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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 24 octobre 1996

.0923

[Français]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

Nous allons débuter bien que certains députés et témoins manquent à l'appel. On m'a assuré qu'ils arriveraient sans tarder.

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Michel Allard et les professeurs Paul Painchaud et Branko Ladanyi. Je suggère qu'on commence par M. Allard.

M. Michel Allard (directeur, Centre d'études nordiques, Université Laval): C'est comme vous le voudrez, monsieur le président.

Le président: Nous demandons habituellement aux témoins de parler à peu près 10 minutes et ensuite nous accordons autant de temps que possible pour la période des questions pour nous permettre d'approfondir les choses.

Avant de vous céder la parole, monsieur Allard, j'aimerais souligner qu'hier, j'apprenais qu'on a approuvé le voyage en Russie. Je remercie tous les membres de l'appui qu'ils m'ont donné. Croyez-moi, ce fut toute une expérience de faire approuver quelque chose qui semblait au départ si simple. En tout cas, merci beaucoup à tout le monde.

Monsieur Allard, vous avez la parole.

M. Allard: Merci, monsieur le président. Pour cette occasion, j'ai rédigé un bref mémoire que la greffière, Mme Hilchie, vous a probablement distribué. Je vais le suivre d'assez près sans toutefois le lire mot à mot puisque vous l'avez sous les yeux. Je dégagerai tout de même l'essentiel des idées.

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Mon mémoire découle d'un point de vue particulier, qui est l'importance de la recherche scientifique et de la formation dans le Nord canadien. Mais puisque ce comité est un comité qui s'intéresse aux affaires extérieures et au commerce international et que mes recommandations sont principalement applicables à l'intérieur du Canada, je ferai tout de même les liens et soulignerai qu'il est très important qu'on maintienne une force, une puissance de recherche à l'intérieur du Canada si on veut continuer d'assurer un leadership et même déborder sur le marché international dans les domaines scientifique et commercial.

Mon mémoire s'intitule: «La recherche scientifique et la formation des personnes: principale force canadienne face à l'extérieur».

En ce moment où notre gouvernement mène cette enquête approfondie sur les possibilités accrues pour le Canada d'exercer son leadership dans les affaires circumpolaires, une multitude de sujets importants soulèvent simultanément l'intérêt et demandent considération.

Dans l'énoncé du mandat de ce comité défile une longue liste de choses, dont l'environnement, la santé et une foule d'autres sujets. Lorsque je l'ai lu, il m'est apparu assez touffu et j'ai eu de la difficulté à en dégager une ligne directrice. C'est ainsi que j'ai décidé de prendre la mienne.

Le président: Pour le moment vous êtes maître. On verra par la suite.

M. Allard: D'accord.

Menée par les ministères et par les universitaires, la recherche scientifique canadienne dans le Nord a produit, surtout de 1950 à 1989, c'est-à-dire durant la guerre froide, des résultats spectaculaires avec des investissements qui étaient vraiment inférieurs à ceux qui étaient effectués par les grandes puissances. La situation politique actuelle chez nous, dans notre Nord, est en train de changer, notamment par la prise de contrôle croissante de tous les éléments de la vie courante et des pouvoirs politique et économique par les populations autochtones. Elle nous impose des changements dans notre façon de faire. Ce pouvoir croissant de nos concitoyens du Nord nous incite aussi à nous ouvrir vers l'extérieur et à développer le commerce et les relations culturelles, en grande partie parce que nos populations du Nord ont, à l'origine de leur culture, à la fois des origines ethniques et des facteurs d'environnement qui sont communs avec les autres populations du monde circumpolaire.

À mon avis, aucune politique extérieure nordique ou circumpolaire pour le Canada n'atteindra un succès tangible si elle ne repose pas sur une continuité de la recherche canadienne dans le Nord. Mais cette recherche doit dorénavant offrir aussi des débouchés et des occasions de développement: développement en formation, développement en éducation, développement économique et occasions d'affaires pour nos populations nordiques.

Cette double optique, visant à continuer notre recherche et à favoriser les populations nordiques, nous impose donc à la fois d'appuyer la recherche, de continuer notre appui à la recherche et à la formation dans le Nord pour conserver la place importante du Canada et de renouveler nos façons de faire pour nous adapter à ces réalités internes nouvelles.

C'est avec ce double point de vue à l'esprit que je vais vous faire ce matin deux propositions simples et claires.

La première proposition que je vous soumets est de créer un nouveau programme canadien de partenariat en recherche nordique.

Partout au monde, non pas seulement dans le domaine nordique, le contexte de la réalisation de travaux de recherche scientifique est en mutation. De bon droit, les populations et leurs dirigeants politiques exigent de plus en plus de recevoir des bénéfices éducationnels, sociaux et économiques de la recherche. Les gens de notre Nord ne font pas exception. Leurs revendications se situent dans le courant normal des populations qui demandent maintenant à ce que la recherche et la formation leur rapportent des bénéfices plus immédiats.

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En même temps, nous connaissons au Canada une diminution des ressources pour la recherche, tant en termes de financement qu'en termes de moyens logistiques. C'est une préoccupation croissante qui est partagée par tous les gens concernés.

Dans tous les domaines de recherche, on établit maintenant des partenariats entre les groupes intéressés et les chercheurs; c'est en train de devenir la façon de faire. Cela fait maintenant partie des critères de nombreux programmes de subvention des organismes scientifiques.

Il est probablement temps d'adapter la recherche nordique canadienne à ce contexte en évolution, à ce contexte nouveau, devrais-je dire. En fait, il est peut-être opportun que les chercheurs eux-mêmes, comme je le fais ce matin, vous proposent de nouvelles initiatives en mettant en valeur leur expertise de projets scientifiques réalisés à de coûts bas, mais quand même porteurs de retombées.

Dans les circonstances présentes de changement politique et de restrictions financières, les gouvernements et les milieux universitaires doivent coopérer pour créer une nouvelle dynamique en lançant un programme original d'appui à la recherche nordique canadienne.

Par exemple, avec un modeste budget, disons un million de dollars par année, il serait possible de mettre en opération une dizaine de projets dès la première année. Le modèle qui pourrait être retenu est celui de programmes qui ont déjà existé, comme Eco-recherche. Mes collègues qui viennent d'arriver et que vous entendrez plus tard ce matin participent au programme Eco-recherche et aux Programmes de partenariat du CRSNG. En suivant ces modèles qui existent déjà, nous pourrions assurer la meilleure qualité scientifique possible ainsi que la validité des partenariats dans ces projets.

Nous pourrions avoir un programme qui serait administré par des ministères et agences fédérales, tels le ministère des Affaires indiennes et du Nord et les trois conseils subventionnaires. Un projet de recherche de l'ordre de 100 000 $ par année pour trois ans est à peu près la norme.

Il faudrait favoriser la recherche multidisciplinaire tout en maintenant la compétition ouverte à toutes les disciplines.

Les projets seraient obligatoirement proposés par des équipes composées de chercheurs universitaires, de scientifiques des ministères et du secteur privé, et nécessairement de membres des communautés nordiques appelés à jouer un rôle important dans la réalisation des projets.

Les projets de recherche scientifique impliquant une collaboration internationale, par exemple des États-unis, de la Russie ou de l'Union économique européenne, pourraient aussi être acceptables, à condition que les pays partenaires contribuent au programme.

Parmi les critères de sélection les plus importants on pourrait retrouver: la contribution financière et en nature de tous les partenaires, y compris les groupes du Nord; la qualité de la formation technique et scientifique qui serait offerte à de jeunes habitants du Nord et à des étudiants diplômés du Sud; la qualité des liens multidisciplinaires à l'intérieur de la programmation scientifique de chaque projet; la qualité de la collaboration proposée entre les communautés nordiques, les institutions d'enseignement et de recherche du Nord et les universités du Sud; les impacts et les retombées potentiels pour les groupes sociaux nordiques; les retombées prévisibles pour l'économie canadienne; les impacts scientifiques qu'on attend d'un projet; et les impacts probables sur le positionnement du Canada au niveau circumpolaire et international.

Je concède que les critères relatifs à la sélection d'un projet de recherche sont nombreux. Depuis quelques années, nous nous sommes efforcés de répondre à tous ces critères chaque fois que nous présentions une proposition, et c'est devenu la norme.

Des programmes de ce genre, comme Eco-recherche, ont existé et continuent d'exister. Ils en sont maintenant à leur phase finale. Ces programmes étaient orientés vers la recherche environnementale ou vers des développements technologiques très ciblés. Je parle par exemple de l'industrie pharmaceutique, de technologies de récupération de type Sanivan et non pas de technologies de l'environnement au niveau de la recherche fondamentale.

La spécificité du Nord n'était pas du tout comprise dans ces programmes. La présence du Nord confère à notre pays un puissant trait de caractère qui lui est propre. Cela, en soi, justifie amplement qu'on lui accorde une priorité en ces temps de réorganisation socioéconomique et politique dans le pays. Puisque nous pourrions prévoir deux cycles de trois ans, nous aurions probablement le temps de faire en sorte qu'à peu près tout le Nord géographique et la majorité des universités canadiennes aient la chance de participer.

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Je passe maintenant à ma deuxième proposition, qui porte sur le renforcement et l'expansion des programmes actuels d'appui à la logistique et à la formation dans le Nord canadien.

Je traiterai ici de deux programmes qui existent déjà et qui sont fondamentaux, soit l'Étude du plateau continental polaire (EPCP), que nous appelons couramment, même en français Polar Shelf, et le programme de formation scientifique dans le Nord (PFSN) du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

L'EPCP dispense un appui logistique que connaissent la plupart des membres de ce comité puisqu'ils en ont visité les deux bases. Cet organisme fournit du soutien matériel et des communications à partir de ces deux bases.

À notre avis, ces excellents services ne sont toutefois offerts qu'à une fraction de chercheurs canadiens qui travaillent dans les îles arctiques et près de la mer de Beaufort, c'est-à-dire principalement dans le secteur des deux bases, laissant ainsi sans services logistiques organisés une très vaste portion du Nord canadien. Les services rendus par ce programme sont reconnus mondialement pour leur excellence et leur efficacité.

Existant depuis les années 1950, l'EPCP ou Polar Shelf demeure à l'origine même de la haute réputation scientifique canadienne en études nordiques et arctiques. Le modèle qu'elle constitue fait vraiment l'envie d'organismes de recherche de tous les pays circumpolaires. On peut se rendre en ex-Union Soviétique, aux États-Unis, en Alaska, en Chine ou dans les pays scandinaves: nulle part on ne retrouvera un programme qui fonctionne aussi bien, qui fournit une logistique aussi intégrée à sa recherche nationale que l'Étude du plateau continental polaire.

Le programme de formation scientifique dans le Nord appuie pour sa part sur une base individuelle les étudiants universitaires canadiens qui vont au Nord effectuer des travaux de recherche, essentiellement en vue de réaliser des maîtrises et des doctorats. C'est un programme d'appoint qui ne paie qu'une partie des dépenses, et la subvention moyenne par étudiant s'élève cette année à 2 555 $. Votre comité est allé dans le Nord et je me demande si vous avez vu les prix de vos billets d'avion. La somme accordée est assez limitée. La reste des coûts inhérents aux travaux de terrain des étudiants...

Le président: [Inaudible - Éditeur] ...les nuages. Pas seulement intellectuel, mais...

M. Allard: C'est une autre réalité du Nord. Mais vous y êtes allés en été.

Le président: Professeur Allard, puisque nous entendons aujourd'hui cinq témoins, puis-je vous demander de tracer les grandes lignes et de laisser vos collègues nous fournir les autres détails?

M. Allard: J'ai presque fini de toute façon.

Je termine en formulant deux recommandations.

Je recommande qu'on rehausse le budget de l'Étude du plateau continental polaire, qu'on devait réduire de 47 p. 100 au cours des trois exercices financiers de 1995 à 1998 et, c'est là un nouvel élément, qu'on élargisse son mandat pour qu'elle puisse appuyer, en concertation avec des partenaires, des recherches ailleurs que sur les îles arctiques et près de la mer de Beaufort.

Il existe en effet ailleurs au Canada, notamment au Québec nordique, des bases de recherche qui sauraient efficacement mettre à profit un partenariat avec l'Étude du plateau continental polaire. Le Nord canadien serait ainsi mieux couvert géographiquement au profit de tous les chercheurs et des communautés nordiques et pas seulement d'une partie d'entre eux, comme c'est le cas actuellement.

Je propose aussi d'augmenter le budget du programme de formation scientifique dans le Nord à son niveau de 1985, qui était d'environ 825 000 $.

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Les investissements en cause dans ce bref mémoire peuvent être estimés au total à environ deux millions de dollars. Ce montant ne représente qu'une petite fraction des investissements que devra consentir le Canada pour assumer les coûts de développement des affaires extérieures circumpolaires. Ce n'est aussi qu'une somme modeste en comparaison avec les sommes qui seront vraisemblablement accordées en assistance aux pays circumpolaires en difficultés économiques. Pourtant, ce faible montant assurerait une fondation solide à la capacité canadienne d'intervention au niveau circumpolaire.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Allard. Comme nous avons eu la chance de visiter plusieurs centres de recherche lors de notre voyage, je suis certain que tous les membres du comité sont tout à fait d'accord avec vous sur la nécessité d'investissements dans la recherche.

Je souhaite la bienvenue aux professeurs Duhaime et Grondin qui viennent de se joindre à nous. Comme je l'ai signalé aux autres témoins, habituellement, nous demandons aux témoins de parler pendant à peu près dix minutes en guise d'introduction et de laisser le temps qui reste aux membres du comité pour poser des questions.

Je passerai la parole tout d'abord au professeur Painchaud, puis ensuite au professeur Ladanyi.

M. Paul Painchaud (professeur à l'Université Laval): J'ai mis ma montre, monsieur le président, au cas où vous seriez incapable de m'arrêter. J'essaierai de m'arrêter moi-même.

Je vais tout d'abord faire une première remarque et dire que ce comité est une honte pour le Canada. Ah! Pourquoi? Parce qu'il ne devrait pas exister. Parce que le Canada devrait avoir depuis tellement longtemps une politique étrangère concernant le monde circumpolaire qu'il ne devrait pas être nécessaire, en 1996, de faire les voyages que vous faites et de convoquer les députés et des experts pour vous parler de l'Arctique. Cela devrait être acquis depuis longtemps. C'est en ce sens que je dis que ce comité est une honte pour un pays arctique comme le Canada.

Le président: Professeur Painchaud, j'accepte les critiques en ce qui a trait au passé, mais j'espère qu'il y aura quelques louanges pour nous, au moins pour ce que nous avons entrepris.

M. Painchaud: On ne peut, monsieur le président, bâtir l'avenir sans connaître les raisons pour lesquelles on a eu tort dans le passé.

Le président: D'accord.

M. Painchaud: Autrement, vous risquez de produire un autre rapport qui va aller sur les tablettes, comme d'autres dans le passé.

Ce n'est pas la première fois qu'on propose au gouvernement fédéral d'énoncer une politique étrangère circumpolaire. Je préfère d'ailleurs cette expression à «politique étrangère arctique».

À un autre comité, celui-là réunissant des sénateurs et des députés, à l'époque du Parti conservateur, dans les années 1980, la même recommandation avait été faite, et même le gouvernement avait accepté d'inscrire le Nord comme un élément de politique étrangère à la suite du rapport qui avait été présenté par ce comité. Rien n'a été fait.

