Passer au contenu
TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 25 octobre 1995

.1641

[Traduction]

Le coprésident (M. Milliken): Il y a quorum et la séance est donc ouverte.

Cet après-midi, nous sommes heureux d'accueillir comme témoins M. Brian Grainger, conseiller en éthique et conflits d'intérêts et M. David Nitkin de EthicScan Canada.

Soyez les bienvenus, messieurs. Nous avons hâte d'entendre vos observations.

Je signale que les membres du comité ont reçu de M. Grainger un mémoire écrit qui a été distribué à tous.

Je crois savoir que vous vous êtes entendus, messieurs, pour que M. Nitkin présente son exposé en premier.

M. David Nitkin (président, EthicScan Canada): Bonjour. Je vous remercie de nous avoir invités tous deux à comparaître aujourd'hui. Je témoigne en tant que président de la société EthicScan Canada, laquelle offre des services d'experts-conseils en éthique à l'intention essentiellement du secteur privé, mais également de certains organismes gouvernementaux.

Au lieu de procéder de la façon habituelle, à savoir de vous dire que penser et comment envisager le problème, j'ai eu l'idée de vous poser une série de cinq questions, pendant les quelques instants qui me sont alloués. Disons qu'il s'agit d'une vérification ou d'un test sur l'éthique. Personne ne va calculer vos résultats, mais je dois vous dire que cela nous aidera, Brian et moi, à mieux répondre à vos besoins si nous avons une idée plus précise de ce que vous avez en tête.

Je voudrais vous poser cinq questions et vous demander d'y répondre en levant la main.

Première question: Je crois qu'une majorité de Canadiens estiment que le niveau de moralité politique est élevé au Canada. Ceux qui sont d'accord? Deux. Très bien.

Deuxième question: Je crois que tous les députés partent des mêmes principes ou fonctionnent dans le même cadre décisionnel pour évaluer la valeur morale d'une question. D'accord?

M. McWhinney (Vancouver Quadra): Veuillez m'excuser. Il s'agit donc d'une sorte de questionnaire?

Le coprésident (M. Milliken): C'est pour permettre à nos deux témoins de nous aider à...

M. McWhinney: Je pense que, pour accélérer la procédure parlementaire, nous pourrions passer directement à l'exposé. Vous n'êtes pas d'accord?

Le coprésident (M. Milliken): Il n'y a que trois ou quatre questions.

M. Nitkin: Troisième question: Je comprends pleinement la notion de confiance publique dans tous ses aspects. Combien de pour?

Quatrième question: Je crois qu'il existe déjà des règles efficaces suffisantes et transparents régissant la déontologie du Parlement. Oui?

Cinquième question: Je suis convaincu qu'aucun député ne participe à des activités susceptibles d'être considérées comme un conflit d'intérêts. Puis-je savoir combien d'entre vous approuvent cette question? Très bien.

Si je vous ai posé ces questions, ce n'est pas en vue de faire passer un message différent de celui que je présenterai à un groupe de cadres supérieurs d'entreprises, ou d'autres clients au sein du gouvernement. Cela vise en toute honnêteté à me donner une idée de la façon dont les membres du groupe ou de l'organisme jugent leurs normes d'éthique à l'heure actuelle.

.1645

D'après les réponses que vous m'avez fournies, je crois comprendre qu'il y a lieu de relever les normes d'éthique dans l'esprit du public; que l'on n'est pas convaincu qu'il existe un cadre décisionnel commun qui vous permet ainsi qu'aux autres députés de comprendre la dimension morale des prises de décisions. Et si j'ai bien compris et interprété vos réponses, rien ne vous permet de dire si vos collègues députés sont ou non conscients de ce qui constitue un comportement acceptable ou au contraire un conflit d'intérêts.

Cela étant entendu, je voudrais maintenant faire quelques observations très brèves. Tout d'abord, ne croyez pas que le mieux est nécessairement l'ennemi du bien. Dans de nombreux domaines, bon nombre d'autres provinces et pays s'efforcent d'améliorer leurs normes d'éthique, et vous avez ici l'occasion d'adopter ce genre de normes et de les inclure dans le code proposé. Ma première observation, c'est donc que le mieux ne doit pas être l'ennemi du bien.

En second lieu, il importe de faire la distinction, sur le plan politique, entre moralité et éthique. La moralité politique peut se comparer à l'allégeance au parti au pouvoir, contrairement à l'éthique politique qui serait plutôt l'allégeance à la Reine.

L'objet de notre discussion, je suppose, et ce qui intéresse avant tout votre comité, c'est le passage des moeurs politiques, ou de ce qui constitue la procédure établie en l'absence de véritables règles, à l'éthique politique, soit, aux yeux de la plupart des gens, des normes définies qui permettront aux parlementaires de comprendre la dimension morale du processus décisionnel.

La troisième et dernière observation que je souhaite faire avant de conclure mon exposé liminaire, c'est que nous réussissons depuis huit ans à gagner notre vie en offrant des services d'experts-conseils en éthique car un grand nombre d'organismes gouvernementaux prennent cette question très au sérieux. Parfois, ils la prennent au sérieux car les responsables eux-mêmes se prennent pour des chefs de file en matière d'éthique. Dans d'autres cas, c'est parce qu'on leur a fait mauvaise presse et qu'ils ont là l'occasion de redorer leur blason. L'important, toutefois, c'est qu'ils le fassent pour les «bonnes» ou les «mauvaises» raisons, l'occasion leur est donnée d'institutionnaliser l'éthique sous forme de code.

Toutefois, si vous souhaitez simplement adopter un code qui vous donne toutes les réponses, ce n'est pas ce que vous recommanderont les experts dans ce domaine, au gouvernement ou dans le secteur privé. Il faut y ajouter bon nombre d'autres éléments. Ce code devra inclure la formation, les études de cas, un mécanisme d'enquête, de nombreuses mesures d'application, si vous voulez avoir la certitude que les normes d'éthique de votre institution évoluent continuellement à mesure que vous progressez de la moralité à l'éthique politique.

Le coprésident (M. Milliken): Merci, monsieur Nitkin.

Nous donnons maintenant la parole à M. Grainger.

M. Brian Grainger (présentation à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je me réjouis de pouvoir discuter cet après-midi avec les membres du comité mixte, ce qui nous permettra peut-être de formuler ensemble des idées sur l'opportunité et la raison d'être d'un code, ainsi que la forme que celui-ci pourrait prendre. Comme l'a dit mon collègue David Nitkin, il y a déjà quelques années que nous travaillons dans le domaine de l'éthique des entreprises, des codes de déontologie, etc. Nous aimerions vous faire profiter de notre expérience et vous remercions de nous avoir invités.

D'après mon expérience, les codes sont adoptés principalement pour faciliter la reddition de comptes ou s'assurer que tous les membres d'une organisation respectent les mêmes valeurs. Je parle surtout du secteur privé, mais je pense qu'il en va de même dans le secteur public. Autrement dit, lorsque tout nous porte à croire qu'il existe un certain flou dans l'attribution des responsabilités, les questions d'imputabilité ou les normes de comportement, on peut adopter un code auquel tous les membres de l'organisation sont assujettis en vue de garantir une certaine uniformité du comportement en milieu de travail. Aujourd'hui, compte tenu des milieux de travail pluralistiques et variés que nous connaissons, les codes visent à essayer de bien faire dès la première fois.

La question que se pose le comité, et c'est normal, est la suivante: les parlementaires doivent-ils adopter un code d'éthique? Nul ne niera que les parlementaires, du point de vue constitutionnel constituent une espèce très particulière et un organisme indépendant. De ce fait, les objectifs du code en matière de reddition de comptes me semblent plus ou moins utiles.

.1650

On pourrait peut-être améliorer la reddition des comptes en adoptant un code qui établisse des mécanismes impossibles à mettre en oeuvre par le bureau de la régie interne ou la discipline du parti. Ces avantages découlant d'un code sont sans doute très rares, s'il s'agit tout de garantir la reddition de comptes.

Toutefois, envisageons maintenant un code qui vise à mettre tout le monde sur un pied d'égalité. Ce genre de code peut - et j'insiste sur le mot «peut» - se révéler avantageux pour les parlementaires.

Bon nombre d'organismes aujourd'hui conçoivent et adoptent des codes en vue de se positionner par rapport à leurs nombreux publics: leurs employés, leurs conseils d'administrations, leur clientèle, leurs fournisseurs, les médias, etc. Ils ne le font pas toujours simplement pour remédier à un grave problème lié à la production, aux ressources humaines ou à des erreurs ou faiblesses de l'organisation.

Très souvent, dans les années 1990, on établit des codes pour servir de guide aux nombreuses politiques, pratiques, attentes et règles qu'applique l'organisme. Le code vise donc à unir - certains pourraient dire «souder» - un assortiment de normes de comportement dans des termes modestes et souvent simples qui sont faciles à comprendre dans le milieu de travail.

Il existe plusieurs exemples de tels codes. Ils sont souvent appuyés par des mécanismes d'orientation, d'éducation et d'ombudsman, ainsi que par un programme complet de mesures internes utilisées pour rendre l'administration aussi bien que le personnel responsables aux termes de ce code. Souvent, dans le secteur privé, les codes et les programmes connexes sont inclus dans l'énoncé de mission et les instruments de politique de l'entreprise, ce qui équivaut à les garantir dans la loi.

Je suis sûr que les membres du comité, grâce à leurs propres efforts et à ceux de l'excellent personnel à leur disposition, ont accès à plusieurs de ces codes ou inventaires. M. Nitkin et moi pouvons aussi vous en fournir.

À mon avis, un code d'éthique qui ne serait qu'un système d'alarme pour les députés et les sénateurs pourrait - et je souligne «pourrait» - servir le bien public et rappeler aux nouveaux parlementaires ce que l'on attend d'eux. Je crois également qu'un code nécessiterait l'engagement de tous les parlementaires actuels et futurs. Franchement, je le répète, il faudrait l'appui de mécanismes comme le Bureau de régie interne. Il devrait être aussi renforcé par la discipline de parti et d'autres moyens.

Un code n'est évidemment pas une panacée. Un ensemble de principes codifiés mais vagues offrent peu d'avantages. D'autre part, un long document détaillé pourrait contribuer à lier les mains des parlementaires.

Toutefois, un code qui est modeste, ou, si je peux emprunter l'expression utilisée par Sissela Bök de Havard, qui offre une approche minimaliste, pourrait établir des principes et traiter de questions générales que vous connaissez tous, par exemple, les cadeaux, un emploi à l'extérieur du gouvernement, les activités de lobbying, les conflits d'intérêts et autres questions.

Bien que le secteur privé soit un milieu très différent du Parlement, certaines de ces questions que je viens de mentionner sont semblables et il faut les régler là également. Les codes sont utiles à cet égard.

À mon avis, même s'il est peut-être difficile pour le Parlement de rédiger un code et si les avantages qu'il présente peuvent être limités, c'est une tâche qu'on peut et doit entreprendre. Pour les Canadiens et les parlementaires, la préparation ardue d'un code peut fort bien être plus utile, si j'ose dire, que le résultat même de ce travail.

En terminant, je vais parler de l'application et de l'observation du code. Plusieurs codes ne fonctionnent pas parce que l'initiative n'est pas prise au sérieux. Néanmoins, à cause de l'enthousiasme et de la hâte qu'on met à créer un code qui inclut un programme de sensibilisation, d'orientation et d'éducation, notamment, certains codes se trouvent embarrassés de procédures d'application et d'observation complexes et parfois encombrantes.

L'esprit d'un code qui fonctionne est fondé sur l'intégrité de ceux qui y souscrivent et sur la qualité des dirigeants de l'organisation. Bien que des mesures d'observation soient parfois nécessaires, le fait de trop s'y fier peut nuire à l'utilité et à l'impact d'un code.

Je pourrais mentionner que l'an dernier, au cours des débats concernant la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, j'ai signalé aux membres de votre comité qu'on trouvait un excellent exemple de mesures d'observation et d'application dans le programme d'éthique de la Fonction publique fédérale américaine. Le document intitulé Final Rule, couvre 200 pages et comporte des peines; on y consacre 15 millions de dollars par année et 95 personnes tentent de superviser l'application de ce code et de le faire respecter.

.1655

Merci, monsieur le président.

Le coprésident (M. Milliken): Merci, monsieur Grainger.

Est-ce qu'il y a des questions?

M. Boudria (Glengarry - Prescott - Russell): Quoique nous fassions, j'espère que nous ne dépenserons pas 15 millions de dollars et que nous n'utiliserons pas 95 employés pour réaliser nos objectifs. C'est le moins qu'on puisse dire.

