Passer au contenu
Début du contenu;

1 - Le problème de l'endettement et des déficits du Canada


Le Budget de février 1995 élaboré par le ministre des Finances oriente les finances du Canada vers une nouvelle voie. Il contient des mesures qui vont progressivement réduire le déficit fédéral pour le ramener à 3 p. 100 du produit intérieur brut en 1996-1997, puis à 2 p. 100 l'année suivante. Ces décisions, auxquelles le public a grandement contribué par l'intermédiaire du Comité, ont radicalement transformé la structure des dépenses publiques du Canada. Pour cette raison, et à cause des répercussions progressivement croissantes que ces mesures budgétaires auront sur la santé financière du pays dans les années à venir, ce budget est à juste titre considéré par beaucoup comme le plus important de l'après-guerre.

La tâche du Comité cette année a été modelée par le succès de ce budget. Elle consistait essentiellement à consolider les acquis et à offrir une fois encore aux Canadiens, dans les limites du nouveau cadre budgétaire, la possibilité d'orienter le prochain budget.

Le Comité s'est rendu compte que les déficits et la dette cumulée du gouvernement fédéral continuent de susciter des inquiétudes. Il vaut d'ailleurs la peine de rappeler d'entrée de jeu certains faits concernant la dette nationale.

L'énigme de la dette

Au niveau du particulier, la notion de dette est simple et facile à comprendre. Il n'en va cependant pas de même pour la dette de l'État. Les éléments essentiels de l'ornière dans laquelle nous sommes embourbés sont clairs :

Pourtant, même ces chiffres ne donnent pas une idée de l'énormité du problème. Une multitude de facteurs - économiques, sociaux, politiques à caractère national ou international - sont à l'origine de nos difficultés. Il faudra une grande détermination et une grande constance pour résoudre le problème.

L'arithmétique de l'intérêt sur la dette


«Le problème fondamental en ce qui concerne la politique écono mique tient, non pas au déficit ni au niveau d'endettement annuel par rapport au PIB, mais à l'impor tance de la dette par rapport à notre capacité à en assurer le service. Tout le monde semble le recon naître. Cela est ressorti très claire ment du rapport que votre comité a présenté l'an dernier. ... L'objectif optimal de la politique financière doit être modifié. Au lieu de viser un ratio déficit-PNB de 3 p. 100 en 1996-1997, nous devrions cibler un objectif optimal dans l'ordre de55 p. 100 à 60 p. 100 dans quelques années. Dans le prochain budget, nous devons viser un ratio dette- PNB de 71 p. 100 pour 1997-1998.»
Dale Orr, président, Comité de la politique économique, Chambre de commerce du Canada.

Dans son rapport de 1994 au Parlement, le vérificateur général écrivait ce qui suit au sujet de l'arithmétique actuelle de la dette du Canada : «... la dette croît plus rapidement que l'assiette fiscale de laquelle le gouvernement tire ses recettes». Depuis 1977, le déficit annuel de l'administration fédérale n'a jamais été inférieur à 4 p. 100 du PIB et il a grimpé jusqu'à 8,7 p. 100 (en 1985). Même durant les années fastes du milieu des années 80, l'économie nationale (le PIB) n'a jamais progressé plus rapidement que la dette. Cette relation mathématique persiste toujours. La dette fédérale nette représente environ les trois quarts de la production économique annuelle.

Ces considérations ont forcément un impact sur l'élaboration du budget de l'État, car il ne suffit pas que les recettes soient égales aux dépenses de programme : cela n'empêchera pas la dette totale de grossir. En effet, même si les recettes fiscales dépassent les dépenses de programme, c'est-à-dire si nous avons un excédent de fonctionnement, la dette continuera de croître tant que les recettes ne seront pas égales aux dépenses totales (budget équilibré).

L'arithmétique impose une autre contrainte aux gouvernements : temporiser coûte cher. Plus on attend pour agir, plus les mesures qu'il faudra prendre devront être draconiennes pour réussir à corriger le problème. C'est cette logique implacable qui a amené le Comité à formuler les recommandations contenues dans son rapport de l'an dernier et qui ont été incorporées au Budget de 1995.

Comparaisons internationales

Le Canada n'est certes pas le seul pays à être lourdement endetté, mais notre situation présente des caractéristiques uniques qui appelleront peut-être des solutions uniques. Parmi les pays du G-7, le Canada est au second rang pour le montant de sa dette et le rapport de celle-ci au PIB. C'est l'Italie qui affiche le ratio de la dette au PIB le plus élevé. Ses taux d'intérêt sur les obligations à long terme dépassent 11 p. 100. De tous les pays du G-7, le Canada est de loin celui où le rapport de la dette extérieure au PIB est le plus élevé. La dette extérieure du Canada étant élevée et continuant d'augmenter, davantage de revenus canadiens sont versés à des étrangers pour assurer le service de cette dette, ce qui abaisse le niveau de vie.

