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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 18 avril 1996

.0854

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Avant de présenter le ministre, j'aimerais aborder brièvement l'objet des audiences d'aujourd'hui.

Le contexte est le suivant: lorsque nous avons examiné le budget des dépenses de l'ACDI, il y a environ deux ans, pour essayer de comprendre le rôle de l'aide au développement et voir comment nous pourrions comme politiciens mieux faire comprendre ce rôle, je me suis entretenu avec Betty Plewes, présidente du Conseil canadien de la coopération internationale. Elle pensait que ce serait une bonne idée que le comité examine, en collaboration avec les ONG au Canada, comment favoriser une meilleure compréhension des liens qui existent entre le Parlement et les ONG.

.0855

Plusieurs membres du comité se rappelleront que lors de notre passage à Washington pour y étudier les institutions financières internationales, la Banque mondiale nous avait entre autres indiqué qu'il existe environ 4 000 ONG qui s'intéressent directement au travail de la Banque mondiale.

Lors de nos visites dans diverses régions du pays dans le cadre de l'examen de la politique étrangère, nous avons été impressionnés par le nombre d'ONG et de Canadiens qui s'intéressent à la politique étrangère et à l'aide au développement et aux initiatives qu'essaie de prendre le Parlement dans ces domaines.

Voilà donc l'objet des audiences d'aujourd'hui. Nous déterminerons ce que nous aurons accompli à la fin de la journée. Aujourd'hui, nous voulons étudier ensemble comment, en tant que Canadiens, nous pouvons favoriser une meilleure compréhension d'un monde beaucoup plus complexe et intégré.

Merci beaucoup. Je tiens à remercier tous les membres des ONG qui sont venus partager leur expérience avec nous aujourd'hui.

[Français]

Nous allons commencer ce matin avec le ministre, M. Pettigrew, qui m'a dit ce matin qu'il était venu devant ce comité avec Mme Stein, il y a deux ans, mais dans une autre manifestation.

Plusieurs membres du comité sont les mêmes, et vous vous trouvez donc en pays de connaissance. Monsieur le ministre, vous êtes chez vous et je vous souhaite la bienvenue. Je vous félicite de votre élection et de votre nomination au Cabinet. Je vous demande de prendre la parole.

L'honorable Pierre Pettigrew (ministre de la Coopération internationale et ministre responsable de la Francophonie): Je vous remercie beaucoup de votre hospitalité et de votre accueil chaleureux, monsieur le président.

En effet, il y a deux ans aujourd'hui même, j'étais ici à titre de coprésident du premier forum national que le gouvernement Chrétien a tenu sur la politique étrangère dans le but d'inclure le plus grand nombre de Canadiens possible dans la définition de la politique étrangère.

C'était un grand effort de consultation et j'étais extrêmement heureux que le gouvernement me demande, au moment où j'étais dans le secteur privé, de coprésider cet événement. Je ne savais pas que deux ans plus tard, je serais ministre de la Coopération internationale de ce même gouvernement.

[Traduction]

Je tiens à vous remercier. C'est pour moi un grand plaisir et un grand honneur de me joindre à vous aujourd'hui, suite à votre aimable invitation. C'est une occasion que j'attendais avec impatience. Il s'agit, comme vous le savez, de ma première rencontre officielle à titre de ministre de la Coopération internationale avec les membres du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Je tiens à vous féliciter chaleureusement, tant le comité permanent que le CCCI, de cette initiative dont l'issue ne pourra que contribuer à élargir l'appui public envers la participation du Canada à la coopération internationale.

[Français]

Ceci démontre à quel point votre rôle est vital dans le fonctionnement de l'appareil gouvernemental. Vous fournissez la réflexion qui sous-tend les grandes décisions que nous, au gouvernement, devons prendre dans l'exercice de nos fonctions.

Ayant coprésidé le premier forum sur la politique étrangère et participé au second forum, je sais à quel point les fondations sur lesquelles s'appuie l'élaboration des politiques sont importantes. J'ai l'intention de travailler de très près avec vous pendant les mois à venir.

[Traduction]

Bien que mon emploi du temps ne me permette pas d'assister à vos groupes de discussion, je tiens à vous assurer que j'en étudierai attentivement les constatations. Je suis moi aussi préoccupé par la méconnaissance générale de l'apport du Canada à la communauté internationale. Je ne manquerai pas de faire de mon mieux pour améliorer cette situation déplorable. Pour reprendre les paroles de Stephen Leacock: «Je crois fermement à la chance et je constate que plus je travaille fort, plus j'en ai».

[Français]

Je ne vous cacherai pas être habité par un sentiment d'urgence quant à la nécessité de voir les Canadiens davantage sensibilisés à l'importance de la coopération internationale.

La rapidité avec laquelle les changements s'opèrent sur la scène internationale risque fort de nous jouer des mauvais tours si nous n'y faisons pas attention.

.0900

Plus que jamais, il importe que nous maintenions notre présence au sein des institutions internationales et des grands organismes multilatéraux. Cette présence, je la juge essentielle car elle nous offre un point d'observation unique qui profite aussi bien aux Canadiens qu'aux pays en développement que nous aidons. Il nous faut donc la maintenir.

Pour maintenir cette présence canadienne, nous allons devoir consacrer plus d'efforts à mieux expliquer aux Canadiens les avantages que nous en retirons. C'est le thème dont on traitera aujourd'hui. Nous respectons ainsi l'engagement que reflète l'énoncé du gouvernement en matière de politique étrangère, un énoncé que vous connaissez bien et qui met en évidence toute l'importance qu'accorde le gouvernement à la transparence, au partenariat et à la participation des Canadiens.

Ayant consacré la plus grande partie de ma vie adulte à l'étude des enjeux internationaux, j'ai vu le fruit de nos interventions. Et s'il est vrai que c'est aux fruits qu'on reconnaît l'arbre, les Canadiens ont tout lieu d'être très fiers de leur pays. Malheureusement, les querelles internes qui déchirent le Canada depuis 30 ans font que nous avons porté davantage d'attention sur ce qui nous divise que sur ce qui nous unit. J'ai accepté de faire de la politique active dans l'espoir de mettre un terme à cette situation.

Au risque de sembler idéaliste, j'aimerais voir les Canadiens adopter une nouvelle attitude envers leur pays. Je crois qu'en rappelant la contribution mondialement reconnue du Canada à l'aide internationale, nous aiderons les Canadiens à prendre conscience des liens qui les unissent. La solidarité que notre pays, le Canada, manifeste à l'égard des pays du Sud est unique au monde.

Notre politique se distingue de toutes les autres politiques d'aide par le fait que notre pays n'a pas d'instinct de puissance. Nous le faisons pour répondre aux impératifs des pays en développement. Cette solidarité que nous projetons, comme gouvernement, et que les Canadiens projettent à travers le monde, est née de l'exercice de solidarité que nous vivons entre Canadiens au sein de la fédération canadienne. C'est donc une solidarité de chez nous qui est projetée à l'extérieur et c'est ce qui lui donne son caractère extraordinaire et unique.

[Traduction]

Le programme d'aide du Canada reflète les valeurs, le respect, la générosité et la tolérance que partagent tous les Canadiens, y compris les Québécois. Ce sont les valeurs que nous voulons aider les Canadiens à redécouvrir. Cette même générosité dont font preuve les Canadiens nous permettra de garder ce grand pays uni et de faire face ensemble aux risques et aux possibilités qui existent dans le monde d'aujourd'hui.

[Français]

L'une des façons d'y arriver, à mon avis, est de souligner l'excellente contribution du Canada en matière de développement international et la haute estime que lui porte la communauté internationale. Je sais que les Canadiens ont la réputation de ne pas aimer crier sur les toits leurs accomplissements et leurs réalisations, mais je crois que la modestie doit cesser de nous étouffer et qu'il est légitime de rappeler la place que le Canada occupe dans le monde.

[Traduction]

Au risque de paraître présomptueux, je dirais que les politiciens ont en fait un rôle à jouer pour ce qui est de façonner l'opinion. L'enjeu consiste à trouver les moyens de le faire et les mots qui conviennent. Je me réjouis que le comité ait décidé de faire de la sensibilisation du public une priorité et je souhaite à chacun de ses membres beaucoup de succès dans leur travail.

Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Le président: Merci, monsieur le ministre, d'être venu ici ce matin. Nous n'avons pas le temps de vous poser des questions, mais je vous assure qu'au moment où vous allez revenir pour le budget des dépenses, nous aurons la chance d'examiner avec vous vos nouvelles responsabilités. Merci beaucoup.

M. Pettigrew: Je serai très heureux de revenir vous voir et de répondre à vos questions. Merci.

.0905

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

J'invite M. Michael Adams et M. Smillie à prendre place à la table.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Pourrais-je avoir un exemplaire du discours?

Le président: Avons-nous un exemplaire du discours du ministre?

M. Godfrey (Don Valley-Ouest): Est-ce la question?

Le président: Oui, je demande au secrétaire parlementaire du ministre si nous pouvons obtenir un exemplaire du discours du ministre.

M. Godfrey: Ce n'est pas de mon ressort.

Le président: Il me semblait que de toutes les personnes présentes dans cette salle, vous étiez le plus susceptible de le savoir.

M. Assadourian: Sommes-nous en train de poser la question à la mauvaise personne?

M. Godfrey: Oh, non.

M. Assadourian: Très bien. Nous finirons par avoir une réponse.

Le président: Pour la gouverne des autres membres du comité, M. Assadourian a demandé s'il pouvait obtenir un exemplaire du discours du ministre. Est-ce que les autres membres aimeraient qu'on le fasse circuler?

Une voix: Nous vous le donnerons, que vous le vouliez ou non.

Le président: Vous pourriez peut-être avoir l'obligeance de demander au ministre...

Mme Beaumier (Brampton): Les délibérations ne sont-elles pas enregistrées?

Le président: Oui, elles le seront.

Voici maintenant le premier groupe que nous accueillons aujourd'hui. Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à Michael Adams, qui est président de Environics Research Group et que beaucoup d'entre nous connaissons bien; et à M. Ian Smillie, un consultant spécialisé dans ces questions. Ils vont examiner avec nous le profil actuel de l'opinion publique canadienne - et dans une certaine mesure, si je comprends bien, d'autres pays de l'OCDE - concernant l'aide au développement. Ce sera un excellent moyen de préparer le terrain en prévision de l'audition des autres intervenants.

Monsieur Adams, voulez-vous commencer?

M. Michael Adams (président, Environics Research Group): Bien sûr.

Le président: Je vous remercie.

M. Adams: M. Graham et membres du comité, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui et de vous donner un aperçu des attitudes, de l'opinion et des valeurs du public canadien au sujet des questions liées à l'aide au développement.

Aujourd'hui, mon collègue et moi-même allons vous donner un aperçu de l'opinion publique canadienne qui est l'aspect sur lequel je mettrai l'accent. Après ma présentation, Ian vous donnera un aperçu plus étendu de la question. Par souci d'efficacité, nous avons pensé qu'il serait préférable que nous présentions d'abord notre exposé puis que nous répondions aux questions.

Je vous présenterai quatre ou cinq diapositives sur l'opinion publique concernant les questions dont nous allons traiter aujourd'hui.

[Français]

Le président: Excusez-moi, monsieur Adams. On invoque le Règlement.

M. Bergeron (Verchères): Monsieur le président, est-ce qu'on aura un jour des documents en français sur l'écran ou si ce sera comme ça tout le temps?

Le président: Les documents sont dans le paquet qui vous a été distribué. M. Adams va mettre ça à l'écran, mais la traduction est dans votre paquet.

M. Bergeron: Excellent. Merci beaucoup. Excusez-moi.

Le président: Il n'y a pas de quoi. Monsieur Adams, si vous voulez parler français, allez-y.

[Traduction]

Je sais, comme tous les membres de ma circonscription de Rosedale... Nous parlons souvent français dans la rue.

M. Adams: J'espère que vous arriverez à comprendre mon accent torontois. C'est un accent régional assez particulier au Canada.

.0910

Le développement international est une importante composante de la politique étrangère du Canada à laquelle, à certains égards, la plupart des Canadiens sont favorables. Ce n'est toutefois pas leur principale priorité.

Voici les résultats d'un sondage effectué l'automne dernier mais qui n'en restent pas moins pertinents. Comme vous pouvez le voir sur cette diapositive, les problèmes économiques internes comme le chômage, le déficit, l'économie en général font partie des principales préoccupations des Canadiens, et ensuite l'unité nationale.

Il y a presque autant de Canadiens qui estiment que les dépenses du Canada en matière d'aide étrangère sont trop importantes que de Canadiens qui considèrent qu'elles sont suffisantes ou insuffisantes. Je pense que c'est un point important à signaler: un tiers considère que les sommes sont trop importantes, le deuxième tiers qu'elles sont suffisantes et le troisième tiers qu'elles sont insuffisantes. Comme vous pouvez le constater, la tendance qui se dégage, c'est que les Canadiens estiment que nous consacrons trop d'argent à l'aide étrangère. Les chiffres ont augmenté dans les trois sondages que nous citons ici. Les Canadiens ont de plus en plus l'impression que nous consacrons trop d'argent à cette activité.

Ces réactions sont attribuables en partie à une certaine lassitude à l'égard de l'aide officielle et en particulier au scepticisme qui existe quant à l'efficacité de cette aide, ainsi qu'à la méconnaissance générale des questions liées au développement international, dont a parlé le ministre.

Cependant, parmi les Canadiens sondés, moins de un sur cinq considère que l'aide étrangère n'est pas nécessaire. Donc seulement un Canadien sur cinq considère que nous n'avons pas besoin de faire quoi que ce soit. Une majorité estime qu'il est du devoir des pays riches d'aider les pays pauvres.

Quoi qu'il en soit, il existe des opinions négatives et il faut s'occuper. La majorité des Canadiens estiment que l'aide n'est pas acheminée aux personnes dans le besoin et qu'un trop grand nombre de Canadiens ont eux-mêmes besoin d'aide. Ils sont très préoccupés par des problèmes comme le chômage, l'économie et les répercussions du libre-échange. Ils estiment également que l'aide étrangère, si elle est mal gérée, risque de créer une trop grande dépendance chez les bénéficiaires. C'est le même genre d'attitudes qu'envers la politique nationale de bien-être.

Une grande majorité de Canadiens estime que nous devrions mettre l'accent sur l'accroissement des échanges commerciaux. Au cours des dix ou quinze dernières années, les Canadiens ont pris conscience que nous sommes un pays commercial et que le commerce est important pour nous. Les Canadiens constatent que l'aide étrangère aidera le Canada à établir de nouveaux débouchés. C'est un argument qui a un certain poids auprès des Canadiens.

Bien que les Canadiens accordent une importance prioritaire aux questions économiques, ils continuent de croire que leur pays a un rôle essentiel à jouer à l'échelle mondiale dans les domaines de la protection des droits de la personne et de l'environnement où, pendant un certain nombre d'années, le Canada a été le chef de file à l'échelle internationale. Il s'agit en fait du seul pays au monde, sûrement parmi les pays de l'OCDE, où la protection de l'environnement est devenue la grande priorité à la fin des années 80. Le Canada a donc un rôle à jouer dans ce domaine ainsi que dans les activités de maintien de la paix des Nations Unies. Les droits de la personne, la protection de l'environnement et les activités de maintien de la paix des Nations Unies sont considérés comme trois très importants domaines pour le Canada. Une proportion moins grande de Canadiens estime que nous avons un important rôle à jouer dans les alliances militaires, dans la promotion de notre culture à l'étranger, dans l'intensification des rapports économiques avec des régions particulières du monde ou dans la promotion de l'aide aux pays pauvres.

L'attitude des Canadiens à l'égard de l'aide étrangère et du rôle du Canada dans le monde témoigne d'une évolution globale des valeurs sociales au pays. À plusieurs égards, les Canadiens sont en train de devenir plus souples et pragmatiques et de faire preuve de ce qu'on pourrait appeler un individualisme éclairé. Ils manifestent également, comme vous avez pu le constater ainsi que le secteur public, un plus grand détachement à l'égard des institutions traditionnelles, y compris le gouvernement. Les éléments qui motivaient autrefois les gens, comme les sentiments de charité ou de culpabilité chrétiennes ou celui du devoir social, sont en régression dans la société canadienne. Les Canadiens plus âgés demeurent attachés à ces valeurs mais ce n'est pas le cas des baby-boomers et de leurs enfants, la génération X.

.0915

Le milieu du développement international ne peut plus miser sur ces valeurs en déclin pour obtenir l'appui du public. Il devrait plutôt axer ses stratégies de communications sur les nouvelles valeurs et sur celles qui sont adoptées par la majorité.

Quant à l'aspect négatif, les Canadiens s'interrogent sur l'efficacité, l'efficience et la crédibilité des institutions traditionnelles, en particulier des gouvernements, qui prétendent les représenter. Le public continue en revanche à faire très confiance aux organisations non gouvernementales. Les Canadiens ont en effet une plus grande confiance dans les réseaux plus informels et plus petits que dans les grandes institutions officielles.

À mon avis, plutôt que de s'attacher seulement à la poursuite des objectifs de leur propre organisation, les ONG devraient collaborer entre elles et tirer parti de leur crédibilité et de leurs ressources pour communiquer un message commun qui profitera à toutes les ONG qui oeuvrent dans le développement international. Le message choisi fera appel non pas aux sentiments de responsabilité sociale ou de culpabilité comme par le passé mais plutôt à l'autonomie grandissante des Canadiens et à leur individualisme éclairé.

J'estime que ce message devrait mettre l'accent sur les projets qui ont réussi à rendre autonomes les bénéficiaires de l'aide étrangère. Même si un pays tout entier n'est pas devenu autonome, peut-être des collectivités y ont-elles réussi. Il faudrait chercher à faire comprendre qu'en dépit des nombreux problèmes qui subsistent et des nouvelles difficultés qui surgissent, beaucoup a été accompli au cours des dernières décennies.

J'inciterais également les ONG, lorsqu'elles conjuguent leurs efforts pour présenter un message commun, d'envisager le recours à la télévision, le médium le plus puissant jamais inventé pour susciter l'émotion. Comme l'image de ce goéland couvert de pétrole dans le détroit de Prince William qui a été plus percutante que 10 000 éditoriaux dans le New York Times, la télévision est un médium extrêmement efficace pour porter certaines questions à l'attention du public. Or, comme vous le savez, on attend souvent qu'une situation, qui aurait pu être évitée ou atténuée, devienne critique avant d'en informer le public.

Enfin, l'aide au développement à long terme ne devrait pas être présentée comme une aide qui favorise une dépendance sans fin. Le public devrait avoir l'assurance - je pense que nous devons utiliser une formulation différente - qu'il investit dans l'autonomie financière d'une collectivité, si ce n'est dans celle d'un pays tout entier. Et si ce faisant, la collectivité devient un marché pour les produits canadiens, tant mieux.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Adams. Monsieur Smillie.

M. Ian Smillie (Présentation à titre personnel): Merci, monsieur le président.

J'aimerais commencer par préciser que je ne suis pas un spécialiste en matière d'opinion publique. Je travaille comme conseiller en développement international. J'ai travaillé avec des ONG en Asie et en Afrique et ici au Canada. J'écris beaucoup sur le développement et je crois que c'est la raison pour laquelle le centre de développement de l'OCDE m'a demandé si je serais intéressé à faire une enquête sur les attitudes du public à l'égard de l'aide au développement dans l'ensemble des pays de l'OCDE.

En effectuant cette étude, j'ai eu accès à de nombreux sondages d'opinion de l'Australie, de la Suède, du Japon, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada. Il ne s'agissait pas dans tous les cas de sondages d'opinion publique récents. Certains remontaient à 10 ou même 20 ans. Voici l'une des premières choses... J'ai pensé vous lire une citation que j'ai insérée dans le rapport que j'ai préparé.

Cette citation est tirée de la page 4 du rapport de la Commission du développement international, présidée par Lester Pearson en 1969.

En examinant les sondages d'opinion du Canada et d'autres pays, j'ai constaté que malgré beaucoup de hausses et de baisses, avec le temps l'opinion publique au Canada et dans l'ensemble des pays de l'OCDE était remarquablement favorable à l'aide aux pays en développement. L'appui du Canada fluctuait habituellement entre 70 et 80 p. 100. Un sondage effectué en 1995 par Insight Canada a permis de constater que 74 p. 100 des Canadiens considèrent que l'aide canadienne devrait être maintenue à son niveau actuel ou accrue. Cinquante et un pour cent ont indiqué qu'elle devrait rester telle quelle. Vingt-trois pour cent ont indiqué qu'elle devrait être accrue.

.0920

En Europe, les chiffres varient, depuis 73 p. 100 en France jusqu'à 88 p. 100 en Italie et en Espagne. En Suisse, le chiffre est de 78 p. 100. Il y a quelques années au Japon il était de 80 p. 100.

Les sondages d'opinion présentent beaucoup de problèmes et j'y reviendrai dans un instant. Mais les chiffres que j'ai relevés étaient cohérents et les pourcentages sont demeurés élevés avec le temps.

J'ai essayé de trouver d'autres moyens de déterminer ce que les gens pensent de l'aide étrangère et plus j'ai lu à propos des sondages, plus mon inquiétude a grandi. Je me suis donc fondé sur les dons aux ONG car lorsqu'une personne donne dix dollars à une ONG, c'est une indication d'un appui qui va au-delà du dollar d'impôt. C'est une somme donnée en sus des sommes déjà données sous forme d'impôts.

Au cours des quatre premières années de cette décennie, les dons aux ONG ont nettement augmenté, pas seulement au Canada mais dans l'ensemble des pays de l'OCDE. Les dons ont plutôt été destinés aux situations d'urgence et aux organismes humanitaires car les désastres ont été nombreux. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, il y a eu l'Éthiopie, le Soudan, la Somalie, le Rwanda et des situations d'urgence dans de plus petits pays comme le Mozambique et l'Angola.

Depuis les événements au Rwanda, qui se sont produits il y a deux ans - et surtout au cours des 12 derniers mois, on a constaté une légère diminution des dons pour certaines organisations mais pour la majorité des ONG plus importantes, les dons demeurent plus élevés qu'ils l'étaient en 1990 et nettement plus élevés qu'ils l'étaient en 1980. Les dons aux ONG ont augmenté à un rythme assez impressionnant et ont nettement dépassé le taux d'inflation.

Il existe toutefois des problèmes. Les petites ONG et celles qui se consacrent exclusivement au développement plutôt qu'aux situations d'urgence ressentent nettement les répercussions de cette baisse des dons. Je pense que deux raisons permettent d'expliquer cette situation. L'une, c'est que certaines d'entre elles sont en train de perdre leur part du marché au profit d'institutions de charité intérieures. Au fur et à mesure que le gouvernement se retire de certains secteurs, les organisations intérieures subissent de plus en plus de pressions pour assumer le rôle que jouaient auparavant les gouvernements. Il y a donc une concurrence entre les organisations de charité internationales et celles qui travaillent seulement au Canada. De plus, un grand nombre d'organisations de développement sont en train de perdre une certaine part de leur marché à cause des situations d'urgence et au profit d'organisations plus importantes et de renom qui possèdent des mécanismes plus sophistiqués de collecte de fonds.

Mais si l'on se fie aux résultats des sondages d'opinion et aux dons, on ne constate aucune preuve de lassitude à l'égard de l'aide au Canada, ni ailleurs dans les pays de l'OCDE.

Nous devons nous demander d'où vient l'expression «lassitude à l'égard de l'aide et lassitude de la compassion». Trois facteurs peuvent expliquer l'origine de cette expression. L'un, c'est que les petites ONG en train de perdre leur part du marché imputent à tort cette situation à une lassitude à l'égard de l'aide. Le deuxième facteur est sans doute un plafonnement des dons après quatre années très généreuses de dons du public. Il y a également ce que j'appelle la lassitude des agences d'aide particulièrement dans des organisations bilatérales comme l'USAID et l'ACDI.

La lassitude des agences d'aide est attribuable à toute une gamme de facteurs. L'un est l'incapacité chronique des responsables engagés dans ce secteur à dissocier l'aide publique au développement des intérêts commerciaux et politiques et à l'incapacité des organismes d'aide à mettre l'accent sur des objectifs humanitaires prioritaires.

Un autre problème, ce sont les échecs qu'a connus le secteur de l'aide au fil des ans. Cela était sans doute prévisible. Si nous avions su comment créer des emplois dans les pays pauvres, il y a longtemps que nous l'aurions fait. Dans bien des cas, les projets sont risqués et se font à titre d'essai et beaucoup ont échoué, ce qui a entraîné une certaine démoralisation chez d'importants organismes d'aide.

Le déclin et l'effondrement de l'économie de nombreux pays du Sud sont également une cause de démoralisation. Si vous travaillez pour un organisme bilatéral qui a travaillé très étroitement avec un gouvernement et que vous êtes témoin de son déclin et même de sa disparition, il est normal d'être découragé.

D'importantes compressions budgétaires au cours des années 90 sont un autre facteur qui explique la lassitude des organismes d'aide. On constate une diminution du contrôle et de la participation directs d'administrateurs dévoués depuis qu'une proportion de plus en plus grande des fonds destinés à l'aide est administrée par des maisons d'experts-conseils et des organismes du secteur privé.

Un autre facteur de démoralisation, c'est la conviction du public, exprimée clairement dans la plupart des sondages d'opinion effectués en Europe et en Amérique du Nord, selon laquelle les pouvoirs publics ne sont pas les mieux placés, ni les plus efficaces lorsqu'il s'agit de canaliser l'aide au développement vers le tiers monde. En Europe, l'opinion publique a tendance à être beaucoup plus favorable aux ONG, aux organisations religieuses et à l'ONU.

.0925

Fait étonnant, aux États-Unis, on constate que le public est très peu favorable à l'aide gouvernementale au tiers monde. Près de 50 p. 100 estiment que l'aide gouvernementale, l'argent du contribuable, devraient être canalisés par le biais des organisations de l'ONU. Je n'aurais jamais imaginé qu'une telle chose soit possible.

Un dernier problème est le vieillissement des responsables de l'aide. L'essor des programmes d'aide dans les années 70 s'est accompagné d'un recrutement massif qui a diminué vers la fin des années 70 et le début des années 1980. Il n'y avait donc pas vraiment de nouvelles possibilités de carrière pour les jeunes désireux de travailler dans le secteur de l'aide. Les responsables de l'aide vieillissent et sont peut-être en train de devenir plus cyniques.