Je me demandais seulement si nos témoins connaissaient le travail que nous avons fait au cours de législatures précédentes, à savoir le «Rapport du comité mixte spécial relatif aux conflits d'intérêts, sur la teneur du projet de loi C-43». Nous donnons toujours des noms fantaisistes à nos rapports.

M. Grainger: Je connais ce travail d'une manière générale, monsieur Boudria. Je n'oserais prétendre en connaître tous les détails, mais j'ai certainement suivi ce que vous avez fait, étant donné mon intérêt pour votre comité et le travail que j'ai fait en rapport avec la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes.

Je serais heureux de commenter certaines questions particulières.

M. Boudria: Je ne veux pas parler des lobbyistes. Il y a une loi distincte pour eux. Il n'en était pas question dans ce rapport. Cette question a été réglée par la législature actuelle.

Quelques questions m'intéressaient particulièrement. L'une était la question des intérêts des conjoints. Dans ma province, par exemple, la Loi sur le droit de la famille stipule clairement que dans presque tous les cas les biens d'un conjoint sont les biens de l'autre. Par conséquent, ne devrait-on pas obliger la divulgation des intérêts du conjoint? D'autre part, il y a ce dilemme qui revient constamment: Est-ce que le conjoint ou la conjointe n'est pas une personne pleinement indépendante?

Comment conciliez-vous ces deux choses? Comment fait-on dans le secteur privé, où de telles choses sont requises? Vous pourriez peut-être nous en parler. Vous pourriez également nous parler des critères différents qu'on applique aux parlementaires selon leurs fonctions.

Par exemple, certains d'entre nous sommes titulaires de charge publique, ministres ou secrétaires parlementaires; d'autres, sauf le président, qui est secrétaire parlementaire, ne le sont pas. Tous les autres ne sont pas titulaires de charge publique; nous sommes députés ou sénateurs. Il y a justement aujourd'hui quelqu'un qui remplace un membre du comité, mais il n'est pas lui-même membre régulier.

Je suis désolé, George.

Nous avons donc ici aujourd'hui deux personnes qui sont actuellement assujetties à un code sur les conflits d'intérêt, tandis que toutes les autres ne le sont pas.

Enfin, en ce qui concerne la divulgation des avoirs, soit par un conjoint ou par le député ou le sénateur concerné, recommanderiez-vous qu'on rende publique la liste des biens? Si vous répondez oui, faudrait-il seulement mentionner les types de biens? Ou faudrait-il dire qu'on possède 143 actions de la société ABC, plutôt que de dire seulement d'une manière générale qu'on possède des actions dans la société ABC?

Je suis désolé que ma question soit si longue. Mais j'ai seulement une occasion pour poser des questions, car je dois aller voter.

M. Nitkin: Je vais tenter de répondre à la première et à la dernière question, si possible. En ce qui concerne les intérêts du conjoint et la question de savoir si le conjoint est une personne indépendante, la plupart des sociétés auxquelles nous dispensons des conseils dans le secteur privé croient qu'il faut tout divulguer. Cela signifie que pour tous les membres de la famille, en particulier un mari ou une femme ou tout couple qui cohabite, les documents décrivant les biens des deux personnes sont fournis.

Un nombre croissant de sociétés commencent à désigner ce qu'on appelle des cadres supérieurs et exigent qu'ils fassent préparer leur déclaration d'impôt sur le revenu et autres états financiers par un cabinet ou groupe de cabinets particuliers. Par conséquent, ces renseignements deviennent disponibles et sont transmis aux personnes chargées d'appliquer le mécanisme d'imputabilité et d'observation du code d'éthique.

Je précise que les exigences à cet égard comprennent le plus grand nombre possible de membres de la famille. Deuxièmement, le secteur privé constate qu'il faut essayer de rendre ces renseignements disponibles sous un format uniforme. Troisièmement, ceux qui préparent ces états financiers sont en rapport quelconque avec le bureau d'éthique. Cela contribue à l'application du code.

.1700

En ce qui concerne la divulgation publique de la liste des biens, nous avons travaillé avec certaines municipalités du Canada. Nous travaillons actuellement avec le gouvernement de l'Ontario, la fonction publique de l'Ontario, à la préparation d'un code d'éthique semblable et d'un programme de déclaration des valeurs. De manière générale, dans ces autres juridictions, parce que je n'ai pas encore fait ce genre de travail pour le gouvernement fédéral, on essaie d'établir un certain niveau, une valeur, à partir de laquelle des biens de cette nature doivent être signalés.

Il y a donc des niveaux différents, selon qu'il s'agit d'un gouvernement municipal ou provincial, mais lorsqu'on approche d'un certain niveau ou qu'on le dépasse, les biens doivent être énumérés. C'est un critère d'évaluation financière.

M. Boudria: Avant que la prochaine personne ne réponde, j'aimerais avoir une précision.

Signaler un fait ce n'est pas la même chose que le divulguer publiquement. Est-ce que tout ce qui est signalé doit être divulgué? Autrement dit, si j'ai 145 actions de Bell Canada, l'administrateur du règlement devrait le savoir, mais est-ce que la population devrait le savoir aussi, ou, se contenter de savoir que j'ai des actions de Bell Canada? Le règlement du gouvernement de l'Ontario exige que l'on identifie la société mais sans donner le nombre d'actions.

Que recommandez-vous à ce propos?

M. Nitkin: Si j'en juge d'après la tendance dans le secteur privé, qui est que sur le plan de la morale il faut être et paraître irréprochable, il faut une transparence absolue. Il faut non seulement communiquer l'information à l'organe de contrôle, mais aussi la divulguer à la population.

M. Boudria: Pour les deux?

M. Nitkin: Oui.

M. Boudria: Merci.

M. Grainger: J'aimerais revenir sur une partie de ces deux réponses.

Moi aussi, monsieur Boudria, je dirais que la tendance est à la transparence. En ce qui concerne la famille ou l'union, quelle qu'elle soit, c'est aux deux intéressés d'être le plus franc possible avec la direction, s'il s'agit d'une entreprise. Les cadres doivent savoir tout de suite si un problème risque de causer plus tard de graves ennuis à l'entreprise.

Grâce à une campagne de sensibilisation en plus du Code de conduite, les cadres espèrent encourager leurs employés à être francs dès le départ. Mettons cartes sur table tout de suite pour éviter que trois ans plus tard quelque chose n'arrive. Il faut donc bien davantage.

Pour ce qui est des critères, des niveaux et des ministres, dès que le Code régissant les conflits d'intérêts est apparu, je m'en suis servi comme matériel pédagogique. Ce qui m'a fait plaisir, c'est de voir que tout de suite les gens ont pensé que tous les parlementaires sont assujettis à ce Code. C'est ce qu'ils imaginent.

Pour moi, c'est une réaction intéressante et je vous assure que c'est arrivé plusieurs fois. Je trouve cela merveilleux. Dès qu'ils voient le Code, ils pensent que les parlementaires s'y conforment. C'est peut-être l'indice que tous les parlementaires doivent s'engager dans cette voie et se mettre au diapason des citoyens.

M. Boudria: Vous dites que la plupart des gens qui connaissent l'existence du Code pensent qu'il s'applique à tout le monde?

M. Grainger: Celui-ci, en tout cas.

Le coprésident (M. Milliken): Monsieur Nitkin, dans une réponse vous avez dit qu'il faudrait inclure le plus grand nombre possible de membres de la famille. Jusqu'où conseillez-vous d'aller? Pouvez-vous préciser votre pensée?

M. Nitkin: Ce que nous recommandons aux entreprises pour lesquelles nous travaillons, c'est d'inclure tous les membres de la famille d'âge adulte de chaque membre de l'union. L'intérêt des cadres englobe les membres de la famille. Remarquez, qu'il n'est pas encore courant d'imposer ces exigences aux membres de la famille, mais dans la plupart des codes d'éthique d'entreprises, on précise bien ce que les membres de la famille peuvent ou ne peuvent pas faire dans leurs rapports avec l'entreprise.

Le coprésident (M. Milliken): Qui sont les membres de la famille? Les enfants?

M. Nitkin: Cela comprend les enfants d'âge adulte mais aussi des soeurs et frères par alliance et d'autres membres de la famille.

Le coprésident (M. Milliken): Quand vous dites d'autres membres de la famille, pensez-vous à des cousins, des tantes, etc?

M. Nitkin: Oui.

Le coprésident (M. Milliken): Alors jusqu'où va cette liste?

.1705

M. Nitkin: La solution de facilité c'est de dire que cela englobe tellement de gens qu'il n'est pas possible de l'appliquer. En général, on parle des proches comme le mari, la femme, le co-vivant, les enfants, mais des instructions très précises s'appliquent aux autres membres de la famille.

Le coprésident (M. Milliken): Monsieur le sénateur Gauthier, vous avez une question?

Le sénateur Gauthier (Ontario): Si les députés veulent poser des questions, je peux attendre. Ils doivent aller voter...

Le coprésident (M. Milliken): C'est vrai.

Le sénateur Gauthier: Et je n'ai pas de question à poser de façon urgente.

Le coprésident (M. Milliken): Monsieur Malhi.

M. Malhi (Bramalea - Gore - Malton): Monsieur Grainger, quel problème ou écueil avez-vous rencontré jusqu'ici dans l'application dans les codes de conduite qui existent déjà?

M. Grainger: Parlez-vous essentiellement du secteur privé?

M. Malhi: Oui.

M. Grainger: Il y en a deux types: les problèmes d'action et d'omission.

Dans le premier cas, il s'agit surtout d'abus de confiance entourant des marchés, par exemple. C'est de là que viennent la plupart des ennuis. Il y a ensuite les cadeaux ou les faveurs reçus en échange d'un service rendu à une autre entreprise ou à un client. Voilà pour la première catégorie.

Dans le deuxième cas, la plupart des gens trouvent que les employés, les cadres ou d'autres font des déclaration incomplètes ou partielles et c'est ce qui cause des ennuis à l'entreprise.

Voilà donc le genre de problèmes qui peuvent survenir.

Permettez-moi d'aborder la question sous un autre angle. Il arrive que les codes sont une source de problèmes. Cela veut dire qu'il y en a toujours qui pensent devoir enfourcher leur cheval blanc et endosser leur armure et foncer sur tout ce qui bouge en brandissant le code. Ça n'arrive pas souvent, mais ça arrive. C'est un autre genre de problème.

Voilà donc ce qui peut arriver. J'espère avoir répondu à votre question. Je ne sais si j'ai répondu à tout ce à quoi vous pensiez.

M. Nitkin: Je vais vous présenter d'autres cas auxquels vous voudrez peut-être réfléchir.

Un des éléments qui prend de plus en plus d'importance dans un code, c'est l'identité de la personne à qui l'on signale ce que l'on croit être un manquement au code. Pour beaucoup des nouveaux codes, par opposition aux codes autocratiques des années 1980, qui essaient de donner des pouvoirs à tous les échelons, il faut donner ce genre de précisions, à qui l'on peut s'adresser est-ce que je suis protégé si je soulève un problème, est-on présumé coupable si une enquête est faite?

Quand nous faisons ce que nous appelons une vérification d'éthique, lorsque nous nous rendons sur place pour demander aux salariés plutôt qu'aux cadres quels sont les vrais problèmes par opposition à ceux que perçoit la direction, l'une des principales plaintes que nous entendons c'est que les compagnies ne mettent pas en pratique ce qu'elles prêchent. Les codes existent et les employés voudraient des encouragements et des améliorations qui donneraient du sens aux codes, en feraient quelque chose de vivant. Il ne faut pas seulement un code épais comme ça que l'on range dans un tiroir. Il faut des mécanismes de formation et d'application qui en font quelque chose de vivant. C'est ce que réclament beaucoup d'employés.

Dernièrement, il est très important de tenir compte des relations qui existent au sein d'une entreprise. Par exemple, nous avons effectué une importante vérification d'éthique dans un grand ministère provincial de l'Ontario. Le sous-ministre était ravi. Il a dit: «Nous avons un merveilleux code, et si quelqu'un a un problème, qu'on s'adresse directement à moi». Quand nous avons effectué la vérification d'éthique auprès de tous les fonctionnaires de cet organisme, tout le monde a rigolé. Ils ont tous dit: Il faudrait que j'ai l'esprit un peu dérangé pour penser pouvoir m'adresser directement au sous-ministre et lui dire: «Excusez-moi, je pense avoir un problème».

.1710

Face à ces questions de reddition de comptes et des autorités à qui l'on s'en remet, il ressort très souvent qu'il faut pouvoir compter sur une bonne diversité de gens à différents échelons de la hiérarchie de manière à tenir compte des problèmes d'éthique de tous les membres d'une organisation pour apporter les adaptations nécessaires au code.

