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Opinion dissidente du Bloc Québécois


Rapport du Comité des Finances

Le scandale des fiducies familiales

Introduction:

Jamais le Bloc Québécois n'aurait pu concevoir que la majorité libérale du comité des Finances pousserait aussi loin sa tentative éhontée de noyer un des plus graves scandales à voir le jour aux ministères des Finances et du Revenu. D'une part, le rapport majoritaire attaque de plein fouet la crédibilité d'une des plus importantes institutions de notre système parlementaire, le Bureau du vérificateur général du Canada. D'autre part, le rapport arrive à une interprétation abusive et déformée de la Loi sur l'impôt pour justifier l'incohérence de Revenu Canada et du ministère des Finances, en s'appuyant aveuglément sur le témoignage de six experts du secteur privé manifestement en conflit d'intérêts.

La première partie de ce rapport minoritaire porte sur la tentative de miner la crédibilité du vérificateur général, tandis que la seconde partie porte sur les aspects techniques concernant les modifications à la Loi sur l'impôt.

Première partie : le rapport du vérificateur général

A) Attaque en règle contre le vérificateur général

Dans son rapport, la majorité libérale du Comité des Finances s'est lancée dans une attaque sans précédent contre le Bureau du vérificateur général du Canada, une des institutions les plus respectées de notre système démocratique. Les députés libéraux du Comité tentent, de façon sournoise et détournée, de dénigrer une institution ayant comme mandat premier de s'assurer de l'imputabilité du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions. Le Comité a été jusqu'à mettre en doute l'expertise, le rôle et le mandat même du vérificateur général, en particulier aux pages 2, 3 et 4 du rapport majoritaire.

Déjà, durant les audiences du Comité, nous avons pu assister à des scènes disgracieuses où pendant près deux heures, le Président du Comité des Finances s'attaquait de façon démesurée et arrogante à la crédibilité du vérificateur général. Beaucoup plus conciliant avec les sous-ministres du gouvernement, le Président du Comité était manifestement conseillé par l'armada d'experts des ministères des Finances et du Revenu qui assistaient attentivement à toutes les séances du Comité sur le rapport du vérificateur concernant les fiducies familiales.

Or, il est manifeste que ne pouvant tuer le message, la majorité libérale a décidé de s'attaquer au messager. Toutefois, malgré les prétentions du rapport majoritaire qui soutient que « Le Comité estime que le vérificateur général n'a pas non plus pour rôle de dissiper les ambiguïtés ou les incertitudes à caractère technique dans un domaine donné » (rapport majoritaire, p.3), une analyse soutenue du rôle et du mandat du vérificateur général détruit rapidement les limites que veut lui imposer la majorité libérale.

B) Le mandat et le rôle du vérificateur général

Le Bureau du vérificateur général a un rôle de première importance dans «l'obligation de rendre compte» du gouvernement en effectuant une évaluation indépendante de l'information présentée au Parlement par le gouvernement. Ainsi, comme le stipule un document d'information du Bureau du vérificateur général: «Le vérificateur général incite à l'obligation de rendre compte en effectuant des vérifications indépendantes des opérations du gouvernement » (Vérification au nom du Parlement, Bureau du vérificateur général, p.4).

De plus, les prétentions de la majorité libérale ne résistent pas à une étude approfondie du mandat donné dans la Loi sur le vérificateur général (L.R.C., chap. A-17, 1977). En effet, à l'article 7(2)b), on peut y lire :

Une décision de Revenu Canada qui semble aller à l'encontre de l'esprit de la Loi de l'impôt, qui est prise à toute vapeur sans note ou sans procès verbal un 23 décembre, et qui pourrait coûter des « centaines de millions de dollars aux contribuables canadiens », selon le vérificateur général, mérite-t-elle d'être portée à l'attention de la Chambre des communes ? Poser la question, c'est y répondre.

La Loi est encore plus claire lorsqu'elle précise dans le même article au paragraphe b) que le vérificateur doit faire rapport « notamment dans les cas où il a constaté:

Par conséquent, la Loi d'où le vérificateur général tire son mandat est sans équivoque. La majorité libérale s'y attaque néanmoins en tentant de discréditer le rôle du vérificateur général pour des raisons pour le moins obscures.