Or, à mon avis, aucun de ces facteurs ne nous permet de croire qu'il existe une lassitude à l'égard de l'aide. Ceux qui s'opposent à l'aide se font peut-être plus entendre, les organismes d'aide sont peut-être davantage sur la défensive, l'appui varie peut-être selon les types d'organisations mais c'est loin d'être de la lassitude. En fait, tout indique que cette question préoccupe les Canadiens, qu'ils veulent apporter leur aide, que leurs valeurs fondamentales sont solides et qu'ils veulent venir en aide aux personnes en difficulté.

Il y a un problème et je reviens maintenant à la question des sondages. Le problème, c'est que même si le public est favorable à l'aide, il ne comprend pas vraiment en quoi elle consiste. Les connaissances fondamentales concernant l'aide internationale sont assez limitées. Une question très célèbre a été posée à l'occasion d'un sondage aux États-Unis: Pensez-vous que le gouvernement devrait faire davantage pour aider les pauvres? La réponse a été un oui retentissant. La même question posée d'une façon légèrement différente - Pensez-vous que le gouvernement devrait consacrer plus d'argent au bien-être social? - a obtenu comme réponse un non retentissant.

Une bonne partie des réponses obtenues à ces questions dépend de la façon dont on les pose. Voici une autre question célèbre: Le président Nixon aurait-il dû démissionner? Tout le monde a répondu oui. Cela a-t-il de l'importance à vos yeux? On a répondu non.

Il faudrait donc peut-être se poser la question suivante: Est-ce que les Canadiens devraient accorder de l'importance à l'aide et dans l'affirmative, pourquoi? Par le passé, nous leur avons donné deux raisons fondamentales. L'une, c'est qu'il s'agit de personnes en difficulté et que nous pouvons les aider; c'est la réponse altruiste. L'autre, c'est que cela crée des emplois pour les Canadiens. Ce message est habituellement réservé aux discours prononcés devant les chambres de commerce et les associations d'exportateurs, mais il est assez convaincant.

J'aimerais simplement examiner très brièvement ces deux raisons que nous venons de donner aux Canadiens. Tout d'abord, le message à propos des gens en difficulté est efficace mais a tendance à décrire les symptômes plutôt que les solutions. Nous avons tendance à évoquer l'enfant, l'enfant affamé et non les parents. C'est l'une des raisons pour lesquelles le parrainage d'enfants est pour les ONG un moyen si efficace de recueillir des fonds. Or, tant que les parents n'auront pas d'emploi, tant que les parents ne pourront pas subvenir aux besoins de leur enfant, nous n'aurons pas vraiment expliqué comme nous le devrions la situation aux Canadiens.

Je pense que vous avez probablement tous entendu l'expression «Donnez un poisson à un homme et il aura de quoi manger pendant une journée, mais montrez-lui à pêcher et il pourra subvenir lui-même à ses besoins». Je ne crois pas que ce soit vraiment le problème. Le problème, c'est que ceux qui achètent le poisson ne sont pas vraiment prêts à payer ce qu'il en a coûté pour le pêcher. Ils ne sont pas vraiment prêts à payer un prix équitable pour ce poisson. Ils ne sont pas prêts à le payer à un prix suffisant pour que les pêcheurs puissent acheter les filets et les bateaux dont ils ont besoin.

Nous devons cesser la surpêche. Nous devons cesser de polluer les eaux afin qu'il y ait du poisson pour la prochaine génération. Ce ne sont pas toujours des choses que les gens peuvent faire tout seuls. Bien des pays ne peuvent pas absorber le genre de choc qu'a subi l'industrie de la pêche au Canada et survivre. Bien des pays ne peuvent pas dépêcher des destroyers pour chasser les chalutiers espagnols.

À mon avis, les ONG ont tendance à transmettre le mauvais message, c'est-à-dire «Apprenez à un homme à pêcher» lorsqu'il est infiniment plus important de faire comprendre qu'il doit obtenir un prix équitable pour son poisson, ou elles préfèrent tout simplement montrer des images de bébés en train de mourir de faim. Beaucoup d'ONG font du très bon travail éducatif en faveur du développement mais pour chaque dollar qu'elles y consacrent, dix dollars servent à renforcer les messages qui décrivent le tiers monde comme une zone sinistrée peuplée de gens sans ambition, qui se contentent d'attendre l'aumône des riches. Je passe beaucoup de temps à voyager en Afrique et en Asie et je peux vous dire que ce n'est pas la réalité du tiers monde.

Les médias ne font que renforcer cette impression en présentant aux informations désastre après désastre sans expliquer les liens de cause à effet, comme s'il s'agissait d'une série de tragédies isolées, sans rapport entre elles, et qui nous sont étrangères. C'est comme si elles n'avaient rien à voir avec nous, qu'une fois les combats terminés, tout ira pour le mieux.

Le deuxième message, c'est que l'aide crée des emplois pour les Canadiens. Je pense que c'est vrai mais jusqu'à un certain point. Les emplois sont maintenus grâce aux achats liés à l'aide mais ils ne seront pas durables à moins que les pays puissent acheter des produits et des services canadiens avec leur propre argent. Il est impossible d'acheter des produits et des services canadiens si vous n'avez pas d'argent, si vous êtes pauvre.

Il est vrai que Taïwan, la Corée et d'autres pays nouvellement industrialisés sont en mesure d'acheter des biens et des services canadiens avec leur propre argent mais pour chacun de ces pays, il y en a d'autres, et souvent il s'agit d'énormes pays, qui sont au bord du chaos et de l'anarchie politique - vous avez peut-être entendu les informations sur l'Égypte aujourd'hui - le Nigéria, la Turquie, l'Algérie, le Pakistan, le Bangladesh, la Colombie, le Mexique et peut-être même la Chine.

.0930

Beaucoup d'ouvrages ont été écrits sur la façon de sensibiliser le public à une question importante. La question doit être claire et compréhensible. Je dirais que le développement n'est pas une question très compréhensible pour le Canadien moyen. Elle est trop complexe ou trop simple. D'un côté, on parle d'ajustement structurel, de l'autre de bébés qui meurent de faim. Beaucoup de Canadiens ne comprennent pas pourquoi dans le premier cas cela est nécessaire et dans le deuxième cas cela se produit après toutes ces années où nous avons travaillé pour améliorer la situation.

Il faut que les Canadiens se sentent directement concernés. L'une des raisons pour lesquelles le mouvement des femmes et le mouvement environnemental ont eu tant de succès et pour lesquelles les gens ont modifié leur comportement suite au problème du SIDA, c'est que le Canadien moyen se sent directement concerné par ces questions. C'est pourquoi le parrainage d'enfants marche si bien. Vous pouvez avoir votre propre enfant, savoir son vrai nom, recevoir des photos et des lettres de l'enfant. C'est une expérience qui les touche beaucoup plus directement que le creusage d'un puits dans un pays qui n'était même pas sur la carte, même pas dans l'atlas, il y a cinq ans.

Il faut que la question soit concrète. C'est la raison pour laquelle les gens donnent de l'argent aux réfugié rwandais. Ces images des camps étaient vraies, immédiates et tragiques. Des notions vagues de redistribution du pouvoir, la campagne «village global» - ce genre de choses trouvent souvent très peu d'écho.

Il faut que ceux qui font la promotion de la question soient crédibles. Tous les sondages d'opinion effectués en Europe et en Amérique du Nord ont indiqué que les gouvernements ne sont pas une source d'information très crédible en matière de développement international. Les gens ont tendance à croire d'abord les médias, puis les organisations de l'ONU, les églises et les ONG, dans cet ordre. Mais les gouvernements ne jouissent tout simplement pas d'une très grande crédibilité.

Puis il faut qu'il y ait bien entendu de la publicité. À une époque où l'on a jusqu'à 50 chaînes de télévision, il faut faire beaucoup de publicité autour de ces questions. Cette publicité doit être soutenue, elle doit être répétée et elle doit être sans ambiguïté.

Or, à mon avis, en ce qui concerne l'aide au développement, ce genre de mesures est beaucoup trop rare. Les médias n'expliquent pas les liens de cause à effet. De plus en plus d'ONG n'interviennent que ponctuellement. Les politiciens ne dirigent plus. Le mandat d'importants secteurs d'organismes de développement officiels a été détourné au service d'intérêts politiques et commerciaux immédiats à court terme.

La commission d'aide au développement de l'OCDE a tenu une réunion à ce sujet en 1983. Elle est arrivée à la conclusion que pour le public, ce sont avant tout les interventions humanitaires d'urgence qui, aujourd'hui comme hier, justifient l'aide. Le public a une grande méconnaissance des programmes d'aide et des pays du Sud. Les doutes de plus en plus grands à propos de l'efficacité de l'aide publique se sont mués aujourd'hui plus ou moins en certitude. C'était en 1983. Depuis, très peu de choses ont changé.

Que peut-on faire? Vous entendrez beaucoup d'autres témoignages aujourd'hui à propos de ce qui peut être fait. J'ai trois propositions. Ce sont des idées personnelles.

La première, c'est qu'il nous faut préciser l'objet de l'aide pour que le public puisse comprendre en quoi elle consiste. Vous vous souviendrez peut-être du débat important qui avait eu lieu à la conférence de Copenhague il y a quelques années à propos de l'opportunité pour les organismes d'aide officielle de consacrer 20 p. 100 de leurs budgets aux besoins essentiels de l'être humain. Le gouvernement canadien veut que 25 p. 100 de l'APD du Canada soit consacré aux besoins essentiels de l'être humain. Pourquoi 25 p. 100? Pourquoi pas 50 p. 100? Pourquoi pas80 p. 100? Je pense en connaître certaines raisons mais le contribuable moyen serait tout à fait en droit de demander pourquoi on prévoit si peu d'argent pour aider directement les personnes en difficulté. Nous devons pouvoir l'expliquer aux gens pour qu'ils le comprennent.

Deuxièmement, nous devons sensibiliser les Canadiens au fait que les conséquences de la pauvreté du tiers monde ne s'arrêteront pas aux frontières internationales. Les réfugiés, la pollution, le réchauffement de la planète, la guerre, le terrorisme, le trafic de stupéfiants - tous ces problèmes découlent de la pauvreté et se rapprochent de plus en plus des Canadiens. Il est impossible de les régler par des moyens de fortune. Nous avons dépensé 1,3 million de dollars canadiens en Somalie, ce qui représente plus d'argent pour essayer de remédier à la situation en Somalie que les sommes que nous avons consacrées à l'ensemble des pays d'Afrique au cours de la même année. Et quel a été le résultat? La Somalie n'est toujours pas sortie du pétrin. Les mesures de fortune ont tendance à ne pas fonctionner si nous intervenons trop tard.

Beaucoup considèrent que la peur n'est pas un très bon facteur de motivation et beaucoup d'ONG ont tendance à éviter ce genre de messages lorsqu'elles s'adressent aux donateurs mais je pense que la peur peut être un très bon catalyseur. Elle réussit très bien à susciter une prise de conscience et à hausser le niveau des dépenses consacrées à des problèmes comme le SIDA et l'environnement. Elle présente également d'autres avantages. Elle est claire et facile à comprendre. C'est du concret. Elle interpelle directement les Canadiens.

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Enfin, si ces préoccupations étaient mieux reconnues, adoptées de façon plus générale sans sectarisme politique, si elles étaient inscrites dans les politiques officielles, adoptées par les ONG, médiatisées, cela contribuerait peut-être également à accroître la sensibilisation du public et à modifier ses attitudes.

Si vous me le permettez, j'aimerais terminer sur une note personnelle. J'ai commencé à travailler dans le domaine du développement international il y a 29 ans. Je suis allé dans un petit pays d'Afrique occidentale, la Sierra Leone, pour y enseigner. En 1967, la Sierra Leone était indépendante depuis quatre ou cinq ans. On pouvait vraiment y voir le développement en marche. On était en train d'y construire des routes, d'ouvrir des écoles, de mettre sur pied des cliniques. Comme il n'y avait pas d'électricité - il y avait de l'électricité plus près de la ville - mes élèves faisaient leurs devoirs sous les lampadaires, le soir. Ils se levaient à cinq heures du matin pour faire leurs devoirs afin de pouvoir faire les travaux du ménage et d'aller aussi à l'école.

On sentait cette volonté de développement. Les parents exerçaient des pressions pour qu'on ouvre des écoles et des hôpitaux. Tout comme les Canadiens, ils voulaient une vie meilleure pour leurs enfants.

Aujourd'hui, la Sierra Leone est un pays qui compte deux millions de personnes déplacées et de réfugiés sur une population de 4,5 millions. La guerre civile y fait rage depuis quatre ans. Nous entendons souvent dire que le Canada est le meilleur endroit au monde où vivre. Il occupe la première place sur le plan du développement humain. Sur 174 pays, la Sierra Leone arrive en 171ème place. L'autorité du gouvernement ne s'étend plus qu'à environ 30 milles à l'extérieur de Freetown.

Il y a beaucoup de raison pour lesquelles la Sierra Leone ne s'est pas développée et se trouve aujourd'hui dans cette situation: la corruption, une mauvaise administration, beaucoup de choses dont les habitants et le gouvernement de la Sierra Leone auraient pu s'occuper. Mais cette situation est également attribuable au prix que nous étions prêts à payer pour son poisson et au fait que la Sierra Leone n'a jamais été un enjeu stratégique de la guerre froide et par conséquent n'a jamais bénéficié d'une aide importante. Elle ne présentait pas certains des avantages ni peut-être certains des inconvénients que possédaient d'autres pays.

Je m'intéresse à la Sierra Leone parce que j'y retourne la semaine prochaine pour voir ce qui s'y fait pour renverser la tendance. Ces derniers mois, les pressions en faveur de la paix, de la démocratie et du bon gouvernement ont été particulièrement vives à la Sierra Leone. Les militaires ont essayé d'empêcher la tenue des élections qui devaient avoir lieu en mars mais la pression publique a été telle, même dans les camps de réfugiés, qu'elle a réussi à imposer la tenue d'élections. C'était une élection assez représentative et la Sierra Leone a maintenant un gouvernement civil.

L'année dernière, les Nations Unies ont demandé aux pays membres une contribution de18 millions de dollars pour aider la Sierra Leone - 18 millions de dollars pour un pays de deux millions de personnes déplacées et de réfugiés! Simplement pour vous donner une idée de ce que cela représente, le budget d'OC Transpo était de 180 millions de dollars, soit 10 fois plus que la somme demandée par l'ONU pour la Sierra Leone. OC Transpo a obtenu son budget. L'ONU quant à elle n'a obtenu que la moitié de la somme demandée.

Pour que des pays comme la Sierra Leone arrivent à se sortir du pétrin où ils se trouvent - et dont nous sommes en partie responsables - il va falloir que nous les y aidions. Si nous voulons mettre fin à certains de ces désastres, à y mettre fin pour nous-mêmes et pour nos enfants, nous allons devoir investir beaucoup plus et nous occuper de ces questions de toute urgence. Et surtout, nous allons devoir expliquer aux Canadiens pourquoi un petit pays comme la Sierra Leone, dont la plupart des Canadiens n'ont jamais entendu parler, est important pour eux et pour leurs enfants.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Smillie.

Avant que nous passions aux questions, j'aimerais dire que ceux d'entre nous qui ont participé à l'examen des affaires étrangères se souviendront que notre comité était arrivé à la même conclusion que celle que vous avez tirée dans votre présentation, à savoir que si nous avions de meilleures relations commerciales avec un grand nombre de nos partenaires en Afrique et dans d'autres régions du monde qui veulent se développer, ce serait un moyen beaucoup plus efficace, comparativement à l'aide, de leur assurer un mode de subsistance durable. Je pense que la plupart des membres du comité sont d'accord avec votre conclusion qui est d'ailleurs la conclusion à laquelle nous sommes arrivés dans le cadre de notre examen de la politique étrangère.

Merci beaucoup de vos commentaires.

[Français]

Monsieur Paré.

Mr. Paré (Louis-Hébert): Je veux souhaiter la bienvenue à nos témoins de ce matin. Ils ont un rôle difficile à jouer, parce que, dans mon esprit, il est clair que les Canadiens en général et les Québécois sont favorables à l'aide internationale.

Je voudrais leur demander, non pas comment on devrait tenter d'influencer l'opinion des Canadiens face à l'aide internationale, mais plutôt comment les Canadiens pourraient faire pour influencer leur gouvernement afin qu'il revienne à sa générosité antérieure. C'est véritablement cela, la question.

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Le gouvernement garde toujours la cible de 0,7 p. 100, mais il faut savoir qu'en 1998-1999, la proportion du produit intérieur brut ne sera que de 0,29 p. 100. On garde cette cible et on continue à faire des discours. On continue, dans le préambule de l'énoncé, à parler de la générosité et de la compassion des Canadiens, mais, dans la réalité, on fait exactement le contraire.

À un moment donné, le dernier témoin a dit, à juste titre, que l'argent allait à des firmes d'experts-comptables ou autres et ne servait pas véritablement au développement.

Prenons un exemple très concret. Tout récemment, l'ACDI a accordé un contrat de 7,5 millions de dollars à des entreprises pour conseiller le Vietnam sur la réforme des institutions. Va-t-on me faire croire que ces 7,5 millions de dollars vont atteindre la population du Vietnam qui en a le plus besoin? Moi, je n'y crois pas.

Le premier intervenant, M. Adams, a dit que l'aide ne devait pas être éternelle. Je suis tout à fait d'accord avec lui. Mais comment faire pour que l'aide ne soit pas éternelle? Il faut qu'on investisse dans le développement durable, dans l'éducation, dans la santé, et dans les services de base qui vont permettre à une population de se prendre en main.

Mais ce n'est pas ce que l'on fait. On fait de l'aide bilatérale de gouvernement à gouvernement. Dans toute la mesure du possible, on veut mettre les ONG au pas parce qu'elles dérangent.

Nous pouvons nous rappeler que, lors de l'évaluation de la politique étrangère, beaucoup de groupes qui sont intervenus nous ont dit qu'il fallait que les ONG dépensent 5 p. 100 de leur budget pour sensibiliser les Canadiens à l'importance de l'aide internationale.

Qu'a fait le gouvernement dans le budget de 1995? Il a coupé 100 p. 100 de l'aide aux ONG qui faisaient de la sensibilisation, et aujourd'hui on nous invite à un colloque portant sur l'importance de faire de la sensibilisation auprès du public. La farce a assez duré!

Je vais maintenant poser la véritable question. Que pourraient faire les Canadiens, qui sont généreux, pour amener ce gouvernement à prendre ses responsabilités face au développement international?

[Traduction]

Le président: L'un des témoins voudrait-il répondre à la question? Je crois qu'il s'agit d'un véritable tour de force.

M. Smillie: Je pourrais peut-être dire un mot au sujet de la sensibilisation au développement.

Il est vrai que l'ACDI a fait des coupes très sombres dans le programme de sensibilisation au développement. J'estime que cela est dû en partie à son succès très mitigé. Cependant, il est important que nous comprenions le coût élevé que représentent de bonnes communications publiques. Les ONG qui consacrent entre 10 000 et 20 000$ à ce poste auront un impact très limité. Je crois que, dans une certaine mesure, nous devons examiner beaucoup plus en détail la sensibilisation au développement.

L'année dernière, les Nations Unies ont recommandé que le gouvernement consacre 2 p. 100 de l'aide publique au développement à l'éducation en matière de développement, non pas pour en faire la publicité, mais pour tenter d'expliquer à la population à quoi servent leurs impôts. Je crois que le Canada consacre moins de 0,5 p. 100 à ce poste; nous sommes donc loin de la cible fixée par les Nations Unies.

Il n'y a vraiment pas d'autre façon de faire passer ces messages et d'essayer d'expliquer les projets aux Canadiens. Je sais pourquoi nous ne dépensons pas tout l'argent sur les projets liés à la pauvreté et l'ACDI a d'excellents bons projets. Je pense plus particulièrement à un projet en cours au Ghana qui semble un projet industriel, mais qui vise vraiment à prêter main-forte à de très petits entrepreneurs pour le démarrage de leur entreprise. Il s'agit d'établir un petit marché pour les biens et services canadiens mais au bout du compte de créer des emplois au Ghana. Le projet permet vraiment de faire quelque chose pour les petits entrepreneurs qui, dans une certaine mesure, comptent parmi les plus pauvres et ont besoin de ce coup de pouce. Nous n'expliquons pas ces choses aux gens à l'heure actuelle et il faut vraiment redoubler d'effort pour renseigner plus à fond les gens afin qu'ils comprennent ces programmes.

Le président: Nous le pourrons, étant donné - et j'aurais dû l'annoncer au début de la réunion - que les délibérations de ce comité seront diffusées ce soir sur la chaîne parlementaire. J'espère que l'un des objectifs de notre présence ici aujourd'hui consiste peut-être précisément à discuter de ces questions pour qu'elles soient mieux comprises des Canadiens. Peut-être communiqueront-ils avec nous après nous avoir entendus.

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Monsieur Adams, voulez-vous faire des commentaires au sujet de ces observations?

M. Adams: Je suis ému par les observations des députés et je dois croire qu'il deviendra encore plus difficile de faire ce que vous voulez accomplir. Après la guerre, lorsque le Canada pouvait compter sur une croissance annuelle de 3, 4 ou 5 p. 100, lorsque nous bâtissions l'État providence, lorsque les Canadiens conservaient plus d'argent dans leurs poches même s'ils en versaient davantage alors à leurs gouvernements, nous pouvions nous en remettre aux éminents chefs de file du pays, qui avaient le sentiment, un sentiment chrétien du devoir, noblesse oblige, qu'il fallait aider les pays pauvres. On s'en remettait dans une certaine mesure à nos éminents chefs de file qui voulaient faire ce genre de choses au Canada.

Aujourd'hui, cependant, nous payons le prix de cet État providence. Les gens sont las de payer des taxes dans ce pays. On s'en remet de moins en moins aux éminents chefs de file et on ne place plus les politiciens et le gouvernement sur un piédestal.

Pendant que nous équilibrons nos budgets, pendant que nous remboursons la dette - et il faudra cinq ou dix ans encore au gouvernement pour y parvenir - vous vous rendrez compte que les budgets des gouvernements seront examinés à la loupe et que les Canadiens tiendront à protéger les programmes qui les touchent personnellement: les soins de santé, l'éducation, les routes et ainsi de suite. On aura de plus en plus le sentiment que, pour les choses qui ne touchent pas quelqu'un et une famille en particulier, le gouvernement devrait revenir en arrière, ou peut-être ne pas faire ces choses.

Lorsque nous deviendrons soudainement riches et gagnerons de nouveau à la loterie en tant que Canadiens, nous pourrons recommencer à donner généreusement.

Cela veut dire que le secteur privé et les particuliers devront prendre la relève dans ce secteur alors que par le passé les gouvernements ouvraient la voie.

Je constate avec des clients comme Centraide du Grand Toronto que ceux-ci pouvaient auparavant jouer sur d'anciennes cordes sensibles pour motiver la population, surtout les gens qui avaient de solides valeurs religieuses, mais les baby-boomers et la génération X sont imperméables à ce genre d'appel. Si nous ne trouvons pas un moyen, en informant et en jouant sur les émotions, de faire appel aux Canadiens qui affirment leur autonomie et qui veulent que le choix personnel soit la pierre angulaire de la façon dont ils mènent leur vie, une vie où ils veulent participer à ces décisions, comme mon collègue l'a dit, les politiciens auront alors plus de mal à obtenir l'appui du public lorsqu'ils se comporteront comme ils avaient l'habitude de le faire au cours des 50 dernières années. Je ne suis pas optimiste quant à vos chances de pouvoir le faire.

Ce dont le gouvernement a besoin - et mon collègue l'a également dit - c'est de la crédibilité des sources d'information. Les gouvernements n'ont plus cette crédibilité alors qu'il n'en va pas de même pour d'autres dont les ONG.

Il me semble que vous devriez songer à un partenariat avec d'autres qui ont cette crédibilité. J'exhorte ces ONG à comprendre les valeurs de ces Canadiens et à leur parler en leur citant les faits, en les intéressant personnellement et en faisant appel à leur sensibilité pour qu'ils fassent volontairement le genre de choses que nous souhaitons tous dans cette pièce voir se produire.

Le président: Merci, monsieur Adams.

Je ne sais pas au sujet de M. Paré. Maintenant qu'il fait partie de notre élite, je suis heureux de le voir de nouveau ici. Cela changera la dynamique de ce comité.

Je crois que cette observation est utile.

M. Godfrey: Je viens de penser à quelque chose. J'ai siégé il y a longtemps au conseil d'administration du CUSO alors que Ian Smillie en était le directeur exécutif. Cela remonte loin en arrière et je suis heureux de le revoir.

Je suppose qu'il faut se demander si, pour résoudre une partie du problème, il faut changer l'attitude des ONG dans ce pays. On a dénoncé à maintes reprises le fait que les médias soient mal informés et ainsi de suite. Je me demande si c'est parce que les ONG ne décrivent pas la réalité. Je me demande si c'est aussi parce que, lorsque le Canadien moyen qui veut faire quelque chose est mis en présence d'une situation affligeante - de par son envergure étant donné l'importance du désastre au Rwanda ou de par sa complexité - cette personne baisse pavillon parce qu'il ne se sent pas concerné.

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Je vais vous parler brièvement de mon expérience à l'égard de la crise africaine à laquelle a donné lieu la famine en 1984. Celle-ci a touché 24 pays d'Afrique et des millions de gens. Comment réagissez-vous à une situation comme celle-là. Il fallait, dans un premier temps, essayer d'en régler une partie pour au moins faire quelque chose. Je crois que c'est l'attrait qu'a toujours eu le plan de parrainage: au moins vous faisiez quelque chose pour une situation réelle, pour une personne ayant un nom et un visage. Puis nous avons réussi à mettre sur pied Ethiopia Airlift, une organisation qui s'est concentrée sur une partie du pays et qui a ensuite renseigné les gens sur ce que nous y avions accompli.

Ce qui est également intéressant c'est que nous avons pu aller plus loin après la phase critique. Il y a eu un programme intitulé Adopt a Village. Celui-ci consistait à jumeler une collectivité du Canada à une collectivité de l'Éthiopie et de suivre de près le développement à long terme. Nous nous sommes ensuite dit qu'il fallait diffuser les bonnes nouvelles sur une grande échelle, assez grande pour faire comprendre les dynamiques du développement mais assez petite pour recourir à des personnalités connues.

