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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 21 novembre 1995

.0940

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous poursuivons aujourd'hui l'étude de la Loi sur les jeunes contrevenants, étape 2.

Nous recevons aujourd'hui de l'Association canadienne de justice pénale, M. Arnold Snyder; M. Matthew Yeager, un criminologue, Mme Cécile Toutant de Montréal, M. Colleen Hamilton du ministère du Solliciteur général de l'Ontario; M. Roger Brunette, directeur des services professionnels; et Mme Jane Fjeld, de l'Équipe de soutien communautaire des Services pour jeunes contrevenants de l'Est ontarien.

Je crois que vous avez un exposé à faire. Je prie la personne qui doit s'en charger de bien vouloir prendre la parole.

Mme Cécile Toutant (chef, Unité des adolescents, Institut Philippe-Pinel, présidente élue, Association canadienne de justice pénale): J'aimerais tout d'abord vous remercier, monsieur le président de même que les membres du comité, d'avoir accepté de nous recevoir. Nous avons beaucoup de choses à dire comme vous le constaterez je crois.

Après que M. Snyder aura présenté le mémoire, je ferai quelques observations. Nous aimerions ajouter quelques précisions. Nous répondrons ensuite à vos questions. Nous aimerions aussi discuter avec vous. Nous savons que vous avez entendu beaucoup de choses au cours de la dernière année. Il vous a fallu écouter des commentaires qui vous sembleront voisins de ceux que nous avons l'intention de faire. Peut-être pourrions-nous vous donner plus de précisions.

M. Arnold Snyder (coprésident, Comité d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale): Au nom de l'Association canadienne de justice pénale, l'ACJP, nous désirons remercier le comité permanent de nous avoir invités à exprimer nos vues sur la deuxième étape de la révision globale de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Comme vous le savez, notre organisme constitue, au Canada, le plus large regroupement de professionnels de la justice pénale et de citoyens. Nous comptons en moyenne 1 100 membres. Nous avons célébré en 1994-1995 notre 75e anniversaire, une réalisation digne de mention pour un organisme national volontaire.

Nous publions La Revue canadienne de criminologie, Actualité justice et le Bulletin et nous organisons, à tous les deux ans, le Congrès canadien de justice pénale. Celui qui vient de se dérouler à Winnipeg était notre 25e et nous sommes heureux que des représentants du comité permanent se soient prévalus de cette occasion pour y tenir une consultation.

Comme nous l'avons exprimé dans notre mémoire du 20 septembre 1994, en ce qui a trait au projet de loi C-37, nous aurions préféré que la présente révision ait précédé l'adoption des modifications adoptées en juin dernier. Il nous semble inusité que le gouvernement ait choisi de s'engager dans ce processus selon ce qui nous apparaît être l'ordre inversé des choses; nous sommes néanmoins d'avis qu'un examen en profondeur du système de justice pour les jeunes constitue une initiative importante.

Lors de notre récent Congrès de Winnipeg, le sous-ministre de la Justice, M. George Thomson, nous présentait une analyse des perceptions par le public de la criminalité des jeunes. Il avançait que, même s'il est vrai que le crime avec violence commis par des jeunes est à la hausse, comme en fait foi une augmentation de 133 p. 100 entre 1986 et 1994, les perceptions du public ne sont pas pour autant conformes à la réalité puisque les taux de cette forme de criminalité se sont amoindris de manière marquée (des taux inférieurs à 1 p. 100 en 1994).

Il se pourrait que la hausse du taux de crimes avec violence soit attribuable à la façon de rapporter le crime puisque cette hausse est constituée en grande partie de voies de fait simples. Il n'y a eu aucune augmentation au chapitre des homicides commis par des jeunes. Dans l'ensemble, la proportion des jeunes accusés en vertu d'une infraction au Code criminel diminue depuis 1991 (6 p. 100 en 1994) si on les met en rapport avec la population des jeunes dans son ensemble.

L'ACJP partage les vues du sous-ministre à l'effet qu'on n'a pas très bien réussi à renseigner le public sur le système de justice pour les jeunes et elle voudrait inciter le gouvernement fédéral et tous les gouvernements provinciaux à recueillir et à maintenir à jour, à l'intention du public, un ensemble de renseignements précis et factuels sur leurs systèmes de justice pour les jeunes. Les perceptions du public comportent toutefois certains éléments constructifs d'importance qui ressortent aussi de l'analyse effectuée par le ministère de la Justice. L'aspect qui suit est particulièrement significatif.

Le public est favorable à la prévention du crime. Par exemple, des organismes d'aide aux victimes dénoncent le manque d'intervention hâtive là où les besoins sont connus. Il est encourageant de constater que le public appuie la notion de prévention du crime puisque, de l'avis de l'ACJP, elle constitue une partie intégrante des fondements de la réforme du système de justice pour les jeunes.

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Comme cette notion est énoncée en détail dans les modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants contenues à l'alinéa 3(1)a) du projet de loi C-37, notre exposé d'aujourd'hui portera surtout sur cette dimension.

L'ACJP appuie fermement la modification récente apportée à la déclaration de principes et qui met l'accent sur la prévention du crime et sur les approches multidisciplinaires pour traiter des problèmes auxquels sont aux prises les jeunes qui s'adonnent à des activités criminelles. Au fil des ans, l'ACJP a toujours mis l'accent sur les études qui démontrent à quel point le châtiment est inefficace et onéreux. L'ACJP a toujours prétendu qu'il est important de reconnaître que la réaction à la criminalité des jeunes est de nature complexe et qu'elle doit être envisagée à long terme. Notre association appuie l'alinéa 3(1)a) qu'elle perçoit comme l'un des principes les plus importants de la Loi sur les jeunes contrevenants.

L'alinéa 3(1)a) de la Loi sur les jeunes contrevenants, dans sa forme modifiée, énonce ce qui suit:

Si on souhaite profiter au maximum des dispositions de cet article, il est essentiel que le gouvernement fédéral fasse preuve d'un leadership sans équivoque en matière d'élaboration et d'actualisation des politiques relatives à la justice des jeunes. Nous prétendons qu'il faudra aussi que toutes les provinces déploient des efforts particuliers si on souhaite donner vie à l'alinéa 3(1)a)

Le premier domaine dont j'aimerais vous entretenir lorsque je parle de donner vie à l'alinéa 3(1)a) proposé, c'est le financement. Comme le soulignait l'ACJP dans sa lettre ouverte du 15 mars 1994, adressée au procureur général Allan Rock, même les études réalisées par le ministère de la Justice souligne qu'on n'a pas réussi à allouer les ressources qui auraient permis de mettre en place des programmes de traitement et des mesures de rechange à la mise sous garde. Nous avons de nouveau exprimé nos inquiétudes à cet égard dans notre exposé du 20 septembre 1994.

Nous souhaitons réitérer cette position et rappeler ce qui suit aux membres du comité. Selon le ministère ontarien des Services communautaires et sociaux, environ 77 p. 100 des 118 millions de dollars dépensés en services pour les jeunes contrevenants au cours de l'exercice 1992-1993 ont été affectés à des services de mise sous garde, en milieux ouvert et fermé. Le coût annuel par lit en milieu fermé, en Ontario, se chiffre à environ 130 000$ par jeune de moins de 16 ans. Ces coûts augmentent encore si on inclut les jeunes de plus de 16 ans.

La plus grande partie des sommes destinées aux programmes pour les jeunes contrevenants est consacrée au maintien des établissements de garde plutôt qu'à la mise en place d'un éventail plus large de mesures de rechange et de programmes communautaires tels des foyers nourriciers spécialisés, des programmes de surveillance intensive et des centres de jour.

La Loi sur les jeunes contrevenants n'a pas réussi à renseigner le public quant aux intentions réelles qu'elle contient. La façon dont elle a été introduite a peut-être eu un impact opposé à celui qu'on souhaitait. Elle n'a pas réalisé sa promesse historique d'intervenir auprès des adolescents ayant eu des démêlés avec la justice et de les réorienter et ce, en raison d'un manque de ressources bien ciblées. Comme l'a affirmé John Braithwaite, un ancien président de l'ACJP et, sans ces ressources, toute disposition visant à favoriser un recours accru à des sanctions communautaires correspondra plus ou moins à apposer une étiquette de fantaisie sur un contenant vide.

Une solution possible pourrait être d'adopter une loi sur les services correctionnels communautaires et d'en financer la mise en oeuvre en puisant dans les budgets dévolus à la mise sous garde.

Nous sommes pleinement conscients de la crise qui sévit actuellement dans les finances publiques. Par conséquent, nous ne demandons pas que de nouveaux budgets soient consentis. Ainsi, la seule voie évidente et responsable semblerait être de procéder à une réallocation des ressources existantes. En d'autres mots, il s'agirait de forcer les établissements de garde à contribuer au financement de mesures de rechange communautaires en puisant dans leur budget actuel.

Le comité aurait peut-être avantage à se pencher sur le Community Corrections Act adopté par la Caroline du Nord aux États-Unis, de même que sur une proposition de loi sur les services correctionnels communautaires formulée récemment par l'Association du barreau américain.

À moins d'une action délibérée du Parlement en vue de réorienter le financement lié à la LJC, on pourrait supposer qu'aucune modification législative ne saurait corriger la situation suivante: trop peu de mesures de rechange significatives reçoivent du financement pour permettre de réduire notre dépendance exagérée à l'égard des établissements de mise sous garde.

Cela dit, l'ACJP partage toutefois les vues exprimées récemment par la sous-ministre Thomson selon lesquelles nous n'avons pas à craindre que, si nous introduisons des mesures visant à accroître l'investissement dans des programmes innovateurs de première ligne, nous créerons l'impression que nous ne sommes pas disposés à recourir à la mise sous garde quand cela sera vraiment nécessaire. L'ACJP recommande que le ministre de la Justice entreprenne, en collaboration avec cette contrepartie provinciale, d'adopter des politiques axées sur des mesures incitatives à la mise en place de programmes novateurs de première ligne.

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J'aimerais maintenant passer à la coopération fédérale-provinciale. De l'avis de l'ACJP, le gouvernement fédéral devrait encourager les gouvernements provinciaux à élaborer un service à la jeunesse qui soit englobant et intégré et qui répondrait aux besoins des jeunes tant dans une perspective de bien-être que dans une perspective de justice pénale.

Corrada et Markwart, des chercheurs de la Colombie-Britannique, ont identifié le besoin d'adopter une telle approche. Ils sont parvenus à la conclusion suivante:

L'ACJP est consciente du fait que cela pourrait entraîner des changements dans la façon dont certaines provinces gèrent la prestation des services de bien-être et de justice pénale à l'intention des jeunes. Il faut toutefois étudier l'efficacité de cette solution dans nos efforts visant à donner vie à l'alinéa 3(1)a).

En 1995, le gouvernement du Québec a commandé une étude exhaustive sur les modalités d'actualisation de la Loi sur les jeunes contrevenants dans cette province. Il en est ressorti Au nom... et au delà de la Loi (le rapport Jasmin). Que nous sachions, il s'agit de l'analyse la plus récente du système de justice pour les jeunes à être réalisée au Canada. Le rapport contient plusieurs recommandations conformes aux vues exprimées par l'ACJP.

J'aimerais maintenant parler des mesures de rechange à la mise sous garde. Comme le souligne le rapport Jasmin, le Québec a les taux les plus bas de toutes les provinces en ce qui concerne les jeunes sous garde en milieu fermé et les jeunes référés au tribunal pour adolescents. On y utilise de manière poussée des mesures de rechange et des stratégies de déjudiciarisation élaborées dans le contexte de la Loi sur la protection de la jeunesse. De plus, comme l'affirmait le sous-ministre Thomson, rien n'indique que les taux de récidive ou de criminalité sont plus élevés au Québec que dans les autres provinces.

Compte tenu de ces renseignements et de leur pertinence par rapport à l'alinéa 3(1)a) projeté, l'ACJP recommande qu'il y ait une collaboration accrue entre le gouvernement fédéral et les provinces afin d'élaborer des programmes spécifiques de mesures de rechange à la mise sous garde.

Comme exemple d'un programme novateur, l'ACJP suggère d'apporter une modification de fond à l'article 13 de la Loi sur les jeunes contrevenants en recommandant que le tribunal pour adolescents soit autorisé à nommer un défenseur des jeunes ou un conseiller en matière de décision qui ne soit pas nécessairement médecin, psychiatre ou psychologue. Il a été démontré que la représentation en matière de décision permet de réduire le recours exagéré aux sanctions de mise sous garde en permettant aux conseillers de répertorier les mesures de rechange disponibles dans leur milieu: foyers nourriciers spécialisés, programmes intensifs d'aide psychosociale, programmes axés sur l'acquisition d'habiletés et toute une gamme de stratégies d'intervention du même genre.

Les conseillers qualifiés en matière de décision viendraient s'ajouter au nombre des professionnels de la santé mentale pouvant être désignés par le tribunal et permettraient de mettre à la disposition du juge un volume beaucoup plus important de renseignements pertinents à la décision. En retour, la qualité des décisions serait améliorée, et on aurait moins souvent recours à la mise sous garde. Comme nous l'avons déjà souligné, les coûts de mise sous garde d'un jeune contrevenant sont extrêmement élevés.

Dans le contexte de l'élaboration de mesures de rechange à la mise sous garde, l'ACJP est favorable à la mise sur pied de systèmes visant à appuyer la cellule familiale. Encore une fois, si le gouvernement est résolu à donner vie à l'alinéa 3(1)a), il lui incombe d'appuyer financièrement des programmes axés sur la préservation de liens familiaux dans le cadre desquels on appuie et on valorise le rôle des parents. L'ACJP suggère qu'on se réfère au rapport Jasmin comme source additionnelle d'inspiration.

Le quatrième sujet concerne la détention provisoire. Le rapport Jasmin identifie la détention provisoire comme une mesure sur laquelle on devrait se pencher. On y avance que l'accroissement du recours à la détention provisoire en cours d'instance pose la question de nouvelles ressources affectées à cette fin. Plutôt que de rechercher la création de nouvelles ressources de détention provisoire sécuritaire, le rapport recommande que l'on favorise le recours à des moyens moins draconiens existant dans la communauté.

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Les conclusions du rapport Jasmin rejoignent la position de l'ACJP en matière de détention provisoire. Nous recommandons qu'on surveille de très près la situation pour éviter qu'on utilise à mauvais escient la détention provisoire et pour faire en sorte qu'on mette sur pied des ressources communautaires.

Le cinquième domaine est l'échange d'information. L'ACJP conçoit que la question du partage de l'information est très complexe dans le processus visant à donner vie à l'alinéa 3(1)a). En principe, l'ACJP est favorable à un partage d'information entre les professionnels, mais nous croyons aussi qu'il faut élaborer un système dont les paramètres sont clairement définis. À notre avis, il doit exister des lignes directrices claires qui déterminent la nature des renseignements qui sont communiqués, à qui et dans quelles circonstances. Cela devrait s'appliquer particulièrement dans le champ de l'éducation. L'ACJP recommande que les provinces élaborent des normes applicables au partage de l'information dans les champs relevant de leur compétence.

En guise de conclusion, l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur les jeunes contrevenants marque le début d'une réorientation. Cela ne signifie pas pour autant que les autres principes contenus dans la loi ne sont pas importants. L'ACJP soutient toutefois que l'alinéa 3(1)a) constitue le fondement de toute réaction envisagée à la criminalité des jeunes. C'est pourquoi nous voulons féliciter le gouvernement d'avoir incorporé ce principe dans la loi.