Je me souviens d'une époque où on allait au ministère des Affaires extérieures, comme on l'appelait à ce moment-là, et où on cherchait l'endroit, au ministère des Affaires étrangères, où on s'occupait de l'Arctique. Vous cherchiez longtemps et, tout à coup, on vous dénichait un sous-fifre quelque part qui travaillait dans la sous-direction du Danemark ou je ne sais trop quoi et qui vous disait: «Oui, à l'occasion, on s'intéresse aux problèmes circumpolaires.»

Depuis quelques temps, on a posé quelques gestes. On a nommé un ambassadeur ou une ambassadrice pour les affaires circumpolaires. C'est un premier pas, mais c'est nettement insuffisant. Il faudrait que, dans la structure du ministère des Affaires étrangères, il y ait des experts, des gens qui travaillent sur les questions circumpolaires, comme il y en a qui se spécialisent plus ou moins sur la Chine, sur l'Amérique latine, etc.

Ce n'est pas la vocation du ministère des Affaires étrangères que de développer des spécialités trop poussées. Néanmoins, si vous faites le tour du ministère des Affaires étrangères, vous trouverez un spécialiste très compétent de la Chine dans une ambassade comme Kinshasa, par exemple. Il arrive au ministère des Affaires étrangères d'utiliser ses ressources de cette façon-là.

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Il n'y a pas de spécialistes de l'Arctique ou du monde circumpolaire au ministère des Affaires étrangères. C'est la première chose à dire. Si vous me le permettez, je reviendrai plus tard avec des suggestions plus positives, comme vous le souhaitez avec raison. Pourquoi en est-on arrivé là? Pourquoi ce pays qui est une grande puissance arctique n'a-t-il pas une politique étrangère circumpolaire?

Je ne vous ferai pas un séminaire sur la politique étrangère du Canada. Je voudrais tout simplement dire que l'une des démarches de la politique étrangère du Canada se caractérise par l'absence de pensée géopolitique. Nous n'avons que rarement été capables de traduire nos intérêts internationaux dans une perspective géopolitique.

Nous l'avons fait dans le cadre de ce que nous avons appelé traditionnellement le triangle nord-atlantique, mais après cela, il n'y a plus eu d'autres démarches intellectuelles dans la pensée du Canada en matière de politique étrangère qui se référaient à des contextes géopolitiques.

Nous sommes excellents pour faire de la morale, pour nous intéresser aux causes perdues, pour distribuer notre influence à travers tout le système international. Cela était indispensable, et je le reconnais. Mais il manque à la pensée canadienne une structure géopolitique, qui aurait pu d'ailleurs influencer également nos politiques en matière de défense. Notre politique de défense est navrante de ce point de vue.

Quand on dit géopolitique, qu'est-ce qu'on signifie par là? On veut dire que la politique étrangère ou la politique internationale du pays sera inspirée, entre autres, par des facteurs géographiques. Le Canada, jusqu'à tout récemment, n'appartenait qu'à une seule région dans le monde: la région arctique. C'est la seule région à laquelle le Canada appartient.

Je dis jusqu'à tout récemment, parce que depuis que nous avons découvert l'Amérique latine, depuis l'ALENA, la diplomatie canadienne commence à prendre une allure verticale au lieu d'être horizontale, comme elle l'a été jusqu'à tout récemment. On peut dire que nous appartenons maintenant à la région de l'Amérique du Nord. Peut-être appartenons-nous à la région des Amériques, mais c'est à voir. Cela ne me paraît pas encore très clair.

Il y a au moins une région dans laquelle nous sommes présents et qui est une région importante par notre géographie, qui l'était dans le contexte de la guerre froide pour des raisons stratégiques et qui le demeure pour toutes sortes d'autres raisons, et c'est l'Arctique.

Je n'insisterai pas davantage là-dessus, mais il est bien évident que c'est notre façon de penser qui doit être modifiée. Ce comité devrait y contribuer. Moins de morale, monsieur le président, moins de bla-bla-bla et plus de réalité géopolitique. Si l'Arctique est vu dans une perspective géopolitique, cela signifie qu'on ne s'intéressera pas à l'Arctique simplement parce qu'il y a des problèmes environnementaux, parce qu'il y a des populations autochtones, parce qu'il y a un potentiel économique, etc., mais essentiellement parce que l'Arctique ou le monde circumpolaire est la région importante pour le Canada.

Le futurologue Kahn avait l'habitude de dire que le Canada était une puissance régionale sans région. Que voulait-il dire par cela? Une puissance régionale, dans son jargon, signifiait une puissance moyenne, une puissance sans région. Mais ce n'est pas vrai. Nous avons une région.

Si nous faisons le choix géopolitique de mettre l'Arctique dans une position centrale, je ne dis pas la seule, mais dans une position centrale, dans notre façon de penser notre politique étrangère, cela signifiera que nous mettrons ensemble tout une série de problèmes que nous traitons séparément, à commencer par la gestion de nos relations avec tous les pays du monde circumpolaire.

Je suis très étonné de constater, quand on fait l'analyse de la politique étrangère du Canada, que des pays comme les pays scandinaves, qui étaient ce qu'on appelait autrefois des like-minded countries, n'ont pas porté beaucoup d'attention à notre politique étrangère, alors que nous avons des affinités et des similitudes considérables avec ces pays.

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Je vais m'arrêter là parce que je crois avoir épuisé mes dix minutes. J'aurais d'autres choses à vous dire et des propositions à vous faire. Je vous les dirai plus loin, si vous voulez bien me poser des questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le professeur Painchaud. Je suis certain qu'on vous posera des questions sur la façon dont nous allons réussir à mettre l'Arctique à sa place propre, là où il devrait être dans la politique canadienne. Je crois que les membres de ce comité ont choisi de faire cette étude précisément parce que nous sommes de votre avis. Mais nous avons beaucoup à apprendre afin de réaliser cela.

M. Bergeron (Verchères): M. Painchaud avait-il bel et bien épuisé ses dix minutes? Je serais passablement intéressé à entendre les propositions qu'il a à formuler au comité.

Le président: Je suis certain qu'on va lui poser des questions. Si je comprends bien, monsieur Bergeron, vous avez un lien particulier avec le professeur Painchaud. Il est votre ancien professeur. C'est maintenant votre tour de lui poser des questions.

[Traduction]

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Jusqu'ici, il a réussi.

Des voix: Oh, oh!

M. Assadourian: Nous ne le savons pas... nous verrons dans deux ou trois ans.

[Français]

Le président: Le comité a honte, monsieur le professeur, mais les membres du comité n'ont pas honte, j'espère.

Professeur Ladanyi.

M. Branko Ladanyi (professeur émérite, École polytechnique de l'Université de Montréal): C'est dommage d'interrompre ces deux discours, d'abord parce que je n'ai pas préparé de grandes notes et ensuite parce que je ne suis pas un aussi bon orateur que le professeur Painchaud. Je suis un simple ingénieur civil et j'enseigne les problèmes nordiques depuis 30 ans.

Je voudrais commencer par dire quelques mots sur l'historique. C'est très court, mais comment peut-on comprendre quelle est notre impression de la politique canadienne en ce qui a trait au soutien de la recherche nordique, surtout dans le domaine de l'ingénierie nordique?

Je suis un ingénieur civil spécialisé en géotechnique, surtout en ce qui a trait aux problèmes de pergélisol. J'ai enseigné un cours en ingénierie nordique à l'École polytechnique à partir de 1967. À un certain moment, à cause des coupures budgétaires, ce type de cours a disparu de la plupart des universités. Je trouve que c'est dommage que cela n'existe plus parce qu'on a quand même formé des ingénieurs et des spécialistes des problèmes de la construction nordique. Donc, il n'y a pas une action spéciale qui permettrait aux universités de continuer de donner ce type de cours. La seule façon est de donner des cours spécialisés à l'extérieur de l'université. Cette disparition est survenue il y a peut-être cinq ans.

Au début des années 1970, on a formé, à l'École polytechnique, un centre qui s'appelait le Centre d'ingénierie nordique, qui a un soutien continu depuis une dizaine d'années et qui joue un rôle extrêmement important, parce que c'est le seul centre dans l'Est du pays qui s'occupe de la documentation en ce qui a trait à l'ingénierie nordique. On y trouve une grande collection de manuels et de livres en russe ainsi qu'un bon nombre de documents concernant les contacts internationaux, etc.

À cause de la perte de soutien pour tout ce qu'on appelle l'infrastructure du centre, comme en général au Québec et dans le reste du pays, on a dû arrêter la plupart des activités de ce centre. Tout ce qui reste est le centre de documentation. Une personne s'en occupe. C'est moi-même, qui suis, depuis trois ans, à la retraite et professeur émérite.

Donc, les choses diminuent d'une façon continue. Je suis très heureux que le Centre d'études nordiques de l'Université Laval existe encore et j'espère qu'il va continuer à exister. C'est un centre extrêmement actif et je suis très heureux d'être l'un de ses membres.

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Une autre chose a disparu et je trouve cela vraiment dommage. Il s'agit de la plupart des recherches ayant trait à la construction dans le Nord, qui étaient concentrées au Conseil national de recherches, à Ottawa. Ce groupe n'existe plus. Ils font un peu de recherche dans ce domaine, sur des choses qui sont instantanément applicable à l'industrie, mais il n'y a pas eu de recherche nordique au Conseil national de recherches.

Une partie de ce travail, mais pas la partie ingénierie, a été reprise par la Commission géologique du Canada, d'ailleurs avec beaucoup de succès, sauf que les personnalités les plus importantes dans ce domaine sont toutes à la retraite. Trois personnes, Alan Heginbottom, Al Taylor et Allan Judge continuent à travailler malgré le fait qu'ils sont à la retraite. Il n'y a pas de remplacement et on se demande ce qui va se passer lorsque ces gens décideront vraiment de s'éloigner de leurs anciennes tâches.

Deuxièmement, on parle de l'Accord de coopération internationale. Quels sont les faits là-dessus? Il y a la coopération internationale interuniversitaire. Par exemple, on rencontre une personne, on publie, on se rencontre à certains congrès et on décide de coopérer. Personnellement, j'ai toujours eu une coopération avec la Russie, la Norvège, l'Alaska et les universités.

Je peux dire que la coopération de ce type, qui d'ailleurs existe depuis des années, n'est pas vraiment appuyée par un fonds particulier. Elle est malheureusement financée par nos maigres fonds de recherche. Je ne trouve pas du tout normal que la coopération réelle, pas celle sur papier, ne soit pas appuyée directement par le gouvernement. Nous n'avons que de petits fonds de recherche qui, d'ailleurs, disparaissent lentement.

Il y a une coopération internationale qui existe au niveau gouvernemental. Franchement, je ne suis pas au courant de tout ce qui se passe. Cela vient du fait que je ne reçois rien du gouvernement canadien qui me permettrait de juger si cela existe ou n'existe pas, si c'est bon ou pas bon.

Par contre, je suis extrêmement bien au courant de tout ce qui se passe aux États-Unis parce que je reçois régulièrement des nouvelles, deux fois par an, sur la recherche arctique aux États-Unis du Interagency Arctic Research Policy Committee, qui nous dit en détail qui fait quoi aux États-Unis. Ici, il y a un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix ou douze ministères qui s'occupent des politiques arctiques.

La plupart de l'aide aux États-Unis provient de la National Science Foundation, du Department of Agriculture, du Department of Commerce, du Department of Defense, du Department of Energy, du Department of Health and Human Resources, du Department of the Interior, du Department of the Secretary of State, du Department of Transportation et de l'Environmental Protection Agency.

J'ai ici le budget de 1995 et 1996. Tous ces ministères, ensemble, y consacrent 170 millions de dollars par an.

Le président: Monsieur Ladanyi, excusez-moi de vous interrompre, mais puis-je vous poser une question? Qui publie le document auquel vous faites allusion? Est-ce l'un de ces départements ou une agence?

M. Ladanyi: C'est l'Interagency Arctic Research Policy Committee. Ma proposition est que le Canada fasse quelque chose de semblable, qu'il nous renseigne.

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Je ne suis pas au courant. Je suis témoin de quelque chose dont je n'ai pas été mis au courant. Je ne peux même pas critiquer parce que je ne sais pas. Je critique peut-être quelque chose dont je ne suis pas au courant. Ce n'est pas normal. Je devrais avoir un document qui me dise ce que le Canada fait. Je n'ai aucune idée de ce que le Canada fait. Je sais très bien ce que les États-Unis font. Je sais même très bien ce que font les pays scandinaves, mais pas le Canada.

En d'autres termes, il nous faut quelque chose de ce genre pour nous renseigner sur l'action du Canada. Il faut regrouper les efforts qui sont faits, d'une façon très simple, et voir ce que fait chacun des ministères. Peut-être que finalement, si on se met tout ensemble, on verra que ce que fait le Canada est impressionnant. Je ne suis pas au courant. Donc, il faut faire un effort pour que ce soit présenté adéquatement.

Dans mon domaine, qui est la recherche sur le pergélisol, permafrost engineering research, le Canada participe à plusieurs groupes de travail. C'est un projet dans lequel le Canada est vraiment très actif. Par exemple, il y a 17 pays qui participent à une global cryological data base. Il y a 40 répondants qui participent à une étude sur le global change in permafrost.

Donc, il se fait un effort international auquel le Canada participe très activement, surtout par l'intermédiaire des services géologiques canadiens. Il y a l'International Tundra Experiment et le Circumpolar Active Layer Monitoring Program, qui doit produire un CD-ROM dans ce domaine. Tout ceci pour vous dire qu'il faut savoir de quel Nord on parle. Il y a plusieurs aspects: les aspects humains, environnementaux, etc.

Il n'y a pas moyen de parler de l'environnement sans connaître l'environnement. Pour connaître l'environnement, il faut faire l'effort d'aller sur place et de produire des documents expliquant ce qu'il y a, comment tout cela a affecté l'environnement par le réchauffement global, quel a été l'effet sur la végétation, sur les communautés, sur l'hydrologie, etc.

Cela se fait actuellement. On produit actuellement des cartes géographiques. Par exemple, il y a la Circumpolar Arctic Vegetation Map. Il y a aussi la Permafrost and Ground Ice Map of the Northern Hemisphere. Tout ceci se produit en coopération avec la Commission géologique, et quelques-unes de ces personnes sont déjà à la retraite. Heureusement, elles continuent encore à travailler.

Je considère qu'il est très important en ce moment de se rendre compte que l'environnement que l'on connaît actuellement n'est pas quelque chose de stable. Cet environnement sera affecté dans plusieurs dizaines d'années par le changement climatique. Tout le monde s'entend là-dessus. Ces changements climatiques affectent le climat local, le climat général, les régions, la végétation, l'écoulement des eaux, etc., et donc, évidemment, la faune et la vie en général des habitants.

Le Canada fait un effort dans ce domaine et ceci se fait au ministère de l'Environnement. Il existe un groupe qui s'appelle l'Environmental Adaptation Research Group, qui se trouve actuellement à Toronto. Il est financé par le Panel on Energy Research and Development. Heureusement, il y a quelque chose qui se passe dans ce domaine; on poursuit les travaux dans ce domaine. Ce sont des actions qui ont un impact international.

