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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 11 avril 1997

.1018

[Traduction]

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy (Laval-Ouest, Lib.)): Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette séance mixte du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international et du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.

[Français]

Nous avons aujourd'hui le privilège de recevoir le secrétaire général de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, Son Excellence Javier Solana.

Nous allons procéder comme nous le faisons d'habitude.

[Traduction]

J'invite maintenant Son Excellence le Secrétaire général, à dire quelques mots.

Il va sans dire que nous nous intéressons beaucoup à l'OTAN. Le Comité permanent des affaires étrangères a consacré une période assez importante à l'audition de témoins et à l'examen des affaires de l'OTAN et s'est penché tout particulièrement sur l'avenir de l'OTAN en période d'après-guerre froide. L'élargissement de l'OTAN est une autre question qui a été examinée. Je signale au passage, pour vous situer, que le Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes examine actuellement la question de la réduction ou de l'élimination des armes nucléaires.

Voilà les questions reliées à l'OTAN que nous avons examinées. Sans plus attendre,

[Français]

monsieur le secrétaire général, je vous cède la parole.

.1020

Son Excellence Javier Solana (secrétaire général de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est pour moi un grand plaisir de pouvoir m'adresser aux Comités des affaires étrangères et de la défense nationale du Parlement.

Je voudrais faire un bref exposé sur les sujets les plus importants que nous sommes en train de résoudre à l'OTAN. Je crois que la chose la plus importante que je peux faire ce matin est de vous faire part de notre programme et des principaux défis que nous devons résoudre avant le sommet qui aura lieu à Madrid au mois de juillet.

[Traduction]

Comme vous le savez sans doute, l'OTAN, et le mouvement général en matière de sécurité dans la région euro-atlantique, connaît actuellement une période passionnante. Nous sommes sur le point d'adapter, de transformer en profondeur l'alliance pour veiller à ce que l'organisation continue de pouvoir garantir la stabilité et la sécurité dans la région euro-atlantique et, partant, sa prospérité. Parfois, on oublie que la stabilité et la sécurité sont le garant de la prospérité.

Je vais maintenant vous parler plus précisément du calendrier et des défis qui nous attendent. Comme vous le savez, dans quelques mois, les 8 et 9 juillet, l'Alliance tiendra une très importante rencontre au sommet. J'irais jusqu'à dire qu'il s'agira de l'un des plus importants sommets de l'histoire de l'Alliance. Ce sera à cette occasion que nous aborderons les thèmes suivants.

Premièrement, nous voulons adapter à l'interne l'Alliance à de nouvelles missions. La principale continuera d'être la sécurité de ses membres. Toutefois, nous avons décidé d'assumer de nouvelles responsabilités reliées à ce que l'on appelle la projection de la stabilité au-delà du périmètre des membres de l'Alliance.

Je n'ai pas besoin de vous dire - vous le savez très bien - que l'exemple le plus important d'endroits où nous pouvons braquer notre attention est la Bosnie. Comme vous le savez, il se déroule en Bosnie une opération que, dans la terminologie de l'OTAN, nous appelons hors zone. Son but est d'instaurer la paix et la stabilité dans une partie du continent européen qui ne fait pas partie du périmètre normal de l'OTAN.

Voilà le genre de missions de projection de la stabilité que nous voudrions entreprendre. Pour cela, il faudra adapter notre structure militaire, conçue pour nous acquitter de notre mission de sécurité, c'est-à-dire la défense des 69 membres. Nous essayons aujourd'hui de créer une structure adaptée à la nouvelle réalité. Elle devra pour cela être plus souple, plus petite et donc moins coûteuse. Elle devra pouvoir être une force de projection de la stabilité hors des frontières des pays qui appartiennent à l'OTAN.

