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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 7 mai 1996

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[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte.

Nous recevons cinq témoins ce matin. Comme d'habitude, nous ne disposons que d'une heure et demie. Nous allons donc passer tout de suite aux déclarations préliminaires. Notre groupe de témoins ce matin traitera du développement économique et commercial ainsi que du transport maritime. Le groupe de jeudi abordera les questions de la souveraineté et de la sécurité. Vous voudrez peut-être prendre connaissance de cette partie du document de recherche en prévision de la séance de jeudi. Du point de vue de la recherche, l'information se trouve dans la partie concernant le commerce, le développement économique et le transport maritime.

Je demanderai peut-être aux témoins de présenter leur exposé dans l'ordre dans lequel leurs noms apparaissent à l'ordre du jour. Nous avons donc en premier le capitaine Patrick Toomey et Gerald Lock qui comparaissent à titre particulier.

Capitaine Toomey, pouvez-vous commencer?

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Le capitaine Patrick R.M. Toomey (témoigne à titre personnel): Monsieur le président, mesdames et messieurs, bonjour.

Je suis un ancien capitaine de brise-glace de la Garde côtière canadienne et je m'intéresse tout particulièrement à la navigation dans les glaces. Je ne suis certainement pas opposé au développement commercial dans les régions arctiques, car j'estime que les habitants du Nord ont tout autant le droit que qui que ce soit de gagner décemment leur vie à notre époque moderne. Je crois cependant qu'il faut contrôler dans une certaine mesure la façon dont se fait ce développement pour tenir compte de la précarité de l'écologie de l'Arctique et des modes de vie traditionnels des peuples autochtones.

À mon avis, le développement commercial, qu'il s'agisse de développement industriel ou touristique, augmentera les besoins de transport d'une façon ou d'une autre, surtout pour ce qui est du transport maritime. C'est ce trafic maritime accru qui me préoccupe le plus.

Même sans un développement commercial considérable dans l'Arctique, les affréteurs cherchent déjà des routes maritimes plus courtes à travers l'océan Arctique comme solution de rechange viable aux longues routes maritimes en eaux ouvertes, soit les routes transatlantiques, ainsi que les routes transpacifiques qui traversent le canal de Panama. N'importe quel affréteur du Japon ou du Nord du Pacifique n'a qu'à regarder la carte pour constater que la distance est beaucoup plus courte si l'on passe par le pôle, non pas nécessairement directement au-dessus du pôle, mais par l'océan Arctique. C'est à peu près le tiers de la distance à franchir pour atteindre l'Europe.

À mon avis, la circulation maritime de transit devrait commencer et augmenter rapidement dans un avenir assez rapproché. Je ne parle pas de l'an prochain, mais des cinq à dix prochaines années.

Depuis que j'ai pris ma retraite et que je suis devenu expert-conseil en navigation dans les glaces, j'ai découvert qu'il y avait très peu de compétences dans ce type de navigation dans le monde. Les navigateurs qui rencontrent des glaces lors de leurs voyages sont très peu nombreux. Parfois, ils font un voyage dans les glaces pendant quelques semaines ou quelques jours, mais pas dans les glaces de l'Arctique, seulement dans celles des eaux du sud. Voilà ce à quoi se résume leur expérience de la navigation dans les glaces.

Il est déjà assez dangereux de naviguer en hiver dans les glaces du golfe Saint-Laurent. La navigation dans les glaces de l'Arctique est extrêmement dangereuse. Elle n'est pas seulement difficile, elle est ainsi dangereuse. La navigation dans les glaces de l'Arctique exige énormément de compétences ainsi que des navires bien préparés qui peuvent fonctionner indépendamment.

À mon avis, avant que de tels transits ne deviennent courants, il faudra former adéquatement des spécialistes de la navigation dans les glaces selon des normes internationales, leur faire passer un examen et leur émettre un certificat d'attestation de compétence.

La situation qui existe à l'heure actuelle dans le golfe Saint-Laurent, où tous les navires peuvent entrer, ne saurait être tolérée plus longtemps. On leur demande s'ils veulent avoir un pilote pour naviguer dans les glaces, mais ils ne sont pas obligés d'accepter, et il en résulte des dommages. Dans l'Arctique, la situation est dix fois pire.

Les nations arctiques, celles qui entourent l'océan Arctique - la Russie, le Canada, la Norvège, le Danemark pour le Groenland, et les États-Unis - doivent être prêtes à surveiller cette navigation dans les eaux polaires et à la faciliter en harmonisant leurs normes, en exigeant que les navigateurs soient habilités à naviguer dans les glaces et en standardisant la classification des navires qui peuvent naviguer dans les glaces.

À l'heure actuelle, chaque pays a ses propres normes de classification et il est presque impossible d'essayer de les harmoniser en disant quel navire est égal à quel autre. On essaie de le faire. Tous les pays s'y emploient. J'estime cependant qu'il faudra harmoniser tout cela avant que ce genre de transit ne devienne courant.

Il doit y avoir moyen de faire respecter ces règles internationales. C'est très bien d'avoir des règles, mais quelqu'un doit les faire respecter. Le transport maritime a toujours été un secteur très indépendant. Les affréteurs détestent être réglementés ou assujettis à une application rigoureuse des règles car cela leur coûte de l'argent. Le problème, c'est qu'ils vont toujours essayer de s'en tirer avec le minimum absolu, et dans l'Arctique, le minimum a l'horrible habitude de toujours être réduit.

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À l'heure actuelle, la Russie est le seul pays de l'Arctique qui ait une flotte de brise-glace capable de fonctionner dans l'océan Arctique. Personne d'autre n'en a une, le Canada y compris. Le Canada n'a aucun brise-glace capable d'assurer un service courant dans l'océan Arctique, à l'extérieur de l'Arctique canadien et la mer de Beaufort, malgré le voyage extraordinaire que le navire de la Garde côtière, le Louis Saint-Laurent, a effectué au pôle Nord en 1994, avec l'aide du Polar Sea de la Garde côtière américaine. C'était une expérience scientifique. Ils avaient tout le temps au monde pour faire ce voyage. Même là, ils ont eu de la difficulté à revenir. Le Polar Sea a été endommagé.

Depuis l'abolition du projet Polar 8 en 1990, il semble que le Canada n'ait aucun plan pour améliorer sa flotte de brise-glace ou même remplacer la flotte vieillissante que nous avons à l'heure actuelle. À moins qu'il ne veuille laisser à la Russie le contrôle total de l'océan Arctique par défaut, le Canada devrait, à mon sens, faire quelque chose rapidement pour envisager sérieusement de reprendre sa place dans l'océan Arctique.

En passant, la flotte de brise-glace combinée de la Suède et de la Finlande dans la mer Baltique, qui n'a rien à voir avec la glace de l'Arctique, est mieux équipée et plus puissante que la nôtre.

Nous ne devrions pas manquer l'occasion de devenir maîtres de la situation. Si le Canada décide de se retirer du déglaçage, je suis certain que les Russes, les Scandinaves et même des entreprises commerciales seraient intéressés à construire des navires capables de naviguer dans l'océan Arctique.

À mon avis, si on laisse la navigation polaire uniquement aux intérêts commerciaux, sans supervision ni réglementation gouvernementale, on s'en va tout droit vers un désastre écologique et humain. Il suffit pour s'en convaincre de regarder la quantité de dommages attribuables à la glace dans le golfe Saint-Laurent, sans parler de l'Arctique. Habituellement, chaque fois que quelqu'un fait un voyage dans le Nord, il y a des dommages. Dans le golfe Saint-Laurent, il y a toujours quelqu'un qui subit des dommages.

Jusqu'à présent, les armateurs commerciaux ont toujours été remarquablement peu disposés à construire des navires de charge brise-glace, à l'exception de Canarctic, qui a beaucoup de succès avec le MV Arctic. Lorsque les Russes étaient encore sous le régime communiste, ils ont mis au point une très belle classe de transporteurs mixtes appelés la SA-15, soit des navires de cote arctique 3 qui peuvent fonctionner indépendamment dans les glaces de l'Arctique.

Si des navires indépendants commencent à naviguer dans l'océan Arctique, le Canada devra décider s'il veut avoir des brise-glace capables de se porter à l'aide de ces navires - je ne dis pas qu'ils devront être escortés d'un océan à l'autre, mais qu'on pourrait se porter à leur aide - sinon nous devrons dire, comme c'est le cas en Antarctique... Je me rends assez souvent dans l'Antarctique, et on nous dit là-bas qu'en cas de désastre, il n'y a pas de sauvetage possible, qu'on doit se débrouiller tout seul. Nous devrons donc décider de ce que nous allons faire.

Le président: Merci beaucoup.

Une toute petite question, et vous me répondrez tout simplement par oui ou non. Je crois comprendre que la plupart de ces brise-glace russes ont été construits dans l'ancienne Allemagne de l'Est lorsque ce pays faisait partie de leur système.

Le capitaine Toomey: Non, très peu d'entre eux ont été construits en Allemagne; la plupart viennent de la Finlande. La Finlande est réputée - et à juste titre - pour construire les meilleurs brise-glace au monde. J'ai piloté bon nombre de ses navires.

Le président: Merci, capitaine.

Monsieur Lock.