Il faut d'abord connaître son pays pour pouvoir collaborer internationalement. Je pense qu'on investit beaucoup trop peu pour faire connaître la réalité actuelle du Nord, pour pouvoir participer au reste.

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Je ne parlerai pas encore longtemps, car je vois que le temps passe, mais il y a certaines choses que je vais quand même mentionner. Quelles sont les activités, en ce moment, dans le Nord canadien? Ce qui a motivé le grand intérêt pour les problèmes nordiques parmi la communauté des futurs ingénieurs, dans les écoles d'ingénieurs, c'est qu'au début des années 1970, il y a eu la crise du pétrole. On a commencé à envisager la construction de gazoducs, d'oléoducs, etc. Ceci a suscité une certaine activité. Au Québec, il y avait le développement de la Baie-James et M. Bourassa faisait la promotion de certaines activités. En ce moment, les activités de génie sont tellement réduites que l'étude et les méthodes de travail propres au Nord n'attirent plus les étudiants ingénieurs.

L'impact actuellement est peut-être faible, mais dans cinq ans, si on recommence à travailler dans le Nord, ça sera assez tragique. On va devoir importer les spécialistes, comme on m'a importé il y a 30 ans. Il ne faut pas briser la continuité. Il faut maintenir la continuité dans la formation d'ingénieurs.

Je passe tout de suite à l'éducation des autochtones. Évidemment, tout ce qui est dans le rapport de votre comité concernant le Conseil de l'Arctique est extrêmement important. Je suis d'accord. Mais on oublie toujours quelque chose; c'est que pour que les autochtones soient autosuffisants, il leur faut des gens de métiers. Ils n'ont pas besoin de scientifiques politiques. On a peut-être besoin de géographes, mais on a surtout besoin de spécialistes à tous les niveaux. Alors, je me demande qui forme, qui aide les autochtones à apprendre des métiers. Vous ne pouvez pas avoir une communauté nordique sans des gens qui savent réparer des motoneiges, les maisons, les systèmes de chauffage, etc.

Des ingénieurs, on en a besoin, mais ce n'est peut-être pas suffisant. Les ingénieurs ont tendance à s'en aller. Ceux qui restent, ce sont les gens de métiers. Je demande qui forme les autochtones pour apprendre les métiers. C'est une chose que, depuis 30 ans, je n'ai pas apprise: qui s'en occupe. Si vous pouvez me le dire, j'en serai très heureux.

Finalement, on parle de développement économique durable et d'autosuffisance. Peut-être que ce que je vais dire n'est pas du tout orthodoxe, mais je vais quand même le dire. On parle toujours de protection de l'environnement. C'est extrêmement important d'avoir une situation stable jusqu'à la fin de la vie. On conserve tout ce qui existe. C'est excellent et je suis tout à fait d'accord. Cependant, je ne vois pas comment et pourquoi on espère avoir une économie équilibrée uniquement en conservant.

Je ne comprends pas. La conservation ne suffit pas. J'en donne des exemples. Si vous voyagez en Finlande ou dans les pays nordiques, vous constaterez que leur économie autochtone est complètement différente. Il y a par exemple des élevages d'animaux et la participation au tourisme. Ils sont engagés dans des activités qu'on ne voit vraiment pas habituellement chez nous.

Autre chose: au Canada, il n'y a pas moyen, sauf peut-être à Ottawa ou à Montréal, d'acheter de la viande de caribou ou des poissons du Nord. C'est encore à cause de la conservation à 100 p. 100. Je ne vois pas pourquoi, si ces choses se faisaient de façon contrôlée, il n'y aurait pas moyen que ces espèces survivent. Vous pouvez acheter n'importe où en Europe des gibiers qu'on ne peut pas acheter au Canada parce qu'ici on pratique une conservation totale.

Je suis d'accord pour qu'on exerce un contrôle, mais je ne crois pas que la conservation à 100 p. 100 soit une bonne politique.

Une autre chose qui est découragée au Canada, malgré le fait que certaines personnes ont démontré que cela existe et que c'est possible, c'est la production de nourriture dans le Nord. Tant que l'on considère que tout ce que mangent les habitants du Nord doit être acheté en magasin, on ne peut pas parler de réelle autosuffisance.

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Il existe déjà des méthodes qui permettent la production de certains légumes dans le Nord et je peux vous indiquer, si cela vous intéresse, qui le fait. Pour vous expliquer comment cela se fait, ce n'est pas mon domaine, mais le professeur Joseph Svoboda, du Erindale College, à Toronto pourrait vous l'expliquer exactement car il l'a essayé et cela fonctionne très bien. Évidemment, c'est un peu plus coûteux, mais on a quand même plus de plaisir à produire une chose qu'à tout acheter au magasin ce dont on a besoin.

Donc, il y a moyen d'avoir une économie plus équilibrée que celle que procure la seule conservation de la chasse et de la pêche pour subvenir aux besoins des autochtones.

Je vais terminer en parlant du tourisme. À plusieurs reprises, j'ai voyagé, et spécialement l'été dernier, je suis allé à deux endroits d'abord, en Norvège, à Troms et à Svalbard. J'espère que vous irez visiter cette partie du pays vous-mêmes. Une chose dont on s'étonne, c'est la façon dont, même à Svalbard qui est une communauté essentiellement minière, on accueille et attire les touristes et les services qu'on leur offre. Svalbard n'est pas très différent d'autres endroits comme Kuujjuak, par exemple.

Donc il y aurait moyen de faire quelque chose, mais on ne fait rien. On laisse les touristes s'occuper d'eux-mêmes, ce qui n'est pas correct. Il faut trouver des moyens pour les attirer. Parmi les touristes, il y avait, par exemple à Svalbard, des Français, des Allemands, des touristes de toutes sortes de nationalités qui visitent ces endroits régulièrement. Pourquoi ne pas offrir des services, l'accès et l'infrastructure nécessaire au développement touristique?

Prenons par exemple l'Alaska, que je connais bien. Cette région est beaucoup plus développée et le tourisme est la première industrie après l'industrie pétrolière.

Donc, il y a certaines choses qu'on peut faire sans beaucoup d'investissements, simplement en changeant de mentalité.

C'est ce que je voulais vous dire. Si vous avez des questions, je suis prêt à y répondre dans l'une ou l'autre langue.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le professeur. Nous passerons maintenant à M. le professeur Duhaime, ensuite à M. le professeur Grondin, et ensuite à la période de questions.

M. Gérard Duhaime (directeur, Groupe d'étude inuit et circumpolaire, Université Laval): Merci. Je voudrais porter à l'attention du comité un certain nombre de problèmes que l'on observe quand on examine le Nord canadien avec l'outillage que procurent les sciences sociales.

Je ne parlerai pas de la contamination parce que je sais que mon collègue va en parler abondamment. Mais il existe de très graves problèmes actuellement dans le Nord, dont en premier lieu un problème de développement industriel. Je sais que le comité a visité certains endroits dans le Nord et a pu prendre conscience de certains de ces problèmes, mais je crois savoir aussi que certains autres n'ont pu être perçus parce qu'il s'agit de problèmes qui ne sont pas visibles avec les yeux, qui ne sont pas visibles au cours d'une brève visite.

Les problèmes du développement industriel, dans le Nord canadien, portent non pas sur le fait qu'on exploite la région d'une manière qui serait plus ou moins dangereuse pour l'environnement ou les ressources du Nord. Les problèmes portent principalement sur le fait que ce développement en général n'a à peu près aucune répercussion pour les habitants de ces régions. Les gens ne sont pas employés dans le développement industriel. S'ils le sont, c'est après une formation à rabais, pour des emplois qui ne durent, en général, que peu longtemps. Néanmoins, les gens vont continuer à vivre à côté de ces développements industriels et de ce qui en restera.

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Un autre problème majeur dans le développement du Nord canadien, c'est la dévalorisation des activités tournées vers l'exploitation des ressources dites traditionnelles. Le document soumis à notre attention par le comité mentionne déjà les problèmes liés à l'industrie de la fourrure qui ont frappé le Nord dans le milieu des années 1980 et qui continuent aujourd'hui à avoir des répercussions très grandes pour les communautés qui vivent essentiellement de la chasse.

La dévalorisation des activités traditionnelles comporte aussi la baisse extraordinaire de l'attrait de la nourriture sauvage. Je suis heureux de voir que M. Ladanyi, qui se veut, comme il le dit lui-même, un simple ingénieur, voit parfaitement ce problème qui, à mon avis, est extrêmement important.

Le président: Nous n'avons pas été persuadés par cette qualification qu'il a faite de lui-même.

M. Duhaime: Moi non plus.

Le président: Je crois qu'il a démontré tout autre chose.

M. Duhaime: La nourriture sauvage est devenue une denrée chère à cause des moyens qu'il faut déployer pour aller la chercher et, malgré l'abondance des ressources, c'est une nourriture qui est aussi devenue beaucoup moins attrayante à cause de la concurrence de la nourriture commerciale qui, elle, est abondante et à portée de la main.

Ce problème en amène un autre, qui est celui de la tiers-mondialisation du Nord canadien. Dans le Nord canadien, si on exclut l'exploitation des ressources en général, des ressources minières ou des ressources hydrauliques - ce qui correspond parfaitement au modèle tiers-mondiste de développement - , il n'existe pas d'industries. L'industrie dans le Nord canadien, dans le Nord québécois ainsi qu'au Labrador, c'est celle du gouvernement. C'est lui qui fournit la majorité des emplois. C'est là une caractéristique très importante et relativement singulière à l'échelle circumpolaire. Ce n'est pas un problème en soi que le gouvernement soit la première industrie; c'est qu'il n'y en a pas d'autres.

La tiers-mondialisation du Nord canadien, c'est aussi cette dépendance alimentaire que j'ai évoquée. C'est l'exportation à faibles répercussions pour les économies locales.

Ces aspects de la tiers-mondialisation sont des aspects économiques, mais il existe aussi des aspects sociaux qui sont relativement difficiles à voir. Depuis une trentaine d'années, il existe dans le Nord canadien une tendance lourde à la stratification sociale. Au nom de l'égalité, qui est aussi le credo dans le Sud, on va créer des différences importantes selon les classes de revenus.

Il existe aussi, et vous en avez sans doute entendu parler, une grande détérioration du climat social à cause de l'importance des problèmes sociaux, notamment ceux de la jeunesse. Ces caractéristiques ont conduit entre autres à des revendications de souveraineté intérieure qui sont fondées à bon droit sur des constatations semblables et sur des représentations parfois acrimonieuses voulant que les décisions pour le Nord soient prises par des gens qui n'y résident pas.

Ces revendications sont aussi parfois fondées sur la culpabilisation par rapport à l'intervention qu'ont réalisée les gouvernements à une époque où la question à l'ordre du jour au Canada, dans le domaine du développement du Nord, n'était pas une question d'exploitation des ressources, mais de survie de la population. Les gouvernements canadiens qui se sont succédé depuis 1950 sont intervenus dans le Grand Nord parce qu'ils y étaient obligés, parce que les gens étaient en train de mourir. Fonder les revendications de souveraineté intérieure sur la culpabilisation par rapport à l'intervention ou à la sédentarisation, c'est, à mon avis, faire fausse route.

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Ces tendances observées dans le Nord canadien sont aussi observables ailleurs dans le Nord circumpolaire avec des intensités plus ou moins grandes, avec des distances plus ou moins grandes. En Sibérie, par exemple, il y a 10 ans, les problèmes de pollution n'existaient pas officiellement. Aujourd'hui, les gouvernements des républiques autonomes font du combat contre la pollution leur politique unique.

Au Groenland, les problèmes comme la chute des stocks de poisson de fond ont frappé tous les villages côtiers, en particulier dans l'ouest.

Là où je veux en venir, c'est que les problèmes qu'on peut apercevoir quand on examine la société nord-canadienne sont aussi des problèmes circumpolaires. Ceci peut nous conduire à plusieurs conclusions différentes, selon le point de vue où l'on se place.

Du point de vue d'un citoyen, on pourrait se demander quoi faire, comment agir, quelles représentations exercer, et considérer que la création du Conseil de l'Arctique ne peut être qu'une bonne chose. Mais je défendrai moins ici le point de vue du citoyen et davantage celui du responsable de la recherche universitaire, si vous me le permettez, teinté de son bagage de sciences sociales.

Mes collègues ont souligné les problèmes du financement de la recherche et je ne m'y étendrai pas davantage. Ce qu'ils ont dit est vrai dans leurs domaines respectifs et c'est aussi vrai, et j'irais même jusqu'à soutenir que c'est peut-être pire, en sciences sociales, où les infrastructures importantes de recherche ne profitent à peu près pas aux chercheurs, puisque ces derniers ne prélèvent pas de carottes dans la glace un peu partout. Ils se promènent d'un village à l'autre et, par conséquent, les infrastructures sont généralement peu utilisées; elles leur sont de peu de secours.

Les budgets de recherche partout dans les conseils nationaux de recherche diminuent, les priorités étant mises ailleurs. De ce point de vue, un des rôles importants du Conseil de l'Arctique, à mon avis, sera d'appuyer les initiatives, notamment de la Commission canadienne des affaires polaires, pour freiner cette chute.

Du point de vue des sciences sociales aussi, il existe un problème énorme, qui est inversement proportionnel à nos budgets de recherche, et c'est le problème des échanges savants que j'ai déjà souligné lors d'une rencontre préalable du comité le printemps dernier. Dans les pays francophones, il existe des programmes qui permettent la mobilité des étudiants universitaires. L'Union européenne a créé son programme Erasmus, qui permet aux étudiants d'un pays d'aller poursuivre leurs études ailleurs.

Dans le monde circumpolaire, il n'existe aucune institution de ce genre et on en vit les répercussions, j'allais dire presque quotidiennement, dans nos centres de recherche.

Encore il y a deux semaines, j'ai eu des demandes d'une étudiante russe et d'un étudiant norvégien qui souhaitaient venir faire un post-doctorat à l'Université Laval et qui me demandaient où on pouvait trouver des sous. Je suis obligé de me rabattre sur les programmes généraux où ils sont en concurrence avec des savants dans toutes les disciplines et du monde entier.

Le problème de la relève qu'a souligné le professeur Ladanyi est véritable car je le constate aussi dans mon propre centre de recherche. La relève n'est pas encouragée par ce manque d'infrastructure. Si j'ai une proposition concrète à faire, c'est celle que j'avais déjà faite au comité et qui se trouve dans un court article que je lui remettrai: c'est que le Conseil de l'Arctique, que la politique étrangère canadienne au moins, favorise la création d'un programme de mobilité des chercheurs, professeurs et étudiants dans le monde circumpolaire.

Le comité s'interroge énormément sur ce que devraient être les priorités du Conseil de l'Arctique, et notamment sur ses priorités en regard de la recherche. Je souhaiterais mettre le comité en garde contre une tentation bien légitime d'intervenir sur le contenu de la recherche universitaire.

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Je crois que c'est particulièrement vrai en sciences sociales, où la caractéristique des problèmes est d'être invisibles. Le métier, en sciences sociales, c'est de faire des choses qui ne se voient pas.

Des problèmes comme la tiers-mondialisation de l'économie, que j'ai soulignée au début, la détresse de la jeunesse, sont des problèmes qui ne seraient jamais apparus dans les revues scientifiques, dans les colloques savants si toute la recherche nordique avait été tournée vers l'étude des problèmes environnementaux.

Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas faire de recherche sur les problèmes environnementaux. Ce serait d'ailleurs me tirer dans le pied, puisque j'en fais moi-même. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut faire bien attention pour que les priorités ne deviennent pas des obligations, pour que la priorité que le Conseil de l'Arctique semble vouloir se donner dans le domaine de l'environnement ne devienne pas une obligation pour les chercheurs qui souhaitent faire de la recherche dans le Nord, à grands frais, comme vous le savez.

Je veux aussi souligner que cette intervention dans la détermination des priorités et, notamment, l'intervention dans les priorités de recherche sur l'environnement, doit être vue avec beaucoup de circonspection, en tout cas beaucoup de prudence. En effet, très souvent, les a priori de ces recherches, les a priori de ces priorités sont, sinon fausses, du moins partielles. Je suis redevable au professeur Ladanyi d'avoir aussi souligné que, par exemple, l'industrie alimentaire dans le Nord est si peu développée. Vous savez pourquoi? Une des raisons principales est la conservation, non pas de la nature, mais de la culture.

On devrait interdire la commercialisation de la viande sauvage parce que ce n'est pas dans la culture des habitants du Nord. Les recherches que nous faisons actuellement montrent que la majeure partie des aliments consommé par les habitants du Nord est achetée au magasin. Il faut déterminer des priorités, oui, mais ces priorités ne doivent pas devenir des obligations.

Je veux aussi mettre le comité en garde contre la tentation bien intentionnée de vouloir baliser la manière dont on fait la recherche, au nom du droit qu'auraient les habitants du Nord de dire leur mot là-dessus. Il ne s'agit pas de m'opposer à ces pratiques qui sont, à mon avis, fondées. Non. Je veux simplement dire au comité que, comme chercheurs scientifiques, et mes collègues vivent la même chose, nous devons répondre à des comités qui ne font que surveiller cela.

À l'Université Laval, nous avons un comité de déontologie. L'Association universitaire canadienne d'études nordiques a des normes de déontologie pour la recherche dans le Nord. La Commission canadienne des affaires polaires s'intéresse à ces questions, et ainsi de suite.

Ma recommandation au comité serait qu'à ce point de vue, c'est assez, cela suffit. On a ce qu'il faut. S'il faut insister sur quelque chose, déjà contenu dans votre document, je vous encouragerais fortement à mettre l'accent sur la communication des résultats de la recherche aux habitants du Nord. La communication des résultats de la recherche aux habitants du Nord suppose non seulement de bonnes intentions, mais aussi les budgets afférents.

Il y a une dernière chose sur laquelle je veux attirer l'attention du comité et lui conseiller la prudence. Dans les documents, on mentionne que la participation des autochtones ou des habitants du Nord devrait faire l'objet de dispositions au Conseil de l'Arctique.

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S'il s'agit de rebalancer ce que la démographie a créé, s'il s'agit d'assurer une participation démocratique basée sur les votes majoritaires, il est manifeste que les habitants du Nord sont défavorisés. Mais attention! Les habitants du Nord ont-ils plus de raisons de donner leur avis sur la politique étrangère canadienne en ce qui concerne le Nord que les habitants de Chibougamau, de Sarnia ou de Gaspé?

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, professeur Duhaime. C'est maintenant le tour du docteur Grondin, qui va nous parler de la santé, si je comprends bien la portée de ses documents.

M. Jacques Grondin (Centre de la santé publique du Québec): J'aimerais simplement faire une description rapide du travail qu'on fait dans le Nord, pour ensuite présenter les limites auxquelles nous nous heurtons.

Au Nunavik, plusieurs recherches en santé environnementale ont été entreprises et menées conjointement avec les interventions de santé publique, pour chercher à répondre aux questions et à faire face aux enjeux suscités par la contamination environnementale. Les efforts investis depuis une dizaine d'années ont porté fruit, de telle sorte que le Centre de santé publique du Québec se situe à la fine pointe de ce qui se fait comme recherche dans l'Arctique circumpolaire. On y compte d'ailleurs une quarantaine de personnes formant une équipe importante qui travaille dans une perspective multi-orientée, avec des gens des sciences de la santé, des sciences biologiques et des sciences, sociales et on a des liens avec plusieurs instituts de recherche au Canada comme ailleurs.

De nombreuses collaborations internationales ont été entreprises par notre centre. À Québec, c'est le Dr Éric Dewailly qui coordonne le programme que j'ai coché pour vous l'indiquer, soit le Programme de surveillance et de suivi de l'exposition des populations arctiques aux contaminants organochlorés et aux métaux lourds.

Il y a aussi des études cliniques qui sont entreprises avec du gras de phoque ramassé au Québec et des études cliniques qui sont entreprises en Ontario et au Danemark pour essayer d'évaluer les avantages liés à la consommation de mammifères marins, de telle sorte qu'on évalue sur le plan international autant les bénéfices que les risques associés à la consommation de mammifères marins.

Pour faire ces travaux, il est parfois nécessaire de financer, au moins en partie, certains des projets internationaux à partir de nos propres fonds. Notre petite équipe à Québec est obligée de financer des projets qui sont mis sur pied en Russie. La Russie, on le sait, souffre de problèmes économiques. Les moyens à la disposition de nos collègues sont très limités.

Toutefois, ce problème ne se limite pas à la Russie en matière de santé environnementale. En effet, des sommes importantes sont mises dans l'Arctique pour la recherche sur la contamination de l'environnement, la préservation et la protection de l'environnement. Il y a beaucoup de recherches qui se font sur l'exposition de la faune aux contaminants, sur les sources et sur le devenir des contaminants dans l'eau, l'air et les sols. Toutefois, ces sommes ne sont pas mises à la disposition des chercheurs de la santé et voici pourquoi. Quand ces chercheurs s'adressent aux ministères de l'Environnement, on leur dit que là, on s'occupe de la faune et de s'adresser aux ministères de la Santé. Aux ministères de la Santé, on leur répond que les problèmes dont on s'occupe là sont autrement plus importants que la contamination environnementale, notamment les toxicomanies, les suicides et les traumatismes. Cela se passe ainsi partout dans le monde. Tout le monde est pareil.

Quand on fait des projets internationaux, cela paraît bien, mais tous les gens y travaillent la fin de semaine et le soir et ne sont pas payés pour faire leur travail. Ils travaillent de façon bénévole en plus de leurs heures de clinique parce qu'ils ne sont pas reconnus par leurs ministères de la Santé respectifs.

Pour faire de la recherche adéquate dans le Nord, il faut avoir accès à des fonds suffisants, c'est évident. Ce n'est clairement pas le cas présentement dans les programmes destinés au Nord canadien, où l'on en est encore à débattre de l'importance de la question de la contamination environnementale, de l'ampleur du problème.

Au Nunavik, le Nouveau-Québec inuit, on a dépassé ce stade-là. On ne s'est pas fié aux grands programmes du Nord environnemental. On en est maintenant à la mesure des effets subtils de ces contaminants dans l'environnement, par exemple par le biais de biomarqueurs de faits précoces ou encore, même au niveau de la modernisation des impacts économiques, des avis de santé en rapport avec la communication de ces risques environnementaux.

Donc, comme il nous est quand même nécessaire d'aller chercher des fonds, des sommes d'argent, et que ces sommes ne sont pas disponibles au Canada, il nous faut nous adresser ailleurs.

.1035

C'est pourquoi, dernièrement, on s'est tournés vers les États-Unis, où le NIH nous a avancé deux millions de dollars pour la recherche sur les effets neurocomportementaux des contaminants sur le comportement des enfants inuit.

Cet argent nous permet ensuite d'étendre notre projet, non seulement au Nunavik, mais au Labrador et au Groenland, afin d'avoir une plus grosse cohorte et aussi des niveaux d'exposition plus élevés ailleurs.

Outre la question du financement, un des obstacles dans l'élaboration d'une politique externe de l'Arctique, tel que le souligne votre document, est le manque apparent, du moins pour nous, de cohésion politique interne dans le Nord. Par exemple, jusqu'à maintenant, la Commission canadienne des affaires polaires semble avoir des difficultés à définir son mandat. Du moins, dans certaines de ses activités, elle est à la remorque d'autres supraorganisations comme la Stratégie pour l'environnement arctique.

Il y a là un manque apparent de coordination des efforts, et on observe des dédoublements malheureux dans les activités qui sont entreprises en toute bonne foi par la Commission des affaires polaires. Des entreprises sont déjà mises en oeuvre par d'autres organismes.

L'éthique en est un exemple. Cela a déjà été vu par 15 organismes au Canada. Pourtant, la Commission des affaires polaires continue à faire des débats et à tenir des conférences là-dessus. C'en est un exemple.

Les bilans de santé sur les contaminants en sont un autre. Des gens qui n'ont pas la formation pour le faire perdent leur temps à faire des bilans de santé, alors qu'ils sont déjà faits. Ce sont là des exemples.

Leur dernière conférence, tenue à Iqaluit au début du mois, sur la contamination de l'environnement est un cas patent. Les régions ont été averties seulement à la dernière minute des préparatifs de cette conférence, de telle sorte qu'elles n'ont pas pu participer à l'élaboration du contenu de la conférence ni donner leur opinion sur son utilité. Qui plus est, cette réunion éminemment politique a causé du tort aux efforts entrepris dans les régions pour gérer les risques environnementaux. Donnons comme exemples le choix des messages implicites de la Commission des affaires polaires sur l'urgence d'agir au niveau de l'environnement, et le choix de conférenciers alarmistes, comme Theo Colburn qui disait à tout le monde que nous allions tous mourir, et avec de petites «quéquettes».

On a donc organisé une conférence, soi-disant à l'intention des régions, en ignorant pratiquement ce qu'elles faisaient déjà. C'est grave parce qu'au Nunavik, c'est là que se fait la gestion des risques. Et c'est là que, par exemple, on cherche depuis nombre d'années à rassurer la population, sur la base de données issues des dernières recherches, quant à la salubrité de ses aliments régionaux. La Commission des affaires polaires arrive comme un chien dans un jeu de quilles et compromet tout cela.

Voici un autre exemple du manque de cohésion interne dans le Nord, après la gestion des risques par rapport aux contaminants transfrontaliers: les représentants de la Stratégie pour l'environnement arctique ont émis récemment un avis de santé à la population des Territoires du Nord-Ouest sur la nécessité de limiter leur consommation de nourriture traditionnelle sur la base des derniers chiffres qu'ils avaient eus.

En réalité, ils étaient quatre organismes à débattre pour savoir qui allait émettre l'avis de santé. Leur message est exactement à l'opposé de celui qui est transmis au Nunavik. Cela fait 20 ans qu'on travaille sur le sujet. Émettre un tel message avisant la population qu'elle doit limiter sa consommation de nourriture, c'est un acte médical, ce qui est très important. Dans les Territoires du Nord-Ouest, ce message a été émis sans la participation de spécialistes du monde de la santé.

De plus, et c'est là que le bât blesse, toutes les recherches au Nunavik ont montré que les normes sur lesquelles se basaient ces personnes étaient inadéquates et que les avantages surpassaient de loin les risques attribuables à la contamination de l'environnement. C'est extrêmement frustrant. Est-ce qu'on cherche délibérément à ignorer ce qui se fait au Nunavik et au Labrador? Est-ce que le niveau d'avancement des connaissances sur le Nunavik menace le programmes personnel des chercheurs dans l'Ouest ou menace l'agenda des organisations comme l'AES? Difficile à dire.

Nos activités de recherche sont davantage connues à l'extérieur du Canada qu'à l'intérieur. Mais il y a plus. Dans une série de documents, vous verrez ces cartes-ci. L'Artic Monitoring and Assessment Program, qui regroupe tous les pays circumpolaires, reconnaît par ses cartes la nécessité de prendre en considération le Nunavik et même la partie au nord du Québec, au sud du Nunavik, c'est-à-dire jusqu'au bas de la baie James, ainsi que toutes les côtes du Labrador, tandis que la Stratégie pour l'environnement arctique, comme vous le verrez sur l'autre carte, se limite essentiellement au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest tout en continuant à revendiquer le statut de plan panarctique canadien de recherche sur l'environnement. Cela fait mal à entendre.

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Par contre, il faut être honnête: il n'y a que dans le domaine de la santé que les recherches faites au Nunavik sont considérées financées en partie par la Stratégie pour l'environnement arctique, vu leur notoriété internationale. Donc, dans la Stratégie pour l'environnement arctique, les volets de communication, d'éducation, d'engagement communautaire et même d'évaluation des contaminants dans la faune ne s'appliquent pas au Nunavik et au Labrador.

Quand on connaît les problèmes financiers des gens du Labrador, des Inuit du Labrador, il est malheureux de voir qu'ils sont laissés pour compte par la Stratégie pour l'environnement arctique. Ainsi, pratiquement aucune donnée n'existe sur la contamination de la faune au Labrador alors qu'il y en a pléthore partout ailleurs au Canada. C'est une honte.

Même le rapport que nous avons en main, que nous avons reçu avant de nous présenter ici et qui a été préparé par le service de la recherche, me semble biaisé en faveur de l'ouest. Je m'en excuse.

Ainsi, à la page 6, on lit:

Également, à la page 19, on parle des craintes environnementales des Nord-Canadiens en mentionnant notamment celles qui ont trait à la mine de diamants des Territoires du Nord-Ouest. On ne mentionne pas Katinniq, au Nouveau-Québec, une mine en développement qui est plus imposante que les gisements de nickel en Ontario. On ne parle pas de Voisey Bay, un site prometteur qui vient d'être vendu 4 milliards de dollars à une société privée et qui provoque un trafic aérien tellement important que Transports Canada a dû s'en mêler. On ne parle pas de ces mines-là qui sont beaucoup plus importantes parce qu'il s'agit de métaux de base et qu'elles sont situées à côté de collectivités. Pourquoi? Je me pose la question.

Comme vous le soulignez aussi dans ce document qui nous a été remis, oui, la question de la communication est un enjeu majeur. Gérard aussi l'a soulignée. Toutefois, un des dangers dans le type d'approche qui entoure le débat sur les communications est qu'on veuille éventuellement gérer politiquement des interventions qui devraient être du domaine d'autres experts. Par exemple, faire des effets potentiels de la contamination environnementale sur les humains un enjeu essentiellement politique, l'objet d'une lutte de pouvoir entre organisations, comme on le voit actuellement, mène nécessairement à des aberrations.

Comme je l'ai dit, au Nunavik comme dans tous les autres pays circumpolaires, les problèmes de santé se gèrent par les experts en santé publique, par des organisations du Nord.

Pour créer une communication adéquate, les données et analyses scientifiques doivent aussi être adéquates pour éviter que ne s'enflamme la chasse aux sorcières dans laquelle nous avons tendance à nous empêtrer, nous les bien-pensants et les coeurs saignants du Nord. Il faut que les communications s'appuient sur la science et non qu'elles s'y opposent, comme cela se produit à l'heure actuelle.

La politisation des enjeux de santé environnementale, où des politiciens et des biologistes évaluent des problèmes de santé humaine, ne peut que saper la confiance de la population.

D'ailleurs la recherche de la rectitude politique vis-à-vis du Nord canadien nous fait déjà paraître ridicules devant nos voisins des autres pays circumpolaires, qui trouvent que la recherche au Canada s'empêtre dans des discours stériles et peu sérieux au lieu de passer à l'action.

