire en français. Je pense qu'une association aussi prestigieuse et aussi importante que la vôtre aurait dû l'avoir fait, considérant que c'est clair que notre pays travaille dans les deux langues officielles. J'espère que la version française nous sera expédiée le plus tôt possible.

Deuxièmement, je voudrais exprimer ma déception de ne pas avoir eu la possibilité d'étudier ce mémoire.

[Traduction]

Je pense que votre mémoire est de toute évidence extrêmement important pour nous. Vous êtes des experts dans votre domaine. Je me rends compte qu'il s'agit d'un mémoire très substantiel et très important qui aurait considérablement aidé nos membres si nous avions eu la chance de l'examiner à l'avance.

En fait, je vous rappelle que le projet de loi a été déposé le 25 avril dernier, c'est-à-dire que six mois se sont écoulés depuis le dépôt du projet de loi. Par ailleurs, lorsque nous avons demandé la présentation de mémoires - je pense que nous avons écrit en juin ou juillet, du moins il y a certainement plusieurs mois - je me rappelle que Mme Thomson a écrit au comité au mois d'août, je pense que c'était le 22 août, pour demander la comparution de votre groupe, et en disant qu'évidemment nous devrions recevoir votre mémoire avant votre comparution. En fait, elle a demandé que vous soyez invités à comparaître vers la fin des délibérations, ce que nous avons accepté, car vous êtes l'une des dernières associations ou institutions à comparaître devant notre comité avant la fin des séances en soirée.

Donc, en un sens, nous n'avons pas pu profiter de vos connaissances, de vos compétences, puisque nous n'avons pas eu l'occasion d'examiner votre mémoire avant d'entreprendre l'examen article par article, ce que nous ferons très bientôt, je l'espère.

Je vous demanderais donc, sauf votre respect, de bien vouloir nous faire parvenir le texte français le plus tôt possible, et de nous permettre d'espérer que nous aurons le temps... Les attachés de recherche ont déjà travaillé au-delà de leurs capacités. J'espère que d'ici à ce que nous entreprenions l'étude article par article nous aurons le temps de faire un bon travail de recherche. Mais si nous ne le pouvons pas, vous comprendrez que dans ce cas-ci, ce n'était certainement pas notre faute. C'est malheureux.

.1900

Je tenais à le mentionner sans rancoeur. J'espère que mes remarques sont comprises dans l'esprit où je voulais les faire. J'aurais aimé que nous puissions pleinement profiter de votre excellent travail, mais malheureusement je ne pense pas que cela soit possible.

M. Gervais: Monsieur le président, encore une fois je m'excuse. Nous aurions aimé vous faire parvenir les documents beaucoup plus tôt et dans les deux langues officielles.

Je pense que l'Association du Barreau canadien... Si vous faites des recherches, vous constaterez que tous nos documents sont habituellement déposés à temps et dans les deux langues officielles. Cependant, dans ce cas-ci, cela représentait énormément de travail. Il s'agit d'un exposé très détaillé, comme vous l'avez dit, et une fois que le document a été préparé sous forme d'ébauche, il a dû être examiné par plusieurs comités. Ces gens sont tous des bénévoles, de sorte qu'ils n'ont peut-être pas pu lui accorder leur attention immédiate. Il y a eu des retards.

Je suis désolé que les choses se soient passées ainsi. Nous aurions certainement préféré vous remettre ces documents suffisamment à l'avance pour vous permettre de préparer vos questions à partir de la documentation avant cette audience du comité. Encore une fois, je regrette que le mémoire ne soit pas dans les deux langues officielles. Nous vous enverrons des exemplaires en français également.

[Français]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gervais.

[Traduction]

Merci beaucoup d'avoir comparu devant notre comité ce soir. Nous vous en sommes reconnaissants.

[Français]

M. Gervais: Merci, monsieur le président, à vous et aux membres du comité.

Le président: Merci.

.1902

.1905

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

Nous avons le plaisir tout particulier de recevoir ce soir la Commission du droit d'auteur du Canada, avec M. Michel Hétu, vice-président et premier dirigeant, M. Mario Bouchard, avocat général, et M. Claude Majeau, secrétaire. Monsieur Hétu, vous avez la parole.

M. Michel Hétu (vice-président et premier dirigeant, Commission du droit d'auteur du Canada): Monsieur le président, mesdames, messieurs, membres du comité, je tiens d'abord à vous remercier de me donner l'occasion d'expliquer un peu plus en détail certains des commentaires que la Commission du droit d'auteur a déjà formulés dans son mémoire du 3 septembre dernier.

Les personnes qui m'accompagnent sont M. Mario Bouchard et M. Claude Majeau à ma droite. Mes collègues, les commissaires Adrian Burns et Andrew Fenus sont aussi présents dans la salle.

Je ne reprendrai pas ici tous les commentaires soulevés dans notre mémoire. Je me contenterai d'attirer votre attention sur un certain nombre de points dont le premier concerne les critères proposés pour la tarification des droits voisins et de la copie privée.

Comme vous le savez, le projet de loi comporte deux séries de dispositions concernant les critères dont la Commission devra tenir compte dans l'exercice de ses fonctions.

Tout d'abord, l'article 66.91 permet au cabinet d'émettre, par voie de règlement, des directives ou des critères. La Commission n'est pas opposée à l'existence de ce pouvoir. La disposition telle que rédigée pourrait toutefois soulever certaines difficultés, et nous avons suggéré certains changements en vue de l'améliorer. Je vous réfère à notre mémoire sur cette question.

La deuxième série de dispositions se trouve aux paragraphes 68(2) et 83(9), le premier concernant les droits voisins et le second, la copie privée. Ce sont des critères législatifs et, à cause de cela, ils nous inquiètent.

Dans notre mémoire, nous avons dit qu'il n'était souvent ni prudent ni souhaitable d'établir dans un texte de loi des normes détaillées pour l'exercice du pouvoir décisionnel d'un organisme comme le nôtre. Il est extrêmement difficile de modifier un tel critère si l'on découvre tout à coup qu'il ne convient pas ou que sa formulation fait problème. L'approche réglementaire est préférable. Elle est plus souple, plus malléable dans le temps et permet une consultation constructive et préalable avec le décideur qui aura à interpréter ces critères.

Mon intention ce soir n'est pas de contester la pertinence ou le bien-fondé des critères énumérés aux articles 68 et 83, mais plutôt d'illustrer comment leur incorporation dans la loi risque de poser des problèmes.

Prenons, par exemple, l'alinéa 68(2)b) applicable aux droits voisins. Cette disposition exige, entre autres, que la Commission tienne compte du fait que les tarifs ne devraient s'appliquer qu'à la partie de la programmation totale d'un utilisateur qui correspond aux prestations et aux enregistrements sonores.

Ce critère, en apparence inoffensif, permettra-t-il à la Commission d'établir des tarifs en fonction de moyennes d'utilisation nationale, par exemple, ou devra-t-on l'interpréter comme exigeant une structure tarifaire qui colle sur l'utilisation individuelle de chaque station?

Si l'intention n'est pas de s'ingérer dans ce niveau de détail mais uniquement de dire que la Commission devrait tenir compte du volume d'utilisation des heures protégées, alors on ne saisit pas pourquoi on se sent obligé de le dire ici, pour les droits voisins, alors qu'on ne le dit pas ailleurs, notamment pour les tarifs de la SOCAN.

La Commission tient déjà compte du volume d'utilisation des oeuvres protégées dans l'établissement des tarifs de la SOCAN. La disposition poursuivrait-elle un objectif différent?

.1910

Autre exemple: l'alinéa 68(2)b) exige de tenir compte du fait que certains utilisateurs favorisent la vente d'enregistrements sonores.

La loi fait une déclaration sans dire à qui elle s'applique. On vise probablement les stations de radio, mais la disposition n'est pas limitative. Qu'en sera-t-il des discothèques? De quelle preuve la Commission devra-t-elle disposer pour trancher cette question? Devra-t-elle procéder elle-même à l'identification des utilisateurs visés? Et une fois les utilisateurs identifiés, quel effet devra-t-on donner à ce critère?

Le législateur n'indique pas le résultat recherché. Les critères énumérés au paragraphe 83(9) relativement au régime de la copie privée soulèvent tout autant de difficultés. Ainsi, quand on demande à la Commission de tenir compte «du montant payable en vertu de lois comparables dans d'autres pays», on peut imaginer la somme de travail exigé de la part des parties et, à défaut, de la Commission et les coûts que cela va entraîner pour établir la preuve nécessaire à la prise en compte d'un tel facteur. De même, on comprend mal l'influence que la nature de l'industrie nord-américaine de l'enregistrement sonore pourra avoir sur le caractère raisonnable ou non d'un tarif, quand ce dernier vise avant tout les manufacturiers et importateurs de cassettes vierges et que dans le marché nord-américain le plus important, les États-Unis, ces supports ne sont pas assujettis à un régime de redevances semblable.

Cette multiplication de critères donne l'impression que, contrairement à ce que disent les tribunaux judiciaires, la Commission n'est pas considérée comme un tribunal expert capable d'établir des balises tarifaires raisonnables suite à un processus où les intéressés ont tout le loisir de faire valoir leur point de vue. C'est comme si on pensait qu'en l'absence de critères, la Commission sera incapable de rendre des décisions informées et raisonnables.

Comble de l'ironie, on établit ces multiples critères à l'égard de redevances qui, de l'avis des principaux intéressés, ne seront qu'une fraction de celles qui sont versées en vertu du régime SOCAN, pour lequel il n'existe aucun critère et pour lequel aucun n'est proposé. Autrement dit, plus les sommes en jeu sont importantes, plus on s'en remet au jugement de la Commission, et moins elles le sont, plus on crée de balises.

D'autres personnes qui ont comparu et qui comparaîtront devant ce comité vous demandent d'ajouter d'autres critères à ceux qui figurent déjà au projet de loi. Les commentaires qui précèdent s'appliquent avec autant de force à ceux-ci. Je me permettrai cependant d'ajouter un commentaire à cet égard.

Il est de la nature même d'un critère, peu importe sa source, de diminuer le pouvoir d'appréciation de celui auquel il s'impose. Dans sa première décision sur la retransmission, la Commission a opté pour une formule tarifaire que personne n'avait proposée. Ses deux éléments les plus importants sont un prix unique sans égard au nombre de signaux éloignés offerts et des taux progressifs pour les systèmes de grandeur moyenne.

Aujourd'hui, tous semblent reconnaître que cette formule est la mieux adaptée aux réalités canadiennes. Je pose la question: La Commission aurait-elle été en mesure de l'adopter si elle avait dû tenir compte d'un critère lui imposant de refléter les prix du marché? Je me permets d'en douter. C'est donc dire que tout critère, aussi valable puisse-t-il paraître à première vue, comporte le danger d'empêcher le décideur visé d'en arriver à la solution la mieux adaptée à la situation qui se présente devant lui.

C'est pour ces motifs que la Commission croit qu'il faudrait songer sérieusement à retirer les critères du projet de loi. Si le gouvernement estime que certains d'entre eux devraient quand même être donnés à la Commission, il devrait les adopter sous forme de règlements. Cette approche aurait l'avantage de ne pas couler ces critères dans le béton.

Mon deuxième point concerne l'impact de l'article 68.1 sur l'établissement du tarif des droits voisins pour les stations dont les revenus dépassent 1 250 000 $. L'article 68.1 fixe à 100 $ le montant des redevances à payer pour les droits voisins par toutes les stations de radio à l'égard de la première tranche de revenus de 1 250 000 $. Cette disposition nous inquiète à cause de l'effet qu'elle pourrait avoir sur la participation de l'industrie aux audiences de la Commission et, en bout de piste, sur l'établissement du tarif lui-même.

.1915

Le projet de loi règle, une fois pour toutes, la situation pour les deux tiers des stations au Canada, celles dont les revenus sont de 1 250 000 dollars ou moins. Quand viendra le temps des audiences, ces stations risquent fort de rester chez elles.

Par le dossier de la retransmission, au contraire, les petits systèmes sont venus nous expliquer leur situation financière. Je pose la question: La Commission disposera-t-elle de toute l'information requise pour évaluer adéquatement la santé de l'industrie?

Plus important encore, quand viendra le temps d'établir le tarif, la Commission pourra-t-elle tenir compte de la santé financière de l'ensemble de l'industrie ou devra-t-elle s'en tenir uniquement aux 34 p. 100 de stations dont les revenus dépassent 1 250 000 dollars? Cette dernière option, si elle était retenue, pourrait entraîner des conséquences inattendues.

L'objet de mon propos n'est pas de dire que c'est ce qui se produira, mais bien d'illustrer encore une fois les risques que présente l'incorporation de critères et de tarifs prédéterminés dans la loi.

Mon troisième point concerne le régime tarifaire proposé pour certains établissements d'enseignement, aux articles 29.6 et 29.7 et également pour les personnes souffrant de déficience perceptuelle à l'article 32.

Le projet de loi étend le régime de la retransmission à la conservation au-delà d'un certain délai, et à l'utilisation, par des établissements d'enseignement, de certaines reproductions d'émissions de nouvelles ou d'autres programmations. Ce faisant, on oblige les sociétés de gestion à déposer des projets de tarif et à les faire approuver par la Commission et ce, même si ces sociétés et les établissements intéressés sont en mesure d'en arriver à une entente.

Les personnes qui reproduisent des oeuvres sur des supports alternatifs pour le bénéfice des personnes ayant une déficience perceptuelle seraient assujetties au même régime.

Tel que présenté, le régime semble trop lourd. Plusieurs intervenants ont déjà suggéré de le simplifier en permettant aux sociétés de gestion d'en arriver à des ententes avec les intéressés plutôt que de les obliger à déposer des projets de tarif. La Commission, étant favorable à la conclusion d'ententes, croit que cette suggestion devrait être retenue.

Mon quatrième point concerne la procédure d'approbation des ententes proposées à l'article 68.1. Nous tenons à réitérer la position exposée dans notre mémoire. Cette nouvelle procédure est à la fois mal articulée et mal fondée.

La Commission ne voit ni l'intérêt ni la nécessité d'exiger l'homologation des ententes auxquelles en arrivent les sociétés de gestion soumises au régime de la SOCAN. Elle est plutôt d'avis qu'il faut, autant que possible, encourager la conclusion d'ententes.

Les parties qui s'entendent ne devraient pas avoir à se soumettre à des formalités d'approbation. Par contre, celles qui ne peuvent y arriver devraient évidemment disposer d'un recours.

Les dispositions du régime d'arbitrage reflètent déjà clairement ce principe. Il ne semble pas y avoir de motifs convaincants de traiter différemment les sociétés de gestion assujetties à l'article 67.

Toutefois, par souci de transparence, on devrait établir le principe voulant que les ententes traitant d'usages visés dans un tarif sont nulles et non avenues à moins d'avoir été déposées auprès de la Commission. Une telle mesure aiderait à assurer une certaine discipline du marché, tout en permettant au directeur des enquêtes, dans des cas appropriés, de mettre en branle le mécanisme de révision, devant la Commission prévu à l'article 70.5.

Dans le même ordre d'idées, la loi devrait permettre l'accès du public aux ententes déposées auprès de la Commission. L'utilité du mécanisme de dépôt est considérablement réduite si les documents ne peuvent être consultés.

La Commission comprend mal les réserves exprimées par ceux qui ne voient pas la nécessité de donner au public accès aux ententes. Après tout, si l'entente se substitue à un processus public, elle aussi devrait être publique. Il s'agit là du prix que doit payer la société de gestion pour pouvoir exister en tant que monopole ou quasi-monopole. C'est une question d'intérêt public.

Qui plus est, le manque d'accès aux ententes pourrait empêcher la Commission de disposer de tous les outils dont elle a besoin pour rendre des décisions éclairées.

.1920

[Traduction]

Mon cinquième point concerne la proposition de réforme du régime applicable aux titulaires introuvables.

La commission peut émettre une licence lorsque le titulaire du droit d'auteur est introuvable. Ce régime remonte à la phase I de la révision de la loi en 1988. Le but était de permettre l'accès aux oeuvres publiées lorsqu'il est impossible d'obtenir le consentement du titulaire du droit d'auteur.

La commission agit en quelque sorte comme une société de gestion représentant les introuvables. Avant de faire droit à une demande, elle exige entre autres que le requérant communique avec toute société de gestion susceptible d'émettre des licences pour des usages similaires, de façon à aider à localiser le titulaire du droit d'auteur. Elle fait aussi en sorte que la licence reflète, dans la mesure du possible, les pratiques de ces sociétés en matière d'émission de licences, y compris le montant des redevances.

Depuis le début, la commission exige que les redevances soient versées en fidéicommis à la société qui aurait normalement émis la licence si le titulaire avait été membre. Ce dernier peut réclamer ces redevances dans les cinq années qui suivent l'émission de la licence.

On se rend donc compte qu'en pratique les sociétés sont consultées, leurs régimes de licences sont appliqués et les redevances leur sont versées. Il semblerait donc logique de demander à ces sociétés, plutôt qu'à la commission, d'émettre ces licences chaque fois que l'usage envisagé en est un qu'elles gèrent.

La commission interviendrait uniquement lorsque aucune société de gestion n'est en mesure de traiter la demande, ou encore en vertu du régime d'arbitrage, si le requérant et la société de gestion étaient incapables d'en venir à une entente sur les redevances et les modalités.

Par ailleurs, un problème particulier se pose à l'égard des oeuvres artistiques. Plusieurs de ces oeuvres - tableaux, sculptures - ne sont jamais publiées au sens de la loi, c'est-à-dire reproduites à plusieurs exemplaires. On peut comprendre qu'on veuille exclure du régime l'oeuvre inconnue du public.

D'autre part, pourquoi ne serait-il pas possible d'accorder une licence permettant de reproduire, disons dans un catalogue ou dans un livre d'art, une oeuvre artistique protégée qui est connue du public parce qu'elle a été exposée en public ou parce qu'elle fait partie de la collection permanente d'un musée?

La commission recommande donc que la licence soit accordée à l'égard d'oeuvres artistiques non publiées dans les circonstances décrites ci-dessus. Vous trouverez en annexe à notre mémoire une proposition dans laquelle on tente de démontrer comment l'article 77 proposé pourrait être modifié pour refléter nos recommandations.

Voilà essentiellement ce que j'avais à vous dire ce soir. J'ai deux autres brèves observations à faire.

La première concerne le budget de la commission. Plusieurs intervenants vous ont demandé de faire en sorte que la commission reçoive les fonds nécessaires pour répondre aux demandes accrues qui découleront de l'adoption du projet de loi. À cet égard, je me contenterai de dire que la commission travaille déjà à une proposition qu'elle entend présenter au ministre d'ici peu, avant que le projet de loi n'entre en vigueur.

Mon dernier point porte sur le montant des redevances qui seront attribuables aux droits voisins et à la copie privée. Je voudrais répondre à l'avance à ce qui risque fort d'être l'une des questions qui vous préoccupent le plus.

Un certain nombre de personnes ont comparu devant le comité et ont prétendu faire la démonstration, tableaux et documents à l'appui, du montant probable des redevances attribuables aux droits voisins et à la copie privée. Certains fonctionnaires se sont risqués à faire des prédictions.

Je représente le tribunal qui sera chargé de fixer le montant de ces redevances, et je dois vous avouer que ni moi ni mes collègues n'avons la moindre idée de ces montants. Vous comprendrez qu'il serait inapproprié pour moi de faire des hypothèses sur ces questions et qu'il est de toute façon totalement futile de tenter de le faire. L'expérience de la retransmission a démontré que les prédictions de ce genre pouvaient être complètement fausses.

.1925

Le montant et la structure de ces nouveaux tarifs seront déterminés, comme la commission l'a toujours fait, à la suite d'un examen détaillé des arguments et propositions des diverses parties.

Je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de prendre la parole devant le comité. Je suis bien sûr prêt à répondre à toutes vos questions.

Le président: Merci, monsieur Hétu.

[Français]

M. Leroux: Tout d'abord, je vous remercie pour votre mémoire. Je crois qu'on peut considérer ce mémoire comme un outil de travail qui va nous être très utile puisque vous abordez des aspects fondamentaux du projet de loi.

Je voudrais parler de plusieurs aspects du rapport, et je commencerai par l'article 66.91 qui m'ennuie un peu. Si cet article donne bien au gouverneur en conseil le droit d'émettre des directives à la Commission, je me pose de questions sur le bien-fondé des droits du politicien. J'aimerais que vous me disiez si vous pensez que cela pourrait conduire aux mêmes genres d'expériences que nous avons avec le Conseil, entre autres.

On intervient souvent au CRTC, et on a vu l'expérience de l'intervention directe. Est-ce que vous pensez, lorsque vous nous dites de nous méfier de cette possibilité de permettre au gouverneur en conseil de nous donner un cadre d'opération des définitions, qu'on pourrait se retrouver dans la même situation que celle du CRTC, entre autres quand des décisions du CRTC ont été renversées avec Power DirecTv? Ça devient, à ce moment-là, très problématique dans l'industrie, surtout quand il y a le gendre du premier ministre. Ça devient très compliqué sur le plan de l'interprétation et sur le plan de la façon dont on le reçoit. Avez-vous l'impression que ça pourrait vous embarquer dans ce même genre de bateau?

M. Hétu: Notre façon de voir les choses est vraiment basée sur des questions de principe, finalement. On a le sentiment que, de toute façon, ces critères-là doivent s'inscrire dans le cadre législatif de la Loi sur le droit d'auteur.