A. Les règles de Maastricht

À en juger par diverses mesures, le Canada se trouve dans une piètre situation financière. Prenons par exemple les règles issues du Traité de Maastricht concernant le déficit et l'endettement, auxquelles les pays de l'Union européenne seront tenus de se conformer à partir du 1er janvier 1997 : le déficit du secteur public ne devra pas dépasser 3 p. 100 du PIB et la dette nette totale du secteur public devra représenter au plus 60 p. 100 du PIB. Le Canada, à l'instar de la plupart des pays de l'Union européenne, ne répond à aucune de ces deux normes. Les mesures annoncées dans les deux derniers budgets, et probablement dans celui qui s'en vient, permettront bientôt au Canada de satisfaire la règle concernant le déficit, mais pour ce qui est de la dette totale, nous sommes si loin de la cible qu'il nous faudrait de nombreuses années pour réussir à nous y conformer.

B. Objectifs respectifs du Canada et des États-Unis

Le ministre des Finances a annoncé que le gouvernement entendait ramener le déficit à 2 p. 100 du PIB d'ici au 31 mars 1998. À ce niveau-là, les besoins financiers du gouvernement fédéral (ce qu'il doit emprunter sur les marchés financiers au lieu de le financer au moyen de sources internes tels que les fonds de pensions) représenteront moins de 1 p. 100 du PIB. Or, c'est ce chiffre qui sert de mesure du déficit dans la plupart des pays, notamment aux États-Unis.

Selon l'entente budgétaire actuelle conclue aux États-Unis, le déficit sera ramené de 3 p. 100 du PIB à zéro d'ici 2002. Le déficit du Canada sera donc résorbé plus rapidement que celui des États-Unis, mais cela tient au fait que l'impératif de la réduction des dépenses était plus grand chez nous. Toutes proportions gardées, le fardeau de notre dette par rapport à notre économie représente une fois et demie celui des États-Unis et les frais de service de la dette absorbent 37 p. 100 des recettes fiscales du Canada, une proportion qui représente près du double de celle qu'affichent les États-Unis.

Réduire la dette et multiplier les choix

Comme le Comité l'avait noté l'an dernier, le gouvernement ne s'est pas engagé à la légère dans cette douloureuse opération de réduction du déficit. En effet, le gouvernement est convaincu que les difficultés financières du Canada sont telles qu'elles risquent vraiment de compromettre le mode de vie des Canadiens, avis que le Comité partage tout à fait.

La dette extérieure du Canada

L'énormité de notre dette nous fait dépendre dans une large mesure de l'épargne étrangère. La dette nette de tous les Canadiens détenue par des non-résidents dépasse maintenant les 300 milliards de dollars. Sur cette somme, plus de 110 milliards sont afférents à la dette publique fédérale. La dette extérieure du Canada représente 46 p. 100 du PIB; elle est bien plus élevée que celle des trois autres emprunteurs nets du G-7 (Italie, 11 p. 100; États-Unis, 9 p. 100; France, 1 p. 100).

Si l'on emprunte tant à l'étranger, c'est que l'épargne intérieure ne suffit plus à répondre aux besoins d'emprunt totaux des administrations publiques et du secteur privé. De 1980 à 1985, le taux d'épargne personnelle s'était établi en moyenne à 14,8 p. 100 du revenu personnel disponible. De 1986 à 1993, le taux d'épargne moyen est tombé à environ 10 p. 100. En 1994, il n'était que de 7,9 p. 100.

Or, cette dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers a des conséquences fâcheuses. Premièrement, les paiements d'intérêt sont disséminés à l'étranger au lieu de circuler au Canada. Deuxièmement, contrairement à l'intérêt versé à des Canadiens, l'intérêt afférent aux dettes fédérale et provinciales versé à des non-résidents n'est pas assujetti à l'impôt sur le revenu au Canada. Troisièmement, les décisions prises au Canada en matière financière et monétaire doivent tenir compte non seulement des besoins intérieurs, mais aussi des forces économiques internationales sur lesquelles nous n'avons aucune influence.

Le fardeau additionnel de l'endettement des provinces

Le gouvernement fédéral n'est pas le seul à s'être lourdement endetté. Au 31 mars 1996, la dette nette combinée des administrations fédérale et provinciales devrait totaliser 826 milliards de dollars, soit 105 p. 100 du PIB. Sur cette somme, la dette des provinces comptera pour 248 milliards de dollars.

L'endettement des provinces s'est considérablement accentué durant la première moitié des années 90, mais le rythme d'endettement des provinces a sensiblement ralenti ces dernières années, car plusieurs provinces ont décidé d'équilibrer leur budget. L'Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba et la Saskatchewan prévoient toutes des excédents budgétaires pour 1995-1996. L'Alberta a prédit un déficit, mais il est probable qu'elle enregistrera un excédent pour la deuxième année consécutive. On s'attend que le total des déficits provinciaux de 1995-1996 soit inférieur de quelque 13 milliards de dollars à ce qu'il était il y a trois ans, ce qui représenterait une diminution de plus de 50 p. 100. Alors que certaines provinces avaient précédemment eu recours à des augmentations d'impôt pour éponger leur déficit, les provinces précitées ont opté pour la compression des dépenses publiques. Ce sont les activités gouvernementales, de même que les transferts aux municipalités, aux institutions et aux particuliers, qui sont la cible de la majeure partie des compressions des dépenses.