Ce fut le cas, par exemple, quand ils ont appris qu'au Canada, des enquêtes en santé environnementale avaient été retardées sous prétexte que le savoir est encore parcellaire pendant qu'on continuait de permettre aux chercheurs sur les niveaux d'exposition de la faune d'émettre des discours alarmistes sur la consommation d'animaux.

Ce fut le cas aussi quand ils ont su que des groupes de pression exigeaient que, dans le domaine de la santé, on prépare le message à la population avant d'avoir entrepris les recherches sur les faits, tout cela afin d'en évaluer le caractère éthique. On voulait obtenir un avis avant d'avoir pu diagnostiquer le problème.

Ce genre d'attitude ne peut que nuire au sérieux de nos échanges internationaux. D'ailleurs, le potentiel pour ces échanges est fort important et peut être développé davantage qu'il ne l'est maintenant. Par exemple, toute l'expertise développée autour du mercure dans la baie James s'applique très bien au bassin amazonien. Ce type d'expertise est en demande.

De même, les travaux effectués au Nunavik et au Labrador sur les organochlorés ou les acides gras de type oméga-3 trouvent preneurs dans toutes les communautés de pêcheurs, notamment dans les pays circumpolaires qui sont de grands mangeurs de poissons. Malheureusement, là aussi ce potentiel tarde à être reconnu au Canada.

C'est tout. Merci.

Le président: Merci beaucoup, docteur Grondin.

M. Paré (Louis-Hébert): Vous nous donnez une minute ou deux?

.1045

Le président: Deux minutes, d'accord.

[Traduction]

Nous allons prendre une pause de trois minutes.

.1046

.1054

Le président: Si vous avez une question, nous pouvons vous faire passer avant les autres.

Mme Gaffney (Nepean): Non, ça va.

.1055

Le président: Nous pouvons vous faire passer avant les autres.

[Français]

J'aimerais remercier les membres du panel pour leurs présentations fort intéressantes, et même provocantes dans certains sens. Je vous en remercie beaucoup au nom de tous les membres du Comité.

Nous passons maintenant à la période de questions.

Monsieur Paré.

M. Paré: Je veux, moi aussi, remercier nos témoins de ce matin qui, à mon point de vue, nous ont dit les vraies choses. Ils n'ont pas emballé ce qu'ils avaient à nous dire. Je pense qu'il est important que les choses se passent de cette façon.

Les présentations de ce matin ont tourné, bien sûr, autour de la recherche, qu'elle relève des sciences naturelles ou des sciences sociales. Elles apportaient, en quelque sorte, un complément à de ce que nous avions entendu lors de nos rencontres à l'Université d'Edmonton et de Calgary.

Ce que je retiens comme élément général, c'est que les budgets diminuent, ce qui me semble évident et que nous savions, et qu'on a de la difficulté à établir les communications entre chercheurs des différents pays. Plusieurs l'ont exprimé. M. Allard a suggéré que la tâche de rassembler et d'établir des communications entre les chercheurs et surtout de mettre des budgets à leur disposition, pourrait être confiée au Conseil de l'Arctique, ce qui m'a semblé une suggestion intéressante.

J'ai une première question là-dessus et je la pose à tous. Est-ce que les intérêts divergents des huit pays qui composent le Conseil de l'Arctique ne rendent pas improbable cette collaboration qui serait sans doute importante?

Deuxième volet de ma question: dans les exposés qui ont été faits, on a pu percevoir un certain cafouillage dans les interventions mêmes du gouvernement canadien, par suite de la multiplication des intervenants. Je ne me souviens pas lequel des témoins nous a dit qu'il y avait huit, neuf ou dix ministères différents qui intervenaient. M. Grondin nous a montré comment, de façon concrète, on pouvait, d'un ministère à l'autre, se renvoyer la balle, pas méchamment, mais un peu à cause de la maladresse d'une bureaucratie peut-être trop centrée sur elle-même.

Serait-il possible et souhaitable que, finalement, un seul ministère regroupe toutes les dimensions du Nord et tous les budgets afférents pour éliminer ce cafouillage?

Le président: J'allais poser à peu près la même question et demander si l'observation du professeur Painchaud, à savoir l'absence d'un sens géopolitique, pourrait elle aussi être le résultat de l'éparpillement des centres de décision entre tant de ministères, entre tant de directions. S'il n'y a pas plus de coordination, est-ce une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas le sens géopolitique de l'Arctique?

M. Painchaud: Monsieur le président, je voudrais faire une première remarque concernant le rôle de ce comité.

J'ai entendu ce matin les présentations fort compétentes et fort intéressantes de mes collègues. L'information qu'ils vous ont donnée est certainement indispensable pour le travail que vous aurez à faire. Mais il ne faut pas confondre le développement d'une politique étrangère de l'Arctique et l'ensemble des problèmes que nous avons, nous, dans l'Arctique. Il devrait peut-être y avoir un autre comité de la Chambre des communes ou du Sénat, peu importe, qui se pencherait sur les problèmes que nous avons au Canada dans la gestion de nos politiques concernant l'Arctique. Ça, c'est une chose.

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Il y a bien sûr des interférences avec les dimensions internationales de ces politiques internes. Mais le rôle de votre comité, c'est de dégager une pensée de politique étrangère qui fait lamentablement défaut d'une façon générale au Canada - je n'hésite pas à le dire - , en particulier au niveau des questions circumpolaires.

Pour revenir à votre question, je suis convaincu que dans un certain nombre de domaines, dont l'environnement, la politique étrangère elle-même et les questions nordiques, la tentation est évidemment toujours de dire qu'on va créer une grosse structure. Ce n'est pas possible. Il y a trop de dimensions qui doivent être intégrées pour que cela soit possible.

En d'autres termes, il existe un ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Ce ministère est à peu près nul lorsqu'il s'agit de politique internationale. Pourtant, il avait un rôle à jouer. Parallèlement au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le ministère de l'Environnement a une Direction des affaires nordiques. Mais ce n'est pas vraiment votre rôle que de discuter de tout cela ici. À la limite, je dirais que vous perdez votre temps.

Cependant, comme le soulevaient mes collègues MM. Allard et Duhaime, la question relative aux moyens internationaux que nous devons avoir pour être présents dans l'Arctique relève de vous.

En d'autres termes, il me semble que votre rôle ici n'est pas de régler tous les problèmes arctiques, mais de regarder comment la politique étrangère du Canada répondra, dans le domaine circumpolaire, aux intérêts fondamentaux du Canada, et de voir si, dans les intérêts fondamentaux du Canada, il est nécessaire de faire des emprunts scientifiques à l'étranger. C'est dans ce sens-là seulement. Vous n'avez pas à vous pencher sur toute la question de la recherche polaire. C'est uniquement dans la mesure où, comme spécialistes de la politique étrangère, vous devez définir des instruments pour cette politique étrangère, et non pas régler les questions du Nord. C'est cela que vous devez identifier.

Si la science - et c'est en effet le cas - est un instrument de politique étrangère, vous devez l'inclure dans vos recommandations.

Si par ailleurs la coopération internationale est utile au Canada, on va le faire, mais toujours dans une optique de politique étrangère. C'est ce que j'appelle développer une pensée de politique étrangère. Le danger de ce comité - je reviendrai là-dessus tout à l'heure, notamment concernant le Conseil de l'Arctique - est qu'on mêle tout. On ne peut pas mêler les besoins d'une politique arctique propre au Canada dans l'Arctique canadien et les dimensions internationales circumpolaires du Canada. C'est en faisant ce micmac de toutes sortes de choses qu'on finit par n'avoir aucune bonne politique, ni intérieure ni extérieure.

Faudrait-il qu'il y ait un organisme central? Je dirais à la limite que ces organismes existent déjà. Je crois que c'est M. Allard qui a mentionné tout à l'heure le programme Eco-recherche. Il existe des conseils de recherche au Canada, en médecine, en sciences et génie, en sciences humaines, etc. On a créé un organisme commun aux trois et on a dit: «Regardez ce qui se fait dans le domaine de l'environnement et comment on peut développer cela.»

On pourrait avoir la même chose pour ce qui est de l'Arctique. On n'est pas obligé de créer des... Cela dit, les ministères vont continuer à avoir leurs programmes de recherche. Cependant, le rôle du ministère des Affaires étrangères sera de s'assurer que les programmes de coopération scientifique développés par tous les ministères aient une certaine logique du point de vue de la politique étrangère.

On n'a jamais fait d'étude systématique. Simplement dans le domaine de l'environnement, qui est un des domaines qui m'intéressent, on ne sait pas où va la coopération bilatérale entre la Canada et de très nombreux pays.

Le ministère de l'Environnement en fait. Le ministère des Pêches et des Océans en fait. Le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire en fait. Il y a de la coopération en matière d'environnement partout. Ça répond aux besoins de ces ministères-là, mais il n'y a pas de vision intégrée de cet instrument, parce que c'est un instrument et rien d'autre que la politique étrangère du Canada.

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Pour ce qui est de l'Arctique, on pourrait imaginer qu'il y ait une coopération entre les organismes qui subventionnent la recherche spécifiquement appliquée au Nord et à ses dimensions internationales. Le ministère des Affaires étrangères pourrait continuer à gérer cela. C'est à voir. Mais moi je serais contre un autre gros truc administratif ou bureaucratique. On en a assez au Canada, de ce genre de choses.

Il y a d'autres aspects de cette question sur lesquels je reviendrai tout à l'heure.

Ça ne vous satisfait pas?

M. Paré: Ça me satisfait. J'essayais de me trouver une façon...

M. Painchaud: C'est une question de politique intérieure que vous soulevez.

M. Paré: Mais est-ce que la politique étrangère ne découle pas de la politique intérieure et inversement?

M. Painchaud: Autre vérité facile. La politique étrangère a deux fonctions: protéger le pays de l'extérieur, ce qui comprend les politiques de défense, et aller chercher à l'extérieur les ressources qui manquent au pays pour se développer. C'est l'objet du commerce extérieur. Le commerce extérieur est, en définitive, une politique intérieure.

Pourquoi fait-on du commerce extérieur? C'est parce que nous n'avons pas un marché suffisant. Donc, le commerce extérieur n'est pas une politique internationale. C'est une politique interne avec des instruments extérieurs. Il va falloir apprendre à penser un peu en politique étrangère et ne pas tout mêler.

L'organisation de la recherche en matière arctique au Canada, c'est une question de politique intérieure qui devrait être discutée par un autre comité, sauf s'il y a une dimension internationale. Ne vous lancez pas là-dedans, parce que vous n'en sortirez plus. Vous n'avez pas les moyens de faire cela; vous êtes des spécialistes de la politique internationale. Pensez politique étrangère, car c'est ça votre mandat, et sortez-nous quelque chose d'intéressant à ce point de vue-là pour une fois.

J'ai d'autres commentaires de ce genre à faire, mais je ne veux pas monopoliser le temps.

Le président: On va passer maintenant à M. Dupuy.

M. Dupuy (Laval-Ouest): Je mets tout de suite mes cartes sur table. Je suis un admirateur du professeur Painchaud. Je suis vos travaux depuis bien des années.

En vous écoutant tout à l'heure, je n'ai pu m'empêcher de penser au vieux dicton qui dit: «On a toujours les défauts de ses qualités.»

Vous êtes, je dirais, un explorateur de l'Arctique. Intellectuellement, vous avez fait une contribution considérable, mais ça vous a peut-être fait rater certains aspects dans le développement de la stratégie de la politique internationale du Canada.

Ce n'est pas que je veuille déclencher une controverse...

M. Painchaud: Oh! j'aimerais qu'on en ait une.

Le président: Ne vous gênez pas. Encouragez la controverse.

M. Dupuy: Comme j'ai été très intimement mêlé à l'élaboration de la vision internationale du Canada dans les années 1970 et en partie dans les années 1980, je peux vous dire tout de suite qu'il y a des éléments qui semblent vous avoir échappé.

Vous dites que nous n'avons pas une vision géopolitique. Je vous dirais qu'au contraire, s'il y a un pays qui a une vision géopolitique dans sa politique étrangère, c'est bien le Canada, car jamais ne se passe une journée au ministère des Affaires étrangères où on ne réfléchit à la situation vis-à-vis des États-unis. Ça, c'est notre géopolitique.

La géopolitique s'impose à nous tous les jours. Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, c'est toujours le coeur de notre politique étrangère. Donc, je suis profondément en désaccord avec vous lorsque vous dites que nous n'avons pas de vision et de perception de la géopolitique.

Deuxièmement, on peut se poser également une question qui découle de la première. Est-ce que dans notre situation géopolitique, nous devons avoir une politique étrangère qui a une vision régionale - et vous avez dit que nous devrions en avoir une, particulièrement dans l'Arctique - ou est-ce que nos intérêts sont mieux servis par une vision globale?

Je vous dis tout de suite qu'ayant été un conseiller écouté de différents gouvernements, y compris un gouvernement conservateur, j'ai toujours pensé que la vision globale du monde et des responsabilités du Canada à travers le monde servait mieux les intérêts nationaux qu'une vision beaucoup plus limitée.

Les choses changent, et je crois que nous allons pouvoir superposer à cette vision globale une vision régionale.

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J'en viens maintenant à l'Arctique en particulier. Vous avez été très sévère au sujet du passé et je ne vous blâme pas. Mais pour faire une politique étrangère, fondamentalement, il faut avoir des partenaires étrangers. Vous ne faites pas une politique étrangère tout seul par définition. Or, qu'est-ce qui s'est passé dans l'Arctique? Où étaient nos grands partenaires? Où était l'Union soviétique? Oui, ils voulaient peut-être ouvrir une petite fenêtre dans le domaine de la recherche, et là nous avons bougé. Mais pensez-vous qu'à Moscou, nous avions des interlocuteurs pour parler d'une politique étrangère sur l'Arctique? Nous n'y étions pas et ils n'en voulaient pas.

Pensez-vous que nous avions cela à Washington? Mais pas du tout. Au contraire, les Américains ne voulaient pas développer une politique étrangère avec le Canada vis-à-vis de l'Arctique, sauf sur un sujet, la défense, parce que c'était une région précisément stratégique. Et là on est dans la géopolitique stratégique, qui pratiquement interdisait le développement d'une politique étrangère cohérente. Bon, c'est le passé, mais vous avez vous-même dit qu'il fallait savoir d'où l'on venait. C'est de là qu'on vient. Alors, qu'est-ce que nous devons faire maintenant?

Là je suis complètement d'accord avec vous: nous avons pris beaucoup de retard à cause de la situation mondiale. Maintenant, les créneaux et les portes s'ouvrent. On peut se rendre à Moscou, comme certains d'entre nous vont faire d'ici une quinzaine de jours, pour parler de ces choses avec les Russes. Nous pouvons commencer à parler avec les Américains. Mais là je vous pose la question qui me vient aux lèvres: est-ce que le premier défi de notre politique étrangère dans l'Arctique n'est pas d'engager ces autres pays qui sont encore récalcitrants et d'en faire des partenaires?

Les Américains sont entrés dans le Conseil de l'Arctique à reculons. Il a fallu plusieurs pays pour leur tirer la manche. Le pays qui a été le chef de file dans cette opération, une opération de politique étrangère où vous accrochez les interlocuteurs qui vous ont toujours manqué, c'est le Canada. Alors je trouve extrêmement difficile de vous écouter et de vous entendre condamner ce qui a été en fait une pensée qui a hanté les gouvernements canadiens successifs.