Vous n'ignorez pas, évidemment, que la Loi sur le droit d'auteur ne contient pas, comme la Loi sur la radiodiffusion, une liste d'objectifs législatifs de politique publique. Il n'y a pas de telles choses dans la Loi sur le droit d'auteur.

Alors, le seul critère ou la seule balise législative qui existe à l'heure actuelle est jurisprudentielle, c'est l'interprétation faite par les tribunaux. La Commission doit adopter et fixer des tarifs qui sont justes et équitables. Ce faisant, elle doit peser les forces respectives des créateurs et des usagers dans le marché visé par une proposition tarifaire.

La façon de voir cet article général, qui autoriserait le cabinet à donner des directives et des critères à la Commission, doit nécessairement s'interpréter comme devant respecter cet objectif fondamental qui est celui de critères qui vont entraîner l'adoption de tarifs justes et équitables.

En d'autres termes, cet objectif-là est suprême et les directives que le cabinet peut envoyer doivent respecter ce principe fondamental; autrement, ce serait jugé ultra vires. C'est la façon d'analyser la chose.

Mais ça ne veut pas dire qu'un cabinet ne pourrait pas, à l'occasion, abuser de ce pouvoir. Notre expérience à ce jour - parce qu'on a dans la loi, à l'égard du régime de retransmission, un pouvoir du genre - montre que le cabinet peut prendre des règlements pour donner des critères à la Commission. Il a été exercé une fois, en 1991. Ça n'a pas posé de problèmes à la Commission. Donc, il n'y a pas de raison de penser qu'il va être exercé ou mis en oeuvre de façon incorrecte ou abusive. D'ailleurs, ces critères-là doivent être prépubliés dans la Gazette du Canada. Évidemment, nous proposons dans notre mémoire que la Commission soit consultée avant qu'ils ne soient émis, ce qui n'est pas le cas présentement car ce n'est pas prévu. C'est une recommandation que nous faisons.

.1930

M. Leroux: Vous sonnez l'alarme. Vous dites que quelque chose n'est pas clair. Pour bien encadrer cet article-là, pourriez-vous suggéré un libellé?

M. Hétu: Nous avons recommandé trois choses dans notre mémoire. Je ne l'ai pas repris ce soir. Je n'ai fait que vous y renvoyer. Dans le texte de 66.91, il y a deux alinéas, le a) et le b). Le a) dit:

a) la fixation des redevances à verser aux termes de la présente loi;

En d'autres termes, le test qui figure à l'heure actuelle dans la loi et qu'on a enlevé, on devrait le réinsérer à 66.91 en regard du petit a), qui est la fixation de redevances. Donc, les directives et les critères devraient viser la fixation de redevances justes et équitables. Cela assurerait très certainement des balises claires et bien établies.

Quant au petit b), on a exprimé des doutes sur l'objet de ce pouvoir qui verrait le gouverneur en conseil établir des critères et des directives pour le prononcé des décisions de la Commission dans des cas qui relèvent de sa compétence. C'est très général et cela se reporte à des questions de procédure et autres qui relèvent normalement de la compétence d'un tribunal administratif. On ne voit pas vraiment pourquoi le cabinet s'ingérerait dans ce genre d'exercice. Donc, on estime que le b) devrait disparaître.

La troisième recommandation disait qu'on devait être consultés. D'autres organismes, notamment le CRTC et l'Office national de l'énergie, ont dans leur loi constituante des dispositions qui prévoient, dans le cas de directives qui leur sont adressées, qu'elles feront l'objet de consultations préalables et non pas de réactions, comme si c'était le public en général qui répondait à un projet de décret. Il faudrait qu'on soit vraiment consultés à l'avance.

M. Leroux: Vous avez fait aussi allusion au paragraphe 83(9), qui stipule que le tarif devra tenir compte, entre autres, de la nature de l'industrie nord-américaine de l'enregistrement, et vous soulevez des questions assez fortes. Pouvez-vous élaborer davantage sur les difficultés que représentent des indications comme celles-là? Y a-t-il impossibilité d'établir quoi que ce soit?

M. Hétu: J'ai dit ce soir que ce critère particulier était assez obscur. Je ne sais pas, au départ, quelle est la relation entre ce critère, qui porte sur l'industrie du disque et nos tarifs, qui vont porter sur le prix à payer pour des cassettes. Il ne faut pas oublier que c'est la cassette qui va faire l'objet d'un droit. Je me demande quel est l'objectif de cette analyse pour déterminer la valeur du tarif.

Ce n'est pas clair. Le problème de ces critères législatifs, c'est que dans une loi, on cherche forcément à voir les textes le plus courts possible; on ne s'exprime pas complètement. Si le gouvernement a des intentions vraiment précises, il me semble qu'il devrait les articuler de façon beaucoup plus claire. La meilleure façon de le faire, à mon avis, c'est de les mettre dans un texte comme un règlement, un texte d'une page ou une demi-page. On peut ajuster et améliorer un tel texte.

Je ne peux vous dire comment ce critère sera présenté à la Commission par les parties. Les parties elles-mêmes vont avoir un point de vue là-dessus. Elles vont chercher, en utilisant ce critère, à faire valoir leur point de vue, à obtenir les conclusions qu'elles recherchent. On entendra des choses des deux côtés - j'imagine qu'ils ne diront pas la même chose - et on sera pris avec cela. Enfin, je ne trouve pas le critère vraiment très éclairant.

.1935

M. Leroux: Je reviendrai plus loin avec une proposition qu'on a reçue de l'ADISQ sur les régimes. À juste titre, certaines inquiétudes ont été soumises au comité en ce qui a trait aux droits d'auteur et aux droits voisins.

Plusieurs groupes sont venus nous dire qu'il fallait absolument être sensibles au fait que les droits d'auteur existent déjà; les droits d'auteur ont des acquis et les droits voisins ne doivent pas venir affecter les droits d'auteur. On suggère de plus en plus, à certains égards, cet effet-là. En ce qui a trait à l'article 90, certains groupes sont venus témoigner devant le comité. Entre autres, la SOCAN nous a proposé des ajouts au libellé de cet article, ajouts qui, d'après eux, viennent clarifier le champ des droits d'auteur et des droits voisins.

Étant donné que le régime des droits voisins reste à établir, croyez-vous que l'article 90, avec l'ajout que la SOCAN propose, fera en sorte de rendre plus clairs, en ce qui a trait à votre travail, le champ des droits d'auteur et le champ des droits voisins?

M. Hétu: À mon avis, l'article 90 tel que rédigé actuellement crée deux sortes de problèmes. Il y a un premier problème, que plusieurs ont commenté; c'est la question de la hiérarchie des droits, entre les droits voisins et les droits d'auteur. C'est une question juridique, si vous voulez une interprétation de cette disposition.

Le deuxième est celui que soulève la SOCAN, qui est de déterminer si ses propres tarifs pour l'usage des oeuvres musicales pourraient être affectés à la baisse par l'introduction des droits voisins. Elle recommande que ces tarifs soient gelés, etc.

Au départ, j'aurais deux commentaires de principe. Dans l'introduction de droits nouveaux, il n'y a pas de théorie de vases communicants qui joue. L'apparition de droits nouveaux n'entraîne pas, pour ce seul motif, une réduction des redevances payables aux ayants droit actuels.

D'un autre côté, il serait faux de prétendre que la capacité d'une industrie n'est pas un facteur pertinent. Après tout, nous sommes un tribunal qui fixe des prix et il faut prendre en compte, lors de la fixation de redevances, quelles qu'elles soient, la capacité de payer de l'industrie qui y est assujettie. La Commission l'a dit à plusieurs reprises dans ses décisions. C'est un facteur parmi d'autres dont il faut tenir compte lorsqu'on fixe les tarifs applicables à la musique.

Cela dit, il est inévitable que la structure même du régime des droits voisins proposé dans le projet de loi C-32 aura un impact sur ces questions. Les inquiétudes exprimées par les uns et les autres quant à l'effet des droits voisins sur les tarifs de la SOCAN doivent être mises en perspective.

Pour les stations de radio, il semble que la question ne se pose pas vraiment dans l'immédiat. Après tout, 66 p. 100 des stations de radio vont payer 100 $ par année, et cela en permanence. Donc, cette somme ne devrait pas les affecter financièrement. En conséquence, je vois mal, toutes choses restant pareilles par ailleurs, comment l'introduction de cette redevance de 100 $ pourrait ouvrir la porte à une réduction du tarif de la SOCAN. En d'autres termes, l'article 90 serait redondant dans ce cas particulier des deux tiers des stations de radio.

Quant aux grosses stations de radio, elles bénéficient elles aussi de ce taux préférentiel et d'une introduction progressive des tarifs. Donc, c'est ici qu'a lieu ce débat et non pas devant la Commission. Ce sera pour plus tard. Je répète qu'en ce qui nous concerne, la capacité de payer est un élément.

M. Leroux: D'accord. Je reviendrai avec une proposition.

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott (Kootenay-Est): Merci.

J'apprécie beaucoup la franchise de votre exposé ce soir. C'est très agréable.

J'ai quelques préoccupations. À la page 8, vous abordez la question du montant éventuel des redevances attribuables aux droits voisins et à la copie privée. Une chose me frappe: la mesure législative envisagée se trouve en fait à donner un chèque en blanc à tous les participants. Autrement dit, vous dites que vous-mêmes, à titre d'experts, vous qui serez chargés de fixer le montant de ces redevances, n'avez pas la moindre idée de leur montant éventuel.

.1940

M. Hétu: Je dis que je refuse de faire des hypothèses là-dessus, car la loi établit un processus permettant à toutes les parties intéressées de se faire entendre dans ce dossier. Franchement, il serait non seulement prématuré, mais aussi inapproprié pour moi de jongler avec des chiffres. Je suppose que les chiffres qui ont été présentés au comité constituent un point de départ. Mais quand la loi sera adoptée et que des demandes seront faites à la commission, nous aurons une meilleure idée de ce que demandent les titulaires des droits et des contre-propositions qui émaneront de ceux qui seront appelés à payer les redevances proposées. Après avoir examiné le dossier à fond et entendu les témoignages d'experts, nous tirerons une conclusion.

Pour le moment, vous pouvez tout comme moi avancer un chiffre, mais je ne m'aventurerai pas à indiquer un chiffre quelconque.

M. Abbott: Je dis seulement que pour les usagers l'incertitude est source de préoccupation.

À la page 2 de votre mémoire, au sujet de l'alinéa proposé 68(2)b), qui traite des droits voisins, vous faites observer que la définition n'est pas claire. J'en tiendrai compte, et j'espère que le comité fera de même, mais la définition manque également de clarté pour ce qui est des revenus publicitaires de 1,25 million de dollars. Comment va-t-on établir si les recettes publicitaires sont brutes ou nettes? De quels autres facteurs faudrait-il tenir compte pour les recettes publicitaires?

M. Hétu: Nous disons dans le texte de notre mémoire que le comité pourrait se pencher sur la question soit dans la loi, soit, ce qui serait peut-être préférable, dans le règlement, afin de permettre au gouvernement de définir ce que l'on entend par cette expression. Il faut s'en tenir au texte proposé dans l'article 68.1, qui commence par les mots «par dérogation aux tarifs homologués par la commission». Les stations dont les recettes ne dépassent pas ce montant n'auront que 100 $ à payer. Le tarif s'applique au-dessus de ce seuil, quelle que soit la définition qu'on en donne, mais la loi ou le règlement devrait préciser ce que l'on entend par cette expression.

M. Abbott: Oui. Actuellement, l'absence de définition de «recettes publicitaires», conjuguée aux autres problèmes que vous avez soulevés, risque d'en rendre l'application problématique.

M. Hétu: Oui.

M. Abbott: Je voudrais avoir une précision, pour m'assurer d'avoir bien compris une décision que vous avez rendue récemment sur la musique de fond qui est diffusée dans les magasins. Je crois que votre commission a décidé que le nombre d'utilisations d'une chanson jusqu'au moment de sa diffusion... Autrement dit, quand elle est copiée à partir d'un disque, inscrite dans un programme quelconque ou qu'on en commande la diffusion, ce n'est pas pertinent pour la redevance. La redevance est payable à l'égard de l'audition réelle de l'oeuvre, ce qu'on appelle la prestation de l'oeuvre. Est-ce une bonne interprétation de ce que vous avez dit?

M. Hétu: Elle est effectivement le résultat de notre décision. C'est un tarif qui s'applique à ce que l'on appelle la fourniture de musique de fond. Autrefois, la musique de fond était enregistrée sur un support, des cassettes, etc. Aujourd'hui, les compagnies qui offrent ce service se servent des moyens de télécommunication pour acheminer leurs signaux et leurs programmes. En théorie, il y a donc deux droits protégés qui entrent en jeu dans cette entreprise.

La question que nous devions trancher était de savoir si cela créait une valeur additionnelle relativement au service offert en bout de ligne par ce secteur d'activité, qui consiste à offrir de la musique de fond pour diffuser dans des magasins. Nous avons conclu que cela ne s'appliquait pas et qu'il n'y avait en fait qu'une seule opération, et nous avons insisté là-dessus.

M. Abbott: Croyez-vous, dans ce cas, qu'on pourrait parallèlement appliquer le même raisonnement aux radiodiffuseurs qui font fondamentalement la même chose avant de diffuser un signal sur les ondes?

M. Hétu: On pourrait certainement soutenir cet argument. Si le collectif administrait les droits de télécommunication et les droits d'exécution, comme c'est le cas de la SOCAN - ce qui nous permet de dire, dans la mesure où ils sont concernés, qu'ils en ont pour leur argent - on pourrait soutenir en effet que le même argument est valable. On pourrait argumenter en ce sens.

.1945

Dans le cas de la reproduction par les radiodiffuseurs, ces droits sont bien sûr administrés par d'autres sociétés, ce qui vient compliquer le dossier.

M. Abbott: Au risque de vous mettre sur la sellette, je voudrais toutefois vous demander si vous seriez d'accord pour dire que la diffusion de musique de fond dans un centre commercial, un ascenseur ou ailleurs est l'équivalent de la diffusion de musique à la radio, que l'on peut capter dans sa voiture ou à la maison. Ce sont deux choses semblables. Par conséquent, l'application technique... Le fait que la musique soit transférée par un autre médium...Il y a copie éphémère de l'oeuvre, et il me semble donc que l'on peut faire un parallèle. N'êtes-vous pas d'accord?

M. Hétu: Vous soutenez cet argument, monsieur, et je suppose que n'importe qui pourrait reprendre ce même argument.

Le président: Vous avez droit à une dernière question, monsieur Abbott.

M. Abbott: Sur le même point, nous avons entendu les représentants de l'Association canadienne des radiodiffuseurs et d'autres qui s'intéressent à toute cette question, et je crois que nous avons également entendu des compositeurs et des artistes-interprètes nous dire qu'il y a expropriation... Je me demande s'il y a ailleurs dans le monde d'autres régimes que vous connaissez et qui comportent ces exemptions pour les enregistrements éphémères.

M. Hétu: C'est bien connu qu'il y a de telles exceptions aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays. Je n'ai pas examiné la question en détail, mais je sais, comme la plupart des gens dans mon domaine, que dans certains pays il y a bel et bien des dispositions de ce genre, qui peuvent comporter des limites, des restrictions, etc. On peut en trouver des exemples, tout comme on peut trouver des législations qui ne comportent pas de telles dispositions. Je suis au courant des exposés qui ont été faits devant le comité par ceux qui aimeraient que vous suiviez une orientation particulière, par opposition à une autre.

Le président: Monsieur O'Brien.

M. O'Brien (London - Middlesex): Merci, monsieur le président.

J'ai trois ou quatre questions à poser, mais je voudrais commencer par toute cette question des exceptions. Comme vous le dites, monsieur, nous avons assurément entendu beaucoup de témoignages et d'opinions selon lesquels nous devrions permettre des exceptions, tandis que d'autres nous disent que nous ne devrions accepter absolument aucune exception. Je me demande quelle est votre opinion au sujet des exceptions, et en quoi l'existence d'une société de gestion dans un cas donné modifie votre point de vue sur les exceptions?

M. Hétu: C'est une question assez complexe, bien qu'elle soit brève. Personnellement, j'ai toujours considéré que l'on pouvait traiter la question des exemptions ou des exceptions de deux manières possibles. Je suppose que l'on aurait pu inscrire dans la loi - et bien des gens l'ont peut-être souhaité dans le passé - une disposition détaillée sur l'utilisation équitable, précisant les nombreux facteurs dont il faut tenir compte pour établir si une utilisation donnée est équitable. Cela aurait aidé les utilisateurs et les titulaires de droits dans leurs transactions, que ce soit de personne à personne ou dans le cadre d'une société de gestion, à négocier les paramètres, c'est-à-dire l'application de ces dispositions sur l'utilisation équitable. À mon avis, cela aurait été davantage indiqué pour compléter la première étape de 1988.

L'autre méthode, qui consiste à inscrire dans la loi une disposition très détaillée et à décrire et définir dans la loi elle-même ce qui constitue une utilisation équitable - et c'est exactement ce qu'on se trouve à faire dans le projet de loi à l'étude - est également une façon valable de procéder. Vous pouvez procéder de cette façon. Le problème qui se pose est toutefois de savoir comment définir ces exemptions. Par où commencer? Où cela doit-il s'arrêter? La négociation aura-t-elle lieu ici, plutôt qu'avec les titulaires de droits et les utilisateurs? Nous devrons appliquer des critères ou des facteurs à ces situations.

.1950

Je ne sais trop, mais il me semble, d'après la façon dont le projet de loi est établi, qu'on a adopté la deuxième méthode.

M. O'Brien: Je vous renvoie à la page 3 de votre mémoire. Il me semble qu'il y a une contradiction au deuxième paragraphe, à moins que je ne l'interprète mal. Si je me trompe, je voudrais que vous m'expliquiez tout cela.

Vous parlez de la prolifération des critères. Il me semble qu'un message assez clair ressort du mémoire, à savoir que la commission ne veut pas être perçue comme un tribunal expert. Quelques lignes plus bas, on semble dire qu'en l'absence de critères la commission serait incapable de rendre des décisions éclairées et raisonnables.

Ai-je mal compris? Il me semble qu'il y a une contradiction dans ce paragraphe. Êtes-vous pour ou contre des critères inscrits dans la loi?

M. Hétu: Je pense avoir déjà répondu à cette question. J'ai dit que nous recommandons qu'il n'y ait pas de critères. Nous connaissons suffisamment bien le domaine pour décider, après avoir entendu les parties, quels devraient être les facteurs et critères applicables à l'utilisation en question.

Comme on l'a fait dans d'autres cas, pour des dossiers plus importants, on semble avoir inscrit ces critères dans la loi pour nous dire quoi faire, mais en des termes qui ne sont pas très clairs. C'est le problème auquel je me suis attaché: que faire avec cela? Où cela nous mène-t-il?

M. O'Brien: C'est en quelque sorte une situation nouvelle, innovatrice, qui établit un précédent, que le gouvernement fasse adopter une loi dans laquelle il inscrit certains critères à l'adresse d'un organisme comme le vôtre...

M. Hétu: Cela l'est certainement pour la Commission du droit d'auteur, sauf pour le pouvoir de réglementation que nous avons dans le régime de retransmission, que le Cabinet a exercé en 1991. Mais ces règlements peuvent être changés si leur application ne donne pas les résultats escomptés. Nous estimons qu'il faudrait donner cette marge de manoeuvre au gouvernement dans des dossiers de ce genre.

M. O'Brien: À la page 4 de votre mémoire, vous faites allusion à l'exemption de 1,25 million de dollars. Ensuite, vous vous demandez si la commission aura accès aux renseignements dont elle a besoin. Vous posez la question, mais moi je voudrais que vous y répondiez. Quels obstacles entrevoyez-vous pour ce qui est d'avoir accès aux renseignements voulus? Pouvez-vous répondre à votre propre question, que vous posez au premier paragraphe de la page 5?

M. Hétu: Je vais vous donner l'exemple du régime de retransmission. La loi stipule que les petits systèmes de retransmission doivent obtenir de la commission un tarif préférentiel. La loi ne fixe pas de tarif, et il faut donc s'adresser à la commission et plaider sa cause pour obtenir un taux auquel on estime avoir droit. Les gens se sont organisés en conséquence et sont venus plaider leur cause.

Par la suite, durant la deuxième ronde, les sociétés de gestion ont demandé des changements à ces taux que nous avions établis en 1990. Elles sont revenues à la charge pour dire qu'il ne fallait plus y toucher, que tout fonctionnait très bien, etc.

Voilà ce que je veux dire quand je demande si nous pourrons obtenir les renseignements voulus sur le secteur si 66 p. 100 des intervenants ne se manifestent pas. Ils n'ont pas besoin de le faire. Pourquoi prendraient-ils la peine de venir nous voir pour dire qu'il faudrait que ce soit 100 $, alors même que la loi le précise?

M. O'Brien: Bon, merci.

Le président: Je voudrais attirer l'attention des membres du comité sur le fait que nous avons du retard ce soir. Comme vous le savez, c'est à cause d'un vote, premièrement; mais aussi, à cause de l'importance de la commission dans ce dossier, j'ai permis d'étirer un peu le temps.

Monsieur Peric.

