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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 12 décembre 1996

.1536

[Traduction]

Le président: Nous avons le quorum, mesdames et messieurs, et nous allons donc ouvrir la séance.

Avant d'inviter le ministre à faire une déclaration liminaire, je voudrais demander à tout le monde de lire l'ordre du jour, qui précise bien que nous procédons à un «examen des modifications proposées à la Commission canadienne du blé ainsi que de la proposition d'un plébiscite pour la mise en marché de l'orge». Voilà l'objet de cette réunion.

Nous ne pouvons aborder un projet de loi qui a été déposé à la Chambre mais non envoyé en comité. Plus précisément, le projet de loi C-72 a été déposé à la Chambre, mais nous ne pouvons en traiter ici car ni notre comité ni aucun autre n'en est saisi.

Comme nous en avons convenu lorsque cette séance a été décidée, son objet, ainsi que le précise l'ordre du jour, est de nous pencher sur la commercialisation du grain de l'ouest du Canada. Je vous invite donc à limiter vos questions ou remarques à ce sujet. Je devrai déclarer irrecevable toute question ou intervention portant sur un projet de loi non encore envoyé en comité.

Par ailleurs, je peux vous assurer que j'ai transmis, au nom du comité, un message très clair au ministre, lui demandant de faire une déclaration liminaire qui soit brève. Je rappelle à tous les intervenants que leurs questions doivent être brèves, de même que les réponses du ministre. Le ministre et ses collaborateurs vous confirmeront que le message a bien été transmis. Ce n'est qu'à la fin de la séance que chacun pourra juger dans quelle mesure les uns et les autres auront respecté ce souhait.

Là-dessus, monsieur le ministre, soyez le bienvenu à notre comité, une fois de plus. Vous avez la parole.

L'hon. Ralph E. Goodale (ministre de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire): Je vous remercie, monsieur le président, et bon après-midi à tous les membres du comité.

Je vous signale, pour commencer, que je suis accompagné d'un certain nombre de fonctionnaires d'Agriculture et Agro-alimentaire Canada, et plus particulièrement, près de moi à la table, de M. Victor Jarjour, qui est le directeur de la Division des céréales et des oléagineux du Bureau des marchés internationaux de la Direction générale des services à l'industrie et au marché du ministère, ainsi que M. Marvin Hildebrand, qui est agent principal de produits de la Division des céréales et des oléagineux du Bureau des marchés internationaux de la Direction générale des services à l'industrie et au marché du ministère. Quelques autres fonctionnaires sont également présents dans la salle et seront disponibles, le cas échéant, pour répondre à vos questions.

Monsieur le président et membres du comité, le but de la réunion cet après-midi est de tenir une discussion générale sur la commercialisation du grain, ainsi que vous l'avez précisé, et plus particulièrement, dans ce contexte, sur les propositions de modification du système de commercialisation que le gouvernement a publiées. Malgré tout mon désir d'entrer dans le détail du projet de loi C-72, je ne serai pas en mesure de le faire du fait que ce projet de loi n'a pas encore été envoyé en comité, mais j'espère avoir néanmoins un bon débat sur les intentions générales annoncées par le gouvernement.

Ainsi que tous les membres du comité le savent, j'ai annoncé début octobre les propositions gouvernementales concernant le système de commercialisation du blé et de l'orge de l'ouest du Canada. Ce train de mesures a été élaboré après ce qui a été, sans doute, la concertation la plus poussée de toute l'histoire de la céréaliculture de l'Ouest.

.1540

Le rapport et les recommandations du Comité de la commercialisation du grain de l'Ouest, les avis des quelque 15 000 personnes qui ont envoyé des fax ou des lettres ou ont été autrement consultées, ainsi que le résultat d'innombrables réunions avec quantité de producteurs et de groupes de tout l'ouest du Canada, ont été soigneusement examinés et pris en considération aux fins de la rédaction du projet de loi qui a maintenant été déposé à la Chambre mais n'a, malheureusement, pas encore été renvoyé à votre comité.

Bien qu'aucun ensemble de mesures ne puisse satisfaire toutes les parties dans ce qui est trop souvent un débat fortement polarisé entre agriculteurs en matière de commercialisation des céréales, l'approche gouvernementale vise à répondre aux attentes raisonnables d'une majorité de céréaliculteurs de l'Ouest.

Notre objectif est de conserver les avantages avérés de notre système de commercialisation actuel, et en même temps à moderniser la structure de direction de la Commission canadienne du blé, amener celle-ci à rendre davantage de comptes et à être plus à l'écoute des besoins et désirs des producteurs, assurer une plus grande souplesse et des paiements plus rapides et minimiser les complications futures dans nos échanges internationaux.

Bon nombre des changements que nous proposons permettront aux producteurs d'influer davantage et plus directement sur le fonctionnement de leur système de commercialisation, ce qui est conforme à la majorité des recommandations du Comité de la commercialisation du grain de l'Ouest.

Dans l'ensemble, les changements se répartissent entre trois grandes catégories.

La première intéresse la structure et l'administration de la Commission canadienne du blé et la reddition de comptes par celle-ci.

L'administration d'ensemble de la Commission du blé sera confiée à un conseil d'administration dont la majorité des membres seront des cultivateurs. Pour effectuer la transition vers cette nouvelle structure, le gouvernement nommera en 1997, à titre temporaire, un conseil d'administration intérimaire. Nous ferons de notre mieux pour éviter tout conflit d'intérêt réel ou apparent dans ce processus de sélection. Ensuite, dès 1998, la majorité de membres représentant les producteurs seront remplacés par des administrateurs élus par les agriculteurs eux-mêmes.

L'une des tâches principales des administrateurs intérimaires sera de superviser la transition de la structure de gestion de la Commission du blé vers une structure réellement responsable devant le conseil d'administration. Le comité consultatif des producteurs actuel restera en place jusqu'à l'élection des représentants des producteurs au conseil d'administration et, de toute façon, jusqu'à l'expiration du mandat des membres actuel qui intervient en 1998. L'administration au jour le jour de la Commission du blé sera confiée à un directeur général qui rendra compte au conseil d'administration.

L'élection des membres du conseil d'administration signifiera que la Commission canadienne du blé cessera d'être une société d'État au plein sens du terme. Cependant, le gouvernement fédéral continuera à garantir les paiements initiaux de la commission au début de chaque période de mise en commun, son programme de ventes à crédit et ses emprunts de fonctionnement annuels.

Le deuxième groupe de changements vise à améliorer la souplesse de fonctionnement et à accélérer les paiements. La Commission du blé pourra acheter comptant du blé et de l'orge, effectuer des paiements d'ajustement en cours de campagne sur la base des expéditions, clore à tout moment les comptes de mise en commun et régler les producteurs dans les meilleurs délais possibles, émettre des certificats de producteur négociables, utiliser pleinement les outils modernes de gestion des risques dans ses transactions tant avec les agriculteurs que les acheteurs, défrayer les agriculteurs de leurs coûts d'entreposage et(ou) de détention, permettre aux producteurs de livrer leur grain à des entrepôts détenus en copropriété et prendre livraison du grain au moyen d'équipements nouveaux tels que les élévateurs mobiles stationnés en exploitation.

Cette souplesse nouvelle permettra aux agriculteurs de disposer plus rapidement du produit des ventes de la Commission du blé. Pour financer ces achats comptants et pouvoir effectuer plus rapidement les paiements de rajustement, la commission sera autorisée à établir des fonds pour éventualités, en guise de coussin financier.

La troisième catégorie de changements porte sur le mandat de la Commission canadienne du blé. Le projet de loi ne modifie pas le mandat actuel, mais nous mettons davantage de pouvoir de décision aux mains des cultivateurs eux-mêmes.

À l'avenir, le mandat de la Commission du blé pourra être ajusté, sous trois conditions: premièrement, une recommandation claire à cet effet du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé; deuxièmement, lorsque le contrôle de la qualité est mis en jeu, un avis favorable de la Commission canadienne des grains, attestant que le changement ne nuira pas à la réputation de qualité et de régularité du Canada; troisièmement, si le changement proposé est majeur, un vote favorable des agriculteurs.

.1545

Monsieur le président, permettez-moi d'aborder maintenant le vote sur la commercialisation de l'orge auquel nous allons procéder cet hiver. Je pense qu'un vote des producteurs à ce sujet est la façon la plus démocratique et la plus pratique de régler ce qui est devenu un sujet très litigieux. Le vote interviendra en février, par voie postale. Pour en assurer la régularité et la fiabilité, il sera administré de façon indépendante du gouvernement par une firme privée qualifiée.

Tous les agriculteurs actuels des Prairies - c'est-à-dire les producteurs réels ayant cultivé de l'orge au moins une fois au cours des cinq dernières années, au cours de la période 1992 à 1996 inclusivement - auront le droit de vote. La liste initiale des votants sera établie au moyen du registre des permis de la Commission canadienne du blé. Ceux ne possédant pas de carnet de permis pourront faire ajouter leur nom à la liste soit en produisant des preuves documentaires de ce qu'ils ont cultivé de l'orge au cours de la période quinquennale considérée soit en produisant un affidavit en bonne et due forme à cet effet.

À mon sens, la question doit être simple et claire. Il ne servirait à rien de demander aux cultivateurs de choisir entre une gamme d'options floues car cela, en dernière analyse, ne produirait pas de résultat clair. De même, il serait déraisonnable d'inscrire sur le bulletin de vote une option qui serait impossible à mettre en oeuvre, éphémère, obscurcie par des mots de code ou comportant des conséquences cachées.

Aussi, le choix proposé sera-t-il le suivant. Il y aura, premièrement, l'option du marché libre. Autrement dit, toute l'orge, tant fourragère que de brasserie, sera retirée à la Commission canadienne du blé et placée entièrement sur le marché libre, tant pour la vente sur le marché national qu'à l'exportation. Deuxièmement, l'option du vendeur unique. Autrement dit, la Commission canadienne du blé resterait seule à vendre toute l'orge, tant fourragère que de brasserie, à l'exception, comme c'est le cas aujourd'hui, de l'orge fourragère vendue sur le marché canadien.

J'exhorte, bien entendu, tous les agriculteurs admissibles à voter à exercer leur droit démocratique de choisir.

Monsieur le président, j'ai pleinement conscience que la notion de double circuit de commercialisation peut présenter un attrait apparent. C'est le cas car le terme lui-même implique que l'on puisse avoir le meilleur des deux mondes - autrement dit, la Commission du blé, pleinement fonctionnelle, comme aujourd'hui, à côté d'un marché entièrement libre, sans que l'un ne vienne gêner l'autre.

Ainsi, d'aucuns décrivent la notion de double circuit comme une situation où l'on gagne à tout coup. Il n'y aurait pas d'inconvénient. Les agriculteurs qui veulent davantage de liberté pourraient l'avoir, et la Commission canadienne du blé pourrait poursuivre ses activités comme auparavant, sans être gênée et entravée, pour ceux qui veulent y avoir recours volontairement à l'avenir. Voilà, en tout cas, l'argumentation utilisée.

En réalité, il est loin d'être certain que deux systèmes de commercialisation radicalement opposés puissent coexister. La Commission canadienne du blé serait très certainement touchée par un double circuit de commercialisation. Elle serait diminuée d'au moins cinq façons.