Nous commençons à déboucher. J'en reviens à ma question. Est-ce que vous ne pensez pas que la première priorité est d'engager d'autres pays et de les attirer pour en faire des partenaires dans une vision coopérative de politique étrangère en Arctique?

M. Painchaud: Dois-je répondre tout de suite, monsieur le président, ou si vous souhaitez que d'autres questions soient adressées à mes collègues et que je revienne plus tard à la question de M. Dupuy, qui ouvre un débat très intéressant? Il y a bien des choses auxquelles j'aimerais répondre, mais je ne voudrais pas avoir l'air de mobiliser tout le temps.

Le président: Nous sommes ici jusqu'à 12 h. Donc, si vous entrez dans le passé...

M. Painchaud: Non, non.

Le président: N'allez pas trop loin. Je crois qu'il vaudrait peut-être mieux donner une réponse et nous passerons ensuite à d'autres questions. Je crois que c'est un point très important.

M. Painchaud: Je ne vais pas m'étendre sur le passé, monsieur Dupuy. Si vous le voulez, on s'en reparlera plus longuement en privé. Je dirais simplement que ce n'est pas parce que les États-Unis ou l'URSS ou d'autres pays arctiques ne veulent pas parler de l'Arctique que nous devons nous interdire d'avoir une politique étrangère de l'Arctique. Notre politique étrangère de l'Arctique devrait tenir compte précisément de ces réticences.

Si, pour nous, l'Arctique est très important, il est bien sûr qu'on ne peut pas changer Washington du jour au lendemain. Mais je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il y a eu une politique étrangère de l'Arctique parce que nous nous sommes intéressés au problème de la défense ou parce que nous nous sommes intéressés à d'autres questions qui préoccupaient les Américains.

Une pensée de l'Arctique se serait reflétée par une volonté systématique, comme dans le cas des pays scandinaves, de développer tout un ensemble d'instruments de présence dans l'Arctique, et là la dimension interne rejoint la dimension externe.

.1115

Je vais vous donner aujourd'hui même, à partir de ce document que vous nous avez remis, un exemple des faiblesses de la politique étrangère, qui ne pense pas à cette région d'une manière intégrée et cohérente.

Parlons du Conseil de l'Arctique lui-même. On a décidé, à la demande des États-Unis, de ne pas y inclure les questions militaires. Le danger qu'il y a ici, c'est que la pensée canadienne évacue dans l'Arctique toutes les questions militaires, parce qu'on a créé un gadget qui s'appelle le Conseil de l'Arctique. Le Conseil de l'Arctique est un instrument et rien d'autre. C'est un bon début de politique arctique étrangère du Canada, mais ça ne devrait pas être la dimension unique que vous aborderez dans votre rapport.

Par exemple, votre rapport devra parler des problèmes de sécurité militaire dans l'Arctique, si vous pensez qu'il y en a. Vous devriez également faire état des relations politiques du Canada avec les différents partenaires de l'Arctique . De plus, et on y fait allusion à certains moments, l'Arctique n'est plus simplement l'Arctique. L'Arctique est devenu en effet un problème global. Je crois qu'un de mes collègues a évoqué cela tout à l'heure.

Donc, on ne peut plus parler simplement de l'Arctique par rapport à l'Arctique. Il faut parler de l'Arctique par rapport à un ensemble de problèmes qui se posent à l'échelle globale.

D'autre part, il y a de nombreux problèmes environnementaux qui ont été soulignés par mes collègues tout à l'heure. Certains de ces problèmes posent ce qu'on appelle maintenant des problèmes de sécurité environnementale. Alors, si l'on parle de sécurité maintenant, on ne peut plus parler simplement en termes de sécurité militaire ou de sécurité purement politique, si vous voulez.

Donc, il y a un autre concept qui devrait être introduit dans les délibérations du Conseil de l'Arctique, qui relierait ensemble toute une série de questions qui se rapportent à la sécurité. Or, je vois ici dans ce document que finalement, comme on a décidé d'exclure les questions militaires, la pensée stratégique va en être absente.

Alors, le Conseil de l'Arctique, c'est une chose; la politique étrangère du Canada dans l'Arctique, c'est quelque chose de beaucoup plus large.

Je n'insisterai pas davantage là-dessus. Je dirai simplement qu'il me serait facile de démontrer que même si on a fait des interventions dans l'Arctique, il n'y a pas eu de politique du Canada dans l'Arctique. C'est autre chose être là; c'est autre chose que d'avoir une politique et une pensée comme certains pays scandinaves en particulier l'ont fait.

Je ferai une dernière remarque, si vous me le permettez, parce que ça se rapporte à ce que certains de mes collègues ont dit. Ici, le document dit:

Je rejoins ce que disait tout à l'heure M. Grondin: l'Arctique, ce n'est plus l'affaire seulement des autochtones; c'est à nous aussi de nous en occuper, d'abord parce que c'est une question globale et ensuite parce que les questions de l'Arctique sont tout aussi importantes pour nous ici, dans ce qu'on appelle le Sud, que pour les populations qui vivent dans l'Arctique.

Cette espèce de rectitude politique qui consiste à dire qu'on va faire une petite niche pour les autochtones et que pour le reste on verra, c'est faux. Par conséquent, si vous voulez une politique étrangère de l'Arctique, il faudra que l'ensemble de la population canadienne considère que cette région du monde est une région stratégique pour le Canada.

C'est dans ce sens-là que votre comité aura un rôle très important à jouer.

Le président: C'est précisément pour cette raison que le sous-comité a choisi d'étudier cette question parmi toute une gamme d'autres sujets qui lui étaient soumis.

M. Painchaud: Voilà!

Le président: Comme vous, les membres de ce comité sont persuadés qu'il y a manque de cohérence et de connaissance ici, dans le Sud, des problèmes et qu'il nous faut absolument une étude de cette nature pour au moins essayer d'éduquer.

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M. Painchaud: Mes félicitations, monsieur le président.

Le président: Croyez-moi, il y avait beaucoup d'autres sujets...

M. Painchaud: J'en suis sûr.

Le président: Monsieur Grondin.

M. Grondin: Vous demandiez plus tôt s'il fallait ouvrir cela à d'autres pays, aller plus loin que les États-Unis. Par exemple, quant au projet sur le degré de contamination chez les gens partout dans le monde, il a été beaucoup plus facile de le faire dans le fond de la Sibérie. Ils nous ont envoyé des échantillons de sang maternel et, en Laponie, on a reçu des échantillons de sang au cordon du bébé. On en a reçu de petits villages du Groenland, de Reykjavik, de partout. Aux États-Unis, ils sont empêtrés dans leur bureaucratie. Pour s'en sortir, ils se sont tiré dans le pied et il n'y a eu aucune donnée.

Des gens des Îles Féroé sont venus nous voir pour nous dire qu'ils avaient des échantillons, qu'ils nous les donnaient et qu'ils voulaient s'embarquer eux aussi. Ce fut facile. On a fait un colloque international à Fairbanks, en Alaska, où des spécialistes de la santé de toutes les régions, environ 1 000 délégués, se sont présentés. Les Américains, qui nous parlaient des spécialistes des Grands-Lacs, nous disaient: «Peut-être qu'on devrait regarder ce qui se passe dans les Grands-Lacs pour comprendre ce qui se passe dans le Nord.» C'était une claque dans la face de tout le monde: pan, pan, pan, l'un après l'autre. C'était une vraie honte. Tout le monde avait honte d'un comportement comme celui-là.

C'est tout simplement un témoignage, mais je vous dirai qu'on a beaucoup, beaucoup d'affinités avec les gens de tous les pays. Cela va très bien et on les trouve sympathiques. Mais c'est compliqué aux États-Unis.

Le président: Je ne suis pas certain que les interprètes ont pu absorber toutes vos observations, monsieur, mais on a bien compris votre frustration. Merci, monsieur Grondin.

À moins qu'il n'y ait d'autres observations ou questions de M. Dupuy, on va passer maintenant à M. Sauvageau.

M. Sauvageau (Terrebonne): Si vous me le permettez, monsieur Painchaud, je vais poser une question à M. Ladanyi.

M. Painchaud: Vous n'avez pas besoin de ma permission pour cela.

M. Sauvageau: Non, mais c'est parce que depuis un bon bout de temps, les questions vous sont posées.

Plus tôt, dans votre exposé, vous avez très bien dit qu'on se lançait un peu partout au Canada en ce qui a trait à la coordination des activités dans le Nord. Au niveau politique, nous avons 12 ministères qui s'occupent de n'importe quoi, au niveau scientifique. Il n'y a aucune revue ou concertation pour obtenir un peu de coordination et de logique dans tout cela. Par rapport à cela, j'aurais deux questions à vous poser.

La première a été posée jusqu'à un certain point par mon collègue Philippe. Que peut-on faire pour corriger cette situation au niveau politique? Je me permets bien humblement de vous poser la question. Pour ce qui est du niveau scientifique, sur lequel vous êtes un peu plus connaissant, je voudrais savoir ce qui a déjà été fait. Durant ma courte expérience en comité, j'ai constaté qu'on cherchait souvent à réinventer ce qui avait été fait et qu'on découvrait après deux, trois, quatre, cinq mois que ce qu'on venait de penser d'intelligent avait déjà été mis sur une tablette quelque part, comme M. Painchaud l'a dit précédemment.

Donc, j'aimerais savoir ce qui pourrait être fait pour corriger cette situation-là. J'aimerais savoir ce qui a déjà été fait et mis sur des tablettes, pour ne pas qu'on répète l'exercice.

M. Ladanyi: Selon moi, pour établir une politique étrangère arctique, il faut d'abord se connaître soi-même. Évidemment, je suis d'accord avec M. Painchaud qu'il faut peut-être qu'un autre comité s'en occupe et que quelqu'un trouve les faits. C'est cela qui est nécessaire pour savoir de quelle façon nous pouvons profiter de l'expérience scandinave ou même américaine, de quelle façon il faut en profiter, mais on peut le savoir seulement si on sait ce qu'on fait nous-mêmes.

Dans mon intervention, j'ai dit qu'on n'était pas vraiment au courant, qu'il y avait probablement certaines choses qui se faisaient sans être connues, qui étaient faites en parallèle et qu'il y avait donc peut-être duplication des efforts.

On pourrait demander aux ministères fédéraux - on n'ose pas toucher les gouvernement provinciaux, mais ce serait quand même utile - d'au moins donner un rapport de ce qu'ils font dans certains domaines de l'Arctique et de nous dire combien de fonds y sont consacrés. Ce serait, autrement dit, un fact-finding mission. C'est cela que j'imagine. Une fois qu'on aurait cela, on pourrait dire s'il y a duplication des efforts.

.1125

Il faut d'abord savoir ce que fait tel ou tel ministère et combien d'argent il y consacre, et comment cet argent est utilisé, non seulement sur le plan national, mais aussi sur le plan international.

Quant à votre deuxième question, je répondrai que certaines actions ont été prises, par exemple, pour trouver qui fait quoi en tant que spécialiste de l'Arctique.

Une autre action internationale a été de voir combien de cours orientés vers l'Arctique se donnent dans les universités. C'était une activité américaine. Certaines revues ont été publiées, mais je ne sais pas s'il y en a émanant du gouvernement fédéral. J'aimerais cependant savoir si de telles revues existent. Toutefois, je crois avoir déjà reçu du Conseil national de recherches du Canada certains formulaires à remplir sur...

Il existe des revues qui présentent ces renseignements sur les activités circumpolaires. Par exemple, au cours des années 1970, la tâche de publier une revue des activités a été donnée à une compagnie privée dans le domaine de l'ingénierie nordique et elle a produit un rapport assez considérable. À l'époque, c'était utile parce qu'on expliquait exactement ce qui se passait dans ce domaine au Canada.

Je me demande si ce ne serait pas une bonne idée de le faire encore, parce que les choses ont beaucoup changé depuis 25 ans. Ces rapports sont très utiles et il faut continuer cette activité. C'est utile pour tout le monde, surtout pour la coopération internationale, de savoir ce que nous faisons et ce que les autres font. Il faut échanger des expériences.

M. Allard: Je ne sais pas combien de membres de ce comité ont lu l'Arctic Research and Policy Act du gouvernement américain, adopté en 1984 sous le gouvernement Reagan. C'est une loi très instructive. Je pense que tout le monde devrait la lire puisqu'elle coordonne les activités de recherche américaines.

C'est à la suite de l'application de cette loi qu'on a créé la Commission de recherche - j'insiste bien sur le mot «recherche» - arctique aux États-Unis, qui coordonne tous ces travaux. Si vous lisez attentivement cette loi, vous allez voir que c'est une loi d'affaires internationales.

Cela rejoint ce que disait M. Dupuy plus tôt. Par cette loi que s'est donnée le gouvernement américain, on a dit: Ce qui est international dans l'Arctique nous concerne; cela touche tous les aspects de la recherche et le gouvernement américain s'en occupe.» Finalement, il ne laisse pas beaucoup de place à d'autres ou n'est pas tellement intéressé à ce qu'autres s'en occupent à sa place.

Au Canada, on a suivi avec un peu de retard. Aux environs de 1988-1989, on a fait des pressions pour obtenir une commission à peu près équivalente. Donc, sous le gouvernement précédent, on a créé la Commission canadienne des affaires polaires. Mais l'objectif a dévié. On est parti d'une intention de créer une commission de recherche et on a créé une commission d'affaires, qui est devenue une commission très politique et qui a peut-être raté la cible. C'est mon interprétation.

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M. Painchaud: Puis-je faire un commentaire?

Lorsqu'on a créé la Commission des affaires polaires, il y a eu un incident qui illustre bien la façon dont le Canada fonctionne. Je vais faire un peu de politique constitutionnelle, monsieur le président.

Cette commission a été créée à la suite d'une étude qui avait été faite par un certain nombre d'universitaires anglophones éminents dans l'Ouest canadien, si je ne m'abuse.

M. Allard: Et de l'Ontario.

M. Painchaud: Et de l'Ontario. Leur mandat était d'étudier la situation des études polaires au Canada. On a fait un rapport qui faisait état de toutes les recherches très importantes qui se faisaient au Canada dans le domaine polaire. On avait juste oublié un petit morceau: le Québec. Il n'y avait pratiquement aucune allusion à la recherche nordique qui se faisait au Québec.

Or, il se trouve que c'est au Québec qu'il se fait le plus de recherche sur le Nord. Quand nous avons reçu ce rapport à l'Université Laval, je l'ai regardé et j'ai dit: «Ça n'a pas de sens! Ça n'a strictement aucun sens!».

Nous sommes alors intervenus auprès des autorités compétentes, à un certain niveau. Ils n'étaient même pas venus nous visiter. Ils s'étaient promenés partout à travers le Canada, mais ils n'étaient même pas venus au Québec.

Le groupe de travail qui travaillait là-dessus a eu honte. Ils ont été vraiment gênés et ils sont venus nous voir à l'Université Laval, entre autres. Je ne sais pas s'ils sont allés à Montréal mais, en tout cas, ils sont venus nous voir à l'Université Laval.