Si nous voulons que le Canada puisse compter sur un système efficace de justice pour les jeunes, nous nous devons encore une fois d'insister pour qu'on rende disponibles les ressources requises et qu'on formule des orientations claires en matière de mesures de rechange à la mise sous garde, de coopération fédérale-provinciale et de partage de l'information. Du même coup, le gouvernement aura reconnu l'importance de répondre aux besoins des victimes, des contrevenants et de la collectivité dans son ensemble en faisant en sorte que le système fonctionne bien. Il est possible que cette réforme donne lieu à plusieurs modifications de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Comme dernier propos, nous incitons le gouvernement à garder en mémoire qu'il faudra que des efforts accrus soient déployés pour que le public et toutes les personnes concernées comprennent clairement les buts et principes de la Loi sur les jeunes contrevenants et qu'ils donnent leur appui à la mise en place des ressources requises pour son bon fonctionnement. Le succès dépend en partie des efforts consacrés à l'éducation du public, des efforts auxquels nous accorderions notre appui et auxquels nous serions disposés à participer, comme nous avons tenté de le faire dans le passé.

Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Mme Toutant: Je vais parler français parce que je pourrai ainsi faire un peu plus de nuances.

J'ai discuté tantôt avec M. Dupuis. Je vais essayer de demander l'aide du Comité Jasmin pour qu'il fasse traduire le Rapport Jasmin, peut-être en collaboration avec ce comité-ci, si vous pouvez débloquer des fonds.

Le Québec ne veut pas vous dire ce que vous devez penser de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais au Québec, le comité qui a travaillé sur cette loi-là s'est posé les questions que vous êtes en train de vous poser. Le comité a donné, à mon avis, des réponses très nuancées dans son rapport. Je l'ai apporté pour que vous puissiez le voir. Ce rapport est assez important, et je trouverais triste que vous ayez uniquement les recommandations. Des recommandations, c'est froid et cela ne montre pas les arguments, alors que dans le texte, vous avez les principes de fond qui animent les recommandations et l'ensemble du rapport. Je trouve qu'il serait très important que vous ayez ce rapport en entier, traduit en anglais pour ceux qui ne parlent pas le français.

Je ne sais pas si vous avez le pouvoir d'obtenir de l'argent. De mon côté, je vais essayer de voir si, au Québec, il y a des intérêts qui pourraient être les mêmes que les vôtres, afin d'avoir la traduction.

Un des principes que le Comité Jasmin a retenus, et il est très important que vous l'ayez à l'esprit puisque vous êtes en train d'étudier la loi, c'est la notion de besoins spéciaux chez les adolescents.

La Loi sur les jeunes contrevenants est, à mon avis, une très bonne loi qui a amené la notion de responsabilisation du jeune. Responsabilisation n'est pas synonyme de grosse punition. Quelque part, il y a confusion chez les gens, à savoir que plus on punit, plus on responsabilise. C'est faux.

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Il y a des jeunes qui ont été punis toute leur vie et qui sont toujours des irresponsables. Je vous ai cité un cas que je vais vous présenter tantôt; je veux absolument vous en parler parce que je trouve qu'il illustre bien mes propos.

Il est essentiel de responsabiliser les jeunes, de leur faire subir les conséquences de leurs actes, mais il faut aussi prendre des mesures visant à les éduquer, parce qu'ils sont en processus d'éducation.

Un jeune de 13, 14 ou 15 ans ne peut pas acheter de cigarettes. On trouve qu'il est trop jeune. Il y a une loi qui dit que les jeunes ne sont pas capables de juger. Donc, si on veut que les gens fument moins, on va essayer d'atteindre les jeunes en adoptant une loi qui leur interdit de fumer. Je vous donne cet exemple, mais je pourrais vous en donner d'autres. Les jeunes ne peuvent pas signer de contrats. Il y a plein de choses qu'on ne peut faire quand on est jeune parce que notre société reconnaît qu'un enfant ou un adolescent est un être qui est en train de se former et d'acquérir la maturité qui va lui permettre de faire des choix valables. Il y a des adultes qui n'atteignent jamais la maturité, vous le savez. Il y a des adolescents pour qui c'est plus difficile, cela pour toutes sortes de raisons.

La notion de besoins spéciaux, qui est reconnue dans la loi, est une des notions importantes qui doit inspirer les décisions que l'on prend. Le Conseil permanent de la jeunesse, au Québec, a récemment fait une étude sur les besoins des jeunes, et ce qui en est ressorti, ce n'est pas tellement la violence contre les autres, mais la violence tout court chez les jeunes. Les jeunes commettent plus de suicides, ils commettent beaucoup plus de gestes désespérés contre eux-mêmes et ils sont davantage victimes de violence parce qu'ils sont habituellement dans des lieux où il y a d'autres jeunes; ils sont plus souvent hors de leur maison. On trouve là plus de gens qui se suicident, de victimes et d'agresseurs.

Je voulais que cette notion soit très claire. Si vous voulez qu'on en discute davantage, je suis bien prête à le faire. Quand on prend des mesures pour les jeunes, il faut avant tout penser à la rééducation, au soutien.

Hier, le ministre Rock a parlé ici de la surutilisation de la mise sous garde des jeunes contrevenants. On ne peut pas être en désaccord là-dessus. Je vais vous faire part d'une statistique qui m'avait beaucoup surprise, même si vous la connaissez peut-être. Actuellement, la mise sous garde est utilisée dans 80 p. 100 des cas pour moins de trois mois. Je répète: 80 p.100 des mises sous garde au Canada sont pour moins de trois mois. Dans près de 90 p. 100 des cas, c'est pour moins de six mois.

Il se peut qu'à un moment donné, dans la communauté, on ait besoin de taper sur les doigts de quelqu'un et qu'on lui dise: «C'est assez; on va t'interner pendant une certaine période pour essayer de te ramener dans le droit chemin ou de t'amener à collaborer.» Mais il est impossible que ce soit nécessaire dans 90 p. 100 des cas. Dans un laps de temps aussi court, on ne fait pas de rééducation. Il ne faut pas penser à faire une rééducation en trois mois, ou même en six mois.

Donc, il y a surutilisation de la mise sous garde, et il est nécessaire d'examiner les mesures qui peuvent être appliquées dans la communauté. Comme on l'a suggéré dans notre mémoire, on pourrait transférer des sommes d'argent à des projets d'intervention intensifs de diverses catégories.

Je vais vous présenter le cas d'un jeune que je trouve très intéressant. Je travaille avec des adolescents qui, selon la Loi sur les jeunes contrevenants, ont commis des gestes d'une extrême violence, à savoir des meurtres, des tentatives de meurtre et des assauts contre des personnes. D'ailleurs, votre comité viendra nous rencontrer à l'Institut Pinel en février. Je sais qu'on figure à votre programme. Vous verrez alors ce que nous faisons.

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On dit parfois qu'un adolescent de 15 ou 16 ans est un monstre, qu'il est venu au monde ainsi, qu'il est profondément méchant. C'est comme si la société n'avait joué aucun rôle là-dedans.

La semaine dernière, on a reçu un adolescent qui ne fonctionnait pas dans un autre milieu et qui agressait continuellement des gens. On peut dire qu'il commettait des agressions contre des personnes. On pourrait appeler cela des tentatives de meurtre, selon le choix du libellé.

Je regardais son histoire. Je vous la raconte, non pas pour vous faire pleurer, mais pour que vous voyiez que les adultes n'ont jamais été présents dans sa vie. On dit que de tels enfants n'ont pas d'allure, qu'ils sont agressants, mais les adultes, qui n'ont jamais été présents dans leur vie, ont tout de même une responsabilité là-dedans.

Cet enfant est venu au monde dans une famille dont le père ne voulait pas d'enfants. Cela arrive très fréquemment chez notre clientèle. Très tôt dans sa vie, il est resté seul avec sa mère parce que son père est parti, et sa mère a ensuite été arrêtée pour commission de délit. C'était une femme impliquée dans des fraudes. Donc, elle a été arrêtée très rapidement. Le jeune a été placé en foyer d'accueil ou en foyer nourricier pour la première fois à l'âge de deux ans.

Parlons du premier foyer. On doit le retirer de ce foyer parce que l'homme de ce foyer l'agresse et abuse de lui physiquement. On s'en rend compte et on l'en retire.

Parlons du deuxième ou du troisième foyer, parce qu'à un moment donné, le jeune commence à avoir des problèmes qui deviennent de plus en plus difficiles. L'enfant doit en être retiré parce que quelqu'un dans la parenté immédiate l'agresse sexuellement. Il est alors âgé de quatre ans.

Chez nous, nous le recevons. Il a 16 ans. Il est enragé, évidemment. Il ne dit pas les choses comme je vous les dis ce matin; il les dit avec ses comportements. Il ne collabore à peu près pas. Il provoque tous les adultes qui tentent de l'aider. Si on veut vraiment l'aider, il va falloir choisir une mesure de rééducation à long terme. Ce que je trouve triste, c'est qu'avec les modifications qui ont été acceptées et qui auront force de loi à partir du 1er décembre, ce genre d'adolescent sera très vite sur la liste de ceux qui pourront être renvoyés au tribunal des adultes. On sait qu'à ce niveau, le traitement est pratiquement impossible.

Je vous ai présenté le cas. J'aurais aimé vous présenter le jeune. Je ne l'ai pas fait parce que ça ne se fait pas, mais quand associe des visages aux cas, les commentaires sont différents. On s'aperçoit alors que les adultes sont absents de la vie de tels jeunes. Je ne parle pas uniquement des parents. Je parle aussi de la supervision dans certains foyers. Dans la pratique, on fait beaucoup plus d'erreurs et il ne faut pas seulement des lois pour les corriger; il faut aussi des corrections.

La grande conclusion du Rapport Jasmin est que la Loi sur les jeunes contrevenants est une bonne loi, mais qu'elle comporte des failles dans la pratique. On a examiné ce qu'il fallait améliorer. Comme vous le savez, il arrive que les intervenants prennent de mauvaises décisions, qu'ils prennent des décisions à la hâte. Quand on regarde un dossier rétrospectivement, on se dit parfois: Comment a-t-on pu faire une telle chose!

Je m'arrête là-dessus. Vous avez entendu les titres des gens qui sont ici. Il y en a plusieurs qui sont dans la pratique avec les jeunes. Nous sommes prêts à répondre à vos commentaires et à vos questions. Je vous remercie de nous avoir entendus.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): J'aimerais vous remercier d'être venus ici, ce matin, et de nous avoir fait cet exposé. Ce n'est pas la première fois que nous vous entendons au sujet du projet de loi C-37. J'ai beaucoup de questions à vous poser et très peu de temps pour le faire.

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J'observe une résistance aux changements qui s'attaqueront aux causes de la criminalité. Je constate que cette résistance vient de ce que j'appelle l'industrie de la justice pénale, de ceux qui ont intérêt à ce que les choses ne changent pas, que cette résistance soit consciente ou inconsciente. J'ai posé des questions aux témoins qui ont comparu devant le comité permanent à ce sujet, car très peu d'entre eux ont, comme vous l'avez fait ce matin, parlé des causes de la criminalité. Je me réjouis d'ailleurs que vous l'ayez fait. Vous avez mentionné l'alinéa 3(1)a) projeté qui précise que «la prévention du crime est essentielle».

J'aimerais vous demander ce que fait votre organisme pour mettre en valeur les aspects de la société qui sont susceptibles de réduire la criminalité. Vous avez abordé le sujet, lorsque vous avez parlé de renforcer la cellule familiale. Que faites-vous à cette fin?

Durant les années cinquante et soixante, j'étais policier. À cette époque, nous avions constaté que l'un des plus importants facteurs contribuant à la commission d'actes criminels, d'actes violents et ainsi de suite était la consommation excessive d'alcool. Aucun des groupes qui s'est présenté devant le comité n'a parlé de sensibiliser davantage la population à ce facteur ou a fait quelque chose en vue de l'atténuer, ce facteur qui contribue tant à la criminalité.

Nous avions fait une étude, dans l'un de nos services, et nous avions constaté que 85 p. 100 des actes criminels qui aboutissaient devant les tribunaux ne se seraient probablement jamais produits en tout premier lieu s'il n'y avait pas eu consommation excessive d'alcool. Il me semble si évident que c'est l'un des principaux facteurs de la criminalité et qu'il affaiblit la cellule familiale.

Nous avons des programmes, par exemple des programmes de conducteur désigné. Je peux boire à satiété sans problème, à condition d'avoir un conducteur désigné qui me ramènera chez moi lorsque je serai ivre. Certes, le comportement semble acceptable à ceux qui font les campagnes publicitaires. Du moins, les services de police et les organismes comme le vôtre ne s'insurgent pas.

Donc, on me ramène à la maison ivre, je rentre et je m'en prends aux miens. Ceux qui sont censés s'intéresser à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur les jeunes contrevenants ne semblent pas juger cela incongru.

Je serais vivement impressionné si votre organisme pouvait dire à notre comité ce qu'il fait, s'il fait effectivement quelque chose, pour sensibiliser non seulement aux dispositions de la loi mais aussi aux causes de la criminalité, et de quelle façon. Si vous faites quelque chose en ce sens, je veux le savoir. J'aimerais en entendre parler, car vous auriez mon appui.

J'ignore si je puis donner mon appui uniquement à... En fait, la plupart des citoyens respectueux des lois qui élèvent leurs enfants ne sont pas préoccupés par la teneur de la Loi sur les jeunes contrevenants. La seule chose qui les intéresse, c'est de savoir si elle préserve la sécurité de leur quartier, de leur rue, etc. Ils ne sont pas concernés par tout le reste.

Nous pourrions dépenser beaucoup d'argent à faire de la publicité autour de la teneur de la loi, de la façon de l'appliquer et de ce qu'elle accomplit. Parce que la vaste majorité des enfants ne se retrouvent pas dans des situations fâcheuses, la vaste majorité des gens ne s'intéressent pas à la loi. Nous nous retrouverions à promouvoir quelque chose qui ne les intéresse pas. Seulement ceux qui ont des difficultés veulent savoir ce que prévoit la Loi sur les jeunes contrevenants pour améliorer la sécurité des écoles, des rues et des quartiers, dans la mesure où ils se sentent menacés par la criminalité.

J'aimerais savoir si votre organisme prône un programme s'attaquant aux causes de la criminalité, particulièrement à la consommation excessive d'alcool et maintenant, bien sûr, de drogues. Le faites-vous?

M. Matthew Yeager (criminologue, secrétaire, Comité d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale): Monsieur Ramsay, si vous me permettez de répondre, je commencerai par dire que je suis heureux de vous rencontrer à nouveau.

Comme vous le savez, puisque nous en avons parlé récemment à Winnipeg, l'association est active dans le domaine de la prévention du crime depuis 1919, soit dès ses débuts en tant qu'organisme bénévole. C'était d'ailleurs l'une des raisons d'être de sa création.

Vous vous rappellerez peut-être que, vers la fin des années quatre-vingt, nous avons publié un dialogue dans notre Revue canadienne de criminologie au sujet de la prévention du crime grâce à l'action sociale. Toute une partie de l'article était consacrée à des stratégies de prévention du crime, stratégies dont nous avons recommandé l'adoption et la mise en oeuvre au gouvernement. Depuis lors, à chacun de nos congrès, qui se tiennent tous les deux ans, nous mettons en vedette des documents sur les problèmes causés par l'alcoolisme, que vous avez décrits avec tant d'éloquence, sur la prévention du crime, et ainsi de suite.

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L'approche que nous avons adoptée à l'égard de la Loi sur les jeunes contrevenants, soit d'insister sur le nouvel article qui résume les principes, consiste à s'attarder à ce qui devrait être un changement de cap radical, non seulement des valeurs préconisées dans la loi, mais aussi des ressources.

Vous avez fait tant d'observations justes au sujet de l'affectation des ressources et d'observations éloquentes au sujet de l'industrie de la mise sous garde. C'est justement ce problème que nous cherchons à régler.