Premièrement, son envergure mondiale et son poids commercial seraient entamés.

Deuxièmement, les quantités mises en commun seront dans l'ensemble plus réduites et quelque peu diluées.

Troisièmement, du fait que les livraisons effectuées par la Commission canadienne du blé seront plus aléatoires, sa réputation à long terme de fournisseur fiable, mois après mois et année après année, sera amoindrie.

Quatrièmement, la réputation enviable du Canada sur le plan de la qualité et de la régularité, chargement après chargement, ne pourra plus être garantie.

Enfin, l'incertitude quant aux quantités et à la qualité et quant au service à la clientèle et à la loyauté de celle-ci pourrait rendre impraticables à long terme les garanties de prix initial.

En conséquence, un double circuit de commercialisation n'est pas un gain pur sur le plan de la liberté, exempt d'inconvénients et de coûts ailleurs.

.1550

Dans le cas de l'orge, il y a une complication supplémentaire: la distinction entre l'orge fourragère et l'orge de brasserie. Le Comité de la commercialisation du grain de l'Ouest a préconisé que toutes les ventes d'orge fourragère se fassent sur un marché libre ou double, et que toutes les ventes d'orge de brasserie restent l'apanage de la Commission canadienne du blé, de façon à bénéficier de bonifications de prix. Mais, dans la pratique, il serait extrêmement difficile de garder totalement séparées l'une de l'autre deux variétés d'orge entre lesquelles il est à peu près impossible de distinguer.

Si l'on appliquait les propositions du Comité de commercialisation du grain de l'Ouest, de l'orge serait inévitablement vendue de l'autre côté de la frontière comme fourrage, au prix de l'orge fourragère, puis utilisée aux États-Unis pour le maltage ou réimportée au Canada en concurrence avec l'orge de brasserie canadienne. L'écart de prix dont bénéficient les producteurs canadiens pour l'orge de brasserie serait certainement réduit, ou peut-être disparaîtrait totalement, et l'industrie canadienne du maltage, laquelle apporte une valeur ajoutée, serait placée dans une situation difficile et deviendrait peut- être non concurrentielle.

Il est intéressant de noter que le Comité de la commercialisation du grain de l'Ouest a lui-même, très franchement, reconnu l'existence de ces problèmes.

D'aucuns estiment que des contrats de livraison fixes pourraient prévenir tous ces problèmes. Mais, en réalité, un tel système ne modifie pas nombre des inconvénients fondamentaux du double circuit de commercialisation. Lorsque les cultivateurs signent des contrats de livraison fixes, ils courent un risque de production majeur. Pour réduire ce risque, ils ne donneront à contrat qu'une partie de leur récolte et limiteront ainsi la quantité de grain mis à la disposition de la Commission canadienne du blé.

Les contrats de livraison ne sont pas une garantie absolue. En période de hausses de prix, le nombre des cas de non-exécution et les frais de contentieux peuvent devenir extrêmement élevés. Le seul résultat d'un resserrement des conditions contractuelles serait que les agriculteurs refuseraient de les signer en premier lieu.

Le fait est qu'il n'existe pas de définition universellement acceptée de ce qu'est un double circuit de commercialisation. Il en existe différentes versions. Ceux qui préconisent le mécanisme des contrats fixes reconnaissent, ce faisant, l'impossibilité d'un système où le recours à la Commission canadienne du blé serait totalement volontaire. Les contrats fixes ne résolvent pas le problème de la dilution des pools, de la baisse de qualité ou d'un nombre accru de vendeurs poussant les prix à la baisse.

Mais surtout, de tels contrats portant sur des volumes fixes déclencheraient certainement une prolifération des livrets de permis de la Commission canadienne du blé entre et à l'intérieur de diverses entités agricoles, les producteurs cherchant tout naturellement à se protéger en ayant un pied dans chaque système de commercialisation, juste en cas, même si les règles exigent qu'ils choisissent un circuit et s'y tiennent.

Monsieur le président, la Commission canadienne du blé est un négociant très efficace de grains canadiens. Elle a l'appui de la majorité des céréaliculteurs de l'Ouest. Ces derniers veulent des changements réalistes et raisonnables, mais non pas d'un scénario qui conduirait inévitablement à la destruction de la commission.

Nous sommes à un moment crucial de l'histoire de l'agriculture de l'ouest du Canada. L'accès aux marchés dans le monde s'améliore; les subventions à l'exportation qui faussent les échanges disparaissent peu à peu; et nous avons un système commercial mondial assorti de règles et d'un nouveau mécanisme de règlement des différends. L'expérience récente montre que ces nouveaux outils fonctionnent - du moins jusqu'à présent - plutôt bien. En outre, le Canada est réputé dans le monde entier pour la qualité de ses produits agricoles et pour l'intégrité avec laquelle nous transigeons les affaires.

Pour exploiter au mieux ces atouts, il importe que la Commission canadienne du blé dispose des outils voulus pour faire le meilleur travail possible. Parallèlement, les producteurs et leurs associations représentatives veulent que la Commission du blé ait davantage à rendre de comptes et soit en mesure de réagir plus rapidement aux conditions du marché, qui sont forcément fluctuantes. La commission elle-même demande une refonte de la loi afin qu'elle puisse se moderniser. Je pense que les propositions que nous avons soumises répondent bien à ces préoccupations fondamentales.

Quel est l'intérêt, dans l'ordre général des choses, de la Commission canadienne du blé? Elle vend pour quelque 5 milliards de dollars de céréales par an, à un coût de mise en marché de quelques sous par boisseau. Elle ne conserve aucune marge bénéficiaire. Tout le reste va aux cultivateurs.

.1555

Elle est l'une des entreprises commerciales les plus importantes du Canada. Active dans plus de 77 pays du monde, elle est notre cinquième plus gros exportateur et le plus gros générateur de devises du pays. Elle a su mériter, pour elle-même et pour le Canada, une haute réputation auprès de ses clients du monde, non pas tant du point de vue de ses prix - la commission cherche à obtenir des prix bonifiés - mais sur le plan de la qualité intrinsèque, de la propreté du grain, de la régularité des livraisons, du soutien technique, de la fiabilité à long terme, du service à la clientèle et de l'exécution des contrats. Ses clients placent la Commission canadienne du blé au premier rang mondial. Cela est attesté à la page 52 du rapport du Comité sur la commercialisation du grain de l'Ouest.

Ces atouts, joints à l'envergure de la commission, à sa présence mondiale et à sa puissance commerciale, donnent au Canada une part du marché mondial environ trois fois supérieure à notre part de la production mondiale. Le gouvernement du Canada considère que cela mérite d'être préservé.

Monsieur le président, je souscris pleinement aux principes que nous avons énoncés et qui sont incorporés dans le projet de loi déposé à la Chambre des communes mais non encore envoyé au comité. Néanmoins, je reconnais qu'il y a différentes façons mécaniques de concrétiser ces principes. Je suis plus qu'ouvert aux suggestions des membres de votre comité quant aux possibilités d'améliorer le projet de loi, une fois qu'il vous sera soumis pour examen détaillé. C'est l'une des raisons pour lesquelles le projet de loi C-72 sera renvoyé à votre comité avant la deuxième lecture à la Chambre des communes.

Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que les membres du comité, de votre invitation à comparaître aujourd'hui. Je suis impatient de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.

La parole ira d'abord à M. Hermanson, puis à M. Landry et à M. Easter.

M. Hermanson (Kindersley - Lloydminster): Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur Goodale, soyez le bienvenu à notre comité. J'avais un long préambule mais, pour économiser du temps, je vais abréger de façon à ce que nous ayons plus de temps pour l'échange de questions et de réponses.

Je veux aborder tout d'abord la question du double circuit de commercialisation. Vous avez longuement expliqué dans votre exposé qu'un tel système ne peut fonctionner, ni même être défini. Il me semble que vous faites assaut de rhétorique, mais manquez de bonne volonté et de preuves lorsque vous lancez des déclarations comme celle que vous avez faite aujourd'hui, disant qu'un double circuit de commercialisation est quelque chose de très aléatoire et que si l'on optait pour cela, ce serait irréversible, que l'on ne pourrait revenir en arrière. J'apprécierais certainement de recevoir beaucoup plus de documentation à l'appui de votre argumentation que ce que vous avez pu nous fournir jusqu'à présent.

Nous savons qu'il existe un double circuit de commercialisation pour les ventes intérieures en Australie, avec la Commission australienne du blé. Je crois savoir qu'aujourd'hui 75 p. 100 des ventes intérieures de blé sont effectuées par la commission et 25 p. 100 sur le marché libre, ce pourcentage variant d'année en année.

Vous dites que deux circuits de commercialisation sont comme un mélange d'huile et d'eau, incompatibles. Considérez que ni le marché libre ni le monopole du négoce de la Commission canadienne du blé n'est parfait en soi; les deux doivent coexister, l'un affûtant l'autre. Je pense que vous êtes réellement passé à côté à cet égard. C'est pourquoi tant de producteurs sont désespérés au point d'enfreindre les lois que vous favorisez. Dès qu'un échappatoire apparaît dans une de ces lois, vous bouchez vite le trou pour les empêcher de vendre leurs produits d'une autre manière que celle que vous jugez appropriée.

Ce que vous avez fait avec votre question référendaire du tout ou rien, c'est garantir que ce problème continuera à diviser les provinces des Prairies comme il l'a fait par le passé. Tout le monde n'est pas gagnant dans le scénario que vous esquissez. Près de la moitié des producteurs - et je ne sais pas s'ils se partageront à raison de 40-60 p. 100, 50-50 p. 100 ou 45-55 p. 100, mais ce sera un nombre important - seront très en colère contre vous, quel que soit le résultat du vote. Vous ne semblez pas voir que vous ne faites rien pour résoudre le problème.

Toute la question - et vous le savez - est de savoir si un double circuit de commercialisation peut marcher ou s'il est indispensable d'avoir un comptoir unique de vente du blé et de l'orge. Le Comité de commercialisation du grain de l'Ouest - et c'est vous qui l'avez créé et y avez nommé certains des meilleurs spécialistes du secteur - a recommandé de l'essayer avec l'orge, et vous avez dit non.

.1600

Comment pouvez-vous justifier de passer outre aux recommandations de votre propre comité, dont vous avez vous-même choisi les membres? Comment pouvez-vous accepter une situation où vous aurez à peu près la moitié de l'industrie en colère contre vous, des gens qui continueront à préférer la prison plutôt que d'accepter un système dont vous dites qu'il est le seul à pouvoir fonctionner dans l'ouest du Canada?

M. Goodale: Il y a là pas mal de questions, monsieur Hermanson, et je vais essayer de répondre à toutes.

Votre première était de savoir si les régimes de commercialisation peuvent ou non être changés de temps à autre et s'il est possible de revenir ultérieurement sur des décisions si l'expérience montre qu'elles étaient mauvaises.

Selon le droit commercial international, en l'état actuel, tout bien pesé, il me paraît techniquement possible, d'un point de vue juridique étroit, pendant encore un bref laps de temps, d'opérer un changement et, si les résultats ne sont pas bons, de revenir en arrière au mécanisme antérieur. Comme je l'ai dit, cela semble possible, du point de vue juridique et technique.