Nous les avons reçus très solennellement dans la Salle du conseil de l'Université et là, nous leur avons parlé. Nous avons fait une démonstration du savoir-faire du Québec, des institutions québécoises dans les affaires nordiques et arctiques.

Malheureusement, ce problème existe encore parce que le Nord, au Canada, a été géré dans ses grandes politiques par un ministère qui était à Ottawa et qui était essentiellement composé d'anglophones. Je n'hésite pas à le dire, et ce n'est pas un jugement de valeur que je porte sur les gens qui étaient là.

Pourquoi? Parce que le Nord, évidemment, c'est une longue tradition au Canada. Le Nord s'est développé dans le cadre des politiques fédérales et, par conséquent, le Québec avait toujours un francophone de service quelque part au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Mais, dans le fonctionnement historique du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le Québec n'est pratiquement pas présent. Pourtant, au Québec, nous avons fait énormément de choses - mon collègue Duhaime est en un très bon exemple - , notamment dans la dimension sociale des affaires du Nord.

Puisque nous parlons un peu de politique intérieure, si on développe un jour de la recherche au Canada, il faudra qu'à l'avenir, notamment dans les dimensions de politique internationale, l'on fasse appel un peu aux ressources du Québec.

Je vais vous donner un exemple très immédiat. Trois organismes se sont associés pour proposer la création de ce Conseil de l'Arctique. Il n'y en a aucun du Québec. Le Canadian Arctic Resources Committee est une affaire d'Ottawa, tout à fait anglophone. Je ne me souviens plus quels sont les autres, mais il n'y a aucune institutions du Québec qui a participé à cela. Pourtant, au Québec, on a des institutions dans les affaires internationales qui auraient pu apporter leur contribution.

Je m'excuse de dire cela, mais c'est du séparatisme à rebours. Il va falloir que, dans les questions arctiques, on pense autrement au niveau du gouvernement fédéral à l'avenir. Dans ce domaine-là, il y a un potentiel scientifique important au Québec.

Je ne veux pas dire que nous sommes les seuls à faire des choses, car ce n'est pas vrai. Je connais des collègues à l'Université de Toronto qui font un travail remarquable sur le plan de l'analyse politique et stratégique. Vous les avez sans doute rencontrés. Il y a Frank Griffiths et d'autres comme lui.

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Mais il va falloir, dans le domaine de l'Arctique, que cette dimension change. Quand vous irez vous promener dans les pays scandinaves, en Angleterre et ailleurs, j'espère que l'image que vous projetterez de ce qui se fait au Canada, en matière de recherche polaire, sera une image plus équilibrée que celle du groupe de travail qui a proposé la création de la Commission des affaires polaires.

Le président: J'aurais deux petites observations à faire, monsieur le professeur. Lorsque nous sommes allés dans l'Arctique de l'ouest, Mme Cournoyea, l'ancienne première ministre des Territoires du Nord-Ouest, a complètement condamné la Commission des affaires polaires en disant qu'on devait débourser les fonds autrement. M. Sauvageau était avec moi. Donc, vous n'êtes pas le seul.

Si je puis reprendre votre expression de «séparatisme à rebours», je me souviens, lorsque j'étais juriste jadis, d'avoir assisté à une conversation avec le juge Jules Deschênes de la Cour supérieure du Québec, qui disait que ce sont les juristes anglophones dans le pays qui sont les vrais séparatistes, parce qu'ils ne connaissent absolument rien de ce qui se passe au Québec, alors que les Québécois savent très bien ce qui se passe dans le reste du Canada. Ce n'est pas le cas seulement dans cette discipline, mais également dans d'autres où on a un problème de communication. Nous essayerons de notre mieux d'éviter ce problème à ce comité, je vous le promets.

[Traduction]

Monsieur Flis.

M. Flis (Parkdale - High Park): Merci, monsieur le président.

Je tiens à remercier tous les témoins d'avoir partagé leurs vues avec nous. Je remercie M. Painchaud de rappeler au comité que son mandat consiste à élaborer une politique étrangère de l'Arctique.

Je suis heureux aussi que mon collègue, M. Paré, ait rappelé à M. Painchaud qu'on ne peut dissocier la politique intérieure de la politique étrangère. Elles constituent un tout.

Mon collègue Michel Dupuy nous a rappelé aussi que le Canada ne peut élaborer une politique étrangère tout seul. Il nous a fallu de nombreuses années pour obtenir l'appui de nos partenaires de l'Arctique. Maintenant qu'ils dialoguent ensemble, qu'ils se réunissent, etc., et que le Canada organise la première réunion, quelles sont les questions sur lesquelles le Conseil de l'Arctique devrait se pencher pour aider à l'élaboration d'une politique étrangère de l'Arctique?

Les témoins peuvent-ils nous dire quelles devraient être ces questions? Et oui, la sécurité devrait être abordée. Mais si on l'ajoute à l'ordre du jour, on pourrait fort bien passer deux ans à en discuter sans rien accomplir.

M. Duhaime a soulevé un point très important, soit la dépendance du Nord à l'égard des gouvernements du Sud et du gouvernement fédéral. En fait, si nous voulons aider la population locale, les Autochtones et les habitants du Nord, la première chose que nous devons faire, c'est de briser cette dépendance.

Je suis allé à Iqaluit et à Tuktoyaktuk et j'ai vu ce qui se passe quand arrivent les chèques de paye. Les magasins sont dévalisés. Les gens achètent des boissons gazeuses, des croustilles, etc., si bien que la semaine suivante, ils n'ont plus d'argent pour acheter de la bonne nourriture. Encore une fois, cette dépendance à l'égard des chèques qui arrivent d'Ottawa... Est-ce que les autres pays sont confrontés au même problème? Si c'est le cas, cette question devrait peut-être être examinée en priorité par le Conseil de l'Arctique. Nous pouvons peut-être commencer à comparer les résultats de toutes les études dont nous avons entendu parler.

Ma deuxième question s'adresse à M. Ladanyi. Lorsque nous sommes allés dans l'Ouest et dans le Nord, nous avons rencontré les représentants de l'Institut circumpolaire canadien à Edmonton. Dans quelle mesure cet institut collabore-t-il avec les établissements de recherche situés au Québec, à Ottawa, dans les provinces de l'Ouest et dans le Nord? Je sais que je pose beaucoup de questions, mais si les témoins veulent bien répondre, monsieur le président...

M. Painchaud: Je suis d'accord avec vous. On ne peut dissocier la politique intérieure de la politique étrangère. Mais cela fait également partie de la vision géopolitique. On ne peut parler de la politique étrangère canadienne sans faire état de notre dépendance à l'égard des marchés étrangers, par exemple. Je trouve cela normal.

.1140

En ce qui concerne le conseil, j'ai cru comprendre que votre mandat consistait à élaborer une politique étrangère générale dans l'Arctique, et non pas seulement une politique étrangère pour l'Arctique. Je crois qu'il faudrait établir une distinction entre la politique qui sera proposée par le conseil, et la politique étrangère canadienne en général.

Pour ce qui est du rôle du Conseil de l'Arctique, il devrait se pencher - entre autres - , sur les problèmes de l'Arctique mais en leur donnant une dimension globale. Il ne devrait pas s'attaquer uniquement aux problèmes locaux, mais aussi aux problèmes globaux. Car l'Arctique est devenu en effet un problème global. L'étude qu'effectue M. Grondin sur la chaîne alimentaire, par exemple, comporte une dimension globale. Donc, le conseil devrait se pencher sur les problèmes globaux de l'Arctique qui touchent directement les pays de l'Arctique. C'est une des choses que je propose.

Il ne faudrait pas éliminer ou rejeter les autres questions qui présentent un intérêt essentiellement bilatéral ou multilatéral pour les pays de l'Arctique. Mais il me semble que le conseil peut donner aux problèmes de l'Arctique une dimension globale, tout comme on l'a fait avec l'Afrique, par exemple. La comparaison n'est peut-être pas bonne, mais...

Ce sont des suggestions, bien entendu.

M. Flis: Le partage des résultats des travaux de recherche...

M. Ladanyi: Oui. Nous partageons depuis longtemps les résultats des travaux de recherche qui sont effectués dans chacun des domaines particuliers. Nous ne limitons pas nos recherches au Québec. La plupart des résultats s'appliquent ailleurs. Lorsque j'effectue des recherches sur les problèmes de pergélisol, je publie mes résultats et ceux-ci sont à la longue appliqués en Alaska, dans les provinces de l'Ouest et dans les pays scandinaves.

Qu'est-ce qu'on entend par la collaboration internationale? Je suis fier de pouvoir dire que j'ai participé à des travaux de recherche à Faro. De nombreuses personnes se rendent à ces endroits et c'est ce qui fait la différence. Ces recherches sont habituellement menées en collaboration avec les instituts locaux ou nationaux de ces pays.

Il en va de même pour l'Alaska. Je ne suis pas allé en Alaska dans le seul but d'assister à une conférence. Il y a plusieurs années, nous nous sommes rendus là-bas pour effectuer des recherches sur le terrain. La collaboration entre l'Est et l'Ouest est très bonne.

Lorsque vous parlez des instituts ou des centres, ce n'est pas la même chose. Chaque centre a une orientation différente. Je suis fier de faire partie de l'équipe de chercheurs du Centre nordique de l'Université Laval. Et que dire aussi des nombreux travaux qu'effectue l'université en géomorphologie, en géographie, en biologie, en foresterie, ainsi de suite. Je suis un ingénieur, mais en ce qui concerne la recherche multidisciplinaire, il est bon que des gens qui ont des spécialisations différentes collaborent ensemble.

Si je dis que ne participerai peut-être pas aux travaux de l'institut à Edmonton... Personnellement, je m'intéresse beaucoup à ce qu'ils font, mais cela n'a pas grand chose à voir avec mon domaine de spécialisation. Par ailleurs, il y a aux États-Unis un institut de recherche sur les régions froides, le Cold Regions Research Laboratory, qui réalise des travaux fort intéressants. Cet institut est situé au New Hampshire et s'occupe d'effectuer la plupart des recherches sur l'Arctique pour le compte de l'armée américaine. Je tiens à rester en contact avec eux pour tirer parti de leur expérience et vice-versa. C'est important parce qu'ils touchent à domaine bien particulier sur lequel je travaille. Par contre, s'il y a un institut à Edmonton qui mène des recherches dans un domaine complètement différent, je ne suis pas particulièrement intéressé à établir des contacts avec lui.

.1145

M. Flis: Et quels éléments pouvons-nous inclure dans notre politique étrangère pour briser la dépendance des habitants du Nord sur...

Le président: Monsieur Flis...

M. Flis: Je m'excuse. Mon tour n'est pas terminé. Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question.

Le président: C'est très bien, monsieur Flis. Je pense que M. Duhaime souhaite ajouter quelque chose. Nous pouvons ensuite passer à l'autre question.

[Français]

M. Duhaime: La question de briser la dépendance est importante. Mais il faut bien comprendre qu'il y a, dans l'Arctique canadien, un problème qui n'est pas unique. La dépendance sur le chèque de paie envoyé d'Ottawa n'est pas exclusive à Iqaluit. C'est aussi ce qui se passe à St. John's, Terre-Neuve. Le budget du gouvernement de Terre-Neuve provient à 70 p. 100 du gouvernement fédéral. Je ne crois pas que les Terre-Neuviens et le Parlement de Terre-Neuve s'en plaignent.

Le problème de la dépendance économique...

Le président: Vous n'avez pas rencontré M. Tobin, je vous assure!

M. Duhaime: ...est un problème complexe qui ne pourra pas se résoudre aisément, même avec une politique arctique canadienne cohérente. Le Conseil de l'Arctique devrait être capable de définir les problèmes qui sont prioritaires dans ce développement et qui sont communs au monde circumpolaire.

L'un des problèmes qui semblent être communs au monde circumpolaire est le problème de l'éducation. Dans le Nord canadien, si, comme le prétend M. Dupuy, nous sommes en avance sur bien des aspects, dans le domaine de l'éducation comme dans celui du développement économique qui y est intimement lié, le Canada est très loin derrière tous les autres pays circumpolaires, très, très loin. Et si le Conseil de l'Arctique a un rôle utile à jouer, c'est de faciliter, comme instrument, les contacts entre les praticiens, les chercheurs dans ces domaines du développement économique ou de l'éducation, par exemple.

Le Conseil devrait bien voir, dans une perspective d'ensemble, que le développement économique piloté par des projets de l'extérieur, financé par des fonds fédéraux n'aura de prise que lorsque la population aura pu bénéficier d'une éducation non pas adaptée à la culture contemporaine des habitants du Nord, mais adaptée aux réalités contemporaines de l'économie mondiale.

La comparaison avec les autres pays circumpolaires est, à mon avis, devenue indispensable. Si le Conseil de l'Arctique peut faire quelque chose là-dedans, c'est d'identifier certains de ces problèmes qui sont communs au monde circumpolaire et ensuite, en autant que la recherche scientifique est concernée, de faciliter les échanges savants dans ces domaines.

M. Allard: Je voudrais répondre à une autre question de M. Flis. Elle a trait à la collaboration est-ouest au Canada ou à la façon de faire de la recherche et de gérer les équipes et les groupes.

M. Grondin vous a démontré que la recherche en santé environnementale était nettement en avance au Nunavik, c'est-à-dire au Québec nordique, et que cette recherche avait des liens internationaux majeurs à l'extérieur du pays et, avec certaines difficultés, ailleurs au Canada, même s'il ne l'a pas vraiment dit, et aux États-Unis. Je puis vous dire que c'est la même chose en ce qui a trait aux sciences naturelles et au génie, mais moins, comme le disait M. Ladanyi, au Québec.

Une étude récente qui vient de paraître, faite par l'Association universitaire canadienne d'études nordiques, démontre que près de 10 p. 100 de toute la recherche canadienne nordique se fait à l'Université Laval. L'une des raisons, c'est qu'au Québec, la recherche se fait de façon organisée. Il y a des centres de recherche. Il y en a un à Laval, celui que je dirige pour le moment, et il y a aussi à Laval, en dehors du Centre, un groupe très structuré, qui est le groupe représenté par mes deux collègues ici. Ces groupes travaillent en équipe. Ils ont monté des masses critiques de chercheurs; ils sont très compétitifs au niveau de la recherche de financement dans les organismes fédéraux et, maintenant, internationaux.

.1150

Quant à la recherche canadienne-anglaise - et c'est une perception que je présente - , elle est dispersée dans les universités. Cette étude de l'Association universitaire canadienne d'études nordiques, que j'ai lue la fin de semaine dernière, fait ressortir ce point majeur. La recherche actuellement se concentre dans certaines universités. Chose surprenante, elle se concentre surtout au Québec et elle est en train d'augmenter à Vancouver, à l'UBC et à l'Université Simon Fraser, alors qu'elle est en train de diminuer dans le reste du Canada.

C'est un problème de dispersion au Canada anglais. C'est un problème aussi, pour reprendre en quelque sorte ce que dit M. Painchaud, de traditions qui n'évoluent pas beaucoup, à la fois au gouvernement fédéral et dans la façon de penser et de voir les problèmes de recherche dans le réseau universitaire canadien-anglais. En tout cas, je viens de vous en expliquer ma perception.

Le président: Monsieur Allard, j'aimerais vous demander une petite question technique. Recevez-vous des fonds de fondations dans les parties du Canada hors Québec, par exemple de la Gordon Foundation qui finance beaucoup de recherche? Avez-vous accès à ces fonds ou si vos fonds proviennent plutôt du Québec?

