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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 27 novembre 1995

.1942

[Français]

Le président: Bonsoir, mesdames et messieurs. Nous allons continuer le travail que nous avons commencé la semaine dernière. Il s'agit d'un colloque sur les obstacles fiscaux à l'adoption de pratiques environnementales saines.

[Traduction]

Nous accueillons ce soir quatre témoins de plusieurs disciplines différentes mais surtout de l'agriculture.

Je vais demander à John Girt de se présenter, car je suppose qu'il voudra commencer. Les autres témoins se présenteront quand je leur donnerai la parole.

M. John Girt (consultant en environnement et agriculture): J'ai d'abord été fonctionnaire puis je suis devenu consultant en développement durable il y a environ huit ans, essentiellement du point de vue de l'agriculture. J'ai eu l'occasion de m'occuper d'un certain nombre de questions agricoles, comme vous le constaterez à l'écoute de ma déclaration.

Je me suis occupé de développement durable agricole pour un certain nombre d'organismes gouvernementaux, de tables rondes sur l'environnement et l'économie, du Programme des Nations unies pour l'environnement, et de l'Institut inter-américain de coopération en agriculture, du Costa Rica.

Je voudrais aborder la question dont est saisi votre comité d'un point de vue relativement personnel, sans me limiter particulièrement aux questions de fiscalité. Je voudrais en effet examiner ce dont a besoin le secteur agricole pour devenir plus durable. En disant cela, je ne veux certainement pas laisser entendre que le secteur n'est pas extrêmement productif, car j'estime qu'il l'est déjà beaucoup, comme vous le constaterez.

Je voudrais plutôt présenter le contexte général de la question dont vous êtes saisi, ce que font rarement les gens qui se lancent immédiatement dans un débat sur les obstacles et incitatifs fiscaux. On ne peut en effet, selon moi, examiner l'incidence de ces facteurs sans tenir compte du contexte global et des autres mesures que l'on pourrait prendre sans nécessairement dépenser d'argent. Il se peut fort bien qu'adopter des politiques soit en fin de compte plus efficace que de jouer avec le régime fiscal.

Je ne parlerai que des exploitations agricoles, sans aborder les secteurs en amont et en aval car nous n'en aurons tout simplement pas le temps. Je ne parlerai des bases de données qu'à la fin de mon exposé car j'estime qu'il importe avant tout de bien comprendre comment change l'agriculture.

Les questions au sujet desquelles des gens comme moi avons publié des rapports, comme celui que citait David Runnalls la semaine dernière, ne sont pas nécessairement les questions importantes aujourd'hui. Ce sont plutôt des questions qui étaient importantes récemment.

.1945

Nous avons assisté pendant la dernière décennie à des changements politiques incroyables. Le communisme a été remplacé par des régimes démocratiques et, dans le même souffle, on a vu disparaître le tarif de la passe du Nid-de-Corbeau. La plupart des gouvernements font face à de graves difficultés en matière de financement des services sociaux. Les accords du GATT et de l'ALENA nous promettent un environnement commercial plus libre et plus efficace. En bref, le monde change très vite.

Que nous réserve donc la prochaine décennie du point de vue de l'agriculture? Si les tendances actuelles se maintiennent en ce qui concerne les négociations fédérales avec les provinces et avec les agriculteurs, et si, à l'échelle internationale, nous laissons le marché - plutôt que les pouvoirs publics - déterminer les revenus agricoles, nous aurons la possibilité de tirer les leçons du passé et d'adopter des politiques mieux adaptées à l'environnement.

Il existe au Canada des programmes de soutien du revenu agricole destinés à récompenser la production de certaines denrées, quelles que puissent être les conséquences, environnementales ou autres. Selon diverses estimations, il y a eu certaines années au Canada un transfert d'environ 50 $ l'acre des gouvernements aux agriculteurs des Prairies pour soutenir la production céréalière. Autrement dit, ces années-là, lorsque les cours des denrées étaient particulièrement bas, les revenus agricoles nets dépendaient à 50 p. 100 ou à 60 p. 100 de l'aumône gouvernementale.

C'est la vérité. Je ne porte aucun jugement là-dessus car je pense que c'était compréhensible. Je ne critique pas, j'énonce simplement un fait.

Le problème concerne la manière dont les paiements étaient accordés. En effet, ils incitaient les agriculteurs à défricher des terres qui ne l'auraient pas été autrement et à utiliser des engrais et des produits chimiques qu'ils n'auraient peut-être pas utilisés autrement. Plus important encore, ces paiements renchérissaient le prix de ces terres pour les autres groupes qui auraient pu vouloir offrir d'autres types d'incitations financières aux agriculteurs.

Toutes ces mesures pouvaient se traduire par une aggravation de la détérioration des habitats fauniques, de l'érosion des sols et de la pollution des eaux de surface ou - si l'on veut présenter le cas inverse - rendre plus difficile et plus dispendieuse l'adoption par les agriculteurs d'activités autres, pour ces terres, que leur mise en culture. Autrement dit, elles représentaient des obstacles financiers pour les agriculteurs souhaitant adopter des méthodes écologiques.

Je ne veux pas dire que les agriculteurs n'ont jamais adopté de méthodes écologiques mais simplement que ces mesures rendaient cela plus dispendieux que nécessaire.

Voilà pourquoi certains groupes ont dit qu'il faudrait assortir les programmes de soutien financier de conditions concernant, par exemple, l'adoption obligatoire de méthodes écologiquement saines - c'est la méthode dite de l'observance intégrale.

Méthode à laquelle je n'ai jamais été favorable, pour diverses raisons. D'abord, parce qu'elle n'est pas conforme à la manière dont le Canada est structuré. Nous vivons dans un pays qui est différent de la plupart des autres: nous avons une petite population et un petit bassin fiscal, avec un très vaste territoire. Nous ne pouvons donc appliquer des mesures qui pourraient être efficaces dans des pays comme les Pays-Bas, ou qui se limiteraient au seul sud de l'Ontario, par exemple.

Pourquoi nous efforçons-nous de traiter les symptômes plutôt que les vrais problèmes? En imposant des conditions environnementales, nous essayons de traiter les symptômes. C'est comme si nous donnions un cachet d'aspirine à une personne atteinte du cancer. Ça ne marche pas. On ne peut rien régler avec de telles méthodes.

L'observance intégrale est une insulte envers les agriculteurs, qui sont les gestionnaires de l'environnement. Ils y sont d'ailleurs obligés, beaucoup plus que les sociétés forestières ou les pêcheurs, parce qu'ils possèdent la majeure partie des ressources qu'ils utilisent. Et il faut convenir qu'ils ont relevé de manière très positive le défi de l'écologie pendant plus d'une décennie.

Si nous pouvions voyager dans le temps - de 1950 jusqu'à 1980 - et photographier les paysages canadiens, nous aurions une série de diapositives. Si nous les projetions sur un écran, vous seriez très étonnés du nombre de champs qui sont aujourd'hui couverts de chaume, ce qui montre que les agriculteurs ont adopté des méthodes de préservation de l'environnement.

Vous verriez avec quelle rapidité ils ont cessé d'assécher les étangs des Prairies. Vous verriez qu'ils utilisent aujourd'hui beaucoup moins de ressources non renouvelables que leurs concurrents internationaux. Ils utilisent moins d'engrais et moins de pesticides que leurs concurrents des États-Unis, et beaucoup moins que leurs concurrents d'Europe. Voilà ce qu'il ne faut pas oublier.

.1950

Pourquoi donc vouloir traiter avec un bâton des gens qui font preuve d'autant de bonne volonté, surtout quand nous n'avons aucune idée très claire de ce que nous voulons tirer de plus des terres canadiennes, en matière de biens et services environnementaux, que ce que nous obtenons aujourd'hui?

Heureusement, les facteurs qui ont rendu nécessaire l'octroi de subventions importantes aux agriculteurs sont aujourd'hui menacés. Notre priorité devrait être d'assurer leur disparition complète et de réfléchir à ce qui devrait les remplacer.

Comment devrait-on évaluer les politiques actuelles concernant l'agriculture, notamment le volet fédéral? Premièrement, en se demandant si elles récompensent des pratiques environnementales saines. À l'heure actuelle, la manière dont ces politiques évoluent est satisfaisante à ce chapitre. L'un des facteurs importants est que le Canada doit oeuvrer à l'échelle internationale pour s'assurer que les parties de l'accord du GATT relatives à l'agriculture sont mises en oeuvre, afin que nous n'ayons plus besoin de ces subventions draconiennes de soutien du revenu agricole pour préserver notre capacité de production et garder la place qui nous revient du fait de notre avantage compétitif par rapport aux autres pays.

Nos programmes devraient être conçus de façon à éviter de subventionner l'utilisation d'intrants non renouvelables, notamment en matière de transport, comme le faisait feue la passe du Nid-de-Corbeau. Nous avançons déjà dans cette voie.

Nous devons aussi éviter de rehausser artificiellement le taux de rendement de certaines denrées, par exemple au moyen de programmes de stabilisation du revenu des producteurs de céréales et d'oléagineux ou au moyen d'autres programmes que nous remplaçons actuellement.

Ce qui est intéressant dans ces changements - et j'en parlerai en détail dans un instant - c'est qu'ils vont nous permettre d'économiser de l'argent sans mettre en péril les revenus à long terme des exploitants agricoles. Voilà pourquoi j'estime que l'on peut parler à cet égard de changement gagnant-gagnant.

Que doit-on faire d'autre à l'échelle fédérale? On doit veiller à ce que les perspectives à court terme de l'agriculture soient bonnes. Et veiller aussi à ce que l'agriculture assure un revenu juste et équitable à chaque exploitant, sans mettre l'environnement en péril.

Sur le plan intérieur, les exploitants ont toujours besoin d'une sécurité du revenu qu'ils ne peuvent assurer eux-mêmes car chacun est trop petit par rapport au marché global. Cette sécurité peut être offerte par le truchement d'un organisme de revenu agricole net, et non pas de stabilisation du revenu, afin que les exploitants n'aient plus à exploiter des terres marginales ou à accroître le recours à des ressources non renouvelables.

Les programmes du passé servaient essentiellement à stabiliser les revenus agricoles. Pour s'assurer le maximum de revenu possible, l'exploitant devait cultiver le plus possible de céréales et d'oléagineux, mais on peut fort bien atteindre le même objectif en stabilisant simplement le revenu net. C'est un changement subtil mais qui aboutit à des résultats foncièrement différents. Le gouvernement fédéral doit donc continuer de privilégier un mécanisme de stabilisation du revenu net global des exploitants agricoles.

Il nous faut des informations sur l'environnement non seulement pour permettre aux agriculteurs d'envisager d'autres utilisations de leurs sols que la production de denrées, mais aussi pour commencer à avoir recours à des signaux commerciaux fondés sur le rendement environnemental. Autrement dit, la qualité des produits commercialisés doit être déterminée en partie par l'incidence environnementale de leur production. Cela ne se fait pas à l'heure actuelle et ce devrait être une priorité du gouvernement fédéral.

Il faut que le gouvernement et l'industrie agricole collaborent pour établir un ensemble de mesures du rendement environnemental qui soit conformes aux pratiques environnementales canadiennes et mondiales, et qui puisse évoluer en fonction des normes de l'Organisation internationale de normalisation - des normes sont actuellement en cours d'élaboration pour l'industrie forestière et il y en aura ensuite pour l'agriculture - et des préoccupations des consommateurs en matière d'environnement, de santé humaine, de santé animale, etc.

Tout cela doit être considéré comme une occasion d'améliorer les choses. Il ne faut pas y être indifférent, ni se sentir menacé par les changements. C'est une occasion qui nous est offerte de positionner les produits agricoles canadiens sur nos marchés intérieurs et étrangers comme faisant partie des meilleurs au monde, si ce n'est comme les meilleurs, notamment du point de vue de l'incidence environnementale. Cela incitera les agriculteurs à travailler dans un esprit encore plus écologiste qu'actuellement - ce qui est une forme d'incitation positive, par rapport à la méthode du bâton dont je crois avoir entendu tellement parlé plus tôt aujourd'hui.

.1955

On fait déjà en Europe occidentale une différenciation importante entre les produits d'après l'incidence environnementale. Je me trouvais récemment en Hollande où j'ai vu des camions portant sur les côtés l'indication qu'ils provenaient d'un groupe de producteurs de viande ayant recours à ce qu'ils appellent des méthodes d'élevage «humaines». Si j'ai bien compris, il s'agissait d'une sorte de coopérative de commercialisation qui connaît un essor remarquable. Quelqu'un s'est chargé de mettre le système en place en garantissant des quantités suffisantes et, d'un seul coup, les producteurs ont reçu un prix plus élevé pour ce type de viande. Je crois que le message est clair.

Il me semble que le public canadien attend des pouvoirs publics nationaux qu'ils fassent preuve de leadership en matière de normes environnementales. N'hésitez pas, tout le monde en profitera. L'agriculture canadienne, qui est déjà en avance sur ses concurrentes du point de vue du rendement environnemental, n'a rien à craindre à s'engager dans cette voie. Cela veut dire toutefois que le Canada doit oeuvrer pour intégrer des normes environnementales rigoureuses aux accords commerciaux internationaux et intérieurs, par exemple aux systèmes de classement des produits.

On entend souvent dire que les agriculteurs canadiens sont prisonniers des cours internationaux car ils n'auraient qu'une incidence minime sur le comportement des marchés mondiaux. Certes, ils n'ont peut-être qu'une incidence minime sur l'évolution des cours du blé à la Bourse de Chicago, mais le Canada peut exercer une influence considérable sur les marchés par le truchement de ses politiques, étant donné sa réputation internationale en matière d'environnement.

