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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 6 décembre 1995

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[Traduction]

La présidente: La séance du Sous-comité des droits de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international est maintenant ouverte.

Vous voudrez bien nous excuser pour le fait que nous ne sommes que deux ici aujourd'hui, mais comme vous pouvez le constater, c'est la confusion totale à Ottawa...je ne sais pas si je devrais dire «aujourd'hui»?

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Soyez le bienvenu, monsieur Miller.

M. Robert Miller (directeur adjoint, Centre parlementaire): Merci beaucoup. Je suis très heureux d'être là.

La présidente: Il y a déjà un moment qu'on s'est vu.

Nous accueillons aujourd'hui Bob Miller, du Centre parlementaire. Nous accueillons également Magda Seydegart, du South House Exchange. Enfin, nous entendrons Cranford Pratt, professeur de sciences politiques et coauteur de l'ouvrage intitulé Human Rights in Canadian Foreign Policy.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les trois.

En règle générale, nous invitons chacun de nos témoins à nous faire un exposé, après quoi nous leur posons des questions. Cela vous va? Tout le monde est prêt?

M. Miller: Oui.

La présidente: D'accord. Vous voulez bien commencer, monsieur Pratt?

M. Cranford Pratt (témoignage à titre personnel): Je suis heureux d'avoir l'occasion de participer à votre discussion sur le rôle des considérations relatives aux droits de la personne dans la politique étrangère du Canada et sur les rôles que votre comité pourrait jouer à cet égard. Vous avez eu l'amabilité de n'en rien dire, mais le fait que je sois ici en quelque sorte comme remplaçant de dernière minute pour ma collègue Rhoda Howard, qui est aussi ma collaboratrice à l'occasion, ne fait qu'ajouter à l'honneur que vous m'avez fait en m'invitant ici.

Vous aimeriez peut-être que je vous dise un mot de mes antécédents afin de justifier ma présence devant le comité. Je suis professeur émérite à l'Université de Toronto, bien que je continue à donner mon cours d'études supérieures sur le Canada et le tiers monde. Ces dernières années, mes travaux de recherche portent sur la politique étrangère canadienne, notamment sur deux questions connexes, les droits de la personne et l'aide au développement. Comme vous l'avez indiqué, il y a quelques années, j'ai participé comme codirecteur de la publication et collaborateur à l'ouvrage intitulé Human Rights in Canadian Foreign Policy, et j'ai aussi publié récemment un ouvrage sur l'aide publique du Canada.

Je vous demanderai votre indulgence pour que je puisse vous faire un bref exposé en suivant le modèle qui me vient tout naturellement, celui d'un cours universitaire. Je veux vous exposer cinq grandes observations qui sont le fruit de ce que j'ai appris après de longues années d'études et de recherche sur les droits de la personne et la politique étrangère canadienne.

La première, et de loin la plus importante, est la proposition suivante. Avec la fin de la guerre en 1945 est venue la conviction fort répandue selon laquelle certains droits de la personne sont tellement fondamentaux et universels que la communauté internationale doit veiller à éviter la violation systématique et flagrante de ces droits par quelque État que ce soit. Le respect de la souveraineté des États, qui va bien entendu à l'encontre de cette conviction, puisque quand on a vraiment à coeur le respect des droits fondamentaux de la personne on tente par tous les moyens possibles d'avoir une influence et d'intervenir, constitue toujours un principe international important, mais il est maintenant généralement reconnu que la communauté internationale est parfaitement en droit d'intervenir quand un État viole de manière flagrante et systématique des droits humains fondamentaux comme le droit de ne pas être torturé, de ne pas être emprisonné ou exécuté autrement qu'en conformité avec la procédure judiciaire et de ne pas être délibérément privé de nourriture.

Bien d'autres droits qui sont affirmés par notre société et par les autres sociétés occidentales sont manifestement ou bien fortement influencés par notre propre culture, ou bien tout simplement irréalisables dans les pays très pauvres. Cependant, la torture, les détentions prolongées, les exécutions sans procès et la privation de nourriture ne tiennent pas à des particularités culturelles qui sont chéries par les membres de la culture en cause, mais bien à un régime oppressif. En concentrant vos efforts sur ces droits, il me semble que vous vous prémunissez contre ceux qui pourraient vous accuser d'impérialisme culturel néocolonial et de vouloir imposer vos valeurs occidentales à d'autres sociétés.

Nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'un code de conduite international qui fixe les conditions minimales que les États devraient respecter relativement au traitement de leurs citoyens. Dans les ouvrages sur le sujet, deux facteurs sont généralement évoqués pour expliquer l'émergence de ce code.

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Premièrement, quand la communauté internationale a pris connaissance après 1945 de l'ampleur de l'Holocauste, elle a acquis la profonde conviction qu'il ne fallait jamais plus permettre à quelque État souverain que ce soit de soumettre ses citoyens à des actes aussi violemment inhumains. Cette conviction a été renforcée par l'avènement des nouvelles technologies médiatiques, qui font en sorte que nous avons une connaissance directe et immédiate des actes d'oppression violents et soutenus qui se produisent dans le monde. L'éthique mondiale a ainsi fait un pas de géant et pourrait finalement transformer notre monde en un monde bien plus civilisé. Cette éthique reste toutefois très précaire et peut facilement être écartée. Voilà ma première observation.

Deuxièmement, la plupart des États, le Canada y compris, témoignent d'une attitude inégale et ambivalente quand il s'agit d'accorder une place importante aux considérations relatives aux droits humains dans l'élaboration de leurs politiques étrangères. En tout cas, c'est la conclusion à laquelle arrivent la plupart des observateurs indépendants qui s'intéressent à la politique étrangère du Canada. C'est par exemple ce que pense Terence Keenleyside, qui, à mon avis, est depuis longtemps le plus assidu et le plus objectif de ces observateurs.

Jusqu'en 1989, le Canada critiquait avec véhémence les violations flagrantes des droits humains dans les pays qui se trouvaient sous l'empire du régime soviétique et dans les pays qui n'avaient qu'une importance commerciale négligeable pour nous. Cependant, quand il s'agissait d'un pays qui était un allié des États-Unis dans la guerre froide ou qui présentait un intérêt réel ou éventuel d'une certaine importance pour les exportateurs et les investisseurs canadiens, la politique canadienne était à tout le mieux timide et ambivalente. Je parle ici de la période d'avant 1989.

Ainsi, le Canada a vigoureusement dénoncé les violations des droits humains en Afghanistan, en Pologne, en Ouganda et en Guinée équatoriale, mais a été beaucoup plus circonspect à l'égard de violations semblables au Salvador, au Honduras, en Indonésie ou au Chili pendant de longues périodes où ces États violaient les droits humains de manière flagrante.

La fin de la guerre froide, qui aurait pu amener un changement d'attitude, ne s'est pas traduite dans la pratique - pas encore en tout cas - par une ampleur accrue de l'intervention canadienne à l'égard des violations des droits de la personne. Les préoccupations commerciales ont pris encore plus d'importance dans notre politique étrangère et les manifestations d'ambivalence sont toujours fréquentes dans la politique que nous suivons à l'égard des violateurs des droits de la personne, comme l'atteste, au dire de bien des gens, la politique que nous suivons ces derniers temps à l'égard de la Birmanie, de la Chine et du Nigeria.

Cela m'amène à ma troisième observation. Étant donné que les considérations commerciales et géopolitiques l'emportent bien souvent sur les considérations relatives aux droits de la personne dans l'élaboration de la politique étrangère canadienne, les observateurs insistent souvent sur l'importance de la transparence et de la responsabilisation dans les décisions prises à cet égard afin d'atténuer ce risque. S'il y a transparence et responsabilité, on hésitera peut-être plus à écarter d'emblée les considérations relatives aux droits de la personne. À cette fin, les commentateurs et les observateurs soutiennent depuis toujours que le Parlement a un rôle très important à jouer pour ce qui est d'exercer un droit de regard sur la politique canadienne à l'égard des pays qui se rendent coupables de violations flagrantes des droits de la personne.

Je n'ai sûrement pas besoin de vous rappeler le travail du Comité Winegard, qui a fait une étude très complète de la question en 1987 et qui avait proposé un certain nombre de mécanismes très utiles pour que le Parlement soit bien informé et puisse ainsi exercer son droit de regard en toute connaissance de cause. Le gouvernement précédent n'a essentiellement tenu aucun compte de ces recommandations et l'actuel gouvernement ne les a pas encore remises à l'ordre du jour.

Il serait peut-être encore possible de donner suite à certaines de ces recommandations; je songe par exemple au dépôt devant le Parlement d'un rapport annuel sur l'aide publique au développement à l'étranger et les droits de la personne, qui serait ensuite renvoyé à votre sous-comité. C'était là une des recommandations du Comité Winegard, et le comité mixte permanent qui s'est penché sur la question il y a un an avait proposé quelque chose de semblable.

Quatrièmement, pour qu'elle soit efficace, notre politique à cet égard doit partir d'un jugement nuancé. Les droits de la personne ne peuvent être le seul déterminant de notre politique étrangère à l'égard d'un pays en particulier. Il y a forcément d'autres objectifs légitimes dont nous devons tenir compte dans notre politique étrangère, et nous devons alors faire des compromis difficiles.

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Par ailleurs, les mesures qu'il convient de prendre dépendent des conséquences probables de diverses positions politiques. Ainsi, s'il est parfaitement justifié de frapper le Nigeria de sanctions commerciales sévères, je ne crois pas qu'il soit raisonnable d'en faire autant à l'égard de la Chine. Ce serait essayer d'appliquer à tout prix la règle de la cohérence alors que les deux situations sont différentes et qu'il pourrait dans la pratique en résulter des incohérences fondamentales.

S'il faut donc peser soigneusement chaque décision pour déterminer si telle mesure dans telle situation sera efficace ou donnera les résultats escomptés, il en découle que votre sous-comité doit veiller à être suffisamment bien informé de la situation sur laquelle il veut faire des recommandations. Ainsi, il devient très important que vous ayez accès au personnel de recherche voulu et aux fonds dont vous avez besoin pour tenir des séances d'information avec les véritables spécialistes de ces questions afin que vous puissiez être bien informés et vous acquitter du rôle qu'il est extrêmement important que vous jouiez.