M. Gerald Lock (Témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je vais vous présenter mes observations en fonction des principaux objectifs que nous devrions essayer d'atteindre alors que nous nous préparons à présider le Conseil de l'Arctique. J'aborderai bon nombre de sujets, particulièrement les deux que vous avez mentionnés dans vos remarques liminaires. J'aborderai surtout deux domaines: d'abord, le Conseil de l'Arctique et ses rapports avec le Comité international pour les sciences arctiques, ou l'IASC; ensuite, le commerce circumpolaire.

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Tout d'abord, le Conseil de l'Arctique et ses rapports avec l'IASC, le Comité international pour les sciences arctiques. Il y a quatre choses que j'aimerais dire à ce sujet, puis, en raison du peu de temps dont nous disposons, je ne ferai que quelques brèves observations sur chaque point.

Tout d'abord, à mon avis, la coopération circumarctique est fondamentalement compromise par l'eurocentrisme; c'est la conclusion à laquelle je suis arrivé après avoir travaillé avec l'IASC.

Je pense que tout le monde ici connaît le Conseil de l'Arctique, mais tout le monde ne connaît peut-être pas le Comité international pour les sciences arctiques. J'aimerais donc dire brièvement qu'il s'agit d'un organisme d'encadrement, une sorte d'organisme de coordination, qui prétend, je pense avec raison - pouvoir offrir des conseils sur les sciences de l'Arctique à quiconque en a besoin.

Le comité se compose de deux parties, et c'est assez important. Son conseil, qui est formé de représentants de tout pays au monde qui veut travailler dans les sciences de l'Arctique, compte déjà seize membres. Il y a à peine deux semaines, on a nommé un membre provenant de la Chine. Le travail du conseil consiste à planifier les sciences et à les mettre en oeuvre, en quelque sorte - à s'occuper des sciences.

D'un autre côté, il y a un conseil d'administration régional auquel siègent uniquement des représentants des huit pays de l'Arctique. Je représente le Canada et il se trouve que je préside ce conseil d'administration, dont la fonction est très différente de celle du conseil. C'est un point important. Sa fonction consiste à s'assurer que les activités de l'IASC sont conformes aux intérêts des huit pays de l'Arctique. Pour moi, c'est une fonction très importante. J'aimerais pouvoir dire qu'il s'acquitte très bien de cette fonction, mais je ne peux le faire, et je ne pense pas que cela soit particulièrement de bon augure pour le Canada.

Par exemple, si on regarde la structure des huit pays, à part le Canada, la Russie et les États-Unis, les cinq pays qui restent sur les huit, et qui sont par conséquent supérieurs en nombre,sont tous des pays nordiques qui ont tendance à voter en bloc, tout comme au Conseil de l'Arctique. Il y a donc des leçons à tirer ici, car l'IASC existe depuis six ans, et j'imagine que les problèmes qu'il a connus à ses débuts émergeront au Conseil de l'Arctique. Par conséquent, la politique canadienne devrait refléter cette situation.

Il ne s'agit pas cependant que du bloc européen par rapport aux autres pays. J'exagère peut-être un peu ici, mais pas vraiment, car ces pays nordiques sont affiliés à la communauté européenne ou en sont membres. Par conséquent, avec les pays d'Europe, ils détiennent une majorité très importante au sein du conseil de l'IASC, ce qui leur permet de dicter les politiques scientifiques pour l'Arctique, et le conseil d'administration n'y peut pas grand-chose. Comme je l'ai dit, je ne pense pas que cela soit particulièrement à l'avantage du Canada.

Vous direz peut-être: «Eh bien, ce sont des sciences. Qu'est-ce que cela a à voir avec nous?» En fait, nous ne pouvons faire des sciences dans le vide. Les sciences que l'on applique doivent être à l'avantage des gens qui parrainent les recherches scientifiques et, par conséquent, elles devraient tenir compte des objectifs socio-économiques de cette société. Il est clair que les objectifs socio-économiques de l'Europe ne correspondent pas toujours aux nôtres, mais s'ils dominent le programme, nous avons de toute évidence un problème.

La deuxième chose que je voulais dire, c'est que le Conseil de l'Arctique doit traiter les trois secteurs de l'Arctique sur un même pied pour survivre, et cela découle de mon premier point. Au conseil d'administration régional de l'IASC, nous songeons à mettre sur pied une sorte de conseil exécutif tripartite représentant chacune des trois régions, car le groupe euronordique représente de 25 à 30 p. 100 de l'Arctique; le reste, qui forme la majeure partie de l'Arctique, est donc partagé à peu près en parts égales entre la Russie et l'Amérique du Nord.

Donc, par exemple, lorsque nous présiderons le Conseil de l'Arctique, il serait peut-être judicieux de nommer un vice-président de la Russie et un vice-président des pays nordiques pour qu'ensemble nous formions un comité exécutif qui s'assurera que les questions sont abordées en tenant pleinement compte des intérêts circumarctiques avant qu'elles ne soient finalement étudiées par le conseil. C'est une suggestion.

La troisième chose que je voulais dire, c'est que le Canada devrait insister pour que les connaissances traditionnelles complètent les connaissances scientifiques dans toute question touchant les résidents de l'Arctique. Cela semble être assez évident dans le contexte canadien, mais c'est un point de vue qui n'est pas partagé par tous les pays de l'Arctique et ce ne l'est certainement pas par les pays non arctiques qui, comme je l'ai dit, définissent peut-être les priorités d'intervention.

Je ne veux pas me faire trop philosophe, mais comment avons-nous appris ce que nous savons? Comment l'homme sait-il ce qu'il sait? Il n'existe que trois façons de savoir: les connaissances rationnelles, les connaissances empiriques et les connaissances métaphoriques.

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Les sciences se limitent presque exclusivement aux connaissances rationnelles - pas entièrement, mais elles se concentrent sur les connaissances rationnelles - tandis que les connaissances traditionnelles proviennent en partie des connaissances empiriques et en partie des connaissances métaphoriques. Donc, si on prend les deux, on a un tableau complet des connaissances humaines, et c'est ce que nous devons viser. Si on laisse les sciences dominer et qu'on relègue les connaissances traditionnelles à un plan inférieur, je pense qu'on a tort sur le plan philosophique et que cela est socialement inacceptable.

La quatrième chose que je voulais dire, c'est que le Canada devrait insister pour que les sciences de l'Arctique soient surtout axées sur les avantages pour les résidents de l'Arctique. Encore une fois, cela semble évident dans le contexte de l'Arctique, mais comme je l'ai dit, c'est un point de vue que ne partagent pas tous les pays de l'Arctique, et certainement pas les pays non arctiques.

Par exemple, les scientifiques des pays non arctiques en Europe ont tendance à considérer l'Arctique comme une sorte de laboratoire. Ils vont y faire leurs expériences et rentrent chez eux à la fin de l'été. À leur avis, c'est acceptable, mais pour nous, l'Arctique est une patrie et nous devons reconnaître les conséquences culturelles de ces agissements.

Monsieur le président, j'aimerais maintenant aborder la deuxième grande question, c'est-à-dire le commerce circumpolaire. Il y a trois choses que j'aimerais dire à ce sujet. Tout d'abord, le Conseil de l'Arctique devrait chercher à renforcer les réseaux de transport et de télécommunication dans l'Arctique. Je n'ai pas l'intention d'en dire davantage à ce sujet, étant donné l'exposé qu'on vient tout juste d'entendre concernant le transport maritime, mais si on ajoute à cela le transport aérien et les télécommunications, il me semble que cet aspect est très important pour nous si on veut faciliter le commerce, assurer la sécurité dans l'Arctique et, naturellement, faciliter les sciences dont nous dépendons tous.

Deuxièmement, j'aimerais dire que le Conseil de l'Arctique devrait étudier la possibilité pour les pays de l'Arctique de conclure un accord de libre-échange. Vous vous rappellerez peut-être que le principal argument ou certainement l'un des principaux arguments pour mettre en place l'ALENA portait sur la taille du marché de nos voisins du Sud. Si on combine les PIB des huit pays de l'Arctique, je n'ai pas le chiffre exact, mais cela représente certainement plusieurs billions de dollars de plus que le marché américain. Ce simple fait montre que nous devrions tout au moins tenir compte des études sur la balance des paiements entre notre pays et les sept autres pays de l'Arctique.

Je pense qu'un tel accord pourrait également contribuer à réduire le boycottage de certains produits du Nord et apaiser certains obstacles commerciaux, notamment sur les animaux à fourrure.

Troisièmement, et finalement, monsieur le président, j'aimerais dire que les sciences et la technologie des régions froides, particulièrement en ce qui concerne la protection de l'environnement, devraient être encouragées dans les laboratoires gouvernementaux, dans l'industrie et dans les universités au Canada. Je dis cela non seulement pour que nous nous appuyions sur les réalisations passées, mais aussi pour souligner qu'il existe là des marchés très importants. Nous sommes un pays commerçant et c'est quelque chose de naturel que nous devrions faire et que nous avons fait dans une certaine mesure.

Par exemple, si je peux passer du pôle Nord au pôle Sud très brièvement, en Antarctique, pour appuyer toute la recherche scientifique qui se fait chaque année, il y a un marché d'environ500 millions de dollars. Ce marché doit être encore plus important dans l'Arctique. Il existe donc un marché fort considérable que nous devrions exploiter.