Mais d'un point de vue opérationnel, je doute sérieusement que ce soit possible - pour des raisons internes au Canada, pour des raisons nord-américaines et des raisons mondiales. Une fois que deux, trois ou quatre années auront passé, que l'eau aura coulé sous les ponts, je pense qu'il ne sera pas possible de récupérer cette eau et de lui faire remonter la pente.

J'ai donc adopté une approche de ce problème que je reconnais être prudente. Nous parlons là d'une activité qui fait vivre plus de 100 000 familles agricoles de l'ouest du Canada, qui pèse de 4 à 5 milliards de dollars par an, dont dépend une région entière du pays. Je pense qu'il importe d'aborder avec prudence et sens pratique tout changement à l'égard de cette industrie, de façon à éviter de commettre des erreurs fondamentales qui risqueraient, à long terme, de causer des dégâts irréparables.

Donc, oui, mon approche est prudente. Comme je l'ai dit ici en d'autres occasions, je ne veux pas me retrouver dans la situation où j'aurais jeté le bébé avec l'eau du bain et m'apercevoir ensuite que l'eau du bain est introuvable, sans parler du bébé.

Pour ce qui est de la Commission du blé australienne, il y a un certain nombre de différences fondamentales entre la situation du Canada et celle de l'Australie. Il est vrai que la Commission australienne est passée par divers changements ces dernières années. Il est vrai aussi que la Commission canadienne du blé a considérablement évolué au cours de la période récente. Une fois ce projet de loi adopté, cette évolution s'accélérera sans aucun doute.

Mais il existe une série de différences mécaniques et techniques entre l'environnement dans lequel opère la Commission australienne du blé et l'environnement dans lequel fonctionne la Commission canadienne du blé. Ces différences sont profondes. Si le comité le juge utile, nous pourrions peut-être vous remettre un tableau analytique comparatif du fonctionnement et des circonstances au Canada et en Australie.

Dans l'intérêt de la concision, je me limiterai à une différence fondamentale évidente - le fait que l'Australie est une île-continent située à des milliers de milles de tout client étranger et de tout concurrent. Cela met l'Australie dans une situation tout à fait à part. Ici, au Canada, nous sommes voisins du plus gros producteur et exportateur de céréales du monde, les États-Unis. Cette réalité géographique fondamentale engendre une situation entièrement différente dans le contexte nord-américain, comparé au contexte australien.

.1605

Monsieur Hermanson, vous avez dit en substance que nombre de cultivateurs de l'ouest du Canada sont désespérés au point d'enfreindre la loi. Ma seule réponse, car en tant que ministre je ne puis faire de commentaire sur aucune poursuite en justice particulière, sera de dire qu'il ne faut pas exagérer. Oui, certains ont eu recours à ce genre de conduite, mais ils n'ont l'appui d'aucun des trois pools du blé des Prairies. Ils n'ont pas l'appui de l'organisation Wild Rose en Alberta. Ils n'ont pas l'appui de l'organisation Keystone au Manitoba. Ils n'ont l'appui d'aucune des autres organisations, telles que la Saskatchewan Association of Rural Municipalities. Ils n'ont l'appui d'aucune organisation telle que le Syndicat national des cultivateurs. Il y a énormément d'études, dont j'ai ici un certain nombre et que je me ferai un plaisir de vous communiquer, à l'appui de l'approche et des idées avancées par le gouvernement et qui militent très fortement contre les gestes de protestation d'un certain nombre de personnes.

Je dirais même qu'une organisation qui est fortement partisane d'un double circuit de commercialisation, la Western Canadian Wheat Growers Association, a pris grand soin de se dissocier de Farmers for Justice, ce qui doit amener les membres de la première à s'interroger sur la crédibilité et le bien-fondé des actes de ce groupe intitulé Farmers for Justice.

Quoi qu'il en soit, vous partagez manifestement certaines des vues de ces mouvements de protestation. C'est votre droit, mais je vous mets en garde contre une surestimation du nombre des agriculteurs qui se rangent dans ce camp, car il y a une énorme proportion d'agriculteurs qui sont d'un avis différent.

M. Hermanson: On me dit que plus de la moitié des agriculteurs des Prairies veulent la même chose que Farmers for Justice, mais sans aller jusqu'à lancer des mouvements de protestation ou risquer d'enfreindre la loi. Ils sont du même avis. Ils souhaitent que vous légalisiez cela.

M. Goodale: C'est intéressant, monsieur Hermanson. Je suppose que vous faites allusion à certains sondages. J'ai examiné les résultats de divers sondages, dont certains effectués par divers instituts privés et certains par le gouvernement fédéral, ces derniers ayant, bien sûr, été publiés il y a quelque temps. Mais à la toute première page de l'analyse des résultats des sondages, on peut lire qu'un tiers environ des répondants sont en faveur de changements de grande ampleur de la Commission canadienne du blé, un tiers en faveur de changements mineurs et un tiers en faveur du statu quo ou d'un accroissement des pouvoirs de la Commission canadienne du blé. Ces résultats montrent que les agriculteurs se partagent en trois groupes d'opinion de force égale, s'agissant des divers sujets sur lesquels les agriculteurs ont à s'interroger.

Il est également intéressant de voir, dans les sondages, que lorsqu'une question est posée sur la notion de double commercialisation, mais sans définition précise et sans détail, il y a un courant d'opinion assez important en faveur de cette notion. Mais lorsqu'on pose des questions plus précises sur...

M. Hermanson: Du genre, est-ce que le prix de l'orge augmenterait s'il y avait un double marché plutôt que de voir diminuer le prix de l'orge de brasserie. Il faut être impartial lorsqu'on fait ce genre de sondages.

Une voix: Non, ils n'augmentent pas.

M. Goodale: Effectivement, monsieur Hermanson, et j'espère que vous accepterez cette admonestation tout comme moi.

Lorsqu'on pose des questions plus détaillées, le niveau du soutien à cette notion tend à diminuer.

Poussons donc le raisonnement jusqu'au bout. Vous-même et d'autres, manifestement, épousez un certain point de vue. Le projet de loi qui a été maintenant déposé à la Chambre n'incorpore pas ce point de vue dans les modifications apportées au mandat de la Commission canadienne du blé, mais il met en place un mécanisme pour l'avenir tel que, si le conseil d'administration de la Commission canadienne du blé approuve, si la Commission canadienne des grains estime qu'il n'y a pas de risque et si les agriculteurs ratifient l'idée par un vote, des changements peuvent être apportés à l'avenir. Mais la condition fondamentale, pour déclencher tout cela, est que les agriculteurs eux-mêmes doivent être convaincus. D'après toutes les données que j'ai vues, notamment les sondages dont vous avez fait état et dont j'ai fait état, cette conviction n'existe pas à l'heure actuelle.

.1610

Le président: Monsieur Landry.

[Français]

M. Landry (Lotbinière): Merci, monsieur le ministre.

Vous savez que le sujet dont on discute aujourd'hui est loin des préoccupations agricoles du Québec. Par contre, la restructuration de la Commission canadienne du blé est, pour les producteurs de l'Ouest, un sujet de débat aussi passionné que celui de la remise en cause de la gestion de l'offre pour les producteurs du Québec.

Monsieur le ministre, il me semble que vous éprouvez certaines difficultés à faire respecter les lois et les règlements qui régissent vos agences gouvernementales. Des agriculteurs exportent illégalement leur blé aux États-Unis et des producteurs de lait ou des transformateurs de fromage de l'Alberta ne respectent pas les lois en expédiant leurs produits sur le marché québécois.

Pourquoi vous et votre ministère ne réagissez-vous pas plus rapidement et plus sévèrement pour faire respecter les lois fédérales? Croyez-vous que votre vision de la Commission canadienne du blé, dite améliorée, fera rentrer dans le rang les producteurs qui exportent eux-mêmes leur blé aux États-Unis?

[Traduction]

M. Goodale: Monsieur Landry, pour ce qui est de l'application des lois, la responsabilité des poursuites incombe essentiellement à d'autres ministères et organismes que le ministère de l'Agriculture en soi ou la Commission canadienne du blé en soi. Il ne m'appartient pas de critiquer les agents chargés de faire respecter ces lois. Ils ont un travail à faire. Ils ont une responsabilité dont ils doivent s'acquitter, dans le cadre des diverses missions qui leur sont confiées. Je pense que, dans l'ensemble, ils font un bon travail dans des situations qui sont souvent très chargées, passionnelles et difficiles.

Mais vous faites ressortir quelque chose de fondamental et de pertinent, à savoir que la loi est la loi et, tant qu'elle n'est pas modifiée ou invalidée par un tribunal compétent, elle demeure et doit être appliquée par les moyens appropriés. Parfois, cela est déplaisant et désagréable, mais dans une démocratie, nous devons tous respecter la loi. Sinon, nous plongerons dans une situation chaotique qui sera manifestement invivable pour tous.

Les changements que nous proposons vont-ils améliorer la situation? Je l'espère certainement. S'il est encore trop tôt pour le dire, car le projet de loi n'a même pas encore été renvoyé à ce comité et encore moins promulgué, la réaction initiale de ce qui m'apparaît être le camp majoritaire de l'ouest du Canada est globalement favorable. J'espère que cela donnera des résultats positifs.

.1615

[Français]

M. Landry: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Easter.

M. Easter (Malpèque): Je vous remercie, monsieur le président.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. Je suis très heureux de vous entendre contester certains des mythes autour du double circuit de commercialisation, car pendant trop longtemps d'aucuns ont prétendu que l'on peut réussir en jouant sur les deux tableaux, et c'est faux.

Le fait est que, sur le plan des exportations dont s'occupe la Commission canadienne du blé, nous pouvons, en tant que pays, livrer concurrence contre les autres pays ou bien livrer concurrence contre nous-mêmes.

Peut-être les députés d'en face ne le voient-ils pas, mais c'est le vendeur qui offre le prix le plus bas qui détermine le cours, et si nous commençons à nous concurrencer nous-mêmes - et c'est ce que fera le marché double - cela va saper le marché. On l'a vu bien des fois chez nous dans le secteur de la pomme de terre, et c'est pourquoi nous considérons certainement la Commission du blé comme un modèle.

J'ai deux questions, monsieur le ministre. L'une intéresse la régie. En ce qui concerne le comité consultatif de la Commission canadienne du blé, je m'inquiète un peu lorsque vous dites que ses membres vont rester en place jusqu'à la fin de leur mandat. Si c'est le cas, il faudra donner à ce comité des pouvoirs afin qu'il puisse fonctionner. S'il ne dispose pas de ces pouvoirs, il ne sert à rien de conserver le comité. S'il ne peut remplir ses fonctions, il ne sert à rien de l'avoir. Voilà un premier sujet sur lequel j'aimerais votre réponse.

Ma deuxième question intéresse l'option d'achats comptants dont pourra user la commission. J'aimerais savoir quelle est votre intention à cet égard, et je laisse de côté le projet de loi dont nous ne pouvons pas encore débattre, mais j'aimerais savoir ce que vous visez. J'ai entendu parler d'un maximum de 25 p. 100 par producteur et d'autres m'ont dit qu'il n'y avait pas de limite. J'aimerais donc savoir quel maximum de ventes au comptant vous envisagez? Si c'est supérieur à 25 p. 100, je crains pour le système de mise en commun de la commission et j'aimerais connaître également votre avis là-dessus.