Nous avons jumelé un certain nombre de collectivités canadiennes, par l'entremise d'ONG canadiennes comme SUCO et EUMC, avec des villages africains pour les histoires à longue portée et les bonnes nouvelles. Je soutenais que, parce que nous étions en mesure de raconter l'histoire correctement, nous pouvions faire participer les stations de télévision locale et avoir des caméras sur place. Nous étions en mesure de demander aux spectateurs de se reporter six mois en arrière, au moment où un problème se posait et de leur faire voir comment les gens s'étaient tirés d'affaire. Ce faisant nous avons sensibilisé, à divers niveaux locaux, des groupes aux questions de développement. Alors quand ils ont demandé par exemple, pourquoi ces gens avaient tant d'enfants, nous avons vraiment pu leur répondre.

Là ne réside pas toute la réponse en matière de développement, mais on suppose qu'en créant une collectivité de gens intéressés et de mieux en mieux informés au sujet d'une situation ponctuelle, on finit par sensibiliser davantage toute une population à l'égard de questions plus vastes. Cette population dira qu'elle fait sa petite part, mais j'ai aussi le sentiment que la situation est sous contrôle.

Le défi qui attend les ONG c'est d'apprendre à utiliser ces techniques et de rendre des comptes. Ce que je craignais en partie c'était qu'elles ne veuillent pas vraiment rendre de compte au public au cas par cas. Tandis que la participation dans les pays du tiers monde était considérée comme un idéal à l'échelle planétaire, ce n'était pas si évident pour moi qu'il en allait de même dans les pays industrialisés. Après tout, qu'est-ce que le public devrait savoir au sujet de ces questions compliquées? Remettez-vous en à nous les professionnels et envoyez les chèques.

Je vous dis cela pour susciter des observations et des commentaires.

M. Smillie: C'est un peu comme tirer sur un fil de votre chandail. Vous découvrez qu'il est rattaché à tous les autres fils et, le temps de le dire, vous n'avez plus de chandail. Cette question se rattache à tout ce qui compose l'univers.

Il existe une importante ONG hollandaise du nom de NOVIB. Cette organisation dispose d'un programme de collecte de fonds intitulé «Guest At Your Table». Elle participe à beaucoup d'opérations d'urgence et elle reçoit beaucoup de dons pour chaque opération. Un donateur voit quelque chose à la télévision et donne 10$ pour le Rwanda. L'ONG essaie de retenir ce donateur qui s'inquiète de l'urgence de la question et de le transformer en un donateur qui donnera de l'argent pour le développement. Elle essaie ensuite d'en faire un donateur permanent. Si elle parvient à conserver ces donateurs - il y en a toujours qui la laissent tomber - elle essaie de les faire participer à ce programme «Guest At Your Table».

Il s'agit d'un programme spécial qui permet à NOVIB d'associer directement pour ainsi dire un groupe de donateurs à un organisme particulier dans un pays du tiers monde avec lequel l'organisation collabore. Ce qui est intéressant, c'est que NOVIB ne dit pas exactement à tous ces donateurs hollandais ce qui se passe au tiers monde. Une fois l'an, elle fait venir des gens du tiers monde en Hollande pour rencontrer les donateurs. Étant donné sa petite superficie, elle peut le faire. Il peut y avoir deux ou trois réunions à laquelle pour tout le monde peut assister pour ainsi dire.

L'organisation demande à l'ONG du Sud, la partenaire du tiers monde, de participer à la rédaction d'une partie du matériel servant à la collecte de fonds de manière à y présenter autre chose que des visions apocalyptiques et des bébés qui meurent de faim. Il s'agit de faire voir l'aide du point de vue de ceux qui la reçoivent.

On essaie de faire comprendre aux gens comprennent que le développement peut être un processus à long terme. Qu'il faut plus que des projets de deux ans. L'organisation leur dit aussi que le quart de leur don sera consacré à un programme de sensibilisation en faveur du développement, c'est-à-dire essayer de convaincre d'autres gens du pays que c'est la meilleure façon de faire. C'est un programme très important et l'organisation a réussi à convaincre un grand nombre de donateurs hollandais que 25 p. 100 de leurs dons peuvent être consacrés à l'aide éducative au développement. L'organisation a réussi à faire comprendre l'importance que revêt cet aspect.

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Il s'agit d'un lent processus au financement coûteux. L'un des problèmes qui se posent pour les ONG, c'est que tout le monde pense que le développement est peu coûteux, qu'il suffit d'un coup de baguette magique et que tout de fait du jour au lendemain. C'est faux. Il est impossible d'y parvenir à raison de 10 p. 100 de frais généraux. Ce mythe de 7 ou 10 p. 100 de frais généraux, voire même de20 p. 100 dans certains cas, est farfelu.

Lorsqu'un donneur est sollicité pour une cause comme le cancer, il ne demande pas à l'organisme bienfaiteur combien d'argent il consacrera à ses frais généraux. Il en va de même pour l'association des maladies du rein; vous savez qu'elle aura des frais généraux. Il faut payer les chercheurs, les médecins et tout ce qui s'ensuit. Mais pour une raison ou pour une autre, l'aide au développement ne doit pas pour ainsi dire entraîner des frais généraux.

Il y a toute sorte de travaux à exécuter. Il y a l'aide humanitaire. Il faut envoyer des bénévoles. Il peut s'agir d'un projet très compliqué de forage d'un puits. Il y a toutes sortes de projets comportant toutes sortes de frais généraux.

Comme nous n'avons rien expliqué de cela aux Canadiens, lorsqu'on fait un exposé sur un organisme qui a consacré 20 p. 100 de ses fonds à l'administration, c'est le tollé et l'organisme se voit porter un coup terrible. Nous devons trouver une façon d'expliquer la réalité aux gens. Je crois que cet exemple de la Hollande vous permet de voir que le public, s'il est tenu soigneusement tenu au courant, peut changer d'avis.

Le président: Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Adams?

M. Adams: Je crois que ça va.

Le président: Merci beaucoup. Monsieur Morrison.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Monsieur Smillie, un petit aparté avant de poser ma question. Je crois que vous trouveriez des gens qui ne versent pas d'argent aux organisations caritatives nationales sans connaître leurs frais généraux. Je sais à coup sûr que ce n'est pas mon cas.

Vous avez mentionné la Sierra Leone. Je ne crois pas qu'il s'agisse vraiment d'un cas unique. Au cours des trois dernières décennies, nous avons été témoins d'un effondrement vraiment rapide, surtout en Afrique sub-saharienne, dans des pays qui sont passés rapidement de la dépendance coloniale à l'indépendance complète. Cela n'a pas marché. Je sais que c'est facile de porter un jugement après coup, mais ces pays n'étaient pas prêts. Il y a donc eu cette spirale post-coloniale qui a mené au chaos.

Je ne sais pas ce que vous faites à ce sujet à l'heure actuelle, vu que les quelques personnes qui avaient été formées par les pouvoirs coloniaux pour devenir administrateurs, pour prendre les rênes du pouvoir, dans l'ensemble, ont été tuées dans beaucoup de ces pays. Elles étaient l'élite et les fomenteurs des diverses petites révolutions ne les aimaient pas et s'en sont débarrassé.

Que faites-vous maintenant? Comment remplacez-vous l'infrastructure dans les pays où plane le spectre de l'anarchie? Même vos ONG ne peuvent se frayer un chemin dans ces sociétés qui se sont effondrées et dire qu'elles vont nourrir les enfants et faire ce qu'il y a à faire. C'est parce qu'on y trouve des gens armés de kalachnikovs qui nous disent que nous ne pourrons nourrir leurs enfants tant et aussi longtemps que nous ne leur donnerons pas la moitié des denrées.

Les Nations Unies n'ont pas le pouvoir d'offrir leur appui aux ONG ni même à leur propre personnel, dans des situations comme celle-là. Vous ne pouvez faire comme Herbert Hoover en Russie, vous y présenter simplement et prendre tout en charge. En fait, Herbert Hoover ne s'y est pas rendu et n'a pas tout pris en charge parce qu'il était appuyé par l'Armée Rouge dans ses opérations d'aide humanitaire.

Qui peut aider nos travailleurs des organisations humanitaires à tenter de se rendre dans des pays comme la Sierra Leone et le Rwanda? Quelle est la réponse? Concrètement, comment pouvez-vous faire quelque chose maintenant?

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M. Smillie: Premièrement, je suis d'accord que le cas de la Sierra Leone n'est pas unique. Si j'ai mentionné ce pays c'est parce que j'y ai entrepris ma carrière. Mais c'est aussi parce que les médias n'en parlent pas. On y trouve 2 millions de personnes déplacées; une guerre civile y sévit depuis quatre ans et la plupart des gens n'ont jamais entendu parlé du pays encore moins du problème. Combien d'autres problèmes s'y posent? Combien d'autres désastres naissants y dénombre-t-on? Jusqu'où pouvons-nous laisser aller les choses avant qu'il soit trop tard?

Je suppose que l'une des réponses réside dans les mesures que nous allons prendre en ce qui a trait au Libéria. Ferons-nous quelque chose? Il est peut-être trop tard pour le Libéria. Mais la leçon qu'il faut tirer de pays comme le Libéria et la Somalie, qu'en s'y prenant trop tard on risque de ne pas même pouvoir ramasser les morceaux.

En ce qui concerne l'indépendance, je pense souvent à ce qui s'est passé aux États-Unis dans les 70 ou 80 années qui ont suivi l'indépendance. C'était au milieu de l'une des guerres civiles les plus horribles et les plus dévastatrices de tous les temps. Il se peut qu'en Afrique les choses se passent un peu plus vite et que les pays s'en sortent plus rapidement que ce fut le cas aux États-Unis.

Je ne connais pas la réponse exacte, mais je sais qu'elle ne consiste pas à envoyer 9 millions de dollars pour essayer d'aider deux millions de personnes déplacées et de réfugiés. On laisse souvent passer l'occasion.

En Sierra Leone, la chance frappe réellement à la porte parce qu'on vient tout juste d'y tenir des élections. Les Sierra-Léonais n'ont pas ménagé leurs efforts pour expulser l'armée. Ils veulent la réconciliation. Ils veulent en finir avec la guerre. Ainsi, d'une manière ou d'une autre, nous devons reconnaître ces occasions lorsqu'elles se présentent et faire plus que nous le faisons à l'heure actuelle.

J'ai parlé à des gens de Freetown hier. Je leur ai demandé si la situation au Libéria se répercutait sur eux. Ils m'ont dit qu'ils pouvaient entendre les hélicoptères en provenance de Monrovia parce qu'ils transitaient par Freetown. Ensuite les gros porteurs transportent les réfugiés au Sénégal et en Europe. Ils peuvent entendre les avions, mais personne ne s'arrête pour regarder de près le désastre en Sierra Leone. Un million de personnes viennent de provoquer l'occasion, la moitié d'entre eux dans des camps de réfugiés, en se débarrassant par la voie électorale d'un gouvernement militaire. Il faut profiter de ces occasions lorsqu'elles se présentent.

M. Morrison: Mais comment, monsieur Smillie, concrètement et matériellement, pouvons-nous aider ces gens? Vous ne pouvez envoyer l'armée pour appuyer et protéger vos travailleurs de l'aide, mais vous envoyez pourtant ceux-ci sans soutien et sans protection et ils ne peuvent rien faire. Quelle est la réponse?

M. Smillie: L'une des premières choses à faire dans une situation comme celle-ci, c'est que de démobiliser les combattants. Un grand nombre d'entre eux ne font pas partie de l'armée; un grand nombre d'entre eux ne sont que des jeunes gens qui n'avaient d'autre alternative que de cirer les chaussures dans la capitale. Comme il n'y a vraiment pas assez d'emplois pour les jeunes, lorsque quelqu'un se présente armé d'un fusil, qu'il s'agisse d'un chef militaire ou d'un représentant d'une organisation légitime, il est très facile de recruter cette chair à canon pour ces situations d'urgence. C'est ce qui s'est passé en Somalie et au Libéria.

Mais pour démobiliser les combattants, il faut de l'argent. Il ne suffit pas de leur retirer leur uniforme et leur arme, il faut trouver des moyens de les faire travailler pour les empêcher de retourner à ce genre d'activité. Créer des emplois dans des pays où le taux de chômage oscille entre 40 et 50 p. 100 n'est pas une mince tâche. La pauvreté qui en découle donne lieu à beaucoup de ces désastres. C'est ce qui incite les gens à se lancer dans le commerce de la drogue. C'est beaucoup plus facile.

J'étais au Pakistan l'an dernier. J'y ai observé un merveilleux programme américain d'aide visant à convaincre les gens des zones tribales à cesser de cultiver le pavot. Le projet consistait à construire des routes pour se rendre dans les zones tribales de manière à améliorer l'accès aux produits de fertilisation et aux semences de même qu'aux conseillers agricoles pour des cultures comme le colza et d'autres cultures, je crois.

J'ai demandé à l'un des fermiers quel était le meilleur prix qu'il pouvait obtenir pour la meilleure solution de rechange à la culture du pavot. Il m'a parlé d'environ 20 p. 100 de ce que pouvait lui rapporter cette culture. Pourquoi cesser alors de cultiver le pavot? La pauvreté est ce qui pousse les gens à faire ce genre de chose sans compter l'absence de contrôle, c'est-à-dire de l'autorité gouvernementale, la chute du gouvernement.

Le président: Monsieur Flis.

M. Flis (Parkdale - High Park): Merci, monsieur le président.

Je souhaite la bienvenue à nos invités qui sont là pour nous aider à mieux sensibiliser les Canadiens à l'importance de l'aide au développement.

J'aimerais que nos témoins me disent si des sondages ou des études ont été effectués? Quels regroupements en matière d'aide sont les plus efficaces et les mieux accueillis par les Canadiens? Est-ce quand les ONG collectent presque tous les fonds? Ou quand les gouvernements et les ONG unissent leurs efforts? Si tel est le cas, dans quelle proportion, cinquante - cinquante, vingt - quatre-vingts? Est-ce quand le gouvernement fait sa part et les ONG la leur? A-t-on procédé à des études aussi détaillées?

.1005

M. Smillie: Vous aurez l'occasion de parler à d'autres représentants des ONG et de l'ACDI plus tard aujourd'hui. Ceux-ci pourront peut-être vous renseigner davantage à ce sujet.

Je me trompe peut-être, mais je crois que les ONG canadiennes recueillent annuellement environ 200 millions de dollars. Le gouvernement canadien dépense environ deux milliards. Ainsi, les dons privés recueillis par les ONG sont de loin inférieurs à ce que le gouvernement dépense.

Une bonne partie de ce que dépensent les ONG, cependant, provient de l'ACDI qui est très généreuse à leur endroit. Je dirais donc probablement plus que la moitié de ce que les ONG dépensent... Il faut penser d'une certaine façon qu'à ces 200 millions s'ajoutent probablement 200, 300 voire 400 millions en subventions de contrepartie par le gouvernement.

M. Adams: Comme je l'ai dit plus tôt, cela me rappelle ce qu'a dit Marshall McLuhan il y a30 ans, lorsqu'il réfléchissait sur l'impact de la télévision et du village global: nous devenons tous entièrement concernés et solidaires.

Le problème c'est que, par l'entremise de ce médium très puissant, nous sommes mis au courant des problèmes de six milliards de personnes en même temps, par des moyens qui font appel à notre sensibilité. Dans le temps, vous pouviez lire dans les journaux que 50 000 personnes s'étaient noyées au Bangladesh. Vous passiez à la page suivante et vous vous demandiez comment les Blue Jays avaient réussi leur coup. Mais vous voyiez l'image d'un tout petit enfant, un bébé... Je sais que Keith Spicer parle de la violence à la télévision. Ma femme et moi avons de la difficulté à regarder les nouvelles parce que nous y voyons cette petite personne et qu'elle fait partie de notre famille, qu'elle est le prolongement de notre famille. Cet enfant pourrait être le nôtre.

Lorsque ce médium nous expose à tous ces problèmes, un problème qui se pose aussi en Sierra Leone ou Dieu sait où, nous avons le sentiment que c'est peut-être trop - nous parlons de «l'anxiété du millénaire» - qu'il y en a tellement. Pourquoi faire quelque chose? Nous sommes impuissants. Il me semble que l'une des choses que nous devons faire dans le village global pour ce petit être à Liverpool ou en Éthiopie ou quiconque, si nous sommes solidaires, c'est de trouver une façon de ne pas nous faire sentir que nous sommes dépassés, qu'il n'y a rien à faire sinon de nous occuper de nous-mêmes. Je fais donc installer un système de sécurité chez-moi, je dresse un mur autour de ma maison, cette attitude moyenâgeuse que nous avons à l'heure actuelle... le darwinisme social que nous voyons. Et nous le voyons bien sûr aux États-Unis, de la façon dont les choses ont tourné.

Comment maintenir l'engagement communautaire? Qui est cette communauté? Comment créons-nous des liens de façon significative, un sentiment d'efficacité? Dès que je pense que cela ne n'aura aucun effet... Pourquoi gaspiller mon argent? Je vais le garder pour moi. Je vais faire un voyage en Floride cette année.

Il me semble qu'il y a, d'une part, cette création de liens mais aussi ce sentiment d'efficacité... Il se peut que ce pays de 30 millions de personnes ne puisse sauver le monde d'ici Noël. Il se peut que nous ayons à faire des choix. L'argent sera distribué dans ma collectivité, ailleurs au Canada et dans d'autres parties du monde. Établissez le bien-fondé.

Nous avons constaté, surtout au cours des dix dernières années, que nous attachons aujourd'hui beaucoup plus d'importance à ce qui se passe sur le marché que dans le passé, lorsque c'était les dirigeants qui nous disaient ce que nous pouvions faire et ne pas faire.

Le président: Puis-je vous interrompre? Le tableau 15 qui se trouve à la page 31 du document Canadian Opinions on Canadian Foreign Policy, définit les programmes d'aide auxquels s'identifient les Canadiens. Nous pourrons peut-être y revenir plus tard, si vous le voulez. On y parle des projets d'infrastructure qui visent à fournir de la nourriture et des vêtements, à protéger l'environnement, ainsi de suite.

.1010

M. Flis: Monsieur Adams, votre sondage indique que la majorité des Canadiens croient que les pays riches se doivent d'aider les pays les plus pauvres. Comment ces Canadiens perçoivent-ils le Canada? Comme un pays riche ou pauvre? S'ils considèrent que le Canada est un pays pauvre, est-ce à cause de notre dette publique de 500 milliards de dollars? Parce que nous avons plus d'un million de chômeurs? Si nous voulons convaincre les Canadiens de l'importance d'investir dans les programmes d'aide à l'étranger, nous devons tout d'abord nous attaquer à cette fausse image qu'ils ont peut-être d'eux-mêmes.

M. Adams: Ils considèrent le Canada comme un pays riche et, lorsque les choses vont bien, ils sont prêts à admettre que, oui, ils vivent peut-être dans le meilleur pays au monde. Nous avons connu un hiver très long cette année, donc, ils se plaignent. On le pousse du coude et ils se plaignent, se montrent pessimistes, ainsi de suite, peut-être parce qu'ils pensent que s'ils affichent de l'optimisme, on va se moquer d'eux. Nous critiquons beaucoup, nous sommes très sceptiques.

Si vous leur posez une question au sujet de l'économie, ils répondent que l'économie va de mal en pis. Sommes-nous sortis de la récession de 1991-1992? Ils ne le croient pas. En apparence, ils sont d'humeur très inégale, mais de façon générale, ils sont pessimistes. On dénote chez eux un changement de comportement face à l'anxiété qu'ils ressentent à l'idée de devoir prendre leur destinée en main au lieu de s'en remettre aux gouvernements, aux monopoles ou oligopoles qui avaient l'habitude de s'occuper de tout le monde.

Maintenant qu'ils sont seuls, ils s'adaptent. Ils deviennent de plus en plus autonomes. La moitié des nouveaux emplois créés depuis la récession sont des emplois autonomes, volontaires ou involontaires. On accorde de plus en plus d'importance à l'autonomie, aux choix personnels. Vous êtes responsable de votre destin. Vous devez prendre les décisions.

Comment entrevoient-ils l'avenir? Il y a une question fort intéressante dans notre sondage: est-ce que la mondialisation constitue un facteur positif ou négatif pour le Canada? Ils considèrent cela comme un facteur positif. Même si les Canadiens ont de la difficulté à admettre que la situation s'améliore peut-être, nous sommes un pays commerçant, les choses vont assez bien ici et nous parviendrons sans doute à régler nos problèmes. Par conséquent, ils estiment que les pays riches doivent aider les autres et oui, nous sommes un pays riche.

Toutefois, je ne sais pas si je veux laisser un petit groupe de politiciens et de bureaucrates à Ottawa prendre toutes les décisions, comme je l'ai fait dans le passé, parce qu'au cours des dix années à venir, vous allez me demander de faire beaucoup de sacrifices. Donc, encore une fois, nous ne pourrons pas tout simplement nous en remettre à d'autres. Nous devrons faire preuve d'un peu plus de créativité à l'avenir et prendre une part plus active au processus décisionnel.

M. Flis: Merci.

Le président: Merci, monsieur Flis.

[Français]

Madame Debien.

Mme Debien (Laval-Est): J'aimerais revenir aux sondages d'opinion publique sur l'appui à l'aide publique au développement. Monsieur Adams, vous savez très bien que les sondages disent bien ce qu'on veut leur faire dire et que c'est souvent en fonction de la provenance de la commandite. M. Smillie a très bien circonscrit le problème en disant que tout dépendait de la façon dont la question était posée.

Dans une recherche qui a été faite en 1995 concernant l'opinion publique canadienne, on nous dit que, si on présente l'aide étrangère comme un article de budget, sans explication des moyens et des buts, l'appui de l'opinion publique baisse considérablement. Par contre, lorsqu'on présente au public l'importance des activités de développement, l'aide étrangère jouit alors d'un appui considérable. Plus le programme d'aide est concret et bien circonscrit, plus l'opinion publique canadienne accorde son appui à l'aide publique. Dans le fond, tout dépend de la façon dont les questions sont posées lors d'un sondage d'opinion publique.

.1015

Il faudrait donc poser les bonnes questions à l'avenir, parce que selon la façon dont les questions sont posées, il peut y avoir une différence énorme dans l'appui de la population à l'aide publique au développement.

Ma deuxième remarque va un peu dans le sens de l'intervention de M. Paré. Il y a une recommandation très importante parmi les conclusions et les recommandations de la consultation de l'OCDE dont vous avez parlé, monsieur Smillie, et je vais vous la lire:

Vous-même, monsieur Smillie, nous avez remis un document dans lequel un grand titre, à la page 42, a retenu mon attention: «Le remède miracle: L'action éducative en faveur du développement».

Étant donné que tous les programmes d'aide à l'éducation que le Canada avait mis sur pied autrefois ont été complètement abolis, vous comprendrez qu'on se demande parfois ce que l'on fait ici.

Merci.

[Traduction]

M. Smillie: Il m'arrive parfois de penser qu'en abolissant les programmes d'aide à l'éducation, nous sommes en train de sonner le glas de l'aide publique au développement. Si les gens ne sont pas au courant de ce que nous faisons et des progrès que nous accomplissons - bien entendu, il y a aussi des échecs - , pourquoi appuierait-il des programmes d'aide s'ils s'inquiètent pour leur avenir, l'économie et leur emploi?

L'université du Maryland a mené l'année dernière un sondage sur le programme d'aide américain. Il y avait les questions d'usage du genre est-ce que vous appuyez ceci, ou croyez-vous qu'il faudrait accroître ou réduire les fonds consacrés à l'aide, et ils ont reçu les réponses d'usage. Mais il y avait une question qui, à mes yeux, était très importante: quel pourcentage du budget le gouvernement américain consacre-t-il à l'aide étrangère? La plupart des répondants pensaient que 20 p. 100 du budget fédéral était consacré à l'aide. C'est 20 fois plus que ce qu'il dépense en réalité. Les gens n'étaient absolument pas au courant. Si vous posiez cette question au Canada, vous auriez la même réponse absolument délirante.

Les gens ne se rendent pas compte à quel point cela est important. Je reviens toujours à la question des drogues, des armes à feu, des maladies et de la pollution. Ces problèmes auront un impact direct sur les Canadiens, si ce n'est pas aujourd'hui, demain. Ils vont avoir un impact direct sur nos enfants et nos petits-enfants, et les Canadiens en sont conscients. C'est pourquoi la question de l'environnement suscite tellement d'intérêt; les gens sont conscients de l'impact que les problèmes environnementaux auront sur le Canada.

Nous devons trouver un moyen de véhiculer ces messages, et ce n'est pas en réduisant les dépenses consacrées aux programmes d'éducation ou d'information sur le développement que nous y parviendrons. L'ACDI doit faire encore plus, tout comme les ONG, mais cela coûte cher. Si tout le monde pense que les ONG devraient se contenter de maigres ressources et de supprimer les frais généraux, qui va payer pour ces programmes?

M. Adams: J'aimerais faire un commentaire au sujet des sondages d'opinion. Je travaille dans ce domaine depuis 25 ans et je suis très conscient de l'utilisation abuse et autre que l'on en fait. Je peux vous dire que, dans le secteur privé, les sondages sont habituellement menés dans le but de savoir ce que veut le marché. Que veulent les gens, quel genre de voiture les intéresse? Je ne peux pas fabriquer une voiture qui ne les intéresse pas - ils ne l'achèteront pas, et ce sera la fin de mon entreprise.

Dans le secteur public, et surtout dans les domaines où on avait l'habitude de s'en remettre à la classe dirigeante, les sondages sont utilisés pour obtenir un appui et non des renseignements. On les utilise plus souvent pour appuyer une mesure que nous jugeons, par intuition, nécessaire. Le sondage sert à recueillir l'appui du public à l'égard d'une cause qui, au plus profond de moi-même, m'est chère.

.1020

Vous pouvez poser des questions de manière à obtenir un appui. Mais le taux de soutien peut aussi varier considérablement, et tomber de 80 à 20 p. 100, si le préambule est biaisé.

J'encourage le gouvernement et les ONG à analyser les sondages et à essayer de comprendre ce que veut le public. Il ne faut pas juger le public. Il ne faut pas adopter une attitude élitiste et dire que les gens sont ignares et qu'il faut les éduquer pour les civiliser.

Il faut accepter les gens tels quels. Comme l'a dit Churchill, la démocratie est peut-être le pire système dans le monde, mais c'est le meilleur. Nous devons respecter l'opinion publique, comprendre ses subtilités, l'attitude des gens ainsi que leurs valeurs, qui peuvent être contradictoires. Nous attachons une grande importance aux principes de la liberté, de l'égalité. Il y a parfois des choix à faire. Ce n'est pas toujours simple.