Je me rends compte que votre comité et les gouvernements en général sont limités dans leur capacité de prendre une telle initiative, mais il me semble que si nous encouragions les laboratoires gouvernementaux à faire de la recherche dans les sciences et la technologie des régions froides, si nous pouvions encourager l'industrie à en prendre le risque et l'initiative, peut-être grâce à des incitatifs fiscaux, et si nous pouvions encourager nos universités à élaborer des programmes et à former des étudiants et des diplômés qui soient des experts dans ce domaine, cela pourrait faciliter le développement d'un marché très naturel pour nous. Les Européens ont reconnu ce marché depuis le début et sont extrêmement actifs et compétitifs. Nous avons peut-être une leçon à tirer de leur expérience.

Merci, monsieur.

Le président: Je vous remercie beaucoup pour ces recommandations utiles.

Notre prochain témoin est M. Luce, président de la Canarctic Shipping Company.

M. Martin Luce (président, Canarctic Shipping Company Limited): Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, mes observations se limiteront à deux domaines qui reflètent l'expérience de ma société. Je vous expliquerai un peu plus tard ce qu'est la Canarctic Shipping et comment elle a vu le jour.

J'aimerais parler du transport maritime commercial dans l'Arctique et de la technologie qui a été mise au point au Canada pour appuyer ce genre de transport. Il est peut-être difficile de comprendre les problèmes du transport maritime dans l'Arctique alors qu'on est assis ici dans cette salle confortable; aussi ai-je apporté quelques photographies et, avec votre permission, monsieur, j'aimerais vous les présenter au cours de mon exposé.

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Pour nous familiariser avec l'Arctique canadien, voici essentiellement la région dans laquelle nous opérons.

Aujourd'hui dans l'Arctique canadien, le transport maritime comprend deux éléments: l'exportation de concentrés de minéraux de deux mines de plomb et de zinc qui se trouvent à Nanisivik et dans la Petite île Cornwallis - nous voyons ici le secteur du détroit de Lancaster - et l'expédition de fournitures et de produits de combustibles raffinés vers ces deux mines d'exploitation et au quelque 28 collectivités de l'Arctique. Les exportations provenant de l'Arctique canadien totalisent environ 350 000 tonnes chaque année, tandis que le volume de marchandises expédiées vers l'Arctique est sans doute supérieur à 200 000 tonnes. Tout ce commerce se fait sur un axe nord-sud, et aucun de ces mouvements n'est lié à d'autres pays circumpolaires.

Les deux mines de métaux de base qui sont en exploitation actuellement dans l'extrême Arctique devraient épuiser leurs réserves au début du siècle prochain. On fait actuellement de la prospection à plusieurs endroits, et de nouvelles mines devraient sans doute remplacer la production actuelle sans que l'activité future d'exportation n'augmente de façon considérable.

Il faut en outre souligner que des navires à plus fort tonnage ont récemment été introduits dans le commerce d'exportation, réduisant le nombre total de transits au cours de chaque saison de navigation. Naturellement, le transport maritime intérieur augmentera lentement pour appuyer la croissance au fur et à mesure que le Nord se développera.

Sauf dans un cas, qui est celui de notre société, le transport maritime est généralement lié à la saison de navigation en eau ouverte en août et en septembre.

À l'extérieur du Canada, le transport maritime dans les glaces est utilisé avant tout pour acheminer des marchandises au Groenland et en Russie. Les routes maritimes connues de la Russie, comme vous l'avez entendu, sont utilisées pour transporter les marchandises vers les collectivités du Nord et celles qui bordent les principaux fleuves qui coulent vers le nord dans l'océan Arctique russe. Ces fleuves offrent en été une voie navigable vers le vaste intérieur de la Russie. Le bois et les minéraux sont transportés par le même réseau.

Le volume de transport maritime commercial dans l'Arctique russe est sans doute deux ou trois fois plus élevé que dans l'Arctique canadien. Cependant, l'Arctique russe a d'énormes réserves inexploitées de pétrole et de gaz. On songe à mettre en production plusieurs nouveaux grands gisements de pétrole et de gaz. Ces produits seront exportés par pétroliers. On s'attend donc à ce que toute augmentation majeure du transport maritime dans l'Arctique soit liée à l'exploitation de ces ressources par la Russie.

Grâce à leur capacité de construction navale, les pays nordiques, et la Russie elle-même, sont bien placés pour produire les gros pétroliers qui serviront à transporter le brut provenant du Nord de la Russie. Nos voisins nordiques, particulièrement la Finlande, construisent depuis longtemps des brise-glace pour le marché russe. En fait, la Finlande travaille déjà à concevoir des pétroliers de brut.

Ce n'est pas un marché que le Canada a réussi à pénétrer. Le rôle du Canada est peut-être davantage lié aux technologies de soutien qui ont été mises au point dans le cadre de nos activités de transport maritime dans l'Arctique au cours des 20 dernières années.

J'aimerais maintenant revenir un peu en arrière. Au milieu des années 1970, le Canada a cherché à atteindre l'excellence en matière de navigation dans les glaces. Dans le cadre de cette initiative, la Canarctic Shipping Company a été créée comme une entreprise conjointe entre le gouvernement fédéral et le secteur privé pour construire et exploiter un brise-glace de charge qu'on appelle le MV Arctic.

Depuis 1978, l'expérience acquise avec ce navire a fait du Canada un chef de file pour ce qui est de la mise au point et de l'utilisation de systèmes informatisés de navigation dans les glaces qui améliorent à la fois la fiabilité et la sécurité du transport maritime commercial dans l'Arctique. Le MV Arctic a été construit comme un navire commercial, mais il a le double rôle de plate-forme de recherches. C'est une combinaison unique qui a été utilisée pour appuyer le développement technologique.

Le navire a été modernisé en 1985 et converti pour servir au transport du pétrole et du vrac solide, dans le cadre d'un projet de démonstration de production de pétrole brut mis en oeuvre dans l'extrême Arctique en 1985. Le projet se terminera cette année, mais il a donné 10 ans d'expérience valable dans le transport du pétrole brut dans l'environnement délicat de l'Arctique.

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Grâce à cette expérience pratique, de nouvelles procédures et normes d'exploitation ont été élaborées et mises à l'essai en collaboration avec la Garde côtière canadienne, donnant ainsi au Canada une expérience que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde.

Pour appuyer ses activités élargies, la Canarctic Shipping Company a été la première à utiliser la télédétection pour la navigation dans les glaces. Les images satellites et par radar aéroporté de la glace se trouvant sur le trajet du navire sont transmises par liaison descendante à des réseaux informatiques sur le pont du navire.

Voici un schéma qui montre comment l'information est transmise par satellite de communication à un récepteur à terre et retransmise par satellite jusqu'au navire.

Comme je l'ai dit, les images satellites et par radar aéroporté des glaces se trouvant devant le navire sont transmises par liaison descendante à un réseau informatique à bord, fournissant ainsi une sorte de carte routière électronique. L'écran est relié au radar de marine, au gyrocompas et au système de positionnement global du navire, ce qui permet au navigateur de déterminer le meilleur passage à travers la glace. Cela est particulièrement utile au cours de la longue période de noirceur pendant l'hiver arctique ou dans des conditions de mauvaise visibilité. Il faut comprendre que, dans le Nord, il faut naviguer dans des glaces épaisses dans ce genre de conditions 24 heures sur 24.

Le système de navigation dans les glaces mis au point par Canarctic a été installé sur des navires commerciaux navigant dans le golfe Saint-Laurent l'hiver dernier. Les États-Unis et la Russie se sont montrés intéressés à ce système, ainsi qu'un certain nombre de pays actifs dans l'Antarctique.

Grâce à ces améliorations, à la mi-mai chaque année, le MV Arctic navigue sans escorte jusqu'à Nanisivik dans le nord de la terre de Baffin, en n'utilisant que ses propres ressources. Pour ce faire, il doit briser de la glace de deux mètres d'épaisseur sur de nombreux kilomètres. En mars 1991 et en décembre 1995, le navire a fait des voyages sans escorte jusqu'à Déception, dans l'Arctique québécois.

On voit ici un navire qui livre du carburant le 31 décembre 1995. Cela montre que la navigation commerciale dans cette région de l'Arctique canadien peut se faire à longueur d'année.

Canarctic utilise sa position dominante pour tisser des liens avec ses partenaires circumpolaires. La société travaille depuis deux ans pour le groupe Arctic Slope, qui appartient aux Inuit du Nord de l'Alaska, afin de mettre au point des concepts de navigation maritime pour transporter du charbon de haute qualité de l'Alaska au Japon.

Au Groenland, une entreprise conjointe a été mise sur pied avec KNI, une société du gouvernement du Groenland qui est responsable de l'approvisionnement en pétrole. Aux termes de cette entente, MV Arctic sera utilisé pour transporter le pétrole au Groenland au cours des trois prochaines années.

L'an dernier, KNI s'est joint à Canarctic et à Tapiriit Developments, une société inuit canadienne, pour former une nouvelle entreprise conjointe en vue de pénétrer le marché de l'approvisionnement pétrolier dans l'Arctique canadien. Des liens ont par ailleurs été établis avec un partenaire de la Russie, où se déroule un important projet financé par le programme d'aide technique de l'ACDI. Ce projet intéressant montre bien le type de coopération technique qui permet de planifier l'avenir.