Voilà un problème auquel vous, en tant que législateur concerné et éloquent, pouvez vous attaquer. Vous pouvez le faire en modifiant davantage la Loi sur les jeunes contrevenants. Vous pouvez aussi faire certaines recommandations au ministre quant à la façon dont les ressources sont réparties et d'où elles pourraient venir.

En fait, si je vous ai bien compris, vous estimez que nous avons concentré trop de nos ressources à la mise en garde et pas assez à la prévention. Voilà donc une excellente occasion pour vous et pour vos collègues du caucus de discuter de la réaffectation des ressources vers la prévention, vers les programmes de renforcement des liens familiaux et vers la lutte contre l'alcoolisme. L'association serait absolument ravie de vous y aider.

M. Ramsay: Il faut que je me tienne loin de ce monsieur.

Je vous remercie de ce que vous venez de dire. Je voulais vous demander...

Mme Toutant: Permettez-moi de vous interrompre. Madame, là, a aussi quelque chose à dire. Avez-vous le temps de l'entendre?

Pouvons-nous faire cela, monsieur le président? Je ne voudrais pas me faire haïr en m'accaparant tout son temps.

Le président: Comme il est le seul membre de l'opposition présent, il a droit à beaucoup de temps.

M. Ramsay: J'ai beaucoup de temps.

Mme Jane Fjeld (gestionnaire, Services pour jeunes contrevenants de l'Est ontarien): J'aimerais seulement ajouter quelques petites choses à ce qu'a dit M. Yeager et donner du poids à ce dont parlait M. Ramsay concernant l'association, car celle-ci représente des personnes qui travaillent sur le terrain.

Dans le cadre de ces interventions sur le terrain, l'association ne peut peut-être pas faire grand-chose à cet égard. Cependant, nous sommes des représentants de l'ACJP et, comme nous nous concentrons sur les solutions de rechange à la mise sous garde et que nous demandons que les législateurs fédéraux et provinciaux examinent de près la raison d'être des programmes d'intervention requis pour vraiment faire baisser le taux de récidive, j'aurais un point à faire valoir concernant ce qu'a dit M. Ramsay.

D'après les travaux de recherche et mon expérience personnelle auprès des jeunes contrevenants, certes, bien plus de la moitié de nos contrevenants sont des toxicomanes ou des alcooliques ou encore ils viennent de familles où l'alcool et la drogue jouent un rôle important.

C'est exactement la raison pour laquelle l'association et beaucoup de gens aujourd'hui croient que nous ne parviendrons pas à changer la vie des jeunes contrevenants si nous nous contentons de les punir. Après tout, ces jeunes retournent au sein de ces familles mêmes où l'alcoolisme et la toxicomanie jouent un rôle si important.

En changeant le foyer où ils retournent et en leur faisant bien comprendre comment l'alcoolisme et la consommation de drogues les ont affectés, nous leur donnons une chance de vraiment refaire leur vie.

Vous avez donc parfaitement raison, à mon avis.

M. Ramsay: Avant que j'aie épuisé mes dix minutes, j'aimerais simplement faire un commentaire à ce sujet. J'aimerais vraiment que des organismes comme le vôtre - qui est respecté puisqu'il est ici et qui est respecté à de nombreux autres égards - qui peuvent exiger d'être entendus devant le comité permanent partent en campagne non pas contre la consommation, mais contre la consommation excessive d'alcool et de drogues qui contribuent au crime. J'aimerais vraiment voir cela.

M. Yeager nous a dit ce qui s'est fait dans le passé; j'aimerais savoir ce que vous faites aujourd'hui. J'aimerais savoir ce que vous avez fait hier. J'aimerais savoir ce que vous projetez de faire demain à cet égard. Si nous pouvons renforcer les liens familiaux, nous parviendrons à faire baisser la criminalité. Cela ne fait aucun doute.

Rien ne provoque autant l'éclatement de la famille que l'alcoolisme. Si des organismes comme le vôtre refusent d'émettre une opinion à cet égard, en dépit de toutes les autres choses qu'ils disent, alors je crois...

.1020

Permettez-moi de m'exprimer autrement. Je vous donnerai un A si vous êtes disposé à le faire. Si je vous vois le faire, je me dirai que voilà un organisme dont je veux entendre le témoignage parce qu'il semble savoir de quoi il parle. Non seulement il tient compte du coût de la criminalité, mais il cherche aussi à en atténuer les conséquences.

Nous devons nous attaquer aux deux fronts à la fois - non seulement au coût, mais aussi à l'effet de la criminalité.

Je vous remercie.

Le président: A moins que quelqu'un n'ait quelque chose à ajouter, je céderai maintenant la parole à Mme Barnes. Quelqu'un a-t-il quelque chose à dire?

Mme Barnes (London-Ouest): J'aimerais voir les 1 100 membres de votre organisme s'activer dans leur collectivité et transmettre ce message à toutes les chambres de commerce, sur toutes les émissions câblodiffusées, parce que, jusqu'ici, il n'y a pas eu de tels messages.

Seulement quelques-uns d'entre nous parviennent à se faire entendre, et il faut que le message soit entendu. Faites-le, je vous en prie. Nous avons besoin de votre aide pour faire connaître les faits concernant la justice pénale, particulièrement la justice pénale pour les jeunes.

Nous sommes limités par le budget. Nous ne pouvons nous rendre partout où il le faudrait, entendre tout le monde. Nous avons besoin d'alliés qui feront connaître les faits au sujet de la criminalité chez les jeunes. Je vous en prie, incitez vos membres à le faire pour nous.

Je viens d'Ontario. Dites-moi, le plus succinctement possible, ce que vous savez des camps de type militaire et de leur efficacité.

M. Yeager: Madame la vice-présidente, vous revoir est toujours un plaisir.

Nous commençons à recevoir les résultats de travaux de recherche qui ont été menés à ce sujet. Je puis vous dire que, le plus souvent, nous ne constatons pas de réduction des niveaux, c'est-à-dire de baisse du taux de récidive, depuis l'introduction de ces camps.

D'après les cas étudiés et les échantillons, le taux de récidive baisse lorsque le camp est essentiellement dirigé comme un milieu de traitement plutôt qu'un milieu militaire. Il y a donc lieu de se demander pourquoi créer des camps de type militaire s'il faut les administrer comme un milieu de traitement.

L'idée d'avoir recours à des camps de type militaire pour réformer les jeunes contrevenants séduit bien des gens qui n'ont peut-être pas étudié la question. Cela nous préoccupe. Ces camps sont un prolongement des établissements de garde en milieu fermé et ouvert, ils font partie de la même industrie, pour ainsi dire, dont se plaignait votre collègue, M. Ramsay.

L'idée d'utiliser de tels camps pour mettre fin à la délinquance ne nous emballe pas vraiment. Pour ce qui est de la prévention du crime, nous préférerions une approche plus axée sur la communauté.

Mme Barnes: Le rapport Jasmin...

Mme Toutant: Puis-je répondre?

Mme Fjeld: La seule chose que j'aimerais ajouter, c'est que les camps de type militaire jouent peut-être un rôle utile dans la vie de certains jeunes. Il en existe certains pour lesquels ce genre de stricte discipline, comportant un net élément physique, fait des miracles.

Certes, l'Ontario a fait l'expérience du programme DARE, qui prône une vie très rigoureuse en plein air...pousser son corps à ses limites maximales. L'expérience s'est avérée un succès chez certains.

C'est vrai comme pour tout autre genre de solution à la criminalité. Elle a probablement un effet sur 10 à 15 p. 100 environ des enfants qui sont habituellement mis sous garde.

C'est pourquoi je vous encouragerais, lorsque vous examinerez l'idée des camps de type militaire, comme le propose Matt, d'examiner la recherche et de repérer la clientèle auprès de laquelle elle est efficace. Ensuite, faites en sorte, lorsqu'il faut décider qui participe à un camp de type militaire, de faire coïncider les besoins de ces jeunes avec ce qu'offre le programme.

Si nous sommes continuellement à la recherche d'une solution universelle pour les jeunes contrevenants, nous obtiendrons des résultats très médiocres, et pas seulement chez les jeunes qui auraient pu en tirer profit, parce qu'ils sont maintenant en compagnie de jeunes qui perdent leur temps.

La difficulté est donc double. Même si le programme avait pu avoir du succès auprès de certains, ceux-ci se trouvent maintenant en compagnie d'autres clients et de résidents qui compromettront leur capacité de réussir. J'encouragerais donc...

Comme il en est question dans le mémoire, nous parlons ici exactement du genre de choses que le conseiller en matière de décision ou un supplément d'information avant le prononcé de la sentence apportera au juge: lui dire qui pourrait tirer profit du programme et qui n'en profiterait pas.

Assurément, d'après mon expérience de travail auprès de jeunes contrevenants chroniques qui commettent des actes violents, l'exercice de ce genre de pouvoir et de contrôle aura le résultat diamétralement opposé. Bien que le jeune se conforme peut-être aux exigences dans le camp, il faut prendre garde de se fier uniquement aux résultats obtenus pendant l'incarcération. Que lui arrive-t-il lorsqu'il quitte le camp? Bon nombre de ces jeunes se conforment volontiers aux exigences du programme mais, deux jours plus tard, ils récidivent.

.1025

La question est donc complexe. Je ne crois pas qu'il existe de réponse simple. Pourtant, la méthode peut être efficace auprès de certains jeunes. Commençons par découvrir qui ils sont, puis adaptons le programme à leurs besoins. Par contre, l'expérience nous a certes appris que la solution n'est pas bonne pour la majorité d'entre eux.

Mme Barnes: J'aimerais vous poser une autre question à ce sujet. Comme j'ai travaillé comme avocate de garde, il y a de nombreuses années, je connais bien le programme DARE. J'y ai moi-même inscrit des jeunes. Disposons-nous de données empiriques, de données de recherche, qui établissent son efficacité dans l'optique dont il est question?

Mme Fjeld: Lorsque le programme n'a pas donné les résultats... Excusez-moi, mais je ne suis pas une experte de la question. Je sais que l'Ontario a fait une évaluation du programme DARE. Je ne suis pas sûre qu'il se soit révélé aussi efficace que souhaité.

Mme Barnes: Je voudrais seulement dire que je ne connais pas d'étude qui en ait établi l'efficacité. Par conséquent, si vous faites de telles affirmations, j'aimerais que vous les étayez au moyen de résultats de recherche.

Mme Fjeld: La seule étude de recherche que je puisse vous citer à ce stade-ci est probablement davantage anecdotique, bien que je sache que certains programmes américains imposant un séjour dans un camp de type militaire affichent un certain niveau de réussite. Je puis vous trouver ces renseignements...

Mme Barnes: Je vous en saurais gré, parce que j'ai aussi demandé à mes propres ressources, soit à des conseillers du tribunal de la famille de London, d'examiner la documentation. Moi-même, je ne connais pas d'étude qui fasse état de données empiriques prouvant une réduction du taux de récidive à long terme. Elles révèlent effectivement une baisse du taux de récidive à court terme, mais pas à long terme.

Par conséquent, si quelqu'un veut donner suite... Des renseignements anecdotiques seraient utiles, mais je m'intéresse davantage aux faits réels.

M. Yeager: Madame la vice-présidente, nous essaierons de vous faire parvenir une étude qui a été publiée récemment dans la revue Criminology. En ce qui concerne l'analyse empirique des camps de type militaire, son auteur a étudié six camps différents situés dans divers États américains et les points mêmes que je vous ai résumés.

De plus, l'étude comporte un résumé intéressant des évaluations que vous et les membres du comité aimeraient peut-être voir. Ce résumé a été fait par un professeur de l'université Vanderbilt, Mark Lipsey. M. Lipsey a analysé un grand nombre d'études menées sur les effets de l'intervention auprès des jeunes; il a fait plus de 400 évaluations, ce que nous appelons une méga-analyse.

Il en conclut que les services offerts à l'extérieur des établissements correctionnels officiels ont, en règle générale, fait baisser le taux de récidive, particulièrement ceux qui étaient intensément axés sur le traitement. En d'autres mots, le contrôle des caractéristiques de la population, le traitement en établissement de garde pour jeunes contrevenants étaient moins efficaces que le traitement en milieu communautaire.

Je puis vous fournir les coordonnées de cette étude.

Mme Barnes: J'aimerais bien les obtenir.

En ce qui concerne le rapport Jasmin, je suis très heureuse. Il me plairait beaucoup de le lire et de m'entretenir avec les auteurs.

Nous pouvons peut-être, monsieur le président, en examiner la possibilité à une réunion future du comité directeur.

Le Québec est probablement la province où les services de justice pour les jeunes et de bien-être pour l'enfance sont les mieux intégrés. C'est peut-être le modèle dont nos différentes provinces et nos différents territoires devraient s'inspirer.

Pouvez-vous nous fournir un contexte, nous donner les raisons pour lesquelles il existe une telle intégration, comment elle s'est produite, ce qu'il a fallu faire pour surmonter les obstacles, particulièrement en ce qui concerne les enfants plus jeunes, avant qu'ils n'atteignent l'âge où ils sont traduits devant des tribunaux de justice pénale?

Comment êtes-vous parvenus à gérer ce changement? Actuellement, du moins dans ma province, les divers systèmes sont cloisonnés.

[Français]

M. Roger Brunette (directeur, Services professionnels, Centre Jeunesse de l'Outaouais): Je suis intervenant au centre de réadaptation du côté de l'Outaouais.

La Loi sur la protection de la jeunesse est apparue en 1979. Au début, on confondait les jeunes qui avaient besoin de protection et les jeunes qui agressaient les membres la société. En 1984, la Loi sur les jeunes contrevenants a été une bouée de sauvetage qui nous a permis de démarquer les deux types de jeunes qui nous étaient envoyés.

La clé de cette approche résidait dans le fait que le directeur de la protection de la jeunesse, qui prenait en charge les jeunes dont la sécurité et le développement étaient compromis, avait aussi la responsabilité, à titre de directeur provincial, de s'occuper des jeunes contrevenants.

En ce qui a trait à l'intervention sociale, cela nous a permis de nous pencher sur la question que Mme Toutant soulevait plus tôt, à savoir les besoins spéciaux des jeunes. Il est difficile de ne pas recevoir un jeune dans sa globalité et il est impossible de le compartimenter. Donc, à ce moment-là, on a mis au point des programmes et une intervention multidisciplinaire qui ont beaucoup facilité la prise en charge et qui nous ont permis d'intervenir plus tôt et de façon plus efficace, particulièrement en impliquant la famille.

.1030

Plus tôt, M. Ramsay faisait allusion à la famille. Au centre de réadaptation, dans le passé, nous travaillions avec des jeunes âgés de 12 à 18 ans, sans nécessairement impliquer les familles. Nous avons par la suite découvert qu'il était tout à fait nécessaire de travailler dès le début avec les familles concernées. Aujourd'hui, nos interventions ne sont plus strictement axées sur le jeune, mais aussi sur les gens qui gravitent autour de lui dans son milieu de vie. Il est difficile de réintégrer le jeune dans un soi-disant milieu sans prendre en considération les composantes de ce milieu.

Ce genre d'intervention a nécessité beaucoup d'investissements et d'argent. Après des batailles de clocher au niveau des différentes professions, parce que certaines personnes avaient peur de perdre leur emploi, étant donné que notre mandat était plus large, on s'est aperçu que les besoins étaient tellement grands qu'on devait s'impliquer dans ce champ d'intervention.

Actuellement, après sept à huit ans d'expérimentation, même si nous considérons que nous en sommes à nos premiers pas, les résultats sont concluants et nous devons continuer dans ce sens-là.

Au Québec, on s'est rappelé qu'on avait un Code civil qui donnait des responsabilités et des obligations aux parents, mais que ces mêmes parents avaient besoin d'être appuyés dans le cadre de leurs responsabilités à l'égard de leurs enfants. On continue à travailler dans cette direction. Les parents ont des droits et des devoirs à l'égard de leurs enfants. L'État n'est plus le substitut du parent, mais un complément indispensable pour ceux qui ont besoin d'aide.