Toujours s'agissant d'adaptation interne, j'aimerais parler d'une idée importante, une décision importante que nous avons prise à une rencontre ministérielle à Berlin l'été dernier. Il s'agit de l'émergence dans l'Alliance de ce que nous appelons l'identité de défense et de sécurité européenne. Cela signifie la possibilité de donner plus d'importance à la personnalité européenne dans le domaine de la sécurité, mais à l'intérieur de l'OTAN. Nous ne voulons pas créer deux structures distinctes. Nous voulons en créer une et nous assurer que cette structure militaire pourra agir sur une base européenne pour une opération donnée, mais qu'elle pourra retourner après la fin de l'opération à la même structure militaire. Nous ne voulons pas créer deux structures. La meilleure façon sans doute de le faire en pratique est de dire que nous voulons créer une structure militaire dotée de forces séparables mais non séparées.

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Il n'y aura qu'une seule infrastructure, mais il sera possible d'en séparer une partie pour une mission donnée conduite par des Européens, sous l'autorité politique de l'Europe et avec son aide. Mais elle pourra aussi se servir de l'infrastructure et des moyens qui appartiennent collectivement à l'OTAN.

La première chose à faire au sommet sera de mettre la dernière main à une définition qui servira à décrire l'adaptation interne de l'Alliance.

Le deuxième vecteur que nous voudrions voir approuver au sommet porte sur les relations extérieures de l'Alliance. Nous entendons par là la possibilité d'ouvrir l'Alliance à un ou plusieurs nouveaux membres, comme il en a été convenu à la réunion ministérielle de décembre. Ce sera un événement historique. L'OTAN invitera un ou plusieurs pays, qui ont fait partie de l'ex-plan Marshall, à devenir membres de l'Alliance. La dimension de cette décision, son importance, est sans doute évidente pour tous.

Nous voudrions également créer une nouvelle structure autour de l'OTAN. Cela se fera sans doute sous l'égide du Conseil pour le partenariat de l'Atlantique, qui intégrerait deux organes qui existent déjà et qui ont connu beaucoup de succès, depuis leur création, il y a quelques années.

J'aimerais aussi parler du Partenariat pour la paix, l'une des idées les plus brillantes qui ait jamais été proposée. Vous vous souviendrez qu'elle a été avancée lors du sommet de Bruxelles en janvier 1994. C'est donc une institution ou une idée de création très récente. Cela remonte à peine à trois ans. Elle a vu le jour, comme je l'ai dit, en 1994, mais depuis elle a beaucoup fructifié.

J'irais jusqu'à dire que sans le Partenariat pour la paix, l'opération en Bosnie, celle de l'IFOR, n'aurait sans doute pas été possible. Permettez-moi de vous rappeler qu'en Bosnie se trouve actuellement la plus importante coalition pour la paix jamais constituée, une coalition pour la paix menée par l'OTAN en collaboration avec 17 autres pays qui sont sur un pied d'égalité avec les16 pays de l'OTAN. On y retrouve la Pologne, les pays baltes, l'Ukraine, le Maroc, la Malaisie et la Russie.

Nous avons réussi à créer une coalition très impressionnante pour la paix sous la direction de l'OTAN. Cela a été possible parce que nous avons créé le Partenariat pour la paix. Nous y avons travaillé pendant trois ans pour nous assurer qu'elle pouvait bénéficier de tout l'appui possible, du point de vue militaire, de la part des armées des pays qui ne font pas partie de l'OTAN mais qui veulent collaborer avec l'organisation. Voilà l'idée derrière le Partenariat pour la paix. Nous voudrions pouvoir y ajouter davantage. Nous voudrions pouvoir étoffer encore l'idée.

Parallèlement, nous voudrions donner plus de contenu au Conseil de coopération de l'Atlantique Nord. C'est, vous le savez, notre point de rencontre avec les pays qui appartiennent à l'ancien plan Marshall ou à l'ex-Union soviétique à des fins de dialogue et de consultation politique.

Encore une fois, comme vous le savez, le Conseil de coopération est de création très récente. Nous avons célébré son 5e anniversaire en décembre. Nous essayons de réunir ces deux institutions sous le vocable du Conseil pour le partenariat atlantique de manière à donner plus de contenu à la collaboration militaire que ce n'est le cas aujourd'hui par l'intermédiaire du Partenariat, en plus du dialogue et de la consultation politique qui se font actuellement par l'intermédiaire du Conseil de coopération.