Il ne suffit pas de poser une seule question pour savoir exactement ce que vous êtes censé faire - il faut en poser plusieurs. C'est en commettant des erreurs que l'on apprend. Oui, les sondages peuvent être utilisés de manière abusive et il faut en être conscient. Il faut savoir les interpréter.

Nous devons respecter l'opinion publique peut-être encore plus que ne le font certains spécialistes de sondages politiques qui essaient d'utiliser ces enquêtes pour manipuler l'opinion publique. Nous devons respecter l'opinion publique et le public.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Adams. Madame Beaumier.

Mme Beaumier: En tant que simple citoyenne canadienne, je me pose la question suivante: pourquoi devons-nous changer l'attitude des Canadiens? Il y a là un problème. En général, la plupart des Canadiens sont généreux et sont prêts à aider les autres. Or, on nous demande de donner, mais nous n'avons aucun mot à dire au sujet de la politique étrangère.

Pour les Canadiens, ce n'est sans doute pas tant le financement des ONG que les projets financés par le gouvernement qui pose problème. Ils ont de la difficulté à appuyer des projets qui consistent à verser directement des fonds à des gouvernements corrompus qui n'ont aucun respect pour les droits de la personne. Ceux qui s'intéressent aux programmes d'aide attachent également une importance aux conditions de vie et aux droits de la personne dans les autres pays.

Nous devrions peut-être changer l'attitude du gouvernement et des ministères concernant la participation du public à l'élaboration de la politique étrangère. Nous prenons l'argent du contribuable et nous le dépensons. Or, lorsqu'ils voient qu'on verse une aide directe à des pays comme le Viêt-nam et qu'on les empêche de prendre des décisions économiques concernant le Nigéria, les Canadiens trouvent cela très frustrant.

Le public devrait peut-être participer plus activement à ces décisions tandis que le gouvernement et les ministères, eux, devraient changer d'attitude. Je trouve cela frustrant, et j'ai accès à plus de renseignements que la plupart des Canadiens. Je comprends donc leur frustration. Cette situation tient peut-être à de la frustration, non pas à une baisse de soutien à l'aide étrangère.

M. Adams: Vous participez à la démocratisation du Canada, de la politique étrangère, probablement dans la tradition des gouvernements du Canada, de Grande-Bretagne, de France ainsi de suite. Un petit groupe de personnes très cultivées qui estiment incarner toutes les grandes valeurs de la civilisation occidentale ont établi ces politiques. Elles ont été en mesure de le faire parce que le public s'en est remis à elle. D'autres secteurs du gouvernement se sont occupés de fournir des soins de santé, des prestations d'assurance-chômage, ainsi de suite. Je crains qu'ils ne commencent maintenant à y prendre goût. Ils l'ont fait avec la Constitution.

La Constitution a été rédigée par un groupe de propriétaires fonciers. Ils se sont rassemblés et ont conclu une entente qui a permis au Canada de voir le jour. Or, voilà qu'on invite maintenant le public à participer à des référendums, et ce, sans avoir changé un seul mot de la Constitution. Lorsqu'on passe de la démocratie représentative à la démocratie directe, cela veut dire que les gens doivent commencer à accepter la responsabilité des opinions qu'ils ont jusqu'ici émises sans trop réfléchir aux sondeurs. Ils doivent en accepter les conséquences.

.1025

Si l'on assiste à un transfert de pouvoirs des représentants élus et bureaucrates vers le peuple, ce dernier doit cesser de dénoncer pendant quatre ans toutes les mauvaises décisions que prennent les politiciens et commencer à jouer un rôle plus actif, à assumer ses responsabilités.

Si la reconfédération du Canada doit se faire avec la collaboration de 30 millions de Canadiens, il se peut que le simple citoyen participe un jour - peut-être pas demain, mais un jour - à l'élaboration de la politique étrangère, tout comme il participe à la viabilité des entreprises qui vendent des produits et services dans les centres commerciaux.

Nous sommes un peuple de transition et la démocratie évolue. Vous en êtes les témoins. Je crois que la question que vous devez maintenant vous poser est la suivante: comment encourager les Canadiens à participer? Comment encourager les Canadiens à incarner ces valeurs que sont le devoir, la responsabilité et l'engagement planétaire? Comment pouvons-nous les amener à prendre les décisions qui s'imposent, puisqu'ils ne s'en remettent plus à Ottawa, aux bureaucrates et aux représentants élus pour agir en leur nom? Nous sommes, à mon avis, à un tournant important de notre histoire.

Le président: Merci, monsieur Adams.

Nous allons maintenant donner la parole à M. Assadourian. Je m'excuse, monsieur Smillie, vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Smillie: Je voulais tout simplement dire... On veut savoir pourquoi il faudrait changer l'opinion publique. Je suis d'accord. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de la changer. Comme l'a dit M. Adams, et comme le démontrent un grand nombre de sondages, les Canadiens ont des valeurs très solides. Ils veulent, de manière générale, prendre les décisions qui s'imposent. Le problème, c'est qu'ils ne savent pas comment. Je suis d'accord. Nous ne leur avons pas expliqué la marche à suivre. Nous ne leur avons pas expliqué ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et pourquoi. Avons-nous échoué parce que nous avons agi bêtement et fait les choses n'importe, ou parce qu'il s'agissait d'une expérience légitime qui nous a permis de tirer des leçons que nous mettrons maintenant à profit?

Le problème, c'est que, au fur et à mesure que ces questions prennent de l'importance pour les Canadiens, le monde est en train de devenir un endroit de plus dangereux, et l'impact... Nous ne pouvons plus dire que cela ne nous regarde pas.

Au même moment, nous effectuons des coupures dans presque tous nos programmes, et le Canada n'est pas le seul à agir ainsi. Les pays industrialisés ont consacré moins d'argent à l'aide au développement l'année dernière qu'au cours de n'importe quelle autre année depuis 1973. Fait ironique, les seuls pays qui augmentent leur aide sont les pays comme la Nouvelle-Zélande et l'Irlande, qui sont très pauvres. L'Irlande a un taux de chômage de 17 p. 100, mais la contribution irlandaise à l'APD augmente de façon considérable parce que le peuple irlandais appuie ce programme. Ils sont conscients de son importance. Ils y croient. Ils veulent apporter une contribution. Certains comprennent que si l'Irlande veut jouer un rôle actif sur la scène internationale et ne pas être simplement considérée comme une île qui est située sur la côte ouest de l'Europe, elle doit s'engager à faire plus.

Le président: Merci.

Monsieur Assadourian, pouvez-vous être assez bref? Nous allons bientôt terminer.

M. Assadourian: J'ai deux questions. La première porte sur la diapositive que vous avez présentée, monsieur Adams, concernant les rôles joués par le Canada en 1993-1995. En 1993, comme nous le savons, nous étions au milieu d'une récession ou en train de sortir de celle-ci; le taux de chômage atteignait 11,6 p. 100, les taux d'intérêt étaient élevés, ainsi de suite. On accordait plus d'importance à la promotion des droits de la personne en 1993 qu'en 1995, alors que celle-ci recueillait un taux de soutien de 65 p. 100.

Il en va de même pour la protection de l'environnement, l'aide aux pays pauvres et les relations avec l'Union soviétique. On accordait plus d'importance à ces initiatives en 1993 qu'en 1995, une période beaucoup plus prospère. Pour ce qui est des perceptions concernant l'aide étrangère entre 1977 et 1995, certaines questions n'ont été posées qu'en 1995. Est-ce que cela veut dire que ces questions n'ont jamais été posées dans le passé, en 1977 par exemple? Il y a trois questions comme celle-là. Pouvez-vous nous donner des précisions? Je poserai ma deuxième question quand vous aurez répondu à la première.

M. Adams: Lors des sondages menés en 1993 et en 1995, nous avons posé un certain nombre de questions similaires aux fins de comparaison. Certaines ont été posées il y a 20 ans, mais pas celle-ci. Nous devenons plus habiles avec le temps et posons un plus grand nombre de questions ou des questions différentes. Je n'ai pas toujours les réponses qui ont été données il y a 20 ou 25 ans.

.1030

Vous avez dit qu'en 1993, on était en pleine récession, qu'en 1994, on commençait à s'en sortir, et qu'en 1995, on se dirigeait vers une autre récession. Dans les deux cas, les Canadiens étaient très pessimistes. Ils étaient très pessimistes au sujet de l'économie, de leur emploi ou de celui de certains membres de leur famille.

Comme vous pouvez le constater, au cours des années quatre-vingt-dix, l'appui accordé à l'aide étrangère diminue au Canada, alors que les gouvernements, y compris le nôtre, nous disent que nous devons réduire les services auxquels nous sommes habitués depuis toujours, que notre dette est énorme, ainsi de suite. Donc, on a l'impression qu'on devrait d'abord s'attaquer à nos problèmes; c'est pourquoi le soutien à l'aide étrangère décline.

D'autre part, les questions comme les droits de la personne, la protection de l'environnement et le maintien de la paix recueillent un appui considérable. Encore une fois, il y a un conflit entre nos valeurs, notre rôle en tant que citoyens planétaires, et ce qui se produit ici. Quelles mesures concrètes pouvons-nous prendre?

Ce n'est pas facile. Il y a beaucoup de raisons complexes, d'émotions qui entrent en ligne de compte. Toutefois, je constate que le citoyen canadien sera de plus en plus porté à prendre ses propres décisions, et qu'il s'en remettra de moins en moins à ce que j'ai appelé la «classe dirigeante».

M. Assadourian: Ma deuxième question sera très brève. Corrigez-moi si je me trompe. Vous avez dit que ce que les gens voient à la télévision influe sur leur générosité, leur désir de donner à des associations caritatives ou à des ONG. Ai-je raison? S'il y a des bombardements violents qui se produisent en Bosnie, par exemple, et que vous ne montrez pas cela à la télévision, les dons que nous envoyons en Bosnie en souffriront, si je me fie à ce que vous avez dit. Ai-je raison?

M. Adams: L'homme est un être complexe. Si vous voyez à la télévision une scène qui vous touche, qui interpelle vos émotions, qui vous choque, vous attriste, vous déprime, ainsi de suite, vous trouvez cela tellement bouleversant que vous ne réagissez parce que vous ne savez pas comment réagir et... vous avez l'impression que le monde est en train de s'écrouler.

M. Assadourian: En général, si vous montrez une telle scène à la télévision, cela peut encourager les dons, n'est-ce pas?

M. Adams: En général, oui, et Ian est mieux placé que moi pour le savoir. Si on montre des reportages à la télé sur l'Éthiopie ou la Somalie, les ONG peuvent profiter de cette exposition pour lancer un appel à la générosité des gens. Lorsque la télévision cesse de diffuser des reportages à ce sujet, l'appui du public diminue parce que cette question n'est plus d'actualité. Un autre sujet l'a remplacée. La télévision constitue le moyen le plus efficace d'atteindre un très grand nombre de personnes.

Ian, vous souhaitez ajouter quelque chose.

M. Smillie: Tant et aussi longtemps que la question est d'actualité, il n'y a pas de problème, mais lorsqu'elle disparaît... Il y a beaucoup d'événements qui ne font pas la manchette et qui méritent notre attention. Prenons l'exemple de la Sierra Leone, dont on n'entend pas parler dans les médias. Elle ne reçoit que neuf millions de dollars des gouvernements, des gouvernements qui ont en main des renseignements sur la situation politique qui existe dans ce pays. Ils n'ont pas besoin de syntoniser la chaîne CNN. Le grand public n'a jamais été invité à verser des dons pour la Sierra Leone, de sorte que ce pays... Il ne se passe rien.

Le président: Très bien. J'aimerais vous poser une dernière petite question, monsieur Adams. Nous devrons ensuite passer à notre prochain groupe de témoins.

Le ministre Axworthy a comparu devant nous récemment et a parlé des liens inextricables qui existent entre la politique étrangère et nationale, et nous en sommes très conscients au sein du comité. Donc, lorsque je jette un coup d'oeil sur votre liste des principales questions qui préoccupent les Canadiens - le taux de chômage à 35 p. 100, l'unité nationale, l'économie, le déficit - , ce que je voudrais vous demander... Si l'on tient compte de ce qu'a dit M. Smillie et du rapprochement qu'il fait, par exemple, avec la santé, nous savons que le SIDA et bon nombre des autres maladies auxquelles nous sommes exposés proviennent de l'étranger et que nous devons être en mesure de faire face à ces situations. Nous savons que les problèmes environnementaux ne prennent pas nécessairement naissance au Canada, et que nous devons souvent prendre des mesures pour les régler. La liste est exhaustive.

Les trois principales questions qui préoccupent les Canadiens, mis à part l'unité nationale, sont le chômage, l'économie et le déficit. Ces questions sont liées de manière inextricable à notre performance commerciale, à l'économie mondiale, à la mondialisation, ainsi de suite.

Lorsque vous nous dites que ces questions constituent les principales préoccupations des Canadiens, êtes-vous en mesure de faire la part des choses et de déterminer si les Canadiens comprennent bien qu'il s'agisse de problèmes internationaux et non pas nationaux, que nous ne pouvons pas les résoudre isolément, que nous ne pouvons pas enrayer le chômage, le déficit, ou encore régler nos problèmes économiques seuls, au moyen de solutions proprement canadiennes? Est-ce que les Canadiens comprennent cela? Est-ce qu'ils sont en mesure de comprendre que, comme Ian l'a signalé, les pays en développement ont un rôle à jouer au chapitre de la sécurité économique et physique des Canadiens, compte tenu que nous vivons dans un monde plus intégré?

.1035

M. Adams: C'est, bien sûr, une question complexe. Les politiciens utilisent les sondages d'opinion pour deux raisons. D'abord, ils savent qu'ils doivent informer l'opinion publique et la diriger, que le public a besoin de leadership parce qu'il n'a pas les réponses à toutes les questions. Ensuite, les sondages leur permettent de savoir ce que pense le public. Je dois respecter son point de vue et faire mon possible pour lui donner ce qu'il veut. Il faut savoir s'en servir de manière judicieuse. FDR était passé maître dans l'art d'utiliser les sondages d'opinion à la fois pour diriger le public et le suivre, puisque cela lui a permis de remporter quatre élections de suite.

Il faut tenir compte de l'opinion publique et dire, d'accord, s'ils éprouvent des inquiétudes au sujet du chômage et de l'économie, il faut être en mesure de présenter des arguments sensés à des gens dont le niveau de scolarité et de compréhension est différent, et de leur faire comprendre que l'aide que nous apportons à l'étranger va finir par nous aider à surmonter ces problèmes. Vous leur donnez des exemples de pays qui se trouvaient jadis dans une situation désespérée, qui étaient tributaires des autres pays, qui ont bénéficié de l'aide étrangère, et que font maintenant les tigres dans l'Est? Ils achètent des produits du Canada, ce qui favorise la création d'emplois au Canada.

Je viens d'inventer un exemple très simple. Il faut utiliser des arguments sensés, qui se basent sur des faits, des arguments qui font appel aux émotions.

Je crois qu'il est nécessaire de leur fournir plusieurs arguments, d'essayer de comprendre le point de vue des Canadiens. Si nous réussissons à le faire, les Canadiens continueront alors d'appuyer, en tant que particuliers, consommateurs, citoyens, un rôle que tout le monde ici juge important, soit l'aide accordée à l'étranger.

Le président: Merci.

Avant d'interrompre nos travaux, j'aimerais annoncer aux membres du comité et aux autres participants ici aujourd'hui que nous avons le plaisir d'accueillir Mme Nin Saphon, qui vient d'arriver. Elle est la vice-présidente du comité des droits de la personne de l'Assemblée nationale du Cambodge. Elle vient de se joindre à nous, avec M. Sunleng Hang, pour assister aux audiences du comité.

Madame Saphon, je vous souhaite la bienvenue.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au comité.

[Traduction]

Nous aurons l'occasion de faire connaissance durant la pause. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui un parlementaire du Cambodge.

J'aimerais remercier nos deux participants pour leurs observations fort intéressantes. Nous vous remercions d'être venus.

J'aimerais maintenant suspendre les travaux pendant cinq minutes pour donner aux témoins suivants de s'installer.

.1038

.1045

Le président: Chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir un groupe de personnes qui peuvent nous aider à trouver une solution au problème dont le comité est saisi, soit la sensibilisation du public aux questions liées au développement international. Il s'agit d'une question fort importante, comme l'ont démontré les derniers témoins.

Nous avons la chance d'accueillir aujourd'hui six experts chevronnés, ce qui ne nous laissera pas beaucoup de temps pour poser des questions. Nous prolongerons donc la séance jusqu'à 12 h 15. J'ai demandé aux membres du groupe d'avoir la bonté de limiter leurs exposés à dix minutes. Cependant, il restera quand même très peu de temps pour poser des questions. Je compte donc sur votre appui pour faire en sorte que les questions soient brèves et que tous respectent la limite de5 minutes.

.1050

Je demanderais à madame Janet Zukowsky, vice-présidente de la Direction générale du partenariat canadien de l'ACDI, de bien vouloir commencer.

Mme Janet Zukowsky (vice-présidente, Direction générale du partenariat canadien, Agence canadienne de développement international): Monsieur le président, je vous remercie.

[Français]

Bonjour, mesdames et messieurs. Je voudrais tout d'abord exprimer ma gratitude à vous tous, au CCIC qui est à l'origine de ce forum, au Comité permanent qui en a assuré l'organisation et qui m'a invitée à prendre part aux ateliers, aux participants et aux différents organismes qui, partout au Canada, se sont consacrés par le passé à l'éducation dans le domaine du développement et qui continuent de le faire.

[Traduction]

Quand on considère les changements rapides qui s'opèrent au niveau mondial et les nombreuses priorités nationales qui réclament notre attention, je crois très opportun l'examen de la perception qu'a le public des questions internationales. Il existe à l'ACDI deux programmes importants dont l'objectif est d'accroître la compréhension du public pour ce qui touche le développement international. Le premier de ces programmes est celui des communications. Il s'attache à favoriser au sein de la population une meilleure connaissance des activités de l'ACDI. Je n'en ferai que peu mention étant donné que Mme Labelle va vous en parler plus en détail sur l'heure du midi. Il y a aussi le programme d'éducation en développement qui permet d'améliorer le niveau de compréhension des Canadiens en ce qui concerne les questions de développement international. Ce programme traite surtout d'éducation, d'éducation internationale et d'information en développement. À titre de vice-présidente de la Direction générale du partenariat à l'ACDI, c'est moi qui en suis responsable.

«Les organismes qui, au Canada, se vouent à l'éducation sur le monde et au développement international sont arrivés à un carrefour.» Cette affirmation, je la tire textuellement d'une récente proposition faite par les conseils provinciaux, mais je pourrais tout aussi bien en être l'auteure. J'ajouterais même que nous sommes tous, les membres du milieu du développement international - les gouvernements, le secteur privé, le secteur volontaire, les organisations internationales et le monde de l'éducation - arrivés à un carrefour.

Nous essayons de continuer à fonctionner, souvent en nous servant de modèles périmés et inadéquats, dans un contexte marqué par de grands bouleversements où rien n'est figé ou prévisible. Or, le changement fait mal. Il provoque de l'incertitude, de l'insécurité et de l'inconfort. Heureusement, le changement est aussi synonyme d'un nouveau début, d'un redémarrage. Avec lui surviennent également des possibilités dont on n'aurait pas eu idée avant.

Mais, assez dit. Allons droit au but.

Je sais bien que l'une des raisons de la tenue de cette rencontre est l'élimination, l'an dernier, du Programme de participation du public (PPP) de l'ACDI, un programme doté d'un budget de11,1 millions de dollars qui contribuait au financement des activités de 101 organisations intéressées à la promotion de l'éducation au développement. Alors pourquoi l'a-t-on supprimé? La nouvelle politique étrangère du Canada ne dit-elle pas que «Le gouvernement continuera de soutenir les programmes qui contribuent à sensibiliser les Canadiens au développement et à les renseigner sur les activités de leur gouvernement dans ce domaine»? Pourquoi donc mettre fin au Programme de participation du public et, par conséquent, au Programme d'éducation planétaire?

Tout d'abord, il est important de noter que l'ACDI ne s'est pas entièrement retirée du soutien des activités de sensibilisation au développement et d'éducation. De fait, la plus grande partie du Programme d'éducation en développement a été protégée. Les ONG, qui reçoivent du financement de l'ACDI pour la mise sur pied de projets, peuvent consacrer jusqu'à 10 p. 100 de ces fonds à des initiatives d'éducation en développement.

En d'autres mots, le niveau d'appui aux initiatives en matière d'éducation des ONG, des universités, des collèges, des syndicats, des associations professionnelles et des coopératives a été maintenu. Alors, s'il est vrai que notre visibilité est moindre depuis un an, les sommes consenties à cette activité demeurent à peu près les mêmes. De fait, l'ACDI continue d'inciter ses partenaires à multiplier les activités éducatives en leur attribuant des points qui servent à décider qui recevra de nouveaux fonds.

Cela étant dit, il faut savoir que, si l'ACDI a décidé de mettre fin au PPP, il y a une bonne raison. En 12 ans, l'ACDI a consacré 130 millions de dollars au programme. Soutenu par le budget de l'aide publique au développement, le programme n'a pas réussi à couper le cordon ombilical qui le reliait à son géniteur.

C'est ainsi que la suppression du PPP a été motivée par trois principes: les fonds de l'aide publique au développement devraient aller à l'étranger; la responsabilité d'éducation dans le domaine du développement devrait être partagée par l'ACDI et ses partenaires; pour de meilleurs résultats, la responsabilité de l'éducation en matière de développement devrait revenir à ceux qui, parmi nos partenaires, travaillent au développement outre-mer.

Évidemment, cette décision difficile n'a pas manqué de soulever la controverse. La suppression d'un programme se traduit habituellement par des pertes d'emploi, et nous savons tous avec quelle patience, quelle énergie, quelle intelligence et quel idéalisme certains ont servi la cause de l'éducation dans le domaine du développement. Nous connaissons tous les résultats souvent admirables qu'ils ont obtenus, malgré des salaires rarement généreux et parfois même inexistants.

.1055

Parmi les protestataires, il y a ceux qui redoutent une concentration du financement au profit de la région centrale du Canada (en particulier de Toronto, d'Ottawa et de Montréal). Originaire de l'Ouest, j'avoue que je partage cette préoccupation.

On s'inquiète aussi de la suppression prématurée du Programme d'éducation planétaire, dont l'échéance prévue était l'an 2000. Là encore, je suppose que nous sommes tous très conscients de la nécessité prioritaire de sensibiliser les jeunes Canadiens au monde dont ils vont hériter.

Je reviendrai là-dessus un peu plus tard. Pour le moment, je voudrais vous expliquer pourquoi, dans une perspective plus vaste, cette décision, même si elle paraît douloureuse à court terme, arrive en fait à point.

Dans son dictionnaire sur le développement, Wolfgang Sachs écrit:

Tout change autour de nous: les emplois permanents sont chose du passé, nous connaissons une explosion de l'information, tout se mondialise, c'est le choc du futur, les sentiments de compassion ne sont plus alimentés et cèdent la place au scepticisme et à l'inquiétude.

Au milieu de cette tempête, les organismes qui se consacraient à l'éducation en matière de développement - je parle ici de nous tous, gouvernement inclus - en étaient arrivés à une impasse. Ils essayaient de transmettre leur message ou plutôt leur série de messages qui, s'ils étaient frais et pertinents dans les années 60, ont fini par perdre tout leur sens au regard de la réalité des années 90.

Ces messages, de plus en plus caducs pour les Canadiens, souffraient aussi d'un manque criant de cohérence. Certains encourageaient la participation du public. D'autres se concentraient sur l'avancement des connaissances sur le monde. D'autres encore visaient à soutenir les activités de levée de fonds. Parmi les messages qui ont réellement percé le brouhaha général, certains affirmaient l'utilité des activités de développement, quelques-uns faisaient appel à la charité pour les pauvres et d'autres encourageaient vivement à la participation, mais on insistait davantage sur la quantité que sur la qualité.

Nos dirigeants n'ont pas, eux non plus, réussi à soutenir le rythme. Les programmes d'aide, conçus en pleine période de Guerre froide, devaient à l'origine servir à montrer au tiers monde - aux pays plus qu'aux gens - que nous nous préoccupions plus que d'autres de son bien-être. Une fois le mur de Berlin tombé, cette façon de voir a perdu sa raison d'être.

Je ne vais pas entrer dans les clichés en usage dans les prêches aux convertis, les messages confus et ceux qui n'ont pas évolué depuis les années 60; il me suffit de dire qu'à mon avis, l'éducation dans le domaine du développement au Canada s'est essoufflée et qu'elle avait besoin que des gens nouveaux viennent lui redonner de la vigueur.

Tel est le passé. Mais quelles leçons pouvons-nous retenir qui nous aideront à façonner l'avenir? Je ne crois pas qu'on puisse, en toute logique, remettre en cause le lien entre le Canada et les pays en développement qui, à eux seuls, représentent plus de 80 p. 100 de la population mondiale et affichent parfois des économies dont la croissance est parmi les plus rapides du monde. Tout ceci vient confirmer l'importance de l'éducation sur le développement ou de la sensibilisation au monde, pour les Canadiens en général, mais surtout pour les jeunes qui pourront ainsi faire des choix éclairés et mieux fonctionner dans le monde sans frontières du XXIe siècle.

L'éducation en matière de développement, c'est une nécessité indéniable. Il y va de l'intérêt national! La question est de savoir comment s'y prendre. Nous sommes arrivés à un carrefour... quelle voie devons-nous choisir?

Nous n'avons pas d'autre choix que de faire marche arrière et de revenir aux sources. Nous devons redéfinir le sens de la coopération pour le développement et reformuler en conséquence les messages qui en découlent. Vous allez me dire, et vous avez raison, qu'avec les difficultés que connaissent les pays industrialisés, la montée des économies asiatiques et les signaux de détresse que nous envoie l'environnement à l'échelle mondiale, le concept traditionnel du développement a beaucoup perdu de sa crédibilité et s'impose chaque année davantage comme l'héritage intellectuel d'une époque révolue.

Enfin, nous assistons maintenant à l'émergence d'un mode de pensée nouveau. Le concept du développement évolue donc. Alors qu'il s'articulait autrefois autour d'un matérialisme simpliste axé sur l'établissement du PNB, il prend maintenant la forme d'une vision à la fois souple et simple, davantage centrée sur les gens.