Le coprésident (M. Milliken): Chers collègues, je sais que vous devrez nous quitter pour un vote. Je dois aussi voter, et je devrai donc aussi partir.

Le sénateur Gauthier: Je me demandais, monsieur le président, si je pouvais poser une simple question, et peut-être que cela réglerait le problème. Les attachés de recherche ont rédigé une excellente série de questions. Ne pourrions-nous pas les poser à nos témoins et leur demander d'y répondre par écrit? Pourrions-nous nous entendre là-dessus?

Le coprésident (M. Milliken): Les témoins sont-ils d'accord?

Le sénateur Gauthier: Ce n'est pas ma faute s'il y a un vote à la Chambre des communes, vous le savez.

M. Grainger: Dans l'intérêt public, pourquoi pas?

M. Nitkin: C'est ainsi que je gagne ma vie.

Le coprésident (M. Milliken): Le problème, c'est qu'il n'y aura pas quorum parce que le sénateur va nous quitter. Il n'y a pas d'autre sénateur qui siège aujourd'hui. Comme vous le savez, les règles précisent qu'il doit y avoir six personnes et que les deux Chambres doivent être représentées.

Le sénateur Gauthier: Je fais cette suggestion parce que ce soir on célèbre l'anniversaire de mon fils chez moi. Il faudrait que j'y sois. Vous le comprenez.

Le coprésident (M. Milliken): Oui.

Y a-t-il d'autres suggestions?

M. Nitkin: Si j'ai bien compris, nous n'aurions personne à qui nous adresser si nous examinions ces questions en l'absence de certains des membres, est-ce exact?

Le coprésident (M. Milliken): Eh bien, non. Nous pouvons vous laisser traiter de certaines de ces questions avec le sénateur Gauthier, si les membres du comité sont d'accord.

M. Nitkin: Et cela figurera au compte-rendu?

M. Rideout (Moncton): Il faudrait y aller.

Le coprésident (M. Milliken): Poursuivez.

M. Epp (Elk Island): Nous reviendrons nous joindre à vous.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Les codes d'éthique font de plus en plus leur apparition dans les secteurs privé et public. Bien que les milieux de travail soient parfois fort différents, ces codes ont des attributs en commun. Quels sont-ils? Vous avez parlé tous les deux d'une expérience dans le secteur privé; nous, nous sommes dans le secteur public. D'après vous, est-ce qu'il y a une différence entre les codes d'éthique du secteur privé et ceux du secteur public?

[Traduction]

M. Nitkin: Je ferai deux observations.

D'abord, j'ai travaillé pendant huit ans à la fonction publique de l'Ontario et je sais quelle est la grande différence entre le secteur public et le secteur privé. Parfois, pour le bien commun ou pour pouvoir fournir des services gouvernementaux, il faut qu'il y ait double emploi ou qu'on ne retienne pas nécessairement la solution la plus rentable. Ce qui peut expliquer la présence gouvernementale dans diverses petites collectivités régionales même si elle ne se justifie pas sur le plan économique. Il y a donc une différence entre le secteur public et le secteur privé.

Cela étant dit, en venant à Ottawa je me rends compte qu'environ 20 p. 100 des habitants de cette collectivité sont en fait des fonctionnaires fédéraux. Si l'on inclut d'autres ordres de gouvernement, leur nombre atteint vite 30 p. 100. Dans ce contexte, il n'est pas erroné de dire qu'Ottawa en vit en quelque sorte.

Dans cette optique, le même type de règle qui s'appliquerait à une collectivité ayant une code pour cette principale entreprise vaudrait qu'il s'agisse d'un organisme du secteur public ou du secteur privé.

.1715

M. Grainger: Je dirais par expérience qu'il faudrait tenir compte de divers attributs, premièrement dans le secteur privé comme dans le secteur public on s'attend à ce que le personnel ou l'employé ou la personne visée fasse ce qu'elle a à faire du premier coup - c'est un principe très important. Dans tous ces codes qu'on a aujourd'hui, ce que M. Nitkin appelait, si l'on veut, la «nouvelle vague» - par rapport à l'approche des années 1980, l'approche de conformité dont j'ai parlé précédemment - donne à penser que tous ces codes présument que celui qui relève de cette organisation fera ce qu'il a à faire du premier coup. C'est un attribut commun. L'autre attribut commun qu'ils partagent tous, c'est leur très ferme confiance en l'intégrité fondamentale des personnes visées. Il y a là une convergence de vues très marquée.

L'autre attribut que partagent tous ces codes, c'est qu'ils expriment un sentiment de confiance dans l'organisation. Quelle que soit cette organisation, on parle de cet individu et de la confiance qu'on en attend.

Ce sont là les attributs communs. M. Nitkin a déjà parlé de certaines des différences.

[Français]

Le sénateur Gauthier: On a conseillé au comité de prescrire des principes généraux pour le code d'éthique qu'il proposera. Pourriez-vous lui en suggérer quelques-uns qui vous semblent indiqués? Je connais votre position parce que vous l'avez explicitée dans vos notes. M. Nitkin n'a pas été aussi clair.

[Traduction]

M. Nitkin: De façon générale, les codes «nouvelle vague» dont nous parlons établissent une distinction entre un credo et un code. Je vais tenter de parler des deux.

Le credo, ce sont les principes opérationnels fondamentaux qui animent l'organisation. Ils font référence à des intervenants en particulier. Donc, un credo gouvernemental qui porte essentiellement sur la confiance du public traiterait de questions telles que, du point de vue du gouvernement, la réputation; du point de vue du public, il serait question de service; du point de vue du client, il serait question de bienséance; du point de vue d'un parti politique, de sincérité; du point de vue du grand public, d'objectivité. Ce sont là les principes, si l'on veut, qui animeraient et structureraient un credo.

Une fois cela établi, on passerait ensuite à un code plus détaillé et il faudrait se demander quelle gamme de questions on entend aborder. Celle des conflits d'intérêts? Des gratifications et de l'accueil? Des questions de contributions politiques provenant de sociétés? L'acceptation de rétributions et d'honoraires d'un interlocuteur?

J'en ai mentionné quatre, mais il y a en fait une dizaine sinon une douzaine d'autres catégories qu'on pourrait inclure dans le code. Il pourrait s'agir de choses comme la transparence financière; la question de savoir si les membres sont tenus ou non d'adhérer au code pour pouvoir occuper un poste. Il pourrait s'agir de questions au sujet de l'utilisation d'informations non publiques pour en tirer des avantages personnels non seulement pendant la durée du mandat, dans le cas d'un agent du gouvernement, mais après. Et ainsi de suite.

Donc pour répondre à votre question, j'ai dit qu'il existait des principes, qui pouvaient être énoncés dans une déclaration, un credo, et puis il y a un ensemble habituellement beaucoup plus détaillé d'énoncés du code, et il peut y en avoir une quinzaine et même une vingtaine.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Suffit-il d'avoir des principes généraux? Si l'on s'en tient à des principes généraux, le code risque-t-il de prêter à interprétation parce qu'il est trop vague?

Je vais vous poser mon autre question parce qu'elle est liée à celle-là. Y a-t-il des risques à énoncer trop de règles de conduite? Comment pourrait-on établir l'équilibre entre trop et trop peu?

.1720

[Traduction]

M. Grainger: Sénateur Gauthier, ces deux questions touchent au coeur même de cet examen. Comme l'a souligné M. Nitkin, la plupart des codes d'aujourd'hui énoncent les principes clés de façon très concise. Certains diraient que ce sont des énoncés de valeur.

La partie suivante de ce même code, si vous voulez, ou de cette page correspondrait aux éléments plus spécifiques, il y en a une dizaine, ou une douzaine ou peut-être plus, des choses comme les conflits d'intérêts et les gratifications, ainsi de suite, qu'il a mentionnées.

Sénateur Gauthier, certains d'entre nous ont tendance à vouloir tout dire en un seul et même endroit. Cette tendance, à mon avis, est dangereuse. Elle donne à penser que tout y est.

Sénateur, si je crois que c'est une chose très difficile et dangereuse, c'est qu'une fois que quelqu'un a ce code, il se peut alors qu'on pense que ce qui n'est pas interdit dans le code est permis. C'est extrêmement dangereux. C'est pourquoi un document d'une ou deux ou trois pages c'est une chose, et un document de 200 pages, c'est tout autre chose.

M. Nitkin: Puis-je ajouter quelque chose à propos de cette question de la surabondance ou de la pénurie de règles?

Il me semble que les gens auxquels nous avons affaire dans les années 1990 sont des gens qui réagissent davantage à la responsabilisation, à l'encouragement et à la prise de décisions qu'à des règles. Je ne pense pas qu'il y ait lieu de se demander si nous avons beaucoup ou peu de règles.

Il faudrait plutôt se demander si nous avons le genre de formation qui permettra à tous les membres de l'organisation d'en arriver à la même conclusion quand ils feront face à un même problème.

Il est très important de savoir qu'une grande partie du travail qu'effectue actuellement le secteur privé à cet égard vise à mettre au point ce que nous allons appeler des «tests de détection». Quand on y pense, ce n'est peut-être pas l'expression la plus heureuse, mais elle est très descriptive. La plupart des organisations cherchent à faire en sorte que leurs employés, au lieu de brandir les règles, définissent un ensemble de questions ou de tests de détection qui permettent à tous, du bas au haut de l'échelle hiérarchique, d'examiner une question et d'y répondre de la même manière, à savoir: «C'est ce que nous ferions parce que cela correspond à l'éthique de notre organisation.»

Les tests de détection sont propres à l'entreprise. Dans la quarantaine de cas dont nous nous sommes occupés, nous n'avons pas trouvé deux entreprises qui aient les mêmes tests de détection. Lorsque l'on élabore un code d'éthique, on se donne un test de détection qui permet à l'entreprise de dire que, si quelqu'un pose une question particulière, on sait quelle réponse donner, que c'est la réponse que favorise l'organisation lorsqu'il s'agit de définir un dilemme ou un problème d'éthique.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Pourriez-vous nous parler des mécanismes qui ont été élaborés ailleurs pour assurer le renforcement permanent de l'éthique que le code adopté visait à favoriser? Je ne sais pas si je suis clair, mais c'est la question que je vous pose.

[Traduction]

M. Grainger: comme vous le dites, sénateur, c'est tout à fait dans la ligne des questions précédentes. J'ai lu avec intérêt ce qu'ont dit les témoins, notamment celui dont vous parlez. Je crois que le conseil essaie - et je m'y associe pratiquement aujourd'hui - d'envisager une méthode plutôt modeste que trop longue. Je ne sais pas si l'on peut parler de court. Il faudrait en tout cas que ce soit quelque chose qui exprime convenablement le voeu du Parlement. Peut-être une page ou deux. Je ne dirais pas que c'est court mais c'est probablement suffisant et nécessaire.

M. Nitkin: Me permettez-vous de préciser? J'ai rédigé un article qui a paru dans le Corporate Ethics Monitor. Il a été également traduit en français. Cet article énumère quelque 20 mécanismes différents utilisés dans les années quatre-vingt-dix par des sociétés publiques et privées soucieuses d'améliorer leur gestion éthique. Cet article s'intitule «Ethical Assurance Tools for Chief Ethics Officers». Je recommande au comité de jeter un coup d'oeil aux nombreux exemples qui sont donnés et pour lesquels on indique quelles organisations utilisent tel ou tel mécanisme.

.1725

[Français]

Le sénateur Gauthier: Même si le comité décidait de ne pas insister dans le code proposé sur l'aspect application, on pourrait croire qu'il y aurait lieu de prévoir certains outils d'application afin de garantir au public que le code sera réellement efficace. Il serait plus facile, semble-t-il, d'appliquer un code d'éthique dans une entreprise privée ou un gouvernement, entités qui ont des employés, que de l'appliquer à des parlementaires qui ne sont pas des employés du Parlement.

Pourriez-vous nous donner des conseils sur la façon d'appliquer un code d'éthique dans le contexte parlementaire?

[Traduction]

M. Grainger: Je dirais trois choses à ce sujet. D'une part, même si je ne suis pas évidemment au courant des mécanismes du Bureau de la régie interne, selon les éléments du code, ce pourrait être un mécanisme qui aiderait à faire appliquer le code.

Personnellement, j'estime que le comportement des parlementaires reflète une certaine discipline de parti, si je puis m'exprimer ainsi. Je suppose que la discipline de parti peut également jouer un rôle.

Enfin, il est possible qu'un comité, soit permanent, soit un comité spécial du Sénat et de la Chambre, puisse jouer un rôle à ce sujet; on pourrait y discuter du code et débattre, le cas échéant, de ces applications.