Nous voulons de cette façon donner un signal très clair à tous les pays que nous ne voulons pas créer de nouvelles fractures en Europe. Nous voulons une institution dont tous les membres se réunissent autour de la table de l'OTAN et créent des façons de favoriser la coopération militaire et la consultation politique. Ce sera la deuxième grande décision en importance au sommet.

Troisièmement, l'autre grand axe sera les rapports bilatéraux que nous voudrions établir avec la Russie et l'Ukraine.

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Du côté russe, sachez que nous avons déjà réalisé des progrès depuis la première série de négociations qui ont eu lieu à Moscou en janvier. Depuis, nous avons tenu trois autres séries de négociations. La quatrième débutera mardi prochain, le 15 avril, à Moscou. Je me rendrai donc à Moscou la semaine prochaine.

Les choses bougent. Sur certains points de ces rapports bilatéraux, il y a rapprochement, mais sur d'autres la distance est grande. Il faut donc continuer à travailler et voir si nous pouvons nous rapprocher de leur position. Nous sommes encore trop loin. Mais j'ai le sentiment qu'il y a de part et d'autre la volonté politique de conclure une entente acceptable avant la tenue du sommet.

J'aimerais aussi vous parler de l'Ukraine car je sais que cette question vous intéresse. Vous vous intéressez de près à ce pays. Nous avons entrepris des négociations bilatérales à Bruxelles récemment. Je vais rencontrer M. Udovenko le 23 avril, dans deux semaines, et je compte me rendre à Kiev dans la semaine du 7 mai pour voir s'il est possible d'établir ces rapports bilatéraux.

Comme vous pouvez le constater, si tous les projets dont je vous ai parlé se réalisent dans l'intervalle qui nous sépare du sommet en juillet, nous changerons en profondeur le paysage de la sécurité dans la région euro-atlantique. C'est ce que nous tentons de faire et nous espérons qu'avec la coopération des différents pays...

J'aimerais maintenant profiter de l'occasion pour remercier votre pays non seulement de l'appui qu'il a donné à l'organisation à un moment important et complexe de son histoire, mais aussi pour la mission que vous avez assumée avec tant de générosité en Bosnie. Vous avez plus de 1 000 soldats en Bosnie et je voudrais profiter de l'occasion, devant les députés, pour remercier votre pays de ses efforts qui, je le sais, sont considérables pour vous du point de vue militaire et du point de vue financier. Je vous en remercie donc beaucoup. Nous ne l'oublierons jamais.

Voilà donc grosso modo mon emploi du temps des prochaines semaines et des prochains mois. Comme vous pouvez le constater, il est très chargé, mais il aboutira en temps utile et pour le moment, nous estimons que les choses vont bien.

Comme je l'ai dit, il est certain que nous devons transformer le paysage de la sécurité dans la région euro-atlantique. Au terme de cette période, on pourra sans doute affirmer que Yalta appartient au passé et que l'avenir nous appartient, sous une forme meilleure. Espérons que c'est ce qui se passera et que le tout sera couronné de succès dans le court délai qui est le nôtre. C'est le voeu auquel nous nous consacrons 24 heures sur 24. Soyez assurés que personne à l'OTAN, qu'il s'agisse des représentants des divers pays, du personnel civil ou des militaires, ne ménage le moindre effort pour s'assurer que ces impressionnants projets se réalisent dans les délais qui nous sont impartis. Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Merci beaucoup.

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy): Je vous remercie moi-même,

[Traduction]

particulièrement pour la reconnaissance du rôle et de l'intérêt du Canada pour l'OTAN. Nous en étions dès la première heure et nous y sommes toujours.

[Français]

Plusieurs personnes ont demandé la parole. Monsieur Leroux du Bloc québécois.

M. Jean H. Leroux (Shefford, BQ): Monsieur le secrétaire général, ça me fait plaisir de vous accueillir au nom de mon parti, le Bloc québécois.