Il nous appartient de déployer des efforts considérables pour mettre en lumière les problèmes existant en la matière, ainsi que les comportements incohérents, en effectuant de la surveillance et en établissant des systèmes d'information comme ceux dont vous parlez. Et nous devons le faire aussi sur le plan intérieur, mais je ne parlerai aujourd'hui que de la situation internationale parce que mon temps est limité.

L'autre chose que nous devons faire - et c'est plus subtil - consiste à mieux adapter les politiques fédérales aux priorités locales. À l'heure actuelle, nous avons des mécanismes draconiens généralement mis en oeuvre à Ottawa par une énorme machine qui crache des chèques par millions.

Il ne faut pas se contenter d'harmoniser les activités fédérales et provinciales et d'éliminer les chevauchements entre les deux paliers de gouvernement. Certes, ces objectifs sont légitimes mais il faut aller plus loin encore.

Nous savons tous que nos paysages changent beaucoup, je parle ici des sols, des pentes, des cours d'eau, des routes, etc., avec des climats très différents. Permettre aux exploitants agricoles de réagir à ces circonstances locales ne devrait jamais être entravé par des programmes physiques amorphes, provinciaux ou nationaux, conçus de manière à ce que l'on soit obligé de rendre des comptes dans les capitales provinciales ou nationales.

Par exemple, une norme sur la qualité de l'eau destinée à l'agriculture dans le sud de l'Ontario serait complètement différente d'une norme semblable concernant la plaine de Regina. Les environnements sont différents, tout comme les populations et les tensions écologiques. Il est donc tout à fait absurde de penser en termes de programmes nationaux uniformes.

Il faut également aller dans ce sens pour encourager une meilleure harmonisation entre les secteurs, en tenant compte des paramètres locaux. Lorsqu'il s'agit d'intégrer les choses à très vaste échelle, nous ne sommes pas très forts.

Quelqu'un demandait cet après-midi si le ministère des Ressources naturelles oeuvrait de manière durable. Si l'on posait la question au sujet d'Agriculture Canada, qui s'occupe des exploitations agricoles, je répondrais que non. Certes, le Ministère essaie peut-être de bien faire pour ce qui est de la production et de la commercialisation de certaines denrées alimentaires, mais il fait beaucoup moins bien dans d'autres domaines. Or, les agriculteurs jouent un rôle crucial en matière de protection de la faune, de protection des eaux, etc.

Je vais vous donner brièvement une constatation qui a été faite par un petit groupe d'experts de la faune et de l'agriculture. J'ai contribué aux recherches; en fait, c'est moi qui ai fait avancer le projet. Nous avons étudié les programmes d'indemnisation des dégâts causés aux récoltes mis en oeuvre par les gouvernements fédéral et provinciaux dans les provinces des Prairies, et dont la prestation est assurée par des agents d'assurance-récolte qui, Dieu les aide, font le meilleur travail possible mais sont des agronomes.

Nous avons constaté que si ces programmes étaient mis en oeuvre par des conseillers locaux sur la faune, c'est-à-dire par des personnes comprenant la manière dont vit la faune et oeuvrant avec les agriculteurs locaux, cela permettrait de réduire considérablement l'ampleur des dégâts car nous pourrions mieux gérer les troupeaux d'oiseaux. En réduisant l'ampleur des dégâts, nous pourrions offrir de meilleures indemnités aux agriculteurs en ayant vraiment besoin - nous pourrions les indemniser pour le montant total des pertes subies - tout en protégeant la faune, parce que son habitat serait protégé, et en faisant tout cela avec le budget existant, voire avec un budget légèrement inférieur, simplement parce que la prestation du programme serait assurée par des gens autres que de purs spécialistes de l'agriculture. Quand on parle d'un problème concernant l'agriculture et la faune, demandons à des gens qui s'occupent de l'agriculture et de la faune d'y trouver des solutions.

J'ai reçu aujourd'hui par Internet - je sais qu'il y a une foule de choses inutiles sur Internet mais, aujourd'hui, j'ai obtenu des informations utiles. C'est un message que quelqu'un m'a envoyé d'Australie et j'ai pensé qu'il vous intéresserait.

Apparemment, l'Australie vient de déclarer les 10 prochaines années, Décennie de préservation des terres. Le Sierra Club, croyez-le ou non, l'ennemi de tous les exploitants de ressources naturelles en Amérique du Nord, a collaboré avec l'une des principales organisations agricoles d'Australie pour convaincre le gouvernement de faire cette déclaration. Pour le moment, quelque 40 p. 100 des agriculteurs d'Australie ont volontairement accepté de faire partie de petits groupes environnementaux locaux axés sur l'action concrète, afin d'améliorer la situation de ce secteur.

Toutes les choses dont je viens de parler peuvent contribuer aux objectifs qui nous importent sans changer de régime fiscal. De toute façon, l'efficacité des changements fiscaux risque d'être considérablement réduite si nous instaurons un régime de commerce international dans lequel les pays seront plus sur un pied d'égalité. Les programmes de stabilisation des revenus auront également d'autant moins d'importance. Il faut donc établir le cadre général qui encouragera ce type de comportement.

Pour résumer - et pour revenir au thème de votre débat - le Canada et le gouvernement fédéral doivent s'intéresser à deux choses connexes en ce qui concerne le développement durable de l'agriculture: la manière dont fonctionnent les marchés des denrées - il faut les libérer - et la manière dont se fait la production. J'ai indiqué comment certaines initiatives fédérales peuvent y contribuer.

Heureusement, les changements dont je parle, par exemple l'adoption du principe du revenu net global de l'exploitation, n'exigeront pas de sommes supplémentaires. En outre, si le régime du commerce international continue de s'améliorer, elles en exigeront beaucoup moins. Il s'agit avant tout d'avoir la détermination de ne pas faire les choses mal mais de les faire bien. Il s'agit d'avoir une idée très claire de ce qu'on veut faire.

Pour faire mieux, il faudra notamment que le gouvernement fédéral et, idéalement, les provinces aussi, recueillent de meilleures informations sur la manière dont les marchés peuvent s'améliorer pour des raisons environnementales, qu'ils mesurent le rendement de manière à permettre aux clients potentiels d'évaluer la qualité environnementale de la production canadienne, qu'ils encouragent des relations de partenariat entre des parties ayant des intérêts différents mais compatibles sur le plan de l'agriculture, et qu'ils collaborent.

Je voudrais surtout terminer par le message suivant: gardons les yeux tournés vers l'avenir, en évitant de réfléchir aux problèmes des années 1990 et du siècle suivant dans le contexte de ceux des années 1980.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Girt.

Monsieur Wilson.

M. Jeff Wilson (membre du conseil, Fédération canadienne de l'agriculture): Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous ce soir, monsieur le président. Je m'appelle Jeff Wilson et je suis un petit producteur de fruits et de légumes du sud de l'Ontario, dans la région de Guelph.

Je me suis intéressé, à l'échelle provinciale, à l'initiative AGCare, regroupement d'exploitants agricoles s'intéressant aux problèmes de pesticides, et à l'initiative de plan agricole environnemental, qui se répand actuellement comme une traînée de poudre dans notre province.

Je m'adresse à vous ce soir à titre de vice-président du Comité national de l'environnement agricole, organisme de tutelle national regroupant des organisations et fédérations provinciales de l'agriculture intéressées par les questions dont vous êtes saisis.

Que veut-on dire quand on parle de bonnes pratiques environnementales? Nous avons tous que les agriculteurs se considèrent comme les fiduciaires de la terre, et ce n'est pas simplement de la rhétorique. Si nous voulons préserver l'avenir de l'agriculture, il nous faut appliquer des méthodes durables. C'est seulement de cette manière que nous pourrons léguer nos exploitations aux générations futures, ce qui est un principe fondamental pour tous les agriculteurs.

.2005

Parler de bonnes méthodes environnementales soulève évidement une question très complexe. Cela oblige à faire des analyses très minutieuses et à adopter une démarche holistique, fondée sur les principes du développement durable. Bon nombre d'agriculteurs en sont aujourd'hui fermement convaincus.

Si on veut comprendre pourquoi, il suffit de constater que le secteur agricole, surtout celui de la production primaire, est sujet à d'importantes variations économiques provenant de l'évolution des programmes de soutien, des paiements gouvernementaux et des réalités du marché mondial vers lequel nous évoluons.

Les questions dont je voudrais parler ce soir, et au sujet desquelles j'espère que nous pourrons engager un dialogue fructueux, sont la conjoncture économique dans le secteur agricole, autrement dit le potentiel de changement; les conséquences des obstacles fiscaux à l'adoption de méthodes environnementales - et j'espère que vous aurez des choses à m'apprendre là-dessus ce soir, pour l'information de notre comité; et une très brève analyse du rapport du Groupe de travail sur les instruments économiques et les obstacles à l'adoption de pratiques environnementales saines.

Pour ce qui est de la conjoncture économique du secteur agricole, il ne fait aucun doute qu'une bonne partie des programmes de soutien des producteurs agricoles a été éliminée dans le dernier budget fédéral, notamment la Loi sur le transport des grains de l'Ouest. Nous ne savons pas encore quelles seront les conséquences de l'abolition de ces programmes de soutien mais il est vrai que certaines seront atténuées par la hausse des cours des céréales, cette année. Le Comité national de l'environnement agricole sait que cette évolution rendra plus difficile l'analyse des bienfaits que tirent les agriculteurs et la société des programmes de soutien.

En ce qui concerne les programmes fiscaux, il est certain que leur incidence et leur efficacité peuvent être interprétées de manière légèrement différente selon le type de denrée que l'on produit ou le type d'organisation agricole dont on fait partie. De fait, on peut dire que les interprétations vont d'un extrême à l'autre, de formidable à catastrophique. C'est un facteur dont il faut tenir compte pour décider des mesures à prendre à l'avenir.

On peut identifier certaines caractéristiques communes des programmes efficaces. Tout d'abord, ce sont les programmes dirigés par les producteurs qui sont jugés les meilleurs, surtout lorsque les producteurs sont invités à participer d'un point de vue financier ou budgétaire. Il est clair que les programmes axés sur le partenariat et exigeant la participation d'autres parties prenantes ont beaucoup plus de succès que les autres.

Il y a certains programmes qui provoquent un changement durable dans les méthodes, c'est-à-dire un changement qui ne disparaît pas lorsque les fonds eux-mêmes disparaissent ou sont coupés.

Il y a des programmes qui permettent aux producteurs de mettre de nouvelles méthodes à l'essai, avec un risque minime, et je souligne ce facteur. En effet, le changement comporte toujours un certain degré de risque. Si l'agriculteur doit assumer la totalité du risque, il se peut qu'il soit très réticent à s'engager dans cette voie.

Les problèmes que posent les programmes de nature fiscale - et ce sont des problèmes que je mentionne sans ordre particulier - sont notamment que les règles et procédures sont souvent trop restrictives et freinent l'innovation. Or, c'est précisément pour favoriser l'innovation que l'on veut appliquer de tels programmes.

Il arrive souvent aussi que les programmes ne durent pas assez longtemps, c'est-à-dire que l'on fixe une limite de temps alors qu'il reste encore des budgets non utilisés, au moment même où les agriculteurs se sont suffisamment réorganisés pour pouvoir tirer le meilleur profit possible du programme auquel ils participaient.

Il arrive parfois que l'accès aux programmes ne soit pas assez équitable. Dans certains cas, les programmes sont assortis de règlements tels qu'ils agissent l'un contre l'autre. Comme l'a dit John Girt, il y a eu parfois des conflits entre des programmes fédéraux et des programmes provinciaux, que ce soit sur le plan des objectifs ou des règlements.

Il faut par ailleurs éviter le double emploi en matière de programmes.

Il est essentiel de fournir de bonnes informations, surtout aux autres agriculteurs et au public. Je sais que les agriculteurs sont généralement très mauvais lorsqu'il s'agit de communiquer efficacement ce qu'ils font sur leurs exploitations, surtout à vous, représentants de toute la population. Il y a cependant aussi un autre problème de communication, concernant le transfert de technologie d'un agriculteur à un autre.

On constate parfois un manque de planification et de recherche du point de vue du développement durable. On peut employer dans ce contexte le mot «paradigme». Pour ma part, je préfère le mot «perspective», car on constate bien souvent que le problème vient de perspectives différentes à l'égard du même processus. Il faut donc se demander quels sont les principes qui fondent le lancement d'un programme. Je le répète, si le programme est axé sur le producteur et dirigé par celui-ci, il aura sans doute des effets très bénéfiques.

.2010

Je voudrais parler aussi du Plan vert, qui a fait l'objet d'un certain nombre de critiques. Selon les agriculteurs, le processus du Plan vert offrait pourtant des avantages incontestables. Tout d'abord, il amenait des parties extérieures au monde de l'agriculture à participer au débat, ce qui permettait d'envisager les problèmes d'un point de vue plus large que du seul point de vue des intérêts acquis des agriculteurs.

Il est certainement très positif de parler de proaction plutôt que de réaction, mais est-ce vraiment de cette manière que nous agissons? Essayons-nous vraiment de comprendre ce qu'il faudra faire pour garantir l'avenir économique et environnemental de l'agriculture?

Il faut que les programmes soient assortis de buts et d'objectifs clairs, fondés sur la durabilité, et que les résultats puissent être communiqués aux producteurs et à d'autres. Il faut que les programmes soient également axés sur le long terme, alors qu'on a beaucoup trop tendance à concevoir des programmes limités à deux, trois ou cinq ans. À mon avis, nous devrions nous fixer un échéancier d'une vingtaine d'années.

Il faut que les programmes soient assez souples pour répondre aux besoins régionaux ou locaux. En agriculture, on ne peut pas faire la même chose d'un bout à l'autre du pays. Il faut tenir compte de certaines nuances dépendant des provinces, des régions, du contexte économique ou d'autres facteurs.