[Traduction]

Le président: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Je vous pose rapidement une question, puis nous passerons à un autre point dont je veux parler.

Madame, à la page 6 de votre mémoire, il est écrit: «...l'ACJP est favorable à la mise sur pied de systèmes visant à appuyer la cellule familiale». On révèle ensuite que certains de ces contrevenants, de ces enfants, sont eux-mêmes victimes de violence. Les enfants qui passent des milliers d'heures devant l'écran de télévision, qui sont constamment exposés à des scènes de violence, sont-ils eux-mêmes des victimes de violence?

Mme Toutant: Je n'y avais jamais réfléchi sous cet angle.

M. Ramsay: Je vous en donne un petit exemple. Actuellement, la police enquête sur deux jeunes garçons de moins de 12 ans qui ont violé une petite fille de huit ans en Colombie-Britannique. De tels crimes étaient inconcevables lorsque j'étais enfant.

Je me demande si ces enfants ont commis de tels actes parce qu'ils ont subi des sévices ou qu'ils ont été victimes d'agressions sexuelles, ou est-ce plutôt parce qu'ils ont été insensibilisés à ce genre d'acte, contrairement à nous? Enfants, nous étions si timides et intimidés à l'idée même de commettre de tels actes. Notre sensibilité a peut-être été émoussée par les actes de violence, si ce n'est la pornographie, que nous voyons à la télévision. Estimez-vous que...

[Français]

Mme Toutant: Je ne pourrai jamais répondre par un oui ou par un non à la question que vous me posez parce qu'il y a toujours plusieurs facteurs aux comportements violents.

On peut regarder la situation que vous décrivez. Premièrement, comment se fait-il que des enfants passent un nombre effarant d'heures devant des téléviseurs et des vidéos? Ces vidéos peuvent être violents ou pas, mais la question n'est pas là.

Cela démontre la facilité avec laquelle certaines familles se débarrassent des enfants. Au lieu de s'en occuper et de faire des activités avec eux, ils leur louent des vidéos, les cantonnent devant la télévision, parce que c'est moins compliqué.

.1035

Ce que l'on observe chez nos jeunes, et je ne dis pas cela pour blâmer les parents, c'est qu'ils ont des parents qui ont beaucoup de difficulté à communiquer avec leurs enfants.

Je vous donne un exemple. Il y a quelques années, j'ai eu un adolescent qui n'était pas allé en congé dans sa famille depuis 18 mois parce qu'il avait commis un délit grave. Son premier congé lui a été accordé vers Noël et nous étions d'accord qu'il aille chez lui. Lorsqu'il est revenu, il a dit qu'on lui avait loué des vidéos. Notre première réaction a été de nous dire qu'après 18 mois, sa famille et lui auraient pu faire beaucoup d'autres choses ensemble.

On oublie que, derrière les jeunes qui agissent, il y a la pathologie parentale, la difficulté des parents à communiquer. J'ai parlé plus tôt du soutien nécessaire. Il faut travailler avec les familles parce que le jeune, qui passe son temps à regarder cela d'un oeil critique, a bien souvent été mis sur une voie de service.

Nous avons vu que les jeunes étaient influencés par les films violents. Pour ma part, je n'ai jamais fait d'études là-dessus, mais je vous dis ce que l'on dit. Ce que les jeunes très fragiles regardent leur donne une idée de scénario pour passer à l'acte. Ils répètent bien souvent ce qu'ils voient. Mais la violence et la rage sont déjà là, et les causes sont ailleurs. En d'autres mots, on ne peut dire qu'un enfant qui vient d'une famille très bien, dont les parents sont très chaleureux et très encourageants et ne valorisent pas la violence est un enfant à risque parce qu'il a un jeu Nintendo. Cet enfant risque-t-il de passer à l'acte? Il semble que non. Il semble que l'utilisation des médias violents devient dramatique quand l'enfant est fragile. Il y a tellement d'enfants fragiles.

Cela veut-il dire que l'on fera quelque chose en ce qui a trait à la violence dans les médias? Je n'en suis pas certaine. C'est un problème dont il faudra rediscuter avec d'autres qui viendront témoigner ici. Je ne sais pas s'il y en a qui ont d'autres idées et qui voudraient intervenir là-dessus. Il n'y a pas de réponse unique à cela.

[Traduction]

Cela répond-il à votre question, monsieur Ramsay?

M. Ramsay: Ce n'est pas juste, monsieur le président.

Le président: Vous avez eu cinq minutes et 47 secondes.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Madame Torsney.

Mme Torsney (Burlington): Au sujet du dernier point, je crois qu'il existe d'autres études établissant que la télévision influe sur le comportement. Il nous faudra peut-être examiner cette question également.

Je me demande aussi si vous avez des études ou connaissez des études que nous pourrions consulter au sujet de l'éducation intensive des parents sur la façon d'élever leurs enfants, la façon de régler un conflit et la façon d'enseigner aux enfants à l'école. Il existe au pays des programmes pour apprendre à résoudre des conflits et à faire de la médiation entre pairs afin d'abaisser le niveau des conflits et de transmettre aux enfants des habilités leur permettant de composer avec les difficultés de la vie. S'il existe des études empiriques montrant que ces programmes sont efficaces, j'aimerais bien les obtenir.

Il va de soi, à mon avis, que si l'on donne des habiletés à quelqu'un, cette personne s'en servira. Par contre, nous savons tous que les choses ne se passent pas toujours comme elles le devraient. J'aimerais donc bien voir ces études.

On a mis en doute le besoin du reste de la collectivité de connaître la teneur de la Loi sur les jeunes contrevenants, son importance; ce n'est important que lorsque les enfants sont en difficulté. Il y a aussi toute la question des programmes à l'intention des parents ou du traitement des familles parce que l'enfant est renvoyé au sein de la même famille et que, si celle-ci est dysfonctionnelle, elle continuera de lui proposer le mauvais modèle.

Je me pose deux questions. Est-il possible d'imposer aux parents de suivre des cours et de les obliger à suivre une cure de désintoxication? De plus, comment pouvons-nous obliger le reste de la communauté à prendre acte de sa responsabilité à l'égard des enfants? Que leurs parents soient bons ou mauvais, ces enfants demeurent sa responsabilité. Je n'ai peut-être pas d'enfants, mais je me sens responsable à leur égard, et ces enfants représentent mon avenir. Que puis-je faire? Tous ceux qui organisent des matchs de hockey et des activités pour les jeunes un peu partout au pays font preuve d'engagement, et je crois que cet engagement a une influence. Mais comment faire prendre conscience au reste de la communauté qu'elle a l'obligation d'intervenir et d'obtenir de l'aide pour ces enfants?

Vous pouvez parler jusqu'à ce que le reste du temps qui m'est alloué soit épuisé.

.1040

[Français]

M. Brunette: En ce qui a trait aux parents, l'article 54 de la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec précise que le parent doit s'engager dans des activités parentales ou dans des programmes visant à le soutenir dans son rôle auprès de ses enfants.

Quant à l'implication de la la communauté, elle est très concrète. En effet, il existe, au Québec, ce qu'on appelle des organismes orienteurs. Ils sont au nombre de 42 et ont pour mandat d'intégrer les jeunes dans leur communauté. À titre d'exemple, citons l'organisme Trio Jeunesse à Hull. Constitué d'à peu près quatre personnes, il est particulièrement efficace à recruter des bénévoles qui viennent se sensibiliser à la cause des jeunes et deviennent leurs leviers d'intégration dans la communauté, malgré le fait que ces jeunes aient commis des infractions.

Voici comment cela se traduit. L'année passée, 551 mesures ont été appliquées à 389 jeunes contrevenants dans le cadre de ce programme, et ces mesures étaient réparties comme suit: travaux compensatoires, travaux communautaires en guise de dédommagement pour les gestes posés, programme d'amélioration des aptitudes sociales et conciliation avec les victimes. Le programme d'amélioration des aptitudes est un programme très important, qui prend de l'ampleur et vers lequel on devrait tendre davantage parce qu'il est essentiel pour combler les besoins spéciaux des jeunes en développement.

À titre d'information, je peux vous donner les statistiques suivantes sur les mesures appliquées: travaux compensatoires, 48 mesures; travaux communautaires, 238; amélioration des aptitudes sociales, 55; et conciliation avec les victimes, 210.

Quand on peut amener un jeune à associer un visage à un nom et à prendre conscience de la gravité de son geste, on est sur la bonne voie. C'est cette approche personnalisée qu'il faut privilégier, à mon avis, pour faire en sorte que les résultats soient davantage tangibles.

[Traduction]

M. Yeager: Madame Torsney, il existe aussi une réponse structurelle pour vous, en tant que législateur. Pour illustrer ce point particulier, au Québec, lorsqu'on rédige une loi qui transfère des fonds à la mise en place de ressources communautaires, la réaction est fort différente au sein de la collectivité s'il existe un comité communautaire qui offre différents programmes: on offre un cadre qui permet de renforcer les liens familiaux. Le problème, dans la structure actuelle, c'est que presque toutes vos ressources, plus de 75 p. 100 d'entre elles, sont consacrées à la mise sous garde. Voilà une question à laquelle, en tant que législateur, vous pourriez vous attaquer, par écrit.

Mme Torsney: Message reçu.

Mme Fjeld: Le seul autre point que j'aimerais faire valoir concernant les programmes de préservation des liens familiaux, c'est qu'il existe des études qui portent sur... La seule façon d'avoir une influence déterminante sur les familles à problèmes multiples, c'est d'offrir le genre de programme intensif où les travailleurs passent à peu près 20 heures par semaine auprès de la famille. Cela signifie que vous devez littéralement être là pour aider la famille à s'adapter aux changements énormes qui la secoue. Je suppose que je dis cela uniquement pour renforcer l'idée qu'il existe certes, à mon avis, une proportion de jeunes contrevenants qui sont responsables de la majorité des crimes commis.

Quand il est question de programmes intensifs, il faut bien définir le terme. Malheureusement, par «intensif», il ne faut pas entendre une ou deux heures par semaine, mais bien dix heures durant lesquelles on travaille sur appel, on est à la disposition de la famille pour abattre le genre de véritable travail dont il est question et qui aura une influence déterminante, particulièrement lorsque la famille compte des toxicomanes, qu'elle perpétue toutes sortes de cycles, soit une attitude criminelle, de piètres compétences comme parent ou le passage à l'acte violent. Je n'ai pas besoin de vous le dire.

Bien que le genre de programme offert dans les écoles pour enseigner la médiation entre pairs donne de bons résultats chez la plupart des jeunes, je soutiens que ces enfants auraient vraisemblablement été assez «pro-sociaux» de toute façon, ayant probablement un assez bon comportement à l'école, obtenant de bons résultats et ayant probablement des parents qui les ont intéressés à toutes sortes d'activités communautaires.

.1045

Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais quand les ressources sont rares, quand il faut faire des choix, je suppose, je maintiens qu'il faut choisir les jeunes qui ont vraiment besoin de ce genre de programme très intensif. Cela ne signifie pas une mise sous garde.

Le président: Je me demande si les réponses ne pourraient pas être un peu plus courtes s'il vous plaît. Le temps commence à nous manquer.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Je vous renvoie encore une fois à la page 6 de votre mémoire où vous affirmez être favorable à la mise sur pied de systèmes visant à appuyer la cellule familiale. Votre organisme appuie-t-il le maintien de l'article 43 du Code criminel, ou êtes-vous plutôt en faveur de son abrogation?

Il s'agit du droit des parents d'avoir recours au châtiment corporel pour maintenir l'ordre au foyer, et celui de l'enseignant dans la classe, et ainsi de suite.

Mme Toutant: Vous vous attendez à obtenir une réponse brève à pareille question?

Des voix: Oh, oh!

M. Ramsay: Oui, je vous en prie, faites-nous une courte réponse.

[Français]

Mme Toutant: Je vais essayer de donner une réponse courte. Il ne faut jamais oublier que la punition peut être utile pourvu qu'elle soit entourée de beaucoup de chaleur et d'affection de la part des parents.

Quand on parle de punitions corporelles en ces termes-là... Premièrement, je ne pense pas qu'on devrait les inclure dans un code criminel. Les parents qui habituellement ont des liens très positifs avec leurs enfants n'utilisent que très rarement la punition corporelle. En revanche, ceux qui y recourent très souvent sont habituellement des parents qui n'ont pas de relations valables avec leurs enfants. En effet, quand on est proche de ses enfants depuis qu'ils sont tout petits, on n'a pas besoin de les taper pour qu'ils comprennent. C'est tout.

[Traduction]

M. Ramsay: Mon expérience en tant qu'enfant, que père et que policier m'a appris que les enfants sont à la recherche de personnes qui seront attentives, aux yeux desquelles ils auront de l'importance et qui les aimeront. J'ai souvent constaté que ceux que je rencontrais en tant qu'agent de la paix, ceux qui commettaient des crimes, en avaient souvent besoin. Ils avaient besoin d'une figure d'autorité qui leur marquerait ce genre d'affection et qui leur donnerait l'impression de compter dans la vie.

De par ma propre expérience et mes propres méthodes, dont je me servais quand je le pouvais, je sais que les enfants qui commettent des actes de délinquance réagissent à ce genre d'attention. Toutefois, le moment où ils la reçoivent est aussi important. J'avais l'habitude d'attendre jusqu'à ce que je les prenne en plein virage, sur le fait. Je commençais par leur dresser un procès-verbal pour leur indiquer qu'ils finiraient en cour. Après cela, je cherchais à connaître les motifs qui les poussaient à commettre ces actes. Je leur demandais comment ça allait à l'école, ce qui se passait à la maison et ce que faisaient leurs père et mère. Je leur montrais que leur cas me préoccupait.

Ensuite, je leur disais que je pourrais les traîner en cour mais qu'à moins qu'ils ne recommencent, je ne le ferais pas. Si au bout de six mois - on parle ici d'une infraction sommaire - , je n'en avais pas entendu parler, je jetais simplement le procès-verbal dans la corbeille à papier. Je les mettais sur un piédestal et concluais une entente à l'amiable avec eux. Au moins 99 p. 100 d'entre eux ne m'ont jamais, jamais, déçu. Lorsque je les rencontrais sur la rue, j'avais l'habitude de leur dire bonjour, mais je ne mentionnais plus jamais l'affaire.

.1050

Je crois que les bons policiers écartent du système de nombreux jeunes. Une fois qu'ils entrent dans le système, c'est-à-dire dans le système officiel, il est très difficile de les réchapper.

Par conséquent, je conclus de ce que vous dites et de ce que j'ai entendu le ministre de la Justice dire hier - ce qui se produit en Nouvelle-Zélande et peut-être au pays même dans les milieux chargés de prononcer les sentences - que le crime commis est un cri d'alarme lancé, un appel au respect, à l'affection, à l'amour qu'ils n'obtiennent pas de leur famille ou de leur milieu et que c'est là la clé de toute l'affaire.

En tant que policier, le choix du moment opportun ne pose pas de problème. Si je prenais un contrevenant sur le fait, c'était le moment d'agir. C'est à ce moment-là que les émotions affleurent, quand l'appréhension domine. À ce moment-là, il était prêt à m'écouter. C'est très différent quand on affaire à un endurci, qui ne reçoit pas chez lui l'amour, l'affection et l'attention dont il a besoin. Son sens de la justice est violé parce qu'il n'obtient pas le soutien physique, émotionnel et spirituel dont il a besoin de ses parents. Rien ne l'incite à obéir aux règles. Il n'en tire aucun avantage, ni à la maison, ni à l'extérieur.

Je me demande si l'un d'entre vous aurait un commentaire à faire au sujet de ces principes.