Peut-être avez-vous déjà entendu le passage du Rapport mondial annuel sur le développement humain du PNUD qui est devenu presque instantanément un classique. Je vous le lis:

[Français]

C'est là le genre de pensée claire, de formulation simple et de force morale qui peut avoir le pouvoir de redonner un sens à la coopération pour le développement et de nous suggérer des messages puissants, étonnants et cohérents, capables de capter l'oreille, de gagner les esprits et de faire vibrer les coeurs des Canadiens.

Rien de tout cela ne sera facile, car nous vivons actuellement une période tumultueuse. Nous nous perdons parmi les multiples messages que nous transmettent les médias. Les Canadiens doivent réfléchir à une multitude de sujets et se préoccuper d'une multitude de choses.

.1100

Heureusement, nous avons pour nous de nombreux atouts: 30 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation en matière de développement; une série de connaissances pratiques du monde en développement et de ses populations. Ces connaissances ont été acquises par des milliers de Canadiens sur le terrain au service de CUSO ou du Carrefour canadien international ou encore des ONG ou d'entreprises canadiennes.

Nous jouissons aussi d'une réputation et d'une position très favorables et même uniques en tant que pays donateur, sans héritage colonial, bilingue et multiculturel, fort de ses compétences dans les principaux domaines du développement et capable d'ouvrir l'accès à la technologie avancée.

Surtout, nous profitons de l'appui officiel de nos dirigeants qui nous ont confié le mandat d'aller de l'avant.

[Traduction]

Tout est dit dans Le Canada dans le monde. On y sanctionne non seulement l'éducation dans le domaine du développement, dont j'ai parlé précédemment, mais aussi, dans le premier chapitre, le concept repensé de la sécurité après la Guerre froide, dans le contexte dont je viens de vous parler.

Il me reste peu de temps. Je ferai donc une brève récapitulation, en français peut-être.

[Français]

Je pense que la clé pour l'avenir réside dans les valeurs canadiennes, dans notre tendance naturelle, nationale à respecter l'équité et la justice sociale, les droits de la personne et le développement démocratique, et à pratiquer la compassion et le partage. Ce sont ces valeurs qui ont modelé les ONG et ce sont celles qui font partie de nos croyances de base, de notre caractère national. Les Canadiens veulent voir ces valeurs reflétées dans le nouveau monde du XXIe siècle.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, madame Zukowsky.

[Traduction]

Nous entendons maintenant M. Posterski et Mme Sutherns, de Vision mondiale Canada. Encore une fois, j'ignore si vous souhaitez tous deux prendre la parole.

M. Don Posterski (vice-président, Vision mondiale Canada): Je vous remercie de nous avoir invités à participer à ces importantes discussions. Nous avons l'intention de prendre la période qui nous est allouée pour brosser les grandes lignes des principales stratégies que nous, en tant qu'un des organismes les mieux connus au Canada, utilisons pour modeler les attitudes publiques et encourager les Canadiennes et Canadiens à réagir. Nous le faisons, dans le cadre de notre engagement à l'égard du développement durable aussi bien que de l'aide humanitaire, ainsi que de l'éducation planétaire et de la défense des causes au pays.

Pour ce qui est de cerner les intérêts des Canadiens, nous voulons confirmer les commentaires faits plus tôt et issus d'autres recherches, mais nous aimerions aussi aller au-delà des préoccupations immédiates des Canadiens. Nous avons demandé à la firme Angus Reid d'effectuer pour nous un sondage, ce qu'elle a fait durant les deux derniers mois. Les résultats révèlent que la moitié des Canadiens sont d'accord pour que le gouvernement maintienne l'aide aux pays en développement du tiers monde à son niveau actuel, en dépit des difficultés économiques que nous vivons.

Même en tenant compte du changement des valeurs religieuses mentionnées plus tôt, des nouvelles valeurs, des nouvelles valeurs de la majorité au Canada, environ un Canadien sur quatre n'en continue pas moins de contribuer aux bonnes oeuvres religieuses. Cela signifie qu'il continue de vivre en fonction de valeurs religieuses. Quand on compare ceux qui fréquentent assidûment leur église à ceux qui l'ont délaissée, le premier groupe est trois fois plus susceptible de faire preuve de compassion à l'égard d'autrui. Toutefois, ce que les nouvelles valeurs signifient pour l'avenir nous inquiète.

.1105

Nous ne nous sommes pas contentés de ces questions, cependant. Nous constatons qu'à l'affirmation «Je me sens personnellement responsable d'aider les gens des pays pauvres», la majorité des Canadiens ont encore une fois répondu par l'affirmative, déclarant qu'ils se sentent personnellement engagés.

On leur a ensuite posé une question encore plus intrigante. Lorsqu'on leur a demandé s'ils étaient prêts à payer plus d'impôts pour que le gouvernement fasse davantage pour les pauvres des pays en développement, deux Canadiens sur dix se sont dit d'accord.

Nous sommes également d'accord avec des résultats de recherche mentionnés plus tôt. Nous aimerions avoir recours à la recherche pour mieux comprendre, mieux cerner notre clientèle canadienne. Par conséquent, dans le cadre de ce même sondage national bilingue que nous venons d'effectuer, nous avons étudié les motivations qui animent les Canadiens. Il en ressort que la moitié des répondants qui donnent de l'argent pour soutenir les pays pauvres donnent moins de 100$. Les autres Canadiens donnent beaucoup plus. Mais, ce que nous avons aussi remarqué au sujet du Canada, c'est que les comportements changent selon les motivations, si je puis m'exprimer ainsi. Les Canadiens qui donnent par altruisme, en raison de leurs croyances, de leur foi, donnent davantage et plus fréquemment et ils le font sur une plus longue période.

Mme Rebecca Sutherns (agente de la politique publique, Vision mondiale Canada): Saisissez-vous la portée de ce dont il est question?

En tant qu'organisme chrétien humanitaire voué au secours et au développement, Vision mondiale Canada a eu des recettes, l'année dernière, de 90 millions de dollars environ. Quatre-vingt-quatre pour cent de ce total ont été obtenus de sources privées. Notre organisme dépend donc énormément des dons privés. Quatre-vingt pour cent environ de ces donateurs sont des gens qui investissent dans le développement durable par opposition, dans le cas qui nous préoccupe, au secours pour lequel les dons réguliers viennent de particuliers. Cela représente 32 p. 100 des dons privés remis à des organismes de développement international au Canada.

On a parlé plus tôt de certains avantages du parrainage d'enfants, en ce sens qu'il permet de rejoindre les Canadiens et de leur faire mieux comprendre la situation. Nous avons découvert qu'ensemble, les quatre principales associations de parrainage d'enfants au Canada ont obtenu68 p. 100 des dons privés à des fins de développement international l'an dernier, dons pour lesquels Revenu Canada a émis des reçus. Cela montre à quel point il est important d'établir un lien personnel entre les préoccupations des Canadiens et les besoins à l'étranger, de même que l'importance de se consacrer au développement durable au niveau macro-économique tout en préservant ce lien personnel.

En réaction à la vaste gamme d'identités et de motivations canadiennes dont nous avons déjà parlées, il importe que les ONG adoptent des voies de communications multiples pour faire connaître leur message. La communication doit être adaptée aux publics auxquels elle est destinée en allant les rejoindre où ils sont et en améliorant leur compréhension. C'est pourquoi Vision mondiale Canada se fait volontairement connaître dans une grande diversité de médias de communication, depuis la publicité à la télévision et dans la presse aux publications éducatives, en passant par des initiatives liées à la défense des intérêts et à la justice.

Vision mondiale Canada travaille de façon proactive également à nouer des relations stratégiques avec les médias. Comme nous l'avons déjà entendu ce matin, les médias, surtout la télévision, exercent peut-être l'influence sociale la plus déterminante dans notre culture. C'est en fait ce qui a poussé Vision mondiale Canada à commencer dès 1976 à promouvoir sa cause à la télévision.

Lorsqu'on l'utilise de façon responsable, la télévision est un précieux outil de sensibilisation publique. Elle a cependant ses limites qu'il faut reconnaître, par exemple pour expliquer les causes des phénomènes montrés aux téléspectateurs, et on doit admettre qu'elle a tendance à insensibiliser, phénomène dont M. Adams a parlé plus tôt. Néanmoins, la télévision rejoint les gens dans leur salon, en faisant appel à leur raison et à leur coeur et en les encourageant à devenir plus activement citoyens du monde.

Pour bien illustrer comment les ONG peuvent modeler l'attitude du public, une stratégie utilisée consiste à concentrer l'attention du public sur une question d'intérêt névralgique et à établir un lien entre la vie des Canadiens ordinaires et les enjeux mondiaux. Je vous en donne un exemple concret.

La campagne en cours en vue de faire interdire les mines antipersonnel illustre très bien l'efficacité d'une action collective de la part d'une ONG. Depuis dix-huit mois, des ONG particulières comme Vision mondiale et la coalition Mines Action Canada à laquelle elles appartiennent travaillent activement auprès des médias, des représentants officiels du gouvernement - y compris nombre d'entre vous - et des membres du public en vue d'exercer une influence sur les attitudes afin de favoriser l'adoption d'une loi interdisant les mines terrestres. Il s'agit d'un enjeu impératif dont la solution est claire. En ce sens, il est peut-être atypique des nombreux problèmes de développement à l'étude. Il représente une cause que le public informé est tout à fait disposé à appuyer.

.1110

Le moratoire sur l'utilisation, la production et l'exportation des mines annoncé au mois de janvier reflétait un remarquable revirement de la politique canadienne en réaction à une préoccupation du public. Naguère considérée comme marginale, la participation des ONG est désormais activement recherchée par quiconque souhaite faire campagne auprès du gouvernement canadien pour éliminer ces armes.

Même si nous réclamons toujours une loi portant pleine interdiction de ces dispositifs au Canada, les progrès réalisés jusqu'ici se voient rarement dans les milieux de défense des intérêts et d'éducation en développement où travaillent les ONG. Nous reconnaissons le rôle important qu'ont joué les ONG et le rôle catalytique que peuvent jouer les gouvernements en vue de modeler l'opinion publique dans ce dossier.

[Français]

Si ça vous intéresse, on a des documents disponibles en français au sujet des mines antipersonnel.

[Traduction]

En reconnaissant l'importance des forces individuelles et collectives pour influencer et former l'opinion publique, Vision mondiale Canada a aussi pris l'engagement ferme d'appuyer le travail du Conseil canadien de la coopération internationale à ce sujet. Nous nous sommes notamment engagés à participer au groupe de travail du CCCI chargé d'obtenir le soutien du public en matière de développement humain durable, question dont vous entendrez parler plus en détail cet après-midi.

M. Posterski: Nous nous inquiétons également de la lassitude du donateur et des attitudes canadiennes qui se font jour au sujet de l'Afrique en particulier. Nous avons posé la question suivante: «Si vous aviez 2 000$ à donner à une région moins développée du monde, à quel endroit de la liste ci-dessous cette somme se révélerait-elle le plus bénéfique?» Comme toujours, quatre Canadiens sur dix pensent que l'Afrique est l'endroit où cette somme se révélerait le plus bénéfique, contre deux Canadiens sur dix qui eux, désignent l'Amérique latine.

Toutefois, lorsque nous demandons si le Canada devrait continuer à aider le continent africain comme il le fait actuellement, les résultats de ce sondage bilingue national révèlent que 8 p. 100 de Canadiens seulement pensent que nous devrions cesser d'aider l'Afrique. Treize pour cent pensent qu'il faudrait l'aider davantage et un tiers des Canadiens pensent qu'il faudrait aider seulement les pays d'Afrique qui progressent.

Lorsque nous comparons les Canadiens donateurs aux non donateurs, la tendance générale est très facile à prévoir. Les donateurs pensent que nous devrions donner plus. Trois pour cent seulement des donateurs considèrent que nous devrions diminuer notre aide.

Par ailleurs, les Canadiens donateurs sont plus compatissants. Ils donnent sans condition. Ils se rendent compte des besoins et considèrent que tous les pays du monde se doivent d'y répondre.

Mme Sutherns: En qualité d'organisation qui, l'an dernier, a travaillé en collaboration avec 300 000 donateurs canadiens dans le but d'assurer un meilleur avenir pour les enfants du monde, nous nous sommes évidemment préoccupés d'entretenir des relations à long terme. Cela fait partie de ce que l'on entend par accroissement de l'appui public. Comme les Canadiens disent souvent douter que l'aide se rende aux gens qui en ont le plus besoin, nous nous préoccupons particulièrement de garantir à nos partenaires canadiens que leurs dons font la différence.

Un nombre extrêmement élevé de Canadiens se demandent si l'aide se rend aux gens qui en ont le plus besoin. Pourtant, ils font des dons et nous assurent de leur appui.

L'établissement stratégique de ces relations constitue un défi que Vision mondiale Canada commence à peine à relever. Nous savons que la création de tels partenariats dépend d'éléments critiques. Permettez-moi d'en citer quatre.

Il s'agit tout d'abord d'établir un lien personnel entre ceux qui appuient le développement au Canada et les gens des pays en développement. Cela nous renvoie à la notion de pertinence et au sentiment que l'on peut personnellement avoir une influence sur les énormes problèmes mondiaux, comme nous l'avons dit plus tôt ce matin.

Le deuxième élément se rapporte à la crédibilité: il s'agit de répondre aux attentes de nos partenaires donateurs en offrant un bon service à la clientèle, en faisant preuve de transparence organisationnelle, en garantissant la crédibilité, l'intégrité, etc.

Troisièmement, souvent dans le cadre de partenariats avec d'autres ONG et avec le gouvernement, nous cherchons à améliorer la compréhension de nos donateurs quant aux problèmes mondiaux et à obtenir leur engagement à cet égard, par des initiatives d'éducation et de défense des intérêts. Là encore, c'est ainsi que nous leur permettons, au fil du temps, de davantage comprendre les relations qu'ils entretiennent avec nous.

Le dernier élément consiste à garantir à nos donateurs que leur investissement aura un effet favorable et durable sur la vie des gens. C'est là qu'interviennent les histoires de réussite dont nous avons parlé plus tôt.

Ces principes ne sont pas étonnants. Chacun de nous souhaite faire preuve d'intégrité et améliorer la vie des gens. Grâce à ses 50 années d'expérience dans le monde entier, Vision mondiale peut affirmer en toute confiance que l'aide internationale constitue un investissement sage et valable pour les Canadiens.

Le président: Merci beaucoup pour votre exposé très intéressant.

.1115

[Français]

C'est maintenant au tour de Mme Carole Beaulieu de L'Actualité.

[Traduction]

Mme Carole Beaulieu (journaliste, L'Actualité): Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vais m'adresser à vous en français. Mes commentaires se regroupent sous le titre: «L'impossible route vers le journalisme global».

[Français]

Je tenterai de répondre à quatre questions autour desquelles je regrouperai mes propos. La première est: relève-t-il des médias de sensibiliser la population? La deuxième est: quel est l'état de la couverture du développement dans les médias? La troisième est: comment expliquer cette situation? La quatrième est: qu'est-ce qui s'annonce pour l'avenir?

Est-il de la responsabilité des médias de sensibiliser la population? La réponse est non. Les médias n'ont pas pour mandat de sensibiliser le public à quoi que ce soit. Les médias, privés pour la plupart dans notre pays, ont pour responsabilité première de faire des profits pour leurs actionnaires ou tout au moins de demeurer rentables. Pour ce faire, ils doivent offrir aux consommateurs un produit qui les intéresse suffisamment pour qu'ils l'achètent. Les citoyens sont intéressés par une foule de choses: des résultats du match de hockey aux dernières découvertes scientifiques, en passant par toutes les informations qui leur permettront de prendre des décisions éclairées dans leur vie et sur les grandes questions qui affectent leur société. Notre métier est de répondre à leur curiosité.

Dans le cas du développement, cela peut prendre plusieurs formes. Il y a les reportages faciles, ceux qui sont un peu moins faciles et ceux qui sont très difficiles.

Un reportage facile est, par exemple, celui du journal local sur la jeune coopérante de retour d'Afrique. Ce type de reportage intéresse parce qu'il a un côté humain, émouvant, proche.

Les reportages un peu moins faciles sont ceux qui cherchent à expliquer comment fonctionne l'aide, où vont les dollars des contribuables, à quoi servent les dons faits aux organismes d'aide et qui disent si l'aide a changé quelque chose depuis 25 ans. Ces reportages intéressent parce que les citoyens ne veulent pas qu'on gaspille leur argent.

Les reportages très difficiles sont ceux qui tentent de documenter les liens qui existent entre la vie des gens d'ici, de plus en plus bouleversée par la globalisation des marchés, et ce qui se passe dans les pays en voie de développement.

Dans tous les cas, les gens ne consommeront ces informations que si elles leur sont présentées clairement, dans le cadre d'émissions ou de publications qui respectent leur culture, leur niveau d'éducation et les contraintes de leur vie.

Le citoyen n'a jamais été autant qu'aujourd'hui inondé d'informations de toutes sortes. Pourquoi lirait-il sur le développement plutôt que sur les plantes vertes ou les planches à neige? Les critères qui déterminent l'intérêt d'une nouvelle, ce qu'on appelle en anglais l'aspect newsworthy d'une information, ont été maintes fois définis par des experts. Nous y reviendrons plus tard, si vous le souhaitez.

Deuxièmement, quel est actuellement l'état de la couverture? Aucune étude d'envergure ne permet pour l'instant d'affirmer que les médias offrent aujourd'hui plus ou moins d'informations sur cette question que par le passé. Certains éditeurs vous diront qu'il y en a plus que jamais. Des journalistes vous diront qu'il n'y en a jamais eu aussi peu. Certains diront même qu'on en fait plus au Québec qu'ailleurs au pays. Honnêtement, no one knows.

Dans le cas des médias écrits, une étude réalisée récemment à l'Université de Windsor révèle que la couverture internationale des six grands quotidiens du pays est passée de 35 p. 100 du contenu total à 26 p. 100 entre 1982 et 1992. Dans le cas du Québec, la chute est encore plus impressionnante. On peut présumer que les questions de développement international ont subi le même sort.

Au Québec, aucun média n'affecte de journalistes strictement aux questions de développement international. Notre dernière émission d'information sur le sujet, Nord-Sud, diffusée par Radio-Québec, est moribonde. Ailleurs au pays, seul John Stackhouse du Globe and Mail occupe un tel poste. Actuellement, notre couverture repose presque exclusivement sur des pigistes.

.1120

Jamais les télévisions n'ont eu à leur disposition autant d'images venues de tous les coins du monde, mais ces images, surtout celles de dénuement, renforcent plus souvent qu'autrement le sentiment d'impuissance des gens, perdus dans un monde confus auquel ils n'arrivent pas à donner de sens, sinon celui que plus les Mexicains ont d'emplois, plus ils perdent les leurs.

La couverture internationale coûte cher. Les éditeurs vous diront qu'ils n'ont pas d'argent. Les journalistes argumenteront que tout est question de priorité.

Les partisans du développement soutiendront, quant à eux, que le pays est trop fermé sur lui-même. Les médias du Québec n'ont que deux correspondants permanents dans des pays qu'on peut classer parmi ceux en voie de développement. La situation n'est guère meilleure ailleurs au pays.

Comment expliquer cela?

Vous connaissez déjà les réponses faciles: manque d'argent; manque d'intérêt des lecteurs, que des intervenants précédents ont expliqué; scepticisme face à l'utilité réelle de l'aide; irritation face au gaspillage et à la bureaucratie; confusion; d'autres problèmes plus immédiats, plus proches et plus pressants qui retiennent leur attention.

Voici une explication moins facile qui fut abordée dans une conférence récente.

La globalisation des économies et des communications n'a pas que des effets sur nos relations de commerce; elle en a aussi sur nos sociétés civiles. Quand leurs emplois disparaissent, quand leurs enfants s'exilent pour trouver du travail, quand leur sécurité sociale s'effrite, les gens d'ici n'arrivent plus à se percevoir comme des donateurs.

Les organisations non gouvernementales qui oeuvrent dans le domaine commencent à peine à se demander si elles ne devraient pas faire appel aux gens, en leur capacité de citoyens.

Tout comme les gens acceptent le contrat social qui leur fait payer des taxes pour des services de voirie, peut-être accepteront-ils un jour de payer des impôts pour qu'on leur fournisse des océans en santé, des forêts amazoniennes qui fourniront de l'oxygène à leurs villes nord-américaines, des voisins africains qui ne tenteront plus d'immigrer ici car ils pourront dignement nourrir leur famille chez eux.

C'est peut-être la voie de l'avenir, mais nous en sommes encore très loin.

Rares sont les politiciens et les organisations non gouvernementales qui tiennent un tel discours.

Les syndicats commencent à peine à se rendre compte que leurs conditions de travail dépendent de celles de leurs collègues de Birmanie ou de Chine. Leur expertise se développe lentement, leurs stratégies encore plus. Les médias ne peuvent diffuser des informations dont les acteurs de la société ne disposent pas. Les problèmes pratiques sont nombreux.

Les liens de cause à effet entre les grands problèmes du Tiers monde et la vie des gens d'ici sont très complexes et excessivement difficiles à concrétiser dans des reportages concis et humains. Les bonnes sources sur le sujet sont rares.

Les coûts sont très élevés car il faut souvent se rendre dans plusieurs pays. Les journalistes sont trop souvent peu ou mal formés pour faire ce genre de reportages.

Enfin, comment envisager l'avenir?

Je vous soumets deux pistes de réflexion: la formation des journalistes et une attention accrue à la jeune génération, très mobile, plus branchée sur les nouveaux médias et moins attachée au vieux paradigme du donateur.

La formation: Contrairement aux États-Unis où les journalistes ont accès à de nombreuses bourses de perfectionnement et à de multiples fondations susceptibles de soutenir leurs projets d'enquête, les journalistes d'ici sont de plus en plus laissés à eux-mêmes.

La Fondation Asie-Pacifique du Canada a mis fin au programme de bourses qui permettait à des journalistes de se familiariser pendant plus d'un mois avec un pays d'Asie. L'ACDI a interrompu cette année son soutien aux bourses Nord-Sud qui permettaient aux journalistes d'envoyer chaque année des jeunes se familiariser avec un pays en voie de développement. Seules demeurent en piste quelques bourses comme celles du CRDI. Aucun autre programme privé ou public n'incite les journalistes à investir dans ce perfectionnement au journalisme global.

.1125

Mais tout n'est pas si sombre. Au même moment, l'autoroute de l'information offre aux journalistes de nouvelles mines de renseignements. Des centaines d'ONG, dans des coins aussi reculés que le Rwanda, sont désormais branchés au réseau Internet. Les internautes créent de nouvelles solidarités. Le dernier numéro du magazine Cérès de la FAO consacre une dizaine de pages fascinantes à ces nouveaux réseaux. Les jeunes du Canada sont plus branchés que leurs aînés. Ils sont aussi très mobiles. Un grand nombre d'entre eux savent que leur avenir est intimement lié à celui du monde en voie de développement.

Les médias qui ne répondront pas à leur curiosité le feront en courant les mêmes risques que les dinosaures de la préhistoire. Le domaine des communications vit lui-même de nombreuses remises en question. Certains analystes prédisent que les journaux ne traiteront plus bientôt que de nouvelles locales. Les citoyens trouveront sur l'autoroute de l'information des nouvelles internationales plus complètes et plus récentes.

La tendance est déjà perceptible au Québec. Les conséquences de cette information à deux vitesses sont encore inimaginables. Pour être simpliste, disons que la patinoire sur laquelle nous patinerons dans les années à venir sera peut-être très différente.

En conclusion, les journalistes sont des témoins. Si la société baisse les bras et fait preuve de peu d'imagination ou de vision, les journalistes ne pourront qu'en témoigner. Ils ne sont ni meilleurs ni pires que la société dans laquelle ils vivent. Merci.

Le président: Merci, madame Beaulieu, pour votre optimisme.

[Traduction]

Monsieur Nazeer Ladhani, directeur général de la Fondation Aga Khan, est notre prochain témoin.

[Français]

M. Nazeer Ladhani (chef de la direction, Aga Khan Foundation Canada): Merci, monsieur le président. Il me fait grand plaisir d'être ici ce matin. Je serai très bref, parce que je crois qu'il est préférable de garder du temps pour les questions.

[Traduction]

Notre mémoire est disponible en français et en anglais. Je vais être bref afin de vous donner le temps de poser des questions.

Je me propose de vous situer dans le contexte et d'expliquer pourquoi la Fondation Aga Khan Canada considère que l'engagement du public est de la première importance. Je vais faire part aux membres du comité de nos stratégies et de la façon dont nous abordons cette tâche fort difficile, des messages que nous transmettons, des leçons que nous avons apprises et des questions auxquelles il faut répondre.

Pour vous situer dans le contexte, la Fondation Aga Khan existe au Canada depuis 1980 et reçoit aujourd'hui l'appui de plus de 60 000 Canadiens de tous les milieux sociaux, d'un bout à l'autre du pays. Nous comptons un solide effectif de bénévoles de près de 700 personnes dans tout le pays et la Fondation Aga Khan Canada fait partie d'un réseau de développement international Aga Khan présent dans 12 à 15 pays.

Nous considérons que l'engagement du public est une priorité essentielle pour les raisons suivantes. Tout d'abord, nous pensons avoir de solides racines tant au Canada que dans le Tiers monde, ce qui entraîne une responsabilité particulière, ainsi que l'obligation d'informer les Canadiens des problèmes auxquels le Tiers monde se trouve confronté. Nous estimons également que la sensibilisation du public constitue une part essentielle du processus de développement et qu'elle ne saurait être accessoire.

Troisièmement, il est important d'informer le public des questions relatives au développement et d'aller au-delà des appels à la sensibilité du public qui caractérisent certaines campagnes de financement et des récits de catastrophe et de désespoir que l'on retrouve dans les médias. Les ONG, comme tout autre intervenant dans le domaine du développement, doivent tenter de rejoindre les composantes non traditionnelles de la société, comme les jeunes et les gens d'affaires - composantes que la plupart des ONG ne rejoignent habituellement pas.

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Notre stratégie repose sur trois éléments. Premièrement, nous nous efforçons de proposer des activités ou des événements qui engagent directement le public. Nous nous sommes aperçus que le fait d'inonder le public de messages passifs ne donne pas de résultats. Nous aimons offrir des activités auxquelles le public peut participer. L'accent est donc mis fortement sur la masse de la population.

En tant qu'ONG, nous parlons toujours du développement de la masse de la population dans le Tiers monde, mais nous oublions que nous avons notre propre masse de population au Canada, laquelle doit s'engager et faire preuve d'une attitude plus positive à l'égard des problèmes mondiaux.