Un système d'information géographique canadien a été mis au point pour l'Arctique russe. Le système a été conçu pour emmagasiner une vaste collection de données sur les glaces et la météo, compilées en Russie depuis 1890. Lorsqu'il sera en place à la fin de cette année, ce puissant SIG appuiera la mise en valeur des ressources dans les régions au large des côtes de l'Arctique russe.

Grâce à ce programme de développement commun, nous aurons accès à des données russes pour la moitié de l'océan Arctique. À l'étape suivante, on entrera les données canadiennes pour créer un système qui aura des applications circumpolaires pour la planification de projets, le contrôle environnemental et la prévision du mouvement des glaces.

Enfin, Canarctic surveille de près les effets de ces opérations sur l'environnement du Nord, les habitants de cette région et leur mode de vie traditionnel. Notre entreprise collabore avec les groupes locaux pour documenter et réduire au minimum les effets des opérations de ces navires sur le milieu physique de l'Arctique.

À notre façon, nous avons apporté notre petite contribution aux grandes connaissances du Canada sur l'évaluation environnementale, un domaine où le Canada peut certainement faire oeuvre de pionnier dans la région circumpolaire.

Merci.

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Le président: Merci beaucoup, monsieur Luce. Votre exposé était très intéressant.

Nous accueillons maintenant, d'Unaaq Incorporated, Kevin Knight.

M. Kevin Knight (Unaaq International): J'aimerais d'abord vous expliquer ce qu'est Unaaq. Unaaq est une entreprise appartenant à 100 p. 100 à des Inuit de la terre de Baffin et du Nord du Québec. Elle s'occupe de pêche commerciale de la crevette dans l'océan Arctique et de développement international menant à des coentreprises avec d'autres groupes indigènes d'un peu partout au monde.

Je remercie les membres et le personnel du comité de nous avoir invités à témoigner, mais j'aimerais aussi vous indiquer que Mme Sheila Watt-Cloutier, vice-présidente de la Conférence circumpolaire inuit, vous présentera un exposé plus détaillé à une date ultérieure.

Mes remarques porteront sur trois grandes questions. Premièrement, les ententes internationales, telles que l'ALENA, le GATT et l'Union européenne, et les obstacles et les débouchés que ces ententes créent pour l'économie nordique. Deuxièmement, les entreprises commerciales du Nord et leur capacité de surmonter ces obstacles et de profiter des perspectives. Enfin, les projets et programmes de développement et de commerce, et la nécessité d'axer davantage ces activités sur les véritables besoins du développement nordique.

Nous vous présentons cet exposé d'un point de vue particulier: les projets de développement qui intéressent Unaaq relativement au commerce dans le Nord s'inscrivent dans un vide politique; de plus, bon nombre de ceux qui élaborent les politiques et les programmes dans le Sud connaissent mal les compétences, les produits et les services qu'on trouve dans le Nord; enfin, on ne semble pas comprendre que les réalités du développement nordique sont en constante évolution.

Il est vrai que certains événements récents, tels que la création du Conseil de l'Arctique et d'un poste d'ambassadeur aux affaires circumpolaires, sont prometteurs, mais il importe de se demander si ces initiatives jouiront du soutien nécessaire pour être fructueuses et répondre aux préoccupations importantes des habitants du Nord concernant leur développement. C'est là l'un des nombreux défis que doit relever votre comité.

En ce qui concerne le développement du Nord, la Conférence circumpolaire inuit, à son assemblée générale de 1992, a créé une nouvelle organisation, l'Inuit Business Development Council. Cette organisation traite des perspectives de développement macro-économique à l'échelle panarctique.

Au Canada, cela a mené à l'établissement d'une nouvelle coentreprise qui rassemble le Canadian Inuit Business Development et une entreprise du Sud, Frontac, pour la gestion du système d'alerte du Nord. Cette initiative donnera lieu à la création d'emplois et à l'adjudication de contrats dans le Nord.

Ce n'est qu'une des nombreuses nouvelles entreprises qui naissent dans le Nord; le CIBDC explore toute une gamme d'autres initiatives dont M. Axford vous reparlera plus tard.

À l'assemblée générale de la CCI en 1992, on a adopté une autre résolution sur la création d'un répertoire des entreprises inuit. On était très préoccupé par le fait qu'aucune base de données de ce genre n'existait dans le Nord et qu'il était donc très difficile de savoir qui fait quoi, avec qui et sur quelle échelle.

Il était manifestement difficile pour une région de connaître les succès et les échecs d'un autre ou les perspectives de coentreprises qui existaient. Qui plus est, il était difficile pour les administrateurs des programmes gouvernementaux, basés dans le Sud, d'être parfaitement au courant des compétences, services et biens disponibles dans le Nord et de les intégrer à leurs politiques et programmes.

Sans ces informations, les travaux tels que les analyses sectorielles, qui constituent dans le Sud le fondement du commerce et du développement, sont menés dans l'incertitude, et les programmes et initiatives de développement ne peuvent se fonder sur une base ferme et bien reconnue.

Je vous en donne un exemple: le tourisme, plus particulièrement l'écotourisme. Au Canada, comme ailleurs dans le monde, l'écotourisme est une source de plus en plus importante de devises étrangères, si importante en fait que certains pays considèrent ce secteur économique comme étant le plus prometteur. Au Canada, le fédéral et les provinces s'intéressent à l'écotourisme, et nous avons maintenant une stratégie nationale de tourisme qui traite précisément de ce secteur. Les perspectives sont bonnes et la croissance de ce secteur porte à croire que le Canada pourrait en tirer des revenus considérables.

Mais qu'en est-il du Nord? Que se passe-t-il dans cette région à l'environnement et à la culture uniques, qui, pour bien des gens, représente la dernière zone pionnière? Étant donné la croissance que connaît l'écotourisme au Canada, pouvons-nous présumer qu'il en va de même dans le Nord? Les études nous disent que les touristes allemands, par exemple, s'intéressent au Canada et, plus particulièrement, aux peuples indigènes. Cela signifie-t-il une croissance pour le Nord? Pas nécessairement. Il serait pourtant logique de croire que la croissance révélée par les statistiques du Sud se fera également sentir dans le Nord. Dans l'Arctique, nous ne savons pas avec autant de certitude que dans le Sud ce que veulent les touristes. Nous ne sommes pas certains de ce qu'ils sont prêts à payer ou même s'ils sont vraiment aventuriers.

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Une fois que nous en saurons plus à ce chapitre, pourrons-nous présumer que le Nord saura répondre à la demande grâce aux services et aux infrastructures qu'on y trouve. Sans informations plus précises, n'est-il pas difficile de créer des entreprises durables dans le Nord dans le secteur de l'écotourisme?

Pourtant, Industrie Canada a élaboré une stratégie visant à attirer les écotouristes au Canada et dans le Grand Nord. Toutefois, cette stratégie a été élaborée sans la pleine participation des habitants du Nord qui ont réussi dans l'écotourisme et, par conséquent, sans qu'on accorde toute l'attention nécessaire aux réalités du Nord ou au besoin, peut-être, d'y exploiter certains créneaux plutôt que des marchés de masse.

Bien des choses ont considérablement changé dans le Nord au cours des dernières années, mais le Nord a-t-il évolué dans les mêmes domaines et à la même vitesse que le Sud? L'économie nordique a-t-elle été touchée par la mondialisation des économies nationales? Quels sont les obstacles au développement? Quelles perspectives ont été créées dans le Nord récemment et comment peut-on en? Enfin, quelle position politique doit-on adopter devant les obstacles?

Les grandes ententes internationales telles que l'ALENA sont louées par bien des gens, mais quelle valeur revêtent-elles pour le Nord? Il est clair à au moins un égard que cette entente prévoit une chose alors que d'autres mesures, telles que la loi américaine sur la protection des mammifères marins, en prévoient une autre. En l'occurrence, la loi va à l'encontre de l'ALENA.

Pour que le Nord connaisse un développement durable qui soit soutenu par le Sud, il faut mieux comprendre la nature du développement économique et les domaines où il peut être encouragé, et non pas simplement appliquer au Nord les approches adoptées par le Sud.

Le développement du Nord se fait en partie par les petites entreprises et, dans une large mesure, sur un axe est-ouest. Or, bien qu'il existe des marchés est-ouest, l'axe commercial à ces marchés est parfois prohibitif en raison d'ententes telles que l'Union européenne et ses ententes connexes.

De toute évidence, il faut analyser ces ententes en fonction des obstacles et des perspectives qu'elles créent dans certains secteurs clés et en fonction de la façon dont le développement économique et commercial se fait dans le Nord. Une analyse exhaustive de ce genre n'a pas encore été entreprise; or, c'est précisément là ce qui nous permettrait de mieux cibler les programmes et les politiques du Sud.

Unaaq estime que ce travail est essentiel, mais notre société s'occupe de développement et de facilitation. Si nous ne pouvons communiquer les résultats d'analyses de ce genre aux entreprises mêmes, nous ne faisons que la moitié du travail.

Nous savons qu'il y a toute une gamme de compétences, de biens et de services dans toutes les régions du Nord, que ce soit en matière de technologie de temps froid ou d'art. Nous savons aussi qu'il y a des ressources dans le Nord; certaines sont mises en valeur mais d'autres, comme les produits de la fourrure, pourraient reprendre leur place sur les marchés mondiaux avec un peu d'aide. En général, on connaît mal ces produits et services. Dans le Nord, les entreprises fonctionnent selon des économiques d'échelle différentes de celles du Sud, et le niveau des connaissances en matière d'affaires et de commerce est généralement moindre que dans le Sud.