M. Goodale: Monsieur Easter, tout d'abord, en ce qui concerne le comité consultatif, ses membres eux-mêmes s'interrogent sur leur rôle dans cette situation de parenthèse. Ils avaient une fonction à remplir au cours des quelque 20 dernières années où il n'y avait pas de conseil d'administration et où ils étaient les seuls à exprimer l'avis de la base, en quelque sorte, sur le fonctionnement de la Commission canadienne du blé.

Cela va évidemment changer. La commission aura à rendre compte à un conseil d'administration dont la majorité des membres seront des agriculteurs élus. On est donc logiquement amené à s'interroger sur l'avenir du comité consultatif, ainsi que sur ce qui se passera dans l'intervalle entre aujourd'hui et l'élection du conseil d'administration.

J'ai eu l'occasion d'avoir une discussion préliminaire avec les membres du comité consultatif quant à leurs préférences et leurs idées sur la façon de gérer cette période de transition. Je suis en possession de leurs avis préliminaires et je compte recevoir sous peu une proposition détaillée montrant quel rôle utile et constructif ils pourraient jouer auprès de la commission pendant cette nécessaire période de transition.

Si tout se déroule comme nous le prévoyons, le conseil d'administration intérimaire sera nommé au printemps 1997, de façon à ce qu'il puisse légalement exercer ses fonctions au début de la prochaine campagne agricole, c'est-à-dire le 1er août 1997. Nous entamerons ensuite le processus électoral en 1998, de telle façon que tous les administrateurs représentant les producteurs, ou au moins un certain nombre d'entre eux, soient en fonction le 1er août 1998.

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Nous avons indiqué dans notre énoncé de politique qu'une fois le processus électoral en cours, le comité consultatif de la Commission du blé aura logiquement un rôle très réduit. Si j'ai bien saisi, le mandat actuel des membres, qui a débuté avec la dernière série d'élections au comité consultatif, vient à expiration fin 1998. Cependant, la campagne agricole commencera le 1er août 1998. À ce stade, il y aura au moins certains administrateurs élus. Il faut donc se demander si le comité aura encore une fonction utile à remplir entre le 1er août 1998 et l'expiration de son mandat actuel le31 décembre 1998.

C'est l'un des sujets sur lesquels je serais très heureux de connaître les avis de votre comité. Il se peut très bien, comme l'implique au moins en partie votre question, qu'il serait plus logique de mettre un terme au mandat du comité consultatif un peu plus tôt - c'est-à-dire, le 1er août 1998 au lieu du 31 décembre 1998 - de façon à éviter toute confusion de rôle entre les conseillers élus et les administrateurs élus.

Il est un autre aspect encore du processus électoral des nouveaux administrateurs de la Commission canadienne du blé auquel vous voudrez peut-être réfléchir. Nous avons indiqué qu'une majorité d'entre eux seront élus par les agriculteurs et que le conseil comprendra au moins 11 membres et un maximum de 15. Il y aura donc au minimum sept administrateurs-producteurs et peut-être plus.

Il ne serait probablement pas souhaitable qu'à l'avenir tous les sept mandats viennent à expiration en même temps. Ce manque de continuité pourrait être très déstabilisant pour le conseil d'administration. Nous aimerions l'avis du comité sur la façon d'échelonner le processus électoral de façon à ce que la majorité des administrateurs ne soient pas renouvelés tous en même temps. Vos conseils sur la façon mécanique d'étaler cela seraient les bienvenus.

Pour ce qui est des achats comptants, c'est un pouvoir que la commission pourra utiliser à sa guise. Les nouveaux administrateurs, et particulièrement les représentants élus des producteurs, auront des idées sur les conditions dans lesquelles l'exercice de ce pouvoir pourrait être utile et précieux. Je vous citerai un exemple remontant à quelques années. La Commission canadienne du blé avait des perspectives de vente très intéressantes à l'étranger pour de l'orge canadienne, à des prix potentiellement bien meilleurs que tout ce que l'on pouvait escompter obtenir ailleurs. Or, liée par les contraintes du paiement initial, la commission n'a pu se procurer suffisamment d'orge pour effectuer ces livraisons. Ainsi, des débouchés ont probablement été perdus parce que l'orge n'était pas disponible. Cela signifie également qu'il y a eu des frais de surestarie plus élevés à prélever sur les recettes de l'orge mis en commun. Dans une telle situation, il aurait été utile à la commission de pouvoir acheter de l'orge à un prix autre que le paiement initial de façon à saisir une occasion de vente immédiatement disponible ou éviter une accumulation de frais de surestarie pesant sur les recettes.

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La commission considère qu'avec ce pouvoir elle pourra mieux gérer son programme de vente, à un coût d'ensemble moindre et à des prix de vente globaux supérieurs, produisant un meilleur rendement pour les producteurs. Je crois que la commission est également d'avis que ce pouvoir peut être utilisé et exercé dans les circonstances appropriées sans nuire au principe de la mise en commun.

M. Easter: Y a-t-il une possibilité qu'un maximum soit imposé?

M. Goodale: Encore une fois, je suis limité dans ce que je puis dire au sujet du projet de loi, mais dans notre énoncé de politique nous n'avons pas fait état de maximum.

Le président: Monsieur Hoeppner.

M. Hoeppner (Lisgar - Marquette): Je vous remercie, monsieur le président.

Je suis surpris que vous ne vous soyez pas fait accompagner de responsables de la Commission du blé, monsieur Goodale, car j'aimerais vous poser une question sur la loi elle-même.

M. Goodale: La loi actuelle ou la nouvelle loi?

M. Hoeppner: La loi actuelle. Je veux vous donner un exemple très simple...

M. Goodale: Pourrais-je juste poser une question technique, monsieur le président? Je suppose que lorsque vous traitez de la commercialisation du blé, vous invitez de temps à autre la Commission du blé à vous rencontrer.

Le président: Je pense que l'on peut tenir pour acquis que lorsque le projet de loi sera étudié en comité, ce comité voudra entendre les vues de beaucoup de gens, y compris des dirigeants de la Commission du blé.

M. Goodale: Vous aurez donc cette occasion le moment venu, monsieur Hoeppner.

Le président: Comme vous le savez, monsieur le ministre, le projet de loi ne nous a pas été envoyé, et nous ne pouvons donc préjuger qui dira quoi, où et quand.

M. Hoeppner: On m'a accusé dans la presse, et même à la Chambre, de me faire le champion de Farmers for Justice. Je veux vous donner un exemple qui est intervenu avant même que Farmers for Justice ne soit fondé. Cela remonte à 1993-1994, lorsque le blé a été touché par l'épidémie de fusarium.

Comme vous le savez, dès que plus de 5 p. 100 d'un champ est touché par le fusarium, ce blé est invendable. Nous avons trouvé un débouché aux États-Unis pour ce grain que la Commission du blé refusait d'acheter. Du fait que je vis à trois milles de la frontière américaine, il nous était relativement facile d'exporter ce grain. Mais j'ai deux frères agriculteurs qui n'ont pas la chance d'être aussi proches de la frontière. Ils ont vendu leur blé dur, entièrement déclassé comme fourrage, à une compagnie d'élévateur locale.

Environ un an après, j'ai commencé à recevoir tout d'un coup des plaintes d'agriculteurs. Ils se sont aperçus que certains producteurs n'avaient pas eu le même prix que d'autres - et cela à l'intérieur même de ma propre famille. Un de mes frères, avec le même type de blé dur, a vendu à un élévateur une vingtaine de milles plus loin. Il a touché un prix initial, sans prime. L'autre frère a vendu le même blé et touché une prime de 37 $ la tonne, 1 $ le boisseau.

Nous avons découvert que c'est là une pratique assez courante dans le système de mise en commun. J'ai demandé à trois ou quatre cabinets juridiques différents d'interpréter la loi, pour déterminer si cela est légal ou non, dans le système de mise en commun à comptoir unique. Ils me disent que c'est illégal.

Par ailleurs, pour le grain que nous avons exporté, monsieur Goodale, nous pensions avoir obtenu un bon prix. Nous avons effectué le rachat et avons procédé légalement. Nos voisins nous ont demandé de faire la même chose pour eux, et nous l'avons fait légalement. Nous avons exporté sur le marché américain 800 000 boisseaux de blé invendable. Lorsque ces plaintes ont commencé à me parvenir, j'ai effectué des vérifications. Savez-vous ce que j'ai découvert, monsieur Goodale? Pour le blé que nous avons exporté, nous l'avons racheté à la commission pour 33,24 $ de plus que les agriculteurs n'ont touché en fin de compte. Où est passé cet argent? C'était la pire semaine dans le pool du blé fourrager.

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Quelque chose ne va pas quelque part. Vous avez dit que la Commission du blé aurait le même mandat. Est-ce le mandat de la Commission du blé que de gérer le système de mise en commun de cette façon?

M. Goodale: Monsieur Hoeppner, permettez-moi de répondre sur le plan général, si je puis. Comme je l'ai dit à d'autres reprises, s'il y a des doutes concernant des transactions ou des circonstances particulières, je me ferai un devoir de faire enquête de mon mieux, dans les limites de la confidentialité commerciale.

M. Hoeppner: Cela a causé un véritable tollé dans ma région. C'est à ce moment-là que Farmers for Justice a été fondé, et l'association se bat sur cette question. Vous devez régler ce problème d'une façon ou d'une autre, sinon la méfiance envers le système de mise en commun va diviser encore davantage les agriculteurs et cela va mettre en pièces la Commission du blé, à long terme.

M. Goodale: Permettez-moi de répondre là-dessus. Je pense que la reddition de comptes et la communication sont des éléments d'importance cruciale pour l'avenir. Vous avez raison de dire qu'il y a eu des controverses par le passé, dans certaines situations où des agriculteurs, à tort ou à raison, estimaient ne pas avoir eu accès à tous les renseignements, à tous les faits ou à tous les comptes qu'il aurait fallu. Je ne suis pas en mesure de juger le bien-fondé de leurs doléances, mais je reconnais qu'il y a eu un certain degré de frustration à cet égard. J'espère que le nouveau conseil d'administration de la Commission canadienne du blé trouvera les méthodes appropriées de rendre des comptes et d'informer le public, de façon à lever tous ces doutes.

Lorsque des cas individuels, précis, m'ont été soumis, avec une question, j'ai fait de mon mieux pour trouver la réponse à la question. Dans toutes ces enquêtes, je n'ai jamais trouvé trace de la moindre irrégularité.

Cependant, aussi longtemps qu'un doute persiste ou qu'il y a quelque brouillard ou obscurité, certains seront portés à soupçonner le pire. J'aimerais que la commission et son nouveau conseil d'administration et ses comptables et vérificateurs et agents de communication essaient de lever tous ces doutes de leur mieux, sachant qu'ils sont tenus par des règles de confidentialité commerciale qu'ils ne peuvent enfreindre. Mais si un doute persiste, répondons aux questions et cherchons à dissiper l'anxiété.