Il faut que les programmes comportent un volet d'éducation et de sensibilisation. Éducation pour assurer la pérennité des mesures prises, et sensibilisation parce que nous parlons ici de programmes financés avec les deniers publics. De ce fait, le public a parfaitement le droit de savoir à quoi sert son argent et s'il est dépensé de manière adéquate.

Les résultats des programmes doivent être évalués en fonction des principes du développement durable. Certes, cela semble très bien en théorie mais je crois qu'il faut être beaucoup plus ferme pour le mettre en pratique.

Il faut encourager l'adoption des nouvelles méthodes et des innovations. Est-ce que nous encourageons vraiment l'innovation? Certes, il y a beaucoup de choses qui se font déjà dans le secteur agricole mais cela nous ramène à la notion de risque. Bon nombre d'innovations sont développées aux dépens de certains agriculteurs ou du secteur dans son ensemble. Ici encore, l'éducation et la communication sont importantes.

Nous voulons devenir plus autonomes. Dans le cadre de nos activités agricoles, nous découvrons constamment des choses qui semblent correspondre à une démarche holistique à long terme.

Pour ce qui est de la prise en compte de l'incidence économique des politiques et programmes, ainsi que du fardeau que doivent assumer les différentes parties prenantes, il convient de se demander si nous sommes tous placés sur un pied d'égalité. J'affirme pour ma part qu'une démarche globale en matière de programmes de conservation de nature holistique et inclusive est certainement quelque chose qui ne manque pas de valeur. C'est un élément nécessaire des programmes de l'avenir.

Je ferai une brève remarque sur le commerce. Nous sommes préoccupés par l'évolution globale des marchés, par l'incidence des programmes de soutien dans le contexte global et dans celui des accords commerciaux, et par l'incidence que cela aura sur le problème dont nous discutons ce soir.

Pour ce qui est de la fiscalité, on a beaucoup parlé de réforme de la fiscalité dans un but écologique. Nous avons quelques avis là-dessus et j'espère que nous pourrons en traiter plus tard.

Pour ce qui est des subsides, il faut se demander ce que l'on entend par là. Nous faisons face à un véritable dilemme, aujourd'hui, dans le contexte global, quand nous parlons de programmes de soutien agricole et de subsides.

En ce qui concerne les méthodes d'incitation, j'estime que c'est l'action volontaire, surtout dans les activités de conservation, qui a contribué à des améliorations novatrices. Bien des gens estiment que la seule manière d'assurer la continuité à cet égard, au moins au niveau politique, est d'offrir des incitations. J'espère que nous pourrons en discuter.

Envisageons-nous d'aligner toutes nos politiques sur les principes du développement durable? Je vous pose cette question parce que vous êtes des représentants de la population qui vous intéressez aux questions environnementales, et je me la pose parce que je suis un agriculteur qui doit tenir compte des buts et des besoins que mes collègues et moi-même nous sommes fixés.

J'espère que nous aurons aussi l'occasion de parler l'idée d'un fonds de fiducie. Comme je l'ai dit plus tôt, une initiative de plan agricole environnemental a été lancée en Ontario et elle commence vraiment à faire boule de neige car les agriculteurs la trouvent très intéressante et ils l'adoptent de plus en plus. Il a fallu trois ans pour en arriver où nous sommes aujourd'hui mais, hélas, le programme arrive à expiration en 1997 alors que les budgets n'auront pas été complètement dépensés.

.2015

Il faut se demander comment on peut encourager les agriculteurs sans assortir les programmes de paramètres aussi inflexibles. Il serait préférable de fixer des paramètres rigoureux sur le plan des résultats, afin qu'on puisse évaluer ces derniers.

Nous sommes intéressés par l'idée du fonds de fiducie dans ce contexte. De même, nous sommes sincèrement convaincus qu'il devrait y avoir moyen d'apporter des ressources externes, et pas seulement financières, au processus d'amélioration de l'environnement agricole - il y a des méthodes qui ont déjà fait leurs preuves, comme les gains en capital et les crédits d'impôt. Il ne fait aucun doute que l'on peut avoir une incidence positive si l'on utilise correctement ces ressources.

Il est évident qu'il faut effectuer de bonnes recherches, mais que veut-on dire par là? Pour bon nombre de denrées, des sommes sont prélevées au départ afin de financer l'action des usagers, des producteurs et de l'industrie. Vous allez sans doute entendre parler beaucoup plus des projets d'investissement de contrepartie en cours actuellement.

Il faut aussi être capable de mesurer les progrès réalisés. Avons-nous des points de référence concernant la situation environnementale actuelle en agriculture?

Le CNEA et le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire élaborent actuellement des indicateurs destinés à assurer l'efficience et la reddition de comptes, ainsi qu'à fournir des informations de qualité que notre société pourra utiliser à l'avenir.

Nous avons exprimé de vives critiques au sujet du rapport du Groupe de travail, dans la mesure où notre comité n'appuie pas... Nous pourrons aborder les raisons pendant le débat. Nous n'approuvons pas le recours à une taxe sur les carburants ou à une taxe sur l'utilisation des pesticides ou de certains intrants. Nous sommes très réticents lorsqu'on parle d'exécution intégrale dans le contexte de... qu'est-ce que ça veut dire, exécution intégrale? À l'heure actuelle, la société n'offre rien qui permette d'engager des discussions utiles.

Nous pensons vivre à une époque qui nous permet d'innover, de revoir la manière dont les décisions sont prises en matière de projets environnementaux, en s'efforçant d'y faire contribuer les autres secteurs de la société, de façon à ce que le mouvement écologique qui commence à se répandre dans le secteur agricole puisse obtenir l'agrément et l'appui de toute la société.

Merci.

Mme Christine Nymark (directrice, Bureau de l'environnement, Direction de l'adaptation et de la politique des grains, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire): Je commencerai par décrire la démarche adoptée par le Ministère pour identifier les obstacles fiscaux à l'adoption de saines pratiques environnementales dans le secteur de l'Agroalimentaire. Mon exposé comprend quatre parties. Je parlerai brièvement des grands programmes fédéraux de soutien de l'agriculture et des changements qui y ont été apportés. Je parlerai ensuite un peu de ce que nous avons appris en effectuant des évaluations environnementales dans le cadre de ces programmes, des mesures que nous prenons pour renforcer nos capacités analytiques, et d'une évaluation très préliminaire que nous avons faite de l'incidence environnementale des nouvelles orientations prises en matière de politiques et programmes de soutien sectoriel.

En ce qui concerne les changements apportés aux programmes de soutien, il y a eu de très importantes réductions en matière de soutien du secteur agricole au cours des deux dernières années, et d'autres coupures ont été annoncées dans le dernier budget.

Près de 80 p. 100 concernaient trois programmes de sécurité du revenu de certaines catégories de producteurs: le Régime d'assurance-revenu brut, ou RARB, qui était un régime d'assurance-récolte; le Compte de stabilisation du revenu net, CSRN; et la subvention ferroviaire accordée aux producteurs de l'Ouest de céréales et d'oléagineux en vertu de la Loi sur le transport des grains de l'Ouest, ou LTGO, pour 577 millions de dollars. Auparavant, la somme était de 850 millions de dollars.

En 1997-1998, les crédits de sécurité du revenu s'élèveront à 600 millions de dollars, et la subvention de la LTGO récemment abolie aura été remplacée par un fonds pluriannuel d'adaptation du transport du grain de l'Ouest de 300 millions de dollars. Il convient de souligner que ces subventions auront été réduites de moitié dans les trois années allant jusqu'à 1997-1998.

Cela veut dire que l'influence du gouvernement sur les décisions de production diminue peu à peu par rapport à celle des marchés, du climat et d'autres facteurs.

L'accent qui était mis auparavant sur les programmes de soutien sectoriel est maintenant axé sur les crédits d'adaptation, dans le but de permettre aux producteurs de réussir leur transition vers une plus grande autonomie et vers une plus grande adaptation aux forces du marché. Les programmes d'adaptation sont destinés à fournir au secteur les compétences, l'infrastructure et la souplesse requises pour répondre à l'évolution des marchés globaux. Sur le plan de l'environnement, c'est important.

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Bien des analystes se sont inquiétés de l'incidence sur l'environnement des programmes qui semblaient soutenir le revenu en n'encourageant la production que de certaines catégories de denrées. La démarche intégrée qu'a adoptée le Ministère à l'égard de l'exploitation agricole globale devrait mettre fin à ces inquiétudes dans la mesure où elle sera beaucoup moins reliée à certains types de denrées et beaucoup plus aux forces du marché. Les agriculteurs pourront donc maintenant changer beaucoup plus facilement de récolte en fonction des signaux que leur adresse le marché. À notre avis, cela devrait produire des bienfaits réels en matière de productivité des sols et d'usage des ressources.

J'ai dit que nous avions effectué des études d'incidence environnementale. Que nous ont-elles appris? Que faisons-nous pour mieux comprendre l'incidence environnementale des programmes touchant l'agriculture?

En 1991, nous avons intégré à notre Loi sur la protection du revenu agricole l'exigence que les programmes élaborés dans ce contexte fassent l'objet d'une étude environnementale. En outre, nous avons appliqué quatre critères pratiques pour décider des cas où il faudrait effectuer une étude environnementale.

Ces critères sont les suivants: lorsqu'un programme est en cours d'élaboration; lorsqu'un programme fait l'objet d'une révision en vue d'un changement; lorsqu'un programme constitue un volet important de la politique d'un ministère et que nous soupçonnons qu'il aura une incidence environnementale; et lorsque la population a exprimé des préoccupations notables au sujet d'un programme existant.

Depuis quelques années, le Ministère a procédé à l'évaluation environnementale de ses principaux programmes, soit le RARB, le CSRN, l'assurance-récolte et la réforme de la LTGO, dont les résultats ont été déposés au Parlement. Si vous le souhaitez, j'ai avec moi des exemplaires des rapports pertinents, à votre intention.

Il convient de souligner que cela représente 84 p. 100 des programmes de soutien à l'agriculture. Autrement dit, nous croyons avoir agi de manière parfaitement conforme à ce que souhaitent les partisans de la protection environnementale.

Qu'avons-nous appris? Dans l'ensemble, les programmes de soutien à l'agriculture n'ont généralement eu que peu d'effets négatifs sur l'environnement. En particulier, nous avons constaté qu'ils n'avaient qu'une incidence minime sur les méthodes agricoles, c'est-à-dire sur le choix des méthodes culturales, sur le choix des intrants, sur les pratiques de conservation des sols ou sur le choix des cultures destinées à l'alimentation du bétail. Nous avons constaté que les effets de certains de ces programmes n'ont qu'un effet marginal, positif ou négatif, sur l'environnement, à court terme. Dans les cas où il pouvait y avoir une incidence plus importante à long terme, des mesures ont été recommandées.

Il me semble très important de souligner le caractère minime de cette incidence de nos programmes. Certes, elle fut parfois positive et parfois négative, mais elle ne fut jamais importante.

Nous avons constaté que les marchés exercent une influence beaucoup plus marquée que les programmes gouvernementaux sur les décisions des agriculteurs. Ainsi, nous avons vu que la décision de cultiver du blé dépend essentiellement du prix du blé. Cette année, les cours internationaux ont dépassé 200 $ la tonne, soit près du double d'il y a deux ans. L'incidence de cette hausse des cours sur l'utilisation des sols et sur les décisions de production a été beaucoup plus importante que l'existence de programmes de soutien du revenu agricole tels que les programmes d'assurance-récolte.

Nous avons appris par ailleurs que les programmes gouvernementaux peuvent avoir une incidence positive. Diverses données permettent de penser que la stabilité assurée par les programmes de soutien du revenu entraîne une meilleure gestion des ressources naturelles par l'agriculteur, qui peut prendre des décisions en fonction du long terme. Il peut ainsi investir dans l'acquisition de nouvelles compétences ou de nouveau matériel pour prévenir la pollution et pour éviter le recours à des mesures d'atténuation des dommages environnementaux. L'adoption de saines pratiques environnementales peut entraîner un changement de comportement positif.

Vous comprendrez ainsi que nous avons accumulé une grosse quantité d'informations utiles suite à nos évaluations environnementales. De ce fait, nous croyons être aujourd'hui beaucoup mieux en mesure d'influer sur l'élaboration et la conception des nouveaux programmes agricoles axés sur l'adaptation.

Je voudrais maintenant parler brièvement du renforcement de nos capacités analytiques, car chacune de ces évaluations environnementales nous a appris quelque chose d'utile sur ce que l'on peut ou doit faire. Certes, nous en sommes encore aux balbutiements dans ce domaine, c'est-à-dire en ce qui concerne l'étude environnementale des politiques et des programmes. Il nous faudra produire beaucoup plus de résultats quantitatifs et dépendre beaucoup moins d'analyses qualitatives des effets environnementaux.

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Nous avons constaté aussi que la première étape consiste à effectuer de solides études économiques. Sinon, il est très difficile de mesurer l'incidence environnementale. Toutefois, des informations environnementales crédibles - c'est-à-dire quantitatives - seront essentielles pour orienter les décisions de demain.

Nous avons appris que les incidences environnementales sont très complexes et difficiles à cerner. En effet, les programmes gouvernementaux ne sont qu'une catégorie d'une foule de facteurs influant sur les décisions des exploitants, et il est très difficile d'en isoler clairement les effets.

Nous avons constaté que certains programmes peuvent avoir une incidence environnementale positive d'une certaine manière mais négative d'une autre manière. Par exemple, que l'assurance-récolte contribuait légèrement à l'érosion des sols par le raccourcissement des cycles d'assolement, mais contribuait aussi à limiter l'érosion parce qu'il y avait moins de jachère d'été. Nous avons enfin constaté que les programmes peuvent avoir une incidence foncièrement différente d'une région ou d'une zone écologique à l'autre.