Il faut savoir qui sont les entrepreneurs, qui est prêt à profiter des nouveaux débouchés, qui n'a pu en profiter et pourquoi; sinon, il deviendra de plus en plus difficile d'encourager un développement économique durable et diversifié. L'examen des perspectives d'affaires ne devrait pas se limiter à la seule région circumpolaire.

En fait, il existe en Chine une région au climat nordique assez vaste. Pourquoi alors est-ce que l'Agence canadienne de développement international ne met pas à profit les compétences et talents des habitants du Grand Nord canadien? Pourquoi l'ACDI et d'autres n'encouragent-ils pas la création de liens entre les peuples indigènes du Canada et ceux du Sud afin qu'ils puissent profiter de leurs expériences similaires pour établir des partenariats à long terme?

Unaaq, par exemple, tente de vendre son modèle de pêche à la crevette qui se pratique depuis15 ans dans l'océan Arctique. Samedi, des représentants de notre entreprise partiront pour la Russie pour tenter d'y créer une coentreprise et de faire profiter les Russes des leçons que nous en avons tirées au Canada.

Toutefois, le commerce est plus compliqué en Russie; nous tirons des leçons de chacun de nos voyages là-bas. Il n'en reste pas moins que les habitants du Nord canadien ont beaucoup à offrir à la Russie. Mais il nous faudrait mieux comprendre les problèmes et les obstacles du gouvernement de ce pays, et pour ce faire, il faudrait que le Canada adopte des positions politiques très claires.

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Enfin, nous avons l'intention de nous pencher sur les moyens qui permettraient de faire connaître les perspectives de développement et de commerce qui sont pertinentes non seulement pour le Grand Nord, mais aussi pour le Canada dans son ensemble, et même pour l'étranger. Généralement, il s'agit de missions commerciales, de foires commerciales, de conférences, etc., qui, le plus souvent, sont axées sur les produits et les intérêts du sud.

Nous connaissons déjà l'existence de bon nombre d'initiatives de ce genre en matière de tourisme, mais combien d'entreprises du Nord sont prêtes à répondre aux besoins de clients qu'elles pourraient acquérir en participant à ces grands événements? Les entreprises du Nord savent-elles ce qu'il en coûte de se préparer à ces événements et d'assurer les suivis nécessaires? Savent-elles quels sont les événements qui seraient les plus rentables pour elles?

Tant qu'on n'aura pas ces connaissances dans le Nord, tant qu'on ne saura pas pour quel genre d'activités les entreprises du Grand Nord sont prêtes, tant qu'on ne saura pas à quels marchés correspondent les produits et les services offerts dans le Nord, on continuera de douter de certaines des activités commerciales de cette région et les liens avec l'étranger pour y amener le développement ne s'établiront pas. Il faut aider les entreprises du Nord à acquérir les informations dont elles ont besoin pour se préparer à nouer des liens commerciaux au-delà du Grand Nord.

La politique du Nord doit être axée sur une pleine compréhension du Grand Nord et de son fonctionnement, de la nature et de l'envergure des entreprises et des intérêts de développement qui y existent, des obstacles auxquels les habitants du Nord font face et des occasions qui s'offrent à eux. Sans cela, le travail restera inachevé et les décideurs, tout comme les entrepreneurs du Nord, devront continuer à se lancer dans l'inconnu; on leur demandera d'attirer le développement dans le Nord sans leur fournir tous les outils nécessaires.

J'applaudis au travail de votre comité. Je suis conscient de la taille et de la complexité du défi que vous devez relever, mais j'ai bon espoir que vous trouverez des façons d'établir une politique canadienne pour l'Arctique qui jouira de l'appui nécessaire pour qu'elle devienne un instrument utile de développement du Nord et de tout le Canada.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur.

Nous accueillons maintenant M. Axford, du Canadian Inuit Business Development Council.

M. Don Axford (coordonnateur, Canadian Inuit Business Development Council): Merci beaucoup de m'avoir invité aujourd'hui à vous présenter le Canadian Inuit Business Development Council. Comme le nom est plutôt long, je l'appellerai dorénavant le CIBDC. Cet acronyme ressemble un peu à celui d'une banque, mais j'espère que vous me laisserez l'utiliser.

Le CIBDC a été créé en septembre 1994; ce n'est donc que récemment qu'il a été établi à titre de société à but non lucratif aux termes de la Loi sur les sociétés par actions du Canada. Le conseil a été constitué en société par lettre patente en vertu de la loi fédérale.

Voici les objectifs du conseil tels qu'ils sont décrits dans les lettres patentes: organiser les membres en un réseau coopératif en vue de favoriser le développement économique et l'autonomie des collectivités et régions inuit; mettre sur pied des entreprises de coopération économique entre les entreprises inuit du Canada; promouvoir la coopération économique, le commerce et les liens commerciaux, un peu comme le font les chambres de commerce dans le Sud, entre les entreprises et sociétés Inuit; créer des débouchés pour les collectivités inuit et leurs organisations et sociétés afin qu'elles participent pleinement aux économies nationales et internationales - cela comprend l'établissement de partenariats avec des entreprises canadiennes et étrangères, ce qui permet de lier une capacité de production d'un article ou de prestation de services du Nord avec les compétences, la technologie et les marchés de masse du Sud, en assurant le transport des biens vers le Nord ou vers le Sud; créer des perspectives économiques pour les Inuit, dans des partenariats ou des sociétés; et promouvoir la formation et le recrutement des Inuit dans les entreprises de coopération économique.

Le CIBDC a donc pour objectif principal la promotion des Inuit dans le monde des affaires et le recensement des secteurs où cela pourrait se faire.

Ce ne sont pas des particuliers, mais des organisations qui font partie de notre conseil. Ce sont: l'Association des Inuit du Labrador, représentée par le président, William Barbour; la société Makivik, qui représente les Inuit du Nouveau-Québec et qui est représentée par son président, Zebedee Nungak; la Nunavut Tunngavik Incorporated, qui représente les Inuit du Nunavut, lequel deviendra un territoire distinct en 1999, comme vous le savez sans doute si vous avez lu l'entente sur le règlement de la revendication territoriale du Nunavut et si vous avez entendu parler de la partition des Territoires du Nord-Ouest. NTI est représentée par son président, Jose Kusugak.

Le quatrième membre de notre conseil est l'Inuvialuit Regional Corporation, qui représente les Inuvialuit habitant dans la région du delta du fleuve Mackenzie. Cette région comprend notamment Inuvik, Tuktoyaktuk et Sachs Harbour.

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À l'heure actuelle, IRC est représentée par l'ancien président, Robert Kuptana, qui sera remplacé à notre prochaine séance par la nouvelle présidente, Nellie Cournoyea. Les présidents de ces associations qui font partie du conseil habitent dans des endroits comme Nain, Iqaluit et Inuvik. Ils m'ont donc demandé de venir témoigner ici aujourd'hui.

Je m'occupe de diverses activités de coordination pour le CIBDC à Ottawa. À ce titre, je vous explique ce qu'est le CIBDC. J'aurais bien aimé qu'un des membres du conseil puisse le faire à ma place.

J'ai distribué un dépliant sur le conseil que vous pouvez conserver et qui porte une carte au verso.

Vous ne savez peut-être pas que les Inuit sont considérés comme des peuples autochtones et sont représentés comme tels par les organisations membres du conseil que je viens de nommer. Chacune de ces organisations représente une région ayant fait l'objet d'une entente territoriale. Cela traduit la réalité des institutions et structures politiques canadiennes.

Mais comme les Inuit aiment à le rappeler, ils n'ont qu'une seule patrie. Elle n'a pas été divisée comme ils l'auraient souhaité, mais en fonction des frontières provinciales et territoriales.

Je ne m'étendrai pas sur ce sujet. J'aimerais plutôt vous parler de quatre initiatives du CIBDC qui pourraient intéresser les membres de votre comité dans le cadre de leur étude en vue de l'élaboration d'une politique étrangère de l'Arctique pour le Canada.

Premièrement, le CIBDC joue un rôle clé dans l'identification des perspectives d'affaires pan arctiques. J'insiste sur le mot «pan arctique». Nous parlons ici d'activités limitées à une région, que ce soit la terre de Baffin ou le Labrador. Les Inuit de ces régions n'ont pas besoin du CIBDC ou d'un autre niveau de gouvernement pour s'adonner à ces activités.

On s'occupe actuellement à toutes sortes d'activités. Dans le Grand Nord, on crée probablement une entreprise inuit chaque jour. Souvent, sinon dans la plupart des cas, il s'agit d'entreprises qui appartiennent à des Inuit, qui sont dirigées par des Inuit et où travaillent des Inuit.

On trouve ces entreprises dans toutes sortes de domaines, la livraison de produits pharmaceutiques aux petites localités, la vente de matériel de terrassement, l'achat d'immeubles commerciaux, le transport de marchandises et le transport aérien. Quel que soit le domaine, il y a probablement actuellement un groupe d'Inuit qui se lance en affaires pour saisir les occasions qui se présentent.