Deuxièmement, il ne faut pas oublier notre partenariat avec les médias de masse. Nous avons la chance que les médias nous sont d'un très grand soutien. Ainsi, le Globe and Mail, la SRC, L'Actualité, Le Devoir, Maclean's, etc. Je ne vais pas tous les citer, mais d'un bout à l'autre du pays, les médias nous sont d'un grand soutien.

Je suis d'accord que les médias n'ont pas la responsabilité d'informer le public, mais qu'ils ont la responsabilité de donner accès à l'information. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'ACDI dans ce domaine et je vais d'ailleurs vous en parler.

La collaboration avec d'autres est le troisième volet de notre stratégie. Nous travaillons étroitement avec des municipalités, des milieux d'affaires, d'autres ONG, ainsi que des associations professionnelles. De cette façon, nous pouvons partager les leçons de nos expériences. Nous essayons également de créer des synergies entre ces trois éléments de notre stratégie. Nous nous apercevons qu'une telle synergie peut être extrêmement utile.

Je ne vais pas aller dans les détails de nos activités, car vous en connaissez certaines: par exemple, la Marche du partenariat qui se déroule dans 11 villes du Canada; certains d'entre vous y ont participé. Nous investissons dans la formation des bénévoles et des jeunes. Nous offrons des possibilités aux jeunes Canadiens qui souhaitent faire carrière dans le domaine du développement.

Je me dois de vous mentionner notre campagne de messages d'intérêt public que nous appelons A Canadian Tradition. Nous travaillons à ce programme avec la direction générale des communications de l'ACDI depuis quatre ans. Ce programme illustre les valeurs des Canadiens et de tels messages font ressortir les meilleures qualités des Canadiens.

Nous nous apercevons que le soutien du développement est également un élément très important de l'unité nationale, car c'est une valeur commune unissant tous les Canadiens.

Je vais maintenant vous présenter certains des messages que nous tentons de transmettre pour sauvegarder et faire valoir la dignité des personnes du Tiers monde. Nous croyons en effet qu'elles ont les mêmes motivations, aspirations et ambitions que nous.

Deuxièmement, nous croyons que le développement porte fruit. Des erreurs peuvent être commises, mais le développement donne des résultats; nous voulons montrer aux Canadiens que leurs contributions font la différence et également leur raconter des histoires de réussite, lesquelles font l'objet de contrôles concrets, d'évaluations concrètes, etc.

Nous pensons que les Canadiens peuvent être fiers de leurs réalisations et le fait de leur transmettre de tels messages les incite à appuyer davantage l'aide au développement.

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Quelles leçons avons-nous apprises? Tout d'abord, je crois qu'il est possible d'engager les Canadiens, quelle que soit leur position sociale. Il est possible d'infléchir l'attitude des sceptiques et des «non-convertis», si l'on transmet de bons messages et si l'on fournit les efforts qui s'imposent. Nous pensons également que c'est lorsque les messages sont appuyés par des recherches et témoignages solides que l'impact se fait le plus sentir. En dépit de leur soutien, les Canadiens tiennent à avoir des preuves tangibles des résultats positifs du développement. Nous avons appris que l'on peut en appeler à l'esprit ainsi qu'au coeur des Canadiens.

Ainsi peut se résumer notre expérience. Comme je l'ai dit, nous ne possédons pas toutes les réponses; nous examinons le rôle de l'apprentissage systématique ainsi que celui de la recherche visant à accroître l'appui du public au développement international. À cette fin, monsieur le président, nous tiendrons une table ronde en juin prochain pour examiner les questions de recherche et d'apprentissage systématique, ainsi que la façon dont elles peuvent contribuer à l'accroissement de l'appui du public.

Je saisis l'occasion pour vous inviter à assister à cette table ronde prévue les 22 et 23 juin à Ottawa. Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ladhani. C'est une très bonne suggestion.

M. Wulff, directeur de la South Pacific Peoples' Foundation of Canada, est le dernier témoin de ce panel.

M. Stuart Wulff (directeur, South Pacific Peoples' Foundation of Canada): La plupart de mon expérience des 14 années écoulées se rapporte à la coordination et aux stratégies en matière de sensibilisation au développement. Tout en donnant brièvement quelques exemples du travail de ma propre organisation, je tiens surtout à mettre l'accent sur certaines des tendances et questions générales qui, à mon avis, façonnent nos attitudes passées ainsi que celles que nous devrons adopter pour l'avenir.

Historiquement, le Canada a toujours été considéré comme un chef de file en matière de sensibilisation au développement, surtout lorsque cette sensibilisation se fait au sein de la communauté. J'aimerais en fait commencer par vous lire une citation extraite d'un rapport. En 1987, l'Australie voulait mettre sur pied un programme gouvernemental de financement pour la sensibilisation au développement, programme calqué sur l'ACDI, suivant ainsi l'exemple de plusieurs autres pays qui, au fil des ans, se sont inspiré de l'expérience canadienne. Un certain Jeffrey Atkinson est donc venu au Canada voir ce qui s'y faisait afin de rédiger un rapport à l'intention des organisations non gouvernementales australiennes, soulignant ce que l'Australie pourrait tirer de l'expérience canadienne. Dans sa conclusion, il s'exprime en ces termes:

Il poursuit en comparant des études d'attitudes manifestées par les Canadiens et les Australiens à propos de tout un éventail de questions de développement et d'aide. Il remarque en fait que le soutien et l'attitude que l'on retrouve au Canada à propos de tout un éventail de questions liées au développement sont profondément différents et beaucoup plus positifs que ceux que l'on retrouve en Australie.

Comme n'importe qui ici, il en conclut que cela ne peut pas être entièrement imputable aux programmes de sensibilisation au développement. De nombreux facteurs façonnent les attitudes du public tant au Canada qu'en Australie. En même temps, il considère que l'accent mis sur la sensibilisation au développement au Canada explique, au moins en partie, le fait que les Canadiens manifestent des attitudes beaucoup plus positives en matière de développement international que les Australiens.

C'est grâce à la réputation généralement bonne du Canada en matière de sensibilisation au développement que de nombreux étrangers viennent au Canada et que des spécialistes canadiens dans ce domaine sont invités à se rendre dans d'autres pays pour partager notre expérience.

Par ailleurs, certaines organisations jouissent également d'une réputation internationale. Ainsi, ma propre organisation, la South Pacific Peoples' Foundation, a débuté en créant des programmes de sensibilisation au développement ciblant les Canadiens. Au fil des ans, nous nous sommes aperçus que d'autres pays apprécient ce que nous faisons. Notre périodique trimestriel sur les questions de développement dans le Pacifique est envoyé maintenant à des abonnés dans plus de 40 pays. Notre congrès annuel attire actuellement des participants de plusieurs pays chaque année. Chaque semaine, de nombreux pays nous demandent des renseignements sur les initiatives en matière de développement dans le Pacifique.

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Dans un certain sens, la sensibilisation au développement existe au Canada depuis que l'on parle de la place du Canada dans le monde - depuis que les Canadiens voyagent et parlent de leurs expériences. Cependant, en tant que domaine organisé et ambitieux, elle ne s'est implantée que dans les années 60 pour prendre son essor dans les années 70, au moment de l'augmentation rapide du financement gouvernemental et non gouvernemental pour de tels programmes et au moment de la création de la plupart des organisations qui aujourd'hui font de la sensibilisation au développement. D'une certaine façon, je dirais que ce domaine a commencé à atteindre un plateau dans les années 80 et que c'est dans les années 90 qu'il se heurte à des difficultés.

Bien évidemment, résumer ainsi les choses déforme un peu la réalité et de nombreux exemples contrediraient certainement une telle généralisation. Je crois toutefois que bien des personnes travaillant dans le domaine de la sensibilisation au développement se trouvent maintenant à la croisée des chemins et réfléchissent à ce qu'elles ont fait jusqu'à présent. Nous évaluons de manière critique les chemins qui s'ouvrent à nous dans le domaine de la sensibilisation au développement.

À la fin des années 80, l'ACDI et d'autres organisations ont fortement critiqué les efforts déployés dans le domaine de la sensibilisation au développement. L'impact de la sensibilisation a été mis en doute. On nous a accusés de nous adresser uniquement aux convertis. En réponse à de telles critiques, le gouvernement précédent a mis sur pied un groupe appelé Comité consultatif national sur l'éducation au développement, dont j'ai été membre avec quelques autres pendant deux ans et demi. C'était un comité très intéressant qui regroupait tout un éventail de personnes. J'étais le seul membre du comité à participer aussi considérablement et directement à la sensibilisation communautaire au développement. Nous avons examiné de façon très critique ce qui se passait et dans le rapport que nous avons remis au ministre et à l'ACDI, nous nous sommes légèrement démarqués de plusieurs personnes. En effet, notre rapport était très optimiste, même s'il signalait plusieurs lacunes importantes à combler.

J'aimerais simplement lire une citation du premier rapport que ce comité a présenté au gouvernement:

Telle a certainement été notre expérience à la South Pacific People's Foundation. Nous nous sommes aperçus - et le comité a eu la même impression - que les gens ne se contentent pas simplement de s'adresser aux convertis. Beaucoup de ces groupes - et la plupart étaient très petits - trouvaient qu'il était de plus en plus difficile d'essayer d'aller au-delà de ce qu'ils avaient toujours fait avec des ressources très limitées.

Le comité a recommandé d'augmenter les ressources affectées à la sensibilisation au développement. En même temps, il a cité plusieurs secteurs dont il fallait se préoccuper. Comme je le disais plus tôt, les gens qui faisaient ce travail se sont aperçus que même avec des ressources identiques, ils devaient trouver de nouvelles façons de les utiliser.

Au Canada comme dans d'autres pays, il y a toujours eu tension entre d'une part, la sensibilisation communautaire assurée par de petits organismes très proches du public et, d'autre part, les efforts coordonnés et centrés au plan national. Le Canada a, quant à lui, choisi de mettre fortement l'accent sur le travail communautaire, tandis que la plupart des autres pays ont opté pour l'autre solution.

Aujourd'hui, tous les pays se rendent compte qu'ils sont allés trop loin dans la direction qu'ils ont choisie. Au Canada, nous nous sommes trompés; en effet, de deux petites organisations faisaient un excellent travail sur le terrain, suscitant la participation directe des Canadiens; par contre, on accordait peu d'importance à une stratégie d'ensemble qui aurait permis d'avoir un impact plus vaste. Nous commençons maintenant à envisager les façons de remédier à cette situation.

D'autres pays se rendent compte qu'ils ont trop mis l'accent sur de vastes campagnes nationales, sans jamais faire participer le public d'une façon telle qu'il aurait augmenté son appui; ils examinent donc ce que nous faisons au Canada. Tout cela se passe dans le contexte d'un monde qui a radicalement changé.

Janet a dit plus tôt que la sensibilisation au développement visait à répondre aux réalités des années 60 et 70; nous n'en sommes plus là. J'aimerais simplement souligner quelques-unes des différences au sujet des problèmes auxquels, je crois, les organismes de sensibilisation au développement sont confrontés actuellement.

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Les années 70 ont été des années de croissance rapide en matière de ressources financières et de ressources humaines. Un nombre incroyable de jeunes Canadiens commençaient à revenir au pays après leur expérience de travail à l'étranger avec des organisations comme CUSO. Dans les années 90, nous sommes témoins - dans certains cas, abruptement - d'une diminution des ressources disponibles pour faire ce travail.

Les années 70 ont été empreintes d'un optimisme général du public au sujet du Canada et de son rôle dans le monde. Le public était très réceptif à bien des messages que nous tentions de faire passer. Alors qu'à mon avis les valeurs n'ont pas fondamentalement changé, le public est plus pessimiste et sceptique aujourd'hui à propos de notre rôle dans le monde, de la manière dont nous le jouons et de ce que nous pouvons faire. Il se préoccupe également davantage de questions personnelles et nationales.

Dans les années 70, le public était plus cohérent et plus accessible, puisque presque tout le monde regardait une des deux émissions d'information tous les soirs. Nous vivions dans une société où beaucoup de nos programmes consistaient à organiser des événements publics très courus.

Dans les années 90, le Canada est une société beaucoup plus éclatée. Les analystes en marketing parlent d'un marché segmenté. Il est beaucoup plus difficile de mobiliser de grands groupes de Canadiens. Il faut essayer d'atteindre les Canadiens là où ils se trouvent. Les gens restent chez eux pour regarder des vidéos et ne vont plus au cinéma. Je pourrais donner de multiples autres exemples. Notre société est fondamentalement différente et nous devons modifier notre approche en conséquence.

L'approche personnelle fonctionne bien. De plus en plus de gens se fondent sur les médias, alors qu'en même temps, les médias se transforment en un marché plus segmenté. Travailler simplement avec une seule source de médias et un seul message ne permet pas d'atteindre de grands nombres de Canadiens.

Les jeunes ont toujours été très engagés et réceptifs à la sensibilisation au développement, tout en étant assez optimistes quant à leur propre avenir. Aujourd'hui, les jeunes se préoccupent davantage de leur propre avenir, sont moins optimistes et moins engagés dans la sensibilisation au développement. Je soulignerais également qu'ils continuent à s'engager fortement au plan local. Ce que nous craignons face à la baisse de l'appui à la sensibilisation locale au développement, c'est que nous risquons fort de perdre les jeunes là où ils continuent d'être activement engagés dans le travail que nous faisons.

Les groupes de sensibilisation au développement qui ont survécu au massacre de mars dernier doivent maintenant repenser leur mandat, faire preuve de créativité, expérimenter et prendre des risques. Je pense que ceux qui ont survécu s'adaptaient déjà à la nouvelle situation avant les restrictions budgétaires de l'ACDI.

À mon avis, plusieurs domaines doivent retenir notre attention. Il est évident qu'il faut diversifier les sources d'appui. Même s'il se poursuit, l'appui du gouvernement ne sera pas le facteur prédominant qu'il a été jusqu'ici dans le domaine de la sensibilisation au développement. Nous devons exploiter de nouvelles ressources.

Il y a trois ans, ma propre organisation collectait près de 20 000$ par an et recevait de 50 000$ à 60 000$ par an du gouvernement pour ses programmes de sensibilisation au développement. Nous en avons conclu que cela devait changer, en partie, parce que nous nous demandions si le gouvernement continuerait à nous financer et, en partie, parce que nous pensions devenir plus indépendants en obtenant plus de financement d'autres sources. Compte tenu de l'augmentation de la demande, on pensait également avoir besoin de ressources plus importantes que celles que le gouvernement ne puisse jamais nous fournir.

Ces trois dernières années, nous avons triplé notre campagne de financement non gouvernementale et avons donc pu survivre aux restrictions budgétaires de l'année dernière. Il y a quatre ans, ces restrictions auraient fait disparaître notre organisation et nous pensions que notre travail était trop important pour être à la merci d'une telle éventualité.

Comment aborder le public canadien fragmenté? Certains groupes deviennent plus spécialisés. Ils choisissent de travailler sur un groupe particulier de Canadiens et apprennent les façons de les atteindre. Une autre manière de résoudre ce problème consiste à employer des intermédiaires. Au lieu d'essayer d'atteindre directement chaque membre du grand public, nous essayons d'identifier des organisations partenaires au Canada - ainsi que nous l'avons toujours fait à l'étranger - qui travaillent déjà sur ces segments particuliers du public. Nous leur confions les connaissances, les ressources, etc., dont nous disposons et leur laissons faire le travail.

Il est clair, à mon avis, que les médias représentent un moyen important d'atteindre les Canadiens. Nous devons donc travailler avec les médias.

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De notre point de vue tout du moins, la couverture de telles questions par les médias nous semble superficielle et déformée. On a dit plus tôt que très peu de médias au Canada peuvent se permettre d'avoir des journalistes spécialisés dans le domaine du développement à plein temps. Les ONG commencent à régler ce problème en travaillant davantage avec les médias. Une organisation avec laquelle j'ai travaillé a fini par embaucher deux professionnels des médias qui étaient chargés de former d'autres organisations non gouvernementales sur la façon de mieux présenter les textes et qui devaient également offrir de l'aide aux médias sur la façon de couvrir les événements internationaux.

L'organisation pour laquelle je travaille maintenant a opté pour la solution inverse, puisqu'elle se transforme de plus en plus en organisation de médias. Nous avons transformé notre publication aride sur la sensibilisation au développement en un magazine populaire sur les questions de développement dans le Pacifique, lequel a parfaitement sa place au kiosque à journaux. Ce magazine vise beaucoup plus à décrire les choses d'une manière susceptible d'attirer un public beaucoup plus vaste. Nous envisageons maintenant d'avoir une page d'accueil sur l'Internet et de trouver ainsi diverses façons d'atteindre les Canadiens.

J'aimerais terminer par deux propositions auxquelles, je crois, le gouvernement devrait donner suite, pour faciliter la sensibilisation au développement. La première vise encore les ressources. Dans la plupart des secteurs de la sensibilisation du public canadien, l'investissement du gouvernement reste important pour assurer la concrétisation de beaucoup de nos programmes et non seulement de nos programmes de sensibilisation au développement. Je ne sais pas exactement comment cela devrait se faire. Je ne propose certainement pas de réinventer le programme de participation du public.

Le gouvernement pourrait envisager la création d'un genre d'institution sans lien de dépendance, comme le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, qui s'occuperait plus précisément de la sensibilisation du public canadien. On a dit plus tôt qu'une telle proposition aurait un certain mérite, étant donné que les Canadiens se demandent si le gouvernement lui-même est une bonne source d'information dans ce domaine.

Cela permettrait également d'avoir une stratégie susceptible d'être financée, non seulement par le gouvernement, mais aussi par d'autres instances, et d'avoir également une stratégie qui nous permettrait d'évaluer de manière critique la meilleure façon de dépenser ces fonds, au lieu de prendre des décisions ponctuelles, comme cela a toujours été le cas.

Je recommanderais ensuite que le gouvernement et vous-mêmes, membres du gouvernement, jouiez un rôle plus appuyé dans le domaine de la défense d'intérêts et du leadership. Le Comité consultatif national avait fait une recommandation, qui avait été acceptée mais qui, je crois, n'a jamais atteint son potentiel, soit l'instauration de la Semaine du développement international. Nous pensions qu'au cours de cette semaine, on aurait pu tenir un débat parlementaire sur le développement, qui aurait été télévisé et qui aurait permis au public de voir des députés travailler avec des organisations non gouvernementales dans les collectivités, aidant ainsi à faire comprendre l'importance de l'interdépendance planétaire du Canada.

Je ne pense pas que cette recommandation ait atteint un tel potentiel. Je continue à croire qu'elle a ce potentiel, mais nous n'en sommes pas encore là. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Wulff.

Nous avons près de 20 minutes pour les questions, car nous devons régler quelques points avant la pause prévue pour 12 h 15. Nous avons entendu six témoignages très intéressants et je m'excuse auprès des panélistes du fait que nous avons si peu de temps pour les questions. Je sais que les membres du comité aimeraient passer plus de temps avec vous, mais peut-être en aurons-nous l'occasion ultérieurement.

[Français]

M. Paré: Ce matin, lorsque le ministre a ouvert la journée, j'ai été un peu déçu par son message parce que je trouvais qu'il s'orientait un peu vers la propagande et davantage vers la désinformation. Mais le ministre n'étant pas là, je n'attaquerai pas plus longtemps son message.

Je veux revenir sur le message de Mme Zukowsky. Je voudrais qu'il soit bien clair que je n'attaque pas le messager, mais bien le message. Je veux que ce soit tout à fait clair.

Mme Zukowsky représente ici l'ACDI; j'ai donc compris qu'elle nous a livré ce matin le message officiel de l'ACDI sur la disparition du programme de participation du public. Ce n'est donc pas son message personnel, mais celui de l'ACDI. Je peux donc me permettre d'être sévère à l'endroit du message tout en respectant beaucoup le messager.

En écoutant Mme Zukowsky, deux souvenirs m'ont traversé l'esprit: le vieux proverbe qui dit que lorsqu'on veut se débarrasser de son chien, on dit qu'il a la rage; l'image d'un tortionnaire essayant de faire comprendre à sa victime pourquoi il doit la maltraiter.

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Je trouve un peu inadmissible qu'on vienne ici tenter de nous faire comprendre ce qui est incompréhensible et de justifier que la sensibilisation et l'éducation du public devra se faire un peu toute seule. Parce qu'il pourrait y avoir eu des ratés dans le passé, on abolit carrément le programme.

À ce point de vue, le vérificateur général, dans son rapport de 1993, a fait les commentaires suivants sur le programme d'aide publique au développement. Il a parlé de la confusion des objectifs, de l'éparpillement, de bureaucratie et de paperasserie et du mandat mal défini qui rendait l'ACDI un peu à la merci des politiciens.

Si le gouvernement avait utilisé le même procédé que l'ACDI, il aurait déclaré qu'il fermait les livres parce que tout n'était pas parfait. Or, dans le cas du programme, l'ACDI n'a pas fermé les livres. Le gouvernement n'a pas dit qu'il allait fermer les livres parce que tout n'était pas parfait et qu'il allait tenter de corriger les choses. Or, dans le cas du programme de participation du public, on nous dit que parce qu'il y avait des ratés, on a aboli le programme. C'est un message que j'ai beaucoup de difficulté à accepter.

J'ai d'autre part un commentaire très bref sur les autres interventions. Je trouve que les autres intervenants ont assez bien démontré l'importance de poursuivre l'opération de sensibilisation du public. Dernièrement, je suis allé à l'ONU, avec des collègues de la Chambre des communes ou du Sénat. On a pouvait lire dans les corridors, un peu partout, le message: «La paix a un nom et ça s'appelle le développement». Est-ce qu'on y croit? Tout est là évidemment. Les pays de l'OCDE consacrent 56 milliards de dollars par année à l'aide aux pays en voie de développement et dans le monde, on dépense 800 milliards de dollars par année pour les actions militaires. Est-ce qu'on croit véritablement au développement?

Je pense qu'il faut continuer de sensibiliser les Canadiens à cette grande question. J'ai tout à fait compris les nuances de Mme Beaulieu. Au fond, elle dit non à un journalisme de propagande, ce que j'accepte tout à fait. Mais dans le domaine du développement international, j'ai le sentiment qu'on aura besoin, pour convaincre le public canadien, de convaincre son gouvernement. Je reviens encore à la même idée: nous n'avons pas à convaincre le public; c'est le gouvernement qu'il faut convaincre. Donc, il faudrait donner aux citoyens de ce pays les moyens de convaincre leur gouvernement qu'un investissement de 2 milliards de dollars dans l'aide aux pays en voie de développement comparativement à un investissement de 10 milliards de dollars dans la défense, alors que la géopolitique du monde a changé, c'est un non-sens.

Si on le dit aux Canadiens, ils le comprendront, mais encore faut-il le leur dire. L'instrument qu'on utilisait pour le dire, c'était en bonne partie les organisations non gouvernementales. On a fermé les livres, on a coupé les subventions et on a tenté de les rendre muettes.

Monsieur le président, je m'excuse si ce n'est pas une question. C'est un commentaire qui vient du coeur.

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Le président: On l'accepte. Toutefois, peut-être les intervenants aimeraient-ils ajouter un bref commentaire là-dessus. Étant donné le peu de temps qu'il nous reste, je vous demande de faire vos commentaires assez brièvement.

Mme Zukowsky: Je dirai simplement que l'an dernier, l'ACDI a eu à prendre, sur le plan administratif de même que sur le plan politique, des décisions assez difficiles. Nous devions absorber une réduction du budget de 15 p. 100. En plus, nos promesses aux institutions financières internationales nous privaient d'une certaine souplesse. En conséquence, nous avons décidé de réduire les programmes de partenariat, c'est-à-dire les programmes dont je suis responsable. C'est là-dessus qu'ont porté les décisions.

[Traduction]

Il s'agissait simplement d'éliminer les parties des programmes qui ne semblaient pas donner les résultats attendus ou dont nous ne pouvions pas prouver l'utilité. On nous a posé beaucoup de questions à ce sujet, puisque nous avons reçu près de 2 000 lettres du public. Nous sommes donc maintenant parfaitement en mesure de l'expliquer.

Effectivement, nous avons dû prendre des décisions difficiles. Nous avons décidé de régionaliser le programme de la participation du public et de décentraliser les 13 fonds thématiques. Il a été décidé de les centraliser de nouveau dans l'espoir de réaliser des économies. Certaines décisions ont alors été prises au sujet des ONG internationales dont le siège social ne se trouve pas au Canada. Ce sont les décisions qui ont été prises.

Le président: Je me demande si je ne pourrais pas poser une question à M. Posterski ou àMme Sutherns. Je me souviens de la visite de Vision mondiale à mon bureau à Toronto. Nous avons débattu de cette question qui préoccupait beaucoup cette organisation. Diriez-vous qu'au cours de l'année où cela s'est produit, la sensibilisation du public canadien à l'égard des affaires étrangères, notamment des questions de développement, s'est amoindrie, à cause de l'annulation de ce programme?

Peut-être que tous nos panélistes pourraient très rapidement parler aux membres du comité de leur expérience par suite de l'abolition de ce programme, car c'est là le genre de choses que nous essayons de comprendre.

Mme Sutherns: Je suis heureuse de pouvoir prendre la parole. Je dois avouer que la situation est assez ironique en ce qui concerne Vision mondiale, parce que nos efforts de sensibilisation au développement n'ont jamais été financés par le gouvernement avant les restrictions, mais qu'ils le sont maintenant, ce qui est fort étrange, car il est très important de savoir...

Le président: Le monde est plein de paradoxes étonnants, mais peut-être pourriez-vous expliquer comment vous y êtes arrivés.

Mme Sutherns: Certainement. Le fait que l'on tienne ce genre de forum tout de suite après avoir annoncé que le budget APD allait tomber à ses niveaux les plus bas en l'espace de trente ans, n'est pas le moindre de ces paradoxes; il semble donc que paradoxes et situations ironiques ne manquent pas.

Les restrictions budgétaires nous ont touché essentiellement au niveau des réseaux et des canaux de distribution locaux. Bien que nos efforts de sensibilisation au développement n'aient pas été touchés, car nous ne recevions pas de financement du gouvernement, nos liens, les canaux de distribution, et les efforts locaux fournis dans tout le pays ont été considérablement touchés par ces décisions.

Ainsi que l'a dit Janet plus tôt, le peu qui reste affecté à la sensibilisation au développement se concentre très fortement sur le triangle Toronto-Ottawa-Montréal. En dehors de ce triangle, on peut dire que l'impact de ces décisions a été très fort.