Au Canada, on ne fait pas les choses comme les autres. Durant la fin de semaine, je suis allé en Islande, à la réunion des pays membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. J'avais l'honneur d'être le président de la délégation canadienne même si mon parti est souverainiste.

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy): Nous sommes très démocrates.

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M. Jean H. Leroux: Tout à fait. Nous avons abordé les sujets dont vous avez parlé aujourd'hui. Je constate que tous les Espagnols que j'ai rencontrés, notamment vous-même, parlent très bien le français et l'anglais, et l'espagnol aussi; c'est ce que j'allais dire. Il serait peut-être intéressant que le gouvernement du Canada nous organise des séances d'étude en espagnol. Je pense qu'il est très important de parler plusieurs langues.

J'aimerais aborder la question de l'entrée des nouveaux membres et, d'une façon bien particulière, parler de la République tchèque et la Slovaquie qui, comme on le sait tous, ont fait partie à un moment donné d'un même pays. On dit que la République tchèque serait admise lors de la première ronde et que la Slovaquie pourrait l'être lors d'une deuxième ronde.

J'aimerais que vous nous commentiez cela et que vous nous expliquiez pourquoi on serait prêt actuellement à accepter une partie de cet ancien pays, qui est nouveau. Ce n'est pas du tout la même chose au Canada. On sait que le Québec fait indirectement partie de l'OTAN actuellement. Donc, ce serait autre chose. J'aimerais que vous nous expliquiez comment il se fait qu'on privilégierait dans un premier temps la République tchèque et qu'on serait porté à attendre un peu pour la Slovaquie.

J'aimerais parler d'un autre point important. Il est important que les pays membres de l'OTAN, présents et à venir, n'aient pas un droit de veto pour empêcher l'adhésion d'autres pays. Je ne nommerai pas de pays, mais on sait que ça pourrait être un problème.

Une autre chose m'inquiète au plus haut point et vous l'avez abordée: c'est le danger de l'isolement de la Russie. Il est important de trouver à la Russie un rôle en cette période où des pays vont entrer dans l'OTAN. J'aimerais avoir vos commentaires sur ces différents points.

M. Solana: Merci beaucoup, monsieur le parlementaire. J'essayerai de répondre aux trois questions.

Premièrement, pour ce qui est des futurs membres, nous avons décidé de prendre la décision finale à ce sujet lors du sommet. Donc, pour moi, il est très difficile de répondre à votre question parce que je n'ai pas la responsabilité du choix des membres. C'est une décision qui sera prise par les présidents des gouvernements à l'occasion du sommet. Je crois que le nombre de pays invités ne sera pas élevé. Je crois qu'il sera limité.

Je ne peux pas répondre à votre question sur la Slovaquie et la République tchèque. Nous devons attendre l'occasion du sommet pour répondre à votre question. Je prends note de votre préoccupation quant à ce problème.

Pour ce qui est du droit de veto, je suis absolument d'accord avec vous. Je crois que les membres futurs de l'OTAN, tout comme les membres actuels, ne devraient pas avoir un droit de veto pour empêcher l'entrée de certains pays. Nous n'avons pas utilisé le droit de veto pour les pays qui sont candidats aujourd'hui. Donc, la réponse à la deuxième question est claire. Je crois vraiment que c'est une condition sine qua non: les pays invités à se joindre à l'OTAN lors de la première vague doivent maintenir le même état d'esprit et la même ouverture dans les relations avec les pays qui ne seront pas invités dans la première vague.

La troisième question est la plus difficile et en même temps la plus facile. Je partage absolument votre position. Je crois que nous partageons tous votre position. Je crois que la structure de sécurité de l'Europe pour l'avenir, pour le prochain siècle, doit prendre en considération l'importance de la Russie. C'est pourquoi nous sommes en train de consacrer tout le temps nécessaire à bâtir ou rétablir des relations particulières et fortes avec nos amis de la fédération russe. Nous ne pouvons pas oublier que la Russie est un pays grand et important, sans lequel la structure de la sécurité en Europe serait impossible.