En conséquence, il est très difficile pour nous de tirer des conclusions nationales sur l'incidence environnementale positive ou négative de tel ou tel programme. Il y a en fait une multitude de facteurs différents à prendre en compte.

Par ailleurs, la situation des marchés et les pratiques de production peuvent changer très rapidement, ce dont on doit tenir compte dans les hypothèses qui fondent les études d'incidence environnementale. Exemple, l'étude de 1992 sur les modifications envisagées au sujet de la LTGO. Cette étude d'évaluation n'avait pas tenu compte du facteur d'incitation à la production qu'aurait la hausse remarquable des cours des céréales en 1995. En outre, les exploitants des Prairies ont eu beaucoup plus largement recours à des méthodes culturales axées sur la conservation que nous ne l'avions prévu dans l'étude environnementale initiale sur la LTGO.

À mon sens, cela a fort peu de rapport avec les programmes gouvernementaux et beaucoup avec l'éducation, la sensibilisation et l'efficience des nouvelles méthodes technologiques. C'est en effet une meilleure compréhension par les agriculteurs des avantages des méthodes culturales axées sur la conservation qui a favorisé ce changement.

Nous nous efforçons donc de faire face à ces problèmes en renforçant les capacités analytiques du Ministère. Au cours de l'année qui vient de s'écouler, nous avons adopté un système de modélisation intégré reliant les décisions de production agricole au phénomène d'érosion des sols. Pour ce faire, nous avons intégré au MARC - modèle agricole régional canadien - le modèle CIPE - calculateur d'indice de productivité et d'érosion - pour essayer de mesurer l'incidence environnementale des décisions et changements de programmes.

Au cours des deux prochaines années, nous espérons étendre ce système de modélisation pour estimer l'incidence des décisions sur l'eau. À plus long terme, nous essayerons de mesurer l'incidence sur l'atmosphère et sur la biodiversité des mesures fiscales ou autres du gouvernement. Pour l'instant, nous en sommes encore aux balbutiements, même si cela a déjà exigé beaucoup d'effort.

Comme l'a dit Jeff, nous investissons également des sommes importantes dans l'élaboration d'indicateurs environnementaux du secteur agricole pour nous aider à mesurer nos progrès vers un meilleur rendement environnemental. Nous espérons que ces indicateurs prendront place peu à peu à côté des indicateurs économiques pour éclairer le secteur au cours des prochaines années.

Il convient de souligner que les systèmes et indicateurs relatifs à l'environnement agricole sont seulement en cours d'élaboration, alors que les modèles et indicateurs d'ordre économique existent déjà depuis une cinquantaine d'année.

Autrement dit, nous faisons encore nos premiers pas dans cette discipline, dans le but de comprendre l'incidence environnementale des politiques et des programmes.

En conclusion, je voudrais vous donner une idée de l'orientation future des politiques et programmes de soutien sectoriel qui auront une incidence positive sur l'environnement. J'ai déjà décrit la réorientation des programmes de soutien agricole, qui sont passés de paiements de sécurité du revenu axés sur certaines catégories de denrées à des systèmes découplés de financement de mesures d'adaptation; cette réorientation devrait contribuer à la diversification de la production, à un usage plus approprié des sols et à un recours moins intensif aux intrants.

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Le gouvernement fédéral favorise l'octroi d'un soutien sectoriel axé sur l'exploitation agricole globale, ce qui devrait favoriser l'intégration des décisions économiques et environnementales au niveau de l'exploitation. Cette démarche ne devrait pas engendrer d'incitation artificielle à la monoculture intensive.

Le Ministère continue au demeurant d'attribuer beaucoup d'importance à l'élaboration de pratiques plus durables sur le plan de l'environnement et à l'élaboration de meilleures pratiques de gestion, par la recherche et le développement et par le progrès technologique, dans le but de fournir aux agriculteurs les compétences requises pour adopter ces pratiques.

Je termine en disant qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada a déjà bien avancé sur la voie que votre comité est en train de tracer. L'appui direct à la production agricole a été sensiblement réduit, ce qui atténue les risques de dommage écologique.

Sur le plan des données de référence, nous avons évalué l'incidence écologique de tous nos grands programmes de soutien, représentant 84 p. 100 des budgets pertinents, et nous n'avons constaté que des incidences environnementales marginales.

Nous allons continuer de chercher les facteurs risquant d'entraver l'adoption de saines pratiques environnementales, en poursuivant nos études d'incidence environnementale. J'ai la conviction qu'un processus efficace d'évaluation de l'incidence environnementale fondé sur des données crédibles est la meilleure méthode pour influer sur les décisions de demain.

Je vous ai ainsi exposé les orientations futures du Ministère.

En conclusion, j'estime qu'il s'agit là d'une priorité très importante pour nous. Nous consacrons depuis deux ans beaucoup d'efforts dans ce domaine, qui restera l'une des priorités du Bureau de l'environnement d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Le président: Merci, madame Nymark.

[Français]

Monsieur de Bailleul, s'il vous plaît.

M. Guy de Bailleul (directeur, Département d'économie rurale, Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, Université Laval): Mesdames et messieurs, je voudrais vous remercier de me donner l'occasion de vous faire un certain nombre de réflexions sur les rapports entre la politique fiscale, la politique agricole et les problèmes agroenvironnementaux.

Je m'appelle Guy de Bailleul et je suis directeur du Département d'économie rurale de la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation à l'Université Laval. Je travaille plus particulièrement sur les questions de l'économie des ressources et de l'environnement appliquées aux questions agroenvironnementales.

Je suis impliqué dans un certain nombre de projets de recherche ayant trait aux impacts environnementaux de certaines pratiques agricoles, notamment à l'échelle de bassins versants, dans un gros projet multidisciplinaire dans lequel nous mettons en oeuvre des efforts de modélisation par l'utilisation des modèles EPIC que mentionnait Mme Nymark.

Je pourrais aussi mentionner qu'une des raisons de mon intérêt pour les questions ou les problèmes agroenvironnementaux vient du fait que j'ai grandi sur une petite exploitation agricole dans le nord de la France, une petite exploitation diversifiée, dans une des régions qui est probablement, du point de vue du sol, parmi les plus riches d'Europe et où on atteint aujourd'hui des rendements, en ce a trait au blé, de 10 à 12 tonnes par hectare.

Aujourd'hui, il n'y a plus beaucoup de petites fermes, et l'eau de la nappe phréatique n'est plus utilisable pour la boisson depuis une vingtaine d'années parce qu'elle est trop chargée en nitrate. C'est un des taux les plus élevés en Europe. Par contre, j'imagine que cela doit représenter des économies pour un certain nombre d'agriculteurs qui, depuis quelques années, se sont lancés dans l'irrigation des cultures céréalières. Quand vous avez la chance de pouvoir puiser dans une nappe phréatique chargée en nitrate, vous faites des économies en azote.

J'ai reçu l'invitation à participer à cette séance il y a quelques jours. Par conséquent, le papier que vous avez sous les yeux est relativement schématique. Il est écrit de manière un peu télégraphique. J'ai essayé de reprendre un peu les principales questions qui avaient été suggérées dans le document que j'avais reçu et j'y ai répondu de manière probablement assez inégale.

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J'aimerais préciser d'abord qu'en ce qui concerne le lien entre les politiques fiscales, les politiques agricoles et les problèmes agroenvironnementaux, il y a cinq points qu'il importe de rappeler pour qu'on comprenne la particularité des problèmes qui se posent dans notre secteur.

D'abord, les problèmes agroenvironnementaux sont relativement importants. Je crois qu'on peut affirmer que l'agriculture est une des sources majeures de pollution et de dégradation de l'environnement au Canada et tout particulièrement au Québec. Je me référerai plutôt à la situation du Québec dans la mesure où c'est une situation que je connais un peu mieux.

Il faut aussi mentionner, comme autre point important, les caractéristiques particulières des problèmes agroenvironnementaux. C'est-à-dire que, hormis les cas de pollution ponctuelle, pollution qui peut être associée à la présence de grandes concentrations d'élevage, il s'agit le plus souvent, quand on parle de problèmes environnementaux agricoles, de pollution diffuse, de pollution non ponctuelle, d'où la difficulté d'agir avec des instruments, des méthodes, voire des technologies qui seraient disponibles dans d'autres secteurs de l'activité économique.

Le troisième point que l'on peut évoquer est le lien entre les problèmes agroenvironnementaux et l'intensification de la production, c'est-à-dire une intensification à travers une augmentation des rendements à l'hectare particulièrement, intensification qui est largement obtenue grâce à l'utilisation accrue de fertilisants ou de pesticides.

J'ajoute tout de suite, en quatrième point, qu'il existe des relations très complexes entre les niveaux d'utilisation de ces intrants et la gravité des problèmes agroenvironnementaux. Je veux dire par là que, compte tenu de l'hétérogénéité des conditions de sol, la même quantité d'engrais appliquée à telle unité de surface à un endroit n'aura pas nécessairement les mêmes conséquences sur la qualité de l'eau que la même quantité appliquée ailleurs, ce qui pose aussi des difficultés quand on essaie de trouver des instruments qui soient uniformes.

Enfin, et on en vient au vif du sujet, il y a l'influence possible des politiques de soutien au revenu agricole et des politiques de fiscalité sur le rythme et l'importance de l'intensification. C'est évidemment par rapport à l'influence de ces politiques sur l'intensification qu'on peut établir éventuellement un lien indirect entre ces politiques et les problèmes agroenvironnementaux.

Je rappellerai aussi brièvement les mécanismes par lesquels une politique de soutien peut accroître les problèmes agroenvironnementaux. Lorsqu'une politique publique a pour objectif d'assurer à long terme un prix ou un revenu aux agriculteurs plus élevé que celui qui serait, toujours en moyenne, à long terme assuré par le marché, cela entraîne, en l'absence de limitation de la production et de contingentement, un niveau de production plus élevé que celui qu'on observerait si les seuls signaux étaient ceux du marché. Si cette production a des impacts environnementaux négatifs, cela accroît les problèmes environnementaux.

Les problèmes peuvent être liés à la production elle-même ou à des sous-produits associés à la production. C'est particulièrement le cas dans les productions animales, puisqu'on a des sous-produits du type lisier ou fumier, dont la quantité est telle qu'elle peut entraîner des problèmes environnementaux. C'est plus souvent lié à l'utilisation des intrants en plus grande quantité et cela peut être lié à une utilisation plus intensive du sol.

Dans le même ordre d'idées, toutes les politiques qui, sans viser nécessairement un niveau de prix plus élevé, auraient pour effet de diminuer le coût des intrants à travers une détaxe ou des subventions à l'achat des intrants, auraient nécessairement les mêmes effets puisqu'elles inciteraient les producteurs à en consommer relativement davantage puisque le coût d'opportunité de ces intrants serait plus faible.

Il pourrait en aller de même des subventions aux taux d'intérêt, puisque là aussi, toutes choses égales par ailleurs, une subvention aux taux d'intérêt a pour effet de diminuer le coût d'opportunité du capital, bien que le lien entre la subvention aux taux d'intérêt et les problèmes environnementaux soit moins facile à établir.

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On peut penser que cela favorise un suréquipement, par exemple, sur les exploitations agricoles, mais le lien entre le suréquipement et les problèmes environnementaux est, je le répète, assez ambigu. Les uns vont dire que parce qu'il y a davantage de machines, il va y avoir davantage de compaction des sols, et d'autres diront que si on peut utiliser de plus grandes machines, il y a moins de passage sur une parcelle et donc moins de problèmes de compaction. Cela illustre la difficulté qu'il y a à apprécier de manière univoque le lien entre une politique et l'impact environnemental.

J'ai fait allusion aux politiques qui auraient pour effet d'assurer un revenu qui serait en moyenne supérieur à celui qui serait garanti par le marché. Il y a un certain nombre d'autres programmes qui ne visent pas nécessairement à assurer un revenu plus élevé, mais qui visent par contre à réduire les variations du revenu agricole et qui auraient en moyenne, sur le long terme, un effet neutre sur le revenu. Les variations aléatoires seraient simplement réduites. On peut s'interroger sur l'impact que ces politiques peuvent aussi avoir sur les questions environnementales, cela dans le sens suivant.

Les politiques de réduction des variations des revenus ou des prix, ou de réduction des effets des variations de récolte - par exemple, je pense à l'assurance-récolte - prennent en charge une partie du risque qui est associé soit à la production, soit au rendement. Il décharge donc les producteurs de ce risque et les décharge partiellement de la nécessité de recourir par eux-mêmes à des stratégies de protection contre le risque, stratégies qui peuvent consister en diversification de la production, en rotation, etc.

On a pu voir, et là je prends encore l'exemple du Québec, des stratégies de développement de la monoculture - je pense en particulier au maïs - qui pouvaient accompagner la mise en place de programmes d'assurance-stabilisation ou d'assurance-récolte. Inversement, on pourrait aussi avancer l'idée que la stabilisation des revenus peut amener les agriculteurs à porter à la conservation à long terme de leurs ressources une plus grande attention qu'en situation plus aléatoire. Donc, vous voyez qu'il y a des effets contradictoires en quelque sorte.

Je voudrais mentionner au passage qu'on ne saurait trop sous-estimer, selon moi, le rôle de la stabilisation des revenus agricoles dans l'investissement en agriculture et donc dans l'accroissement de la productivité. Cette stabilisation - ce n'est pas vrai seulement pour le Canada - a été probablement l'un des facteurs essentiels des gains de productivité en agriculture.

Ce qui est en cause actuellement en agriculture, à mon avis, ce ne sont pas tant les mesures fiscales proprement dites, ce qui est évoqué dans cet atelier, parce qu'à toutes fins pratiques, il n'y a plus tellement de mesures qui ont pour effet de diminuer le coût assumé par les producteurs, notamment en ce qui concerne les engrais et les pesticides. Il faudrait peut-être traiter à part le cas des carburants, puisqu'il y a encore certaines formes de détaxation en ce qui a trait à l'utilisation des carburants. On pourrait aussi s'interroger sur les effets de l'amortissement fiscal du capital sur l'éventuel suréquipement des exploitations.