M. Peric: Merci, monsieur le président. Ma question sera très brève.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'article 90 de ce projet de loi, puisque vous avez déjà abordé la question? Qu'en pensez-vous?

.1955

M. Hétu: Eh bien, je suppose que quand j'ai donné des explications tout à l'heure j'en suis plus ou moins arrivé à la conclusion qu'en ce qui concerne les stations de radio, à cause du régime qu'on vous propose, c'est vous qui devrez vous demander si ces nouveaux droits auront dans un avenir immédiat une incidence sur les redevances de la SOCAN.

Mais à long terme, je dis qu'il est impossible de dire que la capacité de payer ne sera jamais un facteur. La question de la capacité de payer peut se poser à propos d'autres facteurs que les droits voisins, en fait. Voyez-vous, on ne peut pas dire clairement que c'est à cause des droits voisins qu'on ne peut pas payer cette somme, ou à cause d'autres facteurs. On ne peut pas tirer automatiquement de conclusion. Il faut examiner ce qui se passe dans le secteur et prendre une décision relativement à ce qui a changé dans ce secteur qui le rend en mesure de connaître le succès à l'égard de ce genre de demande.

[Français]

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Je voudrais revenir sur la question de mon collègue O'Brien. Vous parlez du risque que présente l'incorporation de critères et de tarifs prédéterminés dans la loi.

Pour les critères, je pense qu'on a reçu suffisamment de représentations et il semble qu'un consensus s'en dégage. Mais c'est la première fois que l'on touche à la question des tarifs. Est-ce que je dois comprendre que vous croyez qu'il serait peut-être préférable qu'on ne fasse pas allusion à un tarif minimum, ou est-ce qu'on devrait seulement ne pas identifier le montant? Il y a une nuance ici.

Autrement dit, est-ce qu'on devrait, en tant que législateurs, laisser à la Commission la charge de déterminer s'il devrait y avoir un tarif différent entre les postes de radio qui font un revenu de tel ou tel montant ou moins et les autres?

M. Hétu: Personnellement, je vois dans l'article 68 deux objectifs. Le premier, c'est d'accorder un traitement préférentiel aux petites stations. On les définit en disant que leur revenu doit être de 1 250 000 $, et on fixe le taux. Le deuxième objectif, c'est d'assurer une introduction progressive des droits voisins pour les plus grosses stations.

Je me dis que si ce sont les deux objectifs, pourquoi ne pas les mettre dans la loi et laisser la Commission faire son travail, tout comme on l'a fait pour la retransmission? Il y a un traitement préférentiel pour les petits systèmes, et la Commission leur en a donné un qui est très significatif. Je pense que c'était 100 $. Et elle a développé d'autres mécanismes ou d'autres mesures pour s'assurer que les stations un peu plus grosses, dans ce cas les câblodistributeurs qui avaient plus de qualifications que les petites stations, bénéficient également d'un étagement des tarifs.

Cela a été notre solution, et on l'a également appliquée dans un autre tarif, qui est le tarif 17 qui concerne les services spécialisés au Canada.

En d'autres termes, ce serait vraiment ce que j'appelle une directive dans la loi qui est...

M. Bélanger: On établit les principes et...

M. Hétu: Le principe.

M. Bélanger: Merci, monsieur le président.

Le président: Une dernière question, monsieur Leroux, si vous pouvez être bref.

M. Leroux: L'ADISQ propose qu'il y ait trois catégories de radios identifiées par niveau. Est-ce que la Commission trouve réaliste ce genre de proposition? Est-ce que vous avez déjà, dans d'autres cas, basé vos décisions sur un système semblable, dans d'autres expériences dans le système?

.2000

M. Hétu: Je sais que l'ADISQ, dans sa proposition, a un peu fait allusion à des tarifs de la Commission pour dire que celle-ci, dans le cas de la retransmission, dans le tarif 17, a créé des tarifs spéciaux pour les petits systèmes, puis a gradué le taux pour faciliter l'introduction afin de reconnaître que, dans certains cas, la capacité de payer est un critère dont il faut tenir compte.

Je n'ai pas à me prononcer sur la validité de l'approche de l'ADISQ. Si on avait à déterminer le taux minimum et la formule d'introduction graduelle, ce serait une proposition parmi d'autres qu'on devrait examiner. Alors, je ne peux pas vous dire si elle est préférable à une autre.

M. Leroux: Vous avez semblé dire qu'au moins deux catégories, les bibliothèques et les handicapés visuels, étaient dans un régime de retransmission par rapport au projet de loi et que ça posait des problèmes. Peut-être seraient-elles mieux dans le régime d'arbitrage, et même là, les gens de l'arbitrage peuvent aller dans le régime SOCAN s'ils le veulent, selon le projet de loi. Quels sont les problèmes particuliers? Est-ce que ce sont les coûts?

M. Hétu: Ceux qui ont fait des représentations devant le comité ont indiqué que ce régime, à cause de son application assez limitée - pensons surtout à la reproduction de livres pour les handicapés - , est lourd. On a donc proposé une solution de rechange qui n'élimine pas le régime, mais qui dit simplement que l'entente suffit, même s'il n'y a pas de tarif. C'est simplement donner plus de souplesse au régime actuel, et pas nécessairement le changer. On s'assure que si on s'entend, il n'est pas nécessaire de déposer un tarif.

Le président: Monsieur Hétu, votre mémoire et votre présentation de ce soir ont été faits avec beaucoup de sérieux et cela va beaucoup nous aider. Merci beaucoup pour votre présentation et d'être venu ce soir.

[Traduction]

Merci beaucoup au nom du comité. Merci.

.2002

.2011

[Français]

Le président: Nous avons le plaisir d'accueillir les représentants de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ), M. Pierre Bertrand, président; M. Stéphane Tremblay, administrateur; M. Luc Plamondon, administrateur; et Mme Francine Bertrand Venne, directrice générale.

Il y a des députés qui ne lisent pas couramment en français. Est-ce que vous auriez une copie en anglais de ce communiqué?

M. Pierre Bertrand (président, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec): Je vais essayer de parler lentement et clairement.

Monsieur le président, vous avez déjà présenté les gens qui sont assis à la table, mais je vais quand même refaire l'exercice: Stéphane Tremblay, administrateur, Luc Plamondon, auteur émérite, administrateur et président sortant de la SPACQ, ainsi que notre directrice générale, Francine Bertrand Venne. Je vais maintenant vous lire le texte que j'ai à vous présenter. On a aussi avec nous des membres auteurs et compositeurs qui sont venus de Montréal à Ottawa pour nous accompagner et nous soutenir.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés et membres du comité, je voudrais d'abord dire un mot sur l'organisme que nous représentons. La SPACQ est la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec. Elle représente les principaux auteurs de chansons et de musique québécois. Quelques-uns de ses membres sont présents à cette table et dans cette salle. Avant toute chose, je crois qu'il est pertinent de s'entendre sur le vocabulaire et le sens de quelques mots clés. Cela nous épargnera un temps précieux et nous évitera beaucoup de confusion inutile.

Parlons d'abord du mot «auteur». Un auteur est un créateur. Un créateur, c'est quelqu'un qui a le talent d'inventer quelque chose à partir de rien. Dans le cas présent, il peut être soit l'auteur des paroles, soit l'auteur de la musique d'une chanson. L'auteur et son oeuvre sont au sommet de la pyramide, la source, la matière première dont tout le reste dépend et découle.

Sans le créateur, il n'y a pas de chanson, pas d'artiste-interprète, pas de disque, pas de spectacle, pas de producteur ni de diffuseur, pas de public, pas de gala, pas de Félix ni de Juno, pas d'industrie culturelle. Sans auteurs, il n'y aurait pas de Loi sur le droit d'auteur ni de révision de la loi, et nous ne serions pas ici ce soir à nous parler.

.2015

Le créateur crée de la richesse pour tout le monde dans son sillage. Pourtant, il est important de se rappeler que le droit d'auteur est le seul et unique salaire de l'auteur et que l'auteur n'est rémunéré que si sa création trouve preneur; sinon cent fois sur le métier il remet son travail, dans l'espoir que sa prochaine chanson aura plus de succès que la précédente. La pulsion créatrice est une affaire de coeur. Le créateur vit donc souvent d'amour et d'eau fraîche.

L'auteur et le compositeur d'une oeuvre peuvent espérer toucher un revenu à partir de deux types de redevances principales: celles provenant de l'exécution publique de leurs oeuvres et celles provenant de la reproduction de ces oeuvres sur des supports comme des disques, des rubans, des émissions de télévision ou de radio, des supports multimédia ou encore les inforoutes.

Ce sont les droits d'exécution, d'une part, et les droits de reproduction, d'autre part. L'un et l'autre de ces droits ont été reconnus légitimes et distincts par la Cour suprême en 1990.

La Loi sur le droit d'auteur, le mot le dit, a pour objet l'auteur d'une oeuvre et ses droits de propriété intellectuelle qui en résultent. Rappelons que le droit d'auteur est un droit enchâssé dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cette loi constitue le fondement juridique permettant au créateur de contrôler l'exploitation de ses oeuvres. Elle insuffle la vision à partir de laquelle les juges seront appelés ultérieurement à interpréter la loi et à trancher les litiges. Ce travail se fait principalement à la Commission du droit d'auteur.

Comme son nom l'indique très clairement, le droit voisin est un droit voisin du droit d'auteur, en anglais neighbouring right. Ce n'est pas un droit d'auteur puisqu'il concerne les artistes-interprètes, les producteurs et les signaux de communication des diffuseurs, qui se situent tous dans la chaîne des intervenants qui apparaissent après la création, une fois que l'oeuvre existe déjà.

Il importe de rappeler que nos collègues de ces disciplines acceptent cette définition du droit voisin et n'ont jamais demandé un droit d'auteur. En fait, ils ont toujours considéré, comme nous, que ce nouveau droit ne devait en aucun cas empiéter sur le droit des auteurs et sur leurs acquis.

Maintenant j'aimerais vous faire un petit peu d'histoire après les définitions et le vocabulaire. Le XXe siècle, qui se termine, aura été déterminant dans l'évolution de la communication. Du gramophone à l'Internet, la planète bleue est devenue le village global annoncé par McLuhan. Depuis toujours, les technologies de communication servent à diffuser et à reproduire les oeuvres de l'esprit à travers le monde. À l'heure de la révolution informatique, c'est plus vrai que jamais.

C'est pour cette raison que la propriété intellectuelle est citée comme une des grandes richesses naturelles du XIXe siècle par l'Organisation des Nations unies.

On renouvelle une loi pour corriger les erreurs du passé, mais surtout pour faire face de façon efficace aux défis de l'avenir. Le législateur est sûrement conscient des formidables et nombreux bouleversements occasionnés par la révolution technologique à laquelle on assiste au moment où on se parle.

À partir de l'invention de l'imprimerie, le concept du droit d'auteur s'est développé de concert avec l'évolution de la technologie. Cette évolution s'est transformée en révolution technologique depuis une quarantaine d'années et a connu un formidable essor, de sorte que les législateurs ont souvent accusé du retard dans l'actualisation de leur Loi sur le droit d'auteur.

C'est justement en raison de ces retards et de la désuétude de la loi canadienne datant de 1924 que des auteurs et des compositeurs de chansons se sont regroupés autour de Luc Plamondon, Diane Juster et Lise Aubut et ont fondé la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec, la SPACQ, au début des années 1980.

.2020

Les représentations de la SPACQ ont en partie trouvé écho auprès du législateur canadien lors de la phase I de la révision de la Loi sur le droit d'auteur.

Un premier amendement à la loi abolissait le régime de la licence de reproduction obligatoire et reconnaissait un statut juridique aux sociétés de gestion collective. Suite à cette première révision et à l'amendement SOCAN, qui clarifiait la définition de l'oeuvre musicale, le législateur nous donnait rendez-vous pour la phase II de la révision de la loi.

Nous voilà donc devant vous aujourd'hui parce que nous pensons que le projet de loi C-32, dans sa forme actuelle, aurait des conséquences très graves pour les auteurs, les compositeurs et les créateurs en général. Les auteurs et les compositeurs attendaient beaucoup de cette phase II.

Ils attendaient d'abord une loi ne comportant pas d'exceptions de façon à ce que les auteurs et leurs sociétés de gestion collective puissent négocier de gré à gré avec les utilisateurs d'oeuvres et jouir de la vie économique de leur propriété intellectuelle.

Deuxièmement, ils espéraient un système de compensation comblant le manque à gagner énorme causé par la reproduction à domicile, la copie privée.

Troisièmement, ils espéraient une garantie pleine et entière que les acquis juridiques et économiques des créateurs ne seraient pas touchés par l'arrivée des droits voisins.

Les auteurs sont amèrement déçus, non seulement parce que le projet de loi C-32 déposé au printemps dernier comme entrée en matière de la phase II ne répond adéquatement à aucune de nos revendications légitimes, mais pire encore, parce qu'il crée toute une batterie d'exceptions au profit de certaines catégories d'utilisateurs qui feront dangereusement reculer le droit des auteurs canadiens et risqueront de mettre en péril l'existence de la SODRAC elle-même.

Les auteurs et compositeurs québécois sont désemparés. Ce projet de loi nie les principes de justice élémentaires du droit de propriété; il fait des auteurs des citoyens de deuxième classe et menace leurs acquis et leur développement. Alors que les oeuvres de l'esprit sont le présent et l'avenir de l'économie et de la culture canadiennes, le gouvernement privilégie les utilisateurs d'oeuvres au détriment de leurs propriétaires légitimes, les créateurs.

Le droit d'auteur a été créé pour lier les auteurs à la vie économique de leurs oeuvres. C'est un droit qui permet à tout créateur de conserver le contrôle sur l'utilisation de ses oeuvres. Il est très important que la protection accordée par la Loi sur le droit d'auteur en soit une qui protège l'auteur et non l'oeuvre. Il en va du concept même de la culture dans notre société. Pourtant, le projet de loi C-32 affaiblit la place du créateur. Il n'assure pas à la culture canadienne et à ses créateurs les moyens de se faire connaître et apprécier dans le monde entier.

Les créateurs de ce pays ne jouiront pas d'une protection adéquate pour affronter les nouvelles technologies. Comment peut-on prétendre encourager la culture de son pays quand on permet que la commercialisation des oeuvres soit à l'avantage de certaines personnes d'affaires en excluant les créateurs?

Le seul salaire de l'auteur, c'est le droit d'auteur. Si on touche à la loi pour y introduire des exceptions de toutes sortes, on porte atteinte au droit moral de l'auteur et on pénalise celui qu'on devrait avoir à coeur d'aider et d'encourager à créer. Faire une exception, c'est comme suspendre le droit fondamental de l'auteur, son droit patrimonial. Un droit ne peut pas faire l'objet d'exceptions. Un droit est un droit. A right is a right.

.2025

Le gouvernement a pour souci de s'assurer que les oeuvres soient disponibles au plus grand nombre et à un prix abordable. Les créateurs le comprennent, puisque eux aussi ont intérêt à ce que leurs oeuvres soient accessibles et touchent le plus grand nombre de gens possible.

Ce qu'ils ne comprendront et n'accepteront jamais, c'est que le gouvernement veuille les exproprier de leurs droits pour arriver à ses fins. Ce sont «leurs oeuvres» après tout. Ils veulent avoir toute la liberté voulue pour négocier de gré à gré avec les utilisateurs des ententes qui soient aussi à leur avantage.

De toute façon, la Commission du droit d'auteur est toujours là pour trancher en cas de litige non résolu. Les auteurs se sont toujours conformés aux décisions de la Commission et à la loi, et ils veulent être traités comme tous les autres citoyens de ce pays, en adultes.

Il existe une différence énorme entre un droit et un tarif. Nous avons pu assister à certaines des comparutions qui ont été faites devant vous et nous avons eu la très désagréable impression que les divers intervenants venaient devant vous comme s'ils passaient devant la Commission du droit d'auteur.

Des utilisateurs de toutes provenances ont fait état de leurs difficultés financières ou de leur éventuel manque à gagner pour s'attaquer à nos droits. Pourtant, les gens de la SODRAC vous l'ont dit: jamais les auteurs n'ont étouffé qui que ce soit.

Je rappelle cette entente entre TVA et la SODRAC en vertu de laquelle, en échange d'un droit de reproduction illimitée pour une période d'un an, TVA verse l'équivalent de 0,2 p. 100 de ses revenus publicitaires à la SODRAC.

Un droit est un droit. A right is a right. Un droit de propriété est un droit de propriété. Le tarif découle de la valeur de ce droit. Les considérations sur la situation financière de tel ou tel intervenant ne devraient entrer en jeu que lors de la libre négociation entre les sociétés de gestion et les utilisateurs d'oeuvres ou encore devant la Commission du droit d'auteur, dont le rôle est de trancher.

Si le législateur entend légiférer en se fondant sur les difficultés financières et les besoins économiques des uns et des autres, il est très amicalement et très chaleureusement invité à analyser de près le statut social et économique des auteurs eux-mêmes, pour qui cette loi est conçue.

Abordons maintenant le projet de loi C-32 plus en détail. Parlons d'abord les exceptions. La SODRAC, la SOCAN, la Songwriters Association of Canada et les autres sociétés d'ayants droit ont toutes dénoncé les 13 pages d'exceptions au principe fondamental du droit d'auteur. Nous souscrivons aux arguments que les sociétés d'auteur ont fait valoir devant vous.

.2030

Monsieur le président, si le gouvernement veut subventionner les institutions que C-32 exempterait, qu'il les subventionne à même les impôts qu'il perçoit de tous les citoyens, y inclus les impôts des auteurs. Nous n'avons pas toutefois à subventionner directement quelque organisme que ce soit, aussi estimable que puisse être la cause défendue. C'est le rôle de tous les citoyens de faire cela. On ne veut pas être taxés deux fois non plus.

Parlons maintenant des droits voisins. Nous ne sommes pas contre l'introduction du droit voisin, il faut le dire haut et fort, mais nous avons un sérieux problème avec la formulation de la disposition et les conséquences juridiques négatives qui risquent de semer la pagaille.

La SODRAC, la SOCAN et la Songwriters Association of Canada ont aussi dénoncé la pirouette juridique du législateur qui, pour des motifs qu'on ne s'explique pas, a décidé d'appeler droits d'auteur les droits des artistes-interprètes et des producteurs, par ailleurs universellement reconnus comme étant des droits voisins et faisant normalement l'objet d'un chapitre distinct en annexe à la Loi sur le droit d'auteur. Nos collègues de ces disciplines ont toujours revendiqué leurs droits sans empiétement sur celui des auteurs et leurs acquis.

Soyons donc très clairs et désignons les choses par leur nom: droits voisins du droit d'auteur. Sinon, la confusion entre les droits des uns et les droits des autres risque d'engendrer des batailles juridiques à n'en plus finir qui forceront tôt ou tard le législateur à réintervenir pour les clarifier. Autant le faire tout de suite.

Par ailleurs, l'article 90 ne garantit pas aux auteurs que leurs acquis économiques resteront intacts après l'arrivée des droits voisins. Nous tenons évidemment à ce qu'ils soient préservés. Pour cela, il faut que l'introduction d'un droit à la rémunération pour les artistes-interprètes, les producteurs et les diffuseurs se fasse en respectant intégralement et inconditionnellement les droits des créateurs.

Ajoutons sur ce point que si certains d'entre nous reçoivent des droits voisins en plus de recevoir des droits d'auteur, c'est qu'ils exercent plus d'un métier. Songerait-on un instant à payer un individu à la fois plombier et électricien pour un seul des travaux qu'il a effectués sous prétexte qu'il s'agit de la même personne?

Par ailleurs, beaucoup d'auteurs-compositeurs-interprètes que l'on croit autonomes sont en fait entourés de collaborateurs paroliers ou compositeurs moins connus.

Parlons maintenant de la copie privée. Des nouveaux scores numériques qui enregistrent, comme le digital video disc, s'apprêtent à faire leur entrée sur le marché.

.2035

Par ailleurs, la radio numérique est à nos portes, sans compter les soucoupes, les diffuseurs par satellite, les disques durs, les ordinateurs, l'Internet, et j'en passe. La possibilité de faire à domicile des copies parfaites de chansons ou de films enregistrés en tous points conformes à la bande maîtresse originale est arrivée. Déjà, vous le savez tous, les fabricants de cassettes vierges de type analogue et les fabricants d'appareils reproducteurs ont fait des millions de dollars de profits grâce à la vente de ces produits.

Comme vous le savez aussi, tous les auteurs et compositeurs, tous les artistes et tous les producteurs sans qui ce commerce serait inexistant ne reçoivent rien de la part de ces fabricants. Pire encore, ils perdent des revenus importants en raison de cette pratique. Dans le cas des créateurs, je le répète, ces revenus sont leur unique salaire.

À titre d'information, sachez que la vente de deux disques d'une douzaine de titres que peut contenir approximativement la cassette vierge de 90 minutes, rapporte à peu près 1,60 $ en droits de reproduction partagés entre l'auteur et le compositeur d'une part, et l'éditeur d'autre part. Cette somme se répartit généralement comme suit: 0,40 $ pour l'ensemble des paroliers, 0,40 $ pour l'ensemble des compositeurs et 0,80 $ pour l'éditeur.