«Le gouvernement de l'Ontario va priver l'économie provinciale de 8,3 milliards de dollars au cours des trois prochaines années. Je peux vous garantir qu'en réduisant les dépenses publiques de l'Ontario de 2 p. 100 ou 3 p. 100 du PIB pro vincial, ce qui vient s'ajouter à la réduction des dépenses fédérales, on détruit inévitablement des em plois.»
Arthur Donner, consultant.

Cependant, quatre provinces - la Colombie-Britannique, l'Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse sont plus lentes que les autres à réagir. En 1994-1995, l'Ontario et le Québec affichaient des déficits respectifs de 9,6 et 5,7 milliards de dollars. Ces déficits sont bien supérieurs à ceux des autres provinces lorsqu'on les exprime par habitant (878 $ en Ontario et 785 $ au Québec) ou en pourcentage du produit provincial brut (3,2 p. 100 en Ontario et 3,4 p. 100 au Québec). La Colombie-Britannique n'a pas opté pour une réduction des dépenses, préférant tabler sur une relance de l'économie.

L'Ontario a cependant pris des mesures importantes depuis l'élection du nouveau gouvernement en juin et a annoncé des réductions des dépenses publiques de l'ordre de 4,5 à 5,5 milliards de dollars. Malgré cela, on ne prévoit pas équilibrer le budget avant 2000-2001.

Pour sa part, le Québec n'a pris aucune mesure du même ordre. Cette province affichait la dette provinciale par habitant la plus élevée en 1994-1995 (10 228 $) et venait au troisième rang pour ce qui est du rapport de la dette au PIB provincial (44,6 p. 100).

Réduire le déficit ou la dette?

Certains témoins, notamment le vérificateur général, contestent l'opportunité du Comité et du ministre de fixer et de rencontrer les objectifs de réduction du déficit, qu'ils soient exprimés en dollars ou en pourcentage du PIB. Ils préféreraient que le gouvernement cherche à réduire la dette.


«À notre avis, le problème fonda mental de la politique économique n'est pas le déficit ou le ratio entre le déficit et le PIB; il s'agit plutôt de notre niveau d'endettement par rapport à notre capacité de finan cer cette dette. Par conséquent, il faudrait modifier le profil appro prié le plus élevé fixé pour la politi que économique. Au lieu de viser un ratio de 3 p. 100 entre le déficit et le PIB en 1996-1997, nous devrions accorder le profil le plus élevé en vi sant un ratio d'endettement de 55 à 60 p. 100 du PIB d'ici quelques an nées. ... L'objectif ultime de la poli tique fiscale consiste à mettre le gouvernement dans une position lui permettant d'avoir de nouveau la souplesse de répondre aux besoins du public. Ce jour n'arrivera pas tant que le ratio entre l'endettement et le PIB n'aura pas baissé considé rablement par rapport à son niveau actuel.»
Greg Sherloski, membre du comité, Chambre de commerce de Saska toon.

Les partisans d'objectifs de réduction de la dette font remarquer que les gouvernements antérieurs ont réduit les déficits annuels, mais pas suffisamment pour empêcher l'augmentation du rapport de la dette au PIB. Le gouvernement précédent a ramené le déficit de 8,7 p. 100 du PIB en 1985 à 6 p. 100 en 1993, mais la dette, elle, est passée dans le même temps de 46 à 67 p. 100 du PIB, ce qui a considérablement alourdi les coûts annuels du service de la dette.

Ceux qui recommandent que l'on cherche à réduire la dette plus que le déficit affirment que les déficits n'ont en soi que peu d'importance, sinon aucune. Ils signalent que les sociétés et les particuliers, tout comme les gouvernements, peuvent dépenser plus qu'ils n'ont gagné une année donnée, créant ainsi un déficit. Ce qui importe, c'est le montant de la dette qu'ils peuvent assumer. Un particulier ou un gouvernement peut évidemment supporter une dette plus grande si ses revenus sont élevés.

L'objectif de réduction du déficit (3 p. 100 du PIB) est important, car lorsque nous l'aurons atteint, notre capacité d'assurer le service de la dette devrait alors progresser plus rapidement que la dette elle-même. Par la suite, le fait de se donner comme objectif de ramener le déficit à moins de 3 p. 100 du PIB ne sera significatif que dans la mesure où cela influera sur le taux de réduction de la dette globale du Canada en pourcentage du produit intérieur brut.

RECOMMANDATION

Comme le Canada devrait atteindre l'objectif critique de réduction du déficit (3 p. 100 du PIB) à la fin du prochain exercice, le Comité est d'accord avec le vérificateur général et les autres qui estiment que la politique budgétaire devra à l'avenir mettre l'accent moins sur le niveau du déficit annuel et davantage sur le poids relatif de la dette nationale.


;