En ce qui a trait aux mesures fiscales, je voudrais mentionner celles qui ne concernent pas le secteur agricole, mais qui peuvent avoir un effet sur les problèmes agroenvironnementaux. Lorsqu'on favorise, par des mesures fiscales, l'utilisation d'une matière première agricole dans une autre industrie - je pense en particulier à l'utilisation du maïs pour la production de l'éthanol, où l'on voit un certain nombre d'avantages environnementaux puisque cela va modifier la composition des gaz d'échappement - , cela peut avoir des effets sur le plan environnemental.

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Mais si on sait que la production du maïs est, elle, associée à des problèmes environnementaux importants, on doit s'interroger sur l'impact des mesures fiscales qui favorisent l'utilisation ou la production d'éthanol sur les ressources agricoles.

Ayant rappelé ces positions de principe, en ce qui concerne l'évolution récente des politiques agricoles au Canada, je ne reviendrai pas sur le développement de Mme Nymark. Je soulignerai simplement de mon côté qu'il y a un fil conducteur dans l'évolution de ces politiques. C'est celui qu'on pourrait appeler le découplage, c'est-à-dire le fait que la révolution implique un lien de moins en moins direct entre l'objectif de soutenir le revenu de l'agriculteur et le niveau de production ou le type même de production choisi par l'agriculteur. C'est en ce sens-là qu'on peut parler de découplage.

Du point de vue environnemental, je considère que c'est un avantage incontestable, puisque cela permet à l'agriculteur de réintroduire une certaine diversification de ses productions; cela lui permet aussi de recourir à des mesures plus saines sur le plan environnemental. Par exemple, j'ai fait allusion plus tôt à la rotation. C'est une des évolutions qui pourraient avoir les meilleurs effets sur le plan environnemental.

Une question portait sur l'urgence de la réforme de la fiscalité fédérale en matière agricole. J'ai mentionné l'évolution qui était déjà perceptible. On peut s'interroger, malgré tout, sur la pertinence, non pas d'enlever un certain nombre d'obstacles fiscaux, mais éventuellement d'en introduire. Autrement dit, est-il pertinent d'envisager une taxation de certains facteurs de production qui seraient les plus étroitement associés aux problèmes environnementaux? Là encore, on pense aux engrais, à certaines formes d'engrais organiques et aux pesticides.

On ne peut pas éluder la question. Il faut la mettre à l'étude. Mais là encore, je soulignerai qu'il est difficile d'avoir une politique de taxation de certains intrants qui puisse cibler chaque région ou chaque parcelle.

On a fait allusion à la question de l'égalité des règles en ce qui a trait aux différents types de stratégie. Si j'ai bien compris ce qu'on entendait par là, j'ai tendance personnellement à répondre, de manière plus brutale, que le gouvernement n'a pas à être neutre en matière de fiscalité. Je dirais même qu'il doit être partial, qu'il doit être biaisé en fonction de certains objectifs sociaux et environnementaux qui seraient considérés comme désirables par la société. Sa politique fiscale doit refléter ce biais, selon moi, non seulement par rapport à la société actuelle, mais par rapport aux générations futures.

Si l'égalité des règles à laquelle il est fait allusion repose sur l'idée que le marché pourrait être le meilleur allocateur des ressources, non seulement du point de vue de l'efficacité économique, mais aussi de l'efficacité sociale et environnementale, cela me paraît très profondément erroné.

Quelles mesures faudrait-il favoriser? Je resterai dans des considérations relativement générales, mais je voudrais souligner quelques points, si vous le voulez bien.

La réduction des dégradations agroenvironnementales passe, pour une bonne part, par l'adoption de pratiques agricoles alternatives, qui auraient un impact réduit sur l'environnement, tant du point de vue de la dégradation des sols que de celui de la pollution de l'eau.

Or, il existe parfois des pratiques agricoles alternatives qui peuvent présenter un intérêt économique à peu près comparable à celui des pratiques conventionnelles. Et pourtant, on note, de la part des agriculteurs, une certaine réticence à les adopter.

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Dans un certain nombre de cas, il peut s'agir simplement d'information, de formation, de vulgarisation, de sensibilisation. Vous pouvez utiliser tous ces termes. Dans un certain nombre de cas non négligeable, il peut s'agir simplement du fait que, même si les deux types de pratique sont comparables du point de vue du revenu assuré à l'agriculteur, le passage d'une pratique conventionnelle à une pratique alternative peut entraîner un certain nombre de coûts ou un certain nombre de risques, ce qui peut suffire, souvent, à dissuader les agriculteurs. Pendant cette période transitoire, on peut devoir faire face à un accroissement de l'incertitude et du risque ou à une baisse de rendement. On peut être confronté à l'obsolescence brutale du matériel conventionnel qu'on a utilisé. Quand on est obligé de changer de pratique, on est quelquefois obligé de changer de matériel. Celui dont on dispose devient obsolète, ce qui représente un coût. Une modification des pratiques fiscales ne permet pas forcément de prendre en compte ces spécificités de la période de transition.

Il y aurait lieu d'affiner un certain nombre d'outils de ce point de vue, par exemple - je cite cela parmi d'autres mesures possibles - des mesures d'amortissement accéléré pour certains types de matériel dont il serait reconnu que leur usage améliore la structure de sol ou a des conséquences environnementales moins graves. Il faut prendre en compte cette période de transition des systèmes de production conventionnels à des productions alternatives.

D'une manière générale, il est difficile de viser une amélioration des impacts environnementaux à travers une seule catégorie d'instruments. On privilégierait uniquement les politiques fiscales ou les politiques réglementaires, ou bien on penserait simplement à la question des échanges de permis de polluer. La complexité des problèmes agroenvironnementaux exige qu'on ait à sa disposition une batterie d'instruments que l'on puisse adapter en fonction des circonstances. On peut aussi, et cela a été évoqué avec une certaine réticence par des intervenants précédents, penser à des mesures d'application liée, ce qu'on appelle aux États-Unis les programmes d'environmental cross-compliance.

Dans la mesure où l'État, par un certain nombre de programmes, intervient pour stabiliser ou pour aider les agriculteurs, je crois qu'en tant que représentant de la société, il peut être fondé à demander certaines formes de contrepartie aux agriculteurs, en autant qu'il y ait un avantage à la participation à ces programmes de la part des agriculteurs, ce qui existe sous certaines formes aux États-Unis et qui commence à être envisagé en Europe.

En ce qui a trait à la réforme fiscale écologique, c'est une formule qui peut paraître séduisante en théorie, mais je voudrais rappeler qu'une politique fiscale ne peut poursuivre une seule catégorie d'objectifs; souvent elle va poursuivre des objectifs à la fois économiques, de création d'emplois et d'équité. Donc, il m'apparaîtrait difficile de concevoir une réforme fiscale qui soit simplement écologique. Elle sera forcément un compromis entre différents types d'objectifs.

En terminant, je dirai que l'évolution des programmes agricoles, telle qu'on l'observe au Canada d'une manière générale, va vers un découplage beaucoup plus marqué et devrait entraîner une amélioration des impacts environnementaux. Il reste que le passage plus généralisé à des pratiques agricoles alternatives, qui soient plus bénéfiques pour la conservation des sols et la protection de l'environnement, va nécessiter la mise en oeuvre de programmes d'incitation, de subventions ou d'application liée.

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Même si j'estime que la sensibilisation, l'information et la formation des agriculteurs peuvent jouer et joueront un grand rôle, je crois que la transformation de l'agriculture canadienne en agriculture qui soit réellement durable va nécessiter des efforts accrus, à la fois de la part des agriculteurs et de la société canadienne. Et quand je dis la société canadienne, ce n'est pas nécessairement par l'intermédiaire du gouvernement fédéral ou des gouvernements provinciaux; cela peut être aussi par l'implication d'autres formes de gouvernements plus locaux.

Je dois dire que j'ai été assez frappé, il y a quelques jours, en allant visiter un projet dans la région des Catskills dans l'État de New York, au sud de chez nous, par lequel la ville de New York entrait en contrat avec un groupe d'agriculteurs pour qu'ils modifient leurs pratiques agricoles. Elle payait ces agriculteurs pour les frais encourus par cette transformation des pratiques agricoles pour la seule et simple raison que cette région était un bassin versant qui fournissait New York en eau potable.

On avait là une collectivité qui avait tout intérêt à ce qu'un groupe d'agriculteurs modifient leurs pratiques agricoles dans un sens plus favorable à la qualité de l'eau, et qui investissait certains fonds qu'elle pourra d'ailleurs économiser par la suite à travers ses usines d'épuration des eaux.

Je termine là-dessus. Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, monsieur de Bailleul, de nous avoir donné une analyse aussi claire du problème. Nous allons commencer les questions. Madame Guay.

Mme Guay (Laurentides): Je vais faire un petit résumé des choses qui m'ont frappée dans chacun de vos discours. J'ai écouté très attentivement et je trouve que ce que l'on a entendu ce soir est très diversifié. On voit vraiment que le Canada est un très grand pays et qu'il est très diversifié sur le plan de l'agriculture.

Monsieur Girt, vous avez dit qu'il était difficile d'avoir des politiques uniformes dans ce pays. Vous avez également parlé de petits organismes pour la faune. Je me demande si de telles choses ne sont pas plus faciles à administrer à plus petite échelle, quand c'est plus près de soi.

Monsieur Wilson, vous avez parlé de toutes sortes de programmes et vous avez dit que certains programmes étaient contradictoires. Je me demande si les programmes contradictoires sont entre le fédéral et les provinces. Vous avez dit aussi que, pour répondre aux besoins régionaux, il fallait faire des politiques à long terme, étalées sur une vingtaine d'années. On ne peut faire des politiques à court terme. Il faut que ce soit des politiques à long terme. Il faut aussi une certaine souplesse entre les régions. Voilà, en résumé, ce que j'ai retenu de votre discours.

Madame Nymark, vous avez beaucoup parlé du transport des grains et vous avez cité beaucoup de chiffres. Je ne suis pas spécialiste en agriculture, mais j'ai constaté que les besoins dans votre région étaient tout à fait différents. Vous avez parlé de l'Ouest canadien et de la production des grains qui est tout à fait différente de celle qu'on trouve dans d'autres provinces.

Monsieur de Bailleul, vous avez parlé du Québec et des problèmes qu'on y connaît, et vous avez terminé en disant qu'il était peut-être plus facile d'administrer à plus petite échelle parce que c'est plus près de nous, parce que c'est plus facile et parce que cela nous concerne plus directement.

J'ai une question en deux temps. Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, mais je voudrais vous demander à tous ce que vous pensez d'une taxe verte.

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J'aimerais aussi que vous me disiez s'il est vrai que, sur le plan de l'agriculture, il est plus facile d'administrer à plus petite échelle, quand c'est plus près de nous, et que les rendements sont alors meilleurs sur le plan environnemental. Est-ce qu'il n'est pas plus facile d'administrer quand c'est plus près de nous que d'essayer de respecter, entre autres, deux ou trois normes qui diffèrent selon les régions?

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

M. Girt: Je pense que ce sera plus efficace. Ce ne sera pas plus facile à gérer. C'est d'ailleurs souvent l'obstacle que l'on rencontre dans ce domaine: si l'on veut garantir la reddition de comptes, on ne peut déléguer l'usage des fonds fédéraux. J'avance ici certains des arguments qu'utilisent les bureaucrates. Cela ne peut pas être délégué parce que l'on veut obtenir des comptes. C'est un facteur qu'il faut préserver. En conséquence, à une époque où l'intervention du gouvernement fédéral ne cesse de diminuer, il faut qu'Ottawa garde le contrôle de ces fonds. Ces initiatives locales ne sont pas acceptables.

Je crois qu'il faudra trouver une solution à ce problème. Il y a un risque de conflit entre la notion de responsabilité financière et l'exigence de souplesse qu'exige un système de prestation local.

[Français]

Mme Guay: Un instant, vous ne m'avez pas répondu sur la taxe verte.

[Traduction]

M. Girt: Je ne sais pas ce qu'est une taxe verte.

[Français]

Mme Guay: Comment la percevez-vous? On en parle de plus en plus.

[Traduction]

M. Girt: Pour l'agriculture, cela pourrait être une forme de taxe très positive. Il faudrait y réfléchir. Ce ne serait pas prêt pour le prochain budget. Ce serait une sorte de taxe à la valeur ajoutée écologique, ce qui veut dire qu'on ne serait pas seulement taxé sur la consommation d'intrants non renouvelables mais que l'on obtiendrait aussi des incitations pour produire des biens et services écologiques. Par exemple, l'enfermement - ce n'est pas le bon mot mais je ne trouve pas celui qui conviendrait - du bioxyde de carbone en plantant des arbres sur une propriété produirait une forme de valeur ajoutée écologique. Par contre, la consommation d'engrais serait taxée parce qu'il s'agirait de l'utilisation d'une ressource non renouvelable.

J'essaye toujours de tenir compte des aspects positifs autant que négatifs. En règle générale, quand on pense à des choses négatives, on peut généralement trouver aussi des choses positives. Il est important de ne pas les négliger.

M. Wilson: En ce qui concerne une taxe verte, il faut que vous, représentants de la population, sachiez clairement ce que vous voulez. Vous ne pouvez pas nous pousser dans un sens ou dans l'autre en changeant tous les deux ou trois ans. Constatons d'ailleurs que l'usage de pesticides a diminué au Canada, tout comme l'usage d'engrais et de carburants agricoles. Donc, si je me le permettais, je vous demanderais: où est le problème? Quand on parle de taxe environnementale, quel est l'objectif que l'on veut atteindre? S'agit-il d'accélérer l'évolution vers un objectif que nous partageons tous? Si tel est le cas, comment faire?