Le projet de loi C-32 présente des dispositions sur la copie privée. Celles-ci, malheureusement, sont incomplètes et dangereuses pour les créateurs. En effet, il est dit dans le projet de loi C-32, selon le libellé de l'article 80, que le fait de reproduire des oeuvres à domicile «ne constitue pas une violation du droit d'auteur». Nous suggérons plutôt au législateur de dire que le paiement de la redevance confère une licence pour l'utilisation privée.

Par ailleurs, les dispositions sur la copie privée sont incomplètes à trois égards. Premièrement, le projet de loi C-32 ne prévoit rien pour la copie privée d'oeuvres audiovisuelles. Et comme je le disais tout à l'heure, le digital video disc est sur le point d'entrer sur le marché. On va pouvoir copier des films numériquement, les effacer, en enregistrer d'autres etc. Éventuellement, on pourra aussi le faire sur l'Internet. La technologie avance à grand pas.

Deuxièmement, le projet de loi C-32 ne prévoit pas de redevances à payer pour les fabricants d'appareils reproducteurs.

.2040

Troisièmement, le projet de loi C-32 ne garantit pas que la redevance versée sur les supports vierges va compenser les pertes réelles subies par les trois collèges d'ayants droit: les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs.

Si la Loi sur le droit d'auteur ne dit pas clairement que les mesures sur la copie privée existent pour compenser les pertes réelles subies par les ayants droit, la Commission du droit d'auteur, chargée de fixer le montant de la redevance, n'aura pas de paramètres pour décider; elle pourra établir un montant dérisoire.

Imaginons, par exemple, que la Commission fixe une redevance ridicule de 0,37 $ sur la cassette vierge pour la copie privée. Tout est possible. C-32 ne prévoit rien à ce sujet, et M. Hétu nous l'a dit tout à l'heure. Imaginons dès lors que ce 0,37 $ est réparti entre les auteurs, les artistes et les producteurs. Rappelez-vous que nous partageons notre part avec nos éditeurs.

Rappelez-vous également qu'une cassette de 90 minutes permet de reproduire deux disques, c'est-à-dire 24 chansons pour les fins de notre exemple. J'ai d'ailleurs apporté une cassette typique d'une compagnie qui s'appelle TDK; ç'aurait pu être Sony aussi. Toutes les compagnies font la même chose. C'est écrit: Best for CD.

Autrement dit, l'argument de vente fondamental, c'est que cela est formidable pour copier des disques au laser; il n'y aura aucun problème, ce sera très, très bon. C'est l'argument de vente principal. Il y a quelque chose d'assez extraordinaire là.

J'ai apporté ma cassette ici, une cassette commerciale préenregistrée. N'importe qui pourrait prendre mon album et le mettre là-dessus. En plus, souvent, le fabricant de la cassette vierge est également le fabricant de l'appareil reproducteur. Non seulement cela, il est souvent, en plus, propriétaire d'immenses catalogues puisqu'il est aussi souvent propriétaire de compagnies de disques. Ici c'est peut-être TDK, mais cela aurait pu être Sony.

Revenons à notre exemple. Nous avons une cassette de 90 minutes permettant de reproduire deux disques, c'est-à-dire, pour les fins de l'exemple, 24 chansons. Eh bien, le parolier d'une chanson, en compensation de la reproduction de son texte sur un support vierge, recevrait la somme mirobolante de 0,00125 cent!

La vente de la cassette préenregistrée contenant le même texte aurait rapporté à son auteur à peu près 1,65 cent. Selon cet exemple, notre parolier reçoit 130 fois moins pour la copie privée qu'il ne perçoit pour la vente du disque en magasin. Comme on dit en anglais...

Le président: Vous en avez pour combien de temps encore? Il faut laisser du temps pour les questions.

M. Bertrand: Deux pages. D'accord, je vais aller plus vite. Le vol et le viol de nos oeuvres durent depuis déjà beaucoup trop longtemps. Assez, c'est assez! Il est grandement temps que le législateur adopte des mesures pour contrer cette pratique très répandue et qui se développera bien davantage encore avec le perfectionnement des techniques de reproduction numérique à domicile.

.2045

À l'aube du XXIe siècle, nous nous inquiétons du sort qui attend les créateurs de la richesse culturelle et économique de ce pays si le gouvernement va de l'avant avec le projet de loi C-32 actuel. Nous l'avons vu, l'avancement de la technologie est tel qu'à plus ou moins brève échéance, les disques risquent de disparaître au profit de l'achat via l'inforoute. La reproduction de qualité exceptionnelle à domicile est déjà là. La Loi sur le droit d'auteur doit protéger les auteurs contre toute utilisation de leurs oeuvres sans rémunération.

Le projet de loi C-32 va dans le sens opposé. Il devra donc être modifié en profondeur.

Premièrement, la loi ne doit contenir aucune exception. Le gouvernement doit laisser les mécanismes de la libre négociation régir les rapports entre les créateurs et les utilisateurs, quels qu'ils soient.

Deuxièmement, la loi doit dire clairement que l'introduction d'un droit pour les artistes-interprètes ou les producteurs est un droit voisin. La loi doit spécifier clairement, comme les lois à l'étranger, que le droit voisin est totalement distinct du droit d'auteur. De plus, les dispositions concernant le droit voisin doivent faire l'objet d'un chapitre distinct et figurer en annexe de la Loi sur le droit d'auteur, comme cela se fait également dans les lois à l'étranger.

Troisièmement, la loi doit garantir et spécifier que les droits actuellement conférés aux créateurs dans la partie I sont considérés comme des droits acquis.

Quatrièmement, la loi doit dire clairement que les montants des redevances pour la copie privée doivent équivaloir aux pertes réelles subies par les ayants droit, tant pour le sonore que pour l'audiovisuel. Il faut se rappeler qu'il y a aussi de la musique de films et des vidéocassettes de spectacles d'artistes. Cela nous concerne tous au plus haut point.

En conclusion, ce projet de loi C-32 constitue un grave recul pour les auteurs et les compositeurs. On s'attendait à ce que le gouvernement renforce la position des créateurs, mais nous avons trouvé le contraire dans le projet de loi C-32. Celui-ci n'a que des effets négatifs pour les auteurs. Il modifierait de façon inacceptable la Loi canadienne sur le droit d'auteur. Il s'attaque aux fondements mêmes du droit d'auteur et met en péril notre société de droit de reproduction, la SODRAC. Il ne faut pas que ce projet de loi soit adopté.

La Loi sur le droit d'auteur est une loi fondamentale pour tout pays. Elle revêt une importance cruciale à l'aube du prochain millénaire. On parle beaucoup de culture canadienne et de contenu culturel canadien. Si on veut vraiment contribuer à l'effort de la culture canadienne, il faut au premier chef encourager les créateurs d'oeuvres canadiennes.

Les créateurs sont les premiers concernés par une refonte de la Loi sur le droit d'auteur. C'est leur loi et c'est de leurs créations qu'on parle. Il faut donc en toute logique que la loi satisfasse d'abord les attentes, les désirs et les besoins légitimes des créateurs. C'est sa raison d'être. Si les changements que nous demandons ne sont pas apportés, soyez assurés que nous ferons tout en notre pouvoir pour que le projet de loi ne soit jamais adopté. Nous ne permettrons pas que cette grave érosion de nos droits nous tombe dessus sans réagir. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête.

Nous vous remercions de votre attention. Nous répondrons maintenant à vos questions. Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Bertrand. Vous avez expliqué votre point de vue avec beaucoup d'éloquence, de clarté et de conviction. J'espère que les députés vont s'en inspirer, parce qu'il nous reste très peu de temps. Il faut être bref maintenant que vous avez bien expliqué votre point de vue. On espère que vous allez pouvoir vous concentrer sur une question et demie. Monsieur Leroux.

.2050

M. Leroux: C'est vrai que la présentation était assez claire, mais il faut aussi pouvoir échanger.

D'abord, il est très clair, quant à nous, que ce projet de loi constitue un pas en avant en ce qui a trait aux droits voisins. Il y a beaucoup d'interprètes qui se battent depuis longtemps avec des producteurs pour qu'on entre dans cette espèce de famille des 50 pays qui ont signé la convention sur les droits voisins, etc. Je pense qu'on est clair là-dessus, et vous le reconnaissez.

M. Bertrand: D'accord.

M. Leroux: Mais on fait un pas en arrière.

M. Luc Plamondon (administrateur, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec): La position de la SPACQ a toujours été qu'on devait exclure les droits voisins de la Loi sur le droit d'auteur. On a toujours défendu l'idée que le gouvernement devait créer un fonds de compensation pour les auteurs-compositeurs, pour les interprètes et pour les producteurs, pour compenser la copie privée.

M. Leroux: Vous avez bien défini par rapport au projet de loi...

M. Plamondon: Cette loi va créer un fonds de 20 millions de dollars dont 80 p. 100 vont partir à l'étranger et il va nous rester des «pinottes» dans nos poches.

M. Leroux: Vous avez bien défini par rapport au projet de loi que les droits voisins sont là et que vous êtes prêts à vous y accommoder, sauf qu'il y a un pas en arrière majeur: on arrive avec un projet de loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur et on y explique pendant longtemps que vous n'avez pas de droits.

Il y a un problème en ce sens que les exceptions donnent un message extrêmement négatif de déresponsabilisation. Dans des champs aussi importants que l'éducation, les musées, etc., on dit aux gens qu'ils n'ont pas à regarder le droit d'auteur, qu'ils en sont exemptés, etc. Donc, ça met en péril le droit d'auteur. Vous soulevez ensuite les questions de la reconnaissance et de la libre négociation.

Je regardais le mémoire de la Commission. La Commission est dépositaire de plus de 250 ententes conclues par les sociétés de gestion. Elle précise que les directeurs d'enquête n'ont pas demandé de révisions.

Il y a des gens qui sont venus nous dire ici qu'il y a des ententes avec la SODRAC, la SOCAN, avec les collectifs de gestion.

On a des outils à l'heure actuelle par rapport aux collectifs de gestion et à la Commission du droit d'auteur, et la loi amène des exceptions.

Étant donné qu'il y a tant d'exceptions, je vous fais simplement une suggestion. Si on faisait des aménagements dans la section «Disposition générales» de la loi, qui diraient par exemple que les exceptions s'appliquent seulement là où il n'y a pas de collectif de gestion, quel pourrait être l'effet de tels aménagements pour vous?

M. Stéphane Tremblay (administrateur, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec): C'est sûr que cela pourrait avantager les sociétés de gestion, mais on se bat quand même pour le principe de départ, qui est la propriété intellectuelle reconnue par le droit d'auteur. Ce serait pour nous un moindre mal si on avait cela, mais je veux dire que le principe est le principe. Je ne vois pas pourquoi on commencerait à faire des distinctions ici et là.

M. Plamondon: Nul auteur n'est forcé d'être membre d'une société de gestion collective; un auteur est toujours libre d'adhérer ou de ne pas adhérer à une société de gestion collective. Je pourrais décider de négocier mes chansons à la pièce, ou un écrivain peut ne pas être membre d'une société de gestion pour les droits de reprographie, par exemple, dans les établissements d'enseignement.

On ne peut pas permettre à un établissement d'enseignement de reproduire des milliers d'exemplaires d'un livre d'un écrivain sous prétexte qu'il ne serait pas membre d'une société de gestion collective. Cela serait une absurdité totale.

M. Leroux: L'approche du projet de loi dans le fond exproprie le droit d'auteur. D'ailleurs, dans le projet de loi, ici, il y a un défaut de droit d'auteur. On devrait y lire aussi «le ministère de l'Industrie», mais on lit juste «le ministère du Patrimoine canadien». Ce sont des droits d'auteur qui devraient relever du ministère de l'Industrie.

Vous parlez de la libre négociation. C'est une reconnaissance. Que peut-on faire actuellement, mise à part la position où vous dites qu'il faut retirer toutes les exceptions, même si certaines gens ont reconnu qu'il y aurait des exceptions valables dans certains champs?

.2055

Il y avait déjà des exceptions dans la loi et je ne pense pas que vous les ayez contestées. Même en 1989...

Un témoin: On les a toujours contestées.

M. Leroux: Dans celui qui était là aussi, le retrait complet des...

Un témoin: On n'en veut pas d'exceptions.

M. Plamondon: Ça fait 20 ans qu'on demande au gouvernement d'enlever les exceptions de la Loi sur le droit d'auteur.

M. Leroux: Il n'y a pas, pour vous, d'exceptions...

Un témoin: On va les négocier.

M. Leroux: Il n'y a pas de jeu, de...

Mme Francine Bertrand Venne (directrice générale, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec): Monsieur Leroux, ce sont les seuls travailleurs de ces institutions à ne pas être payés; du concierge, au directeur d'école au conservateur de musée, tous ces gens-là reçoivent une rémunération.

Le droit d'auteur, c'est pour permettre la survie de la création contemporaine et ce sont les seuls travailleurs à ne pas être payés. Ils se trouvent à payer des impôts deux fois aux institutions nationales, une fois par le biais de leurs impôts et une autre fois en donnant leur travail. C'est à cela qu'on s'oppose.

Autre chose: l'exception pour ces institutions ouvre une brèche majeure dans l'exploitation commerciale de l'oeuvre une fois qu'elle est livrée sur l'autoroute de l'information. On exclut l'exécution et la communication par télécommunication. Donc, on entre dans l'Internet. Donc, cela ouvre une brèche majeure dans une nouvelle technologie. C'est à ce titre-là aussi que ce projet nous inquiète grandement.

[Traduction]

M. Abbott: J'ai remarqué que dans votre exposé vous avez dit qu'après avoir créé la SPACQ les auteurs ont créé la société de gestion SODRAC, qui s'intéresse particulièrement aux droits de reproduction.

Je ne pose pas cette question dans le but de critiquer. Je veux comprendre les détails. Avons-nous ce soir entendu de votre part un point de vue différent de celui que nous avions déjà entendu de la part de la SODRAC? Y a-t-il des points de vue différents, ou sont-ils identiques?

[Français]

M. Plamondon: La SODRAC n'est qu'une société de perception des droits mécaniques.

La SPACQ représente les auteurs. Nous sommes une société de défense de tous les droits d'auteur, aussi bien les droits d'exécution que les droits de reproduction. La SODRAC est une société qui collecte des droits de reproduction, mechanical rights

[Traduction]

M. Abbott: J'essaie de comprendre. L'exemple que je vais donner est peut-être boiteux, parce que je ne connais pas le domaine. Supposons que j'ai un lecteur audionumérique et que je veux m'en servir pour diffuser de la musique à la radio. Ce lecteur peut contenir cinq disques à la fois, et je peux le programmer pour que la première chanson soit prise sur un disque, la quinzième sur un autre, etc. Tout se fait mécaniquement.

Supposons maintenant un deuxième scénario. Mon lecteur ne fonctionne pas bien, il est en panne, et je décide donc de le mettre de côté et d'utiliser à la place un dispositif électronique. Donc, tout se fait maintenant électroniquement, et non plus mécaniquement.

L'auteur, le compositeur, ou quiconque est censé toucher les redevances, devrait-il toucher un montant différent parce que j'ai changé de système, utilisant un procédé électronique mécanique, pour diffuser la musique, plutôt qu'un procédé et, dans l'affirmative, pourquoi?

[Français]

M. Plamondon: Vous avez commis un acte de reproduction et nous défendons le point de vue que l'autorisation de commettre cet acte de reproduction doit avoir lieu avant chacun de ces actes. Sinon, le produit existe et peut être utilisé à toutes sortes de fins. Si on accorde ce droit éphémère aux radiodiffuseurs et aux télédiffuseurs, comment pourrions-nous, après des semaines ou des mois d'exploitation d'un support, aller ensuite demander qu'on signe un acte d'autorisation? La permission doit être accordée avant l'acte de reproduire. C'est le principe même qui était inscrit dans la loi de 1924 et qu'on veut nous retirer maintenant.

Mme Bertrand Venne: Monsieur Abbott, le droit de reproduction au Canada a commencé à s'exercer seulement depuis l'abolition de la licence obligatoire et du 0,02 $ qui était figé dans la loi.

.2100

La SODRAC n'est pas la cause du problème. L'entente forfaitaire qu'on vous expose ici couvre l'ensemble de la reproduction faite à la station. Donc, l'exception qui vous est demandée pour une utilisation bien précise et très pointue se trouve couverte par une entente forfaitaire. Le problème ne vient pas de la SODRAC. C'est plutôt la perplexité de l'usager qui se demande ce qu'il adviendra quand d'autres viendront frapper à sa porte. La société de gestion collective est une excellente façon de régler le problème, d'obtenir une rémunération juste et équitable pour l'auteur-compositeur et, pour la société qui est le diffuseur, de couvrir l'ensemble de sa reproduction: la copie du CRTC, l'enregistrement dit éphémère, etc.

D'une certaine façon, comme je le dis chaque fois que je fais mon démarchage, c'est comme si les restaurateurs du Canada venaient vous demander de faire une exception pour le boeuf. Soyez assurés que tous les restaurateurs du Canada mettraient du boeuf à leur menu, parce qu'étant de bons hommes d'affaires, ils s'arrangeraient pour ne pas payer leur matière première.

Donc, si cette demande d'exception pour l'enregistrement éphémère était acceptée, croyez-moi, dans la pratique quotidienne, les usagers essaieraient de faire passer toutes leurs activités sous l'égide de l'enregistrement éphémère.

Nous sommes ici pour vous dire que l'entente forfaitaire couvre l'ensemble du droit de reproduction.

[Traduction]

M. Abbott: Monsieur Bertrand, en terminant...

Le président: Pourrait-on passer à quelqu'un d'autre? Il est vraiment tard. Bon, dernière question.

M. Abbott: Je dois dire que j'ai trouvé les derniers propos de M. Bertrand inhabituels, durs, sévères et, si je peux me permettre de le dire sans détours désagréables. Je voudrais que vous précisiez votre pensée à notre intention. Quand vous dites que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour que la loi ne soit jamais adoptée, est-ce que vous faites de l'hyperbole? Sont-ce des propos extravagants? Êtes-vous vraiment frustrés dans toute cette affaire, et passerez-vous vraiment à l'action? Si oui, que ferez-vous?

M. Plamondon: Nous avons tenu aujourd'hui une conférence de presse à Montréal. Nous avons dit aux médias que nous étions contre ce projet et que nous ferions tout ce qui est en notre pouvoir pour le bloquer. Nous sommes des écrivains, et ce sont nos droits qui sont en jeu. Nous gagnons notre vie en écrivant des chansons. Nous sommes les seuls vraiment touchés par cette loi.

M. Bertrand: C'est notre voiture, et nous voulons la conduire nous-mêmes.

M. Plamondon: C'est notre art, mais aussi notre gagne-pain.

M. Bertrand: Nous sommes sérieux. Nous sommes peut-être désagréables, mais c'est ainsi et pas autrement.

M. Plamondon: J'écris des chansons depuis 25 ans, j'écris des comédies musicales depuis 25 ans et je me bats depuis 25 ans pour que le Canada se dote d'une bonne loi à l'intention de ses créateurs. J'ai fondé la SPACQ, et nous avons dans notre camp certains des meilleurs auteurs de chansons du Québec. Nous nous sommes réunis aujourd'hui à Montréal, où étaient présents Gilles Vigneault, Daniel Lavoie, Richard Séguin - les plus grands noms parmi les auteurs de chansons.

M. Bertrand: Et d'autres qui sont moins connus, mais qui sont importants.

M. Plamondon: Une cinquantaine d'entre nous figurent parmi les auteurs de chansons les plus connus au Québec, et nous sommes à l'unanimité contre ce projet. Après avoir lutté pendant des années et des années, nous sommes aujourd'hui insultés par ce qu'on nous offre.

M. Bertrand: N'oubliez pas non plus une chose: la SPACQ est l'organisation qui a tout déclenché... en fait, c'est lui qui a été le premier à essayer de changer cette ancienne loi de 1924. Il est à l'origine du mouvement, et nous nous sommes réunis autour de lui. La SPACQ a le vent dans les voiles.

Nous avons le droit d'être désagréables, et nous nous y attendions parce que nous avons averti les gens que notre situation était mauvaise, que nous espérions qu'une refonte de la loi permettrait de répondre à nos aspirations légitimes, à nos désirs et à nos besoins. Or, c'est le contraire. Nous perdrons des droits à cause de cette loi.

.2105

M. Plamondon: Les auteurs de chansons sont les gens les plus pauvres dans ce métier. Chaque année, des centaines de millions de dollars sont produits dans ce secteur du spectacle et du disque, et nous sommes les plus pauvres. Nous sommes toujours les derniers à être payés, et chaque fois nous devons nous adresser à la Commission d'appel du droit d'auteur...

M. Bertrand: Nous perdons.

M. Plamondon: Cela fait des années que nous luttons pour obtenir les droits de concert quand on exécute nos chansons sur la scène, mais encore une fois cette année la Commission d'appel du droit d'auteur a rejeté notre demande. Nous ne recevons que 2 p. 100 pour les concerts alors que, dans la plupart des pays civilisés, les auteurs de chansons reçoivent 6 p. 100, 8 p. 100 ou 10 p. 100 en droits de concert. Ce n'est qu'un exemple du problème.

Nous gagnions auparavant 2c. la chanson chaque fois qu'un disque était vendu. La loi a été modifiée en 1988 parce que nous nous étions battus pour cela entre 1980 et 1988. Pendant huit ans, nous avons lutté pour faire abolir l'octroi de licences obligatoires, et cela a finalement été aboli. Depuis sept ans, nous luttons pour toutes sortes d'autres choses, mais nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions.