M. Hoeppner: J'ai reçu un appel téléphonique d'un ancien inspecteur de la Commission canadienne du blé qui avait lu certaines de mes allégations dans les journaux, et il était furieux. Il m'a dit, Jake, j'ai travaillé pour cette boîte pendant tellement d'années, ils ne peuvent être corrompus. J'ai répondu, monsieur, je vais vous lire un contrat que j'ai sous les yeux où c'est écrit noir sur blanc et dites-moi si c'est légitime ou pas. Monsieur Goodale, lorsque j'ai fini de lire le texte, il m'a dit, Jake, c'est de la corruption, ne laissez pas tomber la lutte; c'est soit les compagnies céréalières, soit la Commission du blé. Quelle preuve de plus me faut-il?

M. Goodale: Encore une fois, je ne peux pas minimiser les faits, mais c'est là l'avis d'une personne sur une situation hypothétique. Je ne peux réellement pas entrer dans les détails de cas particuliers. Mais permettez-moi de répéter le principe.

S'il y a des doutes quant à la fiabilité ou l'authenticité d'une procédure de reddition de comptes, cela n'est dans l'intérêt ni des producteurs ni de l'établissement de commercialisation. Je pense que nous devons avoir les techniques comptables et de reddition de comptes les plus modernes et les plus exhaustives de façon à répondre aux interrogations légitimes du public concernant les méthodes suivies par l'institution.

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J'aimerais aussi ajouter un mot sur la dernière partie de votre question - cela peut également être en rapport avec un point que vous avez récemment soulevé à la Chambre - concernant le fait qu'une compagnie céréalière ou un moulin offre une prime d'encouragement aux livraisons. D'après ma lecture des circonstances et de la loi, la Loi sur la Commission canadienne du blé exige que lorsqu'un producteur livre une certaine variété et qualité de blé ou d'orge à un moment où un paiement initial donné est en vigueur - garanti par le gouvernement du Canada - le producteur effectuant la livraison reçoit ce paiement initial. C'est le minimum.

Il se peut très bien qu'une compagnie céréalière ou un moulin donné, pour ses fins commerciales propres, recherche un type particulier de grain ayant, mettons, une teneur donnée en protéines, dont il y a pénurie à un certain moment de la campagne et offre une incitation ou une prime en sus du paiement initial pour obtenir le grain voulu au moment voulu.

La Loi sur la Commission canadienne du blé contraint la compagnie à payer au minimum le prix initial. Si la compagnie veut offrir en sus une prime pour acquérir une certaine qualité de grain à un certain moment, je ne pense pas qu'il y ait une règle qui l'empêche. Mais elle n'est pas obligée.

M. Hoeppner: Nos avocats disent qu'il y en a une.

J'aimerais vous signaler une autre chose, monsieur Goodale. Si cela est possible dans le cadre d'un système de mise en commun, nous avons déjà un système de double marché en ce moment, car mes frères avaient le même grain, le même blé et la même distance de transport par route et ils ont eu 1 $ par boisseau de différence dans leur prix. Si ce n'est pas un double marché, je ne sais pas ce que c'est. Le système de mise en commun veut que tout le monde soit traité à égalité, au niveau du prix initial et au niveau des recettes engendrées par le prix de vente moyen de ce grain. Il est censé y avoir une différence de prix entre les catégories de qualité. Nous avons eu des cas où ce blé fourrager était aussi bon que le blé roux de printemps de catégorie Canada numéro un. Comment peut-on avoir un système de mise en commun si ce genre de choses se passe?

Le président: Monsieur le ministre, veuillez répondre et nous passerons ensuite à la question suivante.

M. Goodale: Très brièvement, monsieur Hoeppner, vous dites que vous avez un avis juridique mettant en doute la régularité de cela. Je vous ferai parvenir l'analyse juridique qui démontre que la Loi sur la Commission canadienne du blé est respectée. C'est une argumentation assez longue et quelque peu technique, mais j'essaierai de vous la faire parvenir sous peu.

M. Hoeppner: Convenez-vous que nous avons un double marché...

Le président: Désolé, nous devons poursuivre. D'autres députés veulent poser des questions et j'essaie de partager le temps équitablement.

M. Goodale: Non, je ne suis pas d'accord.

Le président: M. McKinnon, M. Reed et M. Benoît.

M. McKinnon (Brandon - Souris): Monsieur le ministre, dans le même ordre d'idées queM. Easter, j'aimerais savoir quelles sont vos intentions en ce qui concerne la date d'ouverture et de fermeture du compte de mise en commun et la flexibilité de ces dates.

Pourrais-je également signaler une chose? J'ai passé quelque temps en Australie l'été dernier. J'ai parlé à quelques producteurs et à quelques députés. Les deux groupes m'ont dit que, parmi ce à quoi ils tiennent le plus, c'est la composante de vente à comptoir unique de la Commission australienne du blé. Je tenais à le signaler aux fins de ce débat, au cas où l'impression aurait été créée que le double circuit de commercialisation est largement accepté par tous là-bas.

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Le troisième aspect que j'aimerais aborder est que l'on ne semble pas poursuivre de façon très compétente les créneaux particuliers du marché. Par exemple, une qualité particulière de céréale cultivée dans le sud-ouest du Manitoba, généralement parlant, présente une teneur en protéines supérieure à celle de la plupart des régions de l'ouest du Canada, en raison de la sécheresse du climat, du stress des plantes ou de quelque autre facteur. J'aimerais savoir si vous songez à exploiter davantage ces créneaux particuliers du marché.

Enfin, j'ai entendu certains producteurs - et M. Hoeppner y a fait allusion en parlant du blé touché par le fusarium - critiquer le processus de rachat pour exportation. J'aimerais savoir si vous réexaminez ce mécanisme, en prévision du long terme. Je vous remercie.

M. Goodale: Il y a là plusieurs questions, monsieur McKinnon.

Tout d'abord, pour ce qui est des comptes de mise en commun, à l'heure actuelle la Commission canadienne du blé ouvre ses comptes pour toute campagne le 1er août et les garde ouverts pour les livraisons pendant les 12 mois suivants. Dans certains cas, la période peut être prolongée au-delà de 12 mois s'il y a un problème de congestion quelque part dans le système ou quelque chose du genre. Mais, normalement, c'est un pool de 12 mois. Ensuite, il y a une période après le 1er août pendant laquelle la Commission du blé complète son programme de vente du pool précédent, parachève les transactions, effectue les calculs finaux et verse aux producteurs le paiement final.

La plupart du temps, cette approche annualisée fonctionne très bien. Mais certaines années, dont nous avons connu des cas récemment, il est plus rationnel de fermer un pool et d'en ouvrir un autre parce que, en cours de saison, un changement de circonstances fondamental est intervenu. Au lieu de mélanger les circonstances du début de l'année avec celles de la fin de l'année, par exemple, il peut être plus approprié de simplement clore un compte avant la fin de la campagne, effectuer les calculs à ce stade et ouvrir un nouveau compte pour le restant de la saison. À l'heure actuelle, la loi ne permet pas de le faire et nous proposons, avec la politique que nous avons annoncée, de donner cette flexibilité à la commission.

Donc, si les circonstances commerciales changent soudainement en cours de campagne, la commission aura le pouvoir de clore précocement le compte de mise en commun et d'en ouvrir un autre pour le restant de la saison. La commission pourra alors reverser aux agriculteurs l'argent dans le compte précocement fermé, le plus rapidement possible.

Cela soulève une question très intéressante qui reflète l'évolution de la situation au cours des20 dernières années. Lorsque j'ai été élu député pour la première fois, dans les années 1970, l'une des plus grosses doléances qui nous aient été exprimées année après année, était le fait que la Commission canadienne du blé fermait sa campagne le 31 juillet ou le 1er août, effectuait les dernières livraisons des ventes conclues les 12 mois précédents de façon à fermer tous les comptes, puis envoyait le paiement final aux agriculteurs pour la récolte précédente en novembre ou en décembre. Cette méthode avait tendance à perturber toute la planification fiscale de beaucoup d'agriculteurs, parce qu'ils n'avaient pas prévu qu'un chèque leur parvienne le 28 décembre. Ils trouvaient beaucoup plus commode que ce chèque ne leur parvienne que le 2 janvier.

C'est pour cela, pour lever cette incertitude, que la loi a été changée à la demande des agriculteurs de façon à spécifier que le paiement final, le cas échéant, ne serait effectué qu'après le 1er janvier suivant la fin de la campagne.

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Le point de vue des agriculteurs semble certainement avoir changé à cet égard. À une écrasante majorité, les avis donnés à la Commission canadienne du blé et au gouvernement sont qu'il faut régler les agriculteurs aussi rapidement que possible après la fermeture du compte de mise en commun, la conclusion des ventes et l'exécution des calculs et donc qu'il faut supprimer cette disposition de la loi disant que le paiement final ne peut être effectué qu'après le 1er janvier suivant.

Nous allons donc inscrire cette flexibilité dans la loi, monsieur McKinnon. Tout l'objectif poursuivi ici est que les comptes de mise en commun reflètent fidèlement les circonstances commerciales et que les calculs finaux et les versements aux agriculteurs soient effectués aussi rapidement que possible, sans qu'aucune contrainte législative ou réglementaire ne retarde le processus.

Pour ce qui est des créneaux du marché, la Commission canadienne du blé s'occupe très sérieusement d'exploiter le marché à l'avantage des agriculteurs. On voit apparaître aujourd'hui diverses possibilités et techniques commerciales que nul d'entre nous n'aurait jamais cru possibles il y a dix, 15 ou 20 ans. Ainsi, la Commission du blé a créé toute une division chargée expressément d'examiner et de poursuivre ces nouvelles perspectives commerciales.

La Commission du blé a fait appel pour ce travail de prospection et d'exploitation des créneaux commerciaux à un dirigeant agricole manitobain, que vous connaissez probablement bien, monsieur McKinnon: M. Earl Geddes.

Je ne veux pas faire une autre suggestion gratuite, monsieur le président, mais je pense qu'il serait très utile que vous invitiez M. Geddes ou le représentant approprié de la Commission canadienne du blé à venir vous parler de la stratégie de développement des marchés de la commission. M. Geddes l'a fait pour diverses organisations agricoles de l'ouest du Canada et je pense que, à chaque fois, cet exposé où il montre le dynamisme de la Commission canadienne du blé sur le plan de ces nouvelles techniques de développement des marchés est très bien reçu. Il serait peut-être utile que le comité entende également cet exposé de M. Geddes.

Le président: Monsieur Reed.

M. Reed (Halton - Peel): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur le ministre, les lettres opposées à la Commission du blé qui parviennent sur mon bureau appuient réellement un monsieur qui a été inculpé d'exportation de blé sans l'autorisation de la commission. J'essaie de montrer que si ce grain était transformé en alcool, la personne se verrait accusé de trafic d'alcool.

Il est assez évident que les changements que vous prescrivez pour la Commission du blé donnent beaucoup plus de contrôle aux agriculteurs. Ces derniers auront réellement la maîtrise de ce qu'il adviendra de la Commission du blé à l'avenir. J'ai pu dire à ces gens qui m'ont écrit que si les cultivateurs ne veulent plus de la Commission du blé à l'avenir, elle cessera d'exister. Mais aussi longtemps que la majorité des agriculteurs veulent de la Commission du blé, il me semble que nous avons le devoir d'assurer son existence.

Auriez-vous l'amabilité de souligner pour nous les modifications apportées à l'administration de la Commission du blé qui donnent le contrôle aux agriculteurs plus que ce n'était peut-être le cas auparavant?

Le président: Je suppose, monsieur Reed, que vous parlez là des changements proposés?