Vous savez, les agriculteurs sont très cyniques. Ils ont constaté beaucoup d'abus dans le recours à la fiscalité. C'est d'ailleurs ce qui m'amène à vous lancer le défi inverse: si vous voulez imposer une taxe verte, comment allez-vous faire pour éviter l'abus?

[Français]

Mme Guay: Vous n'avez pas répondu à ma première question.

[Traduction]

M. Wilson: Qui était...?

[Français]

Mme Guay: Elle portait sur l'administration...

[Traduction]

M. Wilson: Oui, si l'on convient qu'il y a cinq ou six régions très différentes au Canada, il ne fait aucun doute qu'il faut en tenir compte.

J'ai dit au début que je participe à l'initiative du plan agricole environnemental. Il serait présomptueux de ma part de dire que l'initiative peut être complètement transposée dans d'autres provinces ou régions. Elle a été conçue particulièrement dans le contexte de l'Ontario, eu égard à la diversité de la province. Il se peut toutefois qu'il y ait des éléments que l'on puisse appliquer ailleurs, mais nous n'avons pas encore assez avancé dans cette voie pour savoir lesquels pourraient l'être. Nous ne le savons pas encore.

[Français]

Mme Guay: Merci.

.2105

[Traduction]

Mme Nymark: Pour ce qui est de votre première question sur la mise en oeuvre des programmes à l'échelle locale, nous avons conçu dans le cadre du Plan vert un système en vertu duquel nous avons établi un comité d'agrément dans chaque province, avec des représentants du secteur agricole, du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral.

Chacun de ces comités a été chargé d'établir les priorités de sa province, de son écorégion, de façon à ce que l'on puisse aboutir à un plan vert agricole à l'échelle fédérale mais extrêmement sensible aux caractéristiques régionales et conçu en fonction des priorités fixées par les parties prenantes de chaque région. Le plan vert de l'Ontario est très différent de celui de la Colombie-Britannique. Le plan vert des Prairies est foncièrement différent de ceux de l'Ontario et du Québec. Au Québec, on a attaché beaucoup plus d'importance à la qualité des eaux que dans la région des Prairies.

En ce qui nous concerne, nous avons établi certaines priorités fédérales et nous les avons communiquées à chacun des comités pour qu'il puisse en tenir compte. Voilà pourquoi je pense que nous avons aujourd'hui un plan vert extrêmement sensible aux particularismes régionaux, ce qui est normal puisque chaque province a ses propres priorités, qui dépendent de son propre écosystème et de ce qu'elle juge approprié.

[Français]

Mme Guay: En ad hoc, est-ce que ça fonctionne réellement?

[Traduction]

Mme Nymark: Oui, ça marche très bien.

[Français]

Mme Guay: Est-ce qu'il y a une synergie entre les deux paliers?

[Traduction]

Mme Nymark: La meilleure synergie ne se produit pas entre les différents paliers de gouvernement mais entre les parties prenantes et les gouvernements. C'est là, à mes yeux, la valeur réelle du plan vert. Ce sont les comités d'agrément et les collectivités agricoles de chaque province, représentées au sein des comités d'agrément du plan vert, qui détermineront la manière dont l'argent sera dépensé et quelles seront les priorités. C'est à ce niveau qu'il y a une véritable synergie.

Sur la question de la taxe verte, je ne sais pas vraiment comment répondre à votre question parce qu'elle est de portée très générale. À mon sens, le problème important est de savoir quel objectif environnemental on veut atteindre. Je suis prête à envisager toute mesure fiscale ou autre que le gouvernement fédéral, ou n'importe quel autre gouvernement, pourrait utiliser pour faire face au problème environnemental. Je préférerais cependant essayer de chercher la meilleure solution possible eu égard aux problèmes que l'on veut résoudre plutôt que de choisir d'office la solution d'une taxe verte.

Il me semble que chaque problème environnemental mérite probablement une solution particulière. Il se peut qu'une taxe verte soit idéale dans certaines circonstances mais pas dans d'autres. Je ne puis donc exprimer de préférence à cet égard.

[Français]

Mme Guay: Parfait.

M. de Bailleul: En ce qui concerne la réponse à la première question, j'aurais tendance à dire que tout dépend du problème environnemental qui est évoqué. Il y a des problèmes environnementaux qui sont de nature plus globale, qui peuvent gagner à être gérés ou abordés à un niveau central, ou du moins par une étroite corrélation entre l'ensemble des niveaux ou l'ensemble des provinces. Je pense à tous les problèmes reliés à l'accumulation des gaz à effet de serre, par exemple, ou à d'autres problèmes du type conservation des espèces en voie de disparition. Ça nécessite forcément une coordination étroite. Et il y en a d'autres qui peuvent être gérés à l'échelle du territoire où les impacts se font le plus clairement sentir.

Ça m'amène à la deuxième question, puisqu'on parle d'une taxe verte. Là encore, je pense que c'est un instrument qui peut avoir une certaine efficacité pour un certain nombre de problèmes, et ça n'implique pas nécessairement que cette taxe soit imposée au niveau central fédéral, par exemple, ou même au niveau provincial.

L'une des applications qui me semblent les plus intéressantes, c'est celle qui pourrait être mise en oeuvre dans la gestion des problèmes de pollution de l'eau par différentes sources de pollution, qu'elles soient d'origine agricole ou non agricole.

.2110

Il y a une politique qui sert souvent de référence et que je vois souvent citée en exemple aux États-Unis, et c'est le fonctionnement des agences de bassin qui existent en France, où l'ensemble des activités qui ont des effets polluants sur l'eau sont taxées par une agence locale qui fonctionne à l'échelle de grands bassins versants, puisque là on a effectivement une certaine unité dans l'origine des problèmes liés à la pollution de l'eau et aussi du point de vue de ceux qui sont pénalisés, qu'il s'agisse des habitants, d'autres industries, etc.

Cette redevance, que les différentes industries et, depuis très récemment, l'agriculture sont amenées à payer à l'agence qui gère cela - car car il ne s'agit pas de l'État, du gouvernement central, d'un département ou d'une région, mais d'une entité à l'échelle de la région où se manifeste ce problème - , sert, entre autres, à financer un certain nombre d'investissements dans les exploitations agricoles pour modifier des installations ainsi que des pratiques agricoles et réduire ainsi leur niveau de pollution et la taxe qu'elles vont devoir payer.

Mme Guay: Monsieur de Bailleul, vous me dites que s'il y avait une taxe verte, vous aimeriez qu'elle soit réinvestie dans le domaine de l'environnement ou de l'encouragement à l'environnement, n'est-ce pas?

M. de Bailleul: Elle devrait être nécessairement utilisée soit pour compenser les conséquences de la pollution, soit pour améliorer ou réduire cette pollution.

Mme Guay: Merci.

Le président: Merci, madame Guay.

[Traduction]

Monsieur Forseth, s'il vous plaît.

M. Forseth (New Westminster - Burnaby): Merci, monsieur le président.

J'ai une très brève question à poser à chacun des témoins, et j'aimerais qu'ils y répondent en 60 secondes au maximum.

Monsieur de Bailleul, pour commencer, vous avez évoqué l'exemple de New York. Vous avez parlé d'agriculteurs qui sont payés précisément pour changer certaines activités. Pourriez-vous nous dire clairement de quoi il s'agit, ce qui a été changé et ce qui a été payé?

[Français]

M. de Bailleul: Ça dépend évidemment du type de production qu'ils font. Par exemple, j'ai visité certaines exploitations agricoles où les agriculteurs avaient été payés pour modifier leurs installations d'étable de façon à ce qu'il y ait moins d'écoulement de lisier dans les cours d'eau. Ils devaient simplement, en contrepartie, s'engager à poursuivre cette activité pendant un minimum de 10 ans. C'est un exemple.

[Traduction]

M. Forseth: Bien.

Monsieur Wilson, vous dites que vous êtes agriculteur.

M. Wilson: Oui.

M. Forseth: Pourriez-vous nous donner des précisions sur votre exploitation? Plus précisément, quelles sont les choses que vous faites aujourd'hui que vous ne faisiez pas il y a deux ou trois ans, dans le contexte précis de l'environnement?

M. Wilson: Je produis des petits fruits, comme des fraises et des framboises, ainsi qu'une variété de légumes - essentiellement des pommes de terre, des brocolis, des pois gourmands, du maïs et des asperges.

L'asperge est ma seule production actuelle qui ne fait pas encore l'objet d'un programme intégré de contrôle des insectes. Je dépense 1 000 $ par an pour obtenir des services de détection. Qu'est-ce que j'obtiens en retour? Ai-je le sentiment d'être un bon citoyen? Non. J'économise plus de 5 000 $ en pesticides, ce qui m'amène à conclure que j'ai financièrement intérêt à contribuer à la solution. Voilà l'une des choses concrètes que je peux mentionner.

Lorsque j'essaye de prévoir l'avenir - l'exemple de New York est très bon dans ce contexte. Je serai à New York mercredi et jeudi de cette semaine pour traiter de cette question. On va y parler de choses telles que le recours à des tampons efficaces et les mesures de réduction du risque de pollution à la source. On attache beaucoup d'importance à cette initiative.

M. Forseth: Madame Nymark, vous avez employé l'expression slogan: «une démarche axée sur l'exploitation globale». Qu'est-ce que ça veut dire, très brièvement?

Mme Nymark: Cela veut dire que tous les produits seraient admissibles au programme, plutôt que certains d'entre eux.

M. Forseth: Très bien.

Monsieur Girt, vous avez recommandé un système de soutien de revenu agricole net plutôt qu'un système de subvention du revenu. En comparant les programmes, vous avez dit que l'un est bon et que l'autre ne l'est pas.

Pourriez-vous me dire en moins de 60 secondes de quoi vous vouliez parler?

.2115

M. Girt: Il s'agit de ce dont vous avez discuté avec Christine. Très simplement, on stabilise le revenu agricole sur la base du revenu net que les exploitants tirent de leurs activités. Autrement dit, du revenu diminué des dépenses. C'est la méthode que l'on préfère.

Celle que l'on ne préfère pas est celle qui amène à stabiliser le revenu brut tiré, par exemple, de la production de maïs. C'est une mauvaise méthode car elle fait monter le prix des terres si l'on veut en faire un autre usage, puisque la valeur des terres est établie en fonction de leur revenu brut et non pas de leur revenu net.

M. Forseth: Pourriez-vous citer une étude quelconque portant précisément sur ce genre de programme?

M. Girt: Tout ce que je puis dire, c'est que des programmes comme le CSRN, dont nous avons déjà parlé, vont dans la bonne voie. C'est un programme de stabilisation du revenu net. Le gouvernement fédéral a déjà annoncé que c'est le genre de mécanisme qu'il préfère à partir de maintenant. Il est important de poursuivre dans cette voie et d'éliminer des programmes comme le Régime d'assurance du revenu brut, RARB, qui correspond à l'autre type de programme. Il s'agit donc simplement maintenant de lire les documents produits par Agriculture Canada.

M. Forseth: Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Forseth.

Monsieur Lincoln.

M. Lincoln (Lachine - Lac-Saint-Louis): J'étais en train de me demander quel genre de recommandation concrète nous pourrons formuler, car nous devrons le faire. Après vous avoir écouté tous les quatre, je dois dire qu'il m'est très difficile de trouver des points communs entre vos positions respectives.

Par exemple, sur la question des incitations et des entraves fiscales, je constate que M. Wilson, un agriculteur, s'oppose à une taxe décourageant l'utilisation de carburants et de pesticides, si je l'ai bien compris, alors que M. de Bailleul semble être en faveur d'une telle taxe. Mme Nymark, quant à elle, dit qu'il faudrait se fonder sur les études d'incidence environnementale pour obtenir le résultat que nous souhaitons.

Je me demande comment concilier ces diverses positions pour arriver à recommander quelque chose qui puisse être utile pour le gouvernement. Il y a beaucoup de démarches possibles, certaines plus holistiques que d'autres, et certaines beaucoup plus localisées.

Par exemple, comment pourrions-nous selon vous trouver un juste équilibre entre les bons agriculteurs et les mauvais, du point de vue de l'environnement? Si l'on parle d'étude d'incidence environnementale, on parle d'établir une norme, ce qui oblige à trouver un équilibre entre les facteurs d'incitation et les facteurs de dissuasion.

[Français]

M. de Bailleul: C'est probablement pour cela que j'insistais sur le fait qu'il n'y a pas d'instrument unique. Il faut une combinaison d'incitations qui soient incitatives et coercitives. Je pense qu'on peut obtenir énormément de progrès du point de vue des programmes de sensibilisation ou de formation. Il est juste de dire aussi qu'un grand nombre d'agriculteurs ont spontanément modifié une partie de leurs pratiques agricoles.

Je demeure toutefois convaincu qu'il est nécessaire pour le moment, justement parce qu'il existe ce que vous appelez des mauvais agriculteurs du point de vue environnemental, qu'il y ait un moyen de coercition dans ces cas-là, dans la mesure où leurs pratiques ont des effets environnementaux très négatifs.

Il faut aussi se prémunir contre les conséquences de changements de contexte économique. Il y a une chose qui m'a toujours frappé. Comme vous le savez, aux États-Unis, on a mis en place des programmes de conservation des ressources et de conservation du sol depuis plusieurs années. C'est même quelque chose qui est étroitement associé à la politique agricole américaine depuis sa fondation dans les années 1930.

.2120

Au cours des années 1950 et 1960, on avait mis en place des programmes de réserve ou de conservation. Ils étaient exactement du même type que ceux que l'on observe actuellement aux États-Unis. Ces programmes avaient deux objectifs: premièrement, retirer des terres de la production et ainsi diminuer la production et les excédents et, deuxièmement, ces terres en réserve n'étant pas érodées, en restaurer la qualité. C'était des programmes d'une durée de 10 ans.