M. Bertrand: Ce n'est pas ce à quoi nous nous attendions.

Soit dit en passant, bien d'autres associations ont les mêmes objections et la même déception. Nous ne sommes pas les seuls. Vous avez vu tous ceux qui sont venus témoigner devant vous. Je vous ai déjà dit que l'Association des auteurs-compositeurs canadiens, qui représente le même genre de personnes que celles que nous représentons au Québec, est du même avis que nous.

M. Abbott: Pour une fois, je suis bien heureux de pouvoir dire que c'est une loi des Libéraux.

Le président: Excusez-moi.

[Français]

Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Monsieur le président, nous avons entendu un témoignage quand même assez émouvant. J'aimerais mieux passer la parole à M. Arseneault parce que mes questions étant plutôt d'ordre technique, je ne voudrais pas trop dissiper l'atmosphère qui règne en ce moment, si vous me le permettez.

Le président: Après cela, si vous êtes d'accord, il faudra s'arrêter, parce qu'il est presque 21 h 15. Nous devons accueillir un autre organisme dont les représentants sont ici depuis 20 h 15. Par déférence pour eux, il faudrait terminer notre entretien avec ce groupe-ci.

Monsieur Arseneault.

M. Arseneault: Je ne vais pas prendre trop de temps, monsieur le président. J'aurais seulement une ou deux questions à poser.

J'ai été un petit peu surpris, monsieur Bertrand, quand vous avez dit, dans votre présentation, que les seuls effets de la loi qu'on propose sont négatifs.

M. Bertrand: Du point de vue de l'auteur.

M. Arseneault: Pour les auteurs. Vous êtes-vous demandé si la reconnaissance des droits voisins aurait un effet positif, non pas pour les auteurs mais pour d'autres personnes? Non, non, écoutez-moi. Vous avez eu la parole et vous allez avoir la chance de me répondre.

À mon sens, c'est très positif. Nous avons reçu des témoins qui nous ont critiqués mais qui l'ont fait d'une façon positive. Ils nous ont dit qu'ils voulaient des changements ici et là, mais non pas qu'ils voulaient tout mettre à la poubelle.

M. Bertrand: Nous avons aussi fait des propositions positives.

M. Arseneault: Il en va de même pour la copie privée. Cela va vous aider. C'est un pas dans la bonne direction. C'est une demande que vous aviez déjà adressée au gouvernement. Nous y répondons, ce qui est un commencement.

L'autre aspect, c'est le recours devant un tribunal. Cette idée ne comporte-t-elle pas d'avantages pour vous? J'ai entendu que la procédure de recours...

M. Bertrand: De la Commission?

M. Arseneault: Oui, la Commission et toutes les démarches, si vous devez aller en cour.

M. Plamondon: Chaque fois qu'on va devant la Commission du droit d'auteur...

M. Arseneault: Pas devant la Commission, mais devant la cour judiciaire. C'est très positif. Pourriez-vous me donner votre avis à ce sujet, s'il vous plaît?

M. Tremblay: Effectivement, je vois l'aspect positif des droits voisins. Cependant, pour nous, ce n'est ni négatif ni positif. Nous sommes contents pour eux; nous avons appuyé leurs démarches. Mais cela ne change rien à notre situation.

.2110

Toutefois, nous avons peur que notre acquis s'en trouve amoindri. C'est sûr que, si l'article 90 venait garantir nos acquis, ce serait bien.

Ce que nous venons vous dire porte sur le point suivant. Vous connaissez notre position sur les exceptions. Il est certain que si, après vous avoir confirmé un droit, on prend 13 pages pour l'infirmer, c'est difficile à accepter. Ne nous demandez pas de nous en réjouir et de ne pas y voir un recul.

Finalement, en ce qui a trait à la copie privée, vous avez raison; il y a un aspect positif dans le fait que ce soit contenu dans le projet de loi. Ce que l'on vous dit, c'est qu'il faut quand même le modifier pour le rendre significatif. Nous vous avons servi l'exemple d'une redevance de 37 cents. C'est un chiffre que nous avons choisi au hasard. Si le projet de loi venait garantir que la copie privée servira à dédommager les pertes réelles, il est certain que nous serions alors plus satisfaits.

Il est certain que nous avons critiqué. Il est certain que nous nous sentons blessés parce qu'on s'est attaqué à nos droits. Mais nous vous proposons des choses qui pourraient nous satisfaire.

M. Plamondon: Avec ce projet de loi, nous devrons passer notre vie à comparaître devant la Commission du droit d'auteur à Ottawa. Chaque fois que nous y allons, cela nous coûte des dizaines de milliers de dollars en frais d'avocat, de déplacement et de séjour à Ottawa. M. Hétu l'a dit tout à l'heure: les critères établis sont tellement imprécis. Je vous donne un exemple. Expliquez-moi ce que veut dire la définition de «producteur», qu'on donne au bas de la page 2 du projet de loi. Quelqu'un dans la salle peut-il m'expliquer ce que veut dire cette phrase?

M. Arseneault: Monsieur Plamondon, s'il vous plaît, c'est à nous de poser des questions.

M. Plamondon: Je m'excuse. Je vous demande une explication sur un texte de loi que vous publiez.

M. Arseneault: L'autre aspect de ma question, c'est celui qui a trait au recours devant la cour.

M. Plamondon: Monsieur, cette définition de «producteur» ne veut strictement rien dire. Je vous demande de m'expliquer ce qu'elle veut dire.

M. Leroux: J'aimerais faire une intervention. Je pense que demander des éclaircissements sur un article de projet de loi de la façon dont M. Plamondon le fait... Nous ne sommes pas devenus des témoins. Nous procédons à un échange de vues. M. Plamondon, je pense, a procédé normalement.

M. Plamondon: Je ne pose pas une question. Je donne simplement un exemple de la confusion que va créer...

M. Leroux: Même si vous posiez la question, monsieur Plamondon, ce serait parfait. Nous échangeons.

Le président: Monsieur Leroux, je pense qu'on a assez dialogué.

M. Plamondon: Nous sommes devant la Commission du droit d'auteur. Imaginez un droit sur la copie privée qui dit qu'on doit verser des droits aux producteurs. Il y un droit voisin qui dit qu'on doit verser des droits aux producteurs. Or, le projet de loi dit:

Je ne connais personne ici qui comprend ce que cela veut dire. Même les représentants des producteurs dans la salle ne comprennent pas ce que cela veut dire. Pour nous, le producteur est celui qui paie pour l'enregistrement de la bande. Dans le métier, ce qu'on appelle un producteur, c'est le propriétaire de l'enregistrement. C'est le seul qui peut se justifier d'avoir un copyright sur l'enregistrement. Mais cette définition-ci donne lieu à tellement de confusion que le réalisateur du disque pourrait dire...

Je vous donne un exemple. Je suis en train d'écrire un nouvel opéra avec un compositeur. Hier, on a enregistré dans un studio 15 chansons de cet opéra, paroles et musique. Donc, on a fait une première fixation des sons. Donc, à ce moment-là, je suis, avec le compositeur Richard Cocciante, le «producteur», selon le projet de loi. J'ai enregistré, j'ai fait une première fixation des sons. C'est un exemple, mais il règne un confusion générale dans l'ensemble du texte.

M. Hétu vous en a cité tout à l'heure quelques-unes qui vont nous faire passer des mois devant la Commission du droit d'auteur à déterminer ce qui revient à chacun dans le tarif des droits voisins et dans le tarif des copies privées.

M. Leroux: Monsieur Plamondon, l'observation que vous faites est une observation que d'autres nous ont faite aussi concernant la clarté du texte. Effectivement, il y a beaucoup de choses à éclaircir.

M. Arseneault: Ce sont les aspects techniques qui devraient être clarifiés.

M. Leroux: Oui, il y a beaucoup de choses à clarifier et c'est important.

Le président: Je pense que le débat a assez duré. Excusez-moi, monsieur Leroux. J'ai bien précisé qu'on avait dépassé le temps qui nous était alloué et de beaucoup. Il y a d'autres gens qui nous attendent. Il est 21 h 15.

Je voudrais remercier très sincèrement M. Bertrand, M. Plamondon ainsi que leurs collègues de nous avoir fait valoir leur point de vue de façon claire, franche et non ambiguë.

.2115

Nous sommes ici justement pour écouter tous les points de vue. Je pense que vous avez fait valoir le vôtre très clairement. Je vous remercie beaucoup d'être venus ce soir. On s'excuse de ne pas avoir plus de temps, mais il y a d'autres témoins qui attendent. Merci beaucoup.

M. Bélanger: Il m'arrive quelquefois de ne pas partager l'opinion que vous exprimez. C'est une de ces fois.

Personnellement, je ne veux pas imposer quoi que ce soit à quiconque, mais je serais prêt à poursuivre la discussion pendant encore une quinzaine de minutes, parce qu'il se dit ici des choses assez importantes. Sans vouloir imposer quoi que ce soit à mes collègues, ni à vous, je veux seulement dire que, pour ma part, je serais prêt à continuer.

Le président: Monsieur Bélanger, je serais aussi disposé à continuer aussi longtemps qu'il le faudrait. Par ailleurs, il y a des gens qui ont été invités à se présenter ici à 20 h 15. Ils sont ici depuis 20 h 15. S'ils n'ont pas d'objection, je n'en aurai pas non plus.

Je pense qu'il faudrait, par simple bienséance, leur demander d'abord s'ils sont d'accord.

M. Bélanger: Je suis absolument d'accord avec vous.

Le président: Ils sont déjà une heure en retard ce soir. Si nous poursuivons jusqu'à 21 h 30, ce que je veux bien, cela voudra dire que ces gens qui attendent seront encore ici à 22 h 30. Je ne sais pas par quels moyens ils doivent rentrer chez eux. Il faudrait donc avoir la courtoisie de le leur demander.

Il y a entre autres M. Knopf. Nous allons suspendre la séance pour une seconde et je vais demander à la greffière de leur parler.

[Traduction]

Merci beaucoup, monsieur Knopf.

[Français]

Alors, c'est clair.

M. Leroux: À propos de cela, monsieur Bélanger, je vérifierais plutôt à notre calendrier s'il y a possibilité de reprendre la discussion à un autre moment, dans deux ou trois semaines, afin d'aller au fond des choses. Il y a une chose qui me semble importante, et c'est de bien saisir les enjeux en cause. Le comité doit avancer dans ses travaux.

Je proposerais donc plutôt de revoir les témoins. Je ne suis pas certain que dix minutes de plus nous avanceraient tellement. Nous ne pourrions étudier le sujet plus à fond.

Le président: Monsieur Leroux, vous savez très bien que je ne peux pas vous donner cette assurance ce soir. C'est une décision qui doit être prise par le comité. Nous avons déjà établi un calendrier qui va jusqu'à la fin de novembre. Comme vous le savez vous-même, ce n'est pas facile de faire ces choses. Il faudra qu'on se rencontre pour décider de cela. Je ne peux pas rendre une décision maintenant.

Ce soir, tout ce que je peux faire, avec l'assentiment de M. Knopf, c'est de continuer pendant une quinzaine de minutes. Si on le fait, il faudra rester plus tard ce soir. Moi, j'y suis tout à fait disposé, mais je ne peux pas vous donner de garantie qu'on puisse faire revenir M. Plamondon, M. Bertrand et ses collègues si nous n'avons pas l'assentiment de tous les membres du comité.

Si vous voulez prendre 15 minutes de plus ce soir, j'y suis tout à fait disposé. Nous avons maintenant l'assentiment de M. Knopf. C'est donc à vous de décider.

Alors, on y va!

Monsieur Bertrand et monsieur Bélanger, allez-y!

M. Bélanger: Vous n'avez pas eu vos réponses.

Le président: Ils m'ont tous donné...

M. Arseneault: Peut-être Mme Bertrand Venne pourrait-elle me répondre.

Mme Bertrand Venne: Les recours, selon nous, sont satisfaisants. Nous avions proposé un amendement à l'article 34: «En cas de violation d'un droit d'auteur, le titulaire du droit...». Il faudrait ajouter «la société de gestion».

La situation de la société de gestion est différente. Souvent elle représente un catalogue étranger. Elle est mandatée et non pas titulaire du droit au Canada. Donc, il faudrait mentionner explicitement, par un ajout, que la société de gestion peut intenter des poursuites.

Le président: Monsieur Bélanger, s'il vous plaît.

M. Leroux: Si lui peut poser des questions, je vais en poser à mon tour, monsieur le président.

Le président: Monsieur Leroux, en toute équité, c'est lui qui a proposé un prolongement pour pouvoir poser des questions.

M. Leroux: Cela valait pour n'importe qui, monsieur le président. En tout cas, j'ai dit ce que j'avais à dire.

M. Bélanger: Je vais poser une question hypothétique. Je n'en ferai pas une proposition parce qu'il n'est pas de mon ressort de faire ce genre de proposition.

.2120

J'aimerais savoir ce que vous pensez des 12 mots que la SOCAN suggérait d'ajouter à l'article 90. Est-ce que vous êtes au courant?

M. Bertrand: Oui.

M. Bélanger: Est-ce qu'à ce moment-là le projet de loi vous semblerait suffisamment clair pour l'appuyer ou si vous demanderiez toujours son refus ou son rejet?

M. Tremblay: Les exceptions vont toujours nous amener à demander son rejet, c'est sûr.

M. Bélanger: Tant qu'il y aura une exception, vous allez demander le rejet du projet de loi?

M. Tremblay: Absolument.

M. Plamondon: La loi n'a pas à accorder d'exceptions. Nous avons des sociétés de gestion collective qui peuvent décider d'accorder ces exceptions. On ne vous dit pas qu'on est contre toute exception, mais qu'on est contre le fait que les exceptions soient inscrites dans la loi. Nous voulons nous-mêmes négocier les exceptions avec les écoles, avec les musées, avec qui que ce soit. Qu'ils viennent nous voir; nous détenons des droits, c'est notre propriété et nous voulons décider nous-mêmes si nous voulons ou non accorder des exceptions au nom de causes humanitaires ou autres.

M. Bélanger: C'est très clair.

M. Plamondon: Voilà.

M. Bélanger: On a parlé tout à l'heure des sociétés de gestion collective. Vous avez dit que, selon vous, elles représentaient un bon moyen de simplifier l'administration, par exemple pour le cas de SODRAC et de TVA. Est-ce qu'implicitement, cela signifie que tous les ayants droit doivent nécessairement faire partie de cette société de gestion collective?

Mme Bertrand Venne: Non. Il s'agit d'un droit de propriété et on ne peut pas forcer une personne à adhérer à une société de gestion. Mais je peux vous dire, pour vous rassurer, que c'est un moyen efficace et qu'à cause des nouvelles technologies et des nouveaux usagers, la gestion collective va prendre de l'ampleur et deviendra certainement la façon de faire pour les auteurs-compositeurs et pour les créateurs en général.

À cause des technologies nouvelles et à cause de leur prolifération, la gestion collective devient la solution pour tout le monde et permet aux auteurs d'avoir une force de frappe dans la négociation, ce qui est appréciable aussi.

M. Bélanger: Par exemple, hier, nous avons reçu un groupe dont j'ai oublié le nom. C'étaient des représentants de sociétés qui produisent du matériel didactique audiovisuel, des gens du monde de l'éducation. Ils proposaient la notion de société de gestion collective obligatoire. C'est une chose qu'il ne faudrait pas établir, croyez-vous? Ou...

Mme Bertrand Venne: Je crois que, s'il n'y a pas d'exceptions et qu'on négocie librement, ce sera un incitatif suffisant. Il y a beaucoup d'auteurs-compositeurs qui ont vu que la SODRAC, justement, avait bien fait son travail quand elle a négocié avec des institutions comme les stations de télévision et de radio. Nous sommes en procès contre les stations de radio parce que jusqu'à ce jour, elles n'ont jamais payé de droit de reproduction au Canada et ce, depuis 1924.

En ce qui concerne les stations de télévision, certains auteurs-compositeurs ont joint les rangs de la SODRAC, se disant que ces droits de reproduction constituaient des revenus qu'ils ne toucheraient pas autrement. Il est évident qu'un auteur-compositeur qui s'en va seul frapper à la porte de Radio-Canada, de TQS ou de TVA n'a pas le même pouvoir de négociation qu'une société de gestion. Cela a donc été un incitatif très grand.

M. Plamondon: Il faut dire qu'au Canada, traditionnellement, le droit mécanique était géré par les éditeurs. C'est-à-dire qu'un auteur cédait sa chanson à un éditeur qui collectait pour lui son droit mécanique auprès des maisons de disque ou son droit de reproduction idéographique. Dans les pays européens et dans la plupart des pays du monde maintenant, le droit mécanique est collecté collectivement. C'est maintenant en train de se modifier graduellement au Canada. Les auteurs-compositeurs et les éditeurs se regroupent dans des sociétés de gestion collective pour leurs droits, parce que, évidemment...

M. Bélanger: Je pourrais continuer longtemps mais... Merci, monsieur Plamondon.

M. Leroux: Pour en revenir à l'essence même du projet de loi sur le droit d'auteur, vous dites à la page 6 de votre mémoire:

.2125

Maintenant, par rapport au fait qu'on accorde des droits voisins, il me semble qu'au Canada, on a soulevé la question de juridiction par rapport au droit d'auteur et par rapport aux juridictions provinciales. Est-ce que c'est une question que vous avez fouillée, monsieur Tremblay?

Mme Bertrand Venne: Oui, tout à fait. Nous sommes très fiers de vous dire qu'il n'y a aucun problème constitutionnel à désigner un droit voisin par l'appellation de droit voisin, qu'il découle du droit d'auteur et qu'il est internationalement reconnu qu'il ne peut y avoir de droit voisin s'il n'y a pas d'abord un droit d'auteur. Il faut une oeuvre, comme on l'a écrit ici, pour qu'un artiste-interprète ait un répertoire à chanter. S'il ne chantait que la gamme, ce serait un peu ennuyant, n'est-ce pas, même avec la plus belle voix du monde, et il n'y aurait pas de producteurs de disques, etc. C'est ce qu'on a essayé de démontrer ce soir.

Donc, au point de vue constitutionnel, à mon avis, je crois que le législateur canadien pourrait très bien appeler son droit un droit voisin sans en perdre le contrôle constitutionnel. Cela relève carrément du droit d'auteur, du copyright law et cela tombe sous le sens que cela demeure de la compétence du fédéral.

M. Leroux: Merci, monsieur Bélanger, pour les dix minutes supplémentaires.

Des voix: Ah! Ah!

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott: Dans votre exposé ce soir, vous avez parlé d'une indemnisation possible pour l'énorme montant de redevances qui vous échappe à cause de l'enregistrement à domicile.

Compte tenu des moyens technologiques dont dispose le Canadien moyen à la maison à notre époque, si nous voulons une solution réaliste, c'est-à-dire non pas ce qui serait idéal pour vous, mais ce qu'on peut faire en réalité, pourriez-vous nous proposer quelques solutions aux problèmes suivants?

Tout d'abord, combien une bande vierge se vend-elle au magasin? Est-ce environ 1,50 $?

[Français]

M. Bertrand: Peut-être 3 $.

[Traduction]

M. Abbott: Très bien, 3 $. Supposons que nous ajoutions les 37c. au moment où la bande traverse la frontière, ce qui voudrait dire qu'on paierait 4 $ pour une bande au lieu de 3 $, pour simplifier les choses. Je pense que c'est assez juste comme hypothèse.

Supposons aussi que, comme le prix est maintenant de 3 $, ce qui est probablement comparable à ce que l'on paie si l'on achète une bande aux États-Unis, compte tenu du taux de change, cette même bande coûterait maintenant 4 $.

Comment pourrions-nous résoudre le problème de la contrebande, vu ce qui se fait maintenant pour les cigarettes et l'alcool, ou le problème qu'il y aurait si 600 personnes allaient dans la direction inverse? Comment pourrions-nous résoudre le problème, surtout si vous recommandez que le montant soit encore plus élevé que 37c.? Est-ce vraiment réaliste? Est-ce pratique? Pourrions-nous réaliser des recettes brutes plus élevées que si nous imposons des droits de 37c. sur 44 millions de bandes, ce qui fait environ 14 millions de dollars? Pourrions-nous avoir des recettes brutes plus élevées que 14 millions de dollars, et, dans l'affirmative, pourriez-vous nous expliquer comment?

M. Plamondon: Vous savez que 80 p. 100 de ces 14 millions de dollars retourneront aux États-Unis parce que les Canadiens consomment 80 p. 100 de produits américains dans l'industrie de la musique.

M. Abbott: Vous voulez dire que, selon le projet de loi actuel, la majeure partie des 14 millions de dollars perçus retournerait aux États-Unis.

M. Plamondon: Oui.

M. Abbott: Je ne pense pas que cela cadre avec l'objectif de la mesure législative.

M. Plamondon: Cela s'applique aussi aux chanteurs, aux auteurs, aux compositeurs, aux éditeurs et aux producteurs. L'industrie cinématographique du Canada renvoie 97 p. 100 de ses recettes brutes vers les États-Unis. Pour l'industrie de la musique, le pourcentage qui retourne aux États-Unis est d'environ 80 à 85 p. 100.