Des voix: Oh, oh!

M. Reed: Oui, désolé.

M. Goodale: Mais rien qui figure déjà dans un texte de loi, bien entendu.

M. Reed: Je suppose que nous sommes tous accoutumés à parler d'hypothèses, monsieur le ministre.

M. Goodale: Monsieur le président, j'apprécie la formulation très discrète et prudente deM. Reed, car outre les subtilités parlementaires, nul d'entre nous ne peut évidemment mentionner de poursuites judiciaires en cours. Je pense qu'il est sage de ne pas se hasarder dans ces eaux. Ces questions sont tranchées ailleurs, selon la loi, et elles suivront leur cours.

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Pour ce qui est plus particulièrement des changements futurs, monsieur Reed, je vous enverrai - et vous en avez peut-être déjà le texte - des copies de quelques discours récents prononcés devant diverses organisations agricoles de l'ouest du Canada par le président de la commission, M. Hehn, où il parle de ce que ces changements signifient pour l'avenir, selon son optique. Je pense que ce serait utile au comité.

Sur la foi de son expérience du secteur céréalier de l'Ouest, tant dans le secteur privé que maintenant à la Commission canadienne du blé, il fait un historique très précieux du fonctionnement passé, de ce que signifieront les nouvelles règles sur le plan pratique et des différences qu'elles feront à l'avenir. Il souligne ce que vous avez dit sur le plan de l'influence et de contrôle des producteurs, à l'avenir.

En bref, deux éléments fondamentaux sont à signaler. Premièrement, il y aura un conseil d'administration. La Commission canadienne du blé n'en avait jamais eu. Pendant un an ou 18 mois, les membres de ce nouveau conseil seront nommés par le gouvernement, à titre temporaire. Ce conseil intérimaire comprendra une majorité d'agriculteurs de la région sur laquelle la commission a compétence.

Début 1998, la majorité représentant les producteurs au conseil sera remplacée par des administrateurs élus par les cultivateurs eux-mêmes. Ainsi, après cette période de transition, cette période d'intérim qui durera de 18 mois à deux ans, la régie de la Commission canadienne du blé sera aux mains d'un conseil d'administration. La majorité de ces administrateurs seront des agriculteurs élus. C'est un changement majeur qui donnera un poids et une influence énormes aux cultivateurs eux-mêmes, tant à ceux qui auront été élus au conseil qu'à ceux qui les élisent.

Je précise à cet égard que j'ai examiné les données électorales concernant le choix par le passé des membres du comité consultatif de la Commission canadienne du blé et, de façon générale, la participation à ces élections a été faible. À l'avenir, les agriculteurs auront fortement intérêt à participer massivement à l'élection des administrateurs. Ces derniers ne seront plus seulement des conseillers. Ils seront légalement responsables et la direction de la commission sera entre leurs mains. C'est un gros changement.

Le deuxième changement, monsieur Reed, concerne le mandat futur de la Commission canadienne du blé. Nous avons esquissé un certain nombre de mesures qui doivent être prises immédiatement pour modifier ce mandat. Je ne vais pas les passer en revue toutes, et me contenterai de signaler la dernière, qui est fondamentale. Toute modification jugée comme majeure ou fondamentale apportée à l'avenir à la Commission canadienne du blé devra être ratifiée par un vote des agriculteurs avant de prendre effet.

Dans le cas de l'orge, nous procédons à un vote des producteurs cet hiver.

Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre.

Monsieur Benoit.

M. Benoit (Vegreville): Je vous remercie, monsieur le président, et je salue M. Goodale.

Je voudrais parler d'abord du processus démocratique et des référendums. Normalement, lorsqu'on organise un référendum, on offre aux votants des choix. Ils peuvent choisir entre différentes options reconnues comme ayant l'appui d'un nombre important des gens consultés. Le double circuit de commercialisation est certainement une question que les agriculteurs veulent voir figurer; une grosse majorité d'agriculteurs, de fait, ont dit qu'ils veulent la possibilité de se prononcer sur le double marché. C'est certainement une question à poser que de savoir si une majorité est en faveur d'un tel système de commercialisation. Or, dans votre référendum, vous n'allez pas poser la question et j'aimerais savoir pourquoi. Dans un processus démocratique, cette question figurerait certainement sur le bulletin de vote.

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M. Goodale: Monsieur Benoit, j'ai suivi très attentivement le processus par lequel le gouvernement de l'Alberta a tenté de sonder l'opinion sur ce point.

M. Benoit: Je ne parle pas des résultats d'un sondage; je parle d'inscrire l'option du double marché sur le bulletin de vote, pour offrir une troisième option. Laissez les agriculteurs choisir entre les trois options.

M. Goodale: Que faites-vous alors, monsieur Benoit, si vous avez une opinion minoritaire en faveur de chacune des trois options? J'ai déjà dit...

M. Benoit: Vous pouvez dire dès le départ qu'il peut y avoir un troisième choix, ou bien vous pouvez tenir un deuxième référendum. Vous pouvez organiser les choses de différentes façons. Cela s'est fait par le passé. Vos chercheurs trouveront bien un moyen.

M. Goodale: Oui, et j'essayais de vous expliquer l'expérience historique et vous n'avez pas semblé intéressé à l'entendre. Je veux bien avoir cette conversation avec vous, mais le fait est que si vous avez plus de deux questions sur le bulletin, vous aurez très probablement une opinion minoritaire en faveur de chacune. Vous ne résolvez rien si vous présentez tout un menu et il me semble que vous invitez là une absence de résultat. L'avis que j'ai reçu d'un nombre écrasant d'organisations agricoles de l'Ouest était celui-ci: faites en sorte que ce soit clair, que ce soit précis, que ce soit définitif. C'est ce que fera la question choisie.

M. Benoit: C'est absolument faux. Les agriculteurs veulent certainement cette option sur le bulletin de vote. Tous les sondages le montrent.

M. Goodale: Quelle option?

M. Benoit: Une explication que j'ai entendue de votre bouche est que vous avez décidé que le double circuit de commercialisation est une option impraticable. Est-ce le cas?

M. Goodale: Monsieur Benoit, quelle est votre définition de double circuit de commercialisation?

M. Benoit: Vous pouvez utiliser toute définition que vous voudrez, et je vous demande...

M. Goodale: Voulez-vous que j'inscrive sur le bulletin de vote une question disant: «Voulez-vous la double commercialisation et vous pouvez la définir de la façon qui vous plaît?»

M. Benoit: Non.

M. Goodale: C'est là que réside le problème, monsieur Benoit.

M. Benoit: Vous pouvez mettre la question. Vous pouvez offrir l'option.

La double commercialisation a certainement été définie par les agriculteurs de l'Ouest. Ils ont une idée très claire de ce que c'est, et elle est à peu près la même d'un bout à l'autre du Canada.

M. Goodale: C'est l'un des problèmes, monsieur Benoit. Ce n'est pas la même.

M. Benoit: Vous préférez donc éluder complètement la question parce qu'elle est un peu difficile...

M. Goodale: Non. Je pense que...

M. Benoit: ...ou parce que vous n'auriez pas le résultat que vous souhaitez?

M. Goodale: Non, pas cela non plus, monsieur Benoit.

M. Benoit: On vous a demandé quel pourcentage des voix exprimées sera requis pour remporter la décision. Quelle est votre réponse à cela?

M. Goodale: Monsieur Benoit, j'ai essayé d'être aussi clair que possible à ce sujet, mais je vais essayer de nouveau.

Sauf aberration majeure qui rendrait le processus illégitime, et à l'heure actuelle je ne puis imaginer de situation semblable, mais excepté...

M. Benoit: Est-ce qu'un certain pourcentage de participation sera requis?

M. Goodale: Pardonnez-moi?

M. Benoit: Un certain pourcentage d'agriculteurs admissibles...

M. Goodale: Laissez-moi finir la phrase et j'en viendrai ensuite à la participation.

Sauf quelque aberration fondamentale que toute personne raisonnable reconnaîtrait comme telle, et à supposer qu'il y ait un résultat net - et avec le genre de question qui a été rédigée, on peut penser que le résultat sera net, car il y a deux options et il y aura forcément une majorité en faveur de l'une et une minorité en faveur de l'autre - nous avons l'intention d'exécuter la position majoritaire.

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M. Benoit: Voulez-vous dire 50 p. 100 plus 1?

M. Goodale: Oui, la position majoritaire.

M. Benoit: Eh bien, j'ai obtenu une réponse là-dessus!

M. Goodale: C'est ce que j'essaie de dire depuis trois mois.

M. Benoit: Monsieur Goodale, je dois vous féliciter. Vous avez un don qui est réellement rare. Vous avez le don rare de dire si peu en tant de mots et en prenant tant de temps.

Faudra-t-il un certain pourcentage de participation pour que ce référendum soit jugé valide?

M. Goodale: Monsieur Benoit, je pense que nous devons tous considérer les résultats...

M. Benoit: Ne pouvez-vous répondre par oui ou non?

M. Goodale: Je pense que nous devons tous considérer les résultats et déterminer quel niveau de participation est crédible.

Très franchement, je peux vous dire aujourd'hui que je ne pense pas que ce soit un problème. Si vous remontez 20 ans en arrière, lorsqu'il y a eu le vote sur le colza, le niveau de participation, pour une décision beaucoup moins controversée, a été supérieur à 80 p. 100, si ma mémoire est bonne. Je pense qu'il y aura un taux de participation très important et que le résultat sera probablement clair. Donc, toute cette discussion hypothétique sur diverses éventualités est tout à fait hors propos, car je pense que les agriculteurs vont exprimer leur point de vue sans guère laisser de place au doute.

M. Benoit: Pourtant, monsieur le ministre, le fait est que lorsqu'il y a un tirage du loto 6/49, vous ne pouvez pas choisir les chiffres après le tirage. Vous refusez de définir les conditions du vote avant qu'il ait lieu. C'est antidémocratique. Il importe que les conditions soient clairement définies, afin que les gens sachent exactement quel pourcentage des votes exprimés sera requis, quel taux de participation sera requis pour que le vote soit valide etc.

En ce qui concerne le processus, vous dites qu'une fois ce conseil partiellement élu en place, pour qu'un changement de fond soit apporté à la Commission du blé, il faudra, tout d'abord, l'aval du conseil d'administration. Il devra voter en faveur de ce changement. Deuxièmement, vous dites que la Commission des grains devra l'approuver. Troisièmement, il y aura un vote des agriculteurs pour le ratifier. Ai-je bien suivi?

M. Goodale: C'est exact.

M. Benoit: Dans quel ordre cela se fera-t-il? Une fois que le conseil d'administration décide qu'il veut le changement, faut-il l'aval de la Commission des grains avant que les agriculteurs ne s'expriment par un vote?

M. Goodale: Oui, effectivement. C'est l'ordre que j'envisage. Je présume...

M. Benoit: Mais la Commission des grains pourrait opposer un véto à la majorité des membres du conseil...

Le président: Leon, si vous voulez que le ministre réponde, laissez-le répondre au lieu de l'interrompre au bout de trois mots.