Voilà ce qui me vient à l'esprit. Les exemples dans le secteur privé, qui incluent des choses comme l'orientation, l'éducation, des projections de bandes vidéo et des tas d'autres programmes et documentation ne me semblent pas du tout appropriés pour la Chambre des communes et le Sénat.

Je répète que je ne suis peut-être pas suffisamment au courant de la discipline qu'exercent la Chambre et le Sénat.

M. Nitkin: Je pourrais également vous dire une ou deux choses à ce sujet, sénateur. D'une part, quiconque est chargé de la mise en application d'un code d'éthique, devient de plus en plus, du moins dans le secteur privé, non seulement directement comptable auprès du président directeur général mais également auprès du conseil d'administration. Il y a donc un membre du conseil qui assure la liaison avec le responsable de l'application du code d'éthique. Cela signifie que si cette personne fait directement rapport au président directeur général mais que c'est lui qui est en cause ou qui ne fournit pas la réponse voulue le responsable du code d'éthique peut s'adresser aux plus hautes sphères de la hiérarchie décisionnelle de cette société.

Vous connaissez mieux que moi ce que pourraient être les autorités parallèles à cela au Parlement mais cela veut dire d'une part que l'application du code est essentielle, d'autre part que les activités de l'enquêteur ou du responsable de l'application du code doivent être transparentes, qu'il doit être indépendant et être en mesure de s'élever au-dessus de considérations étroites, qu'il s'agisse d'un service ou d'un parti en particulier, pour être en mesure d'offrir un mécanisme effectivement et apparemment indépendant.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Certains universitaires ont fait valoir que lorsqu'on adopte une approche fondée sur l'intégrité, c'est-à-dire lorsqu'on compte sur les députés pour agir de la bonne façon, on n'obtient de bons résultats que si tous les députés - on pourrait sous-entendre les sénateurs également - ont une définition généralement admise de la bonne façon d'agir.

Or, une enquête récente sur les députés de la Chambre des communes du Royaume-Uni et des recherches antérieures sur les députés du Parlement du Canada portent à croire que souvent tous ne s'entendent pas sur les points fondamentaux. En supposant que les conclusions de ces enquêtes soient exactes, doit-on en conclure qu'il faudrait édicter des règles plus précises que celles qui ont été édictées dans le passé?

[Traduction]

M. Grainger: Il y a plusieurs éléments dans votre question. Puis-je commencer par la notion de la divergence d'opinions et sur la nécessité de s'entendre?

.1730

J'ai fait allusion dans mes observations liminaires au fait que l'exercice même qui consiste à se doter d'un code est une expérience utile. C'est parce que justement les avis divergent et les points importants ne sont pas les mêmes pour tous que j'ai même soulevé la question. Quand on commence à s'interroger sur le code à adopter au sein d'une organisation, d'après l'expérience que j'aie du moins du secteur privé, cela permet aux gens de décider au moins des éléments qu'ils veulent tous voir figurer dans ce code. Cela permet d'éliminer certaines divergences.

Le deuxième point porte sur l'intégrité. Fonder un code sur l'intégrité n'a rien de particulier; cela signifie simplement que le code, un fois décidé et rédigé, reposera de façon générale sur l'intégrité des individus concernés. Cela ne signifie pas qu'il ne peut y avoir en même temps une forme de programme d'application. Cela signifie simplement que le programme est essentiellement fondé sur l'intégrité et non sur une confiance excessive dans le respect des règles, comme je le disais tout à l'heure à propos du bureau de l'administration fédérale américaine connu sous le nom Office of Government Ethics.

Il importe de comprendre qu'il n'y a pas d'un côté un type de code fondé sur l'intégrité et de l'autre, un type de code qui serait fondé sur le respect des règles. Les deux formules sont combinées même si l'on peut insister davantage sur l'une que sur l'autre.

M. Nitkin: Je ferai deux observations. Tout d'abord, sommes-nous tous absolument d'accord sur ce qui est bien? Très souvent, lorsque nous nous adressons aux cadres supérieurs dans les secteurs public ou privé, on nous répond: «C'est quelque chose que je ne peux apprendre; si je ne crois pas à ces valeurs, ce n'est pas à 40, 50 ou 60 ans que je vais commencer à y croire.»

Je ne pense pas que ce soit vrai. Nous devons accepter que pour la plupart, nous apprenons ce qui est bien et approprié et ce que l'on doit faire sur les genoux de notre maman. Très peu d'entre nous l'apprennent sur les genoux de leur papa. Lorsque nous apprenons qu'il faut partager, lorsque nous apprenons qu'il faut ranger nos jouets, lorsque nous apprenons qu'il faut faire la sieste l'après-midi, c'est notre maman qui nous l'apprend, pas notre papa.

Par contre, nos mamans ne nous ont pas appris comment faire nos déclarations d'impôt. Elles ne nous ont pas parlé des contributions des sociétés ni de surveiller les nominations partisanes. Je crois que l'on peut dire qu'il n'est pas vrai que lorsque l'on franchit le portail de la Chambre des communes ou du Sénat on a automatiquement la même vision de ce qui est bien. On peut sensibiliser les gens à des normes, quel que soit leur âge, et les normes morales sont tellement importantes que cela doit se faire régulièrement.

Deuxième point, je ne suis pas d'accord pour dire qu'il faut insister davantage sur les règles. La majorité des gens n'aiment pas les règles. Ce qu'ils veulent, c'est qu'on leur fasse confiance pour faire ce qui est bien. Il est évident que le code que vous allez élaborer, si vous décidez d'en avoir un, devrait être étroitement lié au pouvoir de décision.

Ce qu'il vous faut, c'est préciser quatre questions. Qui sont les intéressés? Qui va être touché? On prend des tas de décisions et la difficulté est souvent que l'on ne sait pas toujours qui sera touché par une décision. Lorsqu'on prend des décisions d'ordre moral, il faut tout d'abord savoir si l'on sait qui sont tous les intéressés et non pas si tout le monde sera content. Il faut s'assurer que l'on prend en considération tous les intervenants lorsque l'on élabore certains principes ou un programme à mettre en oeuvre.

Deuxièmement, avons-nous déterminé quelles sont les questions d'affaires et les questions sociales en jeu, ainsi que les questions d'éthique? Il faut l'avoir fait, le code doit être lié à ces questions pour clarifier en quoi consistent les aspects moraux des décisions. C'est fondamental sinon la décision n'est pas conforme à l'éthique.

Ensuite, ce qu'il faut faire, c'est encourager un test de détection de façon à pouvoir dire que tout le monde dans l'organisation, peu importe l'allégeance politique, du plus petit commis jusqu'au plus haut placé au Parlement, travaille à partir du même script. Nous posons tous les mêmes questions et nous pouvons nous attendre à recevoir les mêmes réponses.

Pour préciser ce que j'ai dit, si vous tentez d'élaborer un code nouvelle vague, il ne faut pas créer davantage de règles, mais plutôt habiliter davantage tous les membres de l'organisation dans le processus décisionnel. Ça facilite les choses. Cela veut dire qu'on n'a pas à décider si le code ne doit s'appliquer qu'aux secrétaires parlementaires. Cela veut dire qu'il peut s'appliquer à tout le monde au sein du Parlement, que l'on soit en bas ou en haut de l'échelle, car tout le monde devra respecter les mêmes principes.

.1735

Le test de détection sera le même pour toute l'organisation. Le test de détection pour le Parlement fédéral pourrait être différent de celui que nous élaborons pour la Fonction publique de l'Ontario. Il sera différent pour les sociétés privées, et chaque société privée aura son propre test de détection.

Le sénateur Gauthier: Puisque les députés sont de retour, puis-je vous poser une question personnelle? J'ai lu toutes les questions aux fins du compte-rendu jusqu'à la question no 8, inclusivement. Il y a trois questions...

M. Nitkin: Je ne me suis pas écarté d'un mot, pour ceux d'entre vous qui étiez inquiets.

Le sénateur Gauthier: Y a une question que j'aimerais poser qui me tracasse depuis le début de cette séance. Vous semblez faire une distinction entre la moralité politique et l'éthique politique. Je ne suis pas un spécialiste en anglais, mais j'aimerais savoir, à votre avis, quelle est la différence entre la moralité et l'éthique. Vous avez entendu le mot déontologie, je crois comprendre que vous êtes tout à fait au courant de cela. Je préfère ce mot de loin, et je pense que ce comité devrait envisager un code de déontologie pour les parlementaires plutôt qu'un code d'éthique, un code de moralité, ou une discipline politique.

Mais nous aborderons cette question à un moment donné lorsque le comité voudra bien m'entendre.

Que pensez-vous de l'idée? Dites-moi à votre avis la différence qu'il y a entre l'éthique politique et la moralité politique.

M. Nitkin: Je félicite le sénateur d'avoir fait ces observations, car ce que vous soulevez va au coeur même d'une question très importante. Dans le cadre de la formation que nous donnons sur l'éthique, nous faisons une distinction entre les valeurs, l'éthique, la moralité et la loi. Je vais d'abord parler des deux questions que vous n'avez pas mentionnées, et ensuite j'aborderai les deux que vous avez soulevées.

Les valeurs sont des choses qui sont importantes pour nous mais qui n'ont pas nécessairement quelque chose à voir avec l'éthique. On peut apprécier une grande maison ou encore une Mercedes. Il ne faut donc pas confondre les deux et penser que vous élaborez un code des valeurs, car cela n'a rien à voir avec la question.

Il est clair également que les valeurs sont différentes de la loi. Évidemment, la loi dicte un comportement, mais la loi peut être bête, il se peut qu'il n'existe pas de loi; la loi n'est peut-être pas comprise par les gens ou elle peut être désuète. La chimie ne permet peut-être pas de dire si quelque chose est toxique ou nuisible, de sorte que l'éthique, ce n'est pas la même chose que la loi. On le comprend.

Nous savons ce que signifient les valeurs et ce que signifie la loi, maintenant parlons de la moralité et de ce qui la distingue de l'éthique. La moralité est déterminée par la culture. La moralité c'est ce qui est bien et ce qui est mal selon les moeurs du jour. Donc la moralité fait que l'homosexualité était considérée comme une maladie dans les années 1950 alors qu'elle est considérée comme un style de vie acceptable dans les années 1990.

Autrement dit, il y a des pratiques qu'une majorité de parlementaires acceptent peut-être - par exemple, voter selon la politique du parti - qui ne sont peut-être pas nécessairement conformes à l'éthique. En d'autres mots, les moeurs sont les normes du bien et du mal déterminées par la culture, mais elles ne sont peut-être pas conformes à l'éthique. Il y a peut-être un élément qui n'est pas tout à fait vrai; il y a peut-être un élément qui ne respecte pas totalement toutes les personnes.

D'un autre côté, ce qui distingue l'éthique de la moralité, c'est que ce sont des normes qui transcendent la culture et le temps. Ce que j'essaie de dire ici, c'est qu'il faut essayer de s'éloigner des moeurs politiques qui ne sont pas très claires au sujet des pratiques acceptables - dont certaines sont peut-être conformes à l'éthique, mais d'autres plutôt douteuses - pour adopter une norme dans votre code qui soit conforme à l'éthique politique. Il s'agit en l'occurence de choses qui transcendent la culture et le temps. Elles peuvent être comprises aussi facilement par tout le monde ici autour de cette table, qu'ils portent un turban, un keffieh ou un yarmulka, ou qu'ils pratiquent une autre religion ou qu'ils soient agnostiques.

L'important, c'est qu'on parle ici d'une norme qui peut être religieuse, philosophique, spirituelle ou intellectuelle, mais ça devrait être possible. Vous devriez peut-être tenter d'adopter un code d'éthique politique, qui va au-delà de la culture et du temps, plutôt qu'un code de moralité, car la moralité change avec le temps et n'est pas la meilleure façon de décider ce qui est bien et ce qui est mal.

.1740

M. Grainger: Vos questions et commentaires sont très utiles. Je dois ajouter deux autres observations.

L'une concerne la culture ou la diversité et là où nous en sommes aujourd'hui. Dans le travail que je fais, je m'aperçois que les gens sont souvent d'accord avec les valeurs et l'éthique de Bart Simpson. Je le répète: Les valeurs de Bart Simpson sont là, elles s'imposent.

Le sénateur Gauthier: Qui est Bart Simpson?

M. Grainger: Bonne question. Je dirai tout simplement que dans le monde d'aujourd'hui, même si, je m'empresse de dire que les mots «déontologie» et «moralité» sont de bons mots, sont des mots merveilleux, en tant qu'éducateur-formateur dans le domaine de l'éthique, je peux faire comprendre aux gens que les valeurs sont en effet des noms et qu'on a toute une série de valeurs. Les notions d'éthique sont des verbes. Elles sont axées sur l'action. Mais j'ai beaucoup de difficulté aux niveaux les plus élevés, y compris les gens les plus instruits, à leur parler de moralité et de déontologie, en partie pour les raisons mentionnées et en partie malheureusement encore une fois à cause des valeurs véhiculées par Bart Simpson.