.1040

Nous sommes donc en train d'établir ces relations particulières et spéciales avec la Russie. Est-ce qu'on va réussir? Je l'espère, mais comme vous le savez bien, pour aboutir, il faut être deux. Comme vous le savez bien, au sein de l'OTAN, nous sommes en train de faire une offre très ouverte, très généreuse pour ce qui est des relations avec la Russie. Je crois qu'on va réussir. Je le crois vraiment. Mais nous devons attendre pour savoir s'il sera possible de trouver ces relations.

M. Jean H. Leroux: J'ai une toute petite question. Prévoyez-vous des mécanismes afin de ne pas les isoler? J'ai assisté à des réunions internationales et je me rends compte que les Russes s'isolent souvent eux-mêmes dans ces réunions-là. Ils ont une espèce de mentalité qui n'est pas facile. Est-ce qu'il y a des mécanismes, genre traité d'acceptation de nouveaux pays qui entreraient ou quelque chose de semblable, qui pourraient leur donner un certain rôle et une certaine dignité? Il est bien important que nous ne manquions pas notre coup.

M. Solana: Je crois que dans la charte, dans le document dont nous sommes en train de discuter et qui, j'espère, sera signé, nous proposons un joint council pour prendre des décisions, conjointes si possible, mais en tout cas pour former le processus de consultation de manière permanente sur les problèmes de sécurité en Europe.

Donc, je crois que la position de l'OTAN est très ouverte. On est très généreux, comme je viens de le dire. Je crois que les autorités russes comprennent bien l'importance de la décision que nous sommes en train de prendre. Pensez un moment à la...

[Inaudible - La rédactrice] ...que nous trouvons autour de la table des pays de l'OTAN et de la Russie. C'était une chose très difficile à imaginer il y a quelques semaines. C'est réellement révolutionnaire, les pas que nous sommes en train de faire.

J'espère que ce sera pour le bien de la Russie, pour le bien de l'OTAN et pour le bien de la sécurité en Europe, mais nous devons attendre un peu pour savoir si on va réussir ou pas.

[Traduction]

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy): Monsieur Martin, du Parti réformiste.

M. Keith Martin (Esquimalt - Juan de Fuca, Réf.): Je vous remercie à nouveau, monsieur le secrétaire général. C'est un rare privilège en effet de pouvoir discuter avec vous deux fois dans la même journée.

Pour revenir à ce dont vous parliez plus tôt ce matin - et je suis parfaitement d'accord avec vous - à propos de l'établissement de liens économiques et sociaux, surtout avec la Russie et les membres actuels de l'OTAN, lorsque je parle à des représentants de la Russie, ils disent qu'une grande partie de l'activité et des promesses de nature économique jusqu'à présent ont plus de valeur sur le papier que dans la réalité.

Je me demande si vous ou les représentants de l'OTAN essayez effectivement de convaincre les pays du G-7 d'intégrer la Russie au G-7 et d'en faire un membre à part entière. Autrement dit, créer un G-8. Est-ce que l'OSCE et l'Union européenne essaient vraiment d'établir des liens économiques et sociaux avec la Russie pour bien lui montrer qu'ils ne représenteront pas une menace militaire et que leur sécurité à chacun est étroitement liée à celle des autres sous forme de sécurité collective?

Je m'intéresse tout particulièrement à la prévention des conflits. Je trouve que depuis trop longtemps on s'occupe de gestion des conflits plutôt que de prévention des conflits. La Bosnie et l'Albanie sont deux exemples européens récents où, si cela n'avait été qu'une question de sécurité et si des initiatives avaient été prises tôt, peut-être qu'une partie du bain de sang aurait pu être évitée et qu'on n'aurait pas semé le germe du mécontentement ethnique.

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Pensez-vous que les institutions financières internationales pourraient être un instrument de prévention des conflits et d'instauration de la paix - grâce à des activités économiques et sociales, en jetant des ponts et en désamorçant les cas de tension qui sautent aux yeux mêmes de l'observateur le plus profane.