M. Abbott: Vous m'obligez maintenant, ce qui est inusité pour moi, à défendre un projet de loi libéral, mais si j'ai bien compris, ou bien ces 14 millions de dollars resteraient au Canada, ou bien ils seraient payables à des pays signataires de la Convention de Rome.

M. Plamondon: Reprenons du début. Vous croyez que les 14 millions de dollars...

M. Abbott: Si j'ai bien compris, ou bien ces 14 millions de dollars seraient payables au Canada, ou bien ils seraient payables à des pays signataires de la Convention de Rome. Si je me trompe, je vous prie de m'expliquer pourquoi.

.2130

[Français]

M. Plamondon: Les États-Unis ne sont pas signataires de la Convention de Rome.

M. Tremblay: La Convention de Rome ne concerne que les droits voisins. La copie privée touche le droit d'auteur, et alors c'est plutôt la Convention de Berne qui s'applique. Or, les États-Unis en font partie.

[Traduction]

M. Plamondon: Les pays européens paient des droits aux États-Unis.

M. Abbott: Certaines personnes nous ont donné la mauvaise impression. C'est épouvantable.

M. Plamondon: Les pays européens versent des droits voisins et des droits d'auteur internes aux États-Unis, même s'ils ne sont pas signataires de la Convention de Rome.

M. Abbott: Vous m'apprenez quelque chose. La majeure partie des 14 millions de dollars retournerait aux États-Unis. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Plamondon: Oui.

M. Abbott: C'est intéressant.

M. Plamondon: La majeure partie, bien sûr. C'est pour cela que je dis qu'il nous resterait très peu au bout du compte.

M. Abbott: Je vous remercie d'avoir éclairé ma lanterne.

Mme Bertrand Venne: Dans votre question, vous avez confondu les droits des chanteurs et les droits des auteurs et compositeurs. Ce qu'il faut retenir ici, c'est que, quand Luc dit que la plus grande partie des droits retourne aux États-Unis, c'est parce qu'il parle des droits des auteurs et des compositeurs.

M. Plamondon: Je parle aussi des chanteurs, des producteurs et des éditeurs.

[Français]

Mme Bertrand Venne: Là, on tombe dans la Convention de Rome. C'est là, la distinction.

[Traduction]

M. Abbott: Merci.

[Français]

Le président: Merci beaucoup d'être venus. Vous avez beaucoup stimulé la discussion. Merci beaucoup.

.2132

.2136

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

[Traduction]

Je voudrais souhaiter la bienvenue à nos témoins suivants, qui représentent Laurier Office Mart: M. Shahé Avedissian, président, et M. Howard P. Knopf, avocat.

Avant de commencer, je tiens à vous remercier sincèrement de la courtoisie et de l'ouverture d'esprit avec lesquelles vous avez accepté de retarder votre témoignage aujourd'hui. Nous vous en savons gré. Les membres du comité vous en sont très reconnaissants. Je peux aussi vous assurer que vous aurez tout le temps voulu pour faire votre exposé ce soir.

Je ne sais pas qui va commencer, mais la parole est à vous.

M. Howard P. Knopf (avocat, Laurier Office Mart): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux que vous nous ayez permis de revenir.

J'étais auparavant musicien professionnel moi-même. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec tout ce que les témoins précédents ont dit, mais je respecte toujours les musiciens professionnels, et ils sont d'habitude plus animés tard le soir.

Le président: De quel instrument jouiez-vous?

M. Knopf: De la clarinette.

M. Peric: Avez-vous du talent? Nous pouvons vous demander de jouer quelque chose.

Une voix: Il n'a pas sa clarinette.

M. Knopf: Je ne l'ai pas apportée avec moi. J'imagine que cela aurait été un exemple des droits voisins.

Comme vous le savez, monsieur le président, je tenais vraiment à témoigner devant votre comité. Une heure de plus ou de moins ne fait pas beaucoup de différence.

Le président: Très bien. Merci.

M. Knopf: Monsieur le président et membres du comité, je vous signale que Laurier Office Mart est peut-être l'un des plus petits organismes à témoigner devant votre comité, mais qu'il n'est certes pas le moins important. Malheureusement, Laurier Office Mart sait trop bien ce que cela veut dire que d'être utilisateur d'un droit d'auteur au Canada, vu que la loi actuelle est mal appliquée et interprétée de façon trop large.

Laurier Office Mart s'inquiète beaucoup de ce qui arrivera si la GRC, les sociétés de gestion et les éditeurs ont encore plus d'armes dans leur arsenal à l'avenir et s'il y a encore moins de sauvegardes quant à l'utilisation de ces armes. Même sans dommages-intérêts préétablis, sans injonction générale et sans incitation anticoncurrentielle à former des sociétés de gestion et sans bon nombre des autres aspects du projet de loi C-32 qui ont été inclus à la demande d'habiles lobbyistes et avocats, le mouvement de la reprographie a très bien réussi au Canada.

Au Canada anglais, la seule société de gestion de reprographie s'appelle CANCOPY, ou, comme l'appelle parfois l'ancien président de l'Université York, le professeur Harry Arthurs, CAN'TCOPY. Qui est CANCOPY? Il s'agit d'un organisme sans but lucratif qui a maintenant un chiffre d'affaires d'environ 13 millions de dollars par année, ce qui comprend environ un million de dollars en intérêts, et qui avait environ 11,5 millions de dollars de redevances non distribuées le 31 juillet 1996. Presque toutes ces recettes viennent du gouvernement et des établissements d'enseignement.

CANCOPY est une création typiquement canadienne. Il est le produit d'accommodements, d'ententes, de complicités et d'accords stratégiques entre le gouvernement, les milieux universitaires et certains grands éditeurs. Il n'a pas encore commencé à traiter avec le secteur des entreprises ou avec les avocats. Il attend probablement l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, parce que ces autres secteurs vont certainement s'y opposer.

.2140

La formule de CANCOPY est très simple. Elle veut au moins 5c. la page pour presque toutes les photocopies faites au Canada, plus, si possible, des droits annuels fixes pour chaque utilisateur. D'une façon ou d'une autre, il veut être payé pour les reproductions qui constituent ou non une utilisation équitable ou une copie éphémère aux yeux de la loi et qui devraient donc être gratuites. Il a probablement plus à gagner du projet de loi que n'importe quel autre organisme.

Le gouvernement et les milieux universitaires ont fait très peu pour s'opposer aux progrès de CANCOPY. Maintenant que CANCOPY a un chiffre d'affaires très intéressant et constitue nettement une force dominante dans tous les sens juridiques et ordinaires du terme, il est très difficile aux autres organismes de négocier avec CANCOPY. Même si le gouvernement ou les milieux universitaires décidaient de négocier ferme avec CANCOPY, ce serait très difficile de le faire selon la loi actuelle, mais ce sera encore beaucoup plus difficile si le projet de loi C-32 est adopté.

Malgré son habileté à percevoir des droits, CANCOPY a fait preuve de lenteur et d'inefficacité pour ce qui est de distribuer cet argent. Bien des gens se demandent si CANCOPY a vraiment une méthode pour distribuer les 11 millions de dollars de redevances déjà perçus, ou probablement 12 millions de dollars, compte tenu des intérêts. Certains ont reçu de l'argent alors qu'ils ne s'y attendaient pas du tout. D'autres qui auraient dû en recevoir n'ont rien reçu. Les montants semblent choisis purement au hasard.

Quand CANCOPY viendra finalement témoigner devant votre comité, il vous dira qu'il examine divers modèles, programmes informatiques, techniques de sondage et autres formules pour déterminer comment il convient de distribuer cet argent. Entre-temps, le montant des redevances non distribuées a augmenté, a rapporté de l'intérêt et a presque doublé depuis un an. La plus grande partie de cet argent vient du secteur public ou d'institutions qui sont directement financées par le secteur public et qui ont déjà payé d'énormes montants au moins une fois sous forme de salaires et parfois de subventions pour reproduire la plus grande partie des oeuvres pour lesquelles une licence a déjà été octroyée.

CANCOPY s'est donc institué percepteur d'argent avant de songer à une méthode de distribution, de devenir éditeur et, enfin, auteur, même si c'est l'aspect le moins important de ses activités. La grande majorité des auteurs qui créent et qui écrivent de savantes oeuvres utilisées sur les campus canadiens pourront se compter chanceux s'ils reçoivent un jour 50 $ ou 100 $ par année, avant impôt, de CANCOPY. La plupart laisseraient volontiers tomber ces droits pour dissiper l'incertitude qui existe maintenant sur les campus canadiens au sujet des droits d'auteur.

CANCOPY n'est pas non plus comme les autres sociétés de gestion établies du Canada. De son propre aveu, il n'a aucun droit réel pour la plus grande partie du répertoire qu'il prétend représenter. Son programme d'indemnisation, sur lequel il se fonde pour négocier avec les universitaires, a très peu de fondement en droit. Il offre une autorisation, et même des encouragements, pour copier un vaste répertoire qu'il n'a nullement le droit de représenter. C'est en soi contraire à la Loi sur le droit d'auteur, qui stipule qu'il est tout aussi illégal d'autoriser une violation de la loi que d'en commettre une.

Quand vous en aurez le temps, je vous incite à jeter un coup d'oeil sur l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur. Je suis certain que vous l'avez déjà lu, mais relisez-le, parce que c'est l'article le plus important de la loi. Il donne la liste de tous les droits exclusifs des détenteurs de droits d'auteur et précise qu'eux seuls peuvent donner l'autorisation de faire certaines choses. L'article dit aussi que quiconque autorise de telles choses commet une violation de la loi. D'après la jurisprudence, cela veut dire sanctionner, accepter, permettre ou encourager une activité quelconque.

À mon avis, monsieur le président, la raison d'être même de CANCOPY entraîne dans bien des cas, sinon dans la plupart, une violation du droit d'auteur. C'est vraiment ironique, vu que la devise de CANCOPY sur sa page d'Internet, et sans doute aussi dans sa brochure, dit: «Nous faisons en sorte que ce soit plus facile pour les écoles, les gouvernements, les entreprises et les particuliers de respecter les lois du Canada sur le droit d'auteur.»

Qui plus est, contrairement aux sociétés de gestion bien établies de l'industrie de la musique, dont certaines sont encore ici, je pense, CANCOPY s'occupe surtout d'oeuvres réalisées grâce à l'argent des contribuables et auxquelles les étudiants et les universitaires doivent avoir accès pour garantir la compétitivité du Canada. L'industrie de la musique vise à divertir, alors que les sociétés de gestion de reprographie s'occupent d'enseignement et de recherche. Il ne serait donc pas déraisonnable d'avoir un régime différent pour celles-ci, comme bon nombre de pays l'ont reconnu.

.2145

Environ 15 000 $ des recettes annuelles de CANCOPY, soit un peu plus de 1 p. 100, viennent d'un organisme appelé Laurier Office Mart Inc.

Dieu sait pourquoi, CANCOPY a décidé d'octroyer une licence à moins de 30 entreprises de reproduction du Canada jusqu'ici, ce qui rend la vie plus difficile et plus onéreuse à ces entreprises, et de ne pas se préoccuper des autres. M. Avedissian vous en dira plus long là-dessus.

J'ai déjà parlé beaucoup de CANCOPY, mais que dire de Laurier Office Mart? Qui sont les Avedissian? C'est une famille qui sait depuis longtemps comment les rapports avec le gouvernement peuvent mal tourner. Certains d'entre eux sont ici ce soir. La famille était originaire d'Arménie, et, à cause du génocide turc au début du siècle, leurs ancêtres se sont enfuis au Liban. Plus tard, ils ont dû fuir la guerre civile au Liban et la répression gouvernementale dans ce pays, et ils sont arrivés au Canada dans les années 70.

Cela fait plus de 16 ans que l'entreprise familiale occupe les mêmes locaux, avenue Laurier, à l'est de King Edward, ici même à Ottawa, tout près du campus de l'Université d'Ottawa. M. Avedissian père avait une entreprise de machines à coudre. Il y a environ 11 ans, M. Shahé Avedissian a transformé cette entreprise en commerce de fournitures de bureau et de reproduction. Une entreprise qui a les mêmes activités et occupe les mêmes locaux depuis 11 ans peut certes être considérée comme une entreprise stable, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde.

Le Canada devrait être très fier des petites entreprises comme celle-là. Nous ne devrions pas leur intenter des poursuites, monsieur le président et membres du comité. Nous ne devrions certes pas leur intenter des poursuites.

Cependant, en 1993, la GRC, épaulée par CANCOPY, a décidé de mettre à l'épreuve la Loi sur le droit d'auteur en s'attaquant à la famille Avedissian. Je ne m'attarderai pas sur cet incident malheureux. L'affaire est expliquée en détail dans mon exposé et les documents qui y sont joints.

Les Avedissian ont eu la chance d'être représentés par un avocat compétent - et j'ajoute tout de suite que ce n'était pas moi - qui a réussi à obtenir qu'ils soient acquittés après beaucoup de stress, de temps et d'ennuis et environ 15 000 $ de frais juridiques.

La Couronne a fait appel du verdict. C'était un appel malavisé, après un procès malavisé et des poursuites malavisées, et les Avedissian ont eu gain de cause en appel aussi. Vous avez sous les yeux une copie des jugements et de la plupart des documents pertinents.

Qu'est-ce que Laurier Office Mart voudrait voir dans le nouveau projet de loi? D'abord et avant tout, il voudrait que les recours au droit pénal soient modifiés pour qu'il ne soit plus jamais possible d'intenter des poursuites au criminel à moins qu'il n'y ait intention volontaire de réaliser des bénéfices commerciaux et que l'on ne fixe un maximum de 5 000 $ pour les dommages-intérêts.

Pourquoi proposons-nous une telle formule? Parce que cela reflète le système qui existe depuis déjà quelque temps aux États-Unis et qui a été réexaminé et modifié en 1992 et qui fonctionne bien dans ce pays, que nous pouvons tous respecter, je pense.

Je vous ai distribué des exemplaires de la loi américaine. Si vous y jetez un coup d'oeil plus tard, vous verrez que le mécanisme statutaire fait un lien entre la Loi sur le droit d'auteur et une autre loi américaine. Je vous ai remis un exemplaire de ces deux lois.

Selon les dispositions de la loi américaine, il faut avoir satisfait à chacune des conditions suivantes avant de pouvoir invoquer le droit pénal.

Tout d'abord, aux États-Unis, la valeur de vente au détail doit être de 2 500 $ U.S. Nous proposons 5 000 $, bien sûr parce que les dollars américains valent plus cher, mais aussi parce que le commissaire des brevets aux États-unis et certains projets de loi proposent maintenant un seuil de 5 000 $.

On doit avoir tiré au moins 10 exemplaires d'une même oeuvre au cours d'une période de 180 jours et il doit y avoir une intention véritable d'utiliser ces copies à des fins commerciales ou pour réaliser des gains financiers privés. Cette disposition vise à garantir que la loi sera invoquée seulement à l'endroit de pirates et non pas de personnes comme M. Avedissian.

Je vous fournirai volontiers d'autres documents à ce sujet si vous en avez besoin. La loi fonctionne bien aux États-Unis.

Aucune autorité digne de foi au Canada n'appuie le statu quo. Les avocats des diverses associations dans les domaines de l'informatique, du cinéma et de l'enregistrement sonore ont nettement des intérêts à protéger et défendent le statu quo. Je dois d'ailleurs reconnaître qu'ils ont la franchise de dire qu'ils le font notamment parce que c'est à leur propre avantage financier.

Même le haut fonctionnaire du ministère de la Justice qui s'est occupé des amendements de 1988 qui ont entraîné ces amendes très élevées et punitives propose que l'on décriminalise les infractions à la Loi sur le droit d'auteur et que l'on considère qu'il s'agit d'une fraude sous le régime du Code criminel. Cela créerait certaines sauvegardes. Nous n'allons pas aussi loin que ne le fait M. Piragoff dans son document. Nous serions tout à fait satisfaits si l'on adoptait le principe d'un seuil et, soit dit en passant, cela nécessiterait pas mal moins de changements au projet de loi.

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De toute façon, l'une ou l'autre des propositions que je vais formuler économiserait aussi des ressources considérables à la GRC qui pourrait sans doute les consacrer à d'autres problèmes plus urgents, par exemple la poursuite de véritables criminels mêlés à des activités de terrorisme, de violence, de trafic de drogues, de fraude par téléphone à l'endroit des personnes âgées, de même que la protection du premier ministre, de bonnes vérifications de sécurité, le stationnement sur la Colline et d'autres questions plus urgentes.

Il existe toutes sortes de chiffres à ce sujet. Lors d'une conférence que je présidais en 1994, un porte-parole de la GRC disait que la GRC s'occupe en moyenne de 1 000 cas par année de violation du droit d'auteur. Si nous supposons que cela représente 100 années-personnes pour le personnel de la GRC et les avocats du procureur général, ce qui est probablement une supposition assez juste, cela représente au moins 7,5 millions de dollars ou plus de l'argent des contribuables, et je ne compte pas le temps du tribunal, les salaires des juges ou autres dépenses du genre.

On trouve aussi le même genre de dépenses à l'échelon provincial et dans des services comme celui de la Police provinciale de l'Ontario. Malheureusement, il y a parfois rivalité entre la Police provinciale et la GRC pour voir qui peut prendre le plus grand nombre de violateurs du droit d'auteur. Cela coûte clairement des dizaines de millions de dollars par année aux contribuables. Quant aux coûts pour les victimes innocentes comme l'Avedissian, on ne peut pas l'évaluer en termes monétaires. Les avantages pour les sociétés multinationales qui se servent du système pour ne pas avoir à se salir les mains en obtenant le remboursement de certaines dettes sont énormes.

On ne peut pas non plus calculer ce que cela coûte en problèmes sur nos campus et dans nos salles de classe. Nous connaissons tous des enseignants et des professeurs qui ont tellement peur de certaines sociétés de gestion et de la GRC qu'ils refusent maintenant de distribuer des textes en classe ou lors de réunions. Cette crainte découle en partie du fait que nos lois sur l'utilisation légitime telles qu'elles existent maintenant et telles qu'elles ont été proposées sont très limitées par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde. Comme on a une liste donnant les exceptions les plus minimes, comme le droit d'écrire au tableau, tout ce qui ne figure pas sur cette liste bizarre est considéré comme illégal.

Le seul autre pays à adopter une telle façon de faire à notre époque est le Royaume-Uni. Le plus grand expert en matière de droit d'auteur du Royaume-Uni, qui est maintenant un juge, soit M. Laddie, condamne ce système de façon très explicite. Il dit ceci, et si vous me le permettez, je voudrais vous lire ces quelques lignes parce qu'elles sont très importantes. Voici ce qu'il dit au sujet de la loi du Royaume-Uni:

Bien entendu, les Britanniques veulent s'en attribuer le mérite et il semble que ce soit justifié.

Cela figure dans la préface dans ce que la plupart des gens considèrent comme le principal ouvrage contemporain sur le droit britannique, dont l'auteur fait actuellement autorité dans le domaine du droit d'auteur au Royaume-Uni, et c'est une chose que nous devrions examiner.

Il semble évident qu'une formation plus poussée des agents de la GRC visant à éviter les poursuites inutiles ne pourrait entraîner que des dépenses supplémentaires et un gaspillage de deniers publics pour une cause désespérée.

Si les meilleurs avocats et juges du Canada et de l'étranger, y compris le juge Laddie, ne peuvent pas se mettre d'accord quant à ce que signifie une «utilisation équitable» ou «substantiel» dans le contexte d'une action au civil, il est clair que l'État n'a aucun rôle légitime à jouer en lançant l'appareil judiciaire contre des particuliers ou des petites entreprises - à moins qu'il ne s'agisse de cas de piratage flagrant - , surtout quand ce sont les principes sur lesquels repose la défense dans de nombreux cas où les actes incriminés ont été commis sur une très petite échelle. La poursuite contre Laurier Office Mart établissait cela très clairement, tant en première instance qu'en appel.

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Signalons - et c'est très important - que CANCOPY oblige les entreprises de reprographie à payer pour des copies qui représentent une utilisation équitable et limitée. Sa propre interprétation de la loi l'emporte sur ce que pratiquement tout le monde considérera comme étant la loi, même au Canada, même aujourd'hui. Son contrat de licence comporte une disposition sine qua non à cet égard.

Dans la documentation, nous avons inclus la copie du contrat de licence de CANCOPY et nous avons indiqué la disposition précisant de façon très explicite que M. Avedissian doit payer CANCOPY pour une utilisation équitable et limitée, autrement dit, pour des travaux de reprographie en quantité minime, même si cela devrait être gratuit en vertu de la Loi sur le droit d'auteur.

C'est une disposition sine qua non. Je suis certain qu'aux États-Unis, les autorités antitrust feraient de la chair à pâté de ce genre de disposition. Vous trouverez cela dans la documentation que nous avons fournie.

Pour ce qui est des dommages-intérêts préétablis, Laurier Office Mart croit qu'il faudrait éliminer cette disposition du projet de loi. Elle donnera certainement lieu à des abus; ce n'est qu'une question de temps. Il est déjà clair que CANCOPY n'est pas pressé de négocier de nouveaux contrats dans le cadre de la loi actuelle sur les droits d'auteur. Elle attend que les dommages-intérêts minimums soient en place et que la loi penche honnêtement en sa faveur.

À l'exception des États-Unis qui ont un régime très différent et plus libéral, aucun autre pays comparable n'a ces dommages-intérêts préétablis.