Malheureusement, ce sont les valeurs que véhiculent les gens, ou encore un niveau de gens et une certaine génération. Nous devons parler d'éthique et de valeurs. Il est plus facile de parler de ces choses-là.

Le sénateur Gauthier: L'assemblée législative de l'Ontario a un commissaire à l'intégrité. Ils font une distinction. À votre avis, pourrait-on copier cette formule, plutôt que d'avoir un commissaire à l'éthique ou un commissaire à la moralité ou encore un commissaire en matière de déontologie? Je pense que l'intégrité comprend bon nombre des choses dont vous avez parlé. Qu'en pensez-vous?

M. Nitkin: Nous avons mis sur pied des cours pour améliorer l'intégrité qui s'adressaient à la fois aux cadres de premier niveau et aux cadres supérieurs dans la fonction publique ontarienne. Vous devriez peut-être voir ce qui se fait en Ontario sur le plan de la formation et des normes dans le domaine. Je dirais que les termes qui ont été choisis - car j'ai une certaine perspective de l'intérieur - tenaient compte de certaines des sensibilités politiques de l'époque. Donc, le terme intégrité a été choisi pour essayer d'inclure à la fois les hommes et les femmes et toutes les cultures.

Je ne suis pas certain si les divergences que l'intégrité susciterait, étant donné la façon dont le principe est en fait appliqué en Ontario, seraient tellement différentes des sujets dont nous parlons ici, c'est-à-dire la moralité politique ou l'éthique politique.

M. Grainger: Pour ce qui est du gouvernement fédéral, le Sénat et la Chambre des communes, je serais tenté de pencher vers la notion d'un comité de travail composé des membres des deux Chambres qui serait presqu'un triumvirat ou un arbitre. L'idée d'avoir un «tsar de l'intégrité» sur la colline parlementaire me rend nerveux. Je n'ai pas l'impression que cela serait de bonne augure. Je comprends le principe d'un commissaire des conflits d'intérêts, mais je ne suis pas certain de comprendre aussi bien ce qu'est un commissaire de l'intégrité. J'aime le mot, cependant.

Le sénateur Gauthier: Est-ce que ça fait une différence au Sénat et à la Chambre des communes? Cette dernière a besoin de la confiance pour fonctionner, mais pas le Sénat. Voyez-vous une différence?

M. Grainger: Dans les deux Chambres? Monsieur le sénateur, vous ne vous attendez-pas vraiment à ce qu'un humble citoyen canadien fasse une telle déclaration dans cette enceinte.

Voulez-vous parler pour ce qui est du travail?

Le sénateur Gauthier: Non, je veux parler du défi auquel nous devons faire face et qui consiste à trouver un code. Je n'aime pas l'expression code of conduct car sa signification est très vague en anglais. Il pourrait s'agir d'un code de bonne conduite, de mauvaise conduite, de conduite indifférente. Il y a toutes sortes de façon de l'interpréter.

Je vois une différence. J'ai passé 22 ans à la Chambre des communes. Je fais preuve de parti pris ici, mais je vois une différence entre la Chambre des communes, qui est axée sur la confiance, tandis que le Sénat ne l'est pas. Le gouvernement n'a pas besoin de confiance pour fonctionner; il en a besoin pour faire adopter ses mesures législatives, mais au Sénat, il n'y a pas de motion de censure. Voyez-vous une différence là?

M. Grainger: Si je peux répondre à votre question comme je la comprends sur le plan pratique, je dirais qu'en ce qui concerne ce dont nous avons parlé précédemment - c'est-à-dire l'aspect «principes», pour le moment, du code - c'est peut-être la même chose, mais en ce qui concerne les questions concrètes, l'application de ces principes dans des situations particulières par rapport à des comportements dans une Chambre ou l'autre, vous avez peut-être raison.

.1745

Franchement, je n'avais pas beaucoup réfléchi à la question que vous avez posée, mais je pense bien que vous avez raison. Il serait sans doute avantageux de bien réfléchir à la façon dont le code devra être élaboré.

Le sénateur Gauthier: Je suis certain que M. Epp reviendra sur la question, car il y a une différence, et une différence très importante. La Chambre des communes est responsable de ses actes devant la population car ses députés doivent se faire réélire tous les trois ou quatre ans. Si on ne les aime pas, on s'en débarrasse. Quant au Sénat, ses membres sont nommés. C'est une grande différence.

Quoi qu'il en soit, je vais le laisser aborder la question, car il la connaît mieux que moi.

M. Epp: Je trouve cela intriguant, et en fait j'étudie l'éthique et le comportement humain depuis à peu près 56 ans.

Effectivement, ma deuxième question était la suivante: quelle est la différence entre la moralité politique et l'éthique politique? Nous sommes donc sur la même longueur d'ondes.

Je vous poser la question à tous les deux: un code d'éthique absolu ou une moralité absolue, est-ce que ça existe?

M. Nitkin: Je crois que ça existe, si vous me demandez mon opinion personnelle. En tant qu'expert conseil, je suis devant un dilemme important, car en tant que Juif pratiquant je crois que les normes de ce qui est bien et bienséant sont d'inspiration divine. Je dois traduire cela dans une pratique d'éthique avec trois associés et trois attachés de recherche, lorsqu'il s'agit de conseils que je donne aux sociétés.

Pour répondre à votre question directement, est-ce que je crois personnellement dans une norme absolue: la réponse est oui. Je crois en une norme que chaque organisation peut définir pour elle-même, qui transcende la culture et le temps, qui habilite tous les membres de cette organisation à prendre des décisions conformes à l'éthique à la lumière de la façon dont cette organisation structure ses pratiques en matière d'éthique. Mais j'observe l'histoire et je sais qu'il y a des normes et des pratiques concernant la main-d'oeuvre enfantine, la participation des femmes à la population active, aux attitudes à l'égard des minorités, à la qualité de l'environnement.

En tant qu'observateur de l'histoire, je pense qu'il serait juste de dire que si les sociétés et les organisations du secteur privé définissent d'une façon absolue une série de normes à un moment donné, alors dans 20 ans cette norme devra être mise à jour, pour être donc absolument adaptée aux circonstances. Avec le temps, la culture change, les besoins changent, la société change, et il faut incorporer des valeurs différentes aux normes d'éthique.

Mr. Epp: Voulez-vous répondre à cette question vous aussi?

M. Grainger: En gros, je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit, mais je peux ajouter, en me fondant sur mon expérience dans l'entreprise privée qu'une autre méthode peut être aussi bonne; les gens veulent que les règles du jeu soient équitables, si j'ose dire. Je ne sais pas si c'est un absolu au sens où vous l'entendez, mais les gens souhaitent avoir un état constant ou stable.

J'aurais tort de ne pas vous dire que, depuis de nombreuses années que je travaille dans ce domaine auprès de divers organismes, très peu de personnes ont, d'entrée de jeu, offert une position comme quoi il existe une règle absolue. C'est le cas pour certaines, et elles ajoutent au défi qui consiste à créer ou à appliquer un code, mais je ne dirais pas que j'ai rencontré un grand nombre de personnes qui, pour quelque raison que ce soit, seraient de cet avis.

Toutefois, il faut, ou du moins les gens pensent qu'il faut que certaines mesures soient prises pour rendre les règles du jeu équitables. En ce sens, je crois que les gens cherchent quelque chose pour les orienter et s'il faut que ce soit une règle absolue, eh bien ce sera une règle absolue.

Comme M. Nitkin vient de le dire, il faut mesurer ces choses en tenant compte de l'histoire, des années 1990, si vous voulez.

M. Epp: Premièrement, que vous croyez ou non à l'existence d'une source absolue de moralité ne change rien au fait qu'un absolu existe ou non. Je pense que c'est en partie le dilemme qui se pose à nous au comité, étant donné les attentes de la population, c'est justement cette différence, c'est que les attentes sont différentes. Il y a ceux qui veulent nous imposer leur sens de l'absolu et ceux qui ne le font pas - et je suppose que les législateurs ont aussi des normes différentes qui découlent de leurs croyances.

.1750

Lorsque j'enseignais au niveau collégial, j'ai eu une expérience très intéressante et révélatrice des valeurs culturelles. C'est assez incroyable. Je donnais un cours sur les banques. Il y avait beaucoup d'étudiants étrangers dans ce collège et un groupe d'entre eux a triché aux examens. Ils étaient très contrariés que je les surprenne, car ils avaient le sentiment de ne rien faire de mal. Pour eux, c'est simplement quelque chose qu'ils devient faire pour gravir les échelons. Ils avaient triché parce que c'est ce qu'ils devaient faire pour obtenir de bonnes notes. Ils étaient très pragmatiques. J'étais sidéré. J'ai évidemment suggéré qu'ils soient expulsés en disant que nous n'avions surtout pas besoin de banquiers qui manipulent notre argent sans aucun sens moral.

Mais je reviens à notre propos. Vous avez dit quelque chose au sujet de l'évolution de l'éthique au fil des années. Je m'adresse surtout à M. Nitkin. Vous avez dit que les gens s'intéressent à l'éthique pour de bonnes et de mauvaises raisons. Je ne sais pas si vous en avez parlé lorsque le sénateur était seul ici, mais j'aimerais vraiment connaître votre réponse en ce qui concerne vos consultations avec les entreprises.

Je crois comprendre lorsque vous dites que des gens font des études sur l'éthique et produisent un code pour les mauvaises raisons: c'est pour faire bonne figure, et non parce qu'elles se soucient vraiment d'éthique. Je pense que c'est ce que vous dites. Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet?

M. Nitkin: Permettez-moi de vous offrir quelques points de vue. Le premier est un aphorisme tiré du Talmud et qui dit essentiellement que si vous faites ce qui est bien assez souvent, même si c'est pour la mauvaise raison, vous finirez par le faire pour la bonne raison. C'est fascinant.

Nous avons fait affaire avec des sociétés qui nous ont embauché pour réparer le tort qu'elles avaient fait à leur image par suite d'initiatives très nuisibles pour la santé de femmes ou pour l'environnement. Dans de tels cas, la société commence par adopter un code d'éthique, par faire des études de cas ou par appliquer d'autres mécanismes mentionnés dans The Corporate Ethics Monitor. Au début, elle n'y croit pas nécessairement, mais comme cela les force à réfléchir à ces questions pour la première fois, elles s'en trouvent transformées. Je l'ai vu trop souvent pour ne pas y croire. Un organisme qui commence à jongler avec les questions d'éthique y devient plus sensible.

Est-ce que je peux aller jusqu'à dire que ça les transforme du tout au tout? Non. Mais cela les rend plus sensibles, plus conscientes des questions d'éthique.

La deuxième observation que je vous offre c'est que vous n'abrogez pas la responsabilité de l'étudiant qui n'a pas respecté les moeurs du jour dans le cas que vous nous avez cité. Dans un code, ou appelez-le comme vous voudrez - et peut-être que le mot «code» n'est pas le meilleur - ce que vous voulez mettre au point c'est un mécanisme qui responsabilisera les gens, qui leur dira: «Voici les principes qui doivent nous guider et ils constituent une norme minimale que nous voulons que tout le monde accepte». Ils nous servent de tests de détection.

Dans le cas d'une grande entreprise de communication, le test de détection consiste à savoir si je me sentirais à l'aise en voyant les raisons qui ont inspiré une décision étalées à la une du Globe and Mail le lendemain matin. Pour un autre client, comme une grande société pétrolière, le test consiste à savoir si telle mesure est juste et honnête ou si elle pourrait nuire à la réputation de l'entreprise.

Quelle que soit la norme - quel que soit le test de détection - c'est une norme minimale acceptable, mais au sens le plus noble car elle responsabilise les personnes, qu'elles soient parlementaires ou qu'elles travaillent pour une société, pour qu'ils puissent dire: «Même si je respecte la lettre du code ou du credo, j'ai encore des doutes personnels à ce sujet et je n'agirai peut-être pas ainsi parce que, personnellement, ça ne me semble pas juste».

C'est acceptable, mais vous devez avoir un credo ou un critère de détection que tout le monde utilise et il faut que tout le monde pose la même question pour pouvoir déterminer si telle décision est conforme à l'éthique ou si elle pourrait être perçue comme une question d'éthique. Cela respecte à la fois les critères de comportement et d'apparence.