M. Benoit: J'essaie simplement d'obtenir quelques réponses dans le temps dont nous disposons.

M. Goodale: Monsieur Benoit, j'ai dit très clairement que nous ne pouvons pas, en tant que pays exportateur qui dépend de sa réputation mondiale de qualité et de fiabilité, permettre que cette réputation soit anéantie. Tant la Commission canadienne du blé que la Commission canadienne des grains ont assumé dans notre histoire un rôle de premier plan pour asseoir cette réputation dans le monde.

M. Benoit: Mais les agriculteurs n'ont-ils pas la capacité de décider si un certain changement...

Le président: Leon, soyez poli, je vous prie, et laissez le ministre répondre à la question. Il ne vous interrompt pas, et je vous demande donc de ne pas l'interrompre.

Monsieur le ministre, poursuivez.

M. Benoit: Si le ministre voulait donner une réponse qui...

Le président: Monsieur Landry, avez-vous une question? Je donne la parole à M. Landry.

[Français]

M. Landry: Avec tout ce qui se passe à la Commission canadienne du blé, monsieur le ministre, avez-vous pensé à orchestrer une campagne publicitaire auprès des 70 pays avec lesquels la Commission canadienne du blé fait affaire afin de les informer et de les rassurer sur les changements proposés? Avez-vous pensé à leur démontrer que le fait de s'approvisionner auprès de la Commission canadienne du blé ne les mettra pas en péril?

[Traduction]

M. Goodale: Monsieur Landry, vous soulevez là un aspect très important, à savoir la façon dont nos clients étrangers perçoivent tout ce processus. Moi-même, et la Commission du blé, avons dû, au cours des derniers mois, assurer à nos clients que le Canada continuera d'être un fournisseur très fiable des céréales que nous leur fournissons traditionnellement.

.1705

Sans qualifier cela de campagne, la Commission du blé et le gouvernement ont expliqué dans le détail à nos clients du monde ce que nous prévoyons de faire et comment ce processus va se dérouler au cours des mois à venir. Je pense qu'il est très important pour nous de les rassurer.

J'ajouterais que, si ce n'est pas vraiment leur affaire - n'étant pas Canadiens et, plus particulièrement, n'étant pas des céréaliculteurs canadiens - nos clients sont de toute évidence très importants pour nous. Nous avons une relation de longue date, respectueuse et très profitable, avec ces clients et nous devons répondre à leurs attentes.

Je vois de temps en temps des acheteurs ayant sur le visage une expression de grand étonnement. Ils me demandent ce que c'est que toute cette controverse, car ils font affaire avec la Commission canadienne du blé depuis de nombreuses années et la considèrent comme le meilleur établissement de négoce du monde. C'est ce qu'ils me disent.

J'entends, en bruit de fond, M. Hermanson s'agiter et parler de prix.

Des voix: Oh, oh!

M. Goodale: Parlons-en. Ils ajoutent: «La Commission canadienne du blé nous fait toujours payer trop cher et nous acceptons de lui payer plus qu'à n'importe qui d'autre parce que nous avons la garantie de qualité canadienne. C'est pourquoi nous acceptons de payer un surprix sur le marché».

Des voix: Oh, oh!

Le président: À l'ordre.

[Français]

M. Landry: Merci, monsieur le ministre. Vous m'avez donné une réponse très positive et je l'apprécie beaucoup.

[Traduction]

Le président: La parole va aller successivement à M. Taylor, M. Culbert et M. Hermanson.

M. Taylor (The Battlefords-Meadow Lake): Merci beaucoup, monsieur le président.

C'est un plaisir que de pouvoir aborder le sujet du référendum sur l'orge. J'aurais voulu pouvoir y consacrer plus de temps si nous ne nous étions pas autant égarés vers des sujets dont nous pourrons traiter à d'autres occasions. Cela a néanmoins été intéressant.

J'ai trois questions. La deuxième et la troisième peuvent être posées ensemble, mais la première, la question principale, porte simplement sur l'objet du référendum lui- même.

Je n'ai encore jamais entendu d'explication sur sa raison d'être. Cela n'a été expliqué dans aucun des discours prononcés ou dans aucune des réponses aux questions. La question de l'avenir de la Commission canadienne du blé a été posée maintes fois aux producteurs, non seulement dans des sondages, mais également dans des réunions tenues à travers le pays. Le rapport du Comité de la commercialisation était très favorable à la Commission canadienne du blé. Dans vos propres interventions, monsieur le ministre, vous n'avez parlé que des avantages de la commission.

Vous avez reconnu ici, aujourd'hui, comme déjà par le passé, que le double circuit de distribution ne figure pas sur le bulletin de vote parce que vous le jugez impraticable, or vous posez aux producteurs la question de l'avenir de l'orge. Si, pour quelque raison, les agriculteurs de l'Ouest décidaient de soustraire l'orge du rôle de la commission, l'incertitude sur l'avenir de celle-ci deviendrait plus forte que jamais. Par conséquent, à mon avis, l'échec au référendum signifie l'échec de la commission.

Pouvez-vous m'expliquer, et expliquer aux producteurs canadiens de l'Ouest pourquoi vous procédez à ce vote? Si vous êtes partisan de la commission et ne voulez pas un double circuit de commercialisation, pourquoi ne confirmez-vous pas tout simplement la compétence de la commission sur l'orge?

M. Goodale: Je pense, monsieur Taylor, que le référendum ou le vote sur l'orge est la seule façon viable et pratique de résoudre une très vive controverse entre les cultivateurs eux-mêmes.

.1710

J'ai assisté à davantage de réunions avec des agriculteurs en général, des réunions importantes et des réunions plus restreintes, que je ne puis en compter et portant toutes sur cette question. C'est un débat et une controverse qui enflent depuis des années dans le cas de l'orge.

Il y a des duels de spécialistes qui viennent bardés de toutes sortes d'études, soit à l'appui du système de la commission, soit opposées à celui-ci. Je dois dire, dans l'ensemble, que je penche plutôt vers les études favorables à la position de la commission, mais je ne me prononce pas sur les forces et les faiblesses des diverses études qui ont été produites.

Vu l'évolution de cette controverse au fil des ans, je pense que nous sommes parvenus à un point où un vote est la seule façon viable de trancher. Je pense que l'absence de vote sur l'orge risquerait d'aggraver encore les difficultés de la Commission canadienne du blé.

Je ne veux pas spéculer sur les résultats du vote. C'est aux agriculteurs de décider. Mais ce processus démocratique, à mon avis, est essentiel dans la situation actuelle, pour clarifier le débat.

M. Taylor: Sauf votre respect, je ne pense pas que vous réaliserez vos objectifs. Si le résultat est oui, ainsi que d'autres l'ont dit, le débat continuera. Si le résultat est non, le débat sur l'avenir de la commission continuera. Je ne pense pas que vous aurez résolu la question dont vous semblez penser qu'elle motive le référendum.

M. Goodale: Pensez-vous que l'absence de vote mettrait fin au débat?

M. Taylor: Dans mon esprit, l'influence du ministre, à l'appui de la commission et allant de l'avant avec le renforcement du pouvoir de la commission, trancherait la question en montrant que la commission a un bel avenir devant elle.

Par ailleurs, mes deuxième et troisième questions concernent le référendum lui- même, puisqu'il va avoir lieu.

Tous les producteurs seront certainement touchés par le résultat. Comment se fait-il que seuls ceux qui ont cultivé de l'orge dans le passé récent soient admissibles à voter? Pourquoi pas tous les producteurs? Manifestement, le résultat touchera tous les céréaliculteurs.

Par ailleurs, puisque bon nombre de ces producteurs sont également concernés par la commercialisation de leurs autres récoltes, comment se fait-il que l'on ne pose pas la même question au sujet du canola ou du seigle, ou même la réintégration de l'avoine dans la compétence de la commission?

M. Goodale: Pour ce qui est de la question soumise au référendum, monsieur Taylor, je pense qu'il importe de ne pas mélanger trop de choses. Tout comme je pense qu'il faut soumettre au vote une question précise et claire au sujet de l'orge, je pense que l'on aurait un résultat plutôt confus si l'on posait en même temps une question similaire sur d'autres produits. Je pense que si l'on jette trop de produits dans l'équation, dans un même vote, on trouble les eaux. C'est donc dans l'intérêt de la clarté et de la précision que le référendum se limite à l'orge, à l'exclusion d'autres céréales.

Pour ce qui est de votre question sur l'admissibilité à voter, j'ai demandé à ce sujet l'avis des organisations agricoles. Si certaines ont exprimé un avis différent, une majorité nette a recommandé que la liste des votants soit limitée aux producteurs d'orge.

.1715

Lorsque j'ai demandé ensuite comment définir un producteur d'orge, on m'a répondu que c'est celui qui peut prouver avoir cultivé de l'orge dans le passé récent. Tout le monde a convenu que ce passé devrait ne pas être limité à une seule année. Certains ont préconisé deux ans, d'autres trois, d'autres cinq. Je pense qu'une recommandation préconisait même de remonter 15 ans en arrière, mais cela m'a paru un peu extrême.

Nous avons donc décidé que cinq ans serait une période raisonnable, sachant que si on s'était limité à trois ans, vu l'importante diversification des récoltes intervenue au cours des trois dernières années, on aurait par inadvertance exclu certains qui devraient légitimement avoir le droit de voter. Si vous remontez sur cinq ans, je pense que l'on englobe un groupe raisonnable de producteurs relativement bien axés sur le produit visé par le vote.

Il y a là une autre perspective encore. Si vous aviez dit que devraient être admis à voter tous les détenteurs d'un livret permanent de la Commission canadienne du blé, qu'ils produisent ou non de l'orge, on peut arguer - et c'est une argumentation très valable et très raisonnable - qu'il y a un impact indirect sur les producteurs de blé qui n'ont jamais cultivé d'orge du fait des répercussions potentielles du vote sur la commission. On peut donc arguer pour une admissibilité beaucoup plus large, étendue à tous les céréaliculteurs, qu'ils soient ou non producteurs d'orge. Mais si vous acceptez cet argument, alors vous devez accepter l'argument correspondant, à savoir qu'il faut en faire autant de l'autre côté et tenir compte des intérêts des utilisateurs d'orge, y compris les éleveurs qui n'ont jamais cultivé de céréales mais dépendent - du moins en théorie - de l'approvisionnement en grain de cette même institution de commercialisation.

Une fois que vous sortez du groupe identifiable des producteurs d'orge, vous pouvez élargir le bassin des deux côtés jusqu'à aboutir à une situation presque impossible. L'avis majoritaire des associations d'agriculteurs était de concentrer, de se limiter aux producteurs eux-mêmes. C'est ce que nous avons essayé de faire, en retenant une période de référence raisonnable de cinq ans. Cela semble répondre aux attentes de la plupart et c'est également conforme à la méthode retenue pour la plupart des votes passés sur d'autres produits: par exemple, le cas du colza il y a 20 ans ou celui d'autres produits agricoles ayant fait l'objet de votes.

Le président: Monsieur Culbert.

M. Culbert (Carleton - Charlotte): Je vous remercie, monsieur le président.

Bon après-midi, monsieur le ministre. Je voudrais tout d'abord aborder deux ou trois aspects et vous pourrez répondre ensuite, pour plus de simplicité et pour respecter les contraintes de temps de notre président.