C) Des précédents dans les années antérieures

D'autant plus que, par le passé, le vérificateur a maintes fois déposé des rapports sur l'application technique de la Loi de l'impôt. Dans ses rapports de 1984, 1985, 1987, 1989, 1990, 1992 et 1993, le vérificateur général s'est permis d'analyser l'application de la Loi de l'impôt sans que personne ne remette en doute son mandat, son expertise ou même la pertinence de son intervention. Au contraire, les libéraux, alors dans l'Opposition, n'ont pas hésité à se servir du rapport du vérificateur général pour attaquer le gouvernement conservateur.

En effet, à leur dernière année dans l'Opposition lors de la sortie du rapport du vérificateur général, le 24 novembre 1992, les libéraux ont posé leurs 6 premières questions sur un chapitre du rapport du vérificateur général portant sur l'application de la Loi sur l'impôt. Le ministre Martin a même modifié la Loi sur l'impôt dans son budget de 1994 pour appliquer une partie des recommandations du vérificateur général. Cette volte-face des libéraux laisse entrevoir l'influence possible d'intérêts partisans et mesquins en réaction à un scandale qui touche de près des hauts-fonctionnaires et probablement des proches du Parti libéral.

D) La tentative d'étouffement du scandale des fiducies familiales

Alors comment expliquer cette attaque en règle de la majorité libérale contre un pilier de notre système d'imputabilité parlementaire. L'étude de l'ensemble des événements qui ont suivi le dépôt du rapport fait ressortir la partisanerie manifeste du gouvernement libéral, qui tente d'étouffer toute l'affaire. Quelques jours après le dépôt du rapport, des députés libéraux du Comité des Comptes publics se promettaient de faire toute la lumière sur ce scandale. Le député de Brome-Missisquoi émettait même un communiqué qui titrait « Le vérificateur général a fait un excellent travail ». (Communiqué de presse, 16 mai 1996)

Néanmoins, le même jour, le gouvernement libéral a changé complètement son attitude dans ce dossier alors que le Globe & Mail révélait l'identité du détenteur de la fiducie familiale concernée. Et, contrairement aux prétentions du rapport libéral, c'est à cause d'une source à l'intérieur même du gouvernement fédéral que des noms ont été divulgués, et non à cause des détails contenus dans le rapport du vérificateur général.

À la suite des révélations du Globe & Mail, le gouvernement a muselé le Comité des Comptes publics en renvoyant la question des fiducies familiales au Comité des Finances où le président n'est pas de l'Opposition. Pour le Bloc Québécois, il est évident que ce changement d'attitude traduit la mauvaise foi des libéraux qui cherchent par des mesures dilatoires à étouffer ce scandale et par des attaques injustifiées, à miner la crédibilité du vérificateur général.

E) Les conclusions à tirer

Devant cette attitude aussi déplorable et ce manque de volonté politique flagrant, nous ne pouvons qu'en venir à la conclusion que le gouvernement cherche à protéger des personnes proches des hautes sphères politiques, ayant bénéficié des largesses de Revenu Canada, voire même un possible conflit d'intérêts dans la manière éhontée dont s'est comporté le gouvernement face à un scandale aussi évident. Comment expliquer ces décisions autrement ?

Par ses agissements et par le dépôt de son rapport, la majorité libérale témoigne du peu de respect qu'elle voue aux institutions parlementaires et réussit brillamment à perpétuer le cynisme de la population face à des politiciens qui voient plus aux intérêts de leur parti qu'au bon fonctionnement du gouvernement.

C'est une partie des raisons qui forcent le Bloc Québécois à se dissocier du rapport libéral. L'autre partie de notre rapport minoritaire présente les arguments techniques qui démontrent que, même au niveau de leur interprétation de la Loi de l'impôt, la majorité libérale est aveuglée par la justification des décisions incohérentes prises par Revenu Canada.

Deuxième partie : L'enjeu technique du transfert de biens d'une fiducie familiale à l'extérieur du Canada

A) Mise en situation

Comme on le sait, le vérificateur général a examiné deux décisions anticipées concernant le transfert aux États-Unis de biens valant au moins deux milliards de dollars, détenus auparavant par des fiducies familiales canadiennes. Le Comité permanent des Finances a été mandaté par le ministre des Finances pour étudier les dispositions ambiguës de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après nommée la Loi) soulevées dans le rapport du vérificateur général. Pour analyser et interpréter correctement la Loi, le Comité des finances a fait témoigner une série d'experts en fiscalité.