J'aimerais donc appuyer l'intervention faite par ce monsieur, car certainement, les choix de ce gouvernement à propos des dépenses de défense et des dépenses APD semblent contredire l'intérêt manifesté à l'égard de l'accroissement de l'appui public pour cette question.

Le président: Merci. D'autres personnes veulent-elles intervenir?

M. Wulff: J'ai deux observations à faire. Premièrement, l'impact a été considérable, voire même sévère. Plusieurs organisations ont mis la clé sur la porte. D'autres ont dû supprimer des programmes. Je ne peux pas penser à un seul groupe financé par le programme de la participation du public qui n'ait pas eu à faire de compressions en matière de travail.

Je trouve en fait fort ironique que l'ACDI insiste auprès des organisations non gouvernementales pour qu'elles fassent preuve d'expertise professionnelle au plan du travail effectué à l'étranger, au moment même où elle choisit de retirer des ONG les ressources les plus spécialisées en matière de sensibilisation du public. C'est une décision plutôt délibérée. L'accent a été mis sur les organisations qui, dans certains cas, possèdent cette expertise. D'autres m'ont dit par contre qu'elles craignent de ne plus pouvoir faire du travail de la même qualité qu'auparavant.

J'en arrive à mon deuxième point. Le gouvernement explique en partie ces restrictions en disant qu'en période de déclin budgétaire, il faut s'assurer que les fonds arrivent effectivement à l'étranger. La plupart de nos partenaires ne cessent de dire maintenant que la sensibilisation du public dans nos propres pays est l'une des responsabilités les plus importantes que nous ayons en tant qu'ONG du Nord. Cette sensibilisation vise en partie à maintenir le soutien de l'aide à long terme. Deuxièmement, c'est parce que le développement ne se limite pas à l'aide.

Nous avons l'impression que les Canadiens ont besoin de le comprendre. Si nos partenaires qui, en fait, seraient les bénéficiaires de toute augmentation de financement aux dépens de la sensibilisation, tiennent ces propos, je crois alors qu'il nous appartient de les écouter très attentivement.

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Le président: Merci. Madame Beaulieu.

Mme Beaulieu: Je voudrais répondre rapidement. À cause des compressions, j'ai perdu des sources d'information auxquelles j'avais accès. En tant que journaliste, je pouvais appeler des gens pour leur demander de trouver rapidement un interlocuteur véritablement québécois, susceptible de me renseigner. Ces gens-là pouvaient m'aider, mais ils ne sont plus là et s'il en reste, ils sont très peu nombreux. Ils ont moins de temps. Ils font autre chose. Mes reportages en ont souffert. Il y a toutefois un point positif. Je dispose maintenant d'autres sources que je trouve sur Internet. Il est trop tôt pour savoir comment l'équilibre va se faire et comment ces gens-là vont maintenant travailler ensemble, comme ils le devraient.

Le président: Je vous remercie. Monsieur Ladhani, si vous voulez bien faire vite.

M. Ladhani: Simplement pour faire entendre un autre son de cloche, j'aurais aimé que plus de Canadiens participent à la mission d'Équipe Canada, en janvier dernier, qui accompagnait le premier ministre. Comme vous le savez, plus de 300 gens d'affaires en faisaient partie.

Une évidence s'est imposée. Dans les pays visités par la mission, soit l'Inde, le Pakistan, la Malaisie et l'Indonésie, les Canadiens ont été accueillis avec beaucoup de chaleur, de respect et d'amitié. Cependant, la mission comportait aussi d'importants enjeux commerciaux. On a signé d'importants accords. On a pu constater que la chaleur et le respect de notre accueil n'étaient pas seulement dus au fait que nous venions d'arriver dans ces pays. Le Canada entretient des rapports avec ces pays depuis 30 ou 40 ans au niveau des sociétés de développement. Aujourd'hui, ces liens sont en train de se transformer en intérêts économiques réciproquement avantageux, que ce soit sur le plan commercial ou de la haute technologie.

Si les Canadiens savaient cela, ils seraient encore plus en faveur des sociétés de développement.

Le président: Je vous remercie. Monsieur Godfrey, vous avez la parole.

M. Godfrey: Je suis frappé par la statistique établissant que, bon an, mal an, les Canadiens maintiennent leur appui aux activités comme les opérations de maintien de la paix.

À mon hôtel, ce matin, j'ai vu des agents de la GRC et de la police de Montréal en train de se préparer pour leur départ à destination d'Haïti demain, après un court séjour ici. Je soupçonne que la réaction des Canadiens, lorsqu'ils voient des compatriotes à l'étranger en train de faire de bonnes oeuvres, explique bien pourquoi on appuie tant les opérations de maintien de la paix.

Je remarque que les organismes non gouvernementaux du pays qui sont actifs dans le domaine du développement se classent en deux grands groupes. L'un pourrait se décrire comme le genre d'ONG qu'a dirigé M. Smillie, par exemple le CUSO ou l'EUMC, qui a non seulement un bureau au Canada, mais qui envoie aussi des Canadiens sur le terrain. Ceux que nous envoyons là-bas sont des Canadiens, ce qui permet de maintenir les liens directs.

L'autre modèle est celui de l'organisation internationale qui, par définition, a habituellement son siège social ailleurs et fait des levées de fonds à l'appui de causes internationales certes valables, mais qui n'a pas de comptes à rendre directement aux Canadiens et qui ne fait pas forcément participer des Canadiens sur le terrain.

Je remarque le grand succès remporté par Vision mondiale Canada. Par pure ignorance, je vous demande dans quelle catégorie vous vous classez.

Mme Sutherns: Des deux groupes que vous avez décrits, nous relèverions du dernier. Nous avons pour vocation d'établir sur place un bassin de compétences indigènes. Par conséquent, la plupart de nos quelque 101 bureaux outre-mer emploient des gens de la localité.

M. Godfrey: J'aimerais simplement préciser que ma question porte sur un point que j'ai fait valoir antérieurement auprès du groupe précédent: l'une des façons pour nous de renforcer l'appui - bien que vous ne sembliez pas avoir besoin de l'accroître beaucoup, si j'en juge par les membres - consiste à avoir ce lien direct, cette obligation de rendre compte. Ainsi, le projet, le village ou le pays nous fait des rapports, ce qui nous permet d'exercer un certain contrôle.

.1210

M. Posterski: J'ajouterai aux observations faites antérieurement par Rebecca que nous cherchons nous aussi à mobiliser les Canadiens pour des causes particulières lorsqu'ils comprennent la situation mondiale. À titre d'exemple, je vous rappelle le jeûne de 30 heures organisé à l'intention des jeunes Canadiens les invitant à réfléchir aux questions mondiales et à faire des collectes de fonds pour les pauvres. L'an dernier, plus de 100 000 adolescents canadiens - et d'autres un peu plus jeunes - ont donné une partie de leur temps et de leur énergie à faire connaître des préoccupations internationales. C'est une mobilisation des Canadiens à l'intérieur même du pays, un appel à aller au-delà de ses propres intérêts et à cesser de se distancer de la réalité, ce qui, à mon avis, sera le problème de l'avenir.

M. Godfrey: Cela permet-il toutefois à long terme de responsabiliser et d'acquérir des connaissances sur des projets particuliers, par exemple le projet de NOVIB en Hollande que nous a décrit M. Smillie? Cela fait-il partie de ce que vous faites, encourager un groupe de donateurs à se renseigner sur une situation particulière dont ils peuvent suivre l'évolution au fil des ans, à long terme?

M. Posterski: Il existe plusieurs niveaux d'évaluation de nos travaux sur le terrain dont nous communiquons les résultats à nos publics donateurs. Une partie de notre engagement à l'égard de ceux qui nous font des dons consiste à les renseigner sur ce qui se passe sur le terrain. Ainsi, actuellement, plutôt que de... Les organismes prennent de la maturité, et le développement évolue. Plutôt que de mettre l'accent uniquement sur l'enfant, nous sommes probablement passés à la famille, à la collectivité pour finalement en arriver à la communauté des communautés travaillant en plus grands groupes.

Les donateurs qui se sont associés à nous sont informés du résultat final. Nous ne nous contentons pas de simplement les remercier pour leurs dons. Nous leur disons aussi comment leurs dons ont eu une influence.

M. Godfrey: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Flis, vous étiez le prochain sur la liste, mais nous ne disposons en réalité que de 30 secondes. En effet, le ministère aimerait faire une annonce importante avant la suspension des travaux. Préférez-vous...?

M. Flis: Je profiterai donc des 30 secondes pour simplement faire une déclaration, suite à l'intervention de M. Paré.

Nous tombons dans le même piège que de nombreux autres Canadiens lorsqu'on nous demande où il faut couper pour dégager plus de fonds pour l'aide étrangère. Le premier poste qui nous vient à l'esprit est celui de la défense. J'aimerais rappeler au comité et au grand public que c'est ce ministère qui a dû absorber les plus lourdes compressions dans les trois derniers budgets. Nous avons non seulement réduit ses ressources à un minimum, mais nous avons aussi coupé dans l'essentiel. Le Canada est un membre très important de certaines alliances, dont l'OTAN. Voyez ce que fait l'OTAN en Bosnie pour établir la paix et la maintenir. Avant de nous interroger sur la source de recettes additionnelles, faisons preuve d'un peu d'imagination et trouvons l'argent ailleurs.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Flis. Vous avez fait valoir un point très important.

Monsieur LeBlanc, vous aviez deux annonces à nous faire avant que le comité ne passe au témoin suivant, Mme Labelle.

M. LeBlanc (Cape-Breton Highlands - Canso): Je vous remercie vivement, monsieur le président.

Je tiens tout d'abord à informer le comité, étant donné l'intérêt qu'il a déjà manifesté à l'égard du dossier des droits de la personne au Nigéria, que le ministre des Affaires étrangères se rendra à Londres, la semaine prochaine, pour assister à une réunion du groupe d'action ministériel du Commonwealth qui vise à faire le point sur les mesures prises en Nouvelle-Zélande, l'automne dernier, pour inciter davantage le Nigéria à se démocratiser et pour éliminer les violations des droits de la personne dans ce pays.

Je le fais, d'une part, pour renseigner le comité et, d'autre part, pour l'informer que, s'il juge bon de renouveler la recommandation ou motion de décembre dernier dans laquelle il manifestait un ferme appui, cela serait extrêmement utile à notre gouvernement au sein de cette tribune.

Le président: Si je me souviens bien, cette motion exhortait expressément le gouvernement à examiner, entre autres, la question des sanctions ou de tout autre moyen de pression qui pouvait être pris à l'égard du gouvernement du Nigéria pour l'inciter à apporter des changements démocratiques et à respecter les droits de la personne.

.1215

Nous entendrons, évidemment, le point de vue de Shell et d'autres représentants de la collectivité nigériane, le 18 juin. Nous avions espéré tenir cette audience avant le départ du ministre, mais il conviendrait peut-être que les membres du comité, s'ils le jugent bon, informent le ministre de leur intérêt soutenu dans ce dossier et du maintien de leur appui pour la position initiale.

Un tel appui pourrait être utile au ministre et, lorsqu'il sera à Londres, pourrait aider à faire comprendre que le comité est fermement convaincu qu'il faut maintenir la pression sur le Nigéria en vue d'y régulariser la situation, ce qui, si j'ai bien compris, était l'objet de la motion.

[Français]

Monsieur Paré, madame Debien, vous êtes d'accord?

Mme Debien: Je vous avoue, monsieur le président, que nous avions...

Le président: Oui. Je rappellerai très brièvement que nous avons adopté au mois de décembre une résolution déclarant l'intérêt de ce comité en ce qui a trait au Nigeria et incitant le gouvernement à agir sur le plan international de sorte que la situation se règle là-bas. M. LeBlanc nous a demandé si nous pouvions réaffirmer au nom du comité notre déclaration du mois de décembre pour que le ministre annonce cette décision au cours de la semaine prochaine. Ce serait une sorte d'appui des parlementaires à l'action du gouvernement. Merci.

M. Paré: Je suis tout à fait d'accord.

Le président: Donc, nous avons adopté une résolution à l'unanimité.

M. LeBlanc: Monsieur le président, il serait aussi apprécié que vous transmettiez cet engagement du comité dans une lettre adressée au ministre. Cela pourrait être utile. Merci.

[Traduction]

Second point, des nouvelles troublantes nous sont parvenues du Proche-Orient, ce matin. Je tiens à en informer le comité parce qu'il les entendra de toute façon lorsqu'il quittera la salle.

J'ai le regret d'annoncer qu'Israël, ce matin, dans le cadre de sa campagne au Liban, a par erreur bombardé un camp de réfugiés civils des Nations Unies. Quelque 68 personnes, y compris des enfants, seraient mortes. Il semble que ce soit une erreur, mais elle n'en est pas moins très regrettable. Le ministre a fait savoir que la situation le préoccupait et il a vivement renouvelé ses appels en vue d'un cessez-le-feu au Proche-Orient. Je crois savoir que le Conseil de sécurité des Nations Unies tient une réunion extraordinaire pour étudier la question.

Je tenais à en informer le comité, car, si nous passons toute la matinée dans la salle, nous ne serons pas au courant de ce qui s'est produit. Il s'agit d'un incident extrêmement regrettable. Nous en entendrons parler bien davantage lorsque nous quitterons la salle, cet après-midi.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur LeBlanc. Les membres du comité voudront peut-être prendre cela en délibéré. S'ils désirent en discuter plus tard dans la journée, lorsqu'ils auront eu le temps d'y réfléchir, nous le ferons. Je vous remercie beaucoup.

Je suspends maintenant la séance pour cinq minutes afin de nous permettre de changer de groupe de témoins. Nous entendrons ensuite notre prochain témoin, Mme Huguette Labelle.

Comme nous devons travailler sur l'heure du midi, nous avons fait préparer quelques sandwichs. Les membres du public, les témoins et les membres du comité qui ont faim n'ont qu'à aller se servir, au fond de la salle.

Mme Labelle est disposée à parler pendant que non seulement nous buvons ses paroles mais que nous nous sustentons aussi. N'hésitez donc pas à aller vous servir. La séance reprendra dans cinq minutes, lorsque Mme Labelle prendra la parole.

Je vous remercie beaucoup.

.1220

.1232

Le président: Je déclare la séance ouverte.

Avant de céder la parole à Mme Labelle, j'aimerais faire deux annonces au comité.

Avant de suspendre les travaux, nous étions en train de discuter de la motion qu'avait antérieurement adoptée le comité en ce qui concerne le Nigéria. Étant donné l'importance de la question, il serait bon de rappeler aux membres le texte de la motion qui a été adoptée le jeudi, 14 décembre de l'an dernier. Par conséquent, la motion, proposée par M. Lastewka, disait:

La motion avait été adoptée à l'unanimité. Je la reprendrai dans une lettre que j'adresserai au ministre aujourd'hui afin qu'il l'ait avec lui à Londres.

De plus, les membres ont discuté entre eux durant la courte pause. Étant donné la malheureuse évolution de la situation au Proche-Orient, ce matin, et le tragique bombardement d'un camp de réfugiés, les membres du comité jugent qu'une rencontre avec des fonctionnaires du ministère s'impose la semaine prochaine pour être informés de ce qui se passe dans cette région, de la position canadienne à cet égard et des moyens que nous prenons pour faciliter une résolution pacifique du conflit. Dès que nous aurons réussi à organiser une réunion d'une heure, par exemple, à cette fin, les membres du comité en seront avisés.

.1235

[Français]

M. Paré nous a dit qu'il était d'accord. Il y a donc consentement unanime des membres du comité pour qu'on procède.

[Traduction]

C'est avec grand plaisir que je demande à madame Labelle, présidente de l'Agence canadienne de développement international, de prendre la parole.

Mme Huguette Labelle (présidente, Agence canadienne de développement international): Je vous remercie, monsieur le président.

Je tiens à remercier le comité et le CCCI d'avoir pris le temps d'étudier ce très important sujet aujourd'hui et d'avoir pris l'initiative. La question revêt une grande importance pour le Canada et pour le monde entier.

Ce matin, vous avez entendu un exposé très intéressant sur l'analyse de l'opinion canadienne, certes, du moins en termes de sondages. Nous avons appris que les nouvelles étaient à la fois bonnes et mauvaises.

Nous avons suivi l'évolution de cette question. D'une part, nous savons qu'environ un tiers de la population canadienne est fortement en faveur de la coopération internationale, qu'un autre tiers l'appuie quelque peu et, naturellement, qu'un autre tiers ne s'y intéresse pas du tout.

C'est plutôt paradoxal, parce qu'un des sondages effectués l'an dernier - j'ignore s'il en a été question ce matin - a permis de constater que neuf Canadiens sur dix continuent de croire que le Canada devrait maintenir un programme d'aide. Pourtant, bien sûr, lorsqu'ils sont interrogés au sujet du déficit au Canada, nos concitoyens préfèrent, par une majorité de trois à un, que nous réglions nos propres problèmes budgétaires avant de voir à l'aide internationale.

Avec votre permission, j'aimerais ne pas trop m'attarder à certains aspects du message afin de laisser plus de temps à la discussion. Cependant, j'aimerais m'arrêter à la raison pour laquelle il importe pour nous et pour les Canadiens de participer. Je suis certaine qu'Ian Smillie vous en a lui aussi parlé ce matin. Ensuite, je décrirai aux membres du comité ce que nous sommes en train de faire et ce que nous prévoyons faire à l'ACDI, afin de savoir si cela vous semble sensé. Que faisons-nous de mal? Dans quels autres domaines devrions-nous, de même que nos partenaires, nous montrer plus vigilants?

Le Canada coopère avec des pays en développement depuis longtemps. Nous avons un engagement à long terme. Le Canada est encore perçu comme la voix de la raison, comme un pays sans rêve d'hégémonie qui a prouvé qu'il peut, sur le plan bilatéral comme multilatéral, très bien jouer le rôle d'appui pour aider les plus démunis.

.1240

Lorsqu'on s'interroge sur les moyens d'aider les Canadiens à mieux saisir l'importance de la coopération internationale, je suis d'accord avec de nombreuses personnes qui ont affirmé qu'il ne suffit pas de dire que nous devons aider ceux qui ont moins. Bien que cela représente un volet important du message de demain tout comme du message d'aujourd'hui, il faut aussi s'arrêter aux multiples incidences qu'a la coopération internationale sur le monde et sur nous-mêmes en tant que Canadiens afin de faire comprendre à ceux-ci ce dont il est question.

[Français]

Donc, il est évident que ce que le Canada a fait, c'est-à-dire être là pour aider les autres, est toujours très important. Cette solidarité humaine, cette entraide humaine est toujours, pour nous, une partie importante du message.

Deuxièmement, il est également évident qu'il faut soutenir la politique étrangère parce que notre sécurité personnelle, familiale, et communautaire, comme celle de notre pays et de la planète, dépendent beaucoup de notre développement et de celui d'autres pays, notamment des pays en voie de développement. On a soulevé ce matin le fait que 80 p. 100 de la population mondiale demeure dans ces pays et que 90 p. 100 des enfants qui naissent, naissent dans des pays en voie de développement.

[Traduction]

Une troisième dimension du message est que notre santé est directement tributaire de la santé de la planète, de la santé des personnes qui l'habitent. Nous ne parlons pas ici simplement d'environnement, qui est tout de même un aspect très important, mais aussi d'aspects directs de la santé, qu'il s'agisse du sida, de la recrudescence de la tuberculose, et ainsi de suite. Autre dimension du message, notre interdépendance est vitale non seulement pour nous aider à façonner et à remodeler le monde, mais aussi pour construire et refaire notre propre pays.

Un autre aspect qu'il ne faut bien sûr pas oublier concerne les retombées économiques pour le Canada. Nous en avons déjà parlé par le passé, monsieur le président, soit des emplois, tant directs qu'indirects, et du réseau bien établi de relations qui a tant d'importance dans la façon dont nous travaillons avec d'autres pays, les Nations Unies et l'Otan, la Banque mondiale et d'autres organismes. Ces relations influent aussi sur nos liens bilatéraux avec d'autres pays.

[Français]

En regardant la programmation que nous avons à l'ACDI actuellement, on peut constater qu'elle est axée sur trois différents aspects. D'abord, on se dit que plus les Canadiens participeront à l'oeuvre de coopération internationale, mieux ils seront informés et mieux ils comprendront les enjeux dont nous parlons. Il est important de savoir que, pour livrer les programmes d'aide, nous travaillons avec des partenaires canadiens, et donc avec des milliers de Canadiens ayant des familles et des voisins, et qu'on devrait encourager ces personnes, à leur retour, à mieux partager leur expérience avec les autres Canadiens.

Deuxièmement, nous essayons aussi de faire participer les jeunes, c'est-à-dire de leur faire vivre l'expérience du développement. On ne les envoie pas toujours faire du développement dans les pays en développement, mais ils peuvent y faire de courts séjours en étant bien encadrés. Il y a d'ailleurs beaucoup d'institutions canadiennes qui collaborent avec nous dans ce genre de travail, qui a donné des résultats très satisfaisants dans les années passées, et nous recommandons qu'on poursuive ces programmes.

Tout à l'heure, Carole Beaulieu, de L'Actualité, parlait des associations professionnelles et des journalistes. Je suis convaincue, comme elle, qu'une troisième dimension est de continuer à appuyer nos journalistes canadiens, surtout les jeunes journalistes qui démarrent, pour qu'ils aient une expérience dans le monde en développement, ce qui leur servira dans la suite de leur carrière.

.1245

[Traduction]

En quatrième lieu, nous essayons, au moyen de la télévision, de vidéos, de films, de journaux et ainsi de suite, d'aider les Canadiens à voir la réalité et à la comprendre.

Cette année, nous avons repensé de fond en comble notre Programme d'information sur le développement. Plutôt que de chercher à rejoindre nos partenaires, nous invitons ceux-ci à venir à nous. Nous avons obtenu de très bons résultats jusqu'ici. Nous avons eu un meilleur choix que nous ne l'aurions eu autrement, parce que nous pouvions compter sur la créativité des nombreuses personnes qui nous ont soumis des propositions. Des 108 propositions reçues, nous en avons retenu 20.

L'an dernier, nous avons aussi fait appel à d'autres moyens pour rejoindre les gens dans la presse écrite: nous avons fait insérer des encarts dans des publications comme Homemakers, Madame au foyer, Maclean's, L'actualité, The Financial Post et le Journal of Commerce qui doit paraître bientôt. Nous avons ainsi tenté de faire raconter aux Canadiens, dans leurs foyers, par des ressortissants de pays en développement ou par nos partenaires - nous le faisons avec nos partenaires - les réussites et comment on s'y était pris.

En guise d'exemple, en partenariat avec l'Association canadienne de santé publique, nous avons parrainé une série de messages à l'intention des parents et des enfants dans le très populaire magazine Today's Parent, qui est tiré à 800 000 exemplaires, ce qui est énorme. Nous cherchons de meilleurs moyens de décrire de façon plus vivante aux Canadiens ce qui se passe dans ces nombreux pays du monde où nous mettons tous l'épaule à la roue.

Inspirés en grande mesure par votre comité, nous avons porté davantage attention aux parlementaires. Comme vous le savez, nous publions maintenant un très bref bulletin mensuel intitulé Développements. Nous allons publier prochainement une fiche d'information de format poche destiné aux parlementaires qui, lorsqu'on leur pose des questions sur ce que fait le Canada, auront à portée de la main des renseignements factuels de base. Naturellement, nous fournissons aux députés, sur demande, des informations qu'ils peuvent reproduire dans leur propre bulletin parlementaire.

Cette année, nous avons aussi commencé à produire à l'intention des journalistes les Nouvelles de l'ACDI, simplement pour annoncer à l'avance certains événements prévus sur la scène de la coopération internationale. On nous dit que cette publication est utile. Bien sûr, nous faisons toujours bon accueil aux suggestions à ce chapitre. Nous avons fait une diffusion beaucoup plus générale d'exposés de principe que nous avons préparés, bien que ces documents ne s'adressent habituellement pas au grand public, mais plutôt à ceux qui travaillent dans le domaine.

Comme de nombreux autres, nous avons appuyé la Minute du patrimoine.

[Français]

Nous avons, dans la même veine, parrainé plusieurs expositions, entre autres sur le thème de l'eau à laquelle plus de 200 000 personnes ont participé. Dans le même contexte, nous avons fait Trois pays dans une valise qui a attiré 800 000 personnes au musée à Québec avant même de commencer une tournée nationale. Évidemment, nous avons Le match de la vie et La course destination monde avec nos jeunes, et on continue de miser sur ça.

Cette année, on s'est rendu compte, peut-être plus précisément qu'avant, que nous n'avions pas l'équivalent du côté anglophone. Nous devons regarder ce que nous faisons en ce moment, parce que la cote d'écoute du côté francophone, pour ces deux émissions, est d'à peu près 850 000 personnes.

.1250

Il y a un grand nombre de partenaires qui se sont joints à nous pour nous aider, mais l'important, c'était de lancer l'idée et de construire ensuite cela.

Nous avons préparé une série de six reportages radiophoniques consacrés au thème des femmes dans le développement, et cette série a été reprise par 380 stations de radio, avec un auditoire de près de 200 000 personnes.

Voilà donc les moyens dont nous nous sommes servis pour amener la conscience du développement chez les Canadiens. Je ne vous en ai pas fait la liste, mais je vous ai donné quelques éléments qu'il était important de partager avec vous pour vous donner une idée de ce que nous faisons.

[Traduction]

Pour ce qui est de notre action future, il serait très intéressant d'examiner les résultats de la discussion d'aujourd'hui. Cependant, j'ai quelques commentaires à ajouter. Assurément, il faut que l'ACDI se concerte davantage avec ses partenaires canadiens afin d'éviter la confusion des messages, de veiller à ce que la contribution de chacun soit complémentaire et de s'entraider. À mon avis, les messages confus sonnent faux aux oreilles des Canadiens et les laissent encore plus perplexes.

À un certain moment donné, votre comité a loué le fait que l'ACDI ait laissé tomber son Bureau des conférenciers. Nous sommes maintenant en train de le relancer. Nous y ferons très largement appel pour parler aux Canadiens, où qu'ils se trouvent au Canada. Encore une fois, nous comptons sur l'aide de nos partenaires canadiens.

J'aimerais aussi dire quelques mots au sujet de l'électronique. L'ACDI dispose maintenant d'un site Web sur Internet. Nous voyons là de nombreuses possibilités pour diffuser des récits de réussite en matière de développement et, espère-t-on, convaincre ceux avec lesquels nous travaillons dans les pays en développement de nous faire part de leur expérience sur Internet. Nous envisageons aussi la possibilité d'utiliser des CD-ROM pour diffuser des «informations divertissantes».