M. Epp: À un cours de catéchisme que je donnais le dimanche, je disais à mes étudiants que la différence entre le caractère et la réputation c'est que le caractère c'est ce que vous êtes et la réputation c'est ce que les autres pensent que vous êtes. Je me demande si en voulant nous doter d'un code de déontologie nous n'essayons pas de nous créer une réputation à défaut d'avoir vraiment du caractère. Si nous avions du caractère, nous ne serions pas ici. J'en suis tout à fait convaincu.

.1755

Je voudrais maintenant m'adresser à M. Grainger, si je puis. J'ai également pris des notes pendant son exposé.

Je voudrais vous interroger sur quelque chose que vous avez dit. Dans le texte de votre exposé, vous dites qu'un code d'éthique est «un signal d'alarme pour les députés et les sénateurs, et qu'il servirait l'intérêt du public et rappellerait aux nouveaux parlementaires ce qu'on attend d'eux».

Mais lorsque vous avez fait votre exposé, vous avez beaucoup dilué cette affirmation. Vous avez dit «il pourrait servir» puis vous avez ajouté, «j'insiste sur le conditionnel». Puis vous avez dit, «il pourrait rappeler» alors que dans le texte écrit vous dites «il rappellerait».

Pourquoi avez-vous atténué; est-ce que vous avez changé d'idée? Ou est-ce que nous vous intimidons?

M. Grainger: Non. Depuis quelque temps déjà je pense que si la Chambre ou le Sénat avait un code celui-ci n'aurait certes rien à voir avec la responsabilité. Il n'y a rien que la population canadienne ou des gens comme moi-même et M. Nitkin et d'autres puissions contribuer à un code sous l'angle de la responsabilité.

Si vous n'êtes pas déjà responsable, que Dieu nous vienne en aide. Je m'inquiétais donc davantage de la perception du public, du fait que nous sentons parfois que les hommes et les femmes politiques ne sont peut-être pas toujours tenus en aussi haute estime qu'ils devraient l'être, et je le dis très respectueusement.

Alors je dis que si vous vous dotez d'un code pour cette raison, ce sera peut-être utile, peut-être. À la réflexion, je pense que personne, et surtout pas moi, n'oserait dire qu'un code va certainement être utile. Il n'y a pas de garantie dans le monde d'aujourd'hui. Nous vivons dans un monde extrêmement cynique. Vous ne sauriez imaginer que, dans de nombreux organismes, l'élaboration de codes prend des mois et des années parce qu'il faut convaincre les gens, comme M. Nitkin le disait, que ce sera un effort sincère et pas simplement de la frime.

M. Epp: J'ai écouté ce que vous avez dit, j'ai noté que vous aviez adouci vos propos et également que vous hésitiez à dire que cela résoudrait nos problèmes. D'autre part, vers la fin de votre exposé, vous avez dit que le Parlement aurait peut-être bien du mal à élaborer un tel code, un code dont les avantages seraient probablement minimes. J'en déduis que lorsque vous donnez des consultations aux entreprises privées, et même lorsque vous venez ici nous faire des suggestions, votre principal but est de faire de l'argent puisque vous êtes loin d'être convaincu de l'utilité de cet exercice.

Je sais que ce que je viens de dire est plutôt dur.

M. Grainger: Non, cela ne fait rien. On me paie suffisamment pour que je n'aie pas à m'inquiéter de cela. Le fait est que la plupart des organisations qui se livrent à ce genre d'exercice de la façon très déterminée dont nous avons parlé, en tirait des avantages certains, et nous l'avons reconnu nous-mêmes. En ce qui concerne le Parlement, je dis simplement que ce genre de document n'est pas facile à rédiger car il doit tenir compte des quelque 280 députés qui font partie de ce milieu, le club le plus exclusif du pays.

Bref, la rédaction risque d'être très difficile. Les gens vont donc avoir beaucoup de mal à se mettre d'accord. Cela dit, c'est un exercice qui, en soi, est valable. Cela peut présenter certains avantages, mais c'est difficile dans une organisation où on trouve une certaine - non pas uniformité, si vous voulez - mais plutôt un certain consensus sur certaines pratiques et politiques, et même certaines valeurs.

Dans un tel environnement, la rédaction d'un code est une chose, on peut même dire que c'est un défi. C'est un défi qui vaut la peine d'être relevé, mais je le répète, c'est assurément un défi.

M. Nitkin: J'aimerais faire deux observations très courtes. Je vous remercie d'avoir posé une question particulièrement directe.

Si j'ai bien compris Brian Grainger, il a dit entre autres qu'il sera non seulement difficile d'élaborer un code, mais que c'est une condition nécessaire pour prendre des décisions et pour se comporter d'une façon morale et éclairée. Ce n'est cependant pas un facteur déterminant.

Autrement dit, un code permettra de prendre des décisions plus justes grâce à de meilleures connaissances et à de meilleurs outils. Cela dit, ce n'est pas forcément une garantie quant au produit final. En fait, chaque mois nous préparons des rapports sur un secteur de l'industrie, des rapports consacrés à diverses catégories: administration morale, responsabilité environnementale, responsabilité sociale, embauche et promotion des femmes, activités dans des pays étrangers sous régime répressif, etc. Il ne se passe pas de mois sans qu'une compagnie ne rie de ses propres faiblesses et ne déclare à l'un de nos enquêteurs: «Nous ne sommes pas brillants dans ce domaine, mais nous sommes probablement mieux que le gouvernement.» C'est un triste commentaire.

.1800

J'ai commencé cette séance en posant cinq questions, et je sais que cela a fait l'objet d'une certaine résistance, mais vous avez déjà répondu à la question. Je vous ai demandé si à votre avis cette institution était respectée par le public sur le plan de sa moralité, et il n'y avait pas beaucoup d'enthousiasme dans la réponse. Quand je vous ai demandé si votre formation en éthique vous semblait suffisante, très peu de gens ont répondu que c'était le cas. Quand je vous ai demandé si vos confrères risquaient d'être impliqués dans des conflits d'intérêts, vous avez répondu que vous ne saviez pas ou que c'était une source d'inquiétude.

Une question se pose donc: Pourquoi vous livrez-vous à cet exercice? Vous l'avez fait à cinq ou six reprises depuis dix ans. Dans le secteur privé, on juge cela tellement important qu'on en est à des codes de la seconde ou troisième génération, c'est un fait accompli. Mais étant donné les réponses que vous avez données à mon mini-questionnaire, vous n'avez pas besoin du public pour vous dire: Voilà les raisons d'agir. Ce serait bien, si c'était possible, mais je ne suis pas certain que cela change l'attitude des gens face au gouvernement.

Pendant les années quatre-vingt, le gouvernement était très respecté, on pensait qu'il avait des solutions. Mais la mentalité a changé entre les années soixante-dix et quatre-vingt-dix, et pas seulement parce que le gouvernement n'a pas l'argent nécessaire pour mettre en place des programmes efficaces, mais également parce qu'il ne jouit plus du même respect. C'est un problème, et je vais vous expliquer pourquoi.

Je ne veux pas glorifier le secteur privé; nous avons de gros problèmes d'éthique dans le secteur privé. À de nombreux égards, le secteur privé a des comportements antédiluviens. En rehaussant le moral et la loyauté de ses employés, en supprimant des avantages sociaux et en constituant des effectifs ponctuels, le secteur privé s'est arrangé pour occuper le devant de la scène, parce que le gouvernement, délibérément ou pas, est considéré comme une institution moins utile à la société canadienne.

Le gouvernement a aujourd'hui la possibilité de redorer son blason car je vous avouerai que certaines sociétés se comportent aujourd'hui d'une façon encore plus infâme qu'il y a dix ans. Cela dit, si vous voulez être digne de foi, si vous voulez juguler les comportements qui ne vous plaisent pas dans certaines sociétés et autres intéressés, vous devez être crédible, et non pas seulement aux yeux du public, mais également aux yeux des sociétés avec lesquelles vous traitez, aux yeux de vos électeurs, et à vos propres yeux quand vous vous regardez dans la glace.

Étant donné les réponses que vous avez données quant à votre situation actuelle, vous avez du travail à faire dans ce domaine. Le temps de la discussion est passé, la terminologie est négligeable, l'important c'est de pouvoir vous regarder avec satisfaction dans la glace. Quant aux autres intéressés, espérons qu'ils suivront.

M. Epp: Vous avez dit, toutefois, que l'exercice risquait d'être plus utile que le code. En fait, en vous écoutant je me suis souvenu d'un poste stéréo que je me suis fabriqué il y a très longtemps. J'ai passé des centaines d'heures à souder ensemble tous les éléments, et cette partie-là était plus amusante que de l'écouter ensuite quand il a été terminé. C'est peut-être vrai ici également.

Mais quand je me tourne vers le passé, je vois qu'on se livrait déjà à cet exercice longtemps avant mon arrivée. Cette législature s'est livrée à cet exercice à maintes reprises. Je n'ai pas l'impression que cela ait été très utile car on ne cesse de reprendre le même processus, et voilà que nous recommençons. Peut-être devrions-nous essayer d'en finir une fois pour toutes pour voir ce qui se produit quand on va jusqu'au bout.

M. Nitkin: Vous avez fait une observation critique, le fait est que l'exercice est utile dans la mesure où il aboutit à quelque chose. Quand on acquiert certaines compétences, on acquiert une confiance en soi, et c'est utile pour l'avenir. Vous avez tout lieu de vous interroger si cet exercice doit une fois encore n'aboutir à rien.

M. Grainger: J'ajoute que la question no 10 posée tout à l'heure est bien conforme à votre préoccupation; c'est la question suivante: Quels conseils d'ordre général pouvez-vous donner au comité pour faciliter la conception d'un code de conduite? Il y a certainement des choses qui peuvent être faites et le comité pourrait élaborer un code à titre d'exercice, autour de cette même table, et voir ce qui se produit. Le résultat serait intéressant.

.1805

M. Nitkin: J'aimerais faire une observation moi aussi. Je m'adresse plutôt au personnel de la bibliothèque qui semble particulièrement compétent.

Une des méthodes serait de fixer des jalons. La question 10 est la suivante: «Quels conseils avez-vous au sujet de la conception d'un code de conduite?» Très souvent quand nous travaillons avec des organismes du secteur public, avec des associations industrielles, des organisations sans but lucratif et avec le secteur privé, cela revient à se hisser sur les épaules des grands et des moins grands de ce monde.

Il y a une foule d'informations à obtenir sur les codes et les credos des autres, toutes sortes de détails. Au lieu d'essayer de réinventer la roue, vous feriez mieux d'analyser d'un oeil critique, jalon par jalon, ce qui se fait dans d'autres juridictions, mais sans aller jusqu'à suivre leur exemple aveuglément. Certaines idées ne conviennent probablement pas, mais au moins cela vous évite de commencer à zéro.

Une fois que vous serez bien décidés à vous mettre à l'oeuvre, une fois que vous aurez arrêté des directives, il y a des mécanismes très efficaces, et entre autres la méthode de l'analyse jalon par jalon qui vous donne une bonne base de départ. En fait, la plupart de nos clients sont impressionnés de voir qu'il existe plus d'information qu'ils ne peuvent espérer en mettre dans leur premier code.

C'est un élément très important. Une bonne analyse de base permet de déterminer quelles sont les possibilités et les catégories, sans vous forcer de retenir toutes les idées dans votre première tentative. Mais au moins cela vous permet d'accomplir un certain progrès, et de vous orienter vers une série de principes, quelque chose que j'appelle un code, quelque chose de plus détaillé, réparti en catégories, ce que nous appelons les éléments de code, et également quelque chose qui permet de tester les décisions, ou encore de montrer aux autres comment vous appliquez ces principes dans la pratique. Autrement dit, tout le monde lit le même scénario, tout le monde utilise les mêmes principes.

Une fois cela fait, la deuxième et la troisième fois, cela devient plus facile. La plupart des organisations s'aperçoivent que si l'analyse de base est une analyse de qualité, cela leur donne suffisamment de munitions pour appliquer tous ces idéaux sur une période de cinq à dix ans.

M. Epp: Monsieur le président, je ne voudrais pas monopoliser la séance. Si les autres ont des questions à poser, je vais maintenant céder la place. Sinon, j'aimerais continuer.

Le coprésident (M. Milliken): Madame Catterall.

Mme Catterall (Ottawa-Ouest): J'essaie de comprendre. À vous écouter parler de l'éthique, c'est quelque chose qui ne change jamais, ni dans le temps, ni dans l'espace, ni selon les cultures. Dans ce cas, il doit y avoir quelqu'un, quelque part, qui a déterré tous ces principes et toutes ces notions d'éthique il y a très longtemps, et nous ne devrions pas avoir à recommencer. Cela doit nous attendre quelque part dans une cave.

Pourquoi est-ce un tel problème?

M. Nitkin: Je ne pense pas que ce soit un tel problème, mais vous soulevez des questions qui préoccupent l'humanité depuis des générations, sinon des siècles.

Par exemple, en ce qui concerne la vérité, il y a un principe sur lequel tout le monde est d'accord, quelle que soit votre culture, et c'est l'existence d'un élément fondamental de coopération, c'est l'hypothèse selon laquelle tout le monde dit la vérité, à moins qu'on ne s'aperçoive du contraire.

Cela dit, c'est l'application de ce principe dans la réalité quotidienne qui varie beaucoup. Dans une société médiévale, il y a des gens qui n'ont pas le droit d'entendre la vérité, qui n'ont pas le même statut social que vous. Dans une société industrialisée plus récente, il y a des aspects du pouvoir et de l'influence qui sont liés à l'information, et la définition de la vérité varie.

Aujourd'hui, nous ne pratiquons toujours pas la vérité intrinsèque. Un mari infidèle peut se convaincre qu'il vaut mieux ne pas dire la vérité à sa femme, que c'est une erreur du passé, un cas unique, et que la vérité pourrait causer des dommages irréparables à ses relations conjugales.

La définition de la vérité varie donc selon les circonstances, et par conséquent, même quand on reconnaît ce principe de la vérité, il est toujours nécessaire de le définir par rapport au comportement actuel d'une organisation.

Les principes n'ont pas changé; c'est la façon dont ils s'appliquent qui est critique.

Mme Catterall: Dans ce cas, est-ce que le mari infidèle est coupable d'une atteinte à l'éthique ou à la morale?

.1810

M. Nitkin: À mon avis, il est coupable d'une atteinte à l'éthique. Mais dans le milieu culturel où nous vivons actuellement, où un tiers de tous les mariages aboutissent à un divorce, les moeurs actuelles sont peut-être différentes en ce qui concerne les relations extra-conjugales qui sont acceptables ou qui ne le sont pas.

Mme Catterall: Après avoir écouté certains témoins, j'essaie de déterminer si un code est nécessaire, et pourquoi. Il est inutile de me poser des questions sur... Le jour où je ne pourrai plus me regarder en face dans le miroir en me levant le matin, ce sera terminé pour moi. Je ne resterai certainement pas si je m'aperçois que je suis forcée de faire des choses qui pourraient m'empêcher de me regarder en face.

Je vous écoute parler de moralité et je commence à me demander s'il n'est pas vain d'essayer de faire quelque chose, étant donné le caractère changeant de la moralité.

M. Nitkin: Un farceur a dit que la politique est trop importante pour être laissée aux hommes politiques.

À mon avis, cela est très important. Si vous me demandez si un code d'éthique est nécessaire, c'est donc que vous vous interrogez sur sa forme, son contenu.

Est-ce que c'est une chose importante, pour que nous puissions mettre en place une série de normes fondamentales? À mon avis cela ne fait pas de doute. Est-ce que c'est important comme Brian Grainger l'a expliqué, dans la mesure où cela institue des normes minimums qui permettent à tous de travailler à partir du même scénario, dans la mesure où cela autorise l'organisation à rejeter quiconque porte atteinte aux principes de votre Chambre des communes et de votre Sénat? À mon avis, c'est cela qui est important. Si vous voulez modifier la perception du public, une perception très négative de l'éthique politique actuelle au Canada....

Pour toutes ces raisons, et sans vouloir minimiser l'importance de votre anxiété et des questions qui vous préoccupent, je vous dis que vous avez besoin d'aboutir enfin à quelque chose. Le temps d'en discuter est passé; qu'il s'agisse d'un credo, d'un code, d'un test, d'un manuel, et les mécanismes possibles sont nombreux, l'important, c'est de faire quelque chose.

Certaines organisations viennent nous voir et nous demandent un code, et, finalement, ce n'est pas ce que nous leur donnons, car cela ne convient pas à leurs circonstances. Cela dit, elles ont tout de même besoin de prendre conscience des questions d'éthique, d'y être plus sensibles.

Si j'en juge par les réponses que vous m'avez données au début de la réunion, c'est de cela que vous avez besoin, et je crois que vous le savez.

M. Grainger: J'aimerais revenir à votre observation particulièrement intéressante sur la difficulté de la tâche, ce partage de valeurs ou partage de notions éthiques.

Depuis près de six ans, une chose me frappe chaque fois que je participe à un de ces exercices, et c'est qu'il faut toujours au moins trois, quatre ou cinq mois pour le mener à bien, même dans le cas de compagnies excellentes, particulièrement bien organisées. Il peut y avoir beaucoup d'éléments positifs, mais dans les tranchées les gens ne sont pas au courant.

Leur perception est différente. Parfois, elle est fausse. Parfois, elle ne repose pas sur la totalité des faits. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark, et on finit par reconnaître qu'il serait bon d'en discuter. On discute donc d'éthique. Cela n'aboutit pas toujours à un code.

Vous comprenez donc ce que je veux dire; c'est vrai que ce n'est pas toujours la bonne solution. Par contre, ce qui semble nécessaire aujourd'hui, dans les années 1990, c'est cette discussion que nous avons actuellement.

Peut-être dans ce cas est-il nécessaire d'aller au-delà de la discussion, mais il y a beaucoup de gens dans le secteur privé qui se décident, non pas parce qu'ils ont décidé de me rendre riche, mais parce qu'ils sont forcés de le faire. Ils se sentent obligés. Ils ne le font pas seulement pour le plaisir, ou quelque chose de ce genre. S'ils le font, c'est que dans leur organisation il y a des gens qui ne semblent pas capables de parler de certaines choses fondamentales comme la confiance, l'honnêteté et l'intégrité, la nécessité d'adopter une politique sur le harcèlement, etc.

.1815

Je pourrais vous donner toutes sortes de bonnes raisons, mais l'important, c'est qu'on juge nécessaire de mettre les gens en présence, et cet exercice est un des moyens les plus importants qui existent actuellement. Même si cela ne va pas jusqu'à l'adoption d'un code, une discussion sur les aspects éthiques d'une organisation semble cruciale.

Mme Catterall: Je m'en tiendrai là, monsieur le président.

Le coprésident (M. Milliken): Madame Parrish.

Mme Parrish (Mississauga-Ouest): J'ai écouté la discussion avec beaucoup d'intérêt. Étant enseignante dans l'âme, je suis vraiment désolée d'avoir raté le test au début; j'espère que nous pourrons le faire une autre fois. Je dois également vous féliciter pour la façon claire dont vous exprimez vos opinions. C'est facile à suivre, et je m'aperçois que j'apprends beaucoup.

Un des problèmes, c'est qu'à mon avis il existe plusieurs scénarios. Je répète peut-être ce qui a été dit avant que j'arrive, mais nous avons un code de la route, un Code criminel, nous avons toutes sortes de règles, et, par-dessus tout cela, nous avons cette loupe qu'est l'opinion publique. Personnellement, je considère qu'à ce niveau-là l'examen devient vraiment très minutieux. Nous représentons de grandes communautés qui se sont penchées sur notre cas de très près.

Mme Catterall: Même quand on ne le savait pas.

Mme Parrish: Le plus souvent, je ne le savais pas.

Quand vous dites que nous avons désespérément besoin d'un code quelconque, cela me préoccupe. La politique, ce sont des gens bizarres qui font des choses bizarres, et ils n'hésitent pas à se tirer dans les pattes.

Quand je vois ce qui se passe à la Chambre, je constate que les partis politiques prennent le plus grand plaisir à se peindre mutuellement sous un jour immoral, injuste, inéquitable, dominateur, etc. En adoptant ce code, pour commencer, nous reconnaîtrions cela. Nous dirions: «Nous sommes répugnants, nous avons vraiment besoin d'être contrôlés.»

Deuxièmement, nous céderions à l'attrait de la seule arme qu'un parti d'opposition possède contre un bon gouvernement comme le nôtre, en disant: «Vous savez, vous avez raison, ce que vous dites à notre sujet est absolument exact.» Comment pouvons-nous nous empêcher de confirmer une telle théorie en réfléchissant...?

Je ne réfléchirais pas pendant cinq minutes à la possibilité de rédiger un manuel. Ce serait absolument sans précédent.

M. Nitkin: Je vais commencer par l'attrait négatif. En l'absence de règles ou de consensus - et vous avez mentionné les règles de la circulation, entre autres - ou bien en l'absence de règles parlementaires, il ne reste que les moeurs. Autrement dit: le comportement de cette personne dépasse les bornes; je pense qu'elle devrait quitter la Chambre.

Vous avez donc besoin d'une normalisation du comportement parlementaire, quelque chose qui permette à cette institution de décider, pour sa propre santé, ce qui est inacceptable ou inapproprié.

Voilà le genre de chose qui parle au public. Le public aime non seulement l'idée que quelque chose est considéré comme mauvais, mais également que l'organisme possède les moyens de régler le problème. En effet, quand il n'y a pas de normes, c'est là que surgissent les critiques.

Mme Parrish: Monsieur le président, je ne veux pas m'enfoncer dans un débat, mais il est certain que le Président de la Chambre a des règles très fermes. Nous avons des directives. Nous avons d'énormes livres remplis de directives qui régissent notre comportement à la Chambre, dans nos bureaux, dans nos opérations budgétaires. Nous sommes réglementés de près du matin au soir. Nous ne manquons pas de règles pour régir notre comportement, mais d'autre part, quand quelqu'un se lève à la Chambre et utilise un terme incorrect, une procédure existe pour régler le problème.

M. Nitkin: Vous êtes mieux placée que moi pour connaître les besoins de cette institution. J'essaie de vous donner une réponse, mais vous me dites qu'à votre avis vous êtes suffisamment réglementés.

Ce que j'essaie de vous expliquer, c'est qu'un organisme a besoin de pouvoir se purifier et se nettoyer quand quelqu'un se comporte d'une façon qui ne contredit pas forcément les règles, mais qui ne correspond peut-être pas à un comportement éthique. Les règles ne prévoient pas toujours ce genre de cas.

Je ne voudrais pas ajouter de nouvelles règles, et je ne crois pas que c'est ce que veut le public. Par contre, le Parlement aurait intérêt à préciser les principes fondamentaux, les critères fondamentaux qui s'appliquent à son comportement.

.1820

Mme Parrish: Ce que vous dites ne répond pas à ma question. En effet, la situation politique qui forme notre quotidien, avec ce système où il y a une opposition, est telle qu'on nous accusera toujours d'immoralité.

Je ne veux pas dire vous.

M. Epp: Je n'ai pas l'intention de vous attaquer; je veux seulement vous poser une question. Est-ce que vous étiez ici pendant la dernière législature?

Mme Parrish: Non, mais toutes les législatures se comportent de la même façon.

M. Epp: Quand les Libéraux étaient dans l'opposition, quand c'était eux qui critiquaient la moralité des Conservateurs, qui étaient au pouvoir, est-ce que c'était plus justifié?

Mme Parrish: Je n'ai pas dit que c'était justifié; j'ai dit que c'était une conséquence du type de gouvernement que nous avons.

Mme Catterall: C'était... [Inaudible - Éditeur]... comportement.

Mme Parrish: C'est exact, c'était un comportement illégal.

Mme Catterall: C'était... [Inaudible - Éditeur]... sur la base des règles en place.

M. Epp: D'accord. En tout cas, le public est convaincu qu'ils n'étaient pas tous aussi honorables, du moins certains d'entre eux.

Pardonnez-moi cette interruption.

M. Grainger: J'aimerais répondre à plusieurs éléments de votre question.

Je ne suis pas là pour vous convaincre d'adopter un code, et je ne pense pas non plus que ce soit le but de M. Nitkin, pas plus que de beaucoup de gens dont j'ai vu le témoignage. Cela dit, dans l'exercice que vous avez entrepris, vous devez aller au-delà des discussions avec des gens comme nous. Est-ce qu'il ne vous serait pas possible de consacrer un certain temps à passer en revue et à résumer tout ce qui figure dans ces scénarios et que vous connaissez, de résumer cela sur une feuille de papier? Vous pourriez ainsi montrer au public canadien en quoi consiste cet exercice, lui expliquer qu'un comportement éthique, c'est telle ou telle chose... On a mentionné le terme «credo». Est-ce que nous aurions aujourd'hui des politiques sur le harcèlement si nous n'avions pas touché aux scénarios?

Mme Parrish: Monsieur le président, je reviens à cette notion selon laquelle nous sommes en train de céder à tous ceux qui sont convaincus que nous sommes de répugnants individus. Dans quelle mesure est-ce que nous donnons suite à une préoccupation légitime?

M. Grainger: La députée doit savoir que personne ici n'aurait l'idée de suggérer certains termes pour décrire les gens qui travaillent dans ces Chambres. Ce n'était certainement pas mon but en venant ici; ceux qui me connaissent vous le confirmeront.

Cela dit, peut-être la Chambre des communes devrait-elle commencer à se demander si les règles en usage à la Chambre constituent un comportement approprié dans tous les cas. D'une certaine façon, cela ne me regarde pas. Toutefois, en ma qualité de citoyen canadien, je me dis que vous pourriez vous demander si le public canadien souhaite toujours ce genre de choses. Qui est-ce qui veut cela?

M. Nitkin: La discipline de parti est un exemple: vous devez voter selon la politique fixée par le parti que vous représentez sous peine de vous voir ostracisés en des termes que vous avez intérêt à bien comprendre. Sur le plan de la procédure parlementaire, cela me semble un problème d'éthique grave, et je ne suis pas le premier à faire cette observation.

Si vous posez la question en pensant que vous avez énormément de règles, effectivement, c'est le cas. Est-ce que certaines de vos moeurs et pratiques sont éthiques? On pourrait se poser la question. Est-ce que cet exercice est une occasion de supprimer la discipline de parti, par exemple, parce que c'est une pratique qui est loin d'être éthique, dans la mesure où elle force les gens à sacrifier les intérêts locaux de leurs électeurs à l'intérêt national? Non, je ne pense pas que ce soit forcément le bon moment.

Mme Parrish: Monsieur le président, j'aimerais interrompre le témoin un instant.

J'espère que nous n'allons pas partir sur une tangente et discuter des votes regroupés ou des votes respectant la discipline de parti, parce que je ne suis pas d'accord. Si je l'écoutais sans rien dire quand il prétend que ce n'est pas éthique, on aurait l'impression que je tolère ce qu'il dit.

Le coprésident (M. Milliken): Madame Parrish, quand il répond à vos questions, le fait que vous ne protestez pas ne signifie pas que vous êtes d'accord avec lui.

Mme Parrish: Merci, monsieur le président.

M. Nitkin: Vos gestes étaient parfaitement clairs. J'avais parfaitement compris que vous n'étiez pas d'accord avec ce que je disais.

Mme Parrish: Je ne suis pas une joueuse de poker.

M. Nitkin: L'exercice m'a particulièrement intéressé, car, quand je comparais devant des groupes, ce sont des gens qui n'ont pas besoin d'être convaincus. Ils sont persuadés qu'ils ont besoin d'aide parce qu'ils trouvent eux-mêmes qu'ils ont un problème. Brian Grainger et moi-même essayons de vous expliquer que si, à votre avis, vous n'avez pas de problèmes, vous devriez avoir le courage de vos convictions et dire: «Nous ne sommes pas des individus répugnants, nous sommes des gens formidables; voici les raisons pour lesquelles nous sommes formidables, et vous pouvez aller au diable.» C'est vous qui nous avez demandé de comparaître et de vous donner notre avis, et c'est ce que nous avons essayé de faire. Loin de nous l'idée de vous dire que vous avez besoin d'un code.

.1825

Depuis le début de la séance, cet après-midi, nous n'avons cessé de vous dire que les organisations qui cherchent à préciser leurs valeurs éthiques en tirent bénéfice. En effet, elles ont toujours intérêt à favoriser une prise de conscience dans leurs rangs, qu'il s'agisse de l'employé débutant ou de celui qui est tout en haut de l'échelle, parce que cela renforce le moral, renforce la confiance en soi, renforce la confiance en l'organisation et, par voie de conséquence, la productivité de la main-d'oeuvre.

La plupart des organismes gouvernementaux qui nous consultent actuellement procèdent à des compressions considérables. Dans ces circonstances, faire face à des considérations éthiques peut être un moyen profond d'alléger la culpabilité des survivants, par exemple en demandant pourquoi un tel a été congédié alors que tel autre est toujours là. Cela permet également de répondre à la question de savoir comment on peut continuer à faire confiance à un organisme qui n'accepte plus la responsabilité de son propre développement professionnel ou de sa sécurité d'emploi.

Mme Parrish: Puis-je vous demander de revenir aux questions que je vous pose? Si la nature même de l'activité politique au Canada à l'heure actuelle veut qu'un parti en incrimine un autre - nous traite de porcs, par exemple, parce que nous touchons aux pensions, ou à autres choses - que peut-on mettre dans un code de conduite pour faire face à ce genre de choses? Comment faire pour qu'un tel code prévoie toutes les possibilités, tous les groupes moraux, en tout temps, alors que depuis 20 ans les règles du jeu sont d'attaquer l'autre parti, ceux d'en face, les autres protagonistes?

M. Nitkin: C'est ce qui figure dans un credo, et je suis peut-être naïf, mais je n'ai jamais considéré que le Parlement était un forum où un parti politique était là pour en attaquer un autre. Je croyais que le parti était là pour gouverner de la façon la plus éclairée possible, et nous donner ainsi une société éclairée, juste, équitable, viable. Si je me trompe...

Mme Parrish: Avez-vous jamais assisté à la période des questions?

M. Nitkin: Non seulement je n'ai jamais assisté à la période des questions, mais je n'ai même pas de poste de télévision. Je suis donc doublement inepte.

Mme Parrish: Félicitations.

M. Nitkin: Je crois comprendre la douleur que vous exprimez; ce que vous voulez dire, c'est qu'il y a des réalités peu reluisantes au Parlement. C'est un message qu'il est difficile de ne pas entendre.

Vous devez décider si cela vaut la peine de se pencher sur ces considérations. Tout ce que je peux vous dire, c'est que si vous pensez: «Je ne réussirai jamais à convaincre ces répugnants individus, cette foule d'individus déplorables», vous mettez peut-être le doigt sur la vérité. Cela dit, il y a d'innombrables et excellentes autres raisons de faire cela, et ces raisons ont trait au rôle que le gouvernement peut jouer face aux sociétés rapaces et mal administrées. En effet, le gouvernement peut constituer un filet de sécurité pour le nombre croissant de femmes et d'enfants, et de plus en plus, d'hommes seuls, qui ne réussiraient pas à survivre; le gouvernement est là aussi pour fournir tous les autres attributs positifs de la justice sociale, de l'intégrité environnementale, etc., tous ces éléments qui sont nécessaires.

Cet exercice pourrait même vous aider à préciser quel est votre rôle en tant que politique. Il pourrait, il faut l'espérer, cerner des normes plus fondamentales que cette bataille quotidienne d'épithètes et vous rassurer sur les raisons vraiment importantes pour lesquelles vous êtes là.

Mme Parrish: J'ai une dernière question, monsieur le président.

Encore une fois, vous décrivez tous les aspects positifs d'un code de conduite. À ce moment particulier de notre histoire, pensez-vous qu'il puisse y avoir un danger à nous doter soudain d'un règlement ou d'un code de conduite ou même d'une série de principes d'ordre général? Est-ce que nous ne confirmons pas les craintes du public en établissant un tel code?

M. Grainger: Au cours des six dernières années, je n'ai jamais rencontré d'organismes qui aient craint que l'adoption d'un code d'éthique, ou des discussions à cet égard, puisse être considérée comme une admission de culpabilité. Malheureusement peut-être, ils avaient plutôt tendance à penser que c'était une façon d'obtenir des bons points, des bons points que, franchement, ils ne méritaient pas étant donné certains problèmes graves, sur le plan de leurs produits ou d'autre chose. Donc, le plus souvent, c'est l'inverse. Je ne dis pas que votre raisonnement ne tient pas, mais en tout cas, il me semble peu probable.

J'aimerais vous citer un excellent exemple de cette question des conflits d'intérêts. C'est tiré du code d'éthique qui régit les titulaires de charge publique en matière de conflits d'intérêts. C'est un sujet qui ne m'est pas familier, mais certaines personnes que je rencontre dans le cadre de mon travail me disent que, pour beaucoup de gens, c'est une véritable bénédiction et que le premier ministre a eu une excellente idée en adoptant ce code. Savez-vous pourquoi? Parce que ce code fixe des directives et des normes et ne se rabaisse pas au niveau du plus petit dénominateur commun; il ne donne pas non plus l'impression que le fait d'avoir un code, de travailler avec le conseiller en éthique, ou même de s'intéresser à ces questions est un point négatif.

.1830

Franchement, c'est l'exemple le plus proche de cette chambre qu'on puisse trouver. Je ne vois même pas quel autre exemple je pourrais citer. J'espère que ce code fera ses preuves d'ici un ou deux ans, et viendra confirmer l'opinion que j'en ai, car c'est une des premières choses que le premier ministre ait pu faire dans ce domaine, et je l'en félicite.

Mme Parrish: Je tiens à remercier les témoins. En dépit des signes involontaires que j'ai pu faire, en dépit de mon ton accusateur, j'ai beaucoup apprécié cette discussion. Vous avez fait un excellent travail.

M. Nitkin: Je voudrais faire une observation. Vous avez demandé s'il y avait des aspects négatifs. Effectivement, il y en a probablement. L'organisation va peut-être devoir reconnaître qu'elle ne peut pas intégrer tout le contenu de la discussion dans le credo, se résigner au fait que certains louvoient à l'extrême limite de l'éthique, et que certains comportements sont véritablement inacceptables et peuvent causer des problèmes à une personne agissant de façon illégale, sinon immorale.

Mais cela étant dit, dans ma déclaration d'ouverture j'ai observé que la plupart des organisations avaient pour principe de ne pas laisser le mieux être l'ennemi du bien. On trouverait probablement plusieurs bonnes raisons de ne pas amorcer le processus, mais à moins d'un miracle, je ne m'attends pas à ce qu'on trouve la perfection demain matin.

Dans ce contexte, je crois qu'amorcer le processus et suivre cette voie pour la première fois, ou bien pour la seconde ou la troisième, sont des étapes qui vous permettront de vous sentir plus confiants et de satisfaire en même temps les aspirations canadiennes en ce qui concerne un bon gouvernement, un gouvernement éclairé et juste.

M. Epp: Je me demande si l'un d'entre vous a écrit un livre ou un texte, et si ce serait en vente dans les librairies. J'aimerais l'acheter.

M. Nitkin: Je ne voulais pas faire de publicité, mais vous m'avez posé la question. En 1992, EthicScan a publié un double best-seller intitulé The Ethical Shopper's Guide to Canadian Supermarket Products. Nous avons conclu une entente avec John Wiley and Sons pour faire publier trois livres sur l'éthique organisationnelle au cours des deux prochaines années, dont le premier devrait paraître en février. Je me ferai un plaisir de fournir les titres à vos attachés de recherche.

Deuxièmement, depuis sept ans nous publions régulièrement une revue intitulée The Corporate Ethics Monitor, qui a reçu beaucoup de lauriers.

Troisièmement, EthicScan prépare actuellement avec Westmount Marketing et Motion Picture Enterprises un ensemble de huit vidéos qui seront disponibles l'été prochain, vidéos qui portent sur les principes d'éthique professionnelle et sur la prise de décisions et l'éthique dans les organismes canadiens et les façons de les améliorer.

M. Grainger: Mon travail consiste surtout à concevoir des programmes d'éthique pour les entreprises, mais je suis également président de l'International Network on Ethics in the Public Service, qui a organisé la plus grande réunion de la dernière décennie pour les gens qui travaillent dans ce domaine.

Je serai aussi le premier Canadien à présider la réunion internationale qui se tiendra à Brisbane l'été prochain.

J'ai aussi préparé plusieurs documents sur plusieurs questions.

Toutefois, je devrais aussi vous dire qu'il existe un certain nombre d'excellents documents canadiens, tels que The Responsible Public Servant, de Kernaghan.

Tout comme le conseiller en éthique du Canada, j'ai sans doute le plus grand répertoire de codes au Canada - des exemples, des listes de codes. J'ai déjà dit à vos attachés de recherche que le comité peut se servir de toute cette documentation en tout temps.

M. Epp: Monsieur le président, je crois que nous devrions nous arrêter ici. Je pourrais poursuivre encore quatre heures, mais je suis sûr que personne d'autre ne voudrait le faire.

.1835

Le coprésident (M. Milliken): Je suis certain que cela les intéresserait, mais c'est plutôt une question de savoir combien d'heures ils peuvent rester, monsieur Epp.

Mme Catterall: Je pourrais rester encore une demi-heure, monsieur le président, mais je pense que plusieurs d'entre nous voudraient partir vers 19 heures.

Le coprésident (M. Milliken): Merci.

Je voudrais remercier les deux témoins d'être venus aujourd'hui. De toute évidence, vos réponses ont suscité énormément de réactions de la part des membres du comité. C'est bien. Merci d'avoir pris le temps de comparaître devant nous.

La séance est levée.

Retourner à la page principale du Comité

;