Voici ma dernière observation. J'estime que le sous-comité devrait se concentrer, peut-être pas exclusivement, mais de manière particulière, sur la politique canadienne envers les pires violateurs des droits humains.

Cette recommandation ne va toutefois pas, d'après la lecture que je fais des documents qu'ils ont produits, dans le sens de ce que l'ACDI et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont choisi de privilégier dans les discussions sur les moyens d'aider certains pays à améliorer leurs feuilles de route en matière de respect des droits de la personne. Le récent énoncé de l'ACDI sur le bon gouvernement, les droits de la personne et la participation démocratique est excellent. Il contient de très bonnes idées, et on a déjà commencé de mettre en oeuvre des mesures novatrices destinées à encourager et aider les pays qui souhaitent être plus efficaces à cet égard. L'aide au déroulement des élections et à la formation des juges, les conseils sur la création d'un bureau d'ombudsman et diverses activités de ce genre sont au nombre des mesures qui ont déjà été prises.

Certes, il s'agit de mesures qui doivent être encouragées, mais qui ne sont possibles que dans un nombre restreint de pays, où le régime en place veut devenir plus démocratique et accorder plus de liberté à la population et qui a besoin de conseils sur la meilleure façon de s'y prendre.

Ce ne sont pas les politiques gouvernementales de ce genre qui devraient être le principal objet de l'examen parlementaire, car les problèmes délicats sont peu nombreux. Vous devriez plutôt, selon moi, concentrer votre attention sur les politiques gouvernementales à l'égard des pires violateurs des droits de la personne, celles-là même dont on a pu constater qu'elles sont souvent bien trop influencées par des considérations politiques et commerciales. Ce sont donc les politiques canadiennes à l'égard des violateurs qui méritent par-dessus tout votre attention.

Je vous remercie.

La présidente: Mme Seydegart.

Mme Magda Seydegart (codirectrice, South House Exchange): Le dimanche 10 décembre sera la Journée internationale des droits de la personne. Je me rappelais justement une date importante, celle du 10 décembre 1983, où nous avons tenu au Canada une grande conférence nationale pour fêter le 35e anniversaire de la déclaration universelle. Ce jour-là, nous avons tenu une veille ici, sur la colline du Parlement, et la neige tombait doucement. Nous avons fêté la fin de la junte en Argentine et de la crise en Pologne, où Solidarité était engagé dans une lutte farouche avec le gouvernement.

Le 10 décembre, je ne manque jamais de penser à tel pays qui vient de se sortir d'une crise terrible ou à tel autre qui est aux prises avec une crise terrible. Aujourd'hui, je pensais à ce pays tragique qu'est la Birmanie et à ce pays plein d'espoir qu'est l'Afrique du Sud.

C'est précisément à cause de cas extrêmes comme ceux-là que je veux maintenant vous parler un peu de cette initiative en matière de droits de la personne à laquelle nous participons tous et qui est axée sur l'éducation. J'espère que ce court exposé vous permettra de comprendre le rôle de votre comité à cet égard.

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Dans ma famille, je suis au milieu de quatre générations de personnes qui s'intéressent aux droits de la personne. Mon grand-père était avocat en Pologne et défendait les droits civils; lui et les membres de sa famille se sont enfuis comme réfugiés au début de l'Holocauste. Tous les membres de la famille de ma mère et de celle de mon père ont péri lors de l'Holocauste en Pologne.

Je crois que c'est grâce à leur exemple, pas tellement à ce qu'ils ont dit qu'à ce qu'ils ont fait, que je suis aujourd'hui une personne, non pas désespérée, mais optimiste. Je crois que nous devons continuer à nous inspirer du sentiment d'espoir que nous avons les uns et les autres afin de trouver des moyens de faire en sorte que les êtres humains respectent la dignité de chaque être humain. L'éducation est un moyen d'y parvenir, et c'est pourquoi je me consacre à cette oeuvre, bien que je m'occupe aussi de divers autres secteurs d'activité relatifs aux droits de la personne.

Vous avez entendu tellement de conférenciers impressionnants et vous continuerez d'en entendre; alors, si vous le voulez bien, je m'en tiendrai à quelques observations précises.

Il existe bien des stratégies pour s'attaquer aux problèmes relatifs aux droits de la personne: la diplomatie préventive, l'intervention d'urgence, les pratiques commerciales déontologiques, la programmation et le militantisme des ONG et des collectivités, l'obligation de répondre de ses actes devant les tribunaux, le gouvernement démocratique et la stabilisation institutionnelle. Ce ne sont que quelques stratégies, mais qui sont toutes importantes.

Le travail qui se fait sur ces fronts et sur d'autres fronts doit s'accompagner d'un travail de sensibilisation aux droits de la personne afin d'en arriver à une meilleure connaissance des droits de la personne qui conduira à de nouvelles mesures, ces mesures engendrant à leur tour la réflexion, de façon que le cycle soit maintenu et élargi. Pour ma part, j'en suis venue à conclure qu'il ne suffit pas de simplement transmettre le savoir; il faut avoir des gens qui ont les compétences et les outils nécessaires pour appliquer ce savoir afin de modifier les comportements, les milieux et les coutumes au besoin, pour que la sécurité de la personne soit mieux assurée.

Je ne pense pas qu'il y ait tellement de Canadiens qui savent que nous sommes des chefs de file dans le domaine de la sensibilisation aux droits de la personne à l'échelle internationale et que nous avons mis au point ici au Canada un certain nombre de programmes qui attirent des gens du monde entier.

J'ai pris part à un de ces programmes au cours de la dernière année, c'est-à-dire en 1994-1995. Il s'agit d'un cours de formation intensive, un programme résidentiel de trois semaines qui est organisé par la Fondation canadienne des droits humains. Ce programme d'apprentissage de trois semaines attire 130 participants de toutes les régions du monde.

Le cours porte sur une multitude de questions, de l'impunité au développement durable, des droits économiques aux questions de gouvernement, des violations extrêmes à l'action préventive. La promotion des droits de la personne y est présentée dans une optique intégrée, en ce sens que les droits de la personne sont considérés comme allant de pair avec l'édification d'États et de sociétés civiles démocratiques, avec le respect pour l'environnement et avec les mesures visant à établir et à maintenir la paix et à assurer l'égalité des hommes et des femmes. Le cours est axé sur l'idée que nous devons travailler ensemble afin de nous assurer un avenir durable et que les droits de la personne sont un des fondements de cet avenir.

Les participants à ce cours ont droit, bien sûr, à un programme traditionnel de sensibilisation aux droits de la personne sous le rapport du droit international, des normes et des mesures correctives à prendre, mais ils apprennent également comment s'y prendre pour mettre sur pied une association efficace de lutte pour les droits de la personne, pour régler les luttes de pouvoir qui peuvent diviser les membres de l'association, pour traiter avec les gouvernements selon qu'ils sont favorables ou antipathiques et pour protéger et défendre les défenseurs des droits de la personne. Ils y acquièrent non seulement des connaissances, mais aussi une multitude de compétences, ou du moins la possibilité d'acquérir ces compétences.

Soit dit en passant, je tiens à vous dire que, pour certains des participants qui n'avaient connu que des méthodes d'apprentissage assez traditionnelles, il était très difficile d'appliquer dans la pratique ce qu'ils apprenaient, mais au bout des trois semaines ils y arrivaient - parfois avec un peu de réticence, mais ils y arrivaient quand même - et ils comprenaient l'utilité d'appliquer ces connaissances à leur vécu.

Ces participants étaient des militants, des juges, des enseignants, des avocats, des défenseurs des libertés et des fonctionnaires. Nous avions aussi dans notre groupe un chef héréditaire d'Afrique australe. Mais c'était un groupe absolument formidable. Ces trois semaines ont été l'occasion de discussions et d'échanges. Les participants ont appris à se connaître les uns les autres, et cela a été une occasion d'apprentissage extraordinaire. À la fin du cours, ils n'avaient que des éloges à faire, disent que l'expérience avait changé leur vie.

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Il s'agit seulement d'un exemple parmi tant d'autres. Je crois que le Canada fait de l'excellent travail, et les deux personnes qui sont ici aujourd'hui participent à des programmes de formation très intéressants destinés aux juges et aux avocats, aux cadres universitaires, aux employés d'institutions nationales, de commissions des droits de la personne, de bureaux d'ombudsman, aux syndicats, aux permanents syndicaux, aux travailleurs et aux femmes. Et ma liste est loin d'être exhaustive.

Ce n'est non pas que nous sommes partout à la fois, mais nous faisons toujours de l'excellent travail, et ce travail se répartit dans le monde entier. C'est que nous avons les connaissances et les compétences voulues et que nous savons nous en servir. C'est quelque chose que nous avons à offrir.

Voilà un des points que je voulais aborder avec vous. Nous avons des compétences dans ces domaines, et j'estime que nous pourrions les utiliser de façon encore plus efficace.

Comment savons-nous que l'éducation en matière de droits de la personne est un moyen efficace pour réduire les violations de ces droits, pour élaborer une éthique généralisée du respect de la dignité inhérente de l'être humain et pour ancrer une société civile saine?

Premièrement, toutes les grandes religions du monde se fondent sur les principes de la tolérance et du respect. Ces principes ne sont pas l'apanage exclusif d'un ensemble de valeurs ou d'une vision du monde en particulier.

Deuxièmement, les particuliers, les organismes, les gouvernements et les mouvements qui, dans leurs actions, tiennent compte des principes relatifs aux droits de la personne ont tendance à donner des institutions et des sociétés qui sont non seulement plus honnêtes, plus équitables et plus justes, mais qui sont aussi plus sûres et plus durables.