M. Solana: Merci beaucoup. Vous avez posé une question très intéressante. Je dirai d'abord que pour moi, aujourd'hui - j'entends par là la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle - le concept de la sécurité a un sens beaucoup plus grand que par le passé. La sécurité ne possède pas qu'une dimension militaire. La sécurité et la stabilité peuvent en effet se bâtir autrement.

Vous avez parlé d'un autre moyen, très important, l'économie. Il est certain que le commerce, par exemple, contribuera beaucoup à la sécurité et à la stabilité de la planète, autant que d'autres moyens.

Les liens entre les pays, grâce au commerce, sont très importants. C'est pourquoi avec la Russie il faut envisager des rapports qui ne soient pas exclusivement militaires - c'est-à-dire non seulement politiques dans le sens de la sécurité, de la sécurité politique ou des aspects politico-militaires - mais aussi économiques.

Je vous rappelle que l'Union européenne a signé avec la Russie l'accord de coopération économique bilatérale le plus complet et le plus détaillé qui soit, qui comprend les échanges commerciaux, et qui est très efficace dans la pratique. Je peux vous donner certains des chiffres dont je me souviens, au risque de me tromper parce que je ne les connais pas tous par coeur. Sauf erreur, en 1996, le commerce entre l'Union européenne et la Russie a augmenté de plus de 16 p. 100 en un an. Par rapport au commerce de la Russie avec les autres pays, vous constaterez que l'augmentation des échanges avec l'Union européenne est la plus importante.

Comme vous, je pense que le commerce est un mécanisme très important - que les liens que l'on peut créer grâce au commerce et à l'économie sont très importants pour la stabilité et la sécurité, surtout lorsque l'on parle de la Russie.

Nos collègues russes disent qu'ils ne veulent pas être isolés ou acculés au pied du mur. Mais enfin, la Russie n'est pas isolée. Elle n'est pas acculée au pied du mur. Elle est en accord très profond avec l'Union européenne. La Russie est membre du Conseil de l'Europe, qui est sans doute l'institution la plus classique, la plus expérimentée d'Europe. La Russie fait partie du G-7 et elle sera sans doute intronisée de façon plus définitive. La Russie a des rapports... non seulement des rapports, c'est même l'un des pays fondateurs de l'OSCE.

Nous voulons bâtir des rapports bilatéraux avec la Russie par l'intermédiaire de l'OTAN. Si vous dressez un tableau des institutions importantes et de leurs relations avec la Russie, il serait difficile de trouver une seule institution qui n'entretient pas ou qui n'a pas noué dans l'année qui vient de s'écouler des rapports bilatéraux avec la Russie, ou dont la Russie ne fait pas partie.

Nous essayons de créer, comme je vous l'ai dit ce matin, de nombreux liens entre différents pays, un nombre si vaste, dans tant de domaines différents, qu'il serait impossible de rompre - de créer un réseau si dense de liens qu'il serait impossible de le rompre et à un conflit d'émerger.

Tel est notre but. C'est ce que nous essayons de bâtir non seulement pour l'année qui vient mais pour le siècle à venir.

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Les esprits les plus éclairés parmi les dirigeants russes comprennent cette démarche. Ils savent que c'est là que réside l'avenir. Ce n'est pas une démarche tournée vers le passé. Au contraire, elle est tournée vers l'avenir.

C'est ce qu'il y a de plus important à faire, non seulement pour nous, la génération des dirigeants d'aujourd'hui, mais surtout pour la prochaine génération de citoyens de la région euro-atlantique.

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy): Monsieur Richardson.

M. John Richardson (Perth - Wellington - Waterloo, Lib.): Merci, monsieur le président.

Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, monsieur le secrétaire général. C'est un plaisir de vous recevoir parmi nous.