Toutefois, dans certains cas, les Inuit doivent sortir de leur région et faire affaire avec d'autres régions. On doit alors composer avec les complexités inter-juridictionnelles, apprendre à communiquer avec les autres régions inuit, recenser les perspectives et en profiter collectivement. C'est là que le CIBDC entre en jeu et apporte son aide.

Au niveau pan arctique, bon nombre d'entreprises commerciales comptent un partenaire non Inuit du Sud qui apporte ses connaissances technologiques ou qui fait le lien avec les marchés canadiens et internationaux. Je peux affirmer que le CIBDC ne détient pas de parts ni n'investit dans ces entreprises. Il coordonne tout simplement les activités des sociétés régionales ou de développement et les aide à cibler leurs efforts pour profiter des débouchés.

L'été dernier, nous nous sommes réunis à Toronto où nous avons tenu un atelier sur le développement des affaires chez les Inuit. Pour la première fois, on a discuté de ces questions d'un point de vue pan arctique. Nous nous sommes penchés tout particulièrement sur les quatre questions que voici.

D'abord, le transport et la communication. C'est un domaine où il y a beaucoup de débouchés à l'échelle pan arctique. En matière de transport, par exemple, la Société Makivik est propriétaire de First Air. Vous avez probablement déjà entendu des avions voler dans le ciel d'Ottawa le matin. Il y a toutes sortes d'activités de communication et de transport qui ont lieu dans les secteurs du transport des marchandises et de l'aviation et dans celui de l'élaboration des nouveaux systèmes de communication.

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Le deuxième domaine est celui du tourisme, qui sous-entend la mise en marché des ressources naturelles. Cela comprend aussi bien la crevette que la viande de caribou, les fourrures et les produits du phoque. On doit trouver des façons de mettre en marché ces produits collectivement. Ainsi, on pourrait construire une petite usine dans une région ou une localité, mais si on veut desservir le marché du Sud, il faut souvent un meilleur approvisionnement, des outils de mise en marché plus raffinés, etc.

Il y a aussi le domaine des mines, y compris la pierre de construction. Vous ne savez peut-être pas que la Labrador Inuit Development Corporation a une carrière et produit de la pierre de construction, en collaboration, je crois, avec des entreprises italiennes, allemandes et néerlandaises. La pierre est expédiée en Italie où elle est polie et sert à la construction de façades d'immeubles. C'est un développement remarquable, qui prouve qu'une petite collectivité peut produire des articles de première qualité.

De plus, le CIBDC travaille à la production d'un répertoire des entreprises inuit, en collaboration avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui a élaboré - et nous l'en félicitons - une politique d'approvisionnement auprès des Autochtones pour le gouvernement fédéral. Mais pour que cette politique soit mise en oeuvre, il faut qu'on sache à quelles entreprises autochtones du Canada elle pourrait s'appliquer.

Au cours de l'année qui vient, nous aimerions dresser la liste des entreprises inuit et des services qu'elles dispensent. Cela pourra servir à des études qui nous en diront plus sur le genre d'entreprises qui sont mises sur pied dans le Grand Nord.

Troisièmement, le CIBDC s'intéresse de très près aux obligations prévues par les ententes sur le règlement des revendications territoriales qui doivent être respectées par le Canada et par les entreprises du Nord, ainsi que dans les politiques des gouvernements provinciaux et territoriaux en matière d'approvisionnement, d'achats et de contrats.

Le CIBDC a rappelé à bien des gens et à maintes reprises qu'on doit non seulement respecter ces obligations parce qu'elles font partie du cadre constitutionnel canadien, mais aussi que les Inuit sont d'autant plus disposés à se lancer en affaires s'ils savent qu'ils participent autant aux risques qu'aux gains de l'entreprise et qu'ils permettent à des Inuit de travailler et d'apprendre la gestion d'entreprise.

Quatrièmement, les Inuit tendent la main au monde circumpolaire et au monde entier. Ils créent des entreprises à une vitesse remarquable. Le CIBDC aide les Inuit à adopter un point de vue panarctique et à connaître ainsi les entreprises qui sont créées et les produits et services qu'elles offrent dans le Nord. Il aide également ces entreprises à répertorier les obstacles au commerce et au développement.

Si le CIBDC peut apporter son aide, il aimerait bien collaborer avec Unaaq, les différents ministères et les organismes parlementaires comme votre comité. Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur. Merci à tous.

En guise de préambule, avant de céder la parole à mes collègues pour la période de questions, je tiens à faire remarquer que c'est la première série de témoignages que nous entendons sur ce que j'appellerais les enjeux économiques. Notre comité pourrait, à mon sens, apporter une contribution précieuse dans son rapport s'il se penche sur le cadre institutionnel indispensable au développement économique durable du Nord. Ce serait un apport très important, particulièrement compte tenu du contexte international dans le cadre duquel devra se faire ce développement.

Merci. Vos exposés nous ont été très utiles.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Sauvageau (Terrebonne): Je vous remercie, messieurs, de votre présentation. En vous écoutant, j'ai noté quelques questions pour chacun d'entre vous.

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Monsieur Toomey, étant donné votre expérience acquise sur le terrain - on devrait plutôt dire sur la glace - et en rapport avec les travaux de ce comité en vue de faire des propositions au Conseil de l'Arctique, j'aurais quelques questions à vous poser à propos des problèmes potentiels de frontières. Vous avez parlé des problèmes de frontières qui sont délimitées dans l'océan ou sur terre.

Quelles propositions concrètes et pertinentes constitueraient des solutions à ces problèmes frontaliers et seraient susceptibles de faire s'entendre entre eux les sept ou huit pays touchant à la zone circumpolaire, dans un avenir relativement proche, afin que le Conseil en arrive à des solutions diplomatiques concrètes sans qu'il soit nécessaire d'impliquer la Défense ou l'armée?

Quel pourrait être le rôle du Conseil de l'Arctique dans cette question?

[Traduction]

Le capitaine Toomey: La question des frontières est très délicate parce que la navigation internationale est grandement tributaire des prétentions territoriales de chaque pays sur les eaux. Il y a des zones économiques, des zones d'eaux territoriales, et ainsi de suite. Malheureusement, le Canada prétend que le principe sectoriel s'applique jusqu'au pôle Nord. Les pays étrangers, surtout les États-Unis, jugent que le Canada veut ainsi étendre sa souveraineté sur l'océan Arctique jusqu'au pôle Nord, souveraineté qu'ils remettent en question. Il faudra donc un jour ou l'autre déterminer à qui appartiennent tous ces territoires, mais cela ne pourra se faire unilatéralement. Il faudra une entente internationale comme pour tout autre différend concernant les eaux territoriales.

En matière de commerce international, en général, les passages en haute mer sont assez bien réglementés. Le Canada a un problème particulier parce que la navigation dans les glaces est tout à fait différente de la navigation en haute mer en raison des dangers que cela implique, les risques de naufrages, de dommages ou de désastres écologiques. Il faut donc prévoir des règlements particuliers pour la navigation dans les glaces. Il est difficile de conclure à ce sujet un accord qui aurait préséance sur les règlements qui permettent depuis des siècles le passage inoffensif.

Il y a aussi le problème des revendications territoriales: les Inuit considèrent la mer comme un prolongement de la terre. Pendant une bonne partie de l'année, quand les eaux sont gelées, les Inuit marchent, se promènent à motoneige et pêchent sur la glace. Cela entraîne un autre problème de navigation internationale puisque les navires qui passent dérangent les Inuit sur leur territoire. On doit aussi en tenir compte dans les règlements qui devront être adoptés; il faudra déterminer où et quand les navires pourront passer et ce qu'ils auront le droit de faire. Canarctic a connu des difficultés de ce genre dans ses premiers voyages à Nanisivik, qui se trouve au fond d'un long fjord intérieur. Le passage de navires dans les eaux glacées perturbe la chasse, perturbe les gens qui vivent un peu partout sur ce territoire pendant l'hiver, et c'est un aspect dont on devra tenir compte.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.

Le président: Votre réponse soulève beaucoup d'autres questions.

[Français]

M. Sauvageau: Mais cela pourrait rapidement être mis à l'ordre du jour du Conseil de l'Arctique.

[Traduction]

Le capitaine Toomey: Je le crois, en effet.

[Français]

M. Sauvageau: Ma deuxième question s'adresse au témoin qui a présenté les acétates et qui me semble un expert des transports dans le Nord. C'est une question à la fois un peu technique et personnelle.

Est-ce que vous avez étudié la possibilité d'utiliser des aéroglisseurs sur des distances relativement courtes? Est-ce que ça se fait dans les autres pays nordiques qui connaissent les mêmes conditions climatiques et géographiques?

Si oui, pourquoi le Canada, ou encore votre société, n'a-t-il pas opté pour ce type de véhicule?

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[Traduction]

M. Luce: À la traduction, j'ai entendu «aéroglisseurs». J'imagine qu'il s'agit de véhicules à coussin d'air, ceux qui circulent sur la glace sur un coussin d'air. De tels véhicules ont été construits et mis à l'essai dans la mer Baltique avec un succès mitigé.