Il y a aussi eu d'autres programmes qui visaient à installer ce qu'on appelait des haies brise-vent, des rangées d'arbres pour réduire l'effet du vent sur les terres et donc réduire l'érosion. Il y avait toute une série de programmes de ce type-là qui s'étaient développés dans les années 1950 et 1960.

Or, ce qu'on a observé au début des années 1970, en 1972 et 1973 plus exactement, c'est que le prix des céréales a explosé sur le marché mondial. Il est devenu brutalement beaucoup plus intéressant d'accroître sa production de blé, d'accroître les rendements, réduisant ainsi à néant tous les effets des programmes antérieurs. On a arraché les haies brise-vent, encouragé par les exhortations du secrétaire à l'agriculture qui disait qu'il fallait produire de clôture à clôture pour répondre à la demande mondiale. Cette demande s'est à nouveau effondrée, mais entre-temps, on a réduit à néant beaucoup d'efforts du point de la conservation des ressources.

Si je prends cet exemple, c'est parce qu'on pourra très bien, dans les prochaines années, assister à une nouvelle augmentation sensible du prix du blé et des céréales sur le marché mondial. Ce n'est pas pour déplaire, j'imagine, aux agriculteurs, notamment aux agriculteurs de l'Ouest, car on peut penser qu'ils en ont bien besoin, mais il faut aussi éviter que cette brutale incitation ait pour effet de faire oublier un certain nombre de programmes ou d'habitudes qu'on avait commencé à prendre du point de la protection des ressources.

[Traduction]

Mme Nymark: Je crois que l'essentiel est d'aller dans la bonne voie. Le vrai problème, à mon avis, est d'adopter des politiques donnant les bons signaux, ce qui est en grande mesure votre objectif. Pour ce faire, nous devons renforcer notre capacité de comprendre et de prendre des décisions fondées sur des connaissances concrètes et sur l'analyse de l'incidence environnementale potentielle des décisions gouvernementales.

Voilà pourquoi j'attache tant d'importance au développement de nos capacités en matière d'études d'incidence environnementale et à l'obtention des outils nécessaires, c'est-à-dire de techniques de modélisation et d'indicateurs. Il est important de faire tout ce travail pour commencer à mieux comprendre le problème. Chaque fois que nous l'avons fait, cela nous a fait avancer.

J'ai affecté des gens à cette tâche car je pense que c'est en prenant de bonnes décisions dès le départ, fondées sur de bonnes analyses de l'incidence environnementale, en plus de l'analyse de l'incidence sociale et économique, que l'on arrivera à faire ce qu'il faut pour l'avenir. Voilà pourquoi j'attache une priorité tellement élevée à l'élaboration d'indicateurs et de mesures, car cela nous permettra de comprendre l'effet à terme des signaux que nous envoyons par nos politiques, et de les corriger s'il y a lieu.

Vous demandez comme faire la différence entre les bons agriculteurs et les mauvais. À mon sens, si nous avons appris quelque chose, c'est que l'éducation, la sensibilisation et l'amélioration des compétences sont probablement aussi efficaces que n'importe quoi d'autre. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on a tellement mis l'accent sur cet aspect des choses dans le Plan vert, du point de vue de la gestion des exploitations agricoles et de la planification environnementale.

L'autre solution consiste à chercher des solutions efficientes à nos problèmes environnementaux de façon à prévenir la pollution à la source, au lieu d'entreprendre des travaux d'épuration plus tard, lorsque les effets négatifs se sont déjà manifestés.

Voilà donc pour moi les domaines dans lesquels nous pouvons faire beaucoup pour améliorer les choses au niveau des exploitations agricoles.

Le président: Monsieur Wilson et monsieur Girt, deux brèves réponses, s'il vous plaît.

M. Wilson: Ce qui nous paraît efficace, dans ce domaine, ce sont les pressions exercées par les pairs, c'est-à-dire le fait que des agriculteurs tentent d'influencer d'autres agriculteurs. Je crois qu'il y a là un potentiel important que nous n'avons pas encore pris en considération, car il ne faut pas oublier que le mauvais agriculteur nuit à ma réputation à moi aussi. Je crois que cela constitue donc un élément de solution. Je ne pense pas que le gouvernement ait les ressources nécessaires pour assurer l'application rigoureuse d'un éventuel régime de réglementation. Qu'est-ce qui intéresse l'agriculteur? C'est ce que fait son voisin le plus progressiste, afin d'adapter ou d'adopter ses solutions. D'utiliser la même technologie.

.2125

Le président: Monsieur Girt.

M. Girt: Tout ce que je puis dire découle de ce que Jeff vient de dire.

Faire la police coûte très cher. N'oubliez pas que nous avons un territoire beaucoup plus vaste que n'importe quel autre pays par rapport à notre assiette fiscale. Nous n'avons pas à importer de solutions américaines ou européennes. Nous sommes différents.

Considérant ce qui a déjà été dit auparavant, je crois que j'en ai dit assez.

Le président: Très bien. Merci.

M. Steckle (Huron - Bruce): Peut-être pourriez-vous prendre note des questions que je vais vous poser pour répondre à toutes ensuite.

Premièrement, je dois dire à Jeff que j'ai beaucoup apprécié ce qu'il a dit ce soir. Comme je suis moi-même agriculteur, je comprends très bien sa position. Cela dit, je voudrais lui demander s'il estime que le régime actuel d'enregistrement des pesticides et des herbicides en Ontario, et même au Canada, est efficace? C'est ma première question.

En outre, les agriculteurs interviennent-ils assez dans le processus menant à ce genre de chose? Je crois qu'il y a un véritable débat qui s'est engagé à ce sujet, et cela fait partie de l'équation.

Monsieur Bailleul, vous avez fait allusion à la gestion de l'offre en disant que cela contribue peut-être à des coûts élevés. S'il n'y avait pas de mécanisme de gestion de l'offre, il se peut que certaines denrées nous coûteraient moins cher. Pourriez-vous préciser votre pensée, car je ne suis pas d'accord avec vous là-dessus? Je suis sûr qu'il y a des gens qui souhaitent que j'exprime aussi cette position, à titre d'agriculteur.

Madame Nymark, pourriez-vous donner des précisions sur la manière dont on peut éduquer les gens au sujet de ce que font déjà les agriculteurs en matière de mesures environnementales? Je vais vous donner un exemple. Combien de Canadiens soupçonnent-ils que l'on trouve proportionnellement beaucoup plus de pesticides, d'herbicides, de phosphates et de nitrates par hectare ou par acre en milieu urbain qu'en milieu rural? C'est parfaitement vrai mais combien de gens sont-ils prêts à le croire?

J'ai planté cette année 30 000 arbres, ce qui veut dire que j'ai soustrait pour toujours 30 acres à la production agricole - en tout cas pour ma génération - sans aucune forme de compensation. Je dis cela pour vous montrer qu'il y a des agriculteurs qui font déjà des choses pour le long terme, même si cela leur coûte cher. Il y a des gens qui prennent déjà eux-mêmes des mesures, sans l'aide du gouvernement. À mon avis, il serait bon de le faire savoir, et c'est une question d'éducation.

Monsieur Girt, l'objectif que nous nous fixons est-il réaliste, étant donné que notre gouvernement s'est engagé à atteindre un objectif total de 20 milliards de dollars d'exportations d'ici à l'an 2000? Est-il possible d'atteindre un tel objectif, considérant ce que nous voulons faire aussi du point de vue de l'environnement?

M. Wilson: Je vais d'abord parler des pesticides. Dans une certaine mesure, j'ai de bonnes nouvelles à vous communiquer. Moi-même et un certain nombre de mes collègues nous trouvons en ville pour participer à un exercice d'établissement de priorités en ce qui concerne les besoins des groupes d'usagers, du monde agricole. Nous avons rencontré hier soir le Dr Claire Franklin, chef du nouvel organisme de réglementation, avec qui nous avons eu une excellente discussion sur la nécessité pour toutes les parties de voir des résultats concrets.

À mon avis, le monde agricole est prêt aujourd'hui à oublier le passé. Si nous pouvons oeuvrer collectivement en nous tournant vers l'avenir, je suis sûr que ce que nous pouvons offrir avec ce processus répondra aux besoins des agriculteurs, des consommateurs et de l'ensemble de la société. Si nous voulons réduire le recours aux pesticides, je suis sûr qu'avec nos ressources en technologie, en éducation et en formation, nous pourrions arriver à une réduction de 90 p. 100. Mais il faut cependant tenir compte des besoins réels des agriculteurs.

.2130

Après la discussion d'hier soir et le débat de ce soir, j'ai la conviction que nous sommes engagés dans la bonne voie.

[Français]

M. de Bailleul: J'ai sciemment évité de parler des productions avec gestion de l'offre, parce qu'elles ne relèvent pas des politiques fiscales, non plus qu'elles ne relèvent des politiques par lesquelles le gouvernement fédéral ou provincial injecte de l'argent pour soutenir le revenu des agriculteurs. Mais il est vrai que par la gestion de l'offre, les agriculteurs peuvent obtenir un niveau de prix plus élevé que celui qui serait peut-être obtenu par le marché. Donc, ça pourrait entrer dans une des catégories.

Mais la gestion de l'offre veut aussi dire que les producteurs ne peuvent pas produire plus que le quota. Donc, un niveau élevé des prix ne peut pas les amener à produire plus. Par conséquent, l'incitation à penser aux impacts environnementaux est peut-être réduite.

Il se trouve aussi qu'au Québec, la principale production qui est sous gestion de l'offre est la production laitière. Certains de mes collègues trouvent qu'elle n'est pas suffisamment intensifiée, c'est-à-dire qu'on ne produit pas l'herbe avec suffisamment d'engrais, d'un point de vue qui apparaîtrait économiquement justifié. Mais c'est peut-être justement à cause de cela que la production laitière, qui est l'une des principales productions au Québec, en tout cas par la superficie qu'elle occupe, est aussi une de celles qui présente le moins de problèmes environnementaux. Elle en présente d'autant moins maintenant que les problèmes qui ont déjà été évoqués étaient liés à la gestion des fumiers, et ils ont été sensiblement améliorés par un certain nombre de programmes tels que les programmes d'amélioration de la gestion des fumiers, etc.

Le type de pratique culturale associé à la production de lait à partir d'herbe a des impacts environnementaux relativement modérés. En revanche, la production du maïs, qui a été encouragée par un programme financé aussi par le gouvernement fédéral a des impacts environnementaux majeurs. Elle est d'ailleurs l'une des productions associées aux plus grands impacts environnementaux.

[Traduction]

Le président: Y a-t-il d'autres volontaires? Madame Nymark.

Mme Nymark: Vous avez demandé comment veiller à ce que le monde agricole reçoive le crédit de ce qu'il fait de positif en matière de gestion de l'environnement. D'après moi, c'est aux organisations communautaires qu'il appartient de s'en occuper. Cela constitue d'ailleurs l'une des priorités du Comité national de l'environnement agricole, dont M. Wilson est vice-président.

Si l'on veut faire plus dans cette voie, c'est probablement en élaborant nos indicateurs environnementaux, qui nous indiqueront clairement si nous faisons des progrès. Voilà pourquoi cela constitue l'une de nos premières priorités. Lorsque les agriculteurs font des progrès sur le plan environnemental, nos indicateurs l'indiqueront et tout le monde pourra en être informé. Les indicateurs nous diront également dans quels domaines nous avons encore des problèmes ou dans lesquels nous n'agissons pas comme il faut, ce qui nous permettra d'apporter les correctifs nécessaires.

Le président: Merci.

Monsieur Girt.

M. Girt: Je crois qu'il faut faire preuve de prudence, pour les raisons suivantes. Ce n'est pas parce que nous risquons de ne plus pouvoir vendre notre production, c'est parce qu'il faut tenir compte du type de revenu que nous allons en tirer, ce qui nous ramène à la question du commerce international.

La question est de savoir quelle proportion des subventions concerne une production acheminée sur le marché américain et quelle proportion concerne une production écoulée sur le marché commun. À mon avis, les problèmes agricoles que connaîtra le Canada au cours des cinq prochaines années font actuellement l'objet de débats à Washington, où le Congrès est saisi du Farm Bill. D'après moi, nous devrions envisager très sérieusement d'intervenir dans ce genre de débats. L'une des méthodes consiste à agir sur le plan de l'environnement, de façon à préserver notre positionnement.

.2135

Oui, nous pouvons le faire, mais la question est de savoir si nous allons le faire comme dans les années 70 et 80, lorsqu'il nous fallait d'énormes subventions gouvernementales pour préserver nos parts de marché, alors que le profit national que nous en retirions était quasiment nul. Va-t-on instaurer un système de commerce international permettant à la nation et aux agriculteurs de réaliser les profits qu'ils méritent? C'est une question extrêmement sérieuse et nous devrions nous défendre beaucoup plus vigoureusement en ce qui concerne les ententes commerciales internationales.

Le président: Le dernier nom sur ma liste est celui de M. Adams.

M. Adams (Peterborough): Merci, monsieur le président.

J'ai beaucoup apprécié l'exposé de ce soir. Je vous en remercie.

L'érosion des sols est l'un des dommages importants que l'agriculture cause à l'environnement. Dans la région des Grands Lacs, je sais que l'érosion des sols et la pollution sont étroitement reliées. Je crois que M. Steckle en a parlé. C'est la même chose au Québec, avec la pollution du Saint-Laurent. L'érosion des sols transporte aussi les pesticides, l'excès d'engrais, etc.

Nous avons lu dans Green Budget Reform que des tentatives ont été faites pour préserver la couverture végétale des Prairies. J'ai lu également des documents parlant de choses encore plus compliquées à ce sujet en Europe, par exemple essayer de préserver la couverture végétale pendant une saison donnée car, pendant certaines saisons, comme le disait M. Bailleul, les engrais et les pesticides peuvent s'écouler dans la nappe phréatique. On parle aussi là-bas d'ériger des obstacles entre les cours d'eau, par exemple.