Les événements des trois dernières années ont été remarquables. Pour le bénéfice de ceux qui sont autour de la table, pourriez-vous nous dire quels sont les principaux facteurs à l'étude qui ont permis à l'OTAN de tirer les conclusions qui ont abouti à son plan d'action destiné à intégrer de nouveaux membres? Pourriez-vous nous les communiquer parce que tous ne sont pas au courant des facteurs qui ont servi à la sélection, comme les élections démocratiques, qui vous ont aidés à décider qui allaient être les nouveaux membres. Pourriez-vous revenir là-dessus?

M. Solana: Vous parlez du mécanisme.

Comme vous vous en souviendrez, en 1995 et 1996, nous avons eu des entretiens avec les pays qui se sont dit désireux de devenir membres de l'OTAN. Les éléments que nous avons examinés, la façon de leur venir en aide... C'est une question à trois différents niveaux.

Premièrement, il y a la situation démocratique interne de ces pays. Il faudra profiter de l'ouverture de ces importantes institutions, l'Union européenne et l'OTAN, pour les forcer à faire un effort de démocratisation.

Il y a une autre chose très importante dans mon esprit. Cela concerne les relations avec les pays voisins. On sait que cette partie de l'Europe a connu des tensions à propos de problèmes de frontières. Nous voudrions que ces problèmes soient réglés avant de les inviter à se joindre à l'Alliance.

Je tiens à préciser que cela a très bien marché. Comme vous le savez, plusieurs de ces pays ont, au cours des 12 à 15 derniers mois, pu signer des ententes bilatérales qui ont réglé des problèmes d'ordre historique. Pensez à la Roumanie et à la Hongrie, à la Roumanie et à l'Ukraine - il y en a tant. C'est un autre aspect très important.

Le troisième aspect est d'ordre militaire. Il faut assurément que leurs forces armées soient placées sous l'autorité des civils. C'est absolument essentiel. Il faut aussi un certain degré d'interopérabilité entre leurs armées et celles de l'OTAN. Cela a été réalisé avec beaucoup d'efficacité au cours des 18 derniers mois. En particulier, le fait qu'elles sont en Bosnie a eu des conséquences très importantes pour l'interopérabilité des différentes armées. C'est très important. J'insiste ici sur le fait que l'autorité civile sur les forces armées est la condition sine qua non de leur adhésion à l'Alliance. Voilà essentiellement les critères.

J'aimerais dire un mot au sujet des coûts. Nous croyons que dans la situation actuelle, l'ouverture de l'OTAN peut se faire dans la détente. Il faut donc éviter d'exercer des pressions économiques trop fortes sur ces pays. Ils connaissent des difficultés financières et nous pensons qu'ils doivent les résoudre pour assurer leur stabilité et celle de la région. Nous ne voulons donc pas obérer excessivement leurs économies à l'occasion de l'élargissement de l'OTAN.

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Étant donné les circonstances de sécurité actuelles, je crois que nous pouvons commencer à les inviter tout doucement à faire partie du groupe. Il faut avancer tout doucement pour éviter de mettre trop de pression économique sur les membres actuels de l'OTAN ou sur les nouveaux membres de l'OTAN.

M. John Richardson: Merci beaucoup de votre réponse. Puis-je continuer dans la même veine?

Nous avons vu comment l'Allemagne de l'Ouest a absorbé l'Allemagne de l'Est. C'est peut-être à cause de cela que vous préférez vous y prendre en douceur. Mais il y a aussi d'autres considérations. L'année passée, nous avons reçu le Comité de la défense de la France, et celui de l'Allemagne également. Ces rencontres ont permis des discussions très intéressantes. La question de la Slovénie a été soulevée comme considération stratégique, hors des contextes économiques et militaires. Les Italiens s'intéressaient tout particulièrement à l'aspect stratégique.

Est-ce que la position stratégique de la Slovénie joue un rôle dans tout cela? Est-ce qu'elle doit être considérée dans le processus? Personnellement, je n'ai aucune information personnelle de première main sur sa capacité de fonctionner comme démocratie. La Slovénie a de bonnes relations avec les pays avoisinants, surtout avec l'Italie et l'Autriche, mais c'est à peu près tout ce que je sais. Sur le plan stratégique, il serait probablement avantageux d'avoir cet accès vers le sud et vers d'autres régions - en tout cas du point de vue militaire, si ce n'est du point de vue des communautés des nations. Il faut penser à cela.

