Passer au contenu
TÉMOIGNAGES

[Enresistrement électronique]

Le mardi 20 juin 1995

.1530

[Français]

Le vice-président: À l'ordre! Nous allons commencer.

Monsieur Thomas, nous vous souhaitons la bienvenue. Nous allons procéder comme à l'accoutumée. Vous aurez du temps pour faire votre présentation et ensuite, M. Bonin et peut-être moi-même vous poserons quelques questions.

Nous sommes prêts à vous écouter, monsieur Thomas. Allez-y!

[Traduction]

M. Bill Thomas (surintendant de l'éducation, Commission scolaire de Peguis): Monsieur le président, mesdames et messieurs, je suis Bill Thomas, de la réserve indienne Peguis à 100 milles au nord de Winnipeg. Je travaille dans le domaine de l'éducation depuis 30 ans. J'ai comparu devant un autre comité il y a plusieurs années. Si j'ai bien compris, je disposerai aujourd'hui d'une quinzaine de minutes pour vous parler des taux de rétention et de financement de l'éducation des Indiens au Canada.

J'ai consacré toute ma vie à l'éducation des Indiens à divers niveaux. Cela fait 17 ans que je suis surintendant, c'est-à-dire président du conseil d'adminsitation de la banque Peguis. Je travaille en collaboration avec un grand nombre de bandes, d'organisations et d'établissements d'enseignement.

Je vais tenter d'aborder ces deux domaines. J'ai apporté avec moi des documents qui pourront appuyer mes dires lorsque vous me poserez des questions. J'espère que nous pourrons discuter facilement de ce sujet très complexe.

.1535

Quand on parle du taux de rétention scolaire, cela représente pour moi notre capacité à garder les enfants à l'école. Ce n'est qu'une question parmi bien d'autres et il semble que nous l'examinions hors de son contexte. Les taux de rétention ne sont pas importants en dehors du contexte global même si c'est là un sujet important et si nous voulons garder nos enfants à l'école.

On ne peut pas parler des taux de rétention sans aborder toutes sortes de questions. Je mentionne en passant qu'un bon nombre des choses que je vais vous dire vous ont sans doute été dites par de nombreux témoins car ils ont abordé toutes sortes de sujets. Je m'en excuse, mais j'ai de fortes convictions sur de nombreux aspects de l'éducation des Indiens dont j'aimerais vous parler.

Je sais que le taux de rétention scolaire des enfants Indiens a dû être porté à votre attention que ce soit par l'entremise des Indiens ou des statistiques que vous obtenez des Affaires indiennes. C'est sans doute quelque chose d'assez évident. C'est un problème dont on discute parce qu'il est facile à constater.

Je sais que le taux de rétention constitue un grave problème dans un grand nombre des 61 bandes indiennes du Manitoba. Je vais vous citer quelques exemples. Pour ce qui est de l'enseignement postsecondaire, par exemple, j'ai parlé à un directeur du nord et je lui ai demandé dans quelle mesure il réussissait à garder les jeunes à l'école, dans les établissements postsecondaires etc. Il m'a dit que sur dix étudiants envoyés au collège en septembre, neuf étaient déjà de retour en octobre. Telle est la gravité de la situation. Je sais que dans le système scolaire ordinaire, la fréquentation scolaire n'est pas prise au sérieux et que le taux de rétention est très médiocre.

À titre d'information je me suis permis d'apporter des chiffres concernant la Peguis Central School, de la bande Peguis, dont je suis le directeur. En 1989 et 1990, le taux de rétention pour cette période de deux ans était de 89 p. 100 en incluant les transferts. À la fin de l'année, en excluant les élèves transférés dans un autre établissement et qui ne sont pas des décrocheurs, nous avions un taux de 91 p. 100. En 1993-1994, à la fin de l'année, le taux était de 91 p. 100 en incluant des transferts et de 97,3 p. 1000 en les excluant. Je n'examine pas ces chiffres quotidiennement, mais j'ai demandé à mes administrateurs de me les fournir et tels sont ceux que nous avons obtenu pour les années en question.

J'ai ici quelques chiffres concernant l'enseignement postsecondaire. En 1994-1995, nous avions environ 370 étudiants de Peguis dans des programmes postsecondaires, autrement dit à Winnipeg, Brandon, Vancouver, en Ontario, aux États-Unis, un peu partout. Pour 1992-1993, notre taux de rétention était de 80,2 p. cent pour nos étudiants du postsecondaire. En 1993-1994 il était de 75,2 p. cent et en 1994 et en 1995 de 75 p. cent. En 1994-1995, nous avons parrainé 376 étudiants au niveau postsecondaire. Si on nous demande de rendre des comptes, nous pouvons dire, je pense, que nous faisons du bon travail.

Pour ce qui est du taux de rétention, il y a plusieurs facteurs à considérer. Avant d'établir le système scolaire de la Bande Peguis, je travaillais depuis quelques années dans le milieu de l'enseignement. Je suis maintenant à Peguis depuis 17 ans et je possédais une expérience professionnelle antérieure. En mettant tout cela au point avec le conseil d'administration et le conseil de bande, nous avons veillé à assurer une bonne efficacité du système scolaire.

.1540

Il vous faut une bonne organisation, une bonne administration et du personnel compétent. Si vous recrutez des enseignants, il faut que ce soit des gens qualifiés. S'il vous faut des comptables, ils doivent être également compétents. Si vous avez besoin d'autres administrateurs, il faut également qu'ils soient préparés à jouer leur rôle.

Vous devez bien planifier, bien établir vos budgets et certainement bien négocier avec le ministère des Affaires indiennes en allant parfois jusqu'à embellir un peu la vérité pour obtenir ce dont la bande a besoin. Il faut absolument que la communauté, les parents et les élèves participent à la planification de leurs futurs programmes. Sinon, vous n'arrivez à rien.

Les Indiens n'ont pas pour tradition d'administrer ou de gérer des systèms scolaires. Autrement dit, l'éducation des Indiens est une responsabilité qui vient de nous échoir.

Pouvez-vous imaginer ce qui se passerait si vous exerciez une autre profession et si on vous demandait tout à coup de gérer un système ou un programme sans aucune expérience? La confusion régnerait pendant un certain temps. C'est ce qui s'est passé pour l'éducation des Indiens.

Vous pouvez comprendre la gravité de la situation en vous représentant une communauté du Grand Nord où les gens ne parlent pas l'anglais, où les modes de transport sont très limités et où la participation communautaire a été très faible par le passé. Tout à coup, le ministère vient vous dire: «Ce programme est à vous, il vous revient de l'administrer». Vous n'avez pas d'administrateurs professionnels ou d'autre personnel qualifié. Comment pouvez-vous constituer une bonne organisation du jour au lendemain?

C'est l'une de nos difficultés. La situation s'améliore au fur et à mesure que les gens acquièrent de l'expérience, mais c'est injuste et les choses n'auraient pas dû se passer ainsi. Si les responsables avaient eu l'intelligence de faire une bonne planification, nous aurions eu une période de transition pour nous adapter sur le plan du professionnalisme, de l'organisation du système et de la commission scolaire et de tout le reste.

Nous aurions dû avoir une période de transition et nous avons d'ailleurs toujours besoin d'une phase de transition pour obtenir l'efficacité nécessaire à la bonne gestion d'un système scolaire pour les enfants Indiens.

Nous avons besoin de formation pour la commission scolaire de même que sur le plan de l'organisation. Nous avons besoin de cours de perfectionnement pour le personnel à tous les niveaux. Il va sans dire que nous avons besoin de meilleures installations, d'installations modernes comme d'autres que moi l'ont sans doute déjà souligné. Cela a été une source de difficultés et j'en parlerai lorsque nous aborderons la question des finances.

On ne peut pas parler du taux de rétention sans mentionner que non seulement nos antécédents étaient médiocres sur le plan de l'éducation, mais que quelqu'un d'autre a toujours décidé à notre place. Ce n'était pas notre peuple qui décidait. On nous a imposé un système étranger en nous disant qu'il était bon pour nous et que nous devions l'utiliser. Les gens ne vous croient pas.

Inutile de vous dire que nous connaissons la pauvreté. Nous n'étions pas maîtres de notre destinée et nous n'en sommes toujours pas vraiment maîtres. Nous n'avons pas eu de modèles à suivre. Le système ne tenait pas vraiment compte de la façon dont les gens vivaient, de leurs foyers et de leur culture. L'éducation n'était pas une priorité et les gens se sentaient éloignés du système scolaire.

Il faut tenir compte de la crise du logement, du chômage, du manque de développement des bandes, des problèmes de sobriété, si vous voulez, et de l'attitude des fonctionnaires vis-à-vis des Indiens. Ils avaient tendance à nous considérer comme un monde à part. Nous avons besoin de temps pour évaluer la situation et choisir de nouvelles orientations. Il nous faut de bonnes politiques pour administrer le système. Nous devons avoir accès à un plus grand nombre de programmes.

.1545

Il nous faut des gens possédant les compétences professionnelles nécessaires pour faire le travail. Par exemple, à Peguis, toutes nos organisations - qui sont je crois au nombre de huit - sont gérées par des Indiens. Nous avons 33 professeurs sur 66. L'école est également gérée par nos propres administrateurs.

Je dois dire que pour parvenir au taux de rétention jugé normal dans le reste de la société, notre communauté doit pouvoir éprouver les mêmes sentiments de valeur et de réussite que le reste du monde. Sinon, vous n'aurez pas une bonne école. Il faut que les gens la valorisent et considèrent qu'elle leur appartient.

Pour cela, nous avons besoin de développer notre économie. L'élément humain doit être abordé dans son ensemble. Une certaine équité s'impose car elle n'existe pas encore pour nous sur certains plans.

Par exemple, Statistique Canada ne compte pas les Indiens dans ses chiffres concernant le chômage. L'autre jour, j'ai téléphoné pour en demander la raison et on m'a répondu que c'était la tradition et que cela n'avait pas été fait depuis 1946. J'ai alors demandé: «pourquoi n'excluez-vous pas les Ukrainiens ou les gens de l'Inde? C'est la même chose, car en fait vous faussez les chiffres réels». Il vaudrait mieux nous compter tous afin que l'on sache quelle est la situation réelle au Canada. Nous pourrions alors faire quelque chose ensemble pour résoudre ce problème.

Bien entendu, il y a du racisme. Je n'ai pas besoin de vous le dire. Il faut que les non-Indiens acceptent mieux ce que nous sommes, ce que nous croyons, ainsi que nos traditions et nos valeurs.

Je vous citerai un simple exemple. Nous avons ce que nous appelons le phénomène de la tente branlante. Le sorcier et d'autres personnes entrent dans une tente où ils tiennent une cérémonie. La tente se met à trembler, vous entendez des voix, les oiseaux, la nature et toutes sortes de choses. La téléphathie permet aux participants de savoir ce qui se passe ailleurs et surtout de communiquer avec des gens qui sont très loin.

C'est un phénomène réel que le monde normal d'aujourd'hui a de la difficulté à accepter. Il y a d'autres choses dans les valeurs et la culture des Indiens que la société normale ne croit pas ou n'accepte pas. Pour que nous parvenions à un sentiment de valeur, ou respect de nous-mêmes, à la dignité et à l'équité, il est nécessaire de s'accepter mutuellement et de travailler ensemble.

Il y a d'autres exemples. Certains membres du Parlement ont dénigré les Indiens. Blenkarn, par exemple, parlait un jour de façon très désobligeante des bâtons utilisés pour le transport par les Indiens. C'est injuste. Mes petits-enfants n'ont rien à voir avec tout cela et pourtant les gens comme lui les dépeignent de la même façon.

Je me suis battu pendant quatre ans avec le gouvernement du Canada au sujet du Régime de pension. Nous avons fini par lui faire comprendre que les Indiens pouvaient y participer aussi. Nous n'aurions pas dû avoir à nous battre ainsi pour nous faire accepter.

Je ne vous apprends rien en vous disant que les traités ne sont pas respectés. Dans le domaine de l'éducation, nous avons conclu un accord en 1977 avec les Affaires indiennes pour assurer nous-mêmes la gestion de l'éducation et obtenir le financement requis. C'est alors que la bande Peguis a repris l'école en mains.

Quelques années plus tard, les Affaires indiennes nous ont dit: «cela ne compte plus. Nous allons appliquer une nouvelle formule de financement. Nous vous donnerons ceci et nous vous prendrons cela». Le ministère a rompu l'entente même si nous l'avions prise au sérieux.

.1550

Quand nous avons commencé à contester tout cela en 1994, les Affaires indiennes nous ont avisés que l'entente n'était plus valide. Le ministère nous a donné un avis officiel et maintenant elle ne compte plus.

Le ministère a mis en place un système de financement qu'il ne comprend pas lui-même. Il y a quelques années, nous l'avons poursuivi devant les tribunaux à ce sujet. Les Affaires indiennes ont fait venir tous leurs experts tant du niveau régional que national pour expliquer la formule au juge, mais ils n'ont pas pu le faire.

De toute façon, ce n'est pas une formule pour le financement de l'éducation. Elle vise seulement à répondre aux exigences budgétaires du ministère. Elles se fondent non pas sur les besoins en matière d'éducation, mais sur les exigences budgétaires des bureaucrates fédéraux. Il faut que la bande élabore elle-même une formule pour assurer le financement de nos programmes, ceux qui donneront de bons résultats pour nous étudiants.

Une étude du financement a été faite en 1991. Vous l'avez certainement vue. Je crois que vous en avez reçu un exemplaire. Elle explique les raisons pour lesquelles nous avons besoin de programmes plus coûteux que ceux des écoles ordinaires.

Au Manitoba, par exemple, nous avons 61 bandes. La plupart d'entre elles gèrent leurs propres écoles, mais il y a encore des bandes qui sont desservies par la Division des écoles publiques. La Frontier School Division, par exemple, dépense encore plus par élève que les écoles de bande.

Si vous tenez compte de tous les obstacles qui se dressent devant les bandes sur le plan de l'éducation et pour les autres aspects de la vie, vous comprendrez que nous devons agir différemment des écoles publiques ordinaires. Nous avons des besoins particuliers sur le plan du financement. Comme je l'ai dit, ce financement doit tenir compte des besoins de la communauté. Quand nous avons fait notre étude sur le financement en 1991 et que nous avons examiné les ressources que nous obtenions chaque année du ministère des Affaires indiennes, rien que pour la bande Peguis, nous avons recensé 46 choses que nous aurions pu faire sur le plan de l'éducation si nous avions eu les fonds nécessaires.

J'ai parlé tout à l'heure de la période de transition et de tout ce dont nous avions besoin pour mettre un bon système sur pied. Afin de vous donner une petite idée de ce dont nous avons besoin, il n'y a pas de financement distinct pour les psychologues, les orthophonistes, les orienteurs ou les systèmes d'information, par exemple. Le budget d'administration des commissions scolaires a été réduit. La bande Peguis obtenait, par exemple, 282 000$ par an pour l'administration. Ce budget a été limité. L'argent a été remis au conseil de bande pour «l'administration de la bande». Le montant était nettement inférieur à celui dont la bande ou la commission scolaire auraient besoin à elles seules.

Nous avons besoin de programmes de formation professionnelle. C'est une question importante car on en n'en n'a pas beaucoup parlé même lorsque nous en avons discuté avec les conseils de bande et les commissions scolaires de nos 61 bandes. Néanmoins, si je me fie à mon expérience personnelle et à ce qui se passe ailleurs en ce qui concerne l'enseignement secondaire, professionnel ou technique, la préparation au travail, la formation préparatoire à l'emploi et ce domaine en général - 36 000 emplois sont énumérés dans le dictionnaire des emplois - je dirais que nous n'avons pas de financement pour la formation professionnelle dans les communautés indiennes que ce soit sur le plan opérationnel ou pour les locaux.

.1555

Quand le Spoutnik a été lancé en 1955 ou 1957, le Canada s'est enthousiasmé et a décidé qu'il lui fallait plus de techniciens; on a donc construit des écoles techniques un peu partout au pays, aux frais du gouvernement fédéral qui assumait de 75 p. 100 à 100 p. 100. des coûts. Les seuls Canadiens à ne pas avoir profité de cet enseignement professionnel et de ces nouvelles écoles, c'étaient les Indiens; ce n'est pas raisonnable.

Puisqu'un comité parlementaire a été formé pour se pencher sur l'éducation des Indiens, et puisque l'on nous demande de réfléchir sérieusement à de nouvelles initiatives et de réfléchir à ce que cela représente en réalité pour nous, il faut accorder la priorité la plus haute à l'enseignement professionnel.

Nous avons regardé ce qui se faisait dans certaines écoles à Winnipeg. Nous nous sommes inspirés pour notre nouvel établissement de ce qui se faisait dans certaines de ces écoles, non seulement du côté de la formation générale mais aussi de la formation technique.

Mais nos vis-à-vis gouvernementaux - c'est-à-dire les Affaires indiennes à Winnipeg - sont à ce point obnubilés par les règles et les règlements, de même que par leur emploi et leur carrière, je suppose, qu'ils ne voient pas au-delà des normes actuelles pour les locaux qu'utilise le ministère. Or, elles sont démodées. Il faut montrer de l'initiative et nous demander ce que l'enseignement professionel peut apporter à nos élèves.

Je sais que les programmes de formation technique réussissent à garder les élèves plus longtemps à l'école, à leur donner une formation préliminaire qui leur permet par la suite d'entrer directement sur le marché du travail; ces programmes les motivent également à se perfectionner dans leur domaine technique, voire à poursuivre à l'université leurs études ou se réorienter vers d'autres carrières, ce qui est possible grâce aux cours de formation générale qu'ils suivent actuellement.

Grâce aux cours et aux programmes qui leur sont offerts, nos élèves semblent trouver spontanément une motivation. Cette motivation surgit tout simplement chez nos élèves.

J'ai vu les résultats, car j'ai dirigé une école de ce genre dans le nord de l'Alberta, dans le district scolaire Northland, pendant quatre ans de 1963 à 1967. Dans cette école, nous accueillions des élèves qui avaient décroché ailleurs, des élèves qui ne parlaient pas anglais, des élèves qui nous provenaient de localités isolées partout dans le nord de la province, et pourtant, beaucoup d'entre eux ont réussi avec succès.

Vingt-cinq ans après mon départ, j'ai assisté à une réunion, et j'ai vu avec surprise le grand nombre d'entre eux qui avaient poursuivi leurs études, alors qu'au départ, il s'agissait d'étudiants jugés par d'autres commes n'ayant pas une grande capacité d'étudier. On les avait donc envoyé dans une école de métiers, à l'époque où l'on estimait que ces écoles étaient destinées surtout aux élèves moins intelligents.

Ces écoles donnent de bons résultats, et j'espère qu'un jour nous en aurons dans les réserves indiennes, particulièrement là où les bandes indiennes sont imposantes; il nous faudrait peut-être aussi avoir des écoles centrales, là où se trouvent les bandes les plus petites, puisqu'après tout, nos élèves ont droit eux aussi à l'instruction dite ordinaire.

Lorsque les traités ont été signés - le nôtre l'a été en 1871 - on affirmait dans la mère patrie que nous aurions notre école dès que nous en formerions le voeu. Je suppose qu'à l'époque, on entendait par là une école ordinaire. Eh bien, tout ce que nous demandons aujourd'hui, c'est d'avoir des écoles ordinaires, c'est-à-dire qui offrent un enseignement professionnel ou des cours techniques.

Regardez les besoins qui existent en opérateurs sur ordinateur dans l'informatique, et dans d'autres domaines du genre. Voià beaucoup de domaines dans lesquels nos gens pourraient être formés dès la première heure. Regardez les autres domaines tels que la menuiserie, la mécanique, l'électricité et la plomberie. Ce sont des métiers qu'on devrait offrir à nos gens. Nous en avons plusieurs qui étudient dans ces domaines, sauf qu'ils doivent attendre jusqu'à la fin de leur secondaire avant de pouvoir suivre une formation technique. Or, nous devrions pouvoir les former alors qu'ils habitent encore dans la réserve.

.1600

Nous avons fait un sondage parmi nos assistés sociaux de Peguis qui avaient de 18 à 24 ans: 85 p. 100 d'entre eux voudraient bien retourner aux études.

J'ai recueilli quelques renseignements. Je ne me rappelle plus en quelle année, mais nous avons fait une étude sur les besoins en immobilisations. Au Manitoba seulement on a besoin d'environ 300 millions de dollars uniquement pour réparer les écoles indiennes ou pour en construire de nouvelles. Peguis attend la sienne depuis 1980. On nous l'avait promise dans l'entente de 1977, et on en commence à peine la construction, et encore, ce n'est que la moitié de l'école qui doit être construite. Le vrai dilemme, c'est que beaucoup d'autres bandes attendent aussi leur école ou attendent qu'on vienne réparer leur bâtiment.

Si vous me demandez d'où viendra l'argent, je ne puis vous répondre avec certitude. Ce n'est pas nous qui nous sommes placés dans ce pétrin. Nous essayons uniquement de nous en sortir. Nous faisons à Peguis ce qu'il faut et de notre mieux, dans la mesure de nos moyens. Et je crois que nous avons assez bien réussi.

Je m'occupe de scolarité chez les Indiens du Manitoba depuis longtemps déjà. J'ai oeuvré au sein de nombreuses bandes et j'ai travaillé de concert avec les chefs de bande. J'ai beaucoup d'expérience: je connais très bien ces gens et le monde de l'enseignement.

Cela dit, je vous remercie de m'avoir accordé du temps. Je répondrai aux questions, si vous en avez.

[Français]

Le vice-président: Merci beaucoup, monsieur Thomas. Monsieur Bonin, voulez-vous attaquer?

[Traduction]

M. Bonin (Nickel Belt): Je n'ai pas l'intention d'attaquer. Mes questions sont censées être constructives et nous aider à définir nos recommandations.

Ce qui m'intéresse, c'est ce que vous avez dit au début au sujet du taux de rétention scolaire. Lorsque vous dites qu'il atteint 89 à 91 p. 100, de quel niveau de scolarité s'agit-il?

M. Thomas: C'est pour l'ensemble: de la pré-maternelle à la 12e année.

M. Bonin: Et quel est le taux de rétention au secondaire?

M. Thomas: Justement, c'est ce que je regardais. Il y a une chute après la 9e année. Je crois que cela s'explique du fait qu'à la 9e année, l'élève se demande quelle est la différence qui existe entre le monde scolaire - largement académique - et le reste du monde; par conséquent, l'élève doit décider, peut-être pas tant à Peguis qu'ailleurs, dans quel monde il veut vivre vraiment. Veut-il vivre chez lui ou croire ce qu'on lui dit à l'école? Très souvent, il choisit de rester chez lui.

J'ai ici des chiffres concernant le secondaire, les 9e, 10e, 11e et 12e année; je puis vous les laisser, car j'ai sûrement une copie de tous ces chiffres chez moi.

M. Bonin: Je vous remercie.

Combien d'élèves termineront leur 12e année ce mois-ci?

M. Thomas: Nous n'en avons que 15 qui termineront leur secondaire cette année. Mais nous avons déjà eu des nombres beaucoup plus élevés de diplomés du secondaire, comme 15, 24, 29, 29, 29, 29, 33, 30 et 22, les autres années.

M. Bonin: J'avoue être impressionné. Ce qui est encourageant, c'est que vous avez signalé qu'un bon nombre des étudiants poursuivaient leurs études au-delà du secondaire. Je ne cherche pas à mettre en lumière les aspects négatifs.

J'ai constaté au cours de nos visites des districts scolaires que l'on retrouvait souvent pour administrer une école un surintendant, un principal et un vice-principal par école ou pour deux écoles adjacentes. Chez nous, nous souffrons d'une surabondance d'administrateurs. Pourquoi faudrait-il d'après-vous que vous ayez plus d'administrateurs que dans le régime scolaire ordinaire?

M. Thomas: Il existe deux scénarios. Naguère, le surintendant se trouvait loin de Peguis, à une centaine de milles, comme à Winnipeg, par exemple: l'école était donc laissée à elle-même en grande partie. En ce qui me concerne particulièrement, si j'étais absent - ce n'est peut-être plus autant le cas aujourd'hui - tout s'écroulerait car personne d'autre ne sait comment faire fontionner une école.

M. Bonin: Si vous étiez vice-principal de l'école, pourriez-vous jouer à la fois le rôle du surintendant et du principal, dans la mesure où vous n'avez qu'une seule école?

.1605

M. Thomas: Oui, cela pourrait fonctionner, même si je n'y ai jamais vraiment songé. Nous avons une grande école, qui compte jusqu'à 700 élèves. Nous avons un principal et deux vice-principaux. En fait, nous comptons aussi un administrateur qui s'occupe de toute la paperasse.

M. Bonin: Et quatre employés de bureau.

M. Thomas: En effet.

M. Bonin: Quel est votre budget d'enseignement? Que représente-t-il par étudiant?

M. Thomas: Je n'ai pas avec moi les chiffres par étudiant. Mais hier soir, je voyais notre budget, et il est en gros semblable pour les deux secteurs: 4 millions de dollars pour l'école de Peguis et 4 millions, environ, pour le secteur postsecondaire.

M. Bonin: Mais vous n'avez pas les chiffres par étudiant?

M. Thomas: J'ai un chiffre, mais qui n'est pas récent.

M. Bonin: En gros, cela suffit.

M. Thomas: Quarante-six, ou plutôt quarante-sept ou quarante-huit aujourd'hui.

M. Bonin: Merci.

M. Murphy (Annapolis Valley - Hants): Merci, et bienvenue.

Vous nous avez dit, dans votre exposé, qu'il aurait été nécessaire de prévoir une période de transition au moment où l'on vous a choisi pour prendre en main le conseil scolaire; vous avez affirmé que cela aurait été très utile. Vous avez dit aussi, je crois, qu'un mécanisme de transition vous semblait toujours nécessaire.

Lorsque vous parlez de transition, envisagez-vous de la cogestion? Quels ingrédients vous faut-il, pendant la période de transition, pour permettre l'avènement d'un conseil de qualité?

M. Thomas: Si j'ai parlé de transition, c'est qu'au fond, nous n'avons pas suffisamment de professionnels pour gérer les systèmes. Il faut former les gens dans toutes sortes de domaines, et on pourrait y arriver de plus d'une façon. J'ai essayé de démarrer quelque chose il y a déjà quelques années. J'ai essayé de mettre la main sur ce que nous appelons actuellement la société du réseau d'enseignement des Indiens du Manitoba qui était censée être une chambre de compensation. N'importe quelle bande qui avait un problème en matière d'enseignement pouvait se tourner vers cette société pour aller chercher de l'information, poser ces questions ou demander de l'aide. Or, cet organisme n'a pas survécu, probablement pour des raisons politiques.

Le gouvernement ou quelqu'un d'autre doit nous envoyer du personnel qui puisse se rendre dans les bandes et leur expliquer la façon dont fonctionnent les choses normalement ou qui puisse au moins dispenser l'information, que la bande choisisse ou non d'en tenir compte; il faut que des gens puissent jouer ce rôle.

Il existe des bandes qui ne savent même pas vers qui se tourner pour aller chercher de l'aide. Bien souvent, elles m'appellent et j'essaie de les conseiller. Mais l'une des difficultés, notamment, c'est que les Indiens ne croient pas ce que leur disent d'autres Indiens, en tout cas je le pense. Ils vont donc préférer embaucher un Blanc qui leur coûte des milliers de dollars et qui leur dira exactement la même chose que ce que je leur aurais dit gratuitement. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est ainsi que cela se passe.

M. Murphy: Cela existe chez nous aussi: personne n'est prophète dans son pays. On a toujours besoin d'experts d'ailleurs.

M. Thomas: Je sais qu'il est difficile pour le gouvernement et pour les Affaires indiennes de proposer aux bandes de les laisser gérer leur propre système scolaire, tout en gardant une certaine mainmise. Je le sais, parce que les Indiens vont réagir immédiatement en vous envoyant promener et en vous expliquant qu'ils sont indépendants et qu'ils veulent tout faire par eux-mêmes. Mais j'ai du mal, pour ma part, à comprendre comment ils peuvent tout faire par eux-mêmes s'ils n'ont pas la formation voulue. C'est cela qui m'inquiète. Mais je m'inquiète encore plus des enfants, puisque ce sont eux qui vont écoper.

M. Murphy: Il faut peut-être faire encore plus. Notre comité doit notamment faire des suggestions et des recommandations qui soient sensées. Vous affirmez qu'une période de transition est nécessaire. Nous l'avons d'ailleurs constaté à certains endroits. En fait, nous avons vu certaines excellentes écoles qui pourraient faire partie de la chambre de compensation dont vous avez parlé et qui pourraient aider d'autres écoles ici et là. Il faut pouvoir colliger toute l'information, car elle existe déjà un peu.

Revenons au budget par étudiant. À votre avis, que doit englober ce budget par étudiant? Il y a évidemment certains éléments qui sautent aux yeux, mais quels sont les éléments qui, d'après vous, devraient être injectés dans ce budget par étudiant? Vous avez dit 4 600$...

.1610

M. Thomas: Nous avons plus d'employés que vous n'en trouveriez dans une école de Portage La Prairie, disons une école secondaire du premier cycle ou une école secondaire tout court. C'est parce que, étant donné les conditions dans lesquelles nous fonctionnons, nous n'avons pas accès à un organisme central pour obtenir l'aide de spécialistes.

Par exemple, pour avoir un psychologue, juste pour faire des tests et de la thérapie, etc., cela coûte très cher. Pour moi, cela ne faisait aucune différence d'embaucher des psychologues qui venaient d'ici ou d'ailleurs, par conséquent, j'en ai embauché un. Au moins, ces spécialistes sont plus disponibles; ils sont là à plein temps. Je n'ai pas obtenu l'aide d'autres bandes et nous n'avons pas partagé les coûts ou autres, parce que personne n'était intéressé.

Nous avons besoin d'orthophonistes, de spécialistes de la thérapie musculaire, et le syndrome d'alcoolisme foetal nous pose des problèmes. Je dois dire que, quelle qu'en soit la raison, c'est quelque chose qui affecte davantage les communautés indiennes que les autres.

Il faut que nous ayons un coordonnateur à plein temps qui assure la liaison entre l'école et les familles car il faut que nous travaillions de concert avec les parents afin qu'ils comprennent à quoi sert l'école et qu'ils nous apportent leur aide, car sans les parents, on n'arrive souvent à rien avec les étudiants. C'est un phénomène normal que l'on retrouve ailleurs. Aujourd'hui je lisais dans le journal ce qui se fait à Chicago.

Ce n'est pas tant à cause de la situation particulière de Peguis, mais plutôt à cause de la langue et du style de vie des gens qui sont mal logés, qui vivent du bien-être social et qui n'ont pas d'emploi - la situation dans notre communauté est probablement pire qu'ailleurs - que le coefficient élève-professeur doit être plus bas, ce que nous expliquons dans notre étude.

Je suis convaincu que si vous considérez l'éducation au sein d'une communauté comme un phénomène nouveau, qui n'existait pas auparavant et qui se développe, pour que les gens comprennent et participent, il faut faire plus d'efforts et il faut donc plus d'employés et plus d'argent pour que tout le système s'avère efficace.

M. Murphy: Je crois que vous avez dit, et c'est intéressant, que vous aviez trop de professeurs.

M. Thomas: C'est ce que le ministère des Affaires indiennes dirait.

M. Murphy: Pas vous.

M. Thomas: Non.

M. Murphy: Je croyais que vous aviez dit cela. Excusez-moi.

M. Thomas: Je dis au conseil scolaire que si nous voulons réussir, si nous avons besoin de quelque chose, s'il y a un élément qui manque et s'il existe un outil éducatif qui permettrait au système de s'avérer plus utile pour nos enfants, nous devrions nous y intéresser. Je sais que cela coûte de l'argent et que j'ai peut-être tort aux yeux du vérificateur et du ministère, mais dans les circonstances présentes, pour que le système fonctionne, il faut que je procède ainsi.

M. Murphy: Je suppose que c'est une question de priorité; la vôtre, ce sont les enfants et cela signifie peut-être qu'il faut se passer de quelque chose d'autre.

M. Thomas: Avec le temps, je suis sùr que nous pourrons surmonter nombre de ces difficultés et que nous deviendrons en quelque sorte un système scolaire qui fonctionnera normalement.

M. Murphy: Mais vous traversez actuellement une période de transition?

M. Thomas: Oui.

M. Murphy: Merci beaucoup.

M. Thomas: Merci.

[Français]

Le vice-président: Monsieur Thomas, j'ai quelques petites questions pour vous. J'ai cru comprendre, dans votre présentation, que vous étiez en cour avec le gouvernement fédéral sur la formule de financement du système d'éducation dans votre communauté. La cour a-t-elle rendu une décision ou y a-t-il eu une entente hors cour? Comment tout cela s'est-il réglé?

[Traduction]

M. Thomas: Ce qui s'est passé, c'est qu'à un moment donné, j'étais moi aussi, fonctionnaire; mais parce que j'étais indien, je ne m'entendais pas avec les autres fonctionnaires et je ne pouvais jamais gagner avec les Blancs, ni d'ailleurs avec les Indiens parce que, tout en étant de leur race, il fallait que j'impose des règlements fédéraux pour que le système fonctionne. Cela n'a pas été une période facile et je ne suis resté que deux ou trois ans au ministère des Affaires indiennes.

Pendant un certain temps, j'ai été directeur régional au Manitoba. J'étais également chargé des programmes éducatifs du ministère dans la province de l'Alberta. À un moment donné, notre propre bande de Péguis m'a demandé si je voulais revenir travailler pour eux. J'ai répondu que j'aimerais bien faire cela et j'ai demandé au responsable du ministère si je pouvais retourner là-bas et travailler dans le cadre d'un arrangement spécial quelconque, ce qu'ils ont accepté. Au bout de sept ans, ils m'ont dit: «Vous savez, Bill, cela fait sept ans que vous êtes absent. Soit vous renvenez travailler ici, soit vous partez.» Alors, j'ai répondu: «Je veux bien m'en aller, à condition que mon salaire soit inclus dans le budget de la bande.» Ils ont répondu qu'ils étaient d'accord et ont mis cela par écrit.

.1615

De fait, ils m'ont dit que tant que je travaillerais pour la bande, mon salaire serait inclus. Or, lorsque la formule de 1985 a été établie, ils m'ont dit: «Nous n'allons plus payer votre salaire à la bande car il est inclus dans la formule.» Je leur ai dit en quelques mots que je ne croyais pas ce qu'ils disaient et que cela n'était pas juste. Ils m'ont répondu que, quoi qu'il en soit, c'est ainsi que les choses allaient se passer. Je les ai donc poursuivis en justice et j'ai demandé au tribunal de décider si j'avais raison ou non parce que j'avais l'impression de m'être un peu fait avoir.

Le tribunal m'a donné raison parce que, dans la formule, lorsqu'on a essayé de trouver des postes qui se rapportaient à l'exploitation d'un système scolaire, les responsables du ministère des Affaires Indiennes n'ont pas été en mesure de les identifier, ni mon salaire, d'ailleurs. Par conséquent, le tribunal a décidé que tant que je travaillerais pour la bande - en théorie, même quand j'aurai 93 ans, je pourrais toujours travailler pour la bande - le ministère devrait payer mon salaire.

Telle est la situation dans laquelle je me trouve. C'est mieux que d'être mis à la retraite.

[Français]

Le vice-président: Une autre petite question. J'ai lu dans votre document de présentation qu'il y avait des étudiants non autochtones qui fréquentaient votre école. Comment obtenez-vous le financement pour ces élèves? Est-ce que vous facturez tout simplement la commission scolaire non autochtone?

[Traduction]

M. Thomas: Nous avons passé un accord - c'est plutôt une lettre d'entente qu'un accord sur les frais de scolarité - avec la division scolaire Frontier du Manitoba, en vertu duquel nous assurons l'instruction de leurs étudiants et nous leur envoyons chaque année une facture totalisant les frais par étudiant. C'est en quelque sorte un financement des frais de scolarité qui va à l'inverse de ce qui se fait habituellement, mais ces étudiants viennent à l'école comme les autres et nous ne faisons aucune différence, ils font partie de notre communauté, ils sont le fruit de mariages mixtes car ils viennent des fermes environnantes.

[Français]

Le vice-président: Une dernière question. J'ai vu que votre école a été consacrée «école exemplaire» en 1994. Je vous félicite. Cependant, vous dites aussi que le conseil scolaire est sous la juridiction du conseil de bande; c'est-à-dire que c'est le conseil de bande qui administre les fonds de l'éducation. Or, dans certaines communautés, on a constaté que les gens préféraient que le conseil scolaire soit distinct de l'administration du conseil de bande. Est-ce que vous pourriez nous expliquer la relation qui existe entre le conseil scolaire et le conseil de bande? Est-ce que les fonds de votre conseil scolaire sont votés par les chefs du conseil de bande ou si votre conseil est indépendant?

[Traduction

M. Thomas: En gros, nous sommes indépendants. Etant donné que je suis son directeur général, je suis sous les ordres du conseil scolaire. Le conseil scolaire est nommé par le conseil de bande. À une certaine époque, les membres étaient élus; maintenant, ils sont nommés. En ce qui concerne le budget, nous fonctionnons dans le cadre de ce que l'on appelle au gouvernement un mode optionnel de financement. Tout l'argent est alloué ou du moins réservé une fois par mois et l'éducation est un poste budgétaire séparé.

Tout l'argent est versé à la bande mais les sommes réservées à l'éducation sont placées dans un compte séparé. Il y a également des comptes communs, par exemple, pour les frais administratifs. Nous puisons aussi à d'autres sources budgétaires afin de financer nos frais généraux, le conseil scolaire, les voyages, etc.

[Français]

Le vice-président: Monsieur Bonin.

[Traduction]

M. Bonin: Donc, est-ce que c'est le conseil de bande qui vous nomme ou est-ce que les cinq personnes qui constituent le conseil scolaire sont assez autonomes pour décider qui doit être embauché ou renvoyé? Avez-vous été nommé par le conseil scolaire dont les membres sont eux-mêmes nommés par le chef et le conseil?

M. Thomas: À l'origine, j'ai été nommé par le chef et le conseil mais je considère que je suis sous les ordres du conseil scolaire. Nous travaillons en étroite collaboration avec le conseil de bande, naturellement, et s'il y a des questions qui, nous le savons, vont avoir un impact sur la communauté toute entière, nous nous adressons alors au conseil de bande pour lui demander son avis et aussi pour qu'il prenne une décision.

M. Bonin: C'est donc le conseil de bande qui a le dernier mot?

M. Thomas: C'est exact.

M. Bonin: À votre avis, est-ce qu'il y aurait un avantage à ce que le conseil scolaire soit complètement autonome, à ce que ses membres soient élus par la collectivité et à ce qu'ils ne soient pas responsables devant le conseil de bande ou le chef?

.1620

M. Thomas: Je ne vois pas en quoi cela serait avantageux pour nous. Je sais qu'il y a des communautés qui choisiraient cette option. J'ai aussi connu des cas où il y a eu des problèmes de fonctionnement et de collaboration, etc. avec des conseils scolaires qui étaient indépendants des conseils de bande et avaient été constitués comme tels en vertu de lois provinciale ou fédérale.

Je pense qu'il est bon que nous, à Peguis du moins, réalisions que la chose la plus importante, c'est que nous avons une mission à accomplir. La manière dont nous nous arrangeons entre nous doit servir cet objectif et c'est ce que nous avons fait. Nous n'avons eu aucun problème à nous adresser au conseil de bande et à dire: «Écoutez, voilà une question qui doit être réglée, qu'en pensez-vous?» Nous la réglons; nous travaillons très bien ensemble.

M. Bonin: Je ne voudrais pas vous donner l'impression que je pose des questions qui ont trait uniquement à votre cas.

M. Thomas: Non.

M. Bonin: Mes questions ont une plus large portée...

M. Thomas: C'est la raison pour laquelle j'y répond de cette façon...

M. Bonin: Bien sûr, votre réponse est excellente, je ne veux simplement...

Bon, voici mon autre question. Dans le cadre du système actuellement en place - que vous n'avez pas établi, je pense, c'est plutôt le ministère des Affaires indiennes - êtes-vous sûr que le conseil de bande vous donnera les fonds? Qu'est-ce qui vous dit que le prochain chef et son conseil seront aussi favorables à l'éducation que celui qui est en place aujourd'hui? C'est ce qui me préoccupe. Comment pouvons-nous garantir que l'éducation continuera à être une priorité quel que soit le conseil de bande qui est en place? C'est qu'il y a des bons et des mauvais gouvernements.

Je ne peux pas parler en votre nom; je ne suis pas membre de votre communauté. Mais j'ai personnellement de l'expérience dans le secteur de l'administration scolaire. À mon avis, la solution, c'est une administration scolaire autonome élue par la collectivité et dotée des pleins pouvoirs qui reçoit les fonds directement.

M. Thomas: Étant donné la structure sociale des communautés, notamment les plus petites, je pense que la politique joue un grand rôle. Les questions anodines y deviennent importantes. De mon point de vue, si il y avait une séparation légale, cela donnerait de l'ampleur à la politique et aux problèmes.

J'ai une attitude plutôt philosophique à ce propos car j'y ai réfléchi, moi aussi. Si par exemple le conseil de bande décidait qu'au lieu de nous donner un demi million de dollars pour financer un programme éducatif, il allait nous donner 400 000$ dollars, je dirais, et bien, qu'est-ce que j'ai à dire? Je m'arrangerais avec les 400 000$ dollars et je ferai de mon mieux. Si la communauté se rend compte qu'il y a un problème et qu'il faut le régler, c'est à la communauté d'intervenir. Je sais que notre communauté, et j'oserais dire la plupart d'entre elles, feront un esclandre si, alors que l'argent est disponible, on n'accorde pas à l'éducation ce qui a été prévu et ce qui doit être fait ne l'est pas.

M. Bonin: Ce que je crains, c'est qu'avec un conseil scolaire nommé par le chef et le conseil de bande, il n'y ait guère de continuité au conseil scolaire car si le chef et le conseil de bande changent une nouvelle clique s'impose. Je ne crois pas que vos communautés soient si différentes de la mienne. Nous avons tendance à former des équipes. Si un conseil de bande change, c'est parce qu'il y a une autre clique qui s'impose.

Par conséquent, cette nouvelle autorité pourrait remplacer l'administration scolaire et il n'y aurait pas de continuité. Certains de mes collègues au conseil scolaire y siègeaient depuis 30 ans. Leur engagement était total, ils s'étaient beaucoup investis et avaient acquis énormément d'expérience. Je suppose que tout cela pourrait en souffrir. Est-ce que je me trompe?

M. Thomas: Non, cela arrive bel et bien et moi aussi, je pense que ce n'est pas bon. Je connais deux ou trois communautés où le conseil scolaire a changé parce qu'il y avait un nouveau chef et un nouveau conseil de bande. Il a fallu tout reprendre à zéro pour faire fonctionner le système.

Je ne veux pas être cynique mais la question qui se pose à propos de tous ces gens qui n'ont pas d'expérience dans le domaine de l'éducation, c'est: est-ce que cela fait une différence?

M. Bonin: Oui, cela en fait une. J'en suis convaincu.

M. Thomas: Ce n'est pas arrivé à Peguis et par conséquent, je ne sais pas ce qui se passerait. Cela fait au moins dix ans que notre conseil scolaire est établi. Le chef est là depuis 15 ou 16 ans.

M. Bonin: Je vous crois et je peux aussi le constater d'après votre exposé et la documentation que vous nous avez fournie. Ce qui me préoccupe, ce sont les communautés où les choses ne se passent pas comme ça, car il faut assurer une certaine continuité, même dans votre communauté.

.1625

J'ai une dernière petite question. Combien demandez-vous au conseil scolaire voisin ou aux collectivités, par étudiant, lorsque vous leur vendez des services éducatifs? Vos coûts s'établissent à 4 600$; combien leur demandez-vous?

M. Thomas: Le montant des coûts par étudiant, à part les dépenses d'immobilisation et les frais de transport.

M. Bonin: Ils doivent se charger de cela.

M. Thomas: Oui. Mais dans tout cela, notamment dans le contexte de la question que vous avez posée, il y a également des effets à long terme dont il faut tenir compte. Si l'on ne permet pas aux gens, dans une large mesure, d'agir de façon autonome, si vous voulez, et de déterminer ainsi par le biais de l'expérience quel genre de système marche mieux pour eux, à long terme, nous n'allons pas aller bien loin.

M. Bonin: Je suis d'accord avec vous. C'est la raison pour laquelle ce que nous pouvons faire de mieux c'est de prendre en considération ce que toutes vos communautés nous ont dit et de tirer les leçons que peuvent nous donner celles qui ont le mieux réussi. Nous n'avons certes pas l'intention d'intervenir et de vous dire comment procéder à partir de maintenant. Loin de là.

M. Thomas: L'autre facteur, c'est l'argent. Les gens n'arrêtent pas de se plaindre en disant que leurs impôts servent à financer les Indiens, etc. Cela ne me fait pas peur que l'on mette en place un système plus strict de reddition des comptes, si c'est cela que vous voulez, ou que nous soyons tenus de vous dire ce que nous allons faire, de nous comporter en véritables partenaires et de vous tenir au courant de nos plans, etc. J'aimerais pouvoir procéder ainsi.

Je ne comprends pas pourquoi le ministère des Affaires indiennes et du Nord tient tant ses distances. Ils s'occupent de leurs affaires et nous des nôtres. Dès le départ, on a l'impression qu'ils agissent presque contre les Indiens. De fait, moi qui suis titulaire d'une maîtrise, il faut que je transige avec des gens qui n'ont pas de diplôme. C'est un peu le monde à l'envers. Je souhaiterais qu'il existe de meilleures relations de travail.

M. Bonin: C'est comme si un député devait transiger avec le personnel d'un ministre. Je sais ce dont vous parlez.

M. Murphy: Chose certaine, nous avons pu constater lorsque nous avons fait le tour de différentes écoles que l'objectif était d'embaucher plus d'enseignants autochtones.

Aidez-moi un peu. J'ai eu l'impression que l'on voulait précipiter les choses en ce sens que l'on donnait une formation très rapide aux enseignants autochtones et que l'on en acceptait parfois dans des programmes pédagogiques avec un niveau d'instruction correspondant à la dixième année.

Nous avons entendu parler de cela. La formation de certains de ces enseignants ne leur permettait pas d'acquérir un large éventail de connaissances, mais se limitait plutôt à une perspective très étroite qui ne ressemble en rien au genre d'instruction que vous avez reçu, vous-même, je pense. Il s'agissait d'aides- enseignants, ils comblaient un vide, et ils étaient Autochtones, mais leurs qualifications n'étaient peut-être pas celles qui permettent d'inspirer de jeunes enfants, de les rendre curieux et de leur ouvrir de nouveaux horizons. J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de cela.

M. Thomas: À une certaine époque, j'ai eu l'occasion de donner un ou deux cours universitaires en lecture et en recherche à un groupe de futurs enseignants dans le nord du Manitoba. D'après le contenu du cours, le comportement des étudiants et leurs attentes, je me suis rendu compte que leur niveau était vraiment bas. J'ai refusé de continuer à participer à ce programme. J'ai dit au président du collège de Brandon que je n'allais pas continuer car je ne voulais pas que mon nom soit associé aux problèmes qui, à mon avis, ne manqueraient pas d'arriver.

J'étais convaincu que ces étudiants avaient été acceptés dans le programme au nom d'un certain opportunisme, comme vous dites, pour faire plaisir à la communauté, pour qu'il y ait un certain nombre d'étudiants venant du collège de Brandon et pour d'autres raisons. Ce n'était pas fait comme il faut.

Ces étudiants sont bel et bien devenus des enseignants. Ils ont obtenu leur certificat. Ce qui est le plus triste, ce n'est pas vraiment ce qui leur est arrivé à eux, mais plutôt ce qui arrive aux pauvres étudiants qui leur ont été confiés et qui vont avoir une instruction déplorable. Je sais que cela est arrivé. Cela arrive encore.

.1630

Je sais que dans tout le pays on laisse participer des Indiens à certains programmes simplement parce qu'ils sont Indiens. De fait, il y a des surintendants et des enseignants qui occupent ces postes simplement parce qu'ils sont Indiens. Peut-être suis-je intransigeant, mais je pense que pour être enseignant, il faut avoir les qualifications requises. Il faut avoir acquis beaucoup d'expérience du monde pour pouvoir la partager avec les enfants, pour leur ouvrir l'esprit.

M. Murphy: Je suis d'accord avec vous.

M. Thomas: Je pense qu'il faut que nous soyons très stricts sur ce point. De fait, le même genre de programme existe à Peguis. Lorsque je suis arrivé, j'ai dit: «les élèves maîtres ne resteront que deux ans et non quatre à Peguis pour pouvoir devenir enseignants. Ils passeront les deux dernières années à l'université, comme tout le monde, avant de devenir enseignants. C'est ce que nous avons fait et nous comptons maintenant 33 Indiens parmi nos employés...

M. Murphy: Aussi qualifiés que vous...

M. Thomas: Des gens qui sont qualifiés, dont certains détiennent une maîtrise. Il y a deux ou trois personnes qui finissent leur maîtrise. De fait - j'aime bien me vanter un peu, de temps en temps - parmi ceux qui ont suivi des cours au niveau post-secondaire, il y a une jeune fille de 23 ans qui a récemment reçu un diplôme en droit avec distinction de l'Université de l'Alberta.

Nous comptons plusieurs avocats. Pas d'ingénieurs, mais de nombreux enseignants, des infirmières, etc. Nous avons environ 500 coiffeurs...

M. Murphy: Oui, très bien.

J'allais vous demander de formuler une recommandation à ce sujet parce que nous pourrions bien aboutir à dire exactement ce que vous avez dit vous-même et j'aimerais que cela soit mis par écrit exactement en ces termes. Mais nous allons avoir des problèmes car il y a des écoles dans diverses universités qui offrent des programmes d'étude de nature pédagogique à l'intention des autochtones et qui vont vous dire que ce sont de bons progammes.

Je ne remets pas nécessairement en question la qualité de leurs programmes; je me demande plutôt si les gens qui y participent ont une instruction suffisante pour acquérir cette largeur d'esprit dont vous avez parlé.

Ces étudiants obtiennent rapidement leur diplôme et rentrent chez eux. Oui, nous avons X étudiants autochtones mais, comme vous l'avez si bien dit, à long terme, ce sont les enfants qui n'ont pas ce qu'ils méritent. Ce n'est la faute de personne, mais nous laissons faire les choses. Le gouvernement fédéral investit des sommes appréciables dans ce genre d'initiative.

Si vous étiez à ma place - étant donné qu'il est évident que vous êtes d'accord avec ce que j'ai dit - comment formuleriez-vous cela? Quel genre de recommandation officielle feriez-vous? Vous allez froisser quelqu'un, c'est inévitable.

M. Thomas: Oui, mais il y a des façons d'y parvenir. Il y a des gens qui veulent obtenir des qualifications professionelles. Peut-être que leur niveau d'instruction n'est que celui de la dixième année ou même moins. À Peguis, nous avons enrôlé des gens comme cela dans un programme qui leur a permis d'atteindre le niveau requis pour entrer à l'université. Ils ont ainsi pu réussir, et c'est peu dire.

M. Murphy: Il a fallu qu'ils fassent cela d'abord?

M. Thomas: Il a fallu qu'ils fassent cela d'abord: arriver au niveau requis pour entrer à l'université avant d'acquérir une formation professionnelle - c'est-à-dire, se recycler, si vous voulez. Cela a très bien réussi.

Vous seriez étonné de voir combien des gens qui n'ont pas véritablement d'instruction peuvent apprendre. Par exemple, j'ai inscrit 14 personnes choisies au hasard à un cours en technique d'arpentage dans le nord de l'Alberta. Ils ont tous réussi. Certains d'entre eux gagnent des sommes folles. Si je n'étais pas intervenu, ils n'auraient rien. On peut faire ce genre de chose. Dans une certaine mesure, les gens ne croient pas qu'ils peuvent y arriver. Il faut les convaincre et les pousser à le faire.

M. Murphy: Mais cela dénote la présence d'un bon professeur.

M. Thomas: Cela fait vraiment plaisir de voir que les gens peuvent y arriver.

M. Murphy: Mais cela dénote la présence d'un bon professeur, et c'est de cela que je parle.

[Français]

Le vice-président: Monsieur Thomas, il ne me reste qu'à vous remercier. J'espère que vous resterez longtemps surintendant du Conseil scolaire Peguis. Je pense que votre communauté est entre bonnes mains pour ce qui a trait à l'éducation et je vous prie de lui transmettre nos salutations au Manitoba. Il nous a fait bien plaisir de vous recevoir ici cet après-midi et merci encore.

[Traduction]

M. Thomas: Merci beaucoup. J'espère avoir pu vous aider un peu.

Le vice-président: La séance est levée.

Retourner à la page principale du Comité

;