Le véhicule qui a été mis au point pour la mer Baltique a été mis à l'essai également dans la partie canadienne de la mer de Beaufort. Malheureusement, la glace de l'Arctique canadien est très différente de la glace de la Baltique. On s'est aperçu que ça ne marchait pas aussi bien dans l'Arctique canadien à cause des arêtes et des champs de blocs de glace que nous avons dans le Nord. Ces conditions endommagent beaucoup la jupe des véhicules et, en fait, on s'est aperçu qu'il fallait changer ou réparer les jupes chaque fois qu'on utilisait ces véhicules, ce qui était loin d'être économique. C'est un essai qui a été fait.

Ces véhicules ne sont pas très grands. Par exemple, il y a des traversiers à coussin d'air sur la Manche, entre la Grande-Bretagne et la France, et le plus grand d'entre eux doit accepter une centaine de véhicules. Ces embarcations ne sont pas aussi grandes que le NV Arctic, par exemple. Cette technologie est encore réservée à un type de transport assez restreint, principalement le transport des passagers.

[Français]

M. Sauvageau: Sur le dépliant qui nous a été remis, la frontière sud n'est pas la même partout au Canada. Peut-être est-ce une erreur d'impression, ou encore une erreur de perception, mais pourquoi la frontière passe-t-elle un peu plus au sud vis-à-vis du Québec que vis-à-vis des Territoires du Nord-Ouest? Est-ce un problème d'impression ou de perception?

[Traduction]

M. Axford: Non, pas du tout, aux termes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, deux secteurs ont été délimités. D'une part, le territoire de la Baie James, où résident les Cris de la Baie James, et d'autre part, le territoire occupé par les Inuit du Nord du Québec, qui est maintenant désigné sous le terme de Nunavik, et pour lequel le gouvernement régional de Kativik a été créé. La ligne de démarcation entre les Cris et les Inuit est le 505e parallèle. La ligne que vous voyez à gauche, c'est-à-dire l'extrémité sud des Territoires du Nord-Ouest, est le 60e parallèle. Il y a donc une différence de cinq degrés de latitude. La ligne au Québec a été choisie plutôt en fonction de la limite entre les Inuit et les Cris, ce qui n'a pas été le cas entre les provinces et les territoires. Dans l'Ouest, la ligne est purement politique, on s'est contenté de suivre le 60e parallèle.

Au Québec, vous pouvez vous dire que, d'une façon générale, c'est la limite nord des arbres. Dans la forêt, les Cris, et lorsqu'il n'y a plus d'arbres, les Inuit. Voilà où se trouve la ligne.

Le vice-président (M. English): Merci.

Monsieur Penson.

M. Penson (Peace River): Plusieurs membres du groupe ont parlé des barrières commerciales, en particulier les barrières qui affectent les gens de l'Arctique. On a cité l'exemple de la fourrure, que je connais bien. C'est M. Knight, je crois, qui a parlé d'un conflit entre l'ALENA et la loi américaine sur la protection des mammifères marins. J'aimerais avoir des précisions au sujet de ce conflit.

D'autre part, j'ai une question sur la page 3 de la déclaration du Canadian Inuit Business Development Council. Au deuxième paragraphe, on lit: «Dans le cas du Grand Nord canadien, l'introduction de frontières nationales rend nécessaires de nouvelles ententes commerciales.» Je ne comprends pas cela. J'aimerais que vous me l'expliquiez.

M. Axford: Je vais commencer par la Loi américaine sur la protection des mammifères marins et l'ALENA.

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L'ALENA tente de libéraliser le commerce entre le Canada et les États-Unis. La loi américaine sur la protection des mammifères marins, pour sa part, impose des restrictions environnementales sur les produits qui peuvent être importés aux États-Unis. Par exemple, si les Inuit chassent et mangent un morse, il leur reste les os, les défenses et le cuir: ils utilisent ces défenses, par exemple, à des fins artistiques, le résultat ne peut pas être expédié aux États-Unis. C'est un produit tiré d'un mammifère marin. Le morse est un mammifère.

Voilà donc une loi, probablement fondée sur d'excellentes raisons, mais qui constitue une barrière non tarifaire au commerce à destination des États-Unis. Personne ne semble accorder une importance excessive à ce genre de choses, et de toute façon, le commerce des défenses de morses, sculptées ou autres, ne doit pas être considérable, mais cela peut vous donner une idée des problèmes auxquels on se heurte dans le Nord. Voilà une loi qui constitue une barrière non tarifaire et qui empêche d'utiliser la totalité de l'animal, ce qui pourrait sembler logique. Certains produits tirés de la baleine, entre autres, se heurtent à des barrières semblables sur le marché américain.

Vous voulez répondre à l'autre question?

M. Penson: C'est la ligne soulignée à la page 3. Vous parlez de frontières nationales.

M. Knight: C'est un aspect plutôt historique. À l'heure actuelle, nous parlons de frontières nationales. Par exemple, par le passé, il y a eu du commerce entre le Groenland et, en particulier, la Terre de Baffin. Comme le Groenland fait maintenant partie des pays nordiques, cela suppose des frontières nationales qui, dans une certaine mesure, ont empêché la libre circulation des gens, des chasseurs, etc. Les ententes qui encadrent ces arrangements, l'UE, l'ALENA, etc., modifient la situation dans le Nord et, au minimum, constituent un obstacle.

La libre circulation des gens d'un pays à un autre, que ce soit pour chasser ou pour une autre raison, constitue un problème particulier. On citait jadis un bon exemple: si un Inuk du Groenland fabriquait une paire de bottes en fourrure pour son cousin de la Terre de Baffin, lorsqu'il lui faisait ce cadeau, il contrevenait à une barrière commerciale. Les Inuit, en particulier, sont extrêmement irrités par ce genre de choses.

M. Penson: J'imagine que nous ne pourrons pas changer les frontières nationales, et que vous voudriez nous voir adopter des dispositions spéciales pour tenir compte des arrangements historiques.

M. Knight: C'est certainement un des problèmes, effectivement.

M. Dupuy (Laval-Ouest): Ma question s'adresse au capitaine Toomey et porte sur RADARSAT. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'une initiative canadienne et j'aimerais savoir si cette initiative a donné les résultats attendus, si le système couvre maintenant l'ensemble de l'Arctique et est entièrement opérationnel, et si le Canada est toujours le principal exploitant du système.

Le capitaine Toomey: Si je ne me trompe pas, le système RADARSAT n'est pas encore opérationnel pour tout le monde. En fait, très peu de navires peuvent recevoir des relevés directement. La plupart du temps, cela passe par un bureau central qui se trouve ici, à Ottawa, et qui fait des relevés sur les glaces beaucoup plus exhaustifs que par le passé. Jadis, tout cela se faisait par avion. On a commencé par des relevés visuels, puis on est passé au radar à ouverture synthétique, et aujourd'hui, on en est au système RADARSAT, qui permet de voir à travers les nuages, dans le noir, etc.

Je ne m'occupe plus des brise-glace canadiens. En fait, je travaille maintenant à bord d'un brise-glace russe qui s'appelle le Kapitan Khlebnikov et qui a été construit en Finlande en 1982. Ce navire est bien équipé, mais on n'y trouve pas ce genre de jouets coûteux. Nous n'avons rien de comparable au RADARSAT. Vous pouvez aller dans l'Antarctique à bord du même navire, et cela, pratiquement sans aucun relevé sur l'état des glaces. À bord de ce navire, on est habitué à utiliser les principes de base, et on n'accorde pas beaucoup d'importance au reste.

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En ce qui concerne les relevés sur l'état des glaces, RADARSAT est une grosse amélioration, mais le matériel qui permet d'obtenir directement et instantanément des relevés est extrêmement coûteux, et très peu de navires peuvent se le permettre. La plupart du temps, ils passent par un intermédiaire.

M. Luce peut probablement vous expliquer en quoi consiste l'équipement du MV Arctic.

M. Luce: Je me suis beaucoup occupé de l'activation du satellite RADARSAT et du service aux navires commerciaux. Dans mon exposé, je vous ai montré une diapositive du MV Arctic déchargeant du carburant à Déception, à l'extrémité nord du Québec, le 31 décembre de l'année dernière. En route vers Déception, le navire a capté, en provenance de RADARSAT, une image très claire de la glace à l'entrée du détroit de Hudson. C'est la première fois que RADARSAT transmettait une image directe à un navire, où que ce soit dans le monde.

Nous travaillons en étroite collaboration avec RADARSAT International pour trouver des marchés pour les systèmes. Le capitaine Toomey a raison, le satellite n'est pas encore pleinement opérationnel, et ses transmissions devraient être disponibles commercialement dans le courant de l'année. Notre expertise nous dit qu'il existe de nombreux marchés pour RADARSAT, pas seulement dans le domaine de la transmission d'images, mais également dans ceux de la reconnaissance glaciaire et la navigation dans l'Antarctique. Canarctic recherche activement ces marchés.

Ainsi, RADARSAT nous force à aller de l'avant. C'est un aiguillon qui va permettre au Canada de maintenir sa position dominante dans les domaines de la reconnaissance et de la navigation glaciaire.

M. Dupuy: Le bateau que vous utilisez dans l'Arctique, où a-t-il été construit? Est-ce une source de revenu, ou bien l'exploite-t-on à perte? Avez-vous l'intention de développer la flotte et d'acquérir d'autres navires du même genre?