M. Snyder: Si vous le permettez, j'aurais quelque chose à dire, monsieur Ramsay. Vous avez touché un certain nombre de domaines, mais l'un en particulier...et je vais essayer de ne pas trop m'attarder au sujet, puisque nous manquons de temps.

Vous parlez ici du pouvoir discrétionnaire du policier. La plus grande partie des échanges qui ont eu lieu au cours de la dernière heure et demie ont porté sur le jeune entré dans le système. Vous, vous avez parlé de l'individu avant qu'il n'entre dans le système.

Très brièvement, l'ACJP aimerait que le comité suive de très près la situation au Québec en ce qui concerne les liens entre les organismes policiers et les autres organismes pluridisciplinaires. D'après ce que je vois, il existe là-bas une situation unique en ce qui concerne la prise de décision.

Encore une fois, nous manquons de temps, mais... Il semble que vous examinerez le rapport Jasmin dans une certaine mesure. Je vous demanderais de porter une attention toute particulière aux rapports qui existent entre les policiers et les autres organismes.

Quant au point que vous faites valoir au sujet du pouvoir discrétionnaire du policier, vous avez raison, il s'agit-là d'un aspect très important. On en a étudié à fond le fonctionnement et certaines erreurs systématiques qui en ont découlé dans le passé, certains problèmes inhérents.

Je ne parlerai pas longtemps, mais j'aimerais vraiment souligner le fait que le comité doive suivre ce qui se produit au Québec en ce qui concerne les services policiers. La façon dont ils réagissent aux jeunes contrevenants est tout à fait différente, d'après ce que je vois, de ce qui se passe ailleurs au Canada.

Je m'en tiendrai là.

Le président: Je vous remercie. Ne vous mésestimez pas; il s'agit d'une question très importante, le pouvoir discrétionnaire de la police dans le système judiciaire.

Si quelqu'un a quelque chose à ajouter, qu'il le fasse maintenant.

[Français]

M. Brunette: Deux petits commentaires. Premièrement, en ce qui concerne le type d'intervention que vous avez décrit plus tôt, cela réaffirme ce que je disais antérieurement quant à la personnalisation de l'approche. Le jeune est sensible à quelqu'un qui prend le temps d'écouter, d'entendre et de donner suite à ce qui s'est produit. Et ça, c'est essentiel.

S'il y a quelque chose de criant dans notre société, c'est cette espèce d'indifférence et cette espèce d'isolement dans lesquels nous vivons et que les jeunes vivent peut-être plus difficilement que n'importe quel adulte. Ils sont en voie de développement, ne l'oublions pas!

Mon deuxième commentaire a trait aux corps policiers. Il y a encore beaucoup de choses à faire de ce côté-là, mais je pense qu'on a fait des pas dans la bonne direction. Citons à titre d'exemple l'approche multidisciplinaire qui tient compte de toutes les composantes de chacune des étapes du processus juridique lorsqu'il est enclenché au moment de l'arrestation.

Récemment, au Québec, nous avons bénéficié de séances de formation regroupant 1 700 personnes. Nous avons eu 99 séances de deux à quatre jours. Ces séances, à notre demande, regroupaient les différents acteurs concernés, à savoir les policiers, les procureurs de la Couronne, les avocats, les travailleurs sociaux et les éducateurs dans les centres, pour qu'ils puissent avoir une meilleure harmonisation et une meilleure compréhension de leurs rôles mutuels. Nous travaillons les uns à la suite des autres. Nous devrions travailler davantage ensemble, comme si nous faisions partie d'un tout.

.1055

À mon avis, c'est la façon d'aborder le problème des jeunes contrevenants. On ne peut pas être perdant.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Regan, les cinq dernières minutes vous appartiennent.

[Français]

M. Regan (Halifax-Ouest): J'aimerais poser une question à propos de l'âge. Nous avons, en effet, entendu de nombreuses discussions et nous entendrons encore beaucoup parler de cet enjeu dans les mois à venir. J'aimerais connaître votre opinion en ce qui a trait à l'âge auquel devrait s'appliquer cette Loi sur les jeunes contrevenants. Devrait-il être de 12 ans, comme c'est actuellement le cas, ou de moins de 12 ans?

J'aimerais aussi avoir vos commentaires sur les changements qui ont été apportés en juin pour les jeunes de 16 et 17 ans.

[Traduction]

M. Yeager: Monsieur Regan, comme vous le savez fort bien, dans notre témoignage au sujet du projet de loi C-37, nous avons essentiellement adopté pour principe que l'Association n'était pas vraiment opposée au fait de traduire des jeunes de 16 et de 17 ans devant des tribunaux pour adultes pour un certain nombre très limité de crimes très graves: meurtres, meurtres au deuxième degré, homicides involontaires et, je crois, agressions sexuelles graves. Dieu merci, cela ne vise qu'un petit nombre de jeunes. Nous avons, toutefois, à nouveau fait valoir que nous étions préoccupés par de très graves questions de mise en oeuvre: la façon de dépenser les fonds, de répartir les ressources, la prévention, et ainsi de suite.

Pour ce qui d'abaisser l'âge, le nombre de véritables délinquants de moins de 12 ans représente, sur le plan statistique, une très faible minorité. Bien que nous n'ayons pas creusé cette question, je ne suis pas sûr que notre association soit d'accord avec l'idée d'abaisser l'âge afin de traduire plus de jeunes devant les tribunaux.

Je pense que nous préférons l'approche préconisée par les auteurs du rapport Jasmin et les gens du Québec, particulièrement en ce qui concerne les très jeunes gens, parce qu'elle est davantage axée sur l'aide à l'enfance et l'assistance sociale et met moins l'accent sur le système de justice pénale.

[Français]

Mme Toutant: J'aimerais faire une dernière remarque sur les jeunes. Je pense qu'il est déjà trop tard pour faire cette remarque, parce qu'on a déjà fait des renvois et qu'il y a des automatismes. Il est triste qu'une loi comporte des automatismes. Quand je parle d'automatismes, je veux dire que chaque fois qu'on fait des affirmations qui conduisent à adopter des comportements similaires envers tous, c'est mauvais.

J'en donne un exemple. Tous les jeunes qui sont violents et qui ont 16 ou 17 ans devraient être transférés du côté des adultes. Mauvais. Cela varie selon les jeunes individus.

Tous les jeunes qui commettent des délits contre la propriété devraient demeurer dans la communauté et ne pas être placés dans un centre d'accueil. Encore là, c'est variable. S'il s'agit de son 44e vol, peut-être doit-il être placé dans un centre d'accueil.

Pour ma part, quand on me parle de réponses automatiques, je trouve cela détestable et nuisible quand c'est inscrit dans la loi. On ne devrait jamais inclure des automatismes dans des lois.

Voilà la remarque que je fais à propos des 16 et 17 ans qu'on veut renvoyer directement au tribunal adulte.

Quant à la réponse de monsieur en ce qui a trait aux jeunes de 12 ans... Une bonne loi de protection vous donne tout ce dont vous avez besoin pour travailler avec un jeune de moins de 12 ans qui a des comportements délinquants.

Nous vous cassons peut-être les oreilles avec le Rapport Jasmin ce matin. Vous en ferez peut-être une indigestion. J'espère, en tout cas, que vous allez le lire. On s'y réfère souvent parce que c'est une étude sérieuse. Je pense que vous pouvez en tirer certaines indications.

Je ne connais pas bien les lois sur la protection qui existent dans les autres provinces. Je ne peux pas vous dire que telle province a elle aussi une bonne loi de protection.

J'aimerais toutefois prendre une minute pour revenir sur une question posée par Mme Torsney.

.1100

Vous avez demandé si des recherches avaient démontré que des interventions faites très tôt chez de jeunes enfants à l'école donnaient des résultats. La réponse est oui. Des recherches l'ont démontré. Vous viendrez me voir tout à l'heure et je vous donnerai les précisions contenues dans le rapport à cet égard. On y fait état de recherches qui prouvent qu'une intervention très précoce auprès d'enfants au primaire chez qui on dénote des comportements d'agressivité donne quelque chose. On le voit. Les professeurs de maternelle vous disent: «Il va tourner mal, celui-là.» L'intuition des professeurs est souvent très significative. Sans mettre d'étiquettes, il y a moyen de faire quelque chose. Il y a déjà d'ailleurs des choses qui se font.

Est-ce que je pourrais terminer par une invitation? Tous les membres du comité sont invités à un colloque intitulé «Victime ou accusé, le jeune et le procès pénal». Ce colloque est organisé par l'Association canadienne de justice pénale et par la Faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa, et se tiendra le 14 février. Vous pourrez fêter la Saint-Valentin en entendant parler des jeunes! Il y aura aussi des juristes d'autres pays qui viendront nous entretenir sur la façon dont on travaille avec les adolescents délinquants dans leurs pays.

Nous vous enverrons toutes les coordonnées par la poste pour que vous sachiez exactement l'heure et le lieu du colloque. Merci.

[Traduction]

Le président: Je tiens à vous remercier de vos commentaires. Je pense que nous n'avons fait qu'effleurer la surface.

M. Yeager a mentionné certains documents. Au lieu de les confier à un membre du comité, vous pourriez peut-être les remettre au greffier qui pourra alors les distribuer à tous les membres.

Je tiens à vous remercier à nouveau d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.

Nous allons faire une brève pause avant de passer au prochain groupe.

.1111

Le président: Nous entamons la prochaine séance de ce matin. Nous avons avec nous Maureen Morris et Damien Solomon de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants; Pat Crossman et Marie Pierce de l'Association canadienne des commissions/conseils scolaires; et Fred Grant de l'Association canadienne des administrateurs et des administratrices scolaires. Nous écouterons d'abord votre présentation, puis nous passerons aux questions et aux commentaires. Vous avez la parole.

Mme Pat Crossman (présidente, Association canadienne des commissions/conseils scolaires): Je m'appelle Pat Crossman et je suis présidente de l'Association canadienne des commissions/conseils scolaires. Notre association est le porte-parole national des conseils scolaires et des conseillers et conseillères scolaires. Au nom des quatre associations que nous représentons, je tiens à remercier le comité de cette occasion de faire connaître à nouveau nos points de vue sur les aspects du système de justice pour la jeunesse en général, et sur la Loi sur les jeunes contrevenants en particulier.

Nous avons apprécié la réaction favorable et l'intérêt du Comité permanent lors de notre participation aux audiences sur le projet de loi C-37. De plus, nous appuyons les intérêts du gouvernement à l'égard d'un cadre d'action d'une plus grande portée destiné à assurer la sécurité dans les écoles et qui englobe des initiatives communautaires novatrices en matière de prévention et de réinsertion.

Nous espérons que ce processus de consultation permettra non seulement de répondre aux préoccupations du milieu scolaire mais aussi de concilier les droits du jeune et la sécurité collective.

La majorité des jeunes contrevenants et contrevenantes sont à l'âge de la scolarité obligatoire. C'est pourquoi les ordonnances rendues à leur endroit se répercutent directement sur le système scolaire du Canada. Les quatre groupes représentés ici aujourd'hui ont à coeur la sécurité des élèves et du personnel et veulent s'acquitter de leurs responsabilités, de concert avec leurs partenaires dans le domaine des services sociaux, en matière de prévention du crime chez les jeunes ainsi que de dépistage rapide et de réinsertion des jeunes contrevenants et contrevenantes.

Notre mémoire porte donc sur les aspects suivants: la prévention et la réinsertion, l'abaissement de l'âge auquel s'applique la Loi sur les jeunes contrevenants, les disparités dans les lois provinciales et enfin les ressources.

Mme Maureen Morris (présidente, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants): C'est pour moi un privilège de représenter ici la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. La Fédération est le porte-parole national d'environ 240 000 enseignantes et enseignants au Canada. Nous comptons 13 organisations membres à l'échelle provinciale et territoriale. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de nous joindre à nos collègues du domaine de l'éducation pour présenter nos idées et nos recommandations concernant l'examen de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Nous sommes convaincus que l'application du système de justice pour les jeunes doit concilier les droits du jeune contrevenant, du jeune et la sécurité du personnel et des élèves en milieu scolaire et dans la collectivité en général. Nous sommes fermement partisans d'une démarche qui permet de consacrer des ressources à la prévention et à la réinsertion plutôt qu'à l'incarcération. Nous croyons que dans tous les cas, il faut privilégier la prévention et la réinsertion.

Nous estimons qu'il est préférable de repérer rapidement les jeunes susceptibles d'avoir des démêlés avec la justice. Il ne fait aucun doute que dans bien de nos écoles, c'est ce que nous tâchons de faire. Nous tâchons de repérer les élèves susceptibles d'avoir des difficultés plus tard.

.1115

Nous croyons également qu'une meilleure utilisation des rares ressources dont nous disposons peut contribuer à réduire le crime si elles sont axées sur la réinsertion. Il faudrait également assurer une répartition plus équitable des ressources dans l'ensemble du pays.

À une époque où les ressources se font de plus en plus rares, il semble plus logique d'adopter une approche communautaire concertée pour s'occuper des jeunes à risques, plutôt qu'une approche fragmentée où les enseignants, les parents et certains secteurs du système judiciaire travaillent chacun de leur côté. Si nous adoptions une démarche intégrée envers les jeunes contrevenants de manière à assurer la réinsertion des délinquants primaires et la prévention des premières infractions, nous serions mieux en mesure d'aider nos jeunes.

La coordination des services de dépistage et de prévention constituerait assurément un pas dans la bonne voie. L'information joue également un rôle important. C'est pourquoi nous appuyons la préparation de vidéos tel que celui présenté par le Conseil de la prévention du crime d'Ottawa et intitulé Judge for Yourself. On y traite de la Loi sur les jeunes contrevenants et de son fonctionnement. Nous sommes persuadés que les jeunes souvent ne comprennent pas la portée des actes qu'ils commettent et ne les prennent donc pas forcément aussi au sérieux qu'ils le devraient dans certains cas.

Mme Maybelle Durkin (directrice exécutive, Fédération canadienne des associations foyer-école et parents-maîtres): Bonjour. La Fédération canadienne des associations foyer-école et parents-maîtres est une organisation cadre d'envergure nationale, sans but lucratif et non partisane qui regroupe dix organisations provinciales affiliées représentant des parents qui s'emploient à améliorer la qualité de l'enseignement offert à leurs enfants en participant activement à leur apprentissage et à leur éducation. Au sein de cette structure, plus de 100 000 parents contribuent aux associations locales foyer-école, aux conseils scolaires et aux conseils consultatifs de parents à la grandeur du pays.

Notre association a un certain nombre de réserves à l'égard de la fourchette d'âge prévue par la Loi sur les jeunes contrevenants. À cet égard, nous sommes conscients du fait que l'abaissement de l'âge minimum ou maximum ou des deux, n'offre qu'une solution partielle qui n'est sans doute pas la plus efficace. Des mesures s'imposent en ce qui touche notamment les lois provinciales et la réaffectation des ressources.

Trois questions clés méritent une attention particulière en ce qui concerne l'abaissement possible de l'âge minimum prévu par la Loi sur les jeunes contrevenants.

La première se rapporte à la nécessité d'obliger les jeunes à répondre de leurs actes et de leur faire bien comprendre que, s'ils commettent un crime, ils devront en subir les conséquences précises. La deuxième concerne le manque d'uniformité dans les dispositions et l'application des lois provinciales visant le traitement des jeunes de moins de 12 ans. La troisième porte sur l'accessibilité aux services de dépistage rapide, de prévention et de réinsertion, de même que sur l'inégalité des services offerts.

Les jeunes doivent bien comprendre que lorsqu'ils commettent un crime, ils devront en subir les conséquences précises.

L'une des difficultés que nous constatons en ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est que le traitement des dossiers des jeunes contrevenants prend beaucoup trop de temps. Il faut modifier la loi de manière à ce que le système judiciaire puisse s'occuper plus rapidement des jeunes contrevenants et contrevenantes accusés de crimes graves.