L'un d'entre vous a-t-il des remarques à faire au sujet du programme canadien de protection de la couverture végétale permanente des Prairies et, en Ontario, des programmes d'agriculture...?

Mme Nymark: Je vais répondre à votre question sur la couverture permanente.

À notre avis, ce programme a connu un succès remarquable. Je ne voudrais pas vous donner d'estimation chiffrée mais il a permis de retirer un nombre incroyable d'acres de la production céréalière annuelle pour les consacrer à de la production fourragère permanente, dans le cadre de contrats de 10 ans et de 21 ans. Cela a eu des effets extrêmement bénéfiques pour arrêter l'érosion des sols. Et cela en a eu aussi sur le plan de l'utilisation des intrants, car les cultures fourragères exigent naturellement moins d'intrants que la production céréalière. C'est donc un programme très efficace.

Je précise que les agriculteurs n'ont pas tardé à s'en prévaloir. Il était conçu pour n'être accessible qu'aux agriculteurs ayant des terres de classe 4, 5 ou 6.

M. Adams: Des terres marginales.

Mme Nymark: C'est cela, des terres marginales. Les exploitants ont été très nombreux à se prévaloir du programme, et très rapidement.

L'autre aspect intéressant du programme de couverture végétale permanente est que les agriculteurs ont le choix entre des contrats de 10 ans ou de 21 ans. Or, la majeure partie des contrats - plus de 60 p. 100 - sont de 21 ans. Cela garantit qu'il y aura une génération complète d'exploitants agricoles qui ne feront plus de production céréalière annuelle sur ces terres et qui les utiliseront à autre chose. Au bout de 21 ans, le risque que ces terres retournent à la production céréalière annuelle est relativement mince. Un contrat de 10 ans permettrait de changer facilement mais nous sommes convaincus que les contrats de 21 ans auront une incidence profonde à long terme, sur laquelle on ne reviendra pas.

Vous serez sans doute intéressés d'apprendre que la USDA examine attentivement ce programme. De fait, elle a restructuré son programme de réserves de conservation pour s'inspirer du nôtre car l'avantage de notre programme par rapport au programme américain est que le nôtre garantissait que les exploitations restaient productives. Personne n'a dit que les terres en question devaient être mises de côté pour rester en jachère. Il s'agissait simplement de veiller à ce que les exploitants consacrent ces terres marginales non plus à la production céréalière annuelle mais à d'autres activités très productives. C'est là un élément que les Américains ont décidé d'adopter.

M. Girt: Je précise aussi que c'est un bon exemple de la souplesse dont je parlais plus tôt. Ce programme n'a quasiment rien coûté au gouvernement, étant donné qu'il a suffi d'y consacrer de l'argent qui aurait été consacré à autre chose, au RARB par exemple. Voilà ce que je veux dire quand je parle de souplesse, et il nous en faut beaucoup d'autres exemples.

Merci, monsieur le président.

Mme Nymark: Si vous me permettez d'apporter une précision, je dois dire que les exploitants qui ont signé l'un de ces contrats cessaient d'être admissibles aux autres programmes de soutien.

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M. Wilson: L'évolution des pratiques culturales est probablement l'un des phénomènes les plus fascinants que l'on ait pu constater, dans quasiment chaque province, tout simplement parce qu'il s'agit d'une initiative menée presque exclusivement par les exploitants agricoles eux-mêmes. Évidemment, c'est aussi en fonction de critères économiques que les exploitants décident ou non d'adopter des pratiques culturales moins intensives ou de non-labour. Chacun a ses propres critères et l'on peut constater de très légères variations d'une exploitation à l'autre.

Ce qui est fascinant, c'est que les agriculteurs qui ont adopté ces pratiques parce qu'on leur avait expliqué que l'objectif était de réduire leur consommation d'énergie et d'intrants de toutes sortes ont constaté que c'était également rentable du point de vue purement économique.

Prenez le cas de ma propre exploitation agricole. Au début, c'était une ferme traditionnelle. Nous labourions et préparions les champs probablement trois ou quatre fois avant de les ensemencer. Aujourd'hui, nous avons une machine que nous appelons un disque, avec des amortisseurs. Cette machine est tirée par un tracteur à quatre roues motrices qui brûle 4,2 gallons l'heure pour couvrir juste une vingtaine d'acres, mais son impact sur le sol est de moins de 3 livres le pouce carré parce qu'il a des pneus à faible pression.

Est-ce un avantage pour moi ou non? Une seule activité me permet de faire toute mon opération de préparation des sols en ne consommant que quatre gallons l'heure. Mon voisin utilisera peut-être une technique légèrement différente, selon la nature de ses sols et de ses pratiques culturales.

En outre, sur notre ferme de 300 acres, nous avons aujourd'hui un mélange de cultures annuelles et de culturelles pérennes. Nous avons 80 acres de seigle d'hiver pour la simple raison que c'est dans notre intérêt. Je ne reçois aucune incitation pour cela mais je sais que, dans 20 ans, j'aurai de la matière organique dans ce sol légèrement sablonneux.

[Français]

M. de Bailleul: Je souscris à la plupart des choses qui ont été dites. Je voudrais simplement ajouter qu'en fait, il n'y a pas de solution miracle. On a fait allusion aux méthodes sans labour, par exemple, qui sont aussi expérimentées au Québec, ou aux méthodes alternatives pour la production de maïs. Or, quelquefois, la méthode sans labour réduit sensiblement l'érosion des sols et mène à une plus grande utilisation de pesticides. Donc, il peut y avoir un trade-off entre, d'un côté, la réduction de l'érosion et, de l'autre, le recours à une plus grande quantité de pesticides. Il n'y a pas de solution miracle.

M. Adams: Je vous remercie tous. Monsieur le président, merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Adams.

Je voudrais poser deux questions avant de conclure la séance.

L'un d'entre vous pourrait-il nous donner un bref aperçu de l'incidence du commerce international sur l'adoption de bonnes pratiques environnementales en agriculture?

M. Wilson: Si nous ne définissons pas clairement ce que nous attendons de l'agriculture, nous serons à la merci d'événements internationaux car nous vivons aujourd'hui dans un contexte mondial.

Par exemple, une partie de ma production de brocolis est écoulée dans l'État de New York. Certes, la majeure partie est utilisée localement mais mes voisins, qu'ils soient éleveurs de bétail ou producteur de céréales, sont plus ou moins présents sur le marché international et en ressentent donc les effets et les pressions.

À mon avis, nous devrions être capables de définir clairement ce que nous attendons de l'agriculture, grâce à un effort de collaboration entre le monde agricole et le reste de la société. Je ne pense pas que nous puissions attendre des agriculteurs qu'ils réagissent seuls aux pressions concurrentielles et aux pressions environnementales.

[Français]

M. de Bailleul: Si l'on s'en tenait à l'orientation actuelle - et je pense qu'elle va évoluer - ou aux impacts d'une libéralisation pure et simple des échanges sur les questions environnementales, on pourrait s'inquiéter dans la mesure où les pays qui ont des avantages environnementaux par rapport à d'autres, soit parce qu'ils n'ont pas de problèmes, soit parce qu'ils les négligent, vont avoir un avantage sur les pays qui prennent en compte les questions environnementales.

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Donc, cela pourrait inciter ces pays à accorder une moins grande importance aux questions environnementales s'ils veulent rester compétitifs. Cela est la vision un peu pessimiste des choses.

Mais je crois que l'OMC n'aura d'autre choix que d'intégrer à son programme deux catégories de problèmes: les problèmes sociaux et les problèmes environnementaux.

Il y aura une pression de l'opinion publique pour que dans, la concurrence entre les différents pays, l'on tienne compte non seulement des échanges de produits eux-mêmes, mais aussi de leurs conditions de production.

Je pense que progressivement, dans les années à venir, des codes de bonne conduite seront proposés dans les différents types de production.

[Traduction]

M. Girt: Je pense qu'il faut tirer les leçons de l'industrie forestière. À l'heure actuelle, elle connaît certaines difficultés, notamment sur les marchés européens, parce qu'elle doit réagir à des normes de production environnementales imposées d'Europe. L'industrie forestière européenne exploite essentiellement des forêts plantées, ce qui est très différent de son homologue canadienne. Pourtant, nous sommes obligés de réagir à des exigences du marché qui ne correspondent pas à la nature de notre environnement.

Nous devrons sous peu faire face à l'adoption de normes semblables dans le secteur agricole. Si c'est arrivé dans le secteur de la forêt, cela arrivera ensuite dans le secteur agricole. Cela se fait déjà, au Canada et à l'étranger.

Le fait est que nous disposons d'un avantage concurrentiel évident car notre production exige moins d'intrants que celles de tous nos principaux concurrents, à l'exception de l'Australie. Il serait dommage que nous perdions cet avantage concurrentiel parce que nous n'aurions pas réussi à défendre nos intérêts dans l'établissement des critères de rendement qui serviront à déterminer la qualité de la production agricole de demain. De même, il serait regrettable que nous laissions dénigrer l'agriculture canadienne simplement parce qu'elle ne prend pas les mesures draconiennes que sont obligés de prendre les exploitants agricoles hollandais, tout simplement parce que ce sont les plus gros pollueurs agricoles du monde en plus d'être les plus gros exportateurs agricoles. Il est donc important que nous préservions nos intérêts en la matière.

Le président: Merci. Mon autre question concerne l'incidence de la TPS sur les prix agricoles. Nous savons tous que certains intrants agricoles - le carburant et les pesticides - sont exonérés de la TPS. S'ils ne l'étaient pas, quelle en serait l'incidence sur les prix à la consommation? A-t-on fait des études là-dessus? Autrement dit, qu'adviendrait-il si l'agriculteur était obligé d'assumer le même fardeau de TPS que le citadin? Évidemment, cela augmenterait les prix de l'alimentation, mais y aurait-il aussi d'autres effets?

M. Girt: Je ne sais pas si c'est la bonne question, monsieur le président, étant donné que je paye...

Le président: Vous pouvez me corriger si je me trompe. La question est peut-être de savoir pourquoi on impose la TPS sur les livres mais pas sur les pesticides?

M. Girt: La question devrait être celle-ci: si la TPS était appliquée aux produits alimentaires, peut-être faudrait-il l'appliquer aussi aux intrants agricoles. Le principe fondamental de la TPS est de taxer la valeur ajoutée.

Cela dit, il ne s'agirait plus alors simplement d'une TPS car l'agriculteur ne pourrait pas l'imputer à l'étape suivante de la chaîne de commercialisation, sauf pour certains types de produits touchés par les mécanismes de gestion de l'offre. Pour la plupart des autres, les prix sont fixés par les marchés internationaux et pas seulement par les producteurs canadiens eux-mêmes, si vous voyez ce que je veux dire. Je ne suis donc pas certain que ce serait une taxe équitable.

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Le président: On peut peut-être dire la même chose du meuble ou des automobiles. Quoi qu'il en soit, je vous remercie de votre réponse.

M. Wilson: Si l'on décidait d'appliquer une taxe sur les intrants agricoles - et il est probablement plus juste de parler d'intrants agricoles que de pesticides, d'engrais ou de carburants, car l'argument ne serait pas le même - cela provoquerait une hausse des coûts de production et l'on pourrait supposer que cette hausse pourrait être transmise aux paliers suivants de la chaîne. Dans le monde réel, ce n'est pas le cas.

L'inconvénient, et c'est pourquoi j'hésiterai beaucoup à appliquer une taxe quelconque sur tous les intrants agricoles, c'est que, du point de vue environnemental, nous acceptons qu'il y a des pesticides posant moins de dangers que d'autres. Or, ce sont eux qui coûtent plus cher dès le départ. Donc, si l'on applique la taxe sur tous les intrants, l'agriculteur sera peut-être tenté d'avoir recours aux intrants les moins chers possible. Dans bien des cas, ce seront des produits anciens.

Est-ce vraiment ce que nous souhaitons du point de vue environnemental?

Prenons l'exemple du Danemark, qui est sur le point d'imposer une taxe sur les pesticides. Si je ne me trompe, il s'agira de 27 p. 100 sur les insecticides, 18 p. 100 sur les fongicides et 13 p. 100 sur les herbicides. Quand j'ai rencontré des représentants de l'organisme danois de protection de l'environnement, je leur ai dit très clairement que cela allait amener les producteurs à utiliser les pesticides les moins chers possible parmi ces trois groupes. Croient-ils vraiment que c'est la meilleure manière d'atteindre leurs objectifs environnementaux?

Il y a aussi une question dont aucun d'entre nous n'aime pas parler: si l'on provoque une hausse des intrants, dans n'importe quel secteur mais, pour ce qui nous concerne, en agriculture, cela va-t-il provoquer la création d'un marché noir? C'est un facteur à ne pas négliger.

Pour le moment, nous bénéficions de la bonne volonté des agriculteurs, qui ne sont pas prêts à enfreindre la loi. Par contre, comme on a pu le voir avec les cigarettes, si l'on prend des mesures jugées draconiennes ou faussant la concurrence...

L'objectif principal de l'agriculteur est de produire des denrées alimentaires de qualité et abordables, mais aussi de subvenir aux besoins de sa famille. J'estime que nous avons beaucoup plus intérêt à oeuvrer collectivement dans le cadre de solutions communes qu'à cibler des secteurs particuliers de l'industrie agricole.

Le président: Très bien. C'est une bonne mise en garde.

Cela conclut la séance.

Merci beaucoup, madame Nymark, monsieur de Bailleul, monsieur Wilson et monsieur Girt. Vos remarques étaient fort utiles.

La séance est levée jusqu'à demain à 8h30.

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