M. Luce: Ce bateau a été construit dans les chantiers navals de Port Weller à St. Catharines. Il a également été modernisé au même endroit en 1985.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, au départ il s'agissait d'un navire quelque peu expérimental. Il devait s'adonner en partie à la recherche et en partie à des opérations commerciales. La compagnie a été restructurée en 1994 et, aujourd'hui, nous faisons des bénéfices. La compagnie est un succès sur le plan économique.

Quant à des constructions futures, nous venons d'obtenir une prolongation du MV Arctic au registre de la Lloyd, et nous avons réussi à ramener l'âge du navire à ce qui est l'équivalent de cinq ans. Par conséquent, ce navire a encore une durée utile de 10 à 15 ans.

De nouveaux navires ont été construits récemment pour les besoins de l'exploitation minière dans le Nord. Ils sont exploités par Fednav de Montréal, un de nos actionnaires. Pour l'instant, nous ne prévoyons pas de construire de nouveaux navires, car la situation économique actuelle au Canada ne le justifierait certainement pas.

Le vice-président (M. English): Merci beaucoup.

[Français]

Madame Debien.

Mme Debien (Laval-Est): Ma question s'adresse aux deux représentants qui sont ici et qui appartiennent au milieu des affaires ou qui se spécialisent, si j'ai bien compris, dans le transport commercial.

Pour ma part, le bouleversement de l'écosystème de l'Arctique, comme ce fut le cas pour les terres du Sud, me préoccupe beaucoup. À mon avis, le développement d'une économie durable devrait favoriser d'abord l'avancement des habitants du Nord et préserver leur environnement et leur héritage culturel. Ceci, à mon avis, devrait constituer un aspect très important de la question de l'Arctique dans le domaine des affaires.

Comme vous pouvez le constater, mes préoccupations sont d'abord liées à celles des habitants du Nord et non à celles des entreprises.

D'après vous, quelles priorités le Canada devrait-il se donner pour développer le potentiel d'accroissement de la coopération économique et commerciale circumpolaire et quels sont les avantages comparatifs ou les points forts dont le Canada dispose pour favoriser un commerce nordique qui soit durable et d'abord profitable aux collectivités nordiques?

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[Traduction]

Le vice-président (M. English): Vous voulez répondre?

M. Luce: C'est une question très vaste, d'une portée considérable. Dans tous les exposés, le thème des transports revient fréquemment. À mon avis, le Canada est bien placé en ce qui concerne les transports dans le Nord, et certainement en ce qui concerne les transports aériens. Je sais que je représente les transports maritimes, mais je sais également que nous pouvons être fiers de notre industrie aérienne dans le Nord. Le Groenland, par exemple, ne possède rien de comparable, pas plus que la Russie, je pense.

En raison de ses vastes étendues, le Nord n'a pas de réseau routier. Il compte quelques routes, mais la majeure partie des produits doit arriver dans le Nord ou en être expédiée par bateau. La flotte canadienne dans le Nord n'est pas considérable, mais c'est une bonne flotte et, au cours des années, nous avons acquis une expérience très utile.

Je reconnais la nécessité de protéger l'environnement dans le Nord et d'y assurer un développement durable. À mon avis, nous avons consacré beaucoup d'efforts à l'étude de l'impact de la navigation maritime dans l'environnement nordique. En particulier, nous avons étudié les mammifères marins pendant de nombreuses années, par exemple l'incidence du bruit des navires et de la perte des glaces sur la population des mammifères du Nord, et nous l'avons fait tout en tenant compte des besoins des résidents du Nord en matière de transport.

Le capitaine Toomey a mentionné un problème, le fait que les Inuit considèrent la mer comme une prolongation de la terre pendant au moins neuf mois par an. En effet, pendant toute cette période, la mer est couverte d'une glace solide. Au début de la saison, quand nous allons briser la glace, nous les empêchons d'emprunter ce mode de transport. Ce sont des problèmes qui ont beaucoup été étudiés au Canada et nous trouvons des moyens de réduire au minimum leur effet sur le mode de vie inuit traditionnel. Les Inuit doivent marcher sur la glace pour atteindre leur terrain de chasse de printemps à l'endroit où la glace s'arrête.

Nous avons deux atouts: notre expérience et notre technologie. En ce qui concerne le rôle joué par le Canada sur les plans économique et commercial dans la région circumpolaire, nous devons miser sur ce qui fait notre force, c'est-à-dire notre expérience et notre technologie. RADARSAT en est un excellent exemple. Nous devons utiliser cette technologie pour aider d'autres régions circumpolaires. Il ne s'agit pas seulement du Nord, aujourd'hui nous nous tournons vers l'Antarctique, où on a certainement besoin de ce genre de technologie.

J'ai parlé du projet russe auquel nous participons; c'est un autre exemple excellent de transfert technologique. Au Canada, nous sommes à la pointe de la technologie des systèmes SIG. Le projet auquel je participe devait servir avant tout à transférer la technologie canadienne SIG à la Russie, qui ne possède aucune technologie dans ce domaine, et également à initier les Russes à son utilisation. Il se trouve que le système permet à la Russie de mieux comprendre la situation dans le Nord et de mieux planifier le développement du Nord de la Russie.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.

[Français]

Mme Debien: Je ne sais pas si c'est vous ou votre collègue qui avez parlé de deux mines situées dans le haut Arctique dont l'une serait bientôt épuisée. C'est un aspect qui me préoccupe beaucoup et ma question en est simplement une d'information. Où commence le haut Arctique? Dans quelle région sont situées ces mines? Laquelle sera bientôt épuisée? De quel type d'exploitation minière s'agit-il et quels en ont été les effets sur l'environnement?

[Traduction]

M. Luce: C'est difficile à interpréter. Je vais vous orienter sur cette carte, après quoi je reviendrai à l'autre carte qui est plus facile à voir.

Vous avez ici la baie de Baffin et là, le détroit de Lancaster. Voici la Terre de Baffin, et une mine, la mine Nanisivik, se trouve ici, dans ce fjord que le capitaine Toomey a mentionné. Il y a donc une mine ici. L'autre mine se trouve dans la Petite île Cornwallis. Voilà Resolute, et l'île Cornwallis se trouve ici. La Petite île Cornwallis, c'est ce petit point au nord-ouest. C'est là que se trouve la seconde mine.

Pendant que cette carte est au tableau, je précise que le pétrole brut vient de cette île, l'île Cameron, au milieu des îles du haut Arctique. Soit dit en passant, ce graphique, c'est le cadre réglementaire qui régit l'Arctique canadien. Chacune de ces zones numérotées représente un régime glaciaire différent aux fins de la navigation. La zone 1 est la zone où les glaces présentent le plus de difficultés, et la zone 16 est la plus facile.

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Le vice-président (M. English): Et ces chiffres représentent donc des niveaux de difficulté.

M. Luce: Exactement.

[Français]

Mme Debien: Ce n'est peut-être qu'une question de traduction. On a parlé d'une mine de pétrole dans l'interprétation. Est-ce bien l'expression que vous avez utilisée, une mine de pétrole?

[Traduction]

M. Luce: Non, c'est un site d'exploitation pétrolière. Ce n'est pas une mine de pétrole. C'est un puits qui se trouve dans l'Arctique canadien. Comme je l'ai dit, la Panarctic Oils Ltd. a mené un projet expérimental qui doit prendre fin cette année, mais depuis dix ans, ce projet nous a permis d'acquérir de l'expérience en ce qui concerne le transport de quantités limitées de pétrole brut à partir des îles de l'Arctique.

Le vice-président (M. English): Monsieur Dupuy.

M. Dupuy: Je crois comprendre qu'on a découvert dans l'Arctique des gisements de gaz naturel très importants. À un moment donné, on avait même pensé construire des usines de liquéfaction et expédier ce gaz liquide à destination des États-Unis ou de l'Europe par bateau. J'imagine que ces projets ont été remis à plus tard à cause de la situation de l'énergie dans le monde. Est-ce qu'on pense encore à ces projets? S'agit-il toujours d'une possibilité d'avenir? Cela supposerait une augmentation considérable du trafic maritime.

M. Luce: Oui. Les gisements de gaz les plus importants se trouvent à l'île du Roi Christian qui est située en plein milieu de la zone 1, là où l'on trouve les glaces les plus difficiles. Au milieu des années 1970, dans le cadre du projet-pilote de l'Arctique, on avait décidé d'acheminer une partie de ce gaz vers l'île Melville pour le liquéfier avant de l'expédier vers les marchés d'Europe. Cela ne s'est jamais matérialisé, et comme vous l'avez dit, ce n'est certainement pas viable étant donné le marché actuel de l'énergie. Il y a aujourd'hui de vastes réserves de gaz dans l'Arctique russe qui sont facilement accessibles, sans parler du Sud du Canada. Aujourd'hui, la perspective d'exploiter l'énergie de l'Arctique canadien n'a plus rien de prometteur, du moins pas pour ma génération.

Le vice-président (M. English): Y a-t-il d'autres questions ou commentaires? Dans ce cas, je tiens à remercier nos témoins qui nous ont apporté d'excellentes informations qui seront très utiles à nos travaux. Au nom du comité, je vous remercie tous d'être venus aujourd'hui.

La greffière m'a demandé d'annoncer une dernière chose aux membres du comité. La réunion prévue pour cet après-midi a été remise au jeudi 9 mai à 11 heures. Nous aurons une première séance de 9 heures à 11 heures, puis nous nous occuperons d'autres travaux de 11 heures à midi.

La séance est levée.

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