Le branchement des établissements d'enseignement à Internet - le Réseau électronique scolaire - est l'occasion rêvée de travailler de concert avec les enseignants et les commissions scolaires pour offrir de la documentation utile en éducation et facilement accessible, par exemple, au milieu scolaire que ce genre d'information intéresse.

Bien des gens nous ont dit qu'il fallait encourager davantage nos partenaires. Il faut encourager les organismes qui exécutent les contrats pour l'ACDI à constamment rappeler qu'ils sont des Canadiens venant en aide à plus démunis et, par conséquent, que c'est avec l'argent des Canadiens qu'ils le font. Mais c'est aussi pour faire connaître aux Canadiens les résultats obtenus.

Dernier point, monsieur le président, au cours des 18 derniers mois, l'ACDI a entrepris de modifier de fond en comble ses programmes en vue d'adopter une approche plus axée sur des résultats concrets. Vous vous souviendrez qu'il en avait été question lorsque nous avions discuté, il y a longtemps, de rapports du vérificateur général. J'ai la ferme conviction que, pour mieux faire connaître à nous-mêmes et aux contribuables canadiens nos réalisations, il importe d'agir ainsi. Cette méthode a aussi l'avantage de rendre beaucoup plus facile la communication de l'expérience, puisque nous avons des résultats à décrire. Cette approche nous permet de plus, monsieur le président, de mieux renseigner les Canadiens sur ce que nous faisons pour leur compte dans le domaine de la coopération internationale.

.1255

[Français]

On pourrait en dire beaucoup plus long, mais je m'arrête tout de suite, car j'ai déjà beaucoup parlé. Je voudrais dire à nouveau que je suis très heureuse que ce comité ait pris cette initiative aujourd'hui. Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Labelle.

[Traduction]

En raison de ce que vous avez dit au sujet de l'autoroute de l'information dont vous faites désormais partie, j'aimerais attirer l'attention des membres du comité et du public présent au fait que l'ACDI a installé du matériel informatique à l'arrière de la salle. Ceux que cela intéresse pourront assister à une démonstration du site Internet, durant la pause.

L'idée n'est peut-être pas venue du comité, madame Labelle, comme d'autres dont vous nous avez parlé.

Mme Labelle: Il nous arrive d'avoir des idées, nous aussi. Celle-là avait longuement mûri.

[Français]

Le président: Monsieur Paré.

M. Paré: Madame Labelle, l'an passé, à la suite des coupures, vous nous aviez annoncé que vous aviez l'intention de créer un petit budget de 14 millions de dollars qui serait dévolu aux ONG plus petites qui maintenaient quand même des projets outre-mer. Si mon information est bonne, le budget n'a pas été entièrement dépensé. On aurait dépensé 10 millions de dollars et il en resterait donc quatre millions.

Étant donné que le ministre a parlé ce matin de l'importance de sensibiliser le public canadien, serait-il possible d'envisager que ce budget de quatre millions de dollars, qui semble un surplus, puisse être réinvesti dans le PPP, le programme de participation publique, compte tenu de l'importance qu'il a et qu'il avait?

Mme Labelle: Monsieur Paré, je voudrais dire deux choses. Tout d'abord, une partie de ces quatre millions de dollars est partiellement engagée pour les petites ONG dans le secteur de l'environnement. Au mois de mars, nous avons évalué, avec le comité, les propositions qui avaient été faites et nous nous sommes mis d'accord pour mettre de côté cette somme d'argent en attendant que les projets soumis dans ce secteur soient évalués et que les décisions soient prises.

Mais il restera peut-être encore une petite somme. Je dois revoir avec M. Pettigrew, notre nouveau ministre, ses priorités et la question du développement. D'ailleurs, la question de l'éducation en développement sera sûrement abordée aussi. Nous devons commencer à prévoir les réductions budgétaires de 6 p. 100 de 1997-1998 et celles qui s'y ajouteront en 1998-1999. Nous voulons donc nous assurer que nous pouvons planifier pour cette année, mais aussi à long terme. Je sais que M. Pettigrew accorde beaucoup d'importance - il vous l'a mentionné ce matin et nous en avons discuté - à ce que nous pouvons faire pour aider les Canadiens à mieux comprendre ce que nous faisons et l'importance du développement international.

Il est peut-être un peu tôt aujourd'hui pour commenter plus longuement, monsieur Paré, mais je retiens votre suggestion, parce qu'une partie de ces quatre millions de dollars ne sera pas utilisée pour l'environnement.

M. Paré: J'ai une toute petite question complémentaire, et ce sera la dernière. Quel est le niveau du budget des communications de l'Agence canadienne de développement international, et est-ce que ce budget-là a été augmenté pour cette année?

Mme Labelle: Nous avons différentes choses. Tout d'abord, dans le secteur des communications, il y a un programme appelé le Programme d'information sur le développement. C'est un programme qui a subi des coupures, comme d'autres programmes de l'ACDI. Le budget de ce programme, qui était de 5 millions de dollars, a été réduit - je crois, mais ne me citez pas - à3 millions et demi de dollars.

.1300

C'est à cause de toutes les coupures de ces dernières années. Donc, ce budget existe toujours, mais il est moins important.

Du côté des communications, je vais vous dire ce que nous avons fait pour faire face aux coupures de l'an passé. Nous avions, dans ce domaine, un grand nombre de consultants sur place. Ils faisaient un excellent travail, mais ils étaient sur place et occupaient nos locaux et donc de l'espace et de l'équipement. Depuis que nous avons réduit d'une manière dramatique le budget de ce secteur, nous continuons, évidemment, à travailler avec des consultants, mais ces derniers travaillent là où ils sont afin de nous aider à diminuer nos coûts de ce côté-là.

Monsieur Paré, avant mon départ, je vais m'assurer que j'ai le montant exact du budget des communications et essayer de vous le donner.

Le président: Merci, madame Labelle.

[Traduction]

Monsieur Shepherd.

M. Shepherd (Durham): Nous parlons ici, dans une certaine mesure, d'impression. Sur ce plan, les pays que nous ciblons me préoccupent. Deux me viennent facilement à l'esprit: la Grenade et, de tous les pays du monde, les Turks et Caicos. Ces deux pays ne perçoivent pas d'impôt sur le revenu de leurs particuliers. De diverses sources, nous entendons dire qu'une classe de riches est en train de s'y former. Est-il raisonnable de demander à des contribuables canadiens de subventionner ce genre de programmes d'aide, quand les citoyens mêmes de ces pays ne semblent pas y contribuer?

Mme Labelle: Naturellement, dans la plupart des pays en développement, il n'existait pas d'impôt sur le revenu des particuliers ou de taxe à valeur ajoutée sur les biens et services parce que les gens n'avaient pas la capacité d'en payer. Nous constatons maintenant, parce qu'ils nous demandent notre aide, qu'un grand nombre de ces pays sont en train de se doter d'un régime fiscal, d'améliorer ou de modifier leur capacité de percevoir des impôts et qu'ils sont en train de le faire de manière à obtenir les résultats recherchés.

Ainsi, l'Inde est un pays qui reçoit l'aide de notre ministère du Revenu dans ce domaine. Indubitablement, quand un pays atteint un stade de développement raisonnable et qu'il n'utilise pas ses propres ressources pour soutenir ses programmes, il faut mettre en question la nécessité de l'aider. Le plus souvent, nous réduisons de manière draconienne l'aide consentie afin de la rediriger vers les couches les plus pauvres de cette société ou nous nous retirons complètement du pays. Ce n'est que juste pour nos contribuables canadiens.

M. Shepherd: Encore une fois, la question que je vous pose porte sur des impressions. Il me semble, dans le budget, qu'en termes de pourcentage du PIB, le Canada dépense 60 p. 100 de plus que les États-Unis, 30 p. 100 de plus que la Grande-Bretagne et 30 p. 100 de plus que l'Australie dans ce domaine. Je reviens tout juste d'une visite aux Nations Unies où j'ai appris que les États-Unis ne payaient pas leur quote-part et qu'on devait 250 millions de dollars au Canada à ce titre.

Le niveau actuel d'aide que consent notre pays est-il raisonnable, compte tenu de sa dette et de son déficit?

Mme Labelle: Nous effectuons constamment des études comparatives. Il existe deux façons de le faire: calculer l'aide en fonction du volume ou la calculer en termes de pourcentage du PIB. En ce qui concerne le volume, bien sûr, le Japon est nettement en tête, suivi des États-Unis, de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, tout comme de l'Union européenne, mais il s'agit-là d'une institution quasi multilatérale. Dans la liste des pays, le Canada se place au neuvième rang et s'apprête à passer au dixième.

.1305

Quant au pourcentage du PIB, les pays comme le Japon qui ont connu une appréciation vertigineuse de leur monnaie ou une forte croissance se classeraient vers le bas de l'échelle, au 21e ou au 22e rang, si leur contribution était calculée en fonction du PIB. Ceux qui font la plus forte contribution en ces termes sont les pays nordiques, comme la Suède et la Norvège, ainsi que les Pays-Bas. Les pays comme la France se hissent de plus en plus haut dans les rangs parce qu'ils n'ont pas, jusqu'ici, réduit sensiblement l'aide consentie en matière de coopération internationale. La Grande-Bretagne, qui avait considérablement diminué son aide, est en train de l'accroître.

Il est très difficile de dire ce qui est raisonnable. Quelle part des recettes de l'État les Canadiens veulent-ils consacrer à l'aide? Il faut toujours se demander ce qu'on en retire. Cependant, j'estime que de plus en plus de Canadiens sont conscients de notre interdépendance. Ils savent que, s'il y a des problèmes ailleurs, nos frontières ne sont pas étanches et qu'un jour ou l'autre, nous serons affectés, nous aussi.

M. Shepherd: Vous avez mentionné les rapports du vérificateur général. En rapport avec la dette et le déficit du Canada, le vérificateur général avait aussi fait observer que le Canada pourrait bien ne pas pouvoir assumer ceux-ci, qu'il pourrait bien ne pas pouvoir continuer de soutenir ce niveau d'endettement. En d'autres mots, il parle d'un effondrement des finances publiques si nous ne voyons pas au problème au plus tôt. Vu de cet angle...

Mme Labelle: Monsieur le président, la coopération internationale a fait plus que sa part en vue de réduire le déficit. En 1998-1999, plus de 30 p. 100 de ce budget auront été amputés par tranches successives depuis 1993-1994. Même avant cela, elle avait déjà absorbé des compressions. La question de savoir si l'aide est raisonnable est donc une autre paire de manches. On a puisé lourdement dans ces ressources pour s'attaquer au très important problème du déficit qui, de l'avis de tous, doit être éliminé.

Le président: Madame Labelle, je vous remercie. Je cède maintenant la parole à M. Morrison, puis à M. LeBlanc et à M. Flis.

M. Morrison: J'aimerais poursuivre dans la foulée de ce qu'a dit M. Shepherd.

Lors d'une de vos comparutions antérieures devant notre comité, vous avez précisé que l'ACDI avait pour mandat essentiel d'aider les plus pauvres des pauvres. Pourtant, le plus important bénéficiaire de l'aide canadienne est la Chine, que l'on peut difficilement ranger parmi les plus pauvres des pauvres. Ainsi, le Canada lui verse 162 millions de dollars par année. Elle a une économie beaucoup plus importante que la nôtre, si je ne fais pas erreur. Elle connaît la croissance la plus rapide du monde actuellement.

J'ai la bizarre impression que cette aide de 162 millions de dollars par année est essentiellement versée en vue d'encourager les bureaucrates chinois à commercer avec le Canada, qu'elle sert à ouvrir des portes à nos missions commerciales. Je ne conçois pas cela comme relevant du mandat de l'ACDI. Les Canadiens voient cela d'un très mauvais oeil.

De la même façon, nous faisons des dons plutôt importants en Indonésie, autre pays qui, sur le plan des ressources naturelles, est l'un des mieux nantis du monde. Il est peut-être mal administré, mais il n'est assurément pas pauvre. Encore une fois, nous cherchons à protéger notre position commerciale et nos investissements là-bas.

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Qu'en pensez-vous? Êtes-vous à l'aise avec cette utilisation particulière de notre aide ou en contestez-vous quoi que ce soit?

Mme Labelle: Monsieur Morrison, vous vous souvenez que, dans notre politique étrangère, nous avions mentionné à l'époque qu'environ 70 p. 100 de notre budget étaient dirigés vers 28 à 29 pays environ. Suivait, naturellement, tout un éventail de pays bénéficiant d'une aide beaucoup plus faible.

Le deuxième point était qu'une part importante de notre budget devrait être réservée aux pays les plus pauvres. Je crois que c'est là la politique. C'est ce à quoi s'attendent les Canadiens, selon moi, certes d'après les nombreux échanges que votre comité a eus avec des Canadiens un peu partout au pays. Évidemment, le stade de développement des pays varie énormément, allant de ceux qui se classent parmi les cinq derniers sur le plan de la performance économique et du bien-être à d'autres dont la performance économique est meilleure, mais où sévit quand même beaucoup de pauvreté. Bien sûr, il y a ceux aussi qui sont en période de transition et sur le point de ne plus avoir besoin d'aide.

La Chine cadre parfaitement avec le groupe qui a une bonne croissance économique mais dont une grande partie de la population vit dans la pauvreté. La Chine continue d'éprouver de graves difficultés de sécurité alimentaire. Sa population, bien qu'elle soit contenue, continue de croître et représente un problème environnemental de taille.

Je suis à l'aise avec les domaines dans lesquels nous coopérons avec la Chine, car nous l'aidons à adopter des moyens de production propres, à dépolluer ses eaux pour que celles-ci soient sans danger. Nous l'aidons dans le secteur énergétique essentiel pour qu'elle tire un meilleur rendement énergétique de ses ressources plutôt que de continuer à construire plus de centrales. Nous l'aidons aussi à adopter d'autres combustibles que le charbon pour produire son énergie, car ce combustible est extrêmement polluant.

Nous l'aidons enfin dans le secteur de la santé et de l'éducation. Nous travaillons sur plusieurs fronts à la fois, mais ce sont-là les grands secteurs. Dans un pays comme la Chine, l'important est de faire ce que nous faisons, soit de repérer ce qui pourrait améliorer la qualité de vie et réduire la pauvreté de ceux qui continuent de vivre dans une grande indigence. À mesure qu'évolue le pays, nous commençons à réduire notre appui, en fonction de sa capacité de redistribuer la richesse de façon plus uniforme. Toutefois, ce développement est très récent.

Le président: Je vous remercie beaucoup. Monsieur LeBlanc, à vous la parole.

M. LeBlanc: Madame Labelle...

Le président: Monsieur LeBlanc, je suis désolé; veuillez m'excuser. M. Morrison avait une question supplémentaire et il nous reste suffisamment de temps... Je ne voulais pas vous interrompre.

M. Morrison: Je vous remercie de votre patience, monsieur le président.

Madame Labelle, il y a une contradiction dans votre réponse, car vous mentionnez que cette aide à la Chine est en grande partie consacrée à des questions particulières de protection environnementale et à améliorer la qualité de vie de la population en général. Juste à côté de la Chine se trouve la Mongolie, qui éprouve essentiellement les mêmes difficultés. C'est un pays désespérément pauvre. Son régime démocratique tente de se rétablir de 70 années d'exploitation par son voisin. Or, nous ne consentons pas d'aide à la Mongolie. Rien n'est prévu pour elle.

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Le fait me semble plutôt étrange, sauf si on l'examine sous l'angle que je soupçonne être celui du gouvernement du Canada, soit que nous n'avons pas vraiment besoin de la Mongolie. Le gouvernement du Canada semble croire qu'il nous faut vraiment faire des courbettes à la Chine. Avez-vous d'autres observations à nous faire à ce sujet? Pourquoi la Chine si puissante mérite-t-elle notre aide alors que la Mongolie, qui se trouve juste à côté, est exclue?

Mme Labelle: Monsieur le président, le choix des pays auxquels nous consentons notre aide relève en fait de la politique étrangère. Toutefois, je dois ajouter que, chaque année, nous avons passé en revue avec nos ministres successifs le niveau de fonds dont nous disposions et le niveau de ressources par pays, et nous décidions quels pays aider, parmi les plus pauvres ou très pauvres.

La Mongolie est l'un des pays qui fait l'objet d'un examen périodique. C'est la politique étrangère qui déterminera si nous l'ajoutons à la liste des pays recevant de l'aide.

M. Morrison: Je sais où vous pouvez trouver 162 millions de dollars.

Le président: Voilà une aide fort intéressante pour la Mongolie, monsieur Morrison, si elle est calculée en fonction de sa population.

Monsieur LeBlanc.

[Français]

M. LeBlanc: Madame Labelle, comme vous le savez, le thème de notre forum est la sensibilisation du public aux questions liées au développement international. Une des observations que vous avez faites dans vos propos d'ouverture, c'est qu'un facteur important dans la sensibilisation du public est l'expérience directe avec le développement, d'une manière ou d'une autre. Je pense notamment à un jeune qui a participé à un stage dans le Tiers monde ou a participé à une levée de fonds pour un projet lié à l'aide au Tiers monde. Il y a aussi le fait que la communauté ou une partie de la communauté se compose d'immigrants reçus qui viennent du Tiers monde.

Cependant, cette observation, sur laquelle je suis entièrement d'accord et qui est un thème qui a été répété dans les propos des témoins qui ont comparu ce matin devant nous, soulève chez moi un certain paradoxe, et j'aimerais vous demander de commenter à ce sujet.

Étant donné qu'au cours des dernières années, le nombre de Canadiens touchés par le Tiers monde en particulier et le monde en général, grâce à ces différentes voies d'interaction, a augmenté en nombre absolu et en termes de pourcentage de la population, ne trouvez-vous pas un peu paradoxal que plus les Canadiens sont en contact avec le monde en voie de développement et plus ils sont informés, moins ils semblent être prêts à fournir leur appui à l'aide aux pays en voie de développement? C'est ma première question.

Ma deuxième question est reliée à ce qui précède. Est-ce que l'ACDI essaie de faire un genre de distinction entre l'appui au développement et notre contribution aux pays en voie de développement avec les Canadiens qui ont déjà vécu une certaine expérience du monde en voie de développement par comparaison avec les Canadiens qui n'ont pas vécu cette même expérience, et est-ce que cela pourrait nous aider à rendre plus efficaces nos efforts de sensibilisation?

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Il me semble qu'il faut essayer de mieux comprendre les facteurs qui font en sorte que les Canadiens appuient des politiques gouvernementales visant à améliorer le monde en voie de développement, mais qui nécessitent l'appui de la population. La participation étant une façon de se sensibiliser, cela pourrait nous aider dans l'élaboration de nos programmes. Je vous demande de commenter sur ces observations.

Mme Labelle: En ce qui concerne le paradoxe, la réponse est contenue dans l'énoncé de votre deuxième question, à savoir que l'on devrait essayer de voir si ceux qui ont vécu une expérience à l'étranger pensent différemment. Monsieur LeBlanc, je retiens cette suggestion parce qu'elle est très importante pour mieux comprendre les choses. Dans les questionnaires à venir concernant l'opinion publique au Canada, on devrait essayer de voir si cette corrélation existe.

Je pense aussi que les Canadiens sont bien informés par la télévision, par CNN, etc. Ils sont surtout informés des situations de crise, comme ce qui se passe en Israël par exemple, situation que vous avez commentée et partagée avec ce comité à midi. Il me semble aussi que les Canadiens croient encore que le gouvernement canadien, par l'intermédiaire de l'ACDI, met ses ressources entre les mains de gouvernements qui, à leur tour, en font un peu ce qu'ils veulent. Évidemment, ce n'est pas comme ça que les choses fonctionnent. On s'entend sur les besoins et les priorités et sur une programmation, mais ensuite, comme vous le savez, on a recours à nos partenaires canadiens pour livrer l'aide dans le cadre de projets bien spécifiques.

Mais il y a encore beaucoup d'impressions, fondées ou non, qui existent encore, pour toutes sortes de raisons, et on doit trouver les moyens de les changer. Ce n'est pas facile parce que tous les gens veulent savoir ce que nous faisons et nous entendre. Je dois vous dire que, depuis quelques années, je réunis chaque semaine des petits groupes de Canadiens, une trentaine de personnes en général, avec lesquels je partage ce que nous faisons. Cela a connu un grand succès. Nous avons ainsi l'occasion d'échanger des idées, de répondre à leurs questions, de clarifier les choses et de leur donner de la documentation. Je trouve que ça donne de bons résultats, mais ce ne sont que des petits groupes. On ne rejoint pas la masse.

Pour répondre à votre première question, d'après notre première analyse, ceux qui ont vécu une expérience à l'étranger reviennent normalement très changés, avec une compréhension différente de l'importance du rôle que le Canada peut jouer.

[Traduction]

Le président: Monsieur Flis.

M. Flis: Ce que les ONG et la présidente nous ont dit au sujet des efforts déployés pour sensibiliser les Canadiens à leurs travaux de développement international m'a beaucoup impressionné, monsieur le président. Pourtant, le message n'atteint pas ceux auxquels il est destiné. Je me demande si l'ACDI, entre autres, a étudié ce que faisaient nos écoles secondaires pour intégrer le développement international dans leurs programmes d'études.

Tous les Canadiens ne font pas des études universitaires. Cependant, un nombre de plus en plus grand d'entre eux terminent leurs études secondaires. L'histoire et la géographie sont maintenant des matières obligatoires en neuvième et en dixième année. J'ai quitté l'éducation depuis trop longtemps pour savoir ce que comportent leurs programmes d'études, mais ne serait-il pas sage, plutôt que de verser des fonds supplémentaires... l'infrastructure existe, et chaque diplômé serait sensibilisé au développement international...

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Comme recommandation concrète, monsieur le président, le comité pourrait peut-être, à la fin du processus, écrire à chaque ministre de l'Éducation pour lui demander de le renseigner sur ce que prévoit le programme d'études provincial en matière de développement international. La lettre pouvait aussi être envoyée par l'ACDI, ou encore conjointement. La journée d'aujourd'hui est consacrée à un sujet très important. Étant donné tous les talents et les ressources réunis ici, nous pourrions peut-être faire cela.

Mme Labelle: Monsieur le président, l'idée est excellente.

Sachez aussi que la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants a, avec l'appui de l'ACDI, beaucoup fait par le passé pour concevoir un programme d'études qui aiderait les étudiants de niveaux secondaire et primaire à mieux comprendre leur place dans le monde et ce qui s'y produit.

L'envoi d'une note de recommandation appuyant la poursuite de ces travaux et leur mise en oeuvre serait bien reçu de la Fédération et des nombreux enseignants qui ont tant travaillé à ce projet.

M. Flis: En guise de conclusion, j'aimerais féliciter l'ACDI de son initiative sur Internet. Durant le déjeuner, M. Maitland m'en a fait une brève démonstration. J'espère que vous aurez plus de ressources pour la développer. Vous avez déjà mentionné un branchement avec le réseau scolaire. Il s'agit-là d'un autre important moyen de mieux sensibiliser nos étudiants à ce que nous tentons de faire.

Le président: Les témoins représentant des ONG nous ont fait, ce matin, des remarques troublantes concernant l'effet des réductions effectuées récemment dans le programme d'éducation de l'ACDI et de votre contribution aux plus petites ONG à titre d'appui à la mise en place de structures, plutôt qu'à l'exécution de programmes. Ceux d'entre nous qui connaissent la façon dont sont financées les universités ou tout autre organisme savent que la structure de base est la chose la plus difficile à financer. Il est plus facile de lever des fonds pour un programme ou pour une cause particulière. Or, sans la structure de base, il n'y aurait pas de programme. Nous sommes donc aux prises avec un dilemme.

Le commentaire qui m'inquiète et qui inquiète d'autres membres du comité, j'en suis sûr, est la suggestion selon laquelle, sous l'effet des compressions, les ONG et les programmes qui survivront auront tendance à être concentrés dans les grands centres urbains, particulièrement dans ce qu'on a appelé le triangle Montréal-Toronto-Ottawa, et que le reste du pays, qui est tout aussi important, ne recevra rien et cessera donc d'être informé en ce qui concerne l'aide et les programmes.

Qu'en pensez-vous? S'il y a effectivement un problème, l'ACDI fait-elle quelque chose pour le régler?

Mme Labelle: De toute évidence, il s'agit-là d'une préoccupation sur de nombreux fronts à l'ACDI, car, tout d'abord, cette région regroupe un plus grand pourcentage de la population. Nous étudions la question sous différents angles pour faire en sorte qu'il y ait participation équitable des Canadiens de toutes les localités, grandes et petites. Notez qu'il n'y a pas que l'Est et l'Ouest qui comptent de petites agglomérations; il y en a aussi en Ontario et au Québec.

Le budget de 14 millions de dollars dont parlait M. Paré a été prévu comme contrepoids. Cet été, ce sera la fin de la première année de fonctionnement, et nous ferons un bilan très détaillé. Pour l'instant, nous suivons l'évolution du dossier.

Il est encore trop tôt pour dire si la distribution des fonds - décidée par des pairs - sera équitable en termes de montants tout autant que de régions. Dans quelques mois, nous serons fixés sur l'impact de cette mesure particulière.

.1330

Nul doute qu'un très grand nombre de petites ONG qui effectuaient des travaux au Canada ne reçoivent plus de fonds de l'ACDI depuis les compressions budgétaires d'avril dernier. Elles éprouveront peut-être beaucoup de difficultés à poursuivre leurs travaux sans cet appui. Quand on est une petite ONG, il est très difficile de lever des fonds, comme vous le savez.

Le président: Madame Labelle, je tiens encore une fois à vous remercier d'être venue ici aujourd'hui et d'avoir répondu à nos questions avec votre franchise habituelle. Les membres vous en sont reconnaissants et vous savent gré du très important rôle que vous jouez dans la mise en oeuvre de notre politique étrangère.

Avant de suspendre les travaux, j'aimerais annoncer aux personnes ici présentes que ces délibérations seront diffusées ce soir, sur la chaîne parlementaire. Cela, c'était la bonne nouvelle. La mauvaise, maintenant: elles ne seront diffusées qu'à compter de 22 h 30. Par conséquent, si vous voulez voir Mme Labelle à la chaîne parlementaire, vous devrez attendre jusqu'à 3 h 30, demain matin. À tous les insomniaques, salut!

La séance est suspendue jusqu'à 15 h 30. Je vous remercie beaucoup.

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