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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 26 avril 1995

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[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous avons reçu hier des représentants du ministère du Développement des ressources humaines et du ministère des Pêches et des Océans qui nous ont présenté leur rapport habituel sur le programme LSPA, concernant les divers éléments du programme de soutien du revenu, les programmes de réduction du ministère des Pêches et des Océans et d'autres questions concernant la mise en oeuvre de ce programme essentiel. Nous avons également reçu hier, au cours de l'exposé présenté par les fonctionnaires de Pêches et Océans, un tableau.

Monsieur le greffier, avons-nous reçu ce document?

Le greffier du Comité: Non.

Le président: Ils nous ont dit que nous aurions ce document dans la soirée d'hier ou tôt ce matin. Je présente mes excuses au Comité parce que nous ne l'avons pas encore.

Mais on nous a présenté un exposé au cours duquel on nous a fourni des renseignements sur la pêche à la morue - malheureusement, cela a figuré dans la partie consacrée au poisson de fond - et il est apparu clairement que le ministère basait son action sur le fait qu'il faudrait attendre au moins 14 ans avant que l'on puisse reprendre la pêche commerciale de la morue dans les zones nord-est au large de Terre-Neuve.

Cela nous a amenés à poser immédiatement un certain nombre de questions. Ces représentants ont manifesté une certaine réticence à répondre à nos questions parce qu'ils n'étaient pas des scientifiques. Nous avons donc demandé un scientifique. M. Doubleday est venu hier et je l'en remercie. Je sais que nous lui avons donné un avis très court. Nous avons pensé qu'il avait en sa possession des renseignements tellement intéressants pour nos travaux que nous lui avons demandé de revenir, ce à quoi il a consenti.

Monsieur Doubleday, je tiens à vous souhaiter aujourd'hui la bienvenue officiellement. Je ne pense pas que vous ayez été officiellement accueilli hier parce que vous êtes arrivé au cours d'une de nos séances.

Je vais tenter de formuler ce que souhaite entendre le Comité. Il est assez clair que les ministères concernés ont mis au point le programme LSPA et l'ont fait approuver par le Cabinet en se fondant sur toute une série d'hypothèses. On prévoyait une reconstitution du stock de poisson de fond, phénomène qui varierait selon les secteurs en fonction de l'état du stock. Ce programme reposait sur l'idée que tout d'abord il y aurait une reconstitution des stocks et, deuxièmement, qu'il y aurait parallèlement une réduction importante de la capacité, dans le domaine de la pêche et dans celui de la transformation. Je pense que le chiffre mentionné était 50 p. 100.

En raison de l'existence de ces deux objectifs, on a mis sur pied des programmes destinés à aider les personnes concernées en leur fournissant un soutien du revenu, de la formation et du recyclage. Nous voulons également définir le noyau de base de l'industrie et encourager ceux qui vont en faire partie à y demeurer et à prendre certaines initiatives.

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Nous avons également élaboré un programme qui visait à encourager une réduction de la capacité pouvant aller jusqu'à 50 p. 100, qui était fondée sur les données scientifiques de l'époque. On pensait à ce moment que les stocks se reconstitueraient et que cela prendrait un certain temps.

Ce que nous avons entendu hier n'était pas vraiment nouveau, mais c'était tout de même la première fois que cela figurait officiellement dans le document de Pêches et Océans. Il semble que les données scientifiques sur lesquelles est fondé ce programme de 1,9 milliard de dollars indiquent que les stocks de poisson ne vont pas réapparaître comme nous l'espérions il y a deux ans. Nous ne savons pas si, pour vous et pour les biologistes et scientifiques, ce déclin s'accélère, ralentit ou continue au même rythme. Nous ne savons pas si l'on pourra pêcher dans ce secteur dans cinq, sept, dix, quinze ou vingt ans.

Le Comité aimerait beaucoup savoir exactement, d'une personne bien informée, quel est l'état des connaissances actuelles, quelle est la tendance de l'évolution des stocks de poisson et à partir de quel moment on pourrait espérer les voir se reconstituer. Je sais que les termes utilisés ont leur importance. Il a été dit qu'il faudrait attendre au moins quatorze ans.

Nous allons vous poser certaines questions aujourd'hui. J'espère que ce que nous vous demandons n'est pas contraire à l'éthique de votre profession et à vos titres de compétences. Nous avons besoin de votre avis, parce que j'espère que nous serons en mesure de formuler certains commentaires et certaines recommandations dans lesquelles nous allons préciser si, en se fondant sur de nouvelles données scientifiques, les programmes mis sur pied vont permettre d'atteindre les objectifs qui ont été fixés ou des objectifs que nous pourrions suggérer.

Avez-vous une copie de ce tableau? Serait-il possible d'en obtenir des photocopies? Ce sont ces chiffres qui nous intéressent. Nous ne les avons pas.

Pourriez-vous nous parler des recherches que l'on fait actuellement? Quelle en est exactement la nature? Comment faisons-nous pour évaluer les stocks de poisson?

J'espère que nous aurons ce document après avoir entendu vos réponses et que nous pourrons vous poser des questions sur l'état des connaissances dans divers secteurs.

M. William Doubleday (directeur général, Direction générale des sciences biologiques et océaniques, ministère des Pêches et des Océans): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un plaisir que de revenir devant le Comité.

J'aimerais commencer en attirant votre attention sur un document qui a été transmis aux membres du Comité au moment de la table ronde sur le poisson de fond de l'Atlantique tenue au mois de mars. Ce document s'intitulait Survol des ressources de poisson de fond de l'Atlantique canadien. Je pense qu'il faisait partie de la série de documents concernant cette réunion qui avaient été distribués aux membres du Comité. Il décrit la situation générale du poisson de fond dans les eaux de Terre-Neuve, le golfe Saint-Laurent et le plateau néo-écossais. Il donne un bon aperçu de la situation actuelle.

Voici quels sont les éléments importants de ce document. Il signale qu'il existe à l'heure actuelle des moratoires pour la plupart des stocks de morue et pour de nombreux autres stocks de poisson de fond, avec quelques rares exceptions, comme le merlu argenté. On a réduit le total des prises admissibles dans le cas d'autres stocks. Les prises des principaux stocks de poisson de fond ont été sensiblement réduites. Les renseignements préliminaires dont nous disposons pour 1994 indiquent que les prises de poisson de fond sont tombées à leur niveau le plus bas jamais enregistré. Je crois que l'on peut affirmer qu'il en va de même pour la plupart des autres stocks de poisson de fond de l'Atlantique. Les prises ont atteint le niveau le plus bas qui ait jamais été enregistré, ou elles en sont très proches.

Le stock de morue du Nord qui était le principal stock de morue dans l'Atlantique nord-ouest a brutalement chuté et continue à diminuer malgré le moratoire en place depuis juillet 1992. La biomasse de ce stock est à un creux sans précédent et il n'existe aucun signe annonciateur d'une reconstitution du stock. Les changements qui se sont opérés dans la migration des poissons, dans leur répartition, dans l'abondance des espèces non commerciales et certains facteurs liés à l'environnement semblent indiquer que la chute de la productivité du poisson de fond est due à des phénomènes naturels de grande envergure.

Les scientifiques ont constaté que les stocks de poisson sont en diminution constante et que certaines espèces ont pratiquement disparu de leur habitat normal. À l'avenir, l'industrie du poisson de fond va devoir s'ajuster aux faibles niveaux de productivité qui semblent régner actuellement.

En général, les perspectives sont peu reluisantes parce que les classes d'âge de la fin des années 1980 et du début des années 1990 sont faibles et ne permettront pas de reconstituer les stocks.

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Les stocks de nombreuses espèces vont probablement se reconstituer lentement. Ce phénomène pourrait être un peu plus rapide dans les secteurs sud où les conditions environnementales favorisent une productivité plus forte.

Voilà la déclaration générale que je voulais faire. Si le Comité le souhaite, je pourrais vous communiquer d'autres données qui se trouvent dans le document, mais il serait peut-être préférable que je me contente d'attirer votre attention sur certains points et de ne plus parler aujourd'hui du contenu de ce document.

Le président: Non, je crois que nous aimerions que vous nous parliez davantage du contenu du document. Je vais vous dire pourquoi. Les choses évoluent tellement rapidement dans le domaine des pêcheries que nous avons eu beaucoup de mal à suivre tout cela, malgré notre intérêt évident pour le sujet. Je ne pense pas qu'on ait invité des représentants du Comité à faire partie de la table ronde, même s'il s'agit du Comité des pêches. Nous sommes habituellement obligés d'essayer de récupérer ces choses après coup.

J'aimerais, si vous le voulez bien, parler un peu de l'aspect scientifique, parce que pour être tout à fait franc avec vous - j'ai fait certaines déclarations hier en ce sens - depuis la guerre du turbot, tous ces journalistes canadiens qui n'avaient jamais manifesté le moindre intérêt pour les ressources halieutiques - et je ne parle pas des gens qui sont ici aujourd'hui - et qui n'avaient jamais rien écrit à ce sujet sont maintenant devenus tous des experts. La moindre de nos déclarations dans ce domaine fait les nouvelles nationales. Voilà une évolution intéressante.

J'ai l'impression que certains fonctionnaires du ministère tentent de faire machine arrière et disent que tous ces renseignements sont dépassés. Ce sont peut-être des données un peu anciennes, mais c'est la première fois que l'on décrit de façon concise au Comité le sens dans lequel évoluaient ces données scientifiques. Nous sommes très reconnaissants envers ces personnes qui recueillent ces données.

En tant que président, j'aimerais que vous nous parliez de façon plus détaillée du stock, en particulier dans le secteur 2J-3K-3L, secteur où il paraît être le plus en difficulté.

M. Doubleday: Je suis désolé, monsieur le président, mais je crois que vous m'avez mal compris. Je voulais simplement vous mentionner que je n'allais pas lire intégralement le document.

Le président: Désolé. J'ai cru que c'était là votre intention. Si vous pouviez nous dire comment...

M. Doubleday: J'aimerais vous parler maintenant de la façon dont nous mesurons les réserves de poisson de fond, en particulier la morue, pour ensuite vous parler peut-être des principales réserves de morue.

Le président: Pourriez-vous également nous expliquer comment ces données ont modifié les prévisions? Nous aimerions savoir ce qui a changé au cours des deux dernières années. Nous aimerions savoir quelles étaient les prévisions que faisaient les scientifiques en se basant sur les données concernant les années 1991, 1992 et 1993 pour mieux comprendre les raisons des décisions qui ont été prises il y a un an et demi. Nous aimerions savoir quels sont les changements qui se sont opérés dans les stocks pour nous faire une idée de la rapidité avec laquelle les choses évoluent.

M. Doubleday: Il existe deux grandes méthodes pour mesurer les stocks de poisson de fond. Il y a tout d'abord les études qu'effectuent les navires océanographiques qui font de la pêche en fonction d'un plan établi scientifiquement... et la surveillance des activités de pêche commerciale. Bien entendu, lorsqu'un moratoire est en vigueur, on ne peut surveiller la pêche commerciale. Dans certains cas, nous faisons des relevés ponctuels qui nous fournissent certains renseignements sur l'évolution des stocks visés par le moratoire.

Au cours des 10 dernières années, c'est l'étude qu'effectue annuellement le navire océanographique qui nous a fourni les mesures les plus fiables de l'abondance de la plupart des stocks de poisson de fond. Cette étude porte sur tous les poissons de fond se trouvant dans un secteur donné.

Nous effectuons une grande étude qui couvre le secteur de la morue du Nord dans les divisions 2J, 3K et 3L de l'OPANO. Nous mesurons également d'autres espèces, comme la plie canadienne, la raie, le sébaste atlantique, et tout ce qui se trouve dans le secteur.

Nous effectuons une étude du sud des Grands Bancs, dans la division 3N-3O. Nous effectuons également une étude dans la division 3PS. Nous mesurons également les stocks dans le nord du golfe Saint-Laurent, dans le sud du golfe Saint-Laurent et sur la plate-forme néo-écossaise et sur le Banc de George. En résumé, les principaux stocks de poisson de fond font l'objet d'au moins une étude scientifique chaque année par un navire océanographique.

Lorsqu'il y a des activités de pêche commerciale, nous demandons aux pêcheurs des renseignements concernant leurs prises et nous prenons des échantillons dans leurs prises pour déterminer la taille et l'âge des poissons pris. Grâce à eux, nous obtenons également des renseignements concernant les lieux où se trouvent le poisson et les prises.

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En langage technique, on appelle cela «prise par unité d'effort». Cela désigne, essentiellement, la quantité de poissons qu'un bateau peut prendre dans un laps de temps donné. L'idée est que plus il y a de poissons, plus on pourra en prendre dans un même laps de temps. C'est une indication de l'évolution des stocks. Le total des prises est le meilleur moyen que nous ayons de calibrer notre étude sur l'état des stocks, étude qui nous fournit à cet égard non pas des chiffres absolus mais des ordres de grandeur. Ce sont là deux grandes sources d'information.

En ce qui concerne les diverses espèces et les diverses zones de pêche concernées, je dirais que l'attention du Comité se portera en premier lieu sur la morue du Nord, et les zones de pêche 2J, 3K et 3L. Depuis 1981, nos navires de recherche mènent des études dans l'ensemble de ces zones et l'on peut dire, de manière générale, qu'au cours des années 1980 les résultats sont relativement stables. Je précise tout de même qu'en 1986 on a constaté, sans pouvoir l'expliquer, une augmentation de nos données chiffrées, augmentation dont nous avons appris depuis qu'elle ne correspondait à aucun changement dans l'état des stocks. Les résultats fluctuent légèrement d'une année à l'autre mais, jusqu'en 1990, la situation est restée assez stable. En 1991, on a constaté une baisse radicale d'environ 50 p. 100. En 1992, on a constaté une nouvelle baisse de deux tiers.

Le président: Vous voulez dire deux tiers des résultats de 1991 ou deux tiers des résultats de 1992?

M. Doubleday: Deux tiers par rapport à 1991, ce qui donne deux tiers de la moitié.

L'année suivante, on a constaté une nouvelle baisse de trois quarts par rapport à l'année précédente. Puis, l'année dernière, on a constaté une nouvelle baisse, les chiffres étant tombés à un cinquième de ce qu'ils étaient l'année précédente.

Le président: Vous voulez dire une baisse d'un cinquième ou une baisse ramenant le niveau à un cinquième de ce qu'il avait été précédemment.

M. Doubleday: Le niveau était tombé à un cinquième de ce qu'il était précédemment.

Le président: C'est dire que les stocks avaient baissé de 80 p. 100 par rapport à l'année précédente.

M. Doubleday: C'est bien cela. Je rappelle que les années précédentes avaient déjà accusé des baisses importantes. S'agissant de la période 1990-1994, notre étude révélait, en fin de période, des stocks de morue du Nord s'élevant à 1 p. 100 de ce qu'ils avaient été en 1990.

Le président: Selon votre enquête, il y a donc eu une baisse de 99 p. 100.

M. Doubleday: C'est exact.

Ainsi que je l'ai indiqué hier au Comité, la première des grandes baisses soudaines, celle de 1991, a surtout affecté les poissons matures, c'est-à-dire les poissons d'au moins sept ans. À cette époque, notre étude relevait la présence d'assez grandes quantités de morue non mature - appartenant aux classes d'âge 1986 et 1987, ces poissons apparaissant toujours depuis plusieurs années dans les prélèvements que nous effectuons.

On prévoyait à l'époque qu'en imposant un moratoire à la pêche commerciale on permettrait à ces deux classes d'âge de se développer et de contribuer notablement, dans les quelques années qui suivraient, aux stocks de poisson en phase de reproduction, ce qui devrait entraîner une augmentation assez rapide de ces stocks. Mais le résultat a été bien différent. Malgré le moratoire, notre étude a donné, pour ces classes d'âge pourtant nombreuses, des prises inférieures à celles de l'année précédente. Il est clair que si nous prenions moins de poissons, c'est qu'ils mouraient avant qu'on puisse les prendre.

Lors de notre étude de 1992, on avait constaté des classes d'âge encore assez nombreuses par rapport aux prises enregistrées à partir de 1981, mais l'année suivante leur nombre a baissé radicalement, le nombre baissant encore l'année suivante, ce qui fait qu'à l'heure actuelle il reste très peu de poissons appartenant à ces classes d'âge-là.

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Cela veut dire que les poissons dont on espérait, au début des années 1990, qu'ils contribueraient à la reconstitution du stock de poisson en âge de se reproduire au milieu des années 1990 sont devenus rares. Il n'en reste que très peu. Le rétablissement des stocks de morue du Nord dépendra de nouvelles classes d'âge qui restent à naître.

Je comprends bien que le Comité tente d'obtenir les données scientifiques les plus fiables quant au temps nécessaire pour assurer la reconstitution des stocks de morue du Nord afin de permettre la reprise de la pêche commerciale au niveau qui était le sien dans les années 1980. Je regrette, monsieur le président, de ne pas pouvoir vous donner sur ce point une réponse définitive. La réponse dépendra, en effet, de la manière dont les choses vont se passer et, en ce qui concerne la morue du Nord, nous ne sommes pas en mesure de vous dire à l'avance quand apparaîtront des classes d'âge suffisamment nombreuses.

Le président: Vous étiez cependant en mesure de prévoir, en vous fondant sur les données dont vous disposez, les époques où ces classes d'âge seraient le moins susceptible d'apparaître.

M. Doubleday: C'est vrai. Ce que je suis maintenant en mesure de vous dire c'est que nos études ne décèlent actuellement la présence d'aucune classe d'âge nombreuse parmi les poissons candidats à la pêche. Nous avons mené des études sur les jeunes morues dans les baies du nord-est de Terre-Neuve et nous avons trouvé en nombre assez important des morues d'un ou deux ans. Mais, chaque année, on ne les retrouve plus dans les études que nous menons sur les morues âgées de trois, quatre et cinq ans au large des côtes. Il semble donc que ces morues n'arrivent plus à dépasser l'âge de deux ans. Leur taux de mortalité est très élevé.

À l'heure actuelle, le stock est tellement bas que nos chercheurs estiment fort peu probable que l'on voie apparaître une classe d'âge nombreuse comme celle qu'on a pu voir dans le temps. Le stock en phase de reproduction correspond, au plus, à 1 p. 100 de ce qu'il était et il est donc peu réaliste de penser qu'un nombre aussi faible de poissons en âge de se reproduire pourrait donner de ces classes d'âge abondantes qu'on avait vu, disons, dans les années 1960.

Par conséquent, sans vouloir faire de prédiction et sans vouloir affirmer que c'est ainsi que les choses vont se passer... il me paraît raisonnable de dire qu'il nous faudrait deux cycles où un nombre important de morues du Nord parviendraient à maturité, ce qui veut dire à l'âge de sept ans, pour que ces poissons se reproduisent et donnent à leur tour des classes d'âge abondantes. On pourrait donc s'attendre à ce qu'il faille au moins 14 ans pour obtenir un rétablissement des stocks. Ce chiffre n'a aucune valeur absolue. Cela pourrait prendre plus longtemps ou cela pourrait prendre moins longtemps. Je dis simplement qu'il s'agit là du temps nécessaire pour permettre à deux générations de morues du Nord de parvenir à maturité.

On ne peut donc pas prévoir à quelle date se rétabliront les stocks. Nous pouvons dire dès maintenant que ça prendra du temps. On ne peut pas espérer que cela se produira dans les quelques années qui viennent. Il est raisonnable de penser qu'il nous faudra attendre qu'au moins une classe d'âge abondante atteigne l'âge de la reproduction, que la reproduction se passe correctement et que le stock se rétablisse progressivement avant de pouvoir espérer le poisson abondant qu'on voyait autrefois.

Je pense que je vais m'en tenir à cela.

Le président: J'aimerais revenir sur une ou deux questions. Il s'agit d'éclaircir un ou deux points... Vous nous avez déjà donné une bonne idée de la manière dont les données sont recueillies et comme les résultats de vos études ont changé radicalement d'une année à une autre. Quand ce programme était en cours de préparation, je crois que c'était... Cela remonte à quand, à un an, à un an et demi? Depuis quand le programme LSPA fonctionne-t-il? Il y a un an, c'est sur les données de 1993 qu'on se serait penché. Est-ce exact?

M. Doubleday: C'est exact.

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Le président: Ainsi, en 1993, si vous examinez les prévisions effectuées par les chercheurs et les planificateurs de Pêches et Océans pour les zones 2J, 3K et 3L, on envisageait à l'époque un minimum de sept ans pour le rétablissement des stocks.

Ne craignez surtout pas qu'on vienne par la suite vous le reprocher en disant «Pourtant, il nous avait dit que...». Nous comprenons fort bien qu'il s'agit d'un exercice imprécis et que les chiffres mêmes sont appelés à changer. Mais quel était, d'après vous, le laps de temps nécessaire avant que l'on puisse entrevoir un rétablissement?

M. Doubleday: Monsieur le président, nous n'avons jamais donné une réponse précise à cette question.

Le président: Mais comment le fixer alors? Peut-être pourriez-vous nous le dire?

M. Doubleday: Notre réponse n'a pas changé; le rétablissement ne va pas se faire rapidement. On nous a demandé d'expliquer ce qu'on entendait, au juste, par «rapidement», et, au fur et à mesure que nos informations se précisaient, notre explication devenait de plus en plus pessimiste. Ainsi, lorsqu'a été installé le moratoire, époque dont je garde un souvenir très précis...

Le président: Quel moratoire, le premier?

M. Doubleday: Le moratoire sur la pêche à la morue du Nord, c'est-à-dire le premier moratoire qui remonte au mois de juillet 1992, c'est-à-dire à l'année précédant celle que vous venez d'évoquer. Je me souviens avoir dit à l'époque qu'il était peu probable que les stocks de poisson reviennent à un niveau suffisant avant la fin de la décennie. L'année suivante nous restions du même avis, estimant que nos ressources halieutiques ne se rétabliraient pas substantiellement avant la fin de la décennie.

Nous avons effectué des comparaisons avec des situations semblables qui se sont produites dans d'autres zones et qu'on a autrefois constatées à Terre-Neuve. On raconte, par exemple, qu'en 1713 les stocks de morue du Nord s'étaient taris et qu'il avait fallu 10 ans avant de revoir les prises revenir à leurs niveaux d'avant 1713.

Plusieurs fois au Groenland la morue a disparu, puis est revenue et cela s'est également produit en Islande et autour des îles Féroé. Dans la plupart de ces cas, il a fallu environ 10 ans avant que les stocks reviennent à un niveau à peu près comparable à ce qu'ils étaient avant leur chute brutale.

On a donc raisonné par analogie. Nous étions persuadés que le rétablissement de la situation serait très lent et rien ne nous permettait de penser qu'une amélioration interviendrait dans les quelques années à venir. Cela dit, monsieur le président, je ne pense pas que nous nous soyons jamais prononcés de manière très précise sur l'avenir.

Le président: J'en suis conscient et j'ai l'impression que vous craignez qu'on vous fasse dire ce que vous n'avez pas dit. Nous comprenons tous, je crois, la nature de vos travaux. Cela dit, entre les données que vous recueillez... car une donnée ne vaut rien si on ne sait pas l'interpréter - vous êtes d'accord?

M. Doubleday: Oui.

Le président: Donc, vous recueillez des données et vous les interprétez à l'intention de quelqu'un qui ensuite va dresser un tableau comme celui-ci. Ce quelqu'un se réunit avec le ministre et lui dit: eh bien, j'ai rencontré M. Doubleday et les gens de son équipe et voici les données; voici les conclusions que l'on croit pouvoir en tirer.

Nous essayons simplement de comprendre la démarche qui a été suivie puisque les données ont été recueillies et que quelqu'un d'autre, pas vous, a dit: eh bien, voici les données que nous avons recueillies et qui indiquent qu'il est peu probable que la pêche commerciale puisse reprendre à un bon rythme avant environ sept ans et s'il en est effectivement ainsi, nous devrions prendre des mesures en vue notamment de réduire la capacité en matière de pêche.

Les données des 12 derniers mois donnent à penser que la situation est encore plus grave, que les perspectives sont encore plus sombres et que c'est au minimum 14 ans qu'il faudra attendre; ça, c'est dans le meilleur cas de figure. Voilà, si vous voulez, comment les choses se sont passées.

Au départ, à l'époque de M. Crosbie, vous avez dit qu'un moratoire de deux ans permettrait peut-être à cette classe d'âge de se rétablir. Mais, l'année suivante, les poissons n'étaient pas au rendez-vous. Quelque chose leur était arrivé; ils étaient morts; les Martiens les avaient mangés. Bref, ils n'étaient plus là.

C'est alors que vous auriez fait savoir au nouveau ministre, par l'intermédiaire des services du ministère, que, d'après les nouvelles données recueillies, la situation était encore pire que cela. C'est alors que nous avons introduit un programme de cinq ans en espérant que cela permettrait le rétablissement d'une partie au moins de l'industrie de la pêche.

Douze ou quatorze mois plus tard, après l'arrivée de nouvelles données, on nous dit: non, non, on ne constate rien qui nous permettrait raisonnablement de prévoir une amélioration dans ce laps de temps et c'est un délai de 14 ans qu'on retient dorénavant. Est-ce comme cela que les choses se passent?

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M. Doubleday: Je tiens d'abord à bien préciser que ce tableau ne représente pas un avis en bonne et due forme du ministère ou un chiffre prévisionnel officiel. Je crois savoir que ce tableau a simplement pour but d'illustrer l'élasticité des stocks de certains poissons de fond au large de la côte Est du Canada.

J'estime qu'il remplit très bien cette fonction. En ce qui concerne les capacités de rebondissement, c'est la morue du Nord qui est la plus mal partie, c'est-à-dire un poisson qui évolue dans le Grand Nord ainsi qu'à l'est de nos côtes. La situation est plus encourageante dans la région sud du golfe ainsi qu'au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

C'est bien dans ce contexte-là qu'il faut l'interpréter; la situation n'est pas la même dans tout l'Atlantique. Certains stocks sont en plus mauvaise posture que d'autres. Certaines espèces semblent être capables de se reconstituer plus vite que d'autres.

Mais je peux dire que, grosso modo, la réduction de l'effort de pêche devrait entraîner une baisse de moitié des pressions que nous exerçons sur les stocks. Disons, d'une manière générale, qu'une unité d'effort correspond à peu près à une unité de pression exercée sur les stocks ou encore à une unité de mortalité chez les poissons. Ainsi, une baisse de 50 p. 100 de notre effort en matière de pêche entraînerait une baisse correspondante des pressions exercées sur les stocks de poisson.

Enfin, les choses ne se passeraient pas exactement comme cela car, en matière de pêche, on ne peut pas faire de calcul aussi précis. Mais ce serait néanmoins une mesure très importante en vue de rétablir un meilleur équilibre entre nos capacités en matière de pêche et la capacité des poissons à se reproduire.

Ce serait une mesure très importante en vue d'améliorer la situation, que ce soit trois ans qu'il faille attendre un rétablissement ou dix ans.

[Français]

M. Bernier (Gaspé): Monsieur Doubleday, vous comprenez un peu le français?

Je comprends que vous ne vouliez pas que nous suivions le document à la lettre, mais vous avez dit tout à l'heure qu'au moment du premier moratoire en 1992, vous ne vous attendiez pas, comme groupe de scientifiques, à ce que l'on puisse recommencer à pêcher d'ici une décennie. Cela nous amenait à 2002 environ.

Ce que je comprends aujourd'hui, c'est que, même après avoir interdit la pêche, on s'aperçoit que les stocks continuent à baisser et c'est la raison pour laquelle on prolonge d'au moins quatre ans la période du moratoire.

Les pêcheurs ne sont plus là comme prédateurs, mais dans le court texte que vous nous fournissez sur la plate-forme et les bancs de Terre-Neuve, on parle de la relation entre les espèces de proies dont se nourrit la morue et la prédation des phoques sur la morue. Selon vous, lequel des deux est le plus important? Monsieur Baker pourra peut-être éclairer ma lanterne tout à l'heure. Est-ce qu'il y a encore une pêche au capelan? Quelle est la présence du capelan le long des côtes? Quelle est la présence de nourriture pour ladite morue?

Ce que vous me dites, c'est qu'à chaque fois qu'il y a une classe qui naît, vous la voyez dans vos échantillonnages. Vous voyez la présence de morue d'un an ou de deux ans, mais vous ne la revoyez pas lorsque vous repassez ensuite. Il y a donc quelqu'un qui la bouffe ou une bête qui la mange. Quel serait l'équilibre? Est-ce qu'on doit investir plus pour faire disparaître les phoques ou s'il faut donner plus de nourriture pour que la morue ait plus de vigueur pour se sauver? Parce que nous tentons ici de rétablir l'équilibre.

J'aimerais vous poser une dernière question, mais je ne sais pas combien de temps nous aurons aujourd'hui. Quand vous dites «recommencer à pêcher dans 14 ans» - parce que moi, je pense à la quantité de gens qui attendent - , quel est le niveau d'exploitation visé? Si je regarde le graphique que vous nous fournissez, est-ce qu'on parle du niveau de 1990 ou de 1993, qui se situait à environ 200 000 tonnes, ou si on parle du niveau des années 1980, qui se situait à 400 000 tonnes? Donc, dans 14 ans, quel sera le niveau visé? Parce que, selon la définition du noyau des pêches, si l'objectif maximum est de 200 000 tonnes de poisson, cela va nous indiquer combien de gens garder et quel âge ils auront. Mais, je veux revenir à la relation proie-prédateur en premier.

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M. Doubleday: Merci, monsieur Bernier. Vous avez posé quatre questions. La première question est la tendance de diminution du poids de la morue. Il est évident que le poids d'une morue âgée de sept ans, par exemple, a diminué de façon systématique presque partout dans l'Atlantique depuis le commencement des années 1980.

M. Bernier: On ne parle pas du poids, mais de la nourriture, la proie.

M. Doubleday: Ah oui, la proie. Mais, je pense que ce que j'ai dit demeure. Cette tendance de diminution de poids par âge peut refléter deux choses : une diminution de la nourriture disponible pour la morue et une diminution de la température des eaux, ce qui réduit l'activité de la morue et son processus biologique.

À propos du capelin, je pense que ces dernières années, nous avons connu des prises substantielles de capelin, c'est-à-dire des prises d'environ 100 000 tonnes en 1990. Il y a eu une allocation d'environ 100 000 tonnes pour la pêche étrangère dans la zone 3K en 1991, mais l'allocation n'a pas été prise et la pêche a été arrêtée au mois d'octobre, je pense. Après 1991, les prises de capelin dans les eaux canadiennes ont été minimes. Je ne suis pas certain des chiffres exacts, mais il s'agit de quelque chose entre 10 000 et 20 000 tonnes.

M. Bernier: Pourquoi est-ce que les pertes ont été minimes? Est-ce parce que le stock n'était pas là ou parce que les gens ne sont pas allés le pêcher?

M. Doubleday: Il y a deux raisons. La première est que le marché était réduit pendant cette période. Les prises canadiennes n'ont jamais été très élevées. Je pense que le maximum était d'environ 50 000 tonnes. Les grandes prises ont été faites par les étrangers et ce capelin est entré dans un autre marché que le nôtre. Mais, au cours des années 1990, le marché pour les prises canadiennes était réduit comparativement aux périodes antérieures.

La deuxième raison est que le marché du capelin canadien a certaines exigences quant à la taille du poisson et, pendant les années 1990, nous avons vu une diminution de la taille des capelins. On a noté la même chose pour la morue. De plus, les capelins arrivent plus tard sur les frayères. Il y a eu de grands changements écologiques sur la côte atlantique. Ces petits capelins ne sont pas acceptés sur les marchés et c'est à cause de cela que la pêche a été extrêmement limitée en 1994.

[Traduction]

Mme Payne (St. John's-Ouest): Monsieur Doubleday, voici une des questions que je voulais évoquer avec vous. Peut-être avez-vous des renseignements sur ce point.

Vous venez, au sujet du capelin, de parler des prises officielles. Mais j'imagine que ces chiffres ne permettent pas de savoir combien de capelins ont été pris puis rejetés à la mer. Sauriez-vous, à peu près, combien de ces poissons sont rejetés à la mer?

M. Doubleday: Je parlais en effet des prises officielles. Je crois que les chiffres que j'ai cités comprennent les capelins mâles que les pêcheurs rejettent à la mer.

Il est en effet possible que certains capelins soient pris, rejetés comme étant non satisfaisants et remis morts à la mer. Je ne possède aucun chiffre à cet égard.

.1305

Mme Payne: Vous n'avez pas la moindre idée de ce que cela peut représenter? Je me fais moi une idée assez précise.

M. Doubleday: Je ne possède aucun chiffre précis quant au nombre de capelans jugés invendables et remis morts à la mer.

Mme Payne: Étant donné le nombre de capelans femelles... Pensez-vous que l'on prend actuellement toutes les femelles se prêtant à la pêche? Que pouvez-vous nous dire de l'incidence que cela aura sur le rétablissement des stocks?

M. Doubleday: Les quantités de capelan prises par les pêcheurs canadiens, du moins au cours des 10 dernières années, n'ont jamais représenté plus de quelque pourcents du stock en phase de reproduction. Il s'agit d'une faible proportion de ce stock. Il existe, ailleurs dans le monde, des endroits où les pêcheurs prennent chaque année une proportion importante du stock en phase de reproduction, mais cela n'est pas vrai de la pêche canadienne.

[Français]

Maintenant, je vais retourner au phoque, ce qui est un sujet très intéressant pour tout le Comité. Nous sommes en train d'analyser les nouvelles données pour le phoque du Groenland et je ne suis pas en mesure de vous donner les résultats aujourd'hui parce que les chiffres ne sont pas encore finalisés.

Je peux toutefois vous faire part de la situation générale. Au commencement des années 1980, quand il y a eu la grande controverse sur la chasse au phoque, on a estimé à un million et demi le nombre de phoques du Groenland. Nous avons fait une prospection aérienne en 1990 et l'estimation était de 3 100 000.

À ce moment-là, nous avons pensé que la population augmentait à cause de la diminution de la chasse et que cette augmentation était d'environ 7 p. 100 par année. Si on commence avec trois millions et on a une augmentation de 7 p. 100 par année, on arrive à un chiffre d'environ quatre millions, quatre millions et demi au commencement des années 1990. Ce que nous avons conclu jusqu'à maintenant de notre prospection aérienne en 1994, c'est que cette projection était juste et qu'en 1994, il y avait environ quatre millions, quatre millions et demi de phoques du Groenland.

Nous faisons aussi des analyses sur la consommation de poissons par les phoques du Groenland. Il y a plusieurs espèces qui sont consommées. Le phoque du Groenland n'a pas de préférence pour une espèce ou une autre. Sa diète varie selon les années, les saisons, etc. Il mange ce qui est disponible. Il a tendance à prendre des poissons de 20 à 35 centimètres.

Il mange certaines espèces de poissons qui ne font pas partie de la pêche commerciale. Les espèces importantes de sa diète sont le capelan, la morue polaire. On trouve aussi la crevette, la morue et plusieurs autres espèces comme le hareng et l'éperlan. Il est donc évident que le phoque du Groenland fait une consommation substantielle de différentes espèces de poissons, incluant les poissons commerciaux, mais je ne peux pas vous donner de chiffres exacts aujourd'hui.

.1310

L'année passée, nous avons publié une analyse numérique pour le phoque gris. Le phoque gris est une autre espèce de phoque qui se trouve un peu partout dans la zone atlantique canadienne. Le phoque gris est plus grand comme espèce que le phoque du Groenland et peut peser 400 kilogrammes. C'est un gros animal. Mais, il est beaucoup moins abondant que le phoque du Groenland. Nous avons estimé qu'il y avait environ 140 000 phoques gris sur la côte de l'Atlantique en 1993 et que leur abondance augmentait d'environ 12 p. 100 par année.

Nous avons estimé que le phoque gris, qui mange une proportion de morue beaucoup plus élevée que le phoque du Groenland dans sa diète, a consommé environ 40 000 tonnes de morue en 1993, dont environ une moitié était sur le plateau néo-écossais, et l'autre moitié, dans le golfe Saint-Laurent.

Comme je l'ai dit pour le phoque du Groenland, le phoque gris a tendance à manger des petits poissons, des poissons qui sont plus petits que ceux qui sont capturés dans la pêche commerciale, et ce niveau de consommation reflète un nombre d'individus assez substantiel. Nous avons estimé que cette consommation était assez grande pour nuire au recouvrement des stocks de morue, surtout dans l'est du plateau néo-écossais. Donc, il est évident que les phoques sont une partie importante de l'écosystème marin et qu'ils ont une influence sur les autres espèces.

Malheureusement... Ah! La quatrième question.

[Traduction]

M. Baker (Gander - Grand Falls): Vous avez dit qu'ils ne constituent pas un facteur dans le rétablissement des stocks. Est-ce exact? Est-ce ce que vous venez de dire?

Le président: Non, il a dit exactement le contraire.

M. Baker: Ils constituent donc un facteur.

Le président: Monsieur Doubleday, on nous a déjà dit - et je suis heureux que nous avions eu cette mise au point - qu'il n'y avait pas de preuves scientifiques...

M. Baker: Selon lesquelles les phoques mangent de la morue.

Le président: Ou plutôt que les phoques contribuaient à l'effondrement des stocks de morue. Je l'ai entendu à New York l'année dernière. Vous vous en souvenez, George? On nous avait dit que du fait du 1 p. 100 des stocks restants, le nombre de phoques était un facteur important dans la lenteur du rétablissement ou le manque de rétablissement des stocks. Êtes-vous d'accord?

M. Doubleday: Cette déclaration a été faite concernant la morue dans l'est du plateau néo-écossais. Nous avons dit dans notre rapport sur la situation des stocks l'année dernière que la consommation était suffisamment importante pour pouvoir nuire à la reconstitution des stocks.

Nous n'avons pas de chiffres concernant le phoque du Groenland en ce moment. Dans le cas de la morue du Nord, qui est, bien entendu, le stock de morues le plus important dans le nord-ouest de l'Atlantique, c'est le phoque Groenland qui est le plus abondant dans cette région. On trouve parfois des phoques gris qui se rendent jusqu'au milieu de la côte du Labrador, mais ils ne sont pas très abondants dans la région où se trouve la morue du Nord. On trouve surtout des phoques du Groenland dans cette région.

Le président: Et alors?

M. Doubleday: Donc, les conclusions concernant le phoque gris ne s'appliquent pas au phoque gris de la région où se trouve la morue du Nord.

Le président: Est-ce que vous dites que ces phoques ne représentent pas un problème pour ce qui est du rétablissement des stocks, ou est-ce que vous dites que vous n'avez pas les données quantitatives nécessaires pour prouver cela?

M. Doubleday: Je dis que la déclaration publique que nous avons faite l'année dernière, celle qui...

Le président: Non, je le sais. Vous avez déjà tiré cela au clair.

M. Doubleday: ...se limite aux phoques gris...

Le président: ...dans l'est du plateau néo-écossais.

M. Doubleday: ...qui ont une incidence sur la morue dans l'est du plateau néo-écossais. Nous avons presque terminé une étude sur les phoques du Groenland dans le golfe Saint-Laurent et à Terre-Neuve.

Le président: Quand en connaîtra-t-on les résultats?

.1315

M. Doubleday: Je pense en disposer dans environ six semaines.

Le président: Donc les scientifiques devraient pouvoir faire des recommandations concernant exercée par les phoques du Groenland sur la reconstitution des stocks de morues dans ces régions?

M. Doubleday: Je m'attends à ce stade-ci à avoir une estimation de la quantité de poissons consommés par les phoques du Groenland. Je ne sais pas si nous aurons une interprétation de ces données.

Le président: Ça prend combien de temps? Chaque jour que nous attendons il y a de plus en plus de ces petites morues qui ne sont pas prises. Elles sont probablement mangées par les phoques du Groenland.

M. Doubleday: Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire que la préparation d'une estimation des quantités consommées constitue un progrès important.

Le président: J'en conviens, mais je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il y a beaucoup de controverse depuis des années sur la question de savoir si les phoques ont contribué à la réduction des stocks et si leur présence sur le plateau néo-écossais et dans d'autres zones a une incidence sur le rétablissement des stocks.

Il semble que nous ayons pris des mesures dans tous les autres domaines. Nous avons mis fin à la pêche commerciale. Nous nous sommes attaqués aux activités de pêche et de surpêche des étrangers. Il existe un autre prédateur - le phoque - mais il semble que nous soyons incapables de réagir très rapidement à ce problème.

M. Doubleday: Monsieur le président, il s'agit d'une étude importante et, fatalement, elle sera controversée. Par conséquent, nous voulons nous assurer que nos résultats tiennent.

Le président: D'accord. Il semble plus facile de nous débarrrasser des Espagnols que des phoques. Quoi qu'il en soit, il y a une dernière question.

[Français]

M. Doubleday: Monsieur Bernier a posé une autre question. Il a demandé quel serait le niveau des pêcheries lorsqu'on recommencera, n'est-ce pas?

M. Bernier: Le niveau des pêcheries que peuvent représenter les différents poissons. Vous indiquez ici qu'on attend 14 ans pour le nord-est de Terre-Neuve, puisque c'est un stock s'élevant à 125 000 ou à 200 000... Dans le sud du golfe, dans trois ans... on a déjà eu une exploitation moyenne à 50 000 tonnes. Est-ce que c'est ce à quoi doivent s'attendre les pêcheurs ou si c'est à un niveau d'exploitation moindre?

M. Doubleday: Nous avons eu des changements substantiels dans la productivité de stocks de morue pendant les dernières 30 années. Si on regarde la morue du Nord, on a capturé plus de 500 000 tonnes pendant plusieurs années, pendant les années 1960; il y a eu des prises d'environ 200 000 tonnes pendant toutes les années 1980. C'est beaucoup moins, mais encore, ce sont des prises assez substantielles.

Si on regarde tous les stocks de morue, la productivité est beaucoup moindre maintenant qu'elle ne l'était il y a 15 ou 20 ans. Le poids de la morue individuelle est beaucoup réduit. Cela veut dire que, actuellement, un million de morues constituent peut-être la moitié des prises par poids qu'on avait déjà dans une période antérieure.

Nous avons vu un changement climatique dans la côte atlantique, avec une diminution systématique des températures d'eau qui est associée à cette diminution de poids d'individus. À ce moment, nous ne sommes pas en mesure de prédire si cette tendance de refroidissement va se renverser et que nous allons voir une augmentation. Nous ne sommes pas en mesure de prédire si le poids de la morue individuelle va retourner à celui du niveau du passé.

Il s'agit de changements climatiques qui ne sont pas prévisibles aujourd'hui. Pendant des années, tout le monde pensait que les changements climatiques avaient été très graduels pendant 100 ans, où on avait un changement de un ou deux degrés. Maintenant, nous avons plus de connaissances et nous savons qu'il peut y avoir des changements assez substantiels pendant cinq ou dix ans. Mais, nous ne sommes pas en mesure de le prédire.

La seule chose que je peux vous offrir, c'est qu'on ne peut pas être confiant que le niveau de productivité sera le même que nous avons vu dans le passé. Il peut rester à un niveau inférieur. Il peut retourner à un niveau moyen entre la meilleure période et ce que nous avons vu récemment. Je ne peux pas dire. Mais, on ne peut pas être confiant qu'on va revenir aux meilleurs jours du passé.

.1320

[Traduction]

M. Bernier: Ce sera ma dernière question.

Le président: D'accord, s'il s'agit d'une question courte et d'une réponse courte. Je me demande pourquoi il n'y a pas davantage de scientifiques qui font de la politique. Ils donnent de bonnes réponses politiques.

M. Baker: Il est là depuis un bon moment.

[Français]

M. Bernier: Pour arriver à votre conclusion, monsieur Doubleday, vous dites dans votre synthèse au début: «La future pêche du poisson de fond devra s'adapter au plus faible niveau de productivité qui semble prévaloir». C'est le quatrième paragraphe, à la dernière ligne. Cela veut dire que nous, comme comité, c'est là-dessus que nous devons nous orienter si on dit que la plus faible productivité ou la dernière année de capture qu'on a pu faire dans le 2J3KL, par exemple, c'était 140 000 tonnes; c'est là-dessus qu'on va s'orienter, c'est un maximum.

Cela nous permet donc de comprendre pourquoi - je tombe maintenant dans la politique - M. Tobin parle de réduire de 50 p. 100 la capture. C'est le message qu'on doit passer à nos gens dans chacun des milieux parce que hier, ce qu'on avait, c'est DRH qui se demandait sur quoi ils allaient travailler, avec quelle population. Personne ne bouge présentement. On vous demande, comme scientifiques, si l'évidence que vous avez est le maximum qui peut arriver. Le pire, vous ne le connaissez pas encore. C'est cela que je dois retenir.

M. Doubleday: Oui, si on pense à la période des années 1960, il y a eu une productivité très forte de la morue un peu partout dans le nord de l'Atlantique. On a pris, je pense, 500 000 tonnes au Groenland et des prises de plus d'un million de tonnes en Norvège. C'était la meilleure période. Je pense qu'on serait très optimiste de prévoir qu'on va revenir à cette période. C'est peut-être possible, mais on serait très optimiste de planifier sur cet aspect.

Le recouvrement que nous avons vu, après l'établissement de notre zone de pêche, ne nous a pas porté au niveau des années 1960. Il y a eu une augmentation, mais pas à ce niveau maximal. Si on avait des conditions comme celles que nous avons maintenant, avec des poids inférieurs pour les morues, on ne pourrait même pas voir les niveaux de prises qu'on a vus au commencement des années 1980.

[Traduction]

Le président: Il est difficile de dire que pour avoir la même prise il faudrait avoir deux fois le nombre de poisson...

M. Doubleday: Ce serait vrai dans le cas de certains stocks, oui. J'ai fait un calcul pour l'année 1991. J'ai fait une comparaison des données pour 1991... oui est-ce qu'il s'agissait de 1990? J'ai fait une comparaison des données pour l'une ou l'autre de ces années avec celles de dix ans auparavant, et le poids des prises était presque identique et il y avait deux fois plus d'individus dans les prises de morue du Nord.

M. Baker: Monsieur Doubleday, êtes-vous au courant de l'existence d'écloseries où l'on essaie d'élever de la morue à différents endroits sur la côte Est du Canada?

M. Doubleday: Je sais qu'on a fait des expériences avec des oeufs de morue dans les écloseries. Et je sais que cela se fait sur une petite échelle en Norvège.

M. Baker: On prend de petites morues qu'on met dans ces écloseries et on les engraisse. Il existe dans l'est du Canada plusieurs projets de ce genre auxquels le gouvernement fédéral a donné du financement. Êtes-vous au courant de ces projets?

M. Doubleday: Je sais que nous avons participé à certains de ces projets.

M. Baker: D'où provient la morue?

M. Doubleday: Si je me souviens bien, ces projets ont commencé il y a quelques années. Les quelques morues qu'on a utilisées provenaient des prises à contrat.

M. Baker: À votre connaissance, fait-on venir de la morue de Russie pour ces écloseries?

.1325

M. Doubleday: Non, je suis presque sûr que ça n'est pas arrivé. De la morue a été apportée de Russie pour être transformée, mais elle était déjà morte.

Le président: Vous parlez d'une pré-transformation.

M. Baker: Monsieur Doubleday, permettez-moi de vous poser une question à laquelle je suis presque sûr que vous ne répondrez pas. D'après votre expérience dans la proposition de quotas, surtout à l'organisation internationale, c'est-à-dire l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest, quand on vous demande votre avis scientifique, en même temps qu'à d'autres scientifiques européens et russes, par exemple, comment se fait-il qu'on ne suit pas vos conseils, c'est du moins ce qui est écrit ici, sur les feuilles jaunes? Comment se fait-il, par exemple, que vous n'aviez pas recommandé la réouverture des pêches dans la zone 3M, il y a quatre ans, par exemple, alors qu'elle a eu lieu? Comment se fait-il que vous ayez recommandé, étant donné votre évaluation des stocks, des réductions substantielles et qu'elles n'aient pas eu lieu? En tant que scientifique, comment vous sentez-vous?

M. Doubleday: Monsieur Baker, je pense que vous parlez principalement de la commission des pêches de l'OPANO.

M. Baker: Je parle de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest.

M. Doubleday: L'OPANO reçoit des avis de son conseil scientifique. Il ne s'agit pas de deux avis indépendants, venant du Canada et de l'Europe, mais d'un rapport ayant fait l'objet d'un consensus chez les scientifiques de tous les pays. Il n'y a donc pas de différence dans les évaluations scientifiques, dans ce cas-là.

Que je me souvienne, du moins pour le Bonnet flamand, ces rapports ont toujours dit que les stocks y étaient surexploités et, selon les années, qu'il fallait réduire de beaucoup les prises ou interdire la pêche.

Je n'ai pas assisté aux travaux de la commission des pêches de l'OPANO, je ne peux donc pas vous dire comment elle fonctionne. Je ferai toutefois une observation. Au cours des deux dernières années, la commission a commencé à imposer des moratoires, lorsqu'il le fallait. On semble se rendre compte qu'il faut prendre des mesures de conservation très strictes dans certains cas. Je ne peux toutefois pas vraiment vous dire comment les décisions y sont prises.

M. Baker: Y a-t-il un seul stock de flétan tout le long de la côte Est du Canada, ou plusieurs?

M. Doubleday: En fait, les renseignements dont nous disposons ne me permettent pas de vous répondre. Il y a une petite population de flétan dans le golfe Saint-Laurent, qui est plus ou moins autonome. On en trouve également tout le long de la côte Est, des Grands Bancs jusqu'au détroit de Davis, et il semble que cela constitue essentiellement un seul groupement.

Jusqu'à l'an dernier, le conseil scientifique de l'OPANO estimait que tout le flétan dans les eaux du Groenland faisait également partie de ce stock. Le marquage par le Groenland a montré que le flétan des fjords de l'ouest du Groenland pouvait provenir de la population de haute mer, mais que les adultes n'y retournaient pas. C'est donc un groupement presque autonome.

Mais par ailleurs, d'après les meilleurs renseignements dont nous disposons, du détroit de Davis jusqu'à la zone 3NO, il n'y aurait qu'une grande population de flétan.

En outre, c'est uniquement dans le détroit de Davis qu'il y a beaucoup de reproduction.

.1330

On peut trouver des poissons adultes ou matures en suivant la pente, à partir des Grands Bancs, mais le pourcentage de poissons adultes plus âgés est bien inférieur à ceux qu'on trouve plus au Nord. Nous ne pensons pas qu'il y ait vraiment de segment de reproduction substantiel distinct de toute la population qui se reproduit dans le détroit de Davis.

Ai-je répondu à votre question?

M. Baker: Voici la question que je voulais vous poser. Est-ce que votre bureau a suggéré qu'un faible pourcentage du quota de flétan canadien soit accordé à la France, dans la dernière entente, signée il y a environ trois mois?

M. Doubleday: Les scientifiques ne donnent pas de conseils sur la répartition des quotas. Nous disons combien il y a de poissons, quelles seront les conséquences pour un certain niveau de prises, mais nous ne donnons pas de conseils sur la répartition des prises.

M. Baker: Il y a actuellement au moins 4 millions de phoques du Groenland et leur effet sur la régénération des stocks de morue... Il est assez intéressant que vous ayez parlé de la taille du poisson qu'ils mangent. La plupart des pêcheurs vous diraient également que les phoques mangent l'estomac des lumps et des grosses morues.

Votre évaluation, qui relève, je présume, d'une analyse du contenu des estomacs des phoques, donnera les mêmes résultats que celle de la commission Malouf et vous en viendrez sans doute à la même conclusion, tout à fait erronée.

M. Doubleday: Au sujet de la consommation des parties molles des gros poissons, je crois comprendre que c'est surtout le cas des poissons pris dans un filet maillant, par exemple, plutôt que celui des poissons libres. Il se peut toutefois que cela se produise, dans une certaine mesure, pour le poisson libre aussi.

Notre travail actuel, sur le régime alimentaire des phoques, est une reconstruction de leur régime alimentaire, principalement à partir des parties dures, comme les otolithes trouvés dans l'estomac des phoques. On obtient ainsi la composition du régime alimentaire. Nous devons en outre calculer la consommation totale de nourriture. Cela se fait en fonction des besoins d'énergie du phoque, qui dépendent de sa taille et de son activité, par exemple.

L'échantillonnage nous donne donc essentiellement des pourcentages, qui sont ensuite appliqués à la quantité de nourriture que doivent à notre avis manger les phoques pour vivre et se multiplier.

M. Baker: C'est exactement ce qu'a fait la commission Malouf.

M. Doubleday: La commission Malouf évaluait les occurrences, c'est-à-dire les données dont elle disposait à l'époque. Nous allons plus loin. Au lieu de dire «un otolithe, donc une morue», nous prenons l'otolithe, le mesurons et disons «le phoque a donc mangé une morue de telle taille», et poursuivons ensuite notre analyse en fonction de cela. Cela change beaucoup les résultats puisque, par exemple, on peut avoir beaucoup de petites bêtes comme des crevettes, dont le poids n'atteint pas celui d'une seule morue avalée.

M. Baker: Toute la côte nord-est se trouve dans mon comté, qui est lui-même dans la zone de la morue du Nord, la zone 3K. Le pêcheur, le capitaine moyen nous disent qu'à certains moments, on voit des plaques de glace surmontées de tas de têtes, d'arêtes et de queues de morue. En fait, vous pouvez le lire dans un livre écrit par le capitaine Peter Troake, intitulé Easter Seal.

L'Easter Seal était un navire-hôpital qui circulait le long de la côte nord-est de Terre-Neuve et du Labrador, avec un médecin à bord. Dans le livre, l'auteur décrit son observation de ces plaques de glace, à perte de vue, couvertes de queues et d'arêtes. C'est de cela que nous parlent les capitaines de bateau. Ils disent aussi que les scientifiques sont fous de ne pas comprendre que les phoques ne mangent que l'estomac des grandes morues.

.1335

Si vous allez au bassin des phoques de l'aquarium de Vancouver et que vous demandez au préposé si les phoques ont une préférence alimentaire, il vous répondra que, bien sûr, c'est le saumon qu'ils aiment le plus. Ensuite, il vous dira par ordre de préférence quelle sorte de poisson les phoques aiment.

On voit donc en parlant de phoques à ces gens ordinaires, que c'est très clair, mais si vous posez la question à un scientifique, il se raidira et répondra: «Nous ne l'avons pas encore découvert». C'est parfois très troublant.

On a parlé ici du capelan. Le capelan ne représente qu'une petite partie du régime alimentaire de la morue. Il y a également le calmar, le hareng et le maquereau. Si vous voulez pêcher de la morue à la turlutte ou à l'hameçon, comment allez-vous l'appâter? Habituellement, on met un morceau de calmar. On peut aussi mettre un morceau de maquereau ou de hareng. On pourrait même mettre de la gomme à mâcher et attraper de la morue.

Là où je veux en venir, c'est que la morue mange toutes les autres espèces, à condition que le morceau soit suffisamment petit. Elle mange du sébaste et du grenadier. Elle mange vraiment n'importe quoi.

Alors, qu'est-ce que cela veut dire? Pour les petites morues, les crevettes sont l'une des principales sources de nourriture. Cela est-il pris en compte lorsqu'on attribue des quotas et lorsqu'on considère les quotas à proposer pour le calmar, tout le long de la côte du Labrador? Vous allez donner des quotas. En fait, ce n'est pas vous qui faites la répartition mais vous évaluez la quantité de calmar et en ce moment, c'est comme si on donnait notre calmar en tant qu'espèce sous-exploitée. Cela est-il pris en compte?

C'est ce dont je voulais parler la dernière fois. En tant que scientifique, est-ce que vous vous posez ces questions: «La morue est là et nous voulons qu'elle se multiplie. Que mange-t-elle? Doit-on vraiment consentir ces quotas pour les espèces sous-exploitées, donc nous n'avons pas besoin, alors que la morue, elle, en a peut-être besoin?»

M. Doubleday: Depuis environ deux ans, nous adoptons une approche plus écologique dans notre évaluation des stocks de poisson de fond. En effet, nous avons commencé par faire un survol de toutes les espèces de cet environnement et avons évalué leurs tendances. Étant donné la faiblesse de la morue et l'importance du capelan en tant que proie, on a beaucoup parlé particulièrement du capelan, en se demandant si on devait ou non le pêcher.

Si je me souviens bien des discussions scientifiques qui ont eu lieu jusqu'ici, la stratégie canadienne de pêche au capelan est très conservatrice. Les quotas alloués ont été inférieurs à 10 p. 100 du stock de géniteurs. La pêche au capelan au Canada n'est donc pas suffisamment importante pour nuire à l'alimentation des morues.

La question du calmar est plus difficile. Au Canada, on pêche surtout le calmar de l'espèce ilex, qui remonte le Gulf Stream et qui vient vers l'intérieur, certaines années, en nombres considérables. D'autres années, il n'y en a presque pas. Nous n'avons pas de projection ou de prévision pour l'abondance de cette espèce.

Que je me souvienne, la dernière évaluation importante du calmar ilex a été une analyse de risque, du genre: Qu'arriverait-il si on fixe le quota au chiffre actuel et qu'il n'y avait pas de calmar? Qu'arriverait-il s'il y en avait en surabondance? Je ne me souviens pas très bien des conclusions de cette analyse, parce qu'elle date d'il y a longtemps et que la pêche au calmar s'auto-réglemente en grande partie. S'il n'y a pas de calmar, il y a beaucoup moins de pêche, quel que soit le quota. Il ne semblait pas nécessaire d'imposer davantage de restrictions.

Il y a d'autres espèces de calmar dans les eaux de la côte nord-est de Terre-Neuve et du Labrador, mais je ne pense pas qu'on les pêche de manière intensive, si on les pêche.

M. Baker: Il est intéressant de remarquer que le Canada est le seul pays du monde qui désigne des espèces sous-exploitées pour que des pays étrangers les pêchent.

Le président: Je pense qu'on l'a déjà dit, je n'en suis pas certain.

M. Wells (South Shore): M. Baker et moi-même en avons parlé longuement en d'autres occasions, mais pas aujourd'hui.

.1340

Monsieur Doubleday, nous avons parlé aujourd'hui surtout de la morue du Nord et de la morue en général. J'aimerais maintenant que nous élargissions la discussion pour parler d'autres poissons de fond, particulièrement l'aiglefin et la goberge.

Changeons également de zone. Parlons de la zone 4X et du Banc de Georges, peut-être même du sud du golfe qui est, je crois, la zone 4T. Sur votre carte, qui a été distribuée, on voit que dans ces zones du sud du golfe, on parle d'une période de trois ans. Je sais qu'on parle de l'élasticité relative mais dans ma zone, au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, près de Shelburne, on parle d'une période de quatre ans, compte tenu des conditions, de l'eau plus chaude et du fait que les stocks sont en moins mauvais état, même s'ils ne vont pas bien.

Pourriez-vous formuler quelques commentaires au sujet de ces zones, particulièrement la zone 4X, au sujet de l'état des stocks, non seulement pour la morue mais également pour l'aiglefin et la goberge?

M. Doubleday: Au sujet de la morue, comme partout ailleurs, dans la zone 4X, elle est essentiellement au niveau le plus bas jamais observé. Les plus récentes classes d'âge sont toutes assez faibles depuis environ 1989, et nous ne voyons pas de reprise dans l'immédiat, c'est-à-dire avant deux ans. La reconstitution des stocks pourrait être assez rapide avec une ou deux fortes classes d'âge et, comme je le disais hier, cette pêche est permise. On pêche la morue de la zone 4X.

Au sujet de la goberge, la situation est semblable puisqu'il y a eu un déclin depuis environ deux ans et qu'on estime actuellement les stocks à leur plus bas niveau jamais observé. Il y a beaucoup d'incertitude dans l'évaluation des stocks de goberge, plus que pour les autres espèces de poisson de fond. Ces poissons se déplacent en gros groupe et peuvent échapper aux sondages des vaisseaux de recherche et aux navires de pêche. Il y a donc d'importantes fluctuations causées par des changements dans la répartition de la goberge plutôt que dans son volume global. Nous sommes donc moins certains des changements annuels dans l'évaluation de la goberge que nous le sommes pour la morue.

Les perspectives de recrutement dans l'avenir immédiat sont mauvaises pour la goberge et je ne crois donc pas que la reconstitution se fera très rapidement dans ce cas-là non plus.

Pour ce qui est de l'aiglefin, dans la zone 4X - je regarde le rapport d'état des stocks de poisson de fond de l'année dernière, parce que je n'ai pas la mise à jour qui sortira dans environ deux mois. L'aiglefin est également à un niveau très bas. D'après les résultats de recherche, la classe d'âge de 1992, qui peut maintenant être pêchée, est dans la moyenne ou supérieure à la moyenne. Je pense que c'est la seule espèce dont j'ai parlé aujourd'hui dont je peux dire qu'une classe d'âge est dans la moyenne ou au-dessus de la moyenne. Il s'agit donc de l'aiglefin, dans la zone 4X.

D'après les études du navire de recherche, le stock de géniteurs dans la zone 4X est encore très faible et il reste quelques faibles classes d'âge dans la zone de pêche. C'est pourquoi l'an dernier, nous avons suggéré qu'il n'y ait pas d'augmentation de cette pêche en 1995. Mais il faut noter l'existence d'une bonne classe d'âge. On m'a dit que nos plus récents relevés sur le banc de Georges ont montré qu'il existait actuellement une classe d'âge forte. Je ne me souviens plus s'il s'agit de la morue ou de l'aiglefin, je vous le dirai plus tard, après vérification, mais l'une de ces espèces aura une abondante classe d'âge.

.1345

M. Wells: Vous dites donc que partout dans l'Atlantique, le poisson de fond est à son niveau le plus bas. Il y a peut-être une exception: l'aiglefin dans la zone 4X.

Quelle en est la principale raison? Y a-t-il une raison majeure?

M. Doubleday: Nous n'avons pu mettre le doigt sur une seule cause pour ce déclin ou cette faible productivité. Il y a un ensemble de facteurs. La mortalité par pêche à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix était très élevée. Bien plus que ce que nous souhaitions. La proportion des stocks prélevés par la pêche était supérieure à ce que nous voulions.

M. Wells: Est-ce une façon de dire qu'il y a eu surpêche?

M. Doubleday: Oui, on pourrait dire cela.

Le président: Dites-vous implicitement que les quotas étaient à l'époque trop élevés?

M. Doubleday: Dans quelques cas, les quotas étaient supérieurs à ce qui correspondait soit à la règle F0,1, ou à ce que nous appelons la règle du 50 p. 100. Pendant cette période, on a réduit les quotas, avec l'intention chaque année de se rendre à mi-chemin de l'objectif de la règle F0,1. Cela signifiait que l'on ne prendrait que 20 p. 100 de chaque classe d'âge de morue pouvant être pêchée chaque année. On laisserait donc 80 p. 100 de ces poissons à l'eau et l'on n'en prendrait que 20 p. 100.

La règle du 50 p. 100 est basée sur l'année précédente où les prises ont été supérieures à cela. On a peut-être pris 40 p. 100, alors on essaie de baisser à 30 p. 100, plutôt qu'à 20 p. 100.

Avec l'épuisement des stocks, ces ajustements n'arrivaient pas à corriger la situation. On visait donc des prises de 30 p. 100 d'un stock x mais ce stock était en fait plus petit que prévu. Les quotas était donc supérieurs à ceux qui devaient correspondre à l'une ou l'autre des règles.

Il y a d'autres aspects à cette question. Il est difficile de bien la quantifier, mais nous savons qu'il y a eu beaucoup de largage et de rejets à la mer de ces espèces autour de 1990. Les poissons devenaient plus petits et beaucoup de prises ne pouvaient être débarquées; elles étaient donc rejetées. Nous avons maintenant un meilleur contrôle de la situation, mais pour certaines espèces, de grandes quantités de morue, notamment, et d'autres espèces ont été rejetées.

Je parlais des phoques. Nous avons estimé que les phoques gris, en particulier, ont consommé de grandes quantités de morue de certains stocks. Je n'ai pas insisté là-dessus plus tôt, mais les phoques gris, de même que les phoques du Groenland, sont beaucoup plus abondants maintenant qu'il y a 10 ans. La population des phoques gris augmente d'environ 12 p. 100 par an. Le troupeau de phoques du Groenland est peut-être deux ou trois fois plus nombreux qu'il y a 10 ans.

Il y a également eu un refroidissement constant de presque toute cette zone, ce qui a ralenti la multiplication de la morue, en particulier, et d'autres espèces.

M. Wells: Un tel refroidissement se produit-il dans la zone 4X?

M. Doubleday: Non, pas dans la zone 4X.

M. Wells: Je m'intéresse particulièrement à cette zone, où le secteur de la pêche est viable. Dans cette zone, avec une saine gestion, les stocks se reconstitueront plus rapidement, puisqu'il y a encore du poisson. Je vais me concentrer là-dessus et laisser de côté le problème des eaux froides des régions du Nord. Pouvons-nous parler surtout de cette zone, pour mes questions? J'essaie de savoir pourquoi les stocks sont à leurs plus bas niveaux, alors que nous n'avons pas de refroidissement des eaux?

M. Doubleday: Je peux voir deux causes: des classes d'âges faibles, ce qui signifie qu'il y a moins de jeunes poissons dans le stock, et une mortalité élevée chez ces jeunes poissons.

Le président: Pouvez-vous nous en donner la raison?

Une voix: Qu'est-ce qui a provoqué ces deux situations?

.1350

M. Doubleday: Il n'est pas facile d'établir la relation de cause à effet quand il s'agit d'expliquer pourquoi ces classes d'âge sont tantôt fortes tantôt faibles.

Le président: Mais, monsieur Doubleday, pouvez-vous simplement nous aider un peu? Nous n'allons pas publier... Ma foi, nous allons publier vos propos, mais nous n'allons pas dire qu'ils portent sur la peine de mort ou le démantèlement de la fonction publique du Canada.

Nous sommes de simples profanes. Nous essayons simplement d'établir la relation de cause à effet. Je me pose la même question que Derek. Si c'est à cause d'une classe d'âge faible, quelle en est la raison?

M. Doubleday: Je vais répondre du mieux que je peux au Comité, mais il s'agit d'un problème très complexe. Il date d'une centaine d'années et on ne l'a pas encore résolu entièrement.

Quand il est question d'animaux tels que les phoques, sachant le nombre de phoques matures, on peut avoir une bonne idée du nombre de bébés qu'on peut espérer. Mais il en va tout autrement avec les poissons. Les taux de production d'une vraie classe d'âge peuvent varier considérablement d'une année à l'autre.

En ce qui concerne la plupart des stocks de morue, le facteur s'élève à dix environ. Les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Une année, vous enregistrez une très forte classe d'âge, disons, 150 millions de morues mais, l'année suivante, vous vous retrouvez avec un misérable 30 millions. Certes, le stock de morues n'a pas changé à ce point en l'espace d'une année et la présence des phoques est restée sensiblement la même, mais une morue doit franchir bien des obstacles pour passer du stade d'oeuf à celui de prise potentielle.

De façon générale, dans le cas de la morue, dans des conditions normales, l'écart entre les classes d'âge fortes et les classes d'âge faibles est de 10.

L'aiglefin peut se montrer encore plus volatil. Selon moi, le stock de poisson de fond le plus volatil au monde, c'est l'aiglefin du banc de Georges où l'écart entre les classes d'âge très faibles et les classes d'âge très fortes est de 100. La classe la plus forte de tous les temps a été enregistrée au milieu des années soixante. Elle a été suivie de classes très faibles.

J'ajouterai que le taux de survie naturelle entre le stade d'oeuf et celui de prise est extrêmement variable. Beaucoup de facteurs peuvent intervenir. Nous ne sommes pas là tous les jours pour surveiller la situation. Et même si nous y étions, je ne pense pas que nous pourrions recenser tous ces facteurs.

Un autre phénomène peut être à l'origine de ce qui semble être une classe faible. Il ne s'agit pas véritablement d'une classe faible, c'est qu'on a pris beaucoup de jeunes poissons qu'on a rejetés à la mer. Nous avons le sentiment que certaines de ces classes d'âge étaient plus fortes que nous le laissaient croire les prises, un grand nombre de poissons pris ayant été rejetés à la mer. Il se pourrait aussi que certains aient été débarqués et vendus mais non enregistrés.

M. Wells: Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de largage et de rejets. Qui est le grand responsable dans cette affaire?

M. Doubleday: Je ne peux pas répondre de façon précise. Je sais que pas mal de gens en parlent assez souvent, chose certaine, cela se pratique sur une grande échelle. Mais comme je n'en ai jamais été témoin, je ne peux pas faire de déclaration précise devant le Comité. Je pense qu'il est de notoriété publique que surtout à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, d'importantes quantités de morues et d'aiglefins ont été rejetées à la mer.

Mme Payne: Quand vous avez répondu aux questions de M. Wells portant sur les facteurs d'une baisse de stock, vous n'avez pas parlé des techniques de pêche et de la technologie. De plus, vous avez dit que c'était un dossier sur lequel vous ne disposez pas de beaucoup de renseignements. Ou bien vous n'êtes pas très au fait de leur incidence dans ce secteur.

.1355

J'aimerais que vous exprimiez votre sentiment général sur les effets que le chalutage et le dragage de morues, de crevettes, de pétoncles et de toute autre espèce peuvent avoir sur la pêche de la morue.

M. Doubleday: Je peux dire deux choses précises d'intérêt pour le Comité. La première a trait aux effets du chalutage ou du dragage sur le fond de l'océan et sur les animaux qui y vivent.

De nombreuses études ont été faites là-dessus. Ces dernières années, nous en avons mené une nous-mêmes dans le cadre du programme scientifique sur la morue du Nord. Nous avons choisi un secteur où ne se pratiquait pas la pêche et avons établi deux rangées parallèles. Nous avons pratiqué le chalutage dans l'une et laissé l'autre intacte. Puis nous avons établi une comparaison dont les résultats ont été communiqués à l'occasion du colloque sur la morue du Nord qui s'est tenu à St. John's l'automne dernier.

Mme Payne: Puis-je vous demander de quel secteur il s'agissait?

M. Doubleday: Il s'agissait de la zone 3L, au nord-est des Grands Bancs.

Il était possible de détecter qu'il y avait eu chalutage. Les portes traçaient des sillons de 4, 5, 6 pouces de largeur dans le sable. Le fond était de sable. L'impact du chalut lui-même sur le fond était très minime. Les gens ont du mal à comprendre cela, mais le chalut ne pèse pratiquement rien parce qu'il peut flotter dans l'eau de mer. Les portes sont très lourdes, mais le chalut lui-même a un poids presque égal à zéro en raison de sa flottabilité. Nous avons tenté l'expérience avec les crabes et cette étude n'a révélé aucune trace de mortalité du benthos - ces organismes qui vivent sur les fonds de mer.

D'autres études, particulièrement celle menée dans la mer du Nord, ont révélé que le chalutage répété provoque une transformation dans la population d'organismes qui habitent le fond. Les espèces d'une grande longévité, à croissance lente et à carapace dure, sont peu à peu remplacées par des animaux à croissance rapide, notamment les vers dépourvus de carapace. Or on est en droit de se demander si c'est bon ou mauvais parce que la morue, particulièrement celle qui mesure moins de 30 cm de longueur, mange ces vers et en fait sans doute son profit.

Voilà l'incidence du chalutage sur le plancher de l'océan.

Un autre aspect qui a été soulevé à propos du chalutage a trait à la prise noire, c'est-à-dire la prise non intentionnelle d'autres espèces. Cela peut poser un problème très sérieux si l'on ne fait pas davantage preuve du sens des responsabilités à l'égard des pratiques de pêche.

Ces dernières années, nous avons placé des observateurs à bord de la plupart des gros chalutiers et nous avons apporté des changements à la façon de pêcher les crevettes par exemple. C'est ainsi que, dans les pêches de la crevette du Canada dans l'Atlantique, je crois savoir que, ces dernières années, les prises fortuites de morue et de sébaste de petite taille sont minimes, alors que c'est loin d'être le cas dans d'autres pêches ailleurs dans le monde. Par conséquent, suivant la façon, l'époque et l'endroit où la pêche pratiquée, selon que l'on utilise ou pas de séparateur, le chalutage peut donner des résultats impeccables ou entraîner un grand nombre de prises fortuites.

Mme Payne: J'ai une question complémentaire. D'après ce qui précède, et compte tenu du fait qu'un chalutier ou un dragueur peut pêcher n'importe quel stock, en raison de la technologie dont il dispose... ne pensez-vous pas que - parlons de dragueurs étrangers, de chahutiers étrangers - il pourrait le détruire très rapidement?

M. Doubleday: Le chalutage est peut-être une façon très efficace de pêcher le poisson, mais il en existe d'autres qui le sont tout autant.

Mme Payne: Oui, c'est vrai.

Le président: Il sera bientôt 14 heures, l'heure où nous devons aller à la Chambre. Je voudrais vous poser une dernière question. Je pense qu'il est possible d'y répondre brièvement.

.1400

En tant que scientifique, pouvez-vous me dire s'il existe un stade où, d'après la taille du stock de géniteurs, on peut dire que l'espèce est disparue au point de vue commercial? Si oui, est-ce le cas du stock de morue du Nord?

M. Doubleday: Je ne sais pas exactement ce que vous entendez par «disparue au point de vue commercial».

Le président: «Disparue au point de vue commercial» veut dire qu'il est très peu probable qu'un jour le poisson atteigne de nouveau...en raison de la faible population du stock - j'essaie de parler en scientifique - il est très peu possible que l'espèce atteigne de nouveau sous peu une taille marchande. S'agit-il ici d'une espèce disparue au point de vue commercial?

M. Doubleday: Je suis enclin à penser que l'expression «disparue au point de vue commercial» veut dire «qui n'est pas en nombre suffisant pour qu'on songe à une pêche rentable». Mais si cela signifie pour vous qu'il est peu probable que la situation revienne à un niveau où une pêche commerciale est envisageable, je ne crois pas que nous ayons atteint ce stade.

Le président: Mais selon votre première définition de l'expression «disparue au point de vue commercial», le stock de morue du Nord est une espèce disparue au point de vue commercial. Quelle est votre définition? Et selon votre définition, la morue du Nord est-elle un stock disparu au point de vue commercial?

M. Doubleday: De façon générale, les scientifiques commencent vraiment à s'inquiéter lorsque les biomasses du stock de géniteurs tombent à environ 10 ou 15 p. 100 au-dessous des niveaux normaux. Dans le cas de la morue du Nord, nous sommes bien au-dessous...

Le président: On est 99 p. 100 au-dessous. Donc, si on dépasse les 10 ou 15 p. 100, les scientifiques sont inquiets, et nous sommes à 99 p. 100 dans ce cas-ci.

M. Doubleday: C'est exact. Nous serions très préoccupés si on se livrait à n'importe quelle pêche à ce stade-ci. Or, qu'une pêche rentable de la morue du Nord soit possible ou pas à l'heure actuelle, c'est discutable. Notre évaluation se fonde principalement sur la population hauturière, que l'on pêche depuis 100 ans.

On trouve des morues dans les baies où elles passent l'hiver. Quelques pêcheurs locaux pourraient peut-être faire un peu d'argent en les pêchant. Je ne sais pas si on pourrait parler d'une pêche commercialement rentable.

Le président: Y a-t-il des statistiques, y a-t-il des données qui prouvent qu'un stock ayant été réduit à 1 p. 100 de sa taille de frai, la biomasse, se soit jamais rétabli? Dans l'affirmative, pouvez-vous me dire de quelle espèce il s'agissait?

M. Doubleday: Dans le cas de la morue, la meilleure illustration est le Groenland. Au cours des années 1800, la morue a emprunté la zone extracôtière du Groenland.

Le président: Le stock a-t-il jamais baissé à 1 p. 100?

M. Doubleday: À plusieurs reprises. On ne faisait pas d'étude à bord du navire de recherche à l'époque, mais à la lecture des registres, on a l'impression que la morue était tantôt absente, tantôt présente, puis de nouveau absente. Or, la morue du Groenland est liée à l'Islande... les larves s'y amoncellent poussées par le courant. Il s'agit donc de la progéniture de la morue provenant d'Islande. Lorsque les conditions sont favorables, un segment de reproduction extracôtier devient autosuffisant.

Le président: Mais je demandais s'il y avait des preuves scientifiques, des données quantifiables, montrant que quelque part dans le monde un stock ayant été réduit à 1 p. 100 avait survécu?

M. Doubleday: Dans le cas de certaines espèces pélagiques, celles qui vivent dans la tranche d'eau, c'est arrivé à plusieurs reprises.

Le président: Le hareng a-t-il baissé à ce point?

M. Doubleday: La sardine de Californie et l'anchois du Nord alternent, quand l'un augmente de l'ordre de 100 p. 100 l'autre diminue, et vice versa. Dans le cas du pilchard japonais, on peut en pêcher des millions de tonnes certaines années et par la suite quelques milliers de tonnes seulement.

Le président: Jusqu'à environ 1 p. 100?

M. Doubleday: Oui, dans cet ordre.

Donc, ça arrive.

.1405

Le président: Je vous remercie beaucoup de votre présence ici aujourd'hui. Nous savons combien la science est de nos jours un domaine difficile et, si imprécises que soient ses conclusions, elle nous est précieuse quand il s'agit de traiter d'un domaine aussi complexe que la pêche. Merci.

Nous reviendrons à 15h30, chers amis.

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