Troisièmement, j'estime que l'éducation aux droits de la personne est une stratégie efficace parce qu'il est impossible de briser le cycle de la violence et de l'oppression tant que les gens ne comprennent pas qu'il existe d'autres régimes qui se fondent sur des normes et des principes universels et qu'eux-mêmes méritent justice et sécurité.

Malheureusement, ce message est trop souvent oublié dans la course aux gains matériels, aux privilèges ou aux pouvoirs sur les autres. L'éducation aux droits de la personne doit donc être offerte tant à l'oppresseur qu'à l'opprimé, tant à l'agresseur qu'à la victime. Elle doit aussi être mise à la disposition de ceux qui sont témoins d'actes d'injustice ou d'exploitation et qui, bien qu'ils soient innocents, du fait qu'ils refusent d'intervenir, contribuent à perpétuer l'injustice ou l'exploitation.

Si les efforts personnels et les convictions profondes des employés et des administrateurs des organismes qui offrent des programmes d'éducation en matière de droits de la personne sont sans aucun doute un facteur déterminant du succès de ces programmes, l'aide financière assurée par le gouvernement canadien, par l'entremise du ministère des Affaires étrangères, de l'ACDI et du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, n'y est certainement pas étrangère.

Les Nations Unies ont déclaré que la décennie de 1995-2004 serait la décennie de l'éducation aux droits de la personne. Le gouvernement du Canada pourrait, sans qu'il lui en coûte beaucoup, documenter le rôle de chef de file que joue le Canada dans ce domaine et faire connaître à l'échelle tant nationale qu'internationale les réalisations sans cesse plus nombreuses des Canadiens à cet égard. Il pourrait également demander à ces organismes d'évaluer l'impact des programmes passés et présents afin d'améliorer ses activités futures. Le gouvernement canadien pourrait montrer qu'il continue à être attaché au respect des droits de la personne en appuyant le mouvement grandissant en faveur de l'éducation aux droits de la personne.

Je fais partie d'un nouveau groupe international qui s'appelle la Commission internationale indépendante d'éducation aux droits de la personne. Notre commission prépare un rapport dans le style du rapport Brundtland qui sera le fruit d'une consultation mondiale sur les avantages, les méthodes et les conséquences possibles de l'éducation aux droits de la personne. Ce rapport devrait être une contribution importante dans le cadre de la décennie des Nations Unies, mais, plus que cela, nous espérons qu'il contribuera à stimuler encore davantage l'activité dans ce domaine. Je crois que le gouvernement canadien devrait envisager d'appuyer cet effort et d'autres efforts positifs de ce genre.

Nous aussi, au Canada, nous sommes aux prises avec de nouveaux problèmes. La restructuration économique de notre société et la réduction radicale des dépenses sociales ont pour effet de polariser encore davantage notre société, l'écart entre riches et pauvres se creusant davantage et la classe moyenne se rétrécissant et devenant de plus en plus précaire.

La première série de compressions annoncées récemment en Ontario constituent des attaques directes contre les femmes et les défavorisés. D'un trait de plume on a effacé le gain réalisé sur le plan de l'égalité des femmes. Les secteurs public et privé n'offrent que peu d'espoir aux chômeurs ou à ceux qui ont un emploi précaire. Les compressions qui touchent l'infrastructure, la protection et les services aux défavorisés et à la nouvelle classe de pauvres nous coûteront sans doute de plus en plus cher parce qu'elles contribueront à l'accroissement des tensions dans les collectivités, de la violence dans les familles et dans les rues et de l'intolérance et de la haine à l'égard des minorités raciales.

Ce sont là autant d'éléments qui nous rapprochent des facteurs qui sont à l'origine de la misère qu'on connaît dans d'autres régions du monde. Bien sûr, les cas extrêmes sont évidents. Mais qu'il s'agisse de respect des droits de la personne, de tolérance de la diversité ou d'efforts pour promouvoir l'égalité des chances, l'objectif ultime est toujours le même: la paix sociale. Comme nous pouvons le constater dans d'autres sociétés, l'absence de paix sociale est dangereuse, elle coûte cher, et tout le monde y perd. La création d'emplois, les commerces et les affaires en sont particulièrement touchés.

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Quand nous fêterons la Journée internationale des droits de la personne le 10 décembre prochain, nous devrions être fiers du travail d'éducation aux droits de la personne que nous faisons à l'échelle internationale et réitérer notre engagement à poursuivre ce travail. Nous devrions aussi réfléchir à la triste réalité que vivent les gens dans nos collectivités canadiennes. Les éducateurs en droits de la personne ont beaucoup de travail à faire au Canada. Peut-être que ce que nous avons appris à l'échelle internationale nous aidera à traverser la période difficile qui nous attend.

Voilà qui met fin à mon exposé.

La présidente: Merci.

Monsieur Miller.

M. Miller: Merci beaucoup, madame la présidente, pour m'avoir invité à participer à cette table ronde.

Je suis pour ma part très heureux de voir le sous-comité entreprendre ses travaux. Comme vous le savez, j'ai eu un rôle à jouer dans la création d'un sous-comité semblable à celui-ci lors de la dernière législature. Ce sous-comité a joué un rôle utile à l'époque, et, dans le contexte actuel, où la politique étrangère du gouvernement est axée sur les questions économiques, je crois qu'il est important qu'il y ait un endroit au Parlement où il soit possible d'exprimer d'autres préoccupations. Je vous offre donc mes meilleurs voeux de succès dans votre travail. Je crois que c'est un travail extrêmement important, et je vous souhaite beaucoup de succès.

Je suis désolé, mais je n'ai pas pu préparer mon exposé à temps pour qu'il puisse être traduit et vous être remis. Je m'inspirerai donc de notes que j'ai ici. Comme j'ai été absent pendant un certain temps, je n'ai tout simplement pas pu faire traduire le document.

Je voudrais aborder très brièvement trois points. Tout d'abord, je vous dirai un mot au sujet du travail international du Centre parlementaire, l'organisme pour lequel je travaille. Deuxièmement, je vous parlerai du travail que fait le centre et que font d'autres organismes pour vous dire où nous nous situons dans le spectre des activités qu'englobe la politique des droits de la personne. Enfin, je ferai une recommandation quant au travail du sous-comité.

Tout d'abord, le centre parlementaire, comme vous le savez, a été fondé il y a 25 ans pour appuyer le Parlement du Canada. Au fil des ans, nos employés ont travaillé en étroite collaboration avec les comités des affaires étrangères et de la défense tant de la Chambre des communes que du Sénat ainsi qu'avec les associations interparlementaires. Dans une certaine mesure, nous continuons à jouer ce rôle. Un des associés du centre travaille à l'étude sur le commerce qu'a entreprise le Comité des affaires étrangères de la Chambre.

Dans le cadre de son travail, le centre a acquis énormément de connaissances et de savoir-faire en ce qui concerne les rouages du Parlement et les moyens de renforcer les institutions parlementaires. Depuis notre fondation, nous effectuons des recherches sur la démographie parlementaire canadienne. Ainsi, il y a quatre ans, nous avons publié une étude importante intitulée «La colère à l'égard du régime», qui explorait les origines du mécontentement politique au Canada. Pendant plus de 20 ans, nous avons publié un magazine intitulé Le gouvernement parlementaire.

Comme bien d'autres institutions canadiennes, nous avons constaté qu'on s'intéresse énormément à l'échelle internationale au savoir-faire et aux connaissances que le centre a acquis ici au Canada.

Nous nous sommes donc donné une dimension mondiale. Avec l'aide financière du ministère des Affaires étrangères, de l'ACDI, du CRDI, et peut-être aussi de la communauté internationale, le centre a établi des programmes de coopération parlementaire en Afrique australe et en Afrique du Sud, en Russie et dans trois pays du Sud-Est asiatique, le Viêt-nam, le Cambodge et la Thaïlande. Aide technique, formation, ateliers, colloques, échanges et recherche sont autant d'activités qui font partie de ses programmes.

Je veux maintenant vous donner un exemple complet pour vous donner une idée du genre de travail que nous faisons. J'arrive tout juste d'une visite de trois semaines au Viêt-nam et au Cambodge. Au Viêt-nam, j'étais en mission avec les représentants de deux autres organismes, un grand cabinet d'avocats canadien et une entreprise de génie civile, pour lancer un programme d'aide aux responsables de l'action gouvernementale.

Il s'agit essentiellement d'un projet financé par l'ACDI qui vise à permettre à trois institutions du gouvernement vietnamien de profiter du savoir-faire canadien: le groupe consultatif du premier ministre, qui est une espèce de groupe de réflexion rattaché au bureau du premier ministre; un projet environnemental du ministère des Transports; et l'Assemblée nationale du Viêt-nam.

Le Centre parlementaire est le principal responsable de l'élaboration du programme pour l'Assemblée nationale. L'idée est essentiellement d'établir un canal d'information entre les systèmes législatifs des deux pays. Le Viêt-nam ayant entrepris une libéralisation massive de son économie, il devra modifier beaucoup de ses lois. Bien que le processus demeure fermement sous l'autorité du Parti communiste, la constitution de 1992 autorise les institutions étatiques, notamment l'Assemblée nationale, à jouer un rôle plus considérable dans l'élaboration et la mise en oeuvre des lois. Le projet auquel nous participons est un instrument international destiné à renforcer le travail de l'Assemblée nationale à ce chapitre.

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Vous vous demandez sans doute ce que tout cela a à voir avec les droits de la personne. En bref, c'est une façon d'aborder les droits de la personne qui a été exprimée pour la première fois dans le rapport du Comité mixte spécial sur les relations extérieures du Canada en juin 1986. Dans le chapitre sur les droits de la personne, le comité appuyait la vision traditionnelle de ce que l'on appelle «la protection des droits de la personne», ayant recours à divers instruments tels que la censure diplomatique, la conditionnalité dans l'aide et les échanges commerciaux, les sanctions, etc., particulièrement dans les cas de violations flagrantes et systématiques des droits de la personne.

Toutefois - et j'insiste là-dessus - le comité a affirmé qu'il fallait faire encore plus, et je cite:

Cette recommandation est à l'origine de la création subséquente du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique à Montréal et des divers programmes de l'ACDI en matière de développement et de gouvernement démocratiques. Mes collègues du Centre parlementaire et moi-même avions affirmé que le renforcement parlementaire devrait faire partie intégrante des programmes de développement de la démocratie de l'ACDI, et je vous annonce avec plaisir que l'on a suivi ce conseil.

J'ai maintenant une suggestion à faire au comité qui découle de la description que je vous ai faite des travaux du centre et de sa genèse. Ayez à coeur l'avancement des droits de la personne tout autant que la protection de ceux-ci. Par tous les moyens, jetez la lumière sur les violations flagrantes et systématiques des droits de la personne. Les événements récents au Nigeria illustrent la nécessité pour vous d'être vigilants en permanence. Mais une politique des droits de la personne ne peut se réduire simplement à identifier les vilains et les hommes de main d'un régime, et à les traîner en justice, même en supposant que certains gouvernements soient prêts à le faire.

Le problème des droits de la personne fait partie intégrante d'un problème beaucoup plus vaste, celui du gouvernement et du développement. Comment gouverner le navire de l'État sans nuire aux groupes ou aux individus? Comment favoriser l'unité nationale sans engendrer des conflits nationaux? Comment réduire la taille et le pouvoir du gouvernement sans nuire aux plus vulnérables? Voilà quelques-unes des grandes questions des droits de la personne que l'on débat à l'échelle planétaire, tout autant que chez nous, au Canada.

Au Viêt-nam, des éléments puissants au gouvernement craignent qu'en libéralisant l'économie on ne fasse surgir d'énormes disparités dans la richesse. Cela fait partie du mandat et des responsabilités du PAIP de se pencher sur cette question en tirant des leçons de l'expérience du Canada. Dans ce secteur des droits de la personne, ce sont l'engagement et le dialogue qui sont les instruments de choix.

Dans le cadre de ses travaux, le sous-comité devrait s'intéresser de près à ce genre d'activités. Ces activités sont-elles guidées sincèrement par des valeurs, ou traduisent-elles simplement de l'opportunisme et la recherche d'un nouveau débouché pour d'anciennes compétences?

Pour ce qui est du renforcement du système parlementaire, j'ai une recommandation précise à faire: votre sous-comité devrait se demander quel rôle il peut jouer directement en tissant, par exemple, des liens avec des comités homologues d'autres parlements ailleurs dans le monde et en ouvrant directement avec eux le dialogue dont je viens de parler. Autrement dit, le Parlement devrait agir, et non pas simplement observer ou commenter ce qui se passe sur la scène internationale en matière de droits de la personne. Comme le suggère Cranford Pratt, vous pourriez commencer par vous limiter à certains cas qui vous préoccupent particulièrement. Toutefois, votre sous-comité et même le Parlement dans son ensemble devraient savoir qu'il y a des façons pour eux de s'engager directement, façons auxquelles ils n'ont pas encore songé.

La présidente: Merci.

Monsieur Morrison.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Je n'ai pas de questions pour l'instant.

La présidente: Très bien.

Il y aurait beaucoup de choses à dire, mais comme je l'ai affirmé au début, il est important que nous n'utilisions pas le comité comme une tribune pour nous convaincre que nous avons à coeur les droits de la personne alors que les absents s'en fichent.

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J'ai une ou deux questions moi-même.

Professeur Pratt, pourquoi devrions-nous viser le Nigeria, et non pas la Chine ou l'Inde? Nous savons que les violations y sont tout aussi graves qu'au Nigeria. Comment justifier la chasse aux petits si l'on ne fait rien contre les gros?

M. Pratt: Le facteur le plus important, ce n'est pas leur taille les uns par rapport aux autres, mais plutôt les conséquences que notre geste peut avoir. J'imagine qu'au départ on pourra se demander de façon purement intellectuelle si les conséquences que peuvent avoir nos gestes doivent entrer en ligne de compte ou pas. D'aucuns le réfuteraient certainement et diraient qu'il faut être fidèle à ses principes. Mais comme je crois que la politique étrangère est une arène dans laquelle on se doit de soupeser les conséquences, je crois tout autant qu'il faut adopter une politique différente pour le Nigeria par rapport à la Chine, et qu'il faut se demander quelles peuvent être les conséquences probables de la décision unilatérale du Canada de boycotter des échanges commerciaux, si on prend cela comme exemple.

Je ne suis pas un spécialiste de la Chine, mais d'après ce que je comprends, un boycott quelconque n'aurait aucune influence sur le gouvernement chinois, et serait même traité avec dédain. Nous serions immédiatement remplacés par d'autres États industriels, nos concurrents, sur le marché des échanges commerciaux avec la Chine, et nous ne pourrions pas aider les processus d'évolution internes de la société, qui sont les seuls à pouvoir favoriser une évolution. Rien ne se fera de l'extérieur.

Dans le cas du Nigeria, toutefois, l'opinion internationale est à bien des égards prête à intervenir de façon musclée. Une action de notre part ne serait donc ni solitaire ni dérisoire, mais elle viendrait renforcer de façon musclée les initiatives déjà demandées par Mandela, par exemple. Le Nigeria est un pays qui, contrairement à la Chine, a à la base une société civile qui peut régir. Il existe là-bas une classe politique civile très forte qui est extrêmement mécontente de la férule militaire. En Chine, on trouve bien sûr certains individus extrêmement courageux, mais on ne sent pas un mouvement déjà prêt à gouverner la Chine, avec un peu d'appui de l'extérieur.

Je n'ai pas nécessairement raison ni dans un cas ni dans l'autre, mais il faut tenir compte de ces détails avant de prendre une décision et d'opter pour une politique plus nuancée, comme je l'ai laissé entendre.

La présidente: Vous avez dit qu'il ne fallait pas confondre les violations des droits de la personne avec les différences culturelles; vous en avez mentionné quelques-unes, mais où tracer la ligne? Prenons, par exemple, la mutilation des organes génitaux. S'agit-il d'un jugement culturel de notre part? Même dans les pays qui la pratiquent, il y a du pour et du contre. D'aucuns affirmeront que cela n'a rien à voir avec la religion, et que c'est une tradition culturelle moussée par les fondamentalistes. Comment faire la distinction entre ce qui pourrait être une de nos valeurs à nous et des valeurs universelles?

M. Pratt: C'est un excellent exemple, et je ne voudrais pas me défiler, mais j'aimerais vous donner un exemple plus facile: prenez le droit, accepté dans notre société, d'épouser la personne de votre choix. Voilà clairement quelque chose de culturel. En effet, dans certaines sociétés, les parents manqueraient à leurs obligations s'ils permettaient imprudemment à leur fils ou à leur fille d'épouser à 18 ou à 19 ans la personne dont ils se sont entichés.

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Voilà un exemple. Pour ce qui est de la mutilation des organes génitaux, il faudrait vous demander si, dans la société en question, vous avez véritablement le sentiment que vous rejetez du point de vue moral cette pratique. Dans la négative, peu importent les bonnes intentions que vous puissiez avoir, votre combat ne mènera à rien, car il sera ressenti comme de l'impérialisme culturel, pour utiliser un slogan du marché politique.

La présidente: Vous avez parlé de l'importance de l'éducation. Je conviens avec vous que c'est la seule chose qui permettra aux gens de sortir de la pauvreté et, en bout de piste, de mettre un terme aux violations des droits de la personne dans leur propre pays.

Mais prenons le cas où il semblerait nécessaire d'informer les Canadiens, par une campagne publique, de certaines violations des droits de la personne: faudrait-il le faire de façon générale ou spécifique? Si on décide de les informer de façon spécifique, ne risquerait-on pas d'offenser les pays avec lesquels nous avons des échanges commerciaux, ou avec lesquels nous espérons en avoir, en étalant sur la place publique ce que nous estimons être des violations?

J'ai en tête la fois où la Chine a annulé un contrat qu'elle avait signé avec une entreprise canadienne parce qu'un parlementaire avait dénoncé les violations des droits de la personne en Chine. Le problème est grave. Le Canada affirme qu'il ne peut plus se permettre de protéger par un filet social ses propres citoyens alors qu'il prétend, en même temps, favoriser l'évolution sociale ailleurs dans le monde. Ne courons-nous pas le même risque? Comment s'en sortir? Nous ne voulons pas que notre comité se contente d'en discourir, mais plutôt qu'il agisse de façon utile.

Mme Seydegart: Il est assez ardu de déterminer jusqu'à quel point les parlementaires peuvent défendre les droits de la personne dans d'autres pays, à cause de toutes les ramifications que cela peut avoir. Si vous me permettez, votre comité pourrait notamment se demander comment il est possible de surveiller ce qui se passe au Canada et ailleurs dans le monde en se fondant sur l'éthique des droits de la personne plutôt que sur ce qu'il faut faire pour promouvoir les intérêts économiques du Canada.

Je ne dis pas qu'il ne faut pas en tenir compte, car il faut en tenir compte. Mais il faut quand même se fonder sur des valeurs lorsque l'on parle d'aspirer à une société civile stable au Canada et à l'étranger.

Le paradigme des droits de la personne me semble être une base utile sur laquelle vous pouvez ériger votre discours sur les sociétés civiles stables: en effet, cela vous permet de n'être ni ambigus ni ambivalents, et l'on ne peut vous accuser d'exiger certaines choses arbitraires de certains pays alors que vous faites exactement le contraire chez vous.

C'est un grand défi que doit relever votre comité, d'une certaine façon, mais si l'écart est trop grand entre ce que vous faites au Canada et ce que vous affirmez à l'étranger, vous perdrez alors toute possibilité d'avoir quelque influence que ce soit à l'étranger. Le Canada a la chance d'être un véritable chef de file sur le plan international dans la restructuration de sociétés qui visent à devenir équitables et durables.

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Je ne crois pas avoir répondu vraiment à votre question. Mais j'ajouterais que tout effort en matière de droits de la personne suppose une certaine intrusion, puisque le Parlement devra se prononcer publiquement contre les violations les plus affreuses aggressives. Il n'y a qu'à songer à ce qui se passe au Nigeria, en Chine, en Birmanie et au Burundi. Mais, en même temps, il faut que d'autres efforts visent le long terme et servent à informer les parlementaires et les écoliers, tout en tissant des liens, au Canada et à l'étranger. Vous auriez tort d'opter pour un mandat à l'exclusion de l'autre. Vous devez à la fois vous attaquer à une crise urgente comme au long terme.

Après tout, comment envisager une paix culturelle dans les sociétés telles que celles du Moyen-Orient, où au moins deux ou trois générations n'ont pas la moindre idée de ce qu'est la paix? Ils n'en ont qu'une idée théorique, c'est tout. Voilà pour le long terme.

M. Miller: Puis-je ajouter quelques commentaires à ce qui s'est dit?

D'abord, revenons au Nigeria et à la Chine: il ne s'agit pas de choisir de se concentrer sur l'un des deux et d'oublier l'autre, puisque les deux cas sont différents et exigent des façons de faire différentes. D'après moi, la distinction entre le Nigeria et la Chine vient de ce que le premier est un régime et l'autre un système.

Le régime nigérian n'a, au fond, aucune base morale, ni même systématique. Même selon les normes africaines, c'est maintenant un régime de renégats, qui n'est au pouvoir que parce qu'il contrôle les armes - seulement cela. Or, non seulement le régime en est conscient, mais aussi la société nigériane.

Quant à la Chine, c'est un système politique complexe qui a son développement en main. Il s'appuie sur une puissante tradition. Même si nous pouvons avoir de nombreux doutes sur la nature de ce système, on ne peut tout de même pas l'aborder comme si c'était simplement une aberration morale créée par une bande de brutes.

Je répète donc qu'une politique des droits de la personne doit dépasser la simple identification des méchants de ce monde, dans le but de les bouter hors du pouvoir.

Le Canada aura la possibilité d'ouvrir le dialogue avec la Chine, voire de la critiquer, dans la mesure où il tissera avec elle des liens serrés et s'engagera à son égard. Acceptons le fait que si nous croyons honnêtement dans nos propres convictions et si nous nous prononcons en étant fidèles à nos principes, il nous faudra de temps à autre en payer le prix. Si la société canadienne en vient à refuser de payer un prix économique pour défendre les valeurs sur lesquelles elle a édifié son ordre social, alors elle fera faillite.

Il ne restera plus rien non plus de notre système économique. Thomas Friedman a écrit il y a un ou deux mois dans le New York Times un article fascinant dans lequel il signalait que le monde des affaires américain était maintenant quelque peu désenchanté de la Chine. Pourquoi? Parce qu'un régime qui se désintéresse des droits de ses citoyens se désintéresse également des contrats qu'il a conclus avec des sociétés étrangères, entre autres choses. Les grandes compagnies sont donc soumises à des décisions arbitraires ou à des luttes de pouvoir au sein de la structure politique, et à bien d'autres événements. On prend un peu plus au sérieux maintenant ces questions.

Deuxièmement, j'aimerais vous mettre en garde contre la tentation de ne vous concentrer que sur les pires cas. Vous risquez alors de perpétuer ce que j'appellerais, faute de mieux, une attitude de «missionnaire» à l'égard du reste du monde, attitude qui convient de moins en moins.

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L'Asie a une image assez peu reluisante de la façon dont nous considérons les droits de la personne. Ce n'est pas seulement qu'elle tente de contrer notre influence, mais aussi à cause de certaines caractéristiques particulières de la société nord-américaine. Pour les Asiatiques, beaucoup de choses chez nous les révoltent pour des raisons sociales et morales. L'idée qu'ils pourraient se transformer délibérément en une société comme la nôtre, qui présente certaines caractéristiques, etc., leur répugne. Elle leur est tout à fait inacceptable.

Si je tiens à le préciser, c'est parce que nous devons nous habituer de plus en plus au fait que notre politique des droits de la personne à l'échelle internationale est un dialogue, et non pas un monologue que nous, qui avons des valeurs morales, adressons à ceux à qui il faut faire la leçon. Ce n'est pas ainsi que les Asiatiques perçoivent la question. Or, si nous abordons la question sous cet angle-là, nous n'avons aucune chance d'ouvrir le dialogue et de tisser des liens.

J'ai déjà dit ce que je pensais du rôle du sous-comité. J'ajouterais qu'il n'est pas si important que cela que votre sous-comité choisisse un sujet plutôt qu'un autre, car vous pourriez faire beaucoup de choses très utiles. Je crois que vous voudrez plutôt réfléchir au créneau que vous occupez dans le régime politique canadien, créneau qui vous permettra d'apporter votre contribution et de faire bouger les choses.

Puisque vous formez un comité du Parlement, vous avez la possibilité de convoquer des témoins du gouvernement, vous pouvez obliger - peut-être est-ce un mot trop fort - des gens à vous fournir certains documents, certains renseignements, que d'autres obtiendraient plus difficilement. Vous pouvez former une tribune permettant aux Canadiens de partout de se prononcer et de faire des suggestions au Parlement. Vous pourriez essayer, de façon beaucoup plus délibérée que ne l'ont fait d'autres comités dans le passé, d'influencer vos collègues.

Il ne s'agit pas tant de réfléchir aux sujets que vous allez choisir en particulier, car la liste est inépuisable, mais plutôt de vous demander, vu votre engagement et la composition politique du comité, entre autres choses, comment vous pouvez devenir un outil d'influence, si modeste soit-il, au sein du système politique canadien. Si vous y parvenez, si vous réussissez à façonner cet outil, peu importent les domaines d'action que vous aurez choisis, les résultats n'en seront que meilleurs, car vous vous serez investis dans la tâche.

La présidente: Merci.

Monsieur Morrison.

M. Morrison: Monsieur Pratt, vous avez abordé une question dont ont également fait état tous les membres de la table ronde: vous avez laissé entendre que nous n'avions pas un grand rôle à jouer en tant que puissance commerciale dans le monde qui cherche à exercer une certaine influence sur les pays dont le dossier en matière de droits de la personne est peu reluisant. En effet, la plupart de nos échanges commerciaux se font avec les pays du G-7. Cela ne nous donne pas une grande marge de manoeuvre, particulièrement avec les Chinois, pour qui il importe peu que nous négociions ou non avec eux.

M. Pratt: C'est exact.

M. Morrison: Le Nigeria est sans doute un meilleur exemple, puisque nous achetons énormément de pétrole de ce pays. Si nous cessions d'en acheter, peut-être serions-nous aisément remplacés. Je n'en sais rien, car je ne connais pas très bien cet aspect du commerce.

J'aimerais savoir ce que M. Pratt et les autres membres de la table ronde pensent de mon principe favori, à savoir qu'un pays ou un gouvernement ne devrait accorder aucune aide étrangère à des pays qui ne respectent pas les droits de la personne.

Nous fournissons de l'aide à la Chine. Je ne crois pas que la Chine en ait besoin, au départ, car son économie est plus florissante que la nôtre. En second lieu, je suis d'avis que nous avons tort d'aider ces pays en leur fournissant de l'aide, mais nous achetons les pays en question pour les inciter à avoir des échanges commerciaux avec le Canada. Il faut reconnaître que c'est ce que nous faisons, non seulement avec la Chine, mais aussi avec plusieurs autres pays.

Qu'en pensez-vous? En théorie, l'aide doit servir à aider la population. Je ne suis pas sûr si cela fonctionne vraiment, mais on peut supposer que c'est ce qui arrivera en bout de piste, que grâce à notre aide la population profitera de services de santé publique et d'autres services encore. Qu'est-ce qui est le plus important: que nous continuions à distribuer nos largesses, ou que nous montrions notre mécontentement auprès des pays visés en refusant de signer d'autres chèques?

M. Pratt: Je crois que nous sommes plus ou moins du même avis. Ce qui est intéressant, c'est que cette question a déjà été posée de façon spécifique et que le Comité Winegard y a répondu de façon utile, à mon avis.

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Selon le comité, le gouvernement ne devrait plus consentir de l'aide au gouvernement d'un pays qui viole très gravement les droits de la personne, car l'assistance consentie de gouvernement à gouvernement sert inévitablement à renforcer les actions du régime, alors qu'il y a d'autres façons d'atteindre les groupes de citoyens, les collectivités paysannes dans le besoin, par le truchement d'ONG... Si les ONG ont une plus grande marge de manoeuvre, comme c'est souvent le cas, dans des pays oppresseurs qu'une agence d'aide officielle canadienne, alors c'est vers les ONG qu'il faut concentrer votre aide, mais cessez votre aide bilatérale.

Le Comité Winegard a appuyé fermement et à l'unanimité ce principe. Or, même si ce principe trouve une vaste audience dans la littérature spécialisée, il n'a jamais été approuvé par le gouvernement pour les raisons mêmes que vous avez énoncées, à savoir que certains des plus grands contrevenants - l'Indonésie, à l'origine du génocide au Timor oriental - peuvent être des partenaires commerciaux de taille pour le Canada. Non seulement en Chine, mais aussi ailleurs en Asie, le programme d'aide du gouvernement est devenu à bien des égards, voire principalement, un instrument de pénétration pour des fins commerciales. Voilà l'explication.

Vous voyez bien - et Bob Miller et moi illustrons ce désaccord de façon éloquente - que l'on ne s'entend pas toujours sur le mode d'action à choisir. Nous affirmons tous les deux - vous l'avez dit, et je le sous-entend moi aussi - qu'il ne s'agit pas pour le gouvernement de choisir un modèle d'action au détriment de l'autre. La grande question est de savoir ce que vous quatre vous allez faire. Vous percevez les limites de votre contribution, mais il vous faudra néanmoins prendre des décisions difficiles. Vous devrez dire: «Quelqu'un d'autre doit être sensible à la question, mais nous devrons choisir si nous voulons vraiment exercer quelque influence.»

Le type d'activités dont vous parlez, monsieur Miller, et que vous avez entreprises de façon si utile, me semblent démontrer tant d'imagination et de compétence que je ne vois pas pourquoi il faudrait avoir un chien de garde. Mais je crois néanmoins qu'il reste toujours nécessaire d'avoir un chien de garde parlementaire, s'il faut prendre des décisions beaucoup plus difficiles, qui font intervenir le type de facteurs dont parlait M. Morrison et qui ne font que diminuer toute conscientisation aux dimensions des droits de la personne, lorsque l'on a affaire aux pires des contrevenants.

Voilà pourquoi j'ai insisté pour parler de votre action à tous les quatre. Mais si je m'adressais à l'ACDI, je lui conseillerais de faire ce que suggère Bob.

M. Miller: Laissez-moi vous expliquer pourquoi je ne crois pas... Au fond, je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Pratt, puisque je crois comme lui qu'il est extrêmement important de réagir devant les situations extrêmes. Pour revenir à ce que j'ai dit au sujet de votre créneau, vous pouvez faire office de projecteur, et profitez-en.

J'ai toujours en mémoire la visite, il y a quelques années, d'un comité parlementaire en Équateur; enfin, je ne me rappelle plus s'il s'agissait vraiment de l'Équateur, mais il s'agissait d'un pays qui ne violait pas de façon systématique les droits de la personne. Plusieurs membres du comité ont visité un prisonnier, et ce prisonnier a expliqué à quel point cette visite avait de l'importance pour lui. Il a expliqué que les députés étaient sous les feux de la rampe et que, parce que le gouvernement serait mis au courant, les prisonniers seraient peut-être plus en sécurité qu'auparavant, étant donné que les visites prouvaient que les parlementaires connaissaient l'existence et la souffrance des prisonniers. Vous voyez comme c'est important.

Mais ce n'est pas si simple que cela, pour la raison qu'a énoncée M. Morrison. Je suis d'avis que dans le cas de la Chine - et aussi du Viêt-nam - il est extrêmement important pour le Canada d'instaurer le dialogue qui vient de pair avec les programmes de gestion publique: en effet, c'est une occasion en or pour nous de nous renseigner sur ce qui se passe dans des régions importantes du monde et d'influer sur l'évolution de la politique dans ces pays.

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Nous n'avons aucune chance d'exercer une quelconque influence si notre façon de faire, c'est de juger ces pays de façon globale, car ils n'accepteront certainement pas nos prémisses. Mais ces pays savent qu'ils ont beaucoup à apprendre de nous sur la façon de gérer des politiques publiques complexes, y compris la façon de gérer l'équilibre de la croissance économique et la répartition de la croissance dans leur société, ce qui est considérée comme une des grandes questions des droits de la personne dans notre pays et dans d'autres pays aussi. Le Canada a la possibilité de jouer un rôle accru dans l'aide qu'il fournit de cette façon à ces pays.

Voilà pourquoi il est important de suivre cette activité, car elle pourrait servir de véhicule à des échanges honnêtes, et non pas, comme je le disais plus tôt, à une simple exploitation des compétences pour lesquelles le Canada n'a plus de débouchés, comme c'est le cas pour les fabricants de cigarettes, qui mettent désormais en marché leurs articles dans le Tiers monde.

Je pense qu'il existe, pour ce genre de travail, un besoin et la possibilité de répondre à ce besoin, mais je pense qu'il faut y prêter attention, car je pense que c'est lié à la réponse à la question soulevée par M. Morrison: dans quelles circonstances devrons-nous nous engager auprès de pays dont les régimes sont fondamentalement différents du nôtre?

Je prétends que c'est une façon utile de le faire, à la condition que ce soit sincère.

La présidente: Merci.

Vous dites constamment que le Canada doit trouver son créneau. Vous avez évidemment tous des idées à ce sujet. Il doit y avoir quelque chose que nous faisons bien dans le domaine des droits de la personne dans le monde. Pouvez-vous nous faire des suggestions à cet égard?

Monsieur Pratt?

M. Pratt: J'ai tellement l'habitude de critiquer qu'il est difficile pour moi de répondre à cette question. Je dis ça à la légère.

Je vais rester fidèle à mon idée principale. Nous sommes, comparativement au reste du monde, un pays assez sûr et assez riche; nous sommes donc davantage capables de faire preuve de leadership pour mobiliser l'opinion internationale contre les violations graves.

Je pense que c'est notre principal atout. Permettez-moi de souligner encore une fois le fait qu'aux Nations Unies - nous n'avons pas beaucoup parlé de leurs institutions - l'idée qu'il y a des droits de la personne qui sont fondamentaux commencer à se répandre de façon générale.

Mes contacts sont en Afrique plutôt qu'en Asie, et en Afrique on ne nous réplique pas: «Ne venez pas nous parler de droits humains fondamentaux. Nous avons une culture différente.» Il arrive que les dirigeants utilisent parfois ce genre d'arguments, mais les dirigeants des sociétés civiles ne le font certainement pas.

Ils voient beaucoup plus clairement que nous l'importance de ces droits humains fondamentaux, car nous ne souffrons pas nous-mêmes, alors que chacun d'eux souffre individuellement. Je pense que les circonstances nous ont mis dans une position où nous pouvons aider à enrayer ce qui deviendra autrement une grave érosion. Nous jugerons peut-être que nous avons atteint notre plateau international en garantissant un minimum essentiel en deça duquel le comportement des États envers leurs sujets devient tout simplement inacceptable, tant nous sommes préoccupés par les questions commerciales. Nous ne devons pas perdre de vue que quelque chose d'important a été accompli sur la scène internationale. Nous devons consolider cet acquis et continuer à concentrer nos efforts sur cela.

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Mme Seydegart: L'une des choses que nous faisons, surtout Bob et moi, consiste à offrir notre expérience d'un régime démocratique à d'autres organismes dans d'autres pays du monde. Nous n'essayons pas de vendre notre régime - ce serait une erreur - mais nous offrons notre expérience; ses forces et ses faiblesses. Je pense que les piliers de notre processus démocratique sont la participation publique, la transparence, la responsabilité et l'uniformité.

Pour définir votre mandat, vous devez tenir compte du champ d'action, des moyens à mettre en oeuvre pour remplir la tâche ainsi que du processus. Vous l'avez déjà dit. Si vous voulez offrir des partenariats bilatéraux à d'autres députés ou des partenariats multilatéraux par l'entreprise du Parti libéral international ou d'autres grandes organisations politiques internationales ou dans d'autres tribunes, nous devons pouvoir constamment faire de notre mieux pour assurer la participation, la transparence, la responsabilité et l'uniformité. Je pense que cela fait partie du rôle que vous devez jouer. Dans votre propre activité, comment appliquez-vous ces principes comme la participation, mais aussi, que faites-vous pour signaler au gouvernement et à votre parti les choses qui ne sont pas conformes à ces principes de comportement démocratique? Sinon, nous n'aurons pas de créneau international. Notre créneau sera ridiculisé.

Je sais que c'est beaucoup demander, mais cela vaut la peine d'essayer. Notre force, c'est la création d'institutions, mais je pense que ce serait une erreur d'attacher trop d'importance aux institutions et de négliger de renforcer la société civile en appuyant les organisations populaires et communautaires, etc. Si vous choisissez de vous engager sur une voie qui vous mettra en communication avec vos partenaires dans d'autres pays, ce que vous pouvez leur offrir comme leçon, c'est l'expérience générale de la création d'une société civile.

Je dis cela en songeant un peu à mon expérience récente. Je suis en train d'évaluer un cours de formation de l'ACDI sur les droits de la personne. Je sais que l'ACDI s'oriente de plus en plus vers le renforcement des institutions comme moyen de créer une société démocratique forte et des régimes de gouvernement forts, mais j'ai été troublée de voir que dans les exercices que font les participants on attache très peu d'importance aux institutions non gouvernementales dans la société. Je pense qu'il serait dangereux de trop privilégier cette direction, parce que - vous avez parlé de «responsabiliser», terme que je n'ai pas utilisé - cela limite la participation de la population à ces institutions que nous voulons créer, à moins que nous encouragions ces institutions à solliciter la participation de la population.

Pour ce qui est de créneaux précis, en me fondant sur mon expérience de l'éducation et de la formation dans le domaine des droits de la personne, je pense que nous avons fait du bon travail dans la formation d'activistes. Je pense que nous avons fait du très bon travail de formation de la police et des militaires. Comme ce n'est pas un sujet très populaire, nous ne nous en vantons pas, mais nous avons ici des personnes et des organismes compétents, qui ont de l'expérience et qui s'en chargent. Tout le travail relatif aux institutions nationales et au renforcement de ces institutions est utile.

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M. Miller: J'aimerais ajouter un mot. Ce sous-comité et son comité plénier, le Comité des affaires étrangères, sont parmi les rares à avoir une responsabilité unique au sein du Parlement canadien. Cette responsabilité est de s'intéresser aux affaires internationales.

À mon avis, l'un des éléments les plus frappants du dernier examen de la politique étrangère, c'est son orientation résolument canadienne. La vaste majorité des personnes qui ont été consultées étaient canadiennes.

La responsabilité unique des comités parlementaires dans ce domaine, c'est de jeter des ponts entre les Canadiens et le reste du monde. Ils doivent rester continuellement en contact avec le reste du monde et rapporter ce qu'ils apprennent au Canada, aux Canadiens, à leurs collègues parlementaires et à d'autres. S'ils ne le font pas, nous risquons de créer une politique étrangère qui ne sera rien d'autre que l'écho de notre propre voix, une projection des idées que nous nous faisons du reste du monde. Et, laissez-moi vous dire, le monde change rapidement, beaucoup plus rapidement que nous ne le pensons. Si ces comité parlementaires qui ont la responsabilité de donner des conseils et de présenter des rapports sur ce qui se passe dans le reste du monde en sont déconnectés, ils s'acquitteront très mal de leurs tâches.

Je sais qu'il y a des préoccupations budgétaires, etc., et je comprends cela. Mais, fondamentalement, il faut mettre en balance ces facteurs et les fonctions des comités. Si le Comité des affaires étrangères ou le Comité des droits internationaux de la personne ne peuvent pas faire cela, alors il faut se demander sérieusement s'ils peuvent même exister ou s'ils doivent se donner la peine de fonctionner.

Deuxièmement, la nouvelle technologie rend possibles des choses qui étaient impossibles il y a cinq ou dix ans. À l'heure actuelle, nous avons un projet qui consiste à organiser une conférence virtuelle entre les neuf assemblées législatives provinciales d'Afrique du Sud et les dix assemblées législatives provinciales du Canada. Nous utiliserons Internet. Une conférence virtuelle fonctionne selon le protocole d'une conférence ordinaire. Il y a un modérateur et une question à l'ordre du jour; les participants font des observations et ont un échange de vues sur la question pendant une période de temps donnée. Puis ils tirent des conclusion. Nous nous en servons pour faire le pont entre les visites, les ateliers et autres activités de ce genre.

Rien n'empêche votre comité de faire quelque chose de semblable avec un comité homologue dans un pays africain, au Nigeria par exemple. Je ne sais même pas si le Parlement peut fonctionner là-bas. Peut-être pas. Mais il y a d'autres endroits où c'est possible. Si ce n'est pas possible de communiquer avec un comité parlementaire - si le Parlement n'est qu'une simple façade - alors il est peut-être possible d'entrer en contact avec certains organismes dans ce pays. Comme je le disais, le simple fait de faire cela envoie un message puissant à la population du pays et lui montre qu'on s'intéresse à elle.

Mais je pense que nous risquons de créer une politique étrangère illusoire qui ne reposera sur rien d'autre que sur un dialogue entre nous et qui ne soit qu'une projection de ce que nous entendons et de ce que nous imaginons être une image exacte et éclairée de ce qui se passe dans le monde. Ce n'est pas le cas.

La présidente: C'est intéressant.

Monsieur Morrison, avez-vous d'autres questions?

M. Morrison: Il y a quelque chose dans les derniers commentaires de M. Miller que je ne suis pas sûr de comprendre.

Ainsi vous dites que nous devrions façonner notre politique étrangère pour qu'elle s'adapte au monde plutôt que pour optimiser notre propre avantage? Est-ce que notre politique étrangère n'est pas censée servir nos intérêts dans le monde, faire connaître nos opinions et nous aider à tirer le meilleur parti possible de nos relations avec les autres nations? Je ne comprends pas très bien ce que vous nous dites.

M. Miller: C'est une bonne question. Je vous propose une analogie. Je ne pense pas qu'une personne puisse définir son intérêt personnel en s'isolant, car elle doit travailler avec la société qui l'entoure. De la même façon, je ne pense pas qu'un pays puisse définir son propre intérêt de façon réaliste et efficace s'il n'est pas bien renseigné sur ce qui se passe dans le reste du monde.

Par exemple, nous aurons beaucoup de problèmes si nous allons en Asie et que nous agissons en nous inspirant d'idées formées dans les années 60, alors que l'Asie a changé profondément entre-temps.

Traditionnellement, c'est par notre corps diplomatique que nous apprenons ces choses. Nous avons un ministère des Affaires étrangères qui prépare des rapports, etc. L'une des choses qui m'ont frappé pendant mon voyage, c'est que notre ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ne semble pas avoir les aptitudes qu'il devrait avoir pour rapporter certains types d'événements politiques. Et ces événements sont souvent critiques.

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Un exemple en est la création de partis et ce qui se passe au sein des partis. Prenons l'histoire de la Bosnie, par exemple: il aurait été très utile pour l'Occident d'avoir une meilleure idée de ce qui se passait au sein de certains partis politiques.

Ce que je dis, c'est qu'il nous faut une diplomatie parlementaire ou politique parallèle pour compléter la diplomatie traditionnelle. Le Parlement, et particulièrement des comités comme celui-ci, ont également un rôle très utile à jouer en aidant les Canadiens à se faire une idée plus claire de ce qui se passe dans le monde, ce qui leur permettra de mieux définir leurs propres intérêts et de mieux les défendre.

Je pense que ce serait une illusion d'imaginer que nous pouvons y parvenir sans être très bien informés de ce qui se passe dans le reste du monde.

La présidente: Monsieur Morrison, je pense que M. Schmitz voudrait enchaîner un peu sur cette question.

M. Gerry Schmitz (attaché de recherche du comité): Avec la permission du comité, j'aimerais approfondir un peu cette question avec Bob.

Vous avez mentionné qu'il était utile d'établir des contacts avec d'autres comités parlementaire, je suppose des comités qui s'intéressent aux droits de la personne. C'est faisable. Il y a des associations parlementaires et d'autres moyens de le faire.

Ce qui est plus compliqué, c'est de décider qui nous allons choisir d'écouter ou de croire. Le monde est vaste, et vous et M. Pratt nous suggérez d'accorder notre attention à des pays différents, et cela nous cause déjà des difficultés. Devons-nous nous concentrer sur les cas de violations flagrantes où les gens ont le plus besoin de notre intervention et de notre protection, ou devons-nous mettre l'accent là où nous avons les meilleures chances de faire de la prévention et de promouvoir des mesures positives?

Supposons que nous surmontions cet obstacle et que nous décidions de nous intéresser à une région ou à une situation précise. Comment pourrions-nous choisir les personnes que nous allons consulter? Il y a des experts. Il y a des organismes internationaux, des bureaucrates des Nations Unies et des fonctionnaires des gouvernements. Vous parlez d'établir un dialogue avec la société civile d'un autre pays; c'est facile à dire, mais ce peut être très, très difficile à faire.

Dans certains pays d'Afrique il y a quelques centaines d'ONG qui se font concurrence. Elles ne sont pas nécessairement toutes de bonne foi.

Le processus devient un peu compliqué, que nous options pour une téléconférence, pour Internet, ou que nous envoyions plusieurs membres du sous-comité en mission d'information dans un pays.

Avez-vous des idées sur la façon de le faire ou sur d'autres choses?

M. Miller: Permettez-moi d'abord de vous suggérer un moyen précis de le faire.

D'abord, j'ai déjà dit dans mon exposé préliminaire et répété ce que je crois fermement. Vous devez tout d'abord travailler avec vos homologues, avec d'autres politiciens, d'autres parlementaires dans d'autres pays. Il y a peut-être plusieurs milliers de parlementaires dans le monde entier. Il y a relativement très peu de personnes dans le monde qui occupent ce genre de poste. C'est un poste important dans tous les pays.

Il y a des organisations interparlementaires. Mais franchement, d'après ma propre expérience, on ne s'est jamais servi d'elles pour atteindre des objectifs politiques importants, alors qu'on aurait dû faire appel à elles. Comme nous le savons tous, elles constituent un instrument politique à l'intérieur du régime parlementaire canadien. Lorsque les membres de ces délégations sont choisis, personne ne fait d'efforts sérieux pour que ces délégations servent des objectifs politiques à long terme.

Permettez-moi de vous faire une suggestion précise. Il y a un problème au Nigeria, et le Commonwealth est suffisamment préoccupé. Si vous étiez reliés par Internet à tous les comités parlementaires des droits de la personne du Commonwealth, vous pourriez leur envoyer un message leur disant: «Nous aimerions parler sérieusement pendant une semaine de ce que nous pourrions faire au sujet du Nigeria. Nous voulons échanger des idées. Pouvons-nous nous réunir? En tant que parlementaires, pouvons-nous contribuer à créer un consensus ou à réunir des idées?»

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Vous pouvez essayer quelque chose de ce genre, et peut-être que cela n'aboutira à rien... mais qui sait? Ce ne serait peut-être pas en vain. Il y a peut-être des gens qui ont des idées auxquelles nous n'avons pas pensé au Canada. Il est maintenant beaucoup plus facile de tenir ce genre de consultations que ce ne l'était il y a quelques années.

Lorsque Gerry et moi avons commencé à travailler dans ce domaine, la seule option, c'était que tout le monde prenne l'avion pour aller se réunir à l'autre bout du monde. Ça coûte très cher, mais c'est utile de le faire de temps en temps. Il est important de le faire. Mais il y a maintenant d'autres mécanismes. Vous vous servez des téléconférences pour communiquer avec des gens dans tout le pays. Internet est aussi très utile.

Je ne sais pas si cela fonctionnerait très bien, mais ce serait une expérience à faire. Voilà une expérience qui vaut vraiment la peine d'être tentée. Cela me ramène encore une fois au rôle que peut jouer le sous-comité. À mon avis, l'un des grands problèmes du Parlement, c'est que votre rôle se limite toujours à observer les éléments ou à faire des commentaires et dire: «Faites ceci.»

Je pense que les parlements sont des institutions importantes sur la scène internationale et qu'ils n'ont même pas encore commencé à exercer l'influence qu'ils pourraient exercer pour peu qu'ils organisent leurs affaires et concentrent leurs efforts de temps en temps.

Par exemple, les Australiens ont un mécanisme très intéressant. Ils ont un groupe d'amnistie parlementaire qui mène des enquêtes, particulièrement lorsque des parlementaires sont directement en cause, mais pas seulement dans de tels cas. Ils publient des rapports qui ont une certaine influence, pas seulement en Australie, mais dans le monde entier.

Voilà simplement quelques façons possibles pour le comité de s'engager.

La présidente: Merci.

Mme Seydegart: Je voudrais répondre à votre question sur les personnes à consulter à l'extérieur des milieux gouvernementaux dans un pays donné.

Il y a beaucoup de partenaires qui travaillent avec des organisations canadiennes et qui ont fait l'objet d'enquêtes approfondies menées par le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique ou le Centre canadien d'études et de coopération internationale ou par des groupes religieux. Si vous voulez vraiment les faire participer et si vous voulez qu'ils vous indiquent lesquels parmi leurs coopérants ou collaborateurs seraient les mieux placés pour vous renseigner sur une question ou sur une région, vous recevrez un appui extraordinaire de ces organismes. Ils seraient ravis que vous consultiez leurs partenaires.

C'est très complexe, et il leur arrive de se tromper, mais ils font un assez bon travail et ont appris à qui ils pouvaient faire confiance et comment se débrouiller. Dans ce domaine, tout est risqué.

M. Pratt: Renforçons le consensus qui existe ici. Tout ce que j'ai appris confirme l'importance de ce que Bob vient de dire sur la nécessité d'entendre d'autres voix que les nôtres, là où le Canada a pris une position plus ferme; par exemple, à l'égard de l'Afrique du Sud.

Vous voulez savoir pourquoi? C'est parce qu'en fait le Canada a entendu la voix des Noirs d'Afrique du Sud, et même s'il n'y avait pas Internet, tout le monde savait qui était monseigneur Tutu. En 1985-1986, monseigneur Tutu a contribué énormément à faire évoluer la politique canadienne. Il n'était plus possible de parler d'idées qui nous semblaient raisonnables après avoir entendu ce qu'en pensaient des gens intègres qui étaient en première ligne.

Permettez-moi de vous faire une suggestion précise. Supposons que vous décidiez de surveiller attentivement la situation au Nigeria. J'ai lu la transcription de votre première séance, je crois. Vous avez reçu M. Hynes et d'autres fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. On a énuméré toute une liste d'initiatives que le Canada a prises. Par exemple, nous avons refusé d'accorder des visas à ceux qui voulaient aller assister à des épreuves athlétiques et nous avons invité un certain nombre de défenseurs des droits de la personne à venir au Canada.

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Ce qui serait intéressant, ce serait de demander à des Nigérians si ce genre de mesures feraient vraiment une différence. Il y a fort à parier qu'ils seraient très sceptiques et que vous vous retrouveriez obligés de dire: «Lorsque nous prenons le temps de déterminer l'effet qu'auront vraiment ces initiatives, nous constatons qu'elles ne sont tout simplement pas suffisantes.»

La présidente: Il y a quelques semaines, nous avons rencontré quelques défenseurs des droits de la personne du Nigeria.

Je voulais simplement apporter une précision. Vous nous dites essentiellement que nous avons pu être les champions de la cause de l'Afrique du Sud parce que le moment était propice. Est-ce que c'est un autre facteur?

Les travailleurs d'Afrique du Sud s'étaient organisés, et, pour être francs, lorsque nous avons décidé de prendre des mesures à l'égard de l'Afrique du Sud, c'était d'abord et avant tout parce que le moment était propice.

M. Pratt: En un sens, ce qui explique la différence entre ma position et celle de Bob, c'est que les activités de Bob en Afrique du Sud étaient possibles après 1989 ou après 1991, mais qu'elles n'auraient jamais eu d'effet auprès de l'ancien régime et n'auraient servi à rien.

D'après ce que je sais de la situation en Afrique du Sud, les changements qui se sont produits dans ce pays ont été réalisés par le peuple sud-africain lui-même. S'il est vrai que la collectivité internationale s'est inquiétée de la situation, sa contribution a été en fait tout à fait mineure, à une exception importante près, à savoir que le régime a commencé à s'inquiéter beaucoup de la fuite des capitaux.

Le retrait considérable de capitaux du Canada, des États-Unis et d'Europe de l'Ouest a obligé le régime sud-africain à reconnaître que le système qu'il croyait pouvoir maintenir était sérieusement ébranlé. Les plus visionnaires d'entre eux ont reconnu qu'ils allaient être obligés d'en venir à une entente avec le Congrès national d'Afrique.

Pour nous aider à en arriver là, il aurait fallu des politiques plus fermes avant 1989. Il aurait fallu adopter des politiques comme celles dont je parle, pas le genre de politiques dont vous parlez. Après 1989, le genre de politiques dont vous ne parlez pas seulement, mais que vous appliquez en fait, sont exactement celles qu'il faut.

Ce qui m'inquiète énormément, c'est qu'au moment même où nous perdons de vue le fait que la préoccupation essentielle de l'ACDI doit être d'alléger la pauvreté, il serait terriblement triste, lorsque nous parlons des droits de la personne, de perdre de vue le fait que nous pouvons aider à faire changer les choses dans les cas vraiment graves.

La présidente: Merci.

Monsieur Morrison.

M. Morrison: Monsieur Pratt, vous avez tous parlé de l'Afrique du Sud aujourd'hui. Est-ce qu'il y a du mérite à un autre de mes dadas, à savoir que pour réussir à provoquer une révolution des droits de la personne dans un pays, il faut qu'il y ait une tradition et un courant sous-jacent de démocratie dans ce pays, dans cette culture, quelque chose qui peut nous servir d'assise?

Par exemple, on présente maintenant l'Afrique du Sud et le Chili comme des réussites, mais ces deux pays ont toujours eu cette tradition démocratique sous-jacente, même si elle avait beaucoup de ratés, si vous voulez. Est-ce qu'il y a du vrai dans cette idée?

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M. Pratt: En un sens, je dirais que non, que cette tradition n'existait pas en Afrique du Sud.

M. Morrison: Il y avait un gouvernement démocratique. Il était restreint à certaines personnes, mais il y avait une tradition démocratique.

M. Pratt: Oui, mais 85 p. 100 de la population n'avait aucun droit politique que ce soit.

M. Morrison: Oui.

M. Pratt: Il y avait des institutions. Lorsqu'elles ont été nationalisées et que les Noirs en ont assumé la direction, ils ont obtenu une structure qui avait du potentiel.

Nous allons parler de cas où ces structures commencent à peine à être élaborées. Dans ces cas, vous devrez construire, comme le font ces sociétés, à l'intérieur, au sein du mouvement lui-même. Les valeurs internes du mouvement, du Congrès national d'Afrique... Il s'agissait clairement d'un mouvement populaire dont nous partagions un grand nombre de valeurs. Leurs structures internes étaient totalement différentes, bien sûr, mais en fait nous avons réussi - comme Bob lui-même a réussi - à travailler avec les anciens dirigeants du Congrès national d'Afrique, qui sont aujourd'hui les dirigeants du Parlement et du gouvernement d'Afrique du Sud, pour accomplir des choses importantes dans cette région.

J'aurais cru que c'est grâce à leurs valeurs si cela a été possible, et non pas à la possibilité que la minorité utilise ces institutions.

M. Morrison: En fait, je songeais que je ne connais aucun cas où une révolution, de quelque nature que ce soit, ait réussi lorsque l'oppresseur maintenait une pression constante et entière et que le peuple était écrasé. Jamais on ne réussit à renverser un ordre social - à mon avis, du moins - tant qu'on n'a pas réussi à soulager la pression. Cela s'est produit même en Russie dans l'intervalle entre la fin de la monarchie et la montée du communisme. La pression s'est relâchée pendant plusieurs mois entre les deux. Si ce n'avait pas été le cas, je doute que la révolution aurait pu se produire.

Encore une fois, je m'interroge au sujet de l'Afrique du Sud. Si le régime sud-africain avait été absolument intraitable, sans personne du côté européen pour compatir au sort des opprimés, est-ce que le changement se serait produit, avec ou sans notre intervention?

M. Pratt: Ce que vous dites est juste, mais, encore une fois, tout dépend des circonstances. Vous devez alors vous demander ce qui a incité l'oppresseur qui écrasait le peuple à commencer à atténuer la pression. Dans le cas de l'Afrique du Sud, plus que toute autre chose, à mon avis, c'est la fuite des capitaux et la reconnaissance du fait que le régime ne pouvait plus survivre. Alors, des gens raisonnables et sages, comme de Klerk, ont reconnu qu'ils ne pouvaient plus continuer comme avant.

De la même façon, je pense que si le Canada et les États-Unis imposaient un embargo pétrolier efficace contre le Nigeria et s'ils interdisaient leurs marchés à son pétrole, ses dirigeants seraient soudainement obligés de reconnaître, comme ils ne le feraient peut-être pas autrement, qu'ils ne peuvent tout simplement plus maintenir la pression.

M. Miller: Encore une fois, je suis d'accord. Je pense que l'accélération des événements en Afrique du Sud était directement attribuable aux sanctions et à la pression internationale - un exemple clair de la réussite de cette stratégie. Je pense que maintenant tout le monde s'entend pour dire que c'est ce qui s'est passé.

Il y a maintenant des preuves très intéressantes qui semblent indiquer que l'une des choses qui ont contribué à rendre les négociations et le changement possibles, c'était la tension qui existait au sein même de la collectivité blanche en Afrique du Sud, au sein de certaines de ses institutions importantes, par exemple l'Église réformée, qui était elle-même en train de vivre ce qui a commencé par une lutte extrême et qui a abouti à sa transformation. Ensuite, comme vous le savez, il y avait, surtout entre les collectivités anglophone et afrikaner des différences d'opinions énormes quant à la viabilité de l'apartheid.

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Selon moi, les sanctions devaient servir à accélérer la cadence d'un processus qui, encore embryonnaire, aurait pu à mon avis prendre de l'ampleur et de la vigueur avec le temps, indépendamment de l'imposition de sanctions internationales. Toutefois, étant donné le moment où elles ont été imposées, elles ont sans doute permis d'éviter une guerre civile ou un conflit majeur en Afrique du Sud, car on risquait de voir les gens perdre tout espoir de changement, se désespérer à cause de la lenteur du processus.

J'ai lu le livre de Mandela - cela me rappelle mon été - et il est clair que dans le mouvement, on commençait à sentir que toute une génération allait disparaître sans avoir vu le changement. De plus en plus, les jeunes radicaux, la génération suivante, réclamaient avec véhémence qu'on adopte une stratégie très différente. Ce qui a permis aux Mandelas de s'imposer, c'est sans doute la pression à l'échelle internationale, l'appui de la communauté internationale et l'efficacité des sanctions.

La présidente: Merci. La réunion d'aujourd'hui a été fort intéressante. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir présenté des idées positives et de ne pas vous en être tenus à nous adresser des critiques. En fait, j'ai entendu très peu de critiques.

Une voix: Oh, oh.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Merci à tous d'être venus. Je vous en suis très reconnaissant.

La séance est levée.

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