Dans son rapport, contre toute attente, le Comité endosse sans réserve l'interprétation avancée par Revenu Canada en se basant uniquement sur le témoignage de 6 des 8 experts invités plus tôt cet été à témoigner devant le Comité, sans même se prononcer sur la pertinence des témoignages entendus. La majorité libérale n'a ainsi retenu que les commentaires des fiscalistes-praticiens, pouvant effectuer eux-mêmes ce genre de planification fiscale, mais n'a jamais pas cru bon d'intégrer les commentaires d'une personne neutre comme l'éminent professeur Brooks de la réputée faculté de droit de Toronto, Osgoode Hall.

B) L'enjeu principal soumis au Comité des finances

Il s'agit d'un dossier extrêmement technique, qui fait référence à plusieurs dispositions de la Loi. Malgré tout, l'enjeu technique peut se résumer à une question relativement simple. La question de fonds que le Comité permanent des Finances devait trancher était de savoir si la volonté du législateur était claire. Est-ce que, oui ou non, les résidents canadiens peuvent posséder des «biens canadiens imposables » (ci-après nommé BCI)? Le document de la majorité libérale le mentionne également dans son rapport: « La question essentielle dont les décisions dépendaient en dernière analyse était donc de savoir si des biens pouvaient être des BCI d'un résident du Canada ».

Si la réponse est oui, il est alors possible pour un résident canadien de transférer des biens à l'étranger en évitant l'imposition immédiate par le fisc canadien. Dans le cas concerné, les impôts seront perçus par le gouvernement américain plutôt que par le gouvernement canadien si les biens transférés sont vendus plus de dix ans après le transfert. Si, au contraire, la réponse est non, comme nous le croyons, c'est-à-dire, qu'on ne peut appliquer à un résident canadien la notion de BCI, alors les gains en capital seraient réputés taxables dès que les biens quittent le pays.

C) Mais qu'est-ce qu'un BCI ?

Selon la Loi, toute fiducie qui réside au Canada et qui transfère des biens à l'étranger est généralement réputée avoir réalisé les gains en capital accumulés depuis 1971 relativement à ces biens. Cependant, certaines catégories de biens appelés BCI font exception à cette règle. Les BCI étaient, jusqu'à la décision anticipée de Revenu Canada de 1991, l'apanage des non-résidents exclusivement. L'intention du législateur à cet effet était, selon toute vraisemblance, d'encadrer la taxation des gains en capital réalisés par les non-résidents.

Cette décision anticipée vise principalement à déterminer si les paragraphes 107(2) et 107(5) de la Loi s'appliquent lors de l'attribution d'actions d'une société publique par une fiducie à un bénéficiaire non résident. Dans ce cas précis, les actions de société publique avaient été obtenues quelques années auparavant par la fiducie en échange d'actions d'une société privée. Il faut noter que les BCI comprennent les actions d'une société privée canadienne mais excluent généralement les actions d'une société publique. Cependant, l'alinéa 85(1)i) de la Loi indique que les actions de sociétés publiques constituent des BCI lorsqu'elles sont reçues en contrepartie d'actions de société privée. C'est ce qu'a fait valoir la fiducie dans sa demande de décision anticipée. Toutefois, selon l'économie de la Loi, cette disposition s'applique uniquement lorsque les actions de sociétés publiques sont reçues par des non-résidents.

D) L'utilisation de la notion de BCI au sein de la Loi de l'impôt sur le revenu

La structure de la Loi est construite de manière à séparer les sujets en différentes sections. Ainsi:

Dans la Loi, lorsque l'utilisation de la notion de BCI devient pertinente pour un résident, celle-ci est habituellement précise. Les exemples suivants le démontrent:

E) L'interprétation de Revenu Canada

Le paragraphe utilisé en 1991 par les autorités fiscales pour justifier le transfert de biens d'une fiducie familiale, libre d'impôt, à l'extérieur du Canada, est le paragraphe 97(2). Ce paragraphe se retrouve dans la sous-section J traitant uniquement des sociétés de personnes. Il ne contenait aucune référence à la notion de BCI avant les modifications de 1981. Or, il faut souligner que la notion de BCI existe depuis 1972, et selon les notes explicatives fournies par le ministère des Finances de l'époque, la modification du paragraphe 97(2) visait à appliquer pour les sociétés les mêmes règles de roulement que prévoit le paragraphe 85(1) lors de transferts de biens à une corporation. En aucun temps, cette modification du paragraphe 97(2) n'a été vue comme un changement dans le concept de BCI. Force est de constater que l'intention du législateur, au moment de l'introduction de la notion de BCI à l'article 97 ne visait nullement l'utilisation de la notion de BCI par les résidents.

La décision de Revenu Canada est cependant à l'effet que des résidents peuvent posséder des BCI, ce qui en soit constitue un précédent basé uniquement sur le paragraphe 97(2) de la Loi. Or, comme nous l'avons souligné précédemment, le paragraphe sur lequel s'appuie le ministère des Finances ne traite que des sociétés. Pourquoi a-t-on utilisé les sous-entendus d'un article limité aux sociétés pour dire que, dans toute la Loi, les résidents canadiens peuvent posséder des BCI? La prétention du ministère des Finances est que cet article sous-entend, pour être valide, que les résidents peuvent posséder des BCI, bien qu'il ne le mentionne pas expressément. L'ensemble de la décision anticipée repose sur cette prétention.

F) La position de la majorité libérale

Le rapport de la majorité libérale n'a jamais remis en question l'utilisation d'un simple alinéa de l'article 97 limité à l'imposition des sociétés de personnes pour trancher, sur l'intention du législateur, d'un enjeu aussi important. Les membres libéraux n'ont donc jamais répondu à la question essentielle qu'ils avaient eux-mêmes soulevée dans leur rapport. La majorité libérale s'est plutôt contentée de se fier aveuglément à l'analyse de 6 des 8 experts invités, tous provenant de firmes privées. Se faisant, les députés libéraux du Comité ont failli à leur devoir de parlementaires en refusant de se prononcer sur la pertinence des propos des experts ou au possible conflit d'intérêts puisque ces experts conseillent justement des clients pouvant exécuter ce type de transactions.

G) La position du Bloc québécois

Même si le coeur du problème repose entièrement sur la détention de BCI par les résidents, ce point n'a pas été analysé dans le rapport majoritaire. Jamais l'utilisation du paragraphe 97(2) pour la détermination que les résidents peuvent détenir des BCI n'a été remise en cause.

Pourtant, il nous semble évident que l'utilisation d'un article afférent à l'impôt des sociétés de personnes dans la détermination de l'imposition des transferts de biens d'une fiducie familiale à l'extérieur du Canada va à l'encontre de l'intention du législateur en ce qui concerne la notion de BCI. Seuls les non-résidents devraient pouvoir utiliser la notion de BCI. Par conséquent, l'alinéa 97(2)c) de la Loi devrait être abrogé, ce qui éliminerait du même coup ce genre de planification fiscale, que dénonce avec raison le vérificateur général.

Notre position rejoint ainsi celle du professeur Neil Brooks, un expert dont on ne peut douter de la totale impartialité. Contrairement à l'avis des autres experts qui ont témoigné au Comité des Finances qui, nous le rappelons, gagnent leur vie en conseillant leurs clients en matières fiscales et juridiques, le professeur Brooks rejetait l'application de la notion de BCI aux résidents. Son commentaire éloquent va droit au coeur du problème;

Les autres témoins experts n'ont en aucun cas remis en question cette argumentation du professeur Brooks. La volonté du législateur est évidente. Seule une petite ambiguïté découle de l'alinéa 97(2)c). Le vérificateur général soutient, de plus, que la Loi, et plus précisément les paragraphes 107(5), 115(1), 128(1) et 85(1), est relativement claire sur la volonté du législateur de faire en sorte que les résidents canadiens ne puissent posséder de BCI. Et encore une fois, aucun des témoins invités par le Comité des Finances n'a remis en question cette constatation du vérificateur général. Quelle est la raison d'être d'une catégorie de biens appelés BCI, si ce n'est pour encadrer la taxation des gains en capital des non-résidents?

Conclusion:

À la suite des faits établis dans les sous-sections précédentes, nous formons les trois recommandations suivantes:

  • Que l'alinéa 97(2)c) soit abrogé, afin d'éliminer l'ambiguïté soulevée par le vérificateur général dans son rapport.

  • La définition de BCI devrait être corrigée afin que les résidents ne puissent pas détenir de BCI. C'est la façon la plus simple et sûre d'éliminer la possibilité d'évitement fiscal que peuvent pratiquer certains Canadiens biens nantis, par le transfert de leurs actifs vers l'étranger.

  • Que la décision de 1991 soit révoquée. De manière qu'à compter de ce jour, personne ne puisse s'en servir pour éviter des impôts dus à Revenu Canada.
  • Les députés du Bloc Québécois, le 18 septembre 1996.

    Monsieur Yvan Loubier
    Député de St-Hyacinthe-Bagot

    Monsieur Richard Bélisle
    Député de La Prairie


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