De plus, si difficile que ce soit, il faut aussi considérer la différence entre la Slovaquie et la République tchèque. La frontière agitée que partagent les Slovaques avec la Russie leur est peut-être un peu défavorable, et il y a aussi d'autres problèmes à prendre en considération. Il y a matière à spéculer pour les observateurs de l'extérieur que nous sommes.

Je suivais tout cela avec beaucoup d'attention quand j'étais jeune soldat. En 1955, j'y étais comme soldat des forces armées canadiennes; à l'époque, j'étais très fier de faire partie des forces armées canadiennes et de l'Armée britannique du Rhin. Les choses ont beaucoup évolué. L'interopérabilité est là - nos pièces, nos chiffres, et nos codes. Nos marines et nos forces aériennes travaillent ensemble sur les mêmes procédures. Tout a tellement progressé. Une atmosphère de coopération et de confiance s'est instaurée.

Voilà ce que je voulais vous dire. Je n'avais que cette petite préoccupation au sujet de la Slovénie: est-ce qu'elle est comprise dans votre évaluation? L'autre question porterait sur l'aspect stratégique de son emplacement géographique.

M. Solana: L'aspect stratégique est bien sûr pris en considération. Il sera pris en considération par ceux qui ont la responsabilité, en fin de compte, de choisir les pays membres.

Je ferai un petit commentaire sur la Slovénie: C'est un très petit pays, à peu près de la même grandeur qu'Israël, si je ne m'abuse, avec une population d'à peu près deux millions d'habitants. C'est un très beau pays. J'ai eu quelques fois l'occasion de visiter Ljubljana. Comme vous pouvez vous l'imaginer, la Slovénie a une très petite armée, surtout constituée de brigades de montagnes. La Slovénie a fait des efforts très importants sur le plan économique et sur le plan politique. Elle permettra l'accès vers la Hongrie, donc une continuité territoriale. En tant que voisins de la Hongrie, il se peut que le seul lien physique avec les pays de l'OTAN soit par le biais de la Slovénie ou de la Slovaquie.

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Aujourd'hui, la Slovénie est un pays important. Jadis, Ljubljana faisait partie d'une des plus importantes lignes de communications en Europe, passant de Moscou jusqu'à Gênes, presque jusqu'à la Méditerranée.

Je m'arrête là, parce que mon opinion n'est pas très importante en ce moment. Je voulais seulement vous donner un aperçu objectif de la Slovénie, que j'ai visitée récemment.

M. John Richardson: J'ai soulevé la question seulement parce qu'elle a été soulevée pendant les discussions portant sur les deux autres pays aussi.

[Français]

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy): Merci beaucoup.

[Traduction]

Malheureusement, il ne nous reste plus de temps. C'est passé tellement vite, et nous voulions passer beaucoup plus de temps avec vous, monsieur le secrétaire général.

Comme vous le voyez, l'élargissement nous préoccupe. Quelques-uns d'entre nous ont visité la Russie il y a quelques mois. Une chose qui nous a frappés dans nos discussions avec toutes sortes de personnes - non seulement les membres du gouvernement - a été l'émotion que suscitait la question. Les émotions sont toujours quelque chose de très difficile à saisir pour les diplomates - pas pour ceux qui sont en politique, mais pour les diplomates. Mais cette grande émotion négative que nous avons pu percevoir nous a beaucoup inquiétés. Bien sûr, c'est le gouvernement russe qui y sera confronté, mais nous allons surveiller la situation de près.

Je vous remercie encore une fois de votre présence aujourd'hui.

M. Solana: Au contraire, c'est à moi de vous remercier de m'avoir invité.

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy): J'espère que nous aurons l'occasion de vous revoir à Bruxelles, et peut-être de vous inviter une fois encore.

M. Solana: Merci beaucoup.

Le coprésident suppléant (M. Michel Dupuy): La séance est levée.

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