M. Allard: La dernière fondation avec laquelle notre centre a fait affaire était la Donner Canadian Foundation. Il est question de ces fondations d'ailleurs dans ce rapport qui concerne les universités canadiennes. La majorité de ces fondations se sont retirées à toutes fins pratiques du Nord. Elles se sont concentrés sur d'autres aspects, qui sont la politique de développement des personnes, des groupes sociaux, etc., mais il y a de moins en moins de recherche orientée vers le Nord.

Le président: J'aimerais poser une question avant que le professeur Painchaud revienne, parce qu'il répondra peut-être à cette question.

Nous irons en Europe dans quelques semaines. Chacun dans votre domaine spécialisé, pouvez-vous nous dire lesquels de nos partenaires dans l'Arctique ont une politique bienfaisante et lesquels ont une politique néfaste pour le Nord? Que devrions-nous rechercher lors de notre prochain voyage?

C'est clair que le problème des déchets nucléaires à Mourmansk est énorme. Donc, nous connaissons les grands problèmes, mais vous pourriez peut-être sensibiliser les membres du comité à ce que nous devrions regarder quand nous serons là-bas.

Monsieur Bergeron, auriez-vous quelque chose à rajouter?

M. Bergeron: Mon collègue de Terrebonne et moi-même devons malheureusement quitter et il avait demandé à prendre la parole. Avant de quitter, nous aimerions que nos témoins identifient clairement les thèmes sur lesquels nous devrions porter notre attention. Je m'excuse.

Le président: Allez-y. Nous n'avons que dix minutes.

M. Sauvageau: Je m'excuse de vous interrompre, monsieur le président. Tout d'abord, je voudrais remercier les gens qui sont venus nous faire part de leurs connaissances du circumpolaire au niveau des relations internationales du Canada.

Je voudrais remercier principalement M. Flis de sa présence. Plus tôt, M. Painchaud a dit qu'il avait honte du comité. Moi aussi, j'ai honte du comité et je voulais...

M. Painchaud: J'espère que vous avez compris ce que je voulais dire.

M. Sauvageau: Oui, oui, mais c'est à un autre niveau. Je voulais vous assurer que lorsqu'un groupe d'anglophones vient témoigner devant le comité, vous n'avez pas à avoir honte de nous. Nous, nous sommes présents, contrairement aux réformistes et aux libéraux.

Le président: Vous n'êtes pas si partisan.

M. Sauvageau: Il n'y a aucun réformiste ici. Il n'ont aucun respect...

Le président: Ce n'est pas une question de respect. Ils ont d'autres préoccupations.

[Traduction]

Un rappel au Règlement?

M. Flis: À la Chambre et au sein des comités, nous ne tenons pas compte des députés qui sont présents et absents. Un de mes collègues assiste à une réunion du comité du patrimoine. Une autre de mes collègues est partie parce qu'elle devait assister à une autre réunion de comité. Ce que j'aime au sujet de ce comité-ci, c'est qu'il n'est pas imbu d'esprit de parti.

[Français]

Le président: Peut-on essayer de répondre à la question de monsieur?

.1155

M. Painchaud: On peut prolonger la suggestion et les interventions de M. Allard. Je voudrais vous demander ceci, et c'est une question que vous devriez vous poser: combien y a-t-il au Canada de spécialistes de l'Arctique dans le sens intégré du terme, comme il y a des spécialistes de l'Afrique? Mon collègue Duhaime, mon collègue Allard, moi-même et d'autres spécialistes de l'Arctique, on est spécialistes de certaines questions de l'Arctique, mais combien sont spécialistes de l'Arctique dans toutes ses dimensions? Je ne crois pas qu'on va en trouver beaucoup.

On rencontre des spécialistes de l'Amérique latine, ce qu'en anglais on appelle des spécialistes d'area studies. Nous n'en avons même pas. Nous n'avons même pas un programme intégré d'area studies sur le monde circumpolaire. Combien y a-t-il de programmes d'enseignement sur les pays scandinaves au Canada? Combien y a-t-il même de cours sur les pays scandinaves? Nous avons des cours sur l'URSS, nous avons des cours sur les États-Unis, mais avons-nous des perspectives régionales dans nos programmes d'enseignement?

Vous nous demandiez des suggestions. J'en ai fait quelques-unes un peu vagues, mais je vais en ajouter une autre. C'est une suggestion à la fois de politique intérieure et de politique extérieure. La politique extérieure du Canada ne peut être bien développée si elle ne s'appuie pas sur un réseau de connaissances et de recherches à travers le pays. Cela se fait dans un certain nombre de domaines, pour les questions Nord-Sud, par exemple, et pour les questions stratégiques jusqu'à un certain point. Si l'Arctique est considéré comme une priorité pour la diplomatie canadienne....

[Traduction]

Je vais continuer en anglais, monsieur Flis, pour vous simplifier la tâche. Vous avez eu souvent recours aujourd'hui aux services d'interprétation.

M. Flis: C'est mon cours de français.

M. Painchaud: Et pour moi, c'est mon cours d'anglais.

Le comité devrait proposer la mise sur pied au Canada - au Québec et dans d'autres régions du Canada, parce que je suis sûr qu'on aborderait la question sous un angle différent - , d'une université à tout le moins, ou d'un programme inter-universitaire, pour sensibiliser les gens aux questions qui intéressent l'Arctique, non seulement dans le domaine des sciences sociales, mais également dans celui des sciences naturelles. Ce qui fait gravement défaut au Canada, c'est l'absence d'une dimension politique en ce qui concerne l'Arctique. Malheureusement, monsieur Dupuy, cette situation tient au peu d'intérêt que l'on a accordé à l'Arctique dans le passé.

Un programme régional, intégré à d'autres domaines - aux études européennes, par exemple, ou africaines,... Nous n'avons rien de cela. Et je ne crois pas que cela existe ailleurs. Nous ferions oeuvre de pionniers dans ce domaine. Pourquoi ne pas prendre l'initiative de créer un tel programme au Canada, à la condition - et je me répète afin de bien me faire comprendre - , qu'il y ait un programme au Québec et un autre ailleurs au Canada. N'essayez pas de mettre sur pied un programme d'études circumpolaires à Toronto ou même à Ottawa. Cela ne fonctionnera pas. Si vous voulez que le Québec participe, il faudra également en établir un au Québec. C'est plus coûteux, mais beaucoup plus enrichissant.

Le président: Sur ce dernier point, ne croyez-vous pas, compte tenu de la situation actuelle, qu'il faudrait également offrir un programme dans le Nord? Quand nous sommes allés au Yukon, nous avons visité l'université et nous avons bien vu que les gens là-bas sont très mécontents. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que l'Arctique est une région très importante sur le plan géopolitique. C'est pour cette raison que nous insistons là-dessus. Nous voulons bien faire comprendre aux parlementaires que cette question intéresse tous les Canadiens, pas seulement les habitants du Nord.

Mais il était également très évident, lorsque nous sommes allés dans le Nord, que les gens éprouvent un profond sentiment d'isolement - ils se sentent isolés. Donc, ne serait-il pas important, mis à part les quelques rares visites, d'avoir une présence concrète là-bas? Les habitants de cette région se sentent isolés puisque le Conseil de l'Arctique va être situé à Ottawa et non pas dans le Nord. Ce sont des problèmes graves.

.1200

M. Painchaud: C'est vrai, mais je ne crois pas que vous trouverez les ressources nécessaires dans le Nord pour établir ce genre de programme. Vous avez besoin de spécialistes qui connaissent bien les États-Unis, l'Union soviétique, les questions stratégiques, économiques, ainsi de suite.

Autrement dit, le Nord ou l'Arctique n'appartient pas aux autochtones ou aux habitants du Nord. Ce point doit être très clair. On ne peut défendre une politique étrangère canadienne dans l'Arctique si on ne met pas l'accent là-dessus. L'Arctique n'appartient pas aux habitants du Nord.

[Français]

Le président: Monsieur Duhaime, voudriez-vous ajouter quelque chose à cela?

M. Duhaime: Dans le même sens, je voudrais suggérer aux membres du comité, qui vont avoir l'occasion d'aller voir comment cela se passe ailleurs, de poser des questions sur l'attitude qu'ont les gouvernements étrangers par rapport aux habitants de leur Nord. Vous allez être frappés par la différence d'attitude.

Les questions d'aliénation, d'appartenance, de possession, ou d'implication dans les problèmes ne sont jamais à l'ordre du jour chez nos collègues, en particulier nord-européens. Cela n'existe pas.

Les Norvégiens du Nord ne se posent pas des questions d'ethnie lorsqu'il s'agit d'adopter des politiques, non plus que les Danois. Le Parlement groenlandais réunit des élus, non sur une base ethnique, mais sur une base de résidence.

Je voudrais aussi suggérer, comme il a déjà été souligné par les collègues, de vérifier de quelle manière est organisée la recherche dans les pays scandinaves, au Danemark, au Groenland, en Islande et même en Sibérie où, pourtant, les ressources sont beaucoup plus rares qu'ici.

Comment est coordonnée la recherche? Prenez quelques minutes ou quelques jours pour examiner le rôle des commissions polaires parallèles à la nôtre. Les commissions polaires dans le Nord de l'Europe financent la recherche. Ce n'est pas du tout le cas de la Commission canadienne des affaires polaires, qui devrait la coordonner, ce que, manifestement, elle ne fait pas. Je pense qu'il serait utile que le comité examine cette situation.

M. Ladanyi: J'aimerais fortement appuyer ce que mon collègue a dit. Je suggérerais à peu près la même chose en ce qui a trait à la politique par rapport aux habitants de la Laponie, qui est divisée entre la Suède, la Norvège et la Finlande. J'ai eu l'occasion de visiter le nord de la Finlande et j'avais l'impression que tout marchait relativement bien. Mais, évidemment, en regardant de l'extérieur, on peut se tromper. Quelle est la politique ayant trait à une certaine autosuffisance des peuples autochtones dans le Nord? C'est la première chose.

Deuxièmement, je suis fortement impressionné par les efforts des pays scandinaves en vue de transférer l'éducation vers le Nord. Récemment, en Norvège, une branche d'université a même été ouverte à Longyearbyen à Svalbard.

Évidemment, nous l'avons fait aussi au Yukon avec le Yukon College. Donc, on a fait quelque chose. Il y a maintenant des branches et des universités nordiques au Canada, mais est-ce suffisant pour la formation sur place des autochtones et de ceux qui veulent étudier dans le Nord? Étudier sur le Nord, c'est très différent d'étudier le Nord sur place.

On donne des cours dans le Sud, on en parle, mais on n'a même pas l'argent pour montrer aux étudiants de quoi cela a l'air, sauf par la vidéo. Donc, il faut qu'il y ait beaucoup plus d'occasions, pour les gens du Sud, d'apprendre sur le Nord et de visiter le Nord.

Je trouve que les gens du sud du Canada connaissent très peu ce qui se passe dans le Nord. Ils n'ont pas idée de la grandeur du Nord canadien. Cette idée, qui ne reste que sur papier ou bien à la télévision, devrait être plus élargie et on devrait donner aux Canadiens beaucoup plus d'occasions de visiter le Nord. Il faut donc leur en faciliter l'accès. C'est ce que font d'ailleurs les pays scandinaves.

.1205

M. Painchaud: Monsieur le président, puis-je poser une question?

Le président: Excusez-moi, mais je pense que M. Allard voulait faire une observation.

M. Allard: J'aimerais faire une observation. Ce sera probablement ma dernière, à moins qu'on ne me pose une question spécifique.

[Traduction]

Je vais m'exprimer en anglais, par courtoisie.

Je reviens à une des suggestions que j'ai formulées. J'encourage tous les membres du comité à lire la loi américaine qui s'intitule Arctic Research Policy Act. Vous comprendrez les défis auxquels nous sommes confrontés et les mesures que nous devons prendre. J'en ai proposées quelques-unes ce matin.

Le président: Nous pourrions peut-être suggérer à M. Martin de lire la loi. Ce serait peut-être plus pratique.

M. Allard: C'est vous qui allez faire les recommandations et c'est vous qui devrez les justifier.

[Français]

M. Painchaud: J'aurais une question pour mes trois collègues.

Le président: Vous avez des questions?

M. Painchaud: Oui, pour eux.

Le président: Ensuite, il faut que nous quittions parce qu'il...

M. Painchaud: L'un ou l'autre d'entre eux pourrait-il nous parler du centre de recherche sur le Nord qui existe à Paris, au CNRS?

M. Duhaime: Tout ce que je peux vous en dire, c'est qu'on n'en entend plus parler.

Le président: Moi-même, il y a 10 ans...

M. Duhaime: Puis-je ajouter qu'un certain nombre d'étudiants qui y étaient inscrits sont aujourd'hui à l'Université Laval?

M. Painchaud: Donc, ce centre n'a plus de contribution scientifique importante en français? Non. C'était le sens de ma question.

Vous comprenez maintenant pourquoi j'ai posé la question. Même si la France n'est pas un pays nordique, peut-être qu'il se faisait là des recherches dont on aurait pu bénéficier au Canada. Je ne suis pas content, mais je suis satisfait de la réponse de M. Duhaime.

M. Grondin: L'Italie a aussi un centre de recherche polaire tout comme l'Allemagne, le Japon et l'Angleterre. Plusieurs pays peuvent contribuer.

M. Painchaud: À Hokkaido, il y a un centre d'études nordiques extrêmement important et très bien organisé.

Le président: Étant donné l'heure, je dois clore la séance. Nous remercions beaucoup nos témoins. Je suis bien content qu'à la fin au moins, on puisse prouver l'utilité d'un comité parlementaire. Quelquefois, cela permet aux collègues de mieux se connaître et d'échanger des points de vue. Donc, on a contribué un peu à la recherche scientifique au Canada avec la séance de ce matin.

Vos observations et le défi que vous nous avez posé de bien regarder notre rôle dans les recherches actuelles sont beaucoup appréciés par tous les membres du comité. Je vous assure, malgré l'observation de M. Sauvageau, que les autres membres du comité, qui ne peuvent pas nécessairement être ici tout le temps, lisent les documents. J'aimerais aussi vous assurer que le petit document que vous aviez devant vous est une petite partie de ce que nous avons déjà regardé et que nous essayons de faire les recherches les plus larges possible.

Merci beaucoup à tout le monde de la part du comité.

Avant de partir, je demande qu'un membre du comité propose une motion nous autorisant à acheter des cadeaux pour offrir aux hôtes étrangers lorsque le comité se déplacera en Europe, dans le cadre de notre étude, et aux délégations étrangères que le comité reçoit à Ottawa. Nous avons besoin d'une autorisation du comité pour acheter quelque chose pour offrir à nos hôtes, comme ils le font d'habitude quand ils viennent chez nous. M. Flis, M. Paré.

La motion est adoptée

Le président: Nous remercions nos hôtes.

[Traduction]

Nous ajournerons jusqu'à mardi, 9 heures. Nous assisterons à une séance d'information sur notre voyage. Ensuite, l'après-midi, nous analyserons l'entente de libre-échange conclue entre Canada et Israël et entreprendrons peut-être, durant la soirée, l'examen article par article du projet de loi. La séance d'information se déroulera à huis clos.

La séance est levée.

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