Une option consisterait à mettre en place un système de défense publique par opposition au système actuel d'aide juridique. Ainsi, le processus serait accéléré et les retards évités si le dossier d'un jeune contrevenant était confié à un défenseur public au lieu que l'on attende que le système d'aide juridique lui assigne un avocat. Nous recommandons par conséquent que la Loi sur les jeunes contrevenants soit modifiée de manière à assurer le traitement rapide des dossiers des jeunes contrevenants accusés de crimes graves.

Nous aimerions également commenter les disparités qui existent d'une province à l'autre. Les lois qui déterminent le traitement des jeunes contrevenants de moins de 12 ans varient beaucoup d'une province à l'autre. La Loi sur les jeunes contrevenants et les lois provinciales offrent peu de renseignements clairs et concis sur le traitement de ces jeunes.

.1120

Le gouvernement fédéral, de concert avec les gouvernements provinciaux et locaux ainsi que les conseils scolaires, devrait élaborer un guide exposant clairement les dispositions actuelles des lois provinciales qui font en sorte que les jeunes sont tenus responsables de leurs actes. Ces renseignements devraient être mis à la disposition des services policiers, des divers services sociaux et des conseils scolaires.

Nous recommandons par conséquent que le gouvernement fédéral, en coopération avec les gouvernements provinciaux, élabore un guide clair et concis sur les dispositions législatives provinciales en vigueur concernant le traitement des jeunes de moins de 12 ans qui commettent des délits. Une fois que ces renseignements précis seront disponibles, il faudrait alors recommander des amendements qui assurent l'uniformité du traitement des auteurs de délits.

M. Fred Grant (surintendant, district scolaire no2, Moncton, Nouveau-Brunswick; représentant de l'Association canadienne des administrateurs et des administratrices scolaires): Je m'appelle Fred Grant et je fais partie de l'Association canadienne des administrateurs et des administratrices scolaires qui représentent 650 membres de la haute direction des districts scolaires un peu partout au pays.

Nous sommes convaincus qu'il est dans notre intérêt de travailler avec les jeunes contrevenants parce qu'ils se trouvent dans nos écoles. L'école est une constante pour nous et pour les jeunes contrevenants. C'est pourquoi nous sommes persuadés que tout effort de réinsertion doit inclure les écoles. Nous estimons pouvoir assurer en milieu scolaire un plus grand nombre des services destinés aux jeunes contrevenants et considérons qu'un grand nombre des programmes dont ont besoin les jeunes contrevenants seront plus efficaces s'ils sont établis conjointement par le milieu scolaire et la collectivité.

Certains jeunes contrevenants ont besoin de toute une gamme de programmes. Ils ont besoin de possibilités d'emplois et de possibilités de s'exprimer. Souvent, ils vivent dans des familles dysfonctionnelles et ont parfois des problèmes de drogues et d'alcool. C'est notre groupe à risque élevé de jeunes contrevenants.

Nous estimons qu'il est très important de leur offrir des programmes en milieu scolaire, adaptés à leurs besoins - des programmes complémentaires, des programmes de médiation par des pairs, des programmes de liaison avec la police, des programmes que nous assurons conjointement avec les membres de la collectivité. Très souvent, ces jeunes n'arrivent pas à fonctionner dans les limites du système scolaire traditionnel. Nous avons besoin de ressources, d'aide et de la collaboration de la collectivité pour tâcher de mettre sur pied des programmes complémentaires qui s'adressent vraiment à eux.

Nous avons eu l'occasion de dialoguer continuellement avec les jeunes à risques. Ce qu'ils veulent, c'est le genre de programmes que je viens de mentionner. Ils veulent des programmes complémentaires; ils veulent des possibilités d'emplois; ils veulent un milieu sûr; ils veulent le soutien de conseillers. C'est ce qu'ils nous disent dans les groupes de discussion que nous organisons pour savoir ce qu'ils recherchent.

J'aimerais mentionner rapidement quelques autres points. Nous sommes convaincus que le traitement rapide des infractions est nécessaire. Très souvent, un jeune contrevenant qui commet une infraction doit attendre six à sept mois avant de comparaître devant les tribunaux. C'est alors de l'histoire ancienne et aucune mesure immédiate n'a été prise pour donner réellement suite à cette infraction. Il s'écoule donc beaucoup de temps entre le moment où l'infraction a été commise et celui où l'on y donne suite. Si on prévoit prendre des mesures de réinsertion, il faut le faire très rapidement car ces personnes restent à risques et très souvent continuent à commettre des infractions en attendant de comparaître devant les tribunaux pour leur première infraction.

.1125

Nous sommes convaincus que les problèmes que connaissent les jeunes contrevenants commencent avant l'âge de 12 ans. C'est pourquoi il faut envisager des mesures d'intervention précoce, dès la maternelle et la première année. Nous devrions faire prendre conscience aux enfants qu'ils sont les citoyens d'une communauté, leur apprendre à développer leur sens civique et à reconnaître leur importance les uns par rapport aux autres. Nous devrions sensibiliser l'enfant à son appartenance à un groupe. C'est le genre d'initiatives que nous aimerions qui soient prises.

Pour nous, les écoles sont le partenaire naturel de tout groupe multidisciplinaire à l'échelle locale. Nous estimons que les problèmes auxquels les jeunes font face peuvent être réglés plus efficacement avec la collaboration des écoles.

Le président: Y a-t-il d'autres présentations?

Mme Crossman: Simplement pour terminer, avant de passer aux questions, nous voulons nous assurer que nos écoles sont des milieux sûrs d'apprentissage et d'enseignement et nous sommes plus que disposés à travailler avec tous les secteurs de la société afin de prendre des mesures dynamiques et originales dans le cadre d'autres programmes.

Le président: Avant de passer aux questions, je me demande, monsieur Grant, d'après la présentation que vous venez de faire si les enseignants au Canada - et je me servirai de ma province de la Saskatchewan comme exemple - veulent effectivement assumer ce rôle bien précis.

Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a 20 ans, les enseignants s'occupaient des élèves après l'école; ils leur permettaient d'utiliser les installations scolaires, que ce soit le gymnase ou d'autres locaux, s'ils le voulaient. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Lorsque l'école se termine à 15h30, les élèves s'en vont. Les enseignants ne veulent pas assurer la surveillance pendant les récréations. Ils ne veulent plus s'occuper d'activités parascolaires mais uniquement du programme scolaire. N'est-ce pas un problème qui doit être surmonté et ne doit-il pas être surmonté par les gouvernements municipaux et provinciaux avant que le gouvernement fédéral puisse s'en mêler?

M. Grant: Je crois que les écoles et les enseignants aujourd'hui reconnaissent qu'ils font partie d'une plus grande collectivité et cherchent des solutions et des moyens d'aider les jeunes contrevenants et les jeunes à risques. Je ne crois pas que nous cessions nos activités à 15h30. Nous sommes en train d'élaborer des programmes complémentaires qui comportent entre autres des programmes en soirée à l'intention de certains jeunes contrevenants. Nous sommes en train d'envisager comment élargir la notion d'école afin que l'école devienne un centre d'apprentissage et ne soit plus considérée comme un simple bâtiment. Je crois que les enseignants, du moins d'après ma propre expérience, veulent qu'on les aide à mettre sur pied des programmes à l'intention des jeunes contrevenants. Je pense qu'ils sont très positifs.

Le président: Madame Morris, avez-vous un commentaire?

Mme Morris: J'allais dire que toutes les organisations d'enseignantes et d'enseignants appuient la notion de collaboration entre l'école et les services de santé, les services judiciaires et les services à la famille. En fait, les organisations membres de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants étaient au courant de ce mémoire et l'ont appuyé. La Fédération des enseignants de la Saskatchewan en fait aussi partie. J'ai donc l'impression qu'en Saskatchewan particulièrement on considère que cette question doit avoir l'appui de la collectivité.

La coopération avec tous les secteurs de la collectivité ne servira pas uniquement les enseignants mais tout le monde. Je pense que les enseignants se rendent tout à fait compte que les écoles n'existent pas en vase clos. Vous constaterez dans les écoles une certaine ouverture sur la collectivité.

.1130

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay: Oui. Merci, monsieur le président et merci, mesdames et messieurs, de votre présentation de ce matin et d'être ici aujourd'hui.

J'aimerais vous demander si, en tant qu'éducateurs, vous estimez avoir suffisamment d'autorité pour vous acquitter de vos responsabilités d'enseignant ou de directeur. Je vous pose la question parce que les choses ont énormément changé depuis l'époque où je fréquentais l'école. À l'époque, on n'aurait jamais pensé à appeler la police à cause d'une bagarre dans les couloirs. Nous avions un directeur qui nous traînait par la peau du cou jusqu'à son bureau. Laissez-moi vous dire qu'il savait faire respecter les règles à l'école. L'école avait des règles et on le savait. Si on avait le malheur d'enfreindre ces règles et que les enseignants devaient aller chez le directeur...ils savaient faire respecter les règles.

Il me semble que les enseignants et les directeurs n'ont plus l'autorité nécessaire pour faire respecter les règles. Par conséquent, trop souvent ils appellent la police pour la moindre perturbation en classe causée par des élèves chahuteurs.

Avez-vous l'impression d'avoir l'autorité voulue pour diriger votre classe, diriger votre école et faire respecter les règles?

M. Grant: Dans la région où je vis, la gestion scolaire est assurée sur place, ce qui leur donne l'autorité voulue pour réagir aux problèmes de discipline. Il est vrai qu'on appelle parfois la police, mais seulement en cas de violence physique.

Il existe un certain nombre de mesures que les enseignants et les directeurs sont autorisés à prendre, entre autres la suspension au sein de l'école, la suspension de renforcement, des services de counselling et téléphoner aux parents. Il existe un processus en cinq ou six étapes que peuvent suivre les enseignants lorsqu'ils ont affaire à un jeune qui dérange la classe.

M. Ramsay: Est-ce suffisant?

M. Grant: C'est un sujet dont nous parlons depuis les deux ou trois dernières années et nous avons tenu des conférences et des réunions sur cette question. Nous avons établi des directives sur la tolérance zéro à l'égard de la violence ainsi que sur la façon d'assurer la sécurité en milieu scolaire. Je dirais qu'aujourd'hui, comparativement à il y a deux ou trois ans, les éducateurs se sentent plus à l'aise, ont plus l'impression de pouvoir maîtriser la situation, de pouvoir réagir et faire quelque chose. Je pense qu'ils disposent de meilleures options aujourd'hui et qu'elles sont plus satisfaisantes que par le passé.

M. Ramsay: Je constate que l'autorité des parents, des enseignants, des directeurs et d'autres symboles d'autorité dans la société a été sapée. Je vous en donne un exemple. Une fille de 15 ans qui se dispute avec sa mère parce qu'elle ne veut pas nettoyer sa chambre peut, en Alberta, faire appel à l'assistance sociale qui lui louera un appartement et lui donnera 800$ ou 900$ par mois pour ses dépenses, ce qui lui permettra de quitter la maison.

Ce genre de choses sape l'autorité des parents qui veulent que leurs enfants respectent les simples règles qu'ils ont établies à la maison. Lorsqu'au cours des réunions auxquelles nous participons un peu partout au pays, on réclame des mesures pour rendre les parents plus responsables du comportement criminel de leurs enfants, certains demandent systématiquement qu'on rétablisse l'autorité des parents pour qu'ils puissent s'occuper de leurs enfants. C'est aussi mon avis et c'est ce que je demande.

Ma femme est enseignante et nous avons des jumeaux qui sont à l'école secondaire. Quand j'étais jeune, jamais on n'aurait appelé la police pour une question de discipline et pourtant les bagarres étaient fréquentes.

L'enseignant détenait l'autorité suprême. Or, je constate que cette autorité est en train d'être sapée. Si vous considérez que la situation s'est améliorée, je trouve cela encourageant parce que ce n'est pas ce que j'ai constaté dans bien des réunions un peu partout au pays. On a toujours l'impression qu'on est en train de refiler la responsabilité aux autres. Pourquoi? Parce qu'aujourd'hui, avec la Charte des droits et libertés, on n'ose plus lever la main sur un enfant de peur d'être accusé d'abus sexuel ou de sévices.

.1135

Ces problèmes sont constants. Mon épouse me mentionne parfois ce genre d'incidents.

Je répète ma question: Êtes-vous convaincus en tant qu'enseignants et symboles d'autorité que doivent respecter nos enfants, que vous possédez l'autorité nécessaire pour vous acquitter de vos responsabilités en tant que symbole d'autorité?

Mme Morris: Il ne fait aucun doute que les temps ont changé. Lorsque vous avez dit que le directeur vous prenait par la peau du cou pour vous amener au bureau du directeur, ça m'a rappelé ce qui se passait quand j'allais à l'école.

Les temps ont changé en ce sens que nous n'avons pas l'autorité pour agir de la sorte à cause des raisons mêmes que vous venez d'exposer. J'estime toutefois que nous avons de l'autorité et qu'en ce qui concerne la violence dans les écoles, nous - et pas seulement les enseignants - sommes en train de rétablir cette autorité. Nous travaillons en collaboration avec les parents et les élèves, car les élèves sont les principaux intéressés dans cette affaire, afin d'élaborer des stratégies qui nous permettront de faire de l'école un endroit sûr où travailler.

Les élèves par exemple participent activement aux techniques de médiation par des pairs. Nous voulons que les parents interviennent en cas de manquement grave à la discipline. Je ne parle pas de petits incidents qui se produisent en classe sur une base régulière mais des infractions sérieuses comme des actes de violence et des agressions verbales ou physiques. Nous voulons que les parents et les élèves participent à l'élaboration d'une stratégie.

Nous avons déjà commencé, dans le milieu de l'enseignement, à prendre certaines mesures. L'Association canadienne des commissions/conseils scolaires et la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants ont parrainé une conférence à laquelle nous avons invité une grande partie de la communauté, sur le thème «Favoriser l'harmonie dans nos écoles et la collectivité». Nous y avons abordé des moyens de favoriser l'harmonie.

En ce qui concerne la police, je crois que dans la plupart des écoles, on fait habituellement appel à elle uniquement dans des situations où des armes à feu sont utilisées ou en cas de comportement extrêmement bizarre ou agressif. Habituellement, ce sont le personnel et le directeur qui s'occupent de ce genre de situations.

Mais pour répondre à votre question, oui, je pense que nous avons la situation en main.

M. Ramsay: L'intervention des parents diminue-t-elle votre autorité en tant qu'enseignant?

Mme Morris: Non, je ne le crois pas. J'estime que nous travaillons ensemble.

M. Ramsay: Pourquoi devez-vous faire intervenir les parents? Les règles sont là. Vous n'avez qu'à les faire respecter et à expliquer la situation aux parents. Je me fais peut-être un peu l'avocat du diable ici, mais pourquoi...?

Mme Morris: Oui. C'est une bonne question. Je crois...

M. Ramsay: Pourquoi faire intervenir les parents lorsqu'il s'agit simplement de faire respecter les règles, lorsque les règles ont été enfreintes?

Mme Morris: Lorsqu'il s'agit simplement de faire respecter les règles, il ne fait aucun doute que les écoles s'en occupent et utilisent l'autorité qu'elles possèdent. Lorsque nous faisons intervenir les parents, c'est parce que l'élève en question en enfreignant les règles est allé beaucoup trop loin sur le plan de la violence verbale ou physique. Les parents jouent un rôle essentiel dans l'éducation de leurs enfants et les enfants doivent se rendre compte que les parents et l'école s'occupent ensemble à son éducation. Pour ce qui est du comportement et du respect de l'autorité, il faut que les élèves comprennent qu'il existe une collaboration entre l'école et la maison et en fait, dans le milieu scolaire en général ou parmi les autres élèves.