Je vous ai remis la copie de l'article 107 de la loi américaine, dont vous avez sans doute également entendu parler dans de nombreux autres contextes. Elle permet explicitement de faire des copies multiples pour utilisation dans les écoles, ce dont CANCOPY ne veut pas.

Quoi qu'il en soit, les magasins de reprographie qui desservent une clientèle scolaire devraient bénéficier de toutes les exemptions offertes aux établissements d'enseignement, à la condition qu'ils desservent des professeurs, du personnel enseignant ou des élèves d'établissements d'enseignement. Ce sont les règles qui s'appliquent normalement aux intermédiaires et cela favoriserait l'efficacité sur le campus, grâce à une concurrence entre les services de photocopie.

Nous croyons que la Commission du droit d'auteur devrait être tenue, par la loi, de fixer les tarifs et les conditions s'appliquant - mutatis mutandis, comme aiment dire les avocats - aux commerces de reprographie qui desservent les établissements d'enseignement, d'après la nature de leur clientèle. Autrement, les universités et autres institutions seront tentées de fixer leurs prix de façon à ce que ces magasins ne soient pas concurrentiels. Les commerces de reprographie ne peuvent pas poursuivre les établissements d'enseignement ou les universités devant la Commission du droit d'auteur ou le Tribunal de la concurrence. C'est trop coûteux. Ils n'en ont pas les moyens financiers.

Il faudrait que la Commission du droit d'auteur soit tenue de veiller à ce que ceux qui perçoivent les redevances soient dédommagés des efforts qu'ils déploient pour le compte des sociétés de gestion collective, tout comme les petites entreprises sont dédommagées en partie pour la perception des taxes. M. Avedissian en dira plus à ce sujet.

Il y a deux nouvelles questions que j'aimerais mentionner et qui sont en train de prendre corps. Il y a d'abord une initiative lancée par certains intérêts pour modifier ce projet de loi afin de préciser qu'une «planche» telle qu'elle est définie dans la Loi sur le droit d'auteur, peut inclure une photocopieuse. Monsieur le président, je ne sais pas ce que l'on désire exactement, mais cela me semble très dangereux. Cela risque d'être à la fois inutile et d'avoir des conséquences imprévues.

Les meilleurs systèmes juridiques, y compris notre législation actuelle, permettent de saisir du matériel qui a servi à commettre un crime grave. Cela ne pose pas de problème dans le cadre de la loi actuelle. Mais il ne faudrait pas que du matériel soit saisi parce qu'il risque d'être utilisé à cette fin ou parce que quelqu'un pense qu'il a servi à cet usage, surtout si l'appareil ou la machine en question a d'autres utilisations légitimes. Notre loi actuelle est suffisamment souple. Également, M. Avedissian vous parlera de la location de matériel de photocopie coûteux.

Une chose à préciser est ce qui constitue une société de gestion, du moins pour le secteur de l'éducation, et ce qui constitue un régime de licence.

Le PDG de CANCOPY a dit expressément que sa société envisageait de laisser tomber ses licences ponctuelles pour s'orienter davantage vers des fonctions de chambres de compensation. Si j'ai bien compris, elle veut servir de chambre de compensation en recueillant les montants fixés, en principe, par chaque éditeur.

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Ce n'est pas nécessairement mauvais en soi, et c'est sans doute dans l'intérêt de certaines institutions que je connais. Cependant, les licences ponctuelles sont utiles, même si elles sont assez coûteuses, pour les établissements et les entreprises qui n'ont pas besoin d'une licence à part entière. Ces licences ne conviennent pas à tout le monde.

Les raisons pour lesquelles CANCOPY veut s'orienter dans cette direction sont complexes, mais le résultat me paraît assez clair. Les usagers seront forcés soit de prendre une licence globale qui ne leur conviendra peut-être pas, ou une licence quelconque qui sortira du rayon d'action de la Commission du droit d'auteur.

Si tel est le but visé, comme il semble bien que ce soit le cas, nous devrons peut-être modifier le projet de loi C-32 pour préciser que les fonctions de chambre de compensation ou que les régimes de permis qui opèrent de cette façon sont régis par la Commission du droit d'auteur si la clientèle est constituée d'établissements d'enseignement ou d'entreprises qui les desservent, comme Laurier Office Mart, afin de protéger de nombreux intérêts de la société.

Monsieur le président, j'aurai peut-être davantage de détails à vous fournir à ce sujet au cours des prochains jours et j'espère que vos collègues et vous-mêmes voudrez bien les examiner si je peux vous les faire parvenir. Comme je le dis, il s'agit là d'un fait nouveau.

Nous tenons à souligner que Laurier Office Mart ne demande rien de radical ou d'inhabituel. À bien des égards, le projet de loi C-32 se trouve en marge de la législation sur la propriété intellectuelle sur la scène mondiale.

Quand le Parlement donne des pouvoirs à des sociétés de gestion collective comme le Canada se propose de le faire, il doit mettre en place des garanties précises pour empêcher ces dernières de commettre des abus. Le projet de loi C-32 ne le fait pas.

Monsieur le président et membres du comité, la devise «plus vite, plus haut et plus fort» convient très bien aux Jeux olympiques, mais pas la législation sur la propriété intellectuelle.

M. Avedissian vous dira combien il lui a été difficile de gérer une entreprise honnête et de petite taille. Il vous dira ce que vous pouvez faire, en tant que députés, pour que les petites entreprises comme la sienne puissent prospérer et comment vous pouvez aider la cause du commerce et de l'éducation au Canada. Il se fera ensuite un plaisir de répondre à vos questions.

M. Shahé Avedissian (président, Laurier Office Mart): Merci, Howard.

Bonsoir, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je tiens tout d'abord à remercier le comité d'avoir choisi mon entreprise et de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de mes vues en ce qui concerne le projet de loi C-32 et l'effet qu'il aura sur mon commerce de reprographie, qui se trouve à côté de l'Université d'Ottawa.

Je tiens à vous faire remarquer que ma présence ici aujourd'hui est appuyée par trois associations réputées. Il s'agit de l'Ontario Association of Quick Printers, également connue sous le sigle ONAQP; de l'Association canadienne des produits de bureaux, ou ACPB, et à l'échelle locale, de l'Ottawa-Carleton Board of Trade. Ces associations représentent ensemble quelque 2 250 entreprises ou particuliers qui appuient ma position. Leurs lettres d'appui se trouvent dans la documentation qui vous a été remise aujourd'hui.

Je comprends qu'on veuille par le projet de loi C-32 rémunérer les auteurs et je reconnais l'importance du rôle des sociétés de gestion comme CANCOPY, mais je désapprouve entièrement les méthodes utilisées. Je reviendrai là-dessus plus tard.

Ayant été en cause dans un procès controversé, et dans un appel concernant la violation du droit d'auteur, j'en suis venu à me familiariser plus que je ne l'aurais voulu avec les questions relatives au droit d'auteur. J'estime que le projet de loi C-32 constitue une menace réelle pour l'avenir de mon commerce et de commerces semblables. Les propriétaires de commerces de reprographie licenciés qui obtiennent de CANCOPY une licence de reprographie et qui acceptent de percevoir et de remettre des droits raisonnables pour la reproduction d'oeuvres protégées par le droit d'auteur sont toujours susceptibles d'être poursuivis au pénal et au civil même pour les violations les plus mineures du droit d'auteur.

Je suis toujours à la merci de la GRC qui pourrait décider de me poursuivre au pénal. En outre, les sociétés de gestion cherchent maintenant à obtenir un minimum de 500 $ en dommages-intérêts préétablis pour chaque oeuvre, et elles voudront peut-être venir saisir mon matériel d'imprimerie si elles pensent que je fais des contrefaçons de quelque oeuvre que ce soit.

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Je tenterai d'expliquer aux membres du comité les difficultés auxquelles les propriétaires de commerces de reprographie licenciés se heurteront au jour le jour, si le projet de loi C-32 est adopté tel quel.

Il est bien de vouloir protéger le droit d'auteur. Je suis entièrement d'accord pour dire qu'il nous faut une nouvelle loi au Canada pour préciser ce qui constitue une violation du droit d'auteur, ce qui ne constitue pas une violation et quelles sont les personnes visées par les exemptions relatives à la contrefaçon et aussi pour empêcher que des poursuites à tout casser ne soient intentées pour des cas de violation où le montant en cause est minime, comme cela s'est produit dans notre cas, où il s'agissait de redevances de 32 $ par mois. Cette poursuite a fait perdre inutilement de l'argent aux contribuables. Elle m'a coûté à moi et à ma famille beaucoup d'argent, de temps et de stress quand il s'est agi de prouver notre innocence. Pourtant, le projet de loi C-32 ne me garantit pas que la même chose ne pourra pas se reproduire.

Droit pénal: je suis très préoccupé par cela. Rien de ce que nous faisons ne tombe dans la catégorie d'activités criminelles. Nous ne photocopions pas des livres en entier. Nous refusons de copier toute oeuvre dont nous ne sommes pas sûrs - et il nous arrive très souvent d'en refuser. Je ne veux pas que ma famille, mon personnel et mes clients aient constamment à craindre qu'un agent de la GRC vienne se présenter chez nous pour faire enquête.

Depuis notre procès, ni le gouvernement canadien, ni CANCOPY n'ont réussi à faire respecter la Loi sur le droit d'auteur par la totalité des commerces de reprographie privés. Il en résulte un fardeau injuste pour les commerces qui détiennent une licence de CANCOPY. Il n'y en a qu'une trentaine dans tout le Canada.

Il nous arrive souvent de refuser des clients quand les demandes de photocopies dépassent la limite prévue dans notre licence de CANCOPY. Nos compétiteurs qui ne détiennent pas de licence en profitent, et ce, depuis quatre ans. Nous trouvons très frustrant de constater que la plupart de nos compétiteurs exercent leur activité sans avoir obtenu de licence de reprographie. Ils offrent des économies allant de 40 p. 100 à 65 p. 100.

S'il est adopté tel quel, le projet de loi C-32 obligera les tribunaux à imposer des dommages-intérêts considérables même pour les cas de violation les plus mineurs. Le minimum qui est proposé comme dommages-intérêts préétablis, pourrait donner lieu à de graves abus. Même en étant très prudents, nous pourrions faire régulièrement l'objet de poursuites. Pareilles interruptions peuvent être très coûteuses pour une petite entreprise. Si chaque violation entraînait des dommages minimums de 500 $, il suffirait d'une poignée d'erreurs commises par inadvertance pour nous acculer à la faillite.

Le minimum proposé en dommages-intérêts préétabli est très sévère et n'est pas nécessaire. Il témoigne manifestement d'un parti pris. Il protège les auteurs, éditeurs et sociétés de gestion. Mais qu'arrive-t-il si un éditeur qui figure sur la liste d'exclusion de CANCOPY décide d'intenter des poursuites contre moi, ou si je dois m'en remettre au régime d'indemnisation controversé qu'offre la licence de CANCOPY?

Les propriétaires de commerces de reprographie licenciés ne peuvent pas passer tout leur temps devant les tribunaux à expliquer pourquoi un de leurs employés à photocopier trois, quatre, cinq, dix ou même 20 pages d'un article d'un livre pour un étudiant qui veut s'en servir à des fins légitimes pour ses cours.

Le projet de loi C-32 prévoit des exemptions très restreintes permettant aux établissements d'enseignement d'invoquer le motif de l'utilisation équitable. Les étudiants, les professeurs et les chercheurs devraient être exemptés des dispositions sur la violation du droit d'auteur quand ils reproduisent des documents à des fins éducatives. Ces exemptions devraient toutefois s'appliquer également aux commerces de reprographie licenciés qui servent ce marché. La loi ne devrait pas obliger ceux qui sont exemptés à faire leur reproduction dans les locaux de l'établissement d'enseignement qu'ils fréquentent. Elle devrait leur donner la possibilité de faire leurs photocopies où ils le souhaitent. Ils devraient, à condition de pouvoir produire les papiers d'identité voulus, faire faire les photocopies dont ils ont besoin par des commerces de reprographie licenciés. Il existe déjà quelque chose de semblable dans l'industrie du logiciel.

Si les commerces de reprographie licenciés ne bénéficient pas des mêmes exemptions que les établissements d'enseignement, nous ne pourrons pas concurrencer ces établissements sur un pied d'égalité. Comme vous le savez sans doute, la plupart des universités au Canada sont entourées de commerces de photocopie dans leur voisinage immédiat. La plupart de ces commerces dépendent beaucoup du marché avoisinant. Dans le cas de mon entreprise, je peux vous dire que bien au-delà de 50 p. 100 des clients qui se présentent chez moi sont de l'université. Oui, nous concurrençons l'Université d'Ottawa, et vice et versa. La concurrence, c'est bon pour tout le monde, surtout pour les étudiants. Si toutefois le projet de loi C-32 est adopté tel quel, la plupart sinon la totalité de ces commerces seront obligés de fermer leurs portes.

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Je crois que la menace est bien réelle car au fil des ans, nous avons tous fait des investissements considérables en fait de matériel loué et de frais généraux, et si du jour au lendemain nous sommes complètement écartés de ce marché et que nous sommes obligés par la loi de payer tous nos créanciers, notamment les entreprises à qui nous louons le matériel de photocopie, nous ne tarderons pas à venir grossir les rangs des chômeurs canadiens, qui sont déjà fort nombreux.

Si vous n'êtes pas encore convaincus par ce que je vous ai dit, voici un exemple typique de ce qui se passe quand un étudiant vient à mon magasin et demande des photocopies d'oeuvres protégées. D'abord, il prétend que ce qu'il veut faire reproduire - il s'agit le plus souvent de demandes légitimes - est exempt de toutes redevances et qu'il ne viole pas la Loi sur le droit d'auteur parce que le document en question doit servir à des fins éducatives. Nous devons lui dire: désolé, mais aux termes de notre licence CANCOPY, nous ne pouvons pas photocopier ce document pour vous sans vous demander une redevance.

C'est alors que le débat s'engage entre l'employé et l'étudiant qui est, le plus souvent, très intelligent. Nous nous retrouvons soudain à devoir éduquer l'étudiant. Il devrait faire partie du mandat de CANCOPY d'éduquer le public quant au respect du droit d'auteur, mais c'est plutôt à mon employé qu'il revient de faire la sale besogne de CANCOPY - soit dit en passant, CANCOPY aime bien toute cette publicité gratuite, qui est faite à nos dépens. Mon employé a la tâche très difficile d'expliquer la situation à l'étudiant et de le convaincre de payer entre 40 p. 100 et 65 p. 100 de plus chez Laurier Office Mart pour faire faire les photocopies dont il a besoin à des fins éducatives.

Qu'arrive-t-il alors? L'étudiant quitte le magasin frustré, s'imaginant que nous essayons de le rouler, et il ira faire faire ses photocopies par un des nombreux autres commerces de reprographie non licenciés, où on ne lui posera pas de questions, ou bien il ira se servir d'une des photocopieuses libre-service à l'Université d'Ottawa et ne paiera aucune redevance.

Ce dont je suis sûr, c'est qu'il ne reviendra pas chez nous. C'est tous les jours la même chose. L'étudiant dira à ses copains que Laurier Office Mart n'est pas un bon endroit pour faire faire ses photocopies parce que nous observons à la lettre les dispositions de la licence CANCOPY et de la loi. Comme vous pouvez le constater, toutes les chances sont contre nous quand il s'agit de servir ce marché.

Nous avons besoin d'une loi exigeant qu'on nous accorde le même traitement qu'à l'université quand nous servons la même clientèle. Sinon, nous serons obligés de fermer nos portes. L'Université d'Ottawa nous considère déjà comme une menace. Les autorités ne nous permettent pas de distribuer des feuillets publicitaires sur le campus. Par ailleurs, CANCOPY informe les professeurs que l'Université d'Ottawa est autorisée à imposer un tarif moins élevé que nous - 3,5c. contre 5c. à l'heure actuelle. J'ai inclus dans la documentation qui vous a été remise aujourd'hui les lettres confirmant cet état de fait. Elles se trouvent aux pages 7, 8 et 9.

CANCOPY avait pour rôle d'éduquer le grand public, notamment la communauté universitaire et notre industrie. Elle a toutefois omis de le faire. Ce n'est qu'après l'audition de notre cause qu'elle a commencé sa campagne d'éducation publique. En fait, Lucy White, de CANCOPY, a témoigné au procès pénal que l'association comptait sur des causes comme la nôtre pour obtenir gratuitement de la publicité - à mes dépens, bien entendu. Elle a également dit que nous faisions problème parce que nous posions trop de questions au sujet du droit d'auteur.

La réponse qu'a donnée CANCOPY à mes préoccupations était très simple: percevez des redevances sur tout, exception faite de la courte liste que nous vous fournissons. CANCOPY ne reconnaît toutefois pas que, en notre qualité de détenteurs de licence, nous avons à traiter avec bien des gens qui s'opposent à son régime de perception de redevances sur la totalité ou presque des oeuvres qui circulent.

Je crois que sur le plan tant juridique que moral, ils n'ont pas le droit de dire qu'il faut percevoir des redevances pour toutes les oeuvres. Ils ne représentent pas tous les auteurs et les éditeurs. Pourquoi ne nous fournissent-ils pas une liste des auteurs et des éditeurs qu'ils représentent, pour que nous sachions exactement ce que nous devons photocopier sous licence et ce que nous ne sommes pas tenus de photocopier sous licence? Ils devraient avoir une liste de leurs auteurs et éditeurs. Combien peut-il en coûter pour garder cette liste à jour?

Pourquoi CANCOPY est-elle autorisée à déduire des frais généraux d'environ 17,5 p. 100, d'après ses chiffres, de ses revenus ou redevances? Nous ne sommes aucunement compensés pour le fardeau administratif que nous occasionnent les relevés exigés par CANCOPY. Après tout, nous faisons nous aussi partie du processus de perception des redevances.

Nous avons dû assumer nous-mêmes le soin d'élaborer notre propre chiffrier pour tenter d'alléger ce fardeau administratif, et nous avons dû former nous-mêmes nos employés. J'ai inclus un échantillon de relevé que CANCOPY nous oblige à remplir, à nos frais. Le dernier rapport que j'ai remis à CANCOPY comprenait 74 pages semblables à celles que vous avez entre les mains, à la page 10.

.2215

Le gouvernement canadien a décidé de se servir de Laurier Office Mart comme d'une affaire test. L'effet sur notre entreprise a été dévastateur, s'approchant beaucoup de celui de la tornade qui s'abat sur une petite ville, après quoi les gens doivent rebâtir petit à petit ce qui a été détruit.

Pour le ministère de la Justice, l'affaire était simplement une affaire comme les autres. Cependant, pour une petite entreprise familiale comme la nôtre, dont je suis l'élément moteur, les quatre dernières années ont été marquées par de graves perturbations, de sorte que je n'ai pas pu bien faire le travail de commercialisation de nos services auprès de nouveaux clients. Or, je ne vois rien dans le projet de loi C-32 qui empêcherait que cela ne m'arrive de nouveau ou que la même chose arrive à un autre propriétaire de commerce de reprographie détenteur d'une licence.

En conclusion, les Canadiens devraient avoir une loi sur le droit d'auteur qui est équitable envers toutes les parties. Cette loi doit aborder les questions relatives à toutes les formes de reprographie, qu'il s'agisse d'étudiants, d'enseignants, d'auteurs, d'éditeurs, de sociétés de gestion ou de propriétaires de commerces de reprographie.

Tel que le projet de loi est rédigé, les étudiants et les enseignants ne bénéficieront de l'exemption accordée aux établissements d'enseignement que s'ils font la reproduction dans l'enceinte de l'établissement. Les éditeurs et les auteurs seront récompensés. Les sociétés de gestion auront de quoi payer leurs frais généraux et plus, et nous serons bientôt obligés de fermer nos portes - à moins, monsieur le président, que votre comité ne recommande d'apporter des amendements à ce projet de loi.

Merci d'avoir pris le temps de m'écouter.

[Français]

Le président: Vous n'avez pas de questions, monsieur Leroux?

M. Leroux: Pas en ce moment.

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott: Vous avez dit qu'il y avait une trentaine de commerces de reprographie détenteurs de licence au Canada. Combien y a-t-il de commerces de reprographie en tout, à peu près?

M. Avedissian: Dans les environs immédiats de l'Université d'Ottawa, nous sommes six, mais seulement deux d'entre nous ont une licence. Si l'on extrapolait pour toutes les grandes villes, le pourcentage resterait très petit.

M. Abbott: Donc, il y a six commerces de reprographie comme le vôtre, mais deux seulement sont détenteurs d'une licence.

M. Avedissian: Si vous allez cinq ou six rues à l'est, à l'ouest et au nord de l'université, c'est cela en effet.

M. Abbott: Êtes-vous un des deux détenteurs de licence?

M. Avedissian: Oui, j'ai obtenu ma licence il y a quatre ans.

M. Abbott: Mais je ne comprends pas: vous dites avoir été poursuivi en justice, mais vous avez une licence.

M. Avedissian: C'est un autre phénomène intéressant. Nous avons obtenu notre licence le 1er septembre 1993. La GRC est venue à notre commerce munie d'un mandat de perquisition en juin 1993, et la première chose que m'a demandé l'agent, c'était si j'avais un permis de CANCOPY. Je lui ai demandé ce que c'était que ce permis, et il m'a suggéré de me trouver un avocat, qui me l'expliquerait. Et il a poursuivi son travail.

Environ un mois plus tard, nous avons réussi à communiquer avec CANCOPY et avons découvert que les règles avaient changé. Nous avons donc obtenu un permis de CANCOPY en date du 1er septembre 1993, mais ce n'est qu'en octobre que la GRC déposait son accusation.

M. Knopf: C'était le 18 novembre, monsieur Abbott.

M. Abbott: Si je suis bien les événements, la GRC est d'abord venue perquisitionner en juillet, vous avez obtenu votre permis en septembre et c'est en novembre que l'on vous a accusé de vous être adonné à des activités antérieures sans permis. C'est bien ainsi que cela s'est passé?

M. Avedissian: C'est exact.

M. Knopf: Monsieur Abbott, la suite des événements est encore plus intéressante. Comme vous le verrez dans le mémoire, le 12 avril 1994, un certain Arthur B. Renaud du cabinet d'avocat représentant CANCOPY envoyait une lettre à M. Avedissian dans laquelle M. Renaud menaçait d'intenter des poursuites en responsabilité civile contre «Laurier Office Mart» pour réclamer une injonction, des dommages et intérêts, une indemnisation pour perte de profits et une indemnisation des coûts, à moins que «Laurier Office Mart» ne plaide coupable aux accusations en instance. Tout cela se trouve dans le mémoire.

M. Avedissian: À la page 18.

M. Abbott: Plaider coupable au civil ou au criminel?

M. Knopf: Aux accusations criminelles.

M. Abbott: J'ai quitté l'université il y a déjà bien longtemps, mais je croyais qu'il ne fallait pas mélanger le droit civil et le droit pénal. Est-ce que cela s'applique toujours?

M. Knopf: Rien n'a changé depuis que vous êtes parti.

M. Abbott: Beaucoup de choses ont changé au contraire.

M. Knopf: Pas dans ce domaine.

M. Abbott: J'ai perdu mes cheveux et bien d'autres choses.

À partir du moment où vous obtenez une licence, combien de redevances payez-vous par année?

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M. Knopf: Environ 15 000 $ par année.

M. Avedissian: Ce sera presque 15 000 $ cette année-ci.

M. Abbott: Vous avez mentionné des épargnes de 40 à 65 p. 100.

M. Avedissian: Oui. Voici pourquoi: si vous venez chez moi et que vous me demandiez de photocopier du matériel protégé par le droit d'auteur, peu importe mon prix... Supposons que cela soit 5c. la page. Si vous voulez faire photocopier cette page-ci, je dois percevoir 5c. plus 5c. supplémentaires à cause du droit d'auteur. L'étudiant doit donc me verser 10c., dont cinq me reviendront et dont cinq seront envoyés à CANCOPY.

Là où cela devient encore plus intéressant, c'est que l'on peut souvent photocopier deux pages d'une édition sur une seule photocopie. Je suis bien obligé de percevoir 5c. ou 6c. par photocopie, mais je dois aussi dans ce cas percevoir 5c. par page de l'édition frappée du droit d'auteur. Cela finit donc par coûter 15c. à l'étudiant, soit 10c. en redevances parce qu'il y a deux pages protégées par le droit d'auteur par photocopie, plus 5c. que je mettrai dans mes poches. C'est ce que je suis obligé de faire en tant que détenteur d'une licence, chaque fois que quelqu'un entre dans ma boutique. Mais si les étudiants ne viennent pas chez moi, ils peuvent choisir quatre autres commerces semblables qui ne sont pas détenteurs d'une licence, et il en coûtera à peine 5c. ou 6c. par photocopie. Ce n'est pas rien comme épargne pour un étudiant.

M. Abbott: Que se passe-t-il si l'étudiant fait sa propre photocopie sur le campus universitaire?

M. Avedissian: Celui qui utilise une photocopieuse libre-service ne paie rien. Mais je crois que l'université a obtenu sa licence il y a un an. Si l'étudiant se rend au centre de reprographie, il paie un autre taux de redevance, puisque CANCOPY a accordé à l'université des redevances de 3,5c. la copie. Vous voyez qu'encore une fois, cela a des avantages. En effet, si vous venez chez moi, je suis obligé de vous demander 5c. pour les redevances, alors que vous ne payez que 3,5c. à l'université.

M. Abbott: Vous recommandez vous-mêmes que l'on abandonne les sanctions au pénal au profit de sanctions monétaires, autrement dit une décriminalisation: ne croyez-vous pas que si cela n'est plus considéré comme une activité criminelle, les entrepreneurs comme vous pourraient être incités à courir le risque, surtout s'ils savent à quel montant s'élèverait l'amende? Ils pourraient se dire que puisqu'ils ont payé l'année dernière 15 000 $ de redevances et que l'amende n'atteint que 5 000 $, ils vont courir le risque, quitte à payer 5 000 $ d'amende.

M. Knopf: Monsieur Abbott, il faut apporter une précision. Je vous ai suggéré de regarder ce qui se passe aux États-Unis, là où le seuil minimal pour la valeur au détail de la copie est de 5 000 $. L'amende peut être beaucoup plus élevée, mais on atteint le seuil de l'infraction à 5 000 $. C'est un peu comme si vous conduisiez à plus de 100 kilomètres à l'heure: dès que vous dépassez cette limite, vous pouvez être accusé d'excès de vitesse. Le seuil est donc de 5 000 $ en valeur au détail, mais l'amende peut être beaucoup plus élevée. Mais ce n'est pas le montant des amendes fixées actuellement qui fait difficulté: elles sont de 25 000 $ dans le cas de déclaration sommaire de culpabilité ou elles peuvent atteindre jusqu'à 1 million de dollars pour les mises en accusation. Les juges sont tout à fait capables d'exercer leur pouvoir discrétionnaire pour s'assurer que les amendes ne sont pas prohibitives.

Le problème qui se pose à l'heure actuelle est le suivant: un commerçant honnête comme Laurier Mart peut être accusé, être exposé à toutes sortes de tracasseries et être menacé de poursuites au civil d'une façon qui a fait sursauter de nombreux avocats lorsqu'ils l'ont appris, parce qu'il s'agissait en fait d'une allégation de violation du droit d'auteur de 32 $. Voilà pourquoi nous parlons de 5 000 $ au minimum.

D'après les précédents législatifs américains - je vous fournirai volontiers à vous et à vos collègues toute la jurisprudence - on voit clairement que la loi visait à empêcher la piraterie, et à empêcher une activité commerciale illicite, mais n'avait certainement pas pour but de pourchasser les innocents qui sont peut-être civilement responsables de sommes impayées par inadvertance ou par ignorance, notamment. Il y a toutes sortes de façons actuellement d'aller percevoir cet argent qui est dû mais il est scandaleux de croire que l'on puisse intenter une procédure criminelle contre eux, leur faire payer des amendes, les acculer à la faillite et, en théorie, les jeter en prison pour de si petites sommes.

Aucune société juste ne saurait considérer ce genre d'inadvertance comme un comportement criminel.

M. Abbott: Merci.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Merci, monsieur le président. J'ai quelques petites questions.

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Il y a quelque chose que je voudrais être sûr de bien comprendre. Vous avez soumis une lettre expliquant que l'Université d'Ottawa ne vous permet pas de faire votre publicité chez elle. La lettre précise que vous devez demander la permission pour le faire. Avez-vous demander cette permission et l'a-t-on refusée?

M. Avedissian: Oui, nous l'avons demandée oralement, et non par écrit, comme nous le faisons depuis six ou sept ans; nous n'avons rien fait de différent cette année.

M. Bélanger: Je serais curieux de savoir comment on répondrait à une demande par écrit.

M. Avedissian: Nous n'avons pas fait de demande par écrit. Peut-être devrions-nous le faire, mais je suis quasi convaincu qu'on nous le refusera.

M. Bélanger: Vous ne perdez rien à essayer.

M. Avedissian: En effet.

M. Bélanger: En second lieu, j'aimerais aborder quelque chose que nous n'avons peut-être pas encore envisagé jusqu'à ce jour, dans notre réflexion. Je parle de l'Université d'Ottawa. Il semble que les redevances versées soient à peu près uniformes. Ainsi, on demande aux stations radiophoniques de verser 3,2 p. 100 de revenus aux auteurs, peu importe que celles-ci aient beaucoup d'auditeurs ou pas.

Cette différence entre le taux de 5c. et le 3,5c. de l'université m'intrigue. L'un ou l'autre des témoins sait-il s'il y a des écarts encore plus importants que celui-ci? CANCOPY aurait-il signé avec certains ministères de l'Éducation, par exemple, des ententes prévoyant encore moins que 3,5c.?

M. Knopf: Monsieur Bélanger, que je sache, il n'y a pas eu d'ententes pour moins de 3,5c. C'est plus compliqué que cela. CANCOPY a accordé aux universités 3,5c. par page, mais il existe également ce que l'on appelle des frais de catégorie A, soit des frais ETP, qui sont de 3,50 $ par année, pour chaque étudiant considéré équivalent temps plein. CANCOPY prévoit donc 3,50 $ par année pour chaque étudiant plus 3,5c. la page pour les copies vendues aux étudiants.

M. Bélanger: Je suppose que si je voulais savoir, on me répondrait que le montant de 3,50 $ par étudiant représente 1,5c.

M. Knopf: Pardon?

M. Bélanger: Ce qui ferait passer les 3,5c. à 5c. la copie.

M. Knopf: Non, il n'y a aucun lien entre les deux. Les 3,50 $ représentent des frais fixes pour chaque étudiant.

M. Bélanger: Je comprends, mais...

Je vais poser la question à CANCOPY, mais à votre avis, comment peut-on justifier que le droit d'auteur vaille 5c. la page à un endroit alors qu'il ne vaut que 3,5c. la page ailleurs, toujours pour la même oeuvre?

M. Knopf: Monsieur Bélanger, je ne puis expliquer cette différence qu'en partie. Pour le reste, je ne puis que supputer.

Cela dépend à qui vous poser la question. Les universités vous expliqueront qu'elles ont négocié dur pour obtenir ce taux moindre de 3,5c. la page. Vous savez peut-être que les universités et CANCOPY sont actuellement aux prises avec la Commission du droit d'auteur et se chicanent au sujet du taux: devrait-il être de 3,5c. ou de 5c., ou devrait-on couper la poire en deux.

Les commerces de reprographie ont toujours eu à payer un taux plus élevé et ils n'ont jamais eu la chance de négocier. CANCOPY vous dira sans doute que s'il n'en tenait qu'à sa direction, les commerces de reprographie paieraient exactement la même chose que les universités, mais que c'est de la faute aux éditeurs ou aux universités qui ne veulent pas. Les universités seraient très heureuses de voir des organisations telles que CANCOPY disparaître de la carte, car elles sont en train de transformer leur centre de reprographie en centre de profit.

C'est donc une affaire de politique assez embrouillée. C'est aussi à cause de toutes sortes de dispositions du droit de la concurrence, que ni M. Avedissian ni ses collègues ne peuvent se permettre d'invoquer, même s'il existe en principe certains recours.

M. Bélanger: Puis-je poser une dernière question, monsieur le président?

Le président: Une dernière.

M. Bélanger: Au sujet de la dissuasion, si j'ose dire, soit le montant minimum. Vous suggérez 5 000 $, et j'imagine que vous vous êtes inspirés de la loi américaine.

C'est une suggestion qui nous a déjà été faite en comité, et je me rappelle avoir eu un peu de mal à avaler ce chiffre, car même si vous facturez les pages à 5c., cela représente 100 000 copies. C'est presque de la production industrielle! Vous avez dit avoir été poursuivis pour infraction à un droit d'auteur d'une valeur de 32 $, et pourtant vous demander de hausser le seuil à 5 000 $? Cela semble un peu beaucoup. Pourriez-vous nous expliquer?

M. Knopf: Certainement, monsieur Bélanger.

Avec tout le respect que je vous dois, il ne faut pas simplifier à outrance en disant qu'à raison de 5c. la page, il faut se faire prendre avec au moins 100 000 copies illicites.

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Aux États-Unis, les juges américains ont un grand pouvoir discrétionnaire, comme le prouve la jurisprudence, pour déterminer la façon de calculer le montant de 5 000 $. Nous pourrions faire de même avec un amendement: ainsi, dans le cas d'une allégation de violation, le juge pourrait déterminer que si, au civil, l'infraction représente 5 000 $, que cette somme constitue alors le seuil à partir duquel le droit criminel entre en jeu. Il pourrait donc déterminer que même s'il n'y a que 20, 30 ou 100 copies illicites, ces copies représentent néanmoins 5 000 $ de dommages au civil.

M. Bélanger: Et à ce moment-là le droit criminel intervient?

M. Knopf: En effet.

M. Bélanger: Merci, je n'avais pas compris la distinction entre les deux. Maintenant, c'est très clair.

M. Knopf: Je voudrais simplement apporter une précision, monsieur Bélanger.

C'est récemment que l'on a invoqué le droit criminel, au Canada, pour les droits d'auteur, et de façon maladroite, il faut bien le reconnaître. Des organisations comme SOCAN - que je ne représente pas, et au nom desquelles je ne parle donc pas - ont survécu et prospéré pendant une soixantaine d'années, par leurs prédécesseurs et n'ont pas eu une seule fois recours au droit criminel.

Il n'est nullement nécessaire de faire appel au droit criminel pour faire respecter des règles mais si nous le faisons - et nous devrions peut-être le faire, y étant d'ailleurs tenus par les obligations de notre traité international - il devrait y avoir un seuil afin de ne pas entrer en litige pour des montants dérisoires.

M. Bélanger: Je vous remercie.

Le président: Je donne la parole à M. Peric, puis à M. Arseneault, après nous clôturerons la séance.

M. Peric: Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur Avedissian, est-ce que vous avez des droits à verser pour votre licence?

M. Avedissian: Non, la licence CANCOPY me permet d'avoir leur licence sans frais, d'obtenir une licence d'un consommateur et de la leur remettre. Il n'y a pas de frais.

Bien que l'on dise, dans les journaux, qu'il y a un droit de licence, à ma connaissance et d'après mon expérience il n'y a pas de somme à verser d'avance pour obtenir une licence avec CANCOPY.

M. Peric: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Arseneault.

M. Arseneault: Merci, monsieur le président.

Merci de votre exposé, messieurs, il nous a permis de voir les choses sous une autre perspective, ce qui fait du bien de temps en temps.

Je voudrais en arriver au coeur de votre argument. Reprenez-moi si je me trompe, mais vous sembliez dire que le projet de loi C-32 tel qu'il est proposé permettra aux gens, en cas d'infraction, de porter beaucoup plus rapidement l'affaire devant un tribunal. Est-ce exact? Est-ce bien là ce que vous vouliez dire?

M. Knopf: C'est exact, monsieur Arseneault, car en raison du niveau de dommages et intérêts minimaux fixés par la loi, le plaignant gagnera pour ainsi dire toujours sa cause, et suffisamment pour justifier de porter l'affaire devant le tribunal, même lorsque les dommages sont vraiment dérisoires.

M. Arseneault: Ne serait-il pas alors beaucoup plus facile de poursuivre ceux qui n'ont aucune licence? Est-ce que cela ne permettrait pas beaucoup plus facilement, de cette façon, d'écarter vos concurrents?

Vous parliez, par exemple, des ateliers d'imprimerie dans le quartier de l'Université d'Ottawa: deux ont une licence, et quatre n'en ont pas. La raison évidente pour laquelle ces quatre n'en ont pas, c'est qu'il est trop difficile ou trop coûteux pour ceux qui pensent qu'il y a infraction au droit d'auteur de porter l'affaire devant le tribunal. La nouvelle loi ne permettrait-elle donc pas plus facilement d'incriminer ces quatre...?

Si Laurier Office Mart respecte la loi, est enregistré et paie ses redevances, comme vous affirmez le faire - et je n'en doute pas - est-ce que cela ne remettrait pas les choses en place? Voilà tout à coup qu'on joue franc jeu. Les quatre autres seront obligés d'obtenir la licence CANCOPY, à défaut de quoi ils auront un procès sur les bras, comme cela vous est arrivé à un certain moment.

M. Avedissian: C'est une possibilité. Cette loi pourrait les forcer à signer, ou en tout cas les intimider assez pour le faire. C'est une solution partielle.

Par ailleurs la licence CANCOPY, que nous avons actuellement, ne nous protège pas entièrement d'autres formes de copie, en particulier parce qu'elle ne représente pas tous les auteurs, alors comment peut-elle nous protéger?

Prenons un exemple: vous avez publié un livre, quelques pages en ont été copiées chez moi, et vous n'avez pas donné à CANCOPY le droit de vous représenter. Comment CANCOPY peut-il alors juridiquement me protéger de ceux qui ne figurent pas au répertoire?

Il y a également la liste de d'exclusion. Si par erreur, nous faisons des photocopies de textes placés sur la liste d'exclusion, et que l'éditeur en question entame des poursuites, il n'existe toujours pas de protection.

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M. Arseneault: Lorsqu'un étudiant vous donne un document à copier c'est vous, ou votre personnel, qui le copiez et non pas l'étudiant.

M. Avedissian: Non.

M. Arseneault: Cela fait partie de votre service.

L'autre aspect de la question, c'est la différence entre vos tarifs et ceux de l'Université d'Ottawa. Y a-t-il, à votre connaissance, des différences de tarif entre les différents centres de copie-service? On peut se demander si l'Université d'Ottawa est censée être un commerce ou n'avoir pas de but lucratif, mais nous n'allons pas nous lancer dans ce débat.

Prenons l'exemple d'un autre copie-service du même quartier, qui a une licence de CANCOPY; peut-être y en a-t-il deux ou trois, à Ottawa, que vous connaissez: est-ce qu'ils payent tous les mêmes droits que vous?

M. Avedissian: Vous voulez dire les autres licences de copie-service?

M. Arseneault: Oui.

M. Avedissian: Oui, pour autant que je sache, ces droits sont uniformes.

M. Knopf: Permettez-moi d'apporter une nuance à cela, M. Arseneault. CANCOPY offre effectivement ce qu'on appelle des licences dites «de transaction». Un de mes clients, bien connu, utilise celles-ci plutôt que la licence générale. Elles sont plus coûteuses - 9 ou 10c. par page - mais peuvent s'avérer moins coûteuses pour un établissement qu'une licence générale.

Mais fait paradoxal, un établissement communautaire comme le Collège Algonquin finit par payer davantage, pour des raisons tout à fait valides, en choisissant la licence «de transaction» que doit payer M. Avedissian pour diriger une petite entreprise.

Je voudrais également étoffer la réponse de M. Avedissian à votre question précédente, à savoir si des pénalités plus élevées permettraient de mieux faire respecter la loi. C'est là une méthode draconienne pour résoudre le problème, mais qui n'est pas nécessairement de bonne politique en droit pénal.

Je me souviens d'un de mes anciens professeurs de droit qui disait qu'il y avait une façon bien simple de couper court aux délits et crimes dans notre pays, qu'il s'agisse de stationnement illégal ou de conduite en état d'ébriété: il suffit d'exécuter sur place toute personne qui commet une infraction, l'effet serait radical, mais est-ce là le genre de société dont nous voulons? Est-ce que nous tenons à imposer des pénalités phénoménales pour toute infraction, afin de parvenir à un résultat?

M. Arseneault: Il faut être raisonnable.

M. Knopf: Oui, il y a d'autres solutions pour faire appliquer la loi.

Le président: Monsieur Arseneault, avez-vous d'autres questions?

M. Arseneault: Je n'ai plus de questions, mais je voudrais féliciter M. Avedissian et d'autres petits entrepreneurs, car ce sont eux les rouages de notre économie.

M. Avedissian: Je vous remercie.

Monsieur le président, je voudrais simplement faire deux petites observations.

Notre frustration tient au fait que nous sommes pris entre deux feux: d'une part nous voulons que les mêmes règles s'appliquent à nous et à nos concurrents, mais nous ne voulons pas non plus que l'université soit mieux placée que nous, parce que nous lui faisons concurrence dans ce domaine.

Le tarif forfaitaire de 3,50 $, qui est versé pour chaque étudiant, permettrait à ceux-ci sur n'importe quelle photocopieuse libre-service de l'université, de faire un millier de copies, alors que si cet étudiant vient me voir, je suis obligé de lui faire payer chaque exemplaire. Il a donc le droit légitime de dire «D'après la Loi sur le droit d'auteur, la justice doit s'appliquer. C'est pour mes travaux de recherche.» Avec ma licence CANCOPY je peux maintenant lui dire, même pour quatre pages: «Oui, vous avez raison, je vous ferai vos copies sans qu'il vous en coûte rien». J'ai alors enfreint la licence de CANCOPY.

Ce sont là de graves questions, et voilà quatre ans que je dois me colleter avec elles.

M. Knopf: Rappelez-vous que la raison pour laquelle les gens utilisent un atelier d'imprimerie comme celui de M. Avedissian, c'est que les universités ont tendance, laissées à elles-mêmes, à être lentes, inefficaces et coûteuses. Il faut qu'il y ait concurrence, il faut aussi que l'on pousse les universités à faire mieux et à aider les étudiants dans ce genre de concurrence.

Le président: Merci d'être venus, messieurs Avedissian et Knopf, et d'avoir fait preuve de patience. Nous vous en savons gré. Cette soirée a été très instructive pour nous et nous vous en remercions.

La séance est levée.

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