Quantité d'études ont été faites au fil des ans, monsieur le ministre, sur l'approche du comptoir unique par opposition à un système où chacun partirait vendre son produit de son côté. J'aimerais savoir, sur la base de ces différentes études d'experts qui ont dû être effectuées au fil des ans, quelle est la différence moyenne du taux de rendement pour l'agriculteur sur les scénarios de trois ans, cinq ans, dix ans. J'ai l'impression que l'écart doit être substantiel.

L'autre aspect est que, en l'absence de toute commission du blé - car soit on a un système soit on n'en a pas, c'est aussi simple que cela - comment, à l'époque actuelle, pourrait-on trouver des débouchés à l'étranger, comment pourrait-on livrer un produit de qualité au prix du marché, au meilleur prix possible dans le monde, en l'absence de la méthode du comptoir unique, et comment pourrait-on mener une politique de commercialisation solide, en particulier pour le blé canadien, mais aussi pour tous les autres grains canadiens? Comment pourrait-on s'y prendre?

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez demandé comment faire en sorte que tous les administrateurs ne soient pas renouvelés en même temps. Comme vous le savez sans doute, beaucoup d'organisations échelonnent initialement la durée du mandat de leurs administrateurs. Par exemple, si vous avez un conseil de 12 membres, vous en nommez quatre pour un an, quatre pour deux ans et quatre pour trois ans, ou toute autre combinaison, et vous échelonnez ainsi les départs et les arrivées. J'attire votre attention sur cette méthode.

.1720

Vous pourriez peut-être rapidement répondre à ces quelques questions.

M. Goodale: Je vous remercie, monsieur Culbert.

Si vous envisagez un scénario où la Commission canadienne du blé n'existerait pas, où vous n'auriez pas de vendeur à comptoir unique pour les agriculteurs des Prairies, si vous supprimiez ce système, je suppose que vous auriez un système de commercialisation qui ressemblerait pas mal à celui des États-Unis.

Aux États-Unis, la vente à l'étranger est effectuée par des compagnies céréalières privées, sans qu'il y ait d'office de commercialisation agissant pour le compte des agriculteurs eux-mêmes. Les compagnies céréalières internationales achètent le produit dans les bourses de commerce. Elles écoulent ensuite ces produits dans le monde dans leur propre intérêt privé. Les céréales sont vendues à l'échelle internationale, mais non directement pour le compte de l'agriculteur. Il y a une entité commerciale privée qui achète le grain aux agriculteurs américains et le revend à l'acheteur final, soit aux États-Unis soit à l'étranger.

Cela nous amène à la différence de perception fondamentale qui existe entre les agriculteurs de l'ouest du Canada. Les partisans de la Commission canadienne du blé considèrent que cette dernière n'est pas un acheteur, mais un vendeur. Autrement dit, elle ne leur achète pas le grain pour le revendre sur le marché; elle agit comme intermédiaire pour le compte de l'agriculteur, vendant le grain au profit de celui-ci.

Les partisans d'options de libre marché voient la Commission canadienne du blé non pas comme un office de commercialisation agissant pour le compte des agriculteurs; pour eux, elle n'est qu'une autre compagnie céréalière, ou l'équivalent d'une compagnie céréalière privée. Leur argument est que, s'ils ont un autre acheteur sur le marché - ils voient la commission comme un acheteur et non comme un vendeur - cela signifie qu'il y a un acheteur de plus pour faire grimper le prix. Bien entendu, c'est exactement la perception inverse de celle des partisans de la commission qui voient en cette dernière un agent agissant en leur nom, en capacité de vendeur unique. Ce dernier groupe verrait la disparition de la commission non pas comme un acheteur de plus sur le marché faisant grimper le prix; ils voient sa disparition comme la suppression d'un vendeur unique, disparition suivie par une prolifération de vendeurs individuels en concurrence les uns avec les autres qui feraient baisser le prix.

C'est réellement le noeud du problème du point de vue de l'ouest du Canada et de la différence de perception entre agriculteurs. Comme le disait le rapport du Comité de commercialisation du grain de l'Ouest, cela illustre bien la manière dont différents groupes de producteurs abordent cette question, selon des optiques philosophiques très divergentes. C'est pourquoi le fossé entre les deux est tellement difficile à combler. J'ai vu des agriculteurs de l'Ouest s'affronter face à face sur la question de savoir si c'est un acheteur ou un vendeur, et c'est une divergence de vue très fondamentale.

Mon point de vue est que la Commission canadienne du blé est tout à fait un vendeur, ainsi qu'en témoigne le fait qu'elle ne conserve pas de marge bénéficiaire. Son mandat n'est pas de réaliser un profit pour elle-même ou pour le gouvernement ni pour aucune autre entité. Son objectif est d'optimiser les recettes de la vente dans le monde. Ainsi, une fois qu'elle a déduit ses frais de commercialisation, qui reviennent à environ 5c. le boisseau, tout le reste va à l'agriculteur, sans que l'intermédiaire ne conserve aucune marge bénéficiaire.

.1725

C'est une distinction très fondamentale. Elle souligne la différence qu'il y a entre être acheteur et être vendeur.

Pour ce qui est des mandats échelonnés, j'y reviendrai une autre fois, monsieur Culbert, si je puis.

Le président: Monsieur Hermanson.

M. Hermanson: Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur Goodale, je pense que si vous aviez vraiment voulu faire preuve de responsabilité au sujet de ce référendum, vous auriez demandé une vérification indépendante de la performance de la commission sur le plan de la commercialisation de l'orge, afin que les agriculteurs aient quelque chose sur quoi s'appuyer lorsqu'ils doivent décider de l'opportunité de maintenir ou non le comptoir unique pour la vente de l'orge. Évidemment, nous n'avons pas cela. Nous avons des vérifications internes effectuées par la commission et dont les résultats sont très vaguement communiqués aux producteurs. On entend dire que la commission aurait perdu jusqu'à 150 millions de dollars de ventes potentielles en un an. On craint même, cette année, que si le cours de l'orge tombe encore, le compte de mise en commun de l'orge sera déficitaire et devra être subventionné par le gouvernement. Bien entendu, on se garde bien de disséminer tous ces renseignements. Je pense donc que vous avez failli à cet égard.

Avec le projet de loi que vous proposez, on a l'impression que vous voulez faire de ce conseil d'administration partiellement élu le bouc émissaire. Si quelque chose va mal on blâmera le conseil d'administration, mais toutes les décisions importantes seront prises par le ministre de l'Agriculture.

Vous allez permettre aux agriculteurs d'élire quelques-uns des administrateurs. Il pourrait même ne s'agir que d'un seul, ce qui n'est réellement pas une majorité. Mais, très curieusement, le ministre de l'Agriculture ou le gouverneur en conseil va nommer le président du conseil d'administration, de même que le président-directeur général. Je sais que l'Office du blé de l'Ontario ne fonctionne pas ainsi. Comment se fait-il que les producteurs de l'Ouest soient perçus comme ayant si peu de discernement que l'on ne puisse permettre à leurs représentants élus de désigner ou de choisir eux-mêmes leur président et de nommer leur PDG et décider combien celui-ci sera payé? C'est le ministre de l'Agriculture qui va décider le salaire du PDG et je suppose qu'il sera peut-être même secret, comme l'est le salaire des commissaires actuels. D'ailleurs, les indemnités de départ des commissaires sont aussi généreuses, sinon plus, que les pensions des députés; nous avons découvert tout récemment combien elles sont généreuses. Pourquoi voulez-vous conserver tout le pouvoir et tout le contrôle au niveau ministériel, mais si quelque chose va mal, alors les administrateurs, partiellement élus, seront le bouc émissaire?

M. Goodale: Monsieur le président, M. Hermanson a violé, bien entendu, toutes les règles, car il fait mention de dispositions particulières du projet de loi...

M. Hermanson: Non, j'ai dit «proposé».

M. Goodale: Oui, il est proposé...

M. Hermanson: Vous avez même donné le nom du projet de loi, Grand Dieu.

M. Goodale: Le projet de loi qui n'a pas encore été renvoyé au comité.

M. Hermanson: Oui.

M. Goodale: Monsieur le président, je tiens beaucoup à répondre à ces allégations typiquement spécieuses de M. Hermanson. J'essaierai de le faire sans faire mention d'éléments d'un projet de loi qui n'a pas encore été envoyé au comité. Permettez-moi de simplement établir la distinction fondamentale entre les types d'offices de commercialisation.

L'Office de commercialisation du blé de l'Ontario jouit de garanties de prix initial aux termes de la Loi sur la vente coopérative des produits agricoles, actuellement en cours de modification, mais qui garantit actuellement les paiements initiaux de l'Office de commercialisation du blé de l'Ontario.

Ce qu'offre cette législation - et nulle autre - est une garantie permanente de tous les emprunts. Vous devriez lire avec grand soin les dispositions de la nouvelle Loi sur la Commission canadienne du blé car vous constaterez que le niveau de la garantie est sensiblement différent. C'est une distinction à ne pas perdre de vue.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que la Commission canadienne du blé possède des pouvoirs et des responsabilités qui débordent de sa région désignée. Par exemple, quiconque veut exporter du blé à partir du Canada doit respecter les dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Que l'on exporte au départ des Prairies ou au départ de l'Ontario ou du Québec ou de toute autre région du Canada, ce sont les compétences énoncées dans la Loi sur la Commission canadienne du blé qui déterminent si l'exportation est possible ou non.

.1730

Il y a donc des pouvoirs et responsabilités dans cette loi qui débordent largement la région désignée de la Commission canadienne du blé.

Il y a diverses autres raisons qui expliquent les distinctions et différences, monsieur Hermanson, et il conviendra de les examiner de près, ce qui pourra être fait de façon plus appropriée lorsque nous aurons en mains le projet de loi et pourrons le passer en revue article par article, afin que tous les députés puissent voir comment tout cela se tient logiquement.

Monsieur le président, permettez-moi de répéter le tout dernier point que j'ai fait ressortir dans mes remarques liminaires. Le gouvernement a énoncé ses orientations politiques, et elles sont très claires et fermes. Mais il y a différentes façons mécaniques de les concrétiser. Si de meilleures façons apparaissent dans le courant des travaux du comité, par exemple en ce qui concerne la façon dont certains dirigeants sont choisis, je suis tout à fait prêt à entendre les arguments, gardant à l'esprit que ces dirigeants ont des responsabilités qui remontent en amont, par le biais du conseil d'administration, jusqu'aux agriculteurs, et aussi des responsabilités du point de vue des garanties financières et autres qui se répercutent sur le gouvernement du Canada.

Je suis prêt à écouter toutes les idées raisonnables sur la façon de construire cette structure de reddition de comptes, car je pense qu'une bonne reddition de comptes publique est extrêmement importante pour l'avenir.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Les cloches sonnent.

Avant de lever la séance, une précision. Je crois vous avoir entendu dire que le jour où le projet de loi C-72 sera renvoyé en comité, ce sera après la première lecture.

M. Goodale: Après la première lecture, et avant la deuxième lecture, monsieur le président.

M. Hermanson: [Inaudible]... envoyé à ce comité.

M. Goodale: C'est à la Chambre de le décider. Je ne veux pas anticiper le jugement de la Chambre des communes.

Le président: Je vous remercie d'être venu, monsieur le ministre, ainsi que vos collaborateurs, et je remercie les membres de leur coopération.

Je souhaite à tous un Joyeux Noël et une Bonne Année et une bonne santé.

La séance est levée.

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