M. Ramsay: Êtes-vous en faveur du maintien de l'autorité accordée aux enseignants et aux parents par l'article 43 du Code criminel?

Mme Morris: Est-ce que la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants...?

M. Ramsay: Oui.

Mme Morris: Oui.

M. Ramsay: Par conséquent, vous appuyez le maintien de l'article 43?

Merci.

Mme Durkin: Puis-je ajouter, monsieur Ramsay, que la Fédération canadienne des associations foyer/école et parents/maîtres appuie également cette mesure. Nous demandons depuis 12 ans maintenant au ministère de la Justice de redéfinir le mot «force» pour lui donner le sens de contrainte légitime.

.1140

Mme Marie Pierce (directrice exécutive, Association canadienne des commissions/conseils scolaires): L'Association canadienne des commissions/conseils scolaires a adopté une résolution concernant l'article 43 du Code criminel, lors de son assemblée annuelle l'année dernière. Nous avons demandé le maintien des dispositions du Code criminel, mais nous avons également demandé des modifications au Code criminel pour proscrire le châtiment corporel. Aucune de nos commissions scolaires n'appuie le recours au châtiment corporel. C'est pourquoi nous avons appuyé cette résolution. Nous voulons que l'article 43 tienne compte des besoins des conseils scolaires et de la nécessité d'assurer la sécurité dans nos classes, mais nous n'appuyons pas le châtiment corporel.

M. Ramsay: Je vous encourage à vous montrer fermes sur ce point.

Mme Barnes: J'aimerais revenir sur certaines choses dont on a parlé plus tôt.

En ce qui concerne les commentaires de M. Bodnar, il est merveilleux que les enfants puissent participer à des sports organisés. On nous dit que pour les enfants, le jeu est thérapeutique et s'ils ont un endroit où jouer, une pièce où jouer où ils peuvent être jusqu'à un certain point encadrés, c'est une bonne chose.

Je ne connais aucune école dans ma circonscription qui soit ouverte l'été, lorsque mes enfants sont en vacances, pour que les enfants puissent aller y jouer. Elles sont toutes fermées. C'est peut-être une possibilité que vous pourriez envisager.

Je suis également persuadée que les écoles se sont déchargées de leurs responsabilités sur le système de justice pénale. La tolérance zéro influe sur nos taux d'accusations au criminel. Cela a des répercussions. Il y a environ un an, mes enfants m'ont raconté qu'il y avait eu une bagarre à l'école et que la police était arrivée sur les lieux et avait embarqué les enfants. Je ne pense pas que ce soit la meilleure solution mais c'est ce que m'ont raconté mes enfants. Tous les trois sont à l'école primaire dans la même ville et beaucoup de gens ont été témoins de cet incident.

À mon avis, la tolérance zéro vous incite à ne pas intervenir. On peut dire qu'il y a une escalade. J'ai lu les codes et je sais qu'il se passe certaines choses mais nous avons des enseignants qui n'osent pas s'approcher d'un enfant à cause du climat de rectitude politique dans lequel nous vivons tous. Lorsque je donnais des cours de préparation au barreau, on m'a conseillé de ne pas rester seule en classe avec mes étudiants adultes tard le soir.

Telle est la situation. Il y a d'autres facteurs mais je sais également qu'il existe des programmes de lutte contre la violence préparés à l'intention des conseils scolaires. Ces programmes ont été préparés par la clinique d'aide juridique du tribunal de la famille de London dans ma circonscription et des messages destinés à décourager la violence ont été incorporés dans le programme de base. Vous auriez donc intérêt à vérifier si ces messages ont été incorporés dans le programme d'études de votre conseil.

Vous recommandez des procès rapides en cas d'infractions graves. Que recommandez-vous alors pour les infractions moins graves qui sont bien plus nombreuses? La plupart des jeunes contrevenants sont impliqués dans des infractions contre les biens. Or, vous n'abordez pas cet aspect dans votre mémoire.

J'aimerais que les milieux scolaires et communautaires envisagent la possibilité que ce genre d'infractions ne fassent jamais l'objet de procès. Des mesures de rechange à l'échelle communautaire deviendront obligatoires le 1er décembre dans notre système de justice pénale. Or, je ne vois rien dans votre documentation qui traite de la création de mesures de rechange. Il a été prouvé que le simple fait de devoir subir une procédure criminelle contribue à la criminalisation, surtout chez les enfants très jeunes. C'est l'une des raisons pour laquelle les spécialistes dans ce domaine préconisent de ne pas abaisser l'âge - en raison du manque de maturité de l'individu.

Je vous incite à commencer au niveau communautaire, à faire des démarches auprès de vos conseils et de votre gouvernement provincial car nous sommes l'organe législatif et non l'organe chargé d'appliquer la loi. Je crois que les groupes désireux de recourir à des mesures de rechange se heurtent à des obstacles au sein de la collectivité. On considère que les mesures de rechange ne sont pas assez sévères. C'est le syndrome du «pas dans ma cour»: je ne veux pas que de jeunes délinquants déneigent mon entrée ou exercent ce genre d'activités.

Quels sont à votre avis les obstacles qui existent au sein de vos propres organisations et qui nous empêchent de recourir plus souvent à des mesures de rechange? Vous dites vouloir utiliser ce genre de mesures mais je constate qu'il existe toutes sortes d'obstacles à cet égard.

J'aimerais connaître votre réaction. Je vais vous donner beaucoup de temps parce que je sais que j'ai dit certaines choses controversées.

Mme Morris: Pour prendre votre dernier exemple en ce qui concerne les mesures de rechange, d'après mon expérience, la situation varie d'une région à l'autre du pays.

Mme Barnes: C'est vrai.

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Mme Morris: Au Québec, d'où je viens, il existe des solutions de rechange où l'on fait entre autres travailler de jeunes contrevenants avec nos gardiens dans le cadre de certains programmes. Ils vont travailler au YMCA en guise de dédommagement dans le cadre de certains programmes qui y sont offerts. On ne peut donc pas généraliser et dire qu'il n'existe aucun programme de rechange car la situation varie d'une province à l'autre.

Effectivement, nous aimerions que l'on traite plus rapidement les dossiers des jeunes contrevenants qui ont commis des crimes violents car après tout on ne veut pas qu'ils continuent à commettre des crimes violents pendant qu'ils attendent d'être jugés. Il ne faut toutefois pas négliger les jeunes contrevenants qui commettent des crimes contre les biens. Je suis au courant de certains cas d'élèves qui ont été impliqués dans ce genre de crimes et auxquels on a presque immédiatement assigné des travaux communautaires au Québec. Le traitement très rapide de leurs cas a fait toute la différence.

À propos de la bagarre à coups de poings dans la cour d'école et de l'arrivée de la police, je crois que nous pouvons tous trouver des exemples de ce genre, mais ce n'est pas la norme, à mon avis. J'ai parlé aux enseignants dans tout le pays et je pense que nos écoles ont mis au point plusieurs programmes visant à régler le problème de la violence sans faire intervenir la police; je les ai décrits plus tôt. Je crois que c'est sur cette voie que nous nous dirigeons.

Vous avez également soulevé la question de la crainte et de l'inquiétude que ressentent les enseignants et je ne serais pas honnête si je prétendais que ces sentiments n'existaient pas. Ils existent bel et bien et vous savez tous pourquoi. On nous dit qu'il faut se méfier de toucher physiquement les élèves ou de les rencontrer à huis clos, et ce pour de bonnes raisons. Un bon nombre d'enseignants et d'administrateurs font chaque année l'objet de certaines accusations à cet égard. Cette réalité existe donc, mais je ne crois pas qu'elle aille de pair avec ce dont nous parlons en ce moment. Les éducateurs tiennent à la sécurité dans les écoles; c'est une préoccupation importante pour eux, ainsi qu'un engagement de leur part.

Mme Barnes: Quelqu'un voudrait-il faire des commentaires à ce sujet?

Mme Durkin: Je crois que nous pouvons reconnaître que ce que vous avez dit s'applique à certains égards, mais vous devez comprendre qu'il y a un écart entre ce que l'éducateur découvre chez les enfants et ce qu'il peut faire à ce sujet. Je vais citer un cas particulier actuellement à l'étude dans la province du Québec. Certains enfants ont été dépistés en 2e année comme nécessitant une attention particulière et un programme précis pour corriger les tendances qu'ils avaient commencé à manifester; aucun service social n'existait cependant pour offrir ces programmes. L'école a dû continuer à enseigner à ces enfants du mieux qu'elle le pouvait, compte tenu de leur comportement.

Il y a donc un sentiment d'impuissance, je crois. En tant que représentante de parents, je peux observer ce qui se passe à l'école et me rendre compte des difficultés qui s'y présentent.

S'ils s'intéressent véritablement à la Loi sur les jeunes contrevenants et à son applicabilité à la population en général, etc., je crois que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent ensemble décider de la manière dont ils peuvent jouer le rôle qui s'impose et mettre au point des programmes qui répondront aux besoins des jeunes dans les écoles.

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En même temps, j'encourage vivement ce comité à envisager certaines des activités au sein de la collectivité générale, laquelle est en faveur de l'annulation de l'article 43. Il semble que le gouvernement fédéral appuie les organismes qui demandent un tel changement, sans toutefois reconnaître qu'un problème se pose lorsque les droits de l'individu s'exercent au sein d'une collectivité comme une école.

C'est un très grave problème et je pense qu'il ne disparaîtra pas de lui-même, mais qu'il faudra s'y attaquer.

M. Grant: En ce qui concerne les mesures de rechange, je pense qu'il s'agit de la meilleure façon de procéder si l'on veut créer un groupe d'action multidisciplinaire au sein d'une collectivité. Dans notre propre région, nous disposons de services d'éducation, de police, de jeunes, de liberté surveillée et de justice. Nous siégeons au sein d'un comité qui s'occupe de la question des mesures de rechange et qui cherche des solutions pour les jeunes, comme le travail communautaire, entre autres choses, et qui cherche également des solutions pour les parents, pour les aider par l'entremise de groupes d'éducation familiale et groupes du même genre.

Nous sommes certains que les mesures de rechange sont fort importantes pour le délinquant primaire et qu'il faudrait en offrir davantage. Elles devraient être élargies et représenter la voie à suivre. Le fait de saisir les tribunaux de ces affaires et de criminaliser les jeunes tôt dans leur vie n'est pas une solution. Cela ne peut que les endurcir et rendre plus difficile le processus de réinsertion.

Nous sommes allés au-devant de la collectivité, des employeurs et des entreprises pour leur demander de nous aider à trouver des mesures de rechange. Ils ont proposé du travail communautaire au sein d'organisations à but non lucratif où les jeunes peuvent apporter leur aide. Nous utilisons cette option.

Mme Barnes: Je voulais simplement ajouter qu'il arrive souvent que les délinquants secondaires ne respectent pas les conditions imposées à la suite de la première infraction. Les délinquants secondaires ne sont pas nécessairement des criminels endurcis. Je le fais simplement remarquer, car beaucoup de gens pensent que... une fois que vous avez commis trois délits, vous n'avez plus aucune chance; une telle mentalité ne devrait pas exister.

Mme Pierce: Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que dans certains conseils scolaires, les écoles sont fermées à 16 heures et leurs installations ne sont pas accessibles le soir. Dans de nombreux conseils scolaires toutefois, nous essayons d'envisager une conception communautaire des écoles, celles-ci faisant partie intégrante de la collectivité.

Au plan national, notre association s'efforce d'encourager les conseils scolaires à participer davantage aux activités communautaires; ainsi, nous avons conclu un partenariat avec l'Association canadienne des chefs de police et avec le ministère fédéral du Développement des ressources humaines au sujet de l'initiative sur la sécurité dans les collectivités. Nous pouvons faire connaître aux conseils certains programmes novateurs axés sur les jeunes qui sont appliqués dans tout le pays.

Tant que nous ne réglerons pas le problème globalement... Beaucoup de difficultés découlent du chômage des jeunes et du fait que les jeunes n'ont rien à faire. Ils n'ont pas accès aux services communautaires et ne peuvent jouer au basket-ball à minuit, par exemple. Nous essayons d'encourager nos écoles et nos conseils scolaires à élaborer des politiques qui reflètent les besoins de la collectivité.

Nous tenons à souligner qu'il est impossible d'imposer cela à l'échelle nationale. Vous essayez de décrire les méthodes souhaitées - et demandez ensuite à la collectivité de trouver une solution. En ce qui concerne le dépistage rapide, la réinsertion et la prévention, je crois que nous voulons faire comprendre que c'est à l'échelle de la collectivité seulement que nous pouvons trouver des solutions. Les conseils scolaires et les écoles sont probablement la seule constante dans la vie de beaucoup de ces enfants, si bien que les écoles ont un rôle important à jouer pour travailler avec les autres partenaires de la collectivité.

Je suis désolée que notre mémoire n'ait pas donné cette impression, mais c'est la démarche que nous favorisons pour essayer de régler la question de la criminalité chez les jeunes et de la justice prévue pour eux. L'inculpation d'un jeune n'est pas un incident isolé; c'est une question à laquelle nous sommes confrontés à partir du moment où les enfants entrent dans le système scolaire et sont dépistés comme ayant des difficultés.

Le président: Je me demande si vous pouvez répondre aux questions le plus brièvement possible, car nous avons encore une fois dépassé le temps dont nous disposons.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Merci encore, monsieur le président.

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Nous savons parfaitement que lorsque les enfants sortent de la maison, ils vont à l'école. Souvent, dès ce moment-là, ils passent plus de temps sous la supervision des enseignants et des autorités scolaires que sous celle de leurs parents.

Il est donc très important de se rendre compte que l'école joue un rôle considérable en matière de symboles d'autorité et d'orientation, puisqu'elle se rend compte des problèmes qu'il faut régler en modifiant les comportements ou qu'il faut signaler à des autorités autres que celles de l'école, lorsque cela s'impose.

D'après ce que je comprends de ce que vous dites du traitement rapide, à la page 4, vous voulez parler des infractions graves. Je suis d'accord avec ce que vous dites. En fait, nous avons entendu non seulement le point de vue de Canadiens dans l'ensemble du pays, mais aussi celui d'agents de police et de procureurs. Tous nous disent que le poids des conséquences des actes d'un jeune contrevenant est considérablement allégé, lorsque les conséquences se font sentir six, sept ou huit mois après l'infraction de la loi.

Je suis en faveur du traitement rapide des infractions graves - non pas de toutes les infractions, mais des infractions graves. Si nous respectons et appuyons ce concept, il faut que les jeunes soient tenus responsables de leurs actes et en subissent les conséquences; c'est un concept essentiel que j'appuie.

Vous parlez de mesures de rechange. Nous en avons beaucoup discuté lors des débats sur le projet de loi C-41 - la définition de mesures de rechange. Pourriez-vous nous indiquer ce que vous voulez dire par mesures de rechange?

M. Grant: Nous voulons parler de programmes de déjudiciarisation qui permettent de régler ces questions en dehors des tribunaux. Rien n'est transmis au tribunal. Le problème est confié à un comité communautaire, lequel examine l'infraction et la situation et tente d'organiser quelque chose pour le jeune de manière qu'il puisse effectuer du travail communautaire et obtenir des séances de counselling afin d'arriver à comprendre ce qu'il a fait et ce qui l'a conduit à prendre les décisions qu'il a prises.

Très souvent, nous essayons également d'apporter un certain appui aux parents. Parfois, les jeunes sont en colère. Ils ne savent pas comment maîtriser leur colère et ont besoin de formation à cet égard. Nous recommandons cette démarche. Ils ont également des problèmes d'estime de soi. Nous demandons des séances de counselling pour régler la situation. Les parents sont parfois à couteaux tirés avec le jeune. Nous recherchons donc un appui parental.

Dans le cadre du processus des mesures de rechange, il faut demander au jeune ce dont il a besoin pour devenir plus productif et pour l'aider à survivre un peu mieux. C'est comme cela que nous comprenons les mesures de rechange.

M. Ramsay: Vous avez parlé du dépistage rapide des contrevenants. Pourriez-vous indiquer au comité ce que vous voulez dire? Peut-être pourriez-vous être plus précis et nous donner des exemples.

Mme Durkin: Lorsqu'un élève ne fonctionne pas bien à l'école, qu'il a de la difficulté avec ses pairs, qu'il n'apprend pas comme il le faut, qu'il manifeste des tendances qui porteraient à croire que s'il continue dans cette voie, son comportement deviendra inévitablement plus destructif, tous ces facteurs peuvent être - si je ne me trompe pas - évalués par l'enseignant en salle de classe; ce dernier peut alors faire intervenir un psychologue ou un autre professionnel pour confirmer le diagnostic. Lorsqu'un enfant affiche un comportement dysfonctionnel, il est très facile pour l'école de se rendre compte que quelque chose ne va pas.

M. Ramsay: Merci.

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M. Regan: Monsieur le président, j'aimerais m'attarder un peu sur la question du recours à la force, qui est reliée à la Loi sur les jeunes contrevenants, et sur la place qu'elle occupe dans les écoles.

D'après ce que vous avez dit, j'ai l'impression que certains d'entre vous, si pas tous, voulez avoir le droit de maîtriser un jeune, mais non de lui infliger de châtiment corporel. J'aimerais mieux comprendre ce que vous voulez dire par ce droit de maîtriser et savoir si vous êtes tous d'accord à ce sujet ou non.

Mme Durkin: Nous ne sommes pas en faveur du châtiment corporel sous quelque forme que ce soit. Toutefois, comme je le disais plus tôt, il se pose la question des droits de l'individu à l'intérieur d'une collectivité, ce qui veut dire que si un enfant se comporte d'une manière telle qu'il empiète sur les droits d'autres enfants, nous croyons qu'un enseignant peut retirer cet enfant d'une situation qui cause des difficultés à d'autres enfants, tant qu'il n'a pas recours à la force, mais dans la mesure où il arrive à le maîtriser. C'est ce que nous voulons.

Je sais que des avocats du ministère de la Justice nous ont parlé à ce sujet. Il nous est très difficile, je crois, de définir ce droit de maîtriser, tout comme il est difficile pour le ministère de la Justice de définir ce qu'est la force. Je crois toutefois qu'il s'agit là d'une question clé, essentielle. Cela crée beaucoup de difficultés. Le ministère de la Justice doit se prononcer sur la question des droits de l'individu par rapport aux droits collectifs.

Mme Morris: La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants s'oppose certainement au châtiment corporel. En ce qui concerne le droit de maîtriser un jeune, permettez-moi de donner un exemple personnel; l'an passé, j'ai vu un élève en attaquer physiquement un autre dans la cour d'école; il lui donnait de violents coups de pied dans le ventre. J'étais l'enseignant de service, si bien que je me suis précipité sur eux pour les séparer. Je ne pouvais pas laisser partir l'attaquant, car il se serait de nouveau attaqué à cet élève qu'il avait déjà blessé. J'ai dû le retenir physiquement en attendant de l'aide. C'était un élève bien bâti et j'ai dû finalement avoir recours à la force; je n'avais pas d'autre choix. Il fallait que je le fasse pour le bien des autres enfants dans la cour d'école.

Ce sont des choses qui arrivent, pas régulièrement toutefois, puisque, au cours de ma carrière de 20 et quelques années d'enseignement, cela ne m'est pas arrivé chaque année. Nous nous opposons donc au châtiment corporel, mais parfois nous devons maîtriser un jeune pour défendre tous les autres élèves de l'école.

M. Grant: Nous encourageons les enseignants à apprendre des techniques de non-violence et d'intervention d'urgence et à se faire agréer de manière à pouvoir s'occuper d'élèves qui refusent d'obéir. Nous encourageons la création d'équipes d'intervention d'urgence de façon qu'aucun enseignant ne se retrouve seul en face d'un élève physiquement agressif et violent. Nous essayons de faire en sorte que cela n'arrive pas et que chaque école dispose d'un mécanisme d'urgence dans ces cas-là. C'est en faisant ce genre de choses que les enseignants se sentent plus à l'aise et sont confiants qu'ils disposent de l'appui nécessaire. Autant que possible, nous ne voulons pas qu'un enseignant se retrouve seul face à un élève physiquement très agressif.

M. Regan: Le dernier groupe qui a comparu devant nous a parlé du système québécois et de son succès assuré par une démarche fort différente de celle d'autres provinces. Je me demande jusqu'à quel point vous avez examiné ce processus instauré au Québec, si vous en avez entendu parler et si vous avez des observations à faire à ce sujet.

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Mme Durkin: Le Québec a peut-être connu du succès dans le domaine des mesures de rechange. Toutefois, comme je le disais plus tôt, vu la pénurie des services sociaux dans les écoles, il ne répond pas aux besoins des enfants des écoles québécoises.

M. Ramsay: J'aimerais revenir un peu sur la question du châtiment corporel.

Si mon enfant allait dans votre école et que vous vous prononciez contre la politique du châtiment corporel... Je m'inquiéterais beaucoup si quelqu'un agressait mon enfant, comme vous l'avez décrit, et du fait que cette agression aurait pu être évitée si l'agresseur avait su qu'il y avait une lanière de cuir dans le bureau du directeur. C'est pour moi très inquiétant.

De mon temps - j'ai grandi en Saskatchewan et la lanière existait bel et bien; elle était rarement utilisée, mais nous savions qu'elle était là. Lorsque l'enseignant n'était pas dans la classe - tous les élèves étaient regroupés dans une seule salle de classe initialement - on allait parfois ouvrir son tiroir pour examiner cette lanière. Elle nous apparaissait comme un symbole; elle représentait l'autorité et plusieurs autres choses.

En ce qui concerne la politique et les programmes qui ont été mis de l'avant, soi-disant dans l'intérêt de la sécurité du public, il y a maintenant des gens qui disent que nous devrions les revoir, puisqu'ils semblent avoir mis la sécurité du public en péril.

Lorsque je vous entends dire que vous ne voulez pas que les enfants de votre classe sachent qu'une lanière se trouve dans votre bureau et que vous ne l'utiliserez que dans des cas extrêmes, vous me dites en fait qu'il se peut qu'un enfant n'agresse pas le mien ou un autre dans cette école, s'il est au courant de l'existence de cette lanière, ce qui est donc un élément de dissuasion.

Cela se rapproche un peu de toute la question de la peine de mort. L'autre jour, quelqu'un nous a posé la question suivante: Que dites-vous aux parents des victimes de Bernardo, lorsqu'ils disent qu'ils ne sont toujours pas en faveur de la peine de mort? J'ai répondu en posant la question suivante: Que penseriez-vous si notre pays n'avait pas aboli la peine de mort... Pensez-vous qu'il y aurait eu, ne serait-ce que 1 p. 100 de chance, que Bernardo n'assassine pas ces deux jeunes filles innocentes?

Sans vouloir faire de dogmatisme, j'ai certainement quelques inquiétudes à ce sujet. Nous n'avons jamais vraiment connu de problèmes dans mon école. Nous n'avons jamais vu la police venir dans notre école secondaire à quelque moment que ce soit.

Mme Barnes: Un rappel au Règlement. Dans quelle mesure la peine de mort applicable aux adultes se rapporte-t-elle aux changements apportés à la Loi sur les jeunes contrevenants, monsieur le président? Posons cette question aux témoins, peut-être?

Le président: Je pense que nous allons simplement laisser M. Ramsay terminer et poser sa question s'il en a une, car je pense qu'il veut parler du châtiment corporel. Nous allons voir s'il y a un lien entre les deux.

M. Ramsay: Oui, monsieur le président, cette question a été posée et je crois qu'elle est importante. J'aimerais entendre les points de vue. Ils ont exprimé leurs points de vue et j'ai dit ce que j'avais à dire. Si vous pensez que cela n'a absolument aucun effet dissuasif, j'aimerais que cela soit inscrit au procès-verbal.

Mme Pierce: J'ai simplement une observation rapide. Je ne crois pas que le fait d'agresser un enfant l'empêche d'agresser quelqu'un d'autre. Le châtiment corporal est une agression.

Les écoles n'ont pas ménagé leurs efforts ces dernières années pour envisager des mesures de rechange, mettre au point des programmes, favoriser la médiation des pairs, la résolution de conflits, montrer aux enfants qu'il y a d'autres moyens plus appropriés de maîtriser sa colère et de résoudre les conflits. Certains de ces programmes sont fort efficaces.

Des écoles essayent de jouer un rôle directeur en disant que frapper un enfant, peu importe qui le fait, n'a pas sa place dans le cadre scolaire. C'est la raison pour laquelle notre association s'est déclarée fortement opposée au châtiment corporel.

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Mme Crossman: J'aimerais ajouter qu'en 1995 la situation n'est pas la même qu'à votre époque ou qu'à la mienne. Beaucoup de ces jeunes en difficulté viennent de famille où aucune règle n'est appliquée; aucun modèle de comportement ne leur est proposé.

Nous tentons de leur donner un modèle de meilleur comportement dans les écoles et nous ne pensons pas qu'il faille le faire négativement, en ayant recours au châtiment corporel. Ils en subissent assez à la maison. Nous essayons de leur offrir un modèle positif de comportement.

Mme Durkin: Je crois, monsieur Ramsay, que certains d'entre nous se rappellent avec nostalgie d'une époque plus simple et considèrent que nous avons perdu la sécurité qui existait au sein de la société à cette époque. Toutefois, je crois que ce comité devrait prendre note que nos écoles affrontent tous les changements sociaux et que, lorsqu'elles mettent des politiques en place, elles doivent prendre conscience du morcellement considérable des valeurs au sein de la collectivité. Par conséquent, il n'y a pas de solutions faciles pour l'instant. Je crois que les personnes qui sont venues témoigner devant vous ce matin veulent en fait que les écoles puissent continuer à enseigner aux enfants dans le meilleur environnement possible. Je crois, en ce qui me concerne dans tous les cas, que nous vous demandons de nous aider à faire en sorte que les conditions nécessaires à un tel processus soient réunies.

Mme Morris: Je suis certainement d'accord avec mes collègues; on ne règle pas le problème de la violence par la violence. Je n'ai pas de lanière dans le tiroir de mon bureau et je ne connais pas d'enseignant qui en ait, ni de directeur.

À mon avis, il faut tout d'abord examiner l'origine de la violence et de la colère des enfants. Cela fait partie du dépistage rapide; qu'est-ce qui est à l'origine de cette colère ou de cette violence extrême, étant donné que l'on peut avoir tous les degrés de la colère et de la violence; il y en a beaucoup. Quelles en sont les origines et comment réglons-nous ce problème? Le dépistage rapide fait partie des solutions; Maybelle en a parlé plus tôt. Les programmes de rechange traitant des causes et de la maîtrise de la colère sont d'autres solutions; par contre, à notre avis, le châtiment corporel ne permet pas de régler le problème de la violence chez les jeunes.

Bien entendu, plusieurs des programmes que nous avons exposés - je l'ai dit dans mes remarques liminaires et je le répète - nécessitent des ressources si nous voulons qu'ils soient efficaces, des ressources financières, c'est-à-dire des ressources humaines.

Mme Torsney: J'ai remarqué que lorsque les gens parlent du merveilleux temps passé, de l'époque où régnait l'autorité et où tout était très clair et si merveilleusement organisé... Bien sûr, nous sommes aussi au courant de l'enquête sur le Mount Cashel et des poursuites judiciaires; nous avons été témoins de toutes sortes d'abus de pouvoir, lorsque l'autorité était absolue, que la confiance des parents était illimitée, que les enfants n'avaient aucun droit et que leurs besoins n'étaient pas respectés. Il y a donc le revers de la médaille.

Nous avons entendu ce matin qu'auparavant, des enfants de 12 ans ne violaient pas des enfants de huit ans. Peut-être n'en entendions-nous tout simplement pas parler. Peut-être ces cas-là n'étaient-ils pas signalés si bien que nous ne pouvons pas fonder notre information sur des anecdotes que nous avons vécues ou dont nous avons entendu parler.

Il y avait une lanière dans mon école, soit dit en passant. Les enfants qui en faisaient les frais étaient indifférents; peu leur importait d'être frappés. Quant à moi qui étais raisonnablement gentille, j'étais pétrifiée de peur.

J'aimerais vous poser deux questions. Quelle information partagez-vous entre vos membres? Avez-vous un manuel ou un guide sur la meilleure marche à suivre ou encore des exemples sur les programmes qui sont offerts dans diverses écoles, que d'autres écoles pourraient adapter. Je sais qu'il y a des résultats positifs dans le cas d'intervention, de médiation des pairs, de résolution de conflits par les enfants eux-mêmes qui acquièrent ainsi d'excellentes compétences. Ces enfants vont devenir de bons parents, des membres de la collectivité qui seront bien adaptés et de bons conjoints. Peut-être cela permettra-t-il de sortir du cercle vicieux, car si nous nous contentons de regarder par le petit bout de lorgnette, je ne vois tout simplement pas ce que nous pourrions réussir à faire.

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J'aimerais en savoir un peu plus sur le concept de défenseur public ou d'une personne qui pourrait aider à résoudre ces cas; comment voyez-vous évoluer la situation? Je m'y intéresse vraiment, car je crois que nous pourrions simplement régler les cas plus rapidement, mais que nous risquons de nous heurter à certaines difficultés si nous ne mettons pas l'accent sur chaque enfant et sur sa différence.

Plus tôt, nous avons entendu un témoin parler d'un intercesseur pour les enfants qui serait chargé de trouver des solutions de rechange. Nous avons été témoins de l'affaire Hollinsky à Windsor; je suis sûre que certains d'entre vous sont au courant; la collectivité avait décidé qu'il y avait une meilleure solution et même la Couronne a interjeté appel. Lorsque vous provoquez la mort d'autrui, parce que vous avez conduit en état d'ébriété, vous êtes censé aller en prison; pourtant, les parents et tous les autres se sont entendus pour rejeter cette solution.

Pourriez-vous parler du concept de défenseur public? Avez-vous un manuel permettant aux écoles et aux parents, ainsi qu'à tous les membres de votre association, de savoir ce qui se passe?

Mme Crossman: Tout d'abord, tout ce que nous demandons, ce sont des changements habilitant, car un mode d'action uniforme ne marchera jamais. Je crois que c'est pour cette raison que nous nous sommes heurtés à des difficultés dans le passé et, à mon avis, toutes les nouvelles orientations que les conseils scolaires, les enseignants, les parents et les écoles privilégient, doivent être axées sur la collectivité si nous voulons qu'elles réussissent. Comme dans l'exemple que vous avez donné, cela doit venir de la collectivité pour que cela réussisse.

Mme Pierce: Au sujet de la meilleure marche à suivre dont a déjà fait mention Maureen... Nos deux associations ont organisé une conférence et tenté de décrire certains des programmes qui sont offerts dans tout le pays; malheureusement, il s'agit d'un événement isolé. Nous avons essayé de réunir de l'information sur ce qui se passe dans divers conseils, diverses écoles du pays, mais nous n'avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour produire un manuel.

Nous avons présenté conjointement des demandes d'aide financière au ministère de la Justice, car à notre avis, pour ce qui est de la meilleure marche à suivre dans les écoles et dans l'enseignement, il est très important de partager l'information de manière qu'un conseil n'ait pas à constamment tout inventer. Il serait donc fort utile de décrire certains de ces programmes novateurs.

Nous tentons de le faire en quelque sorte dans le cadre de la nouvelle initiative relative à la sécurité dans les collectivités, dont j'ai fait mention. L'un des projets pour lesquels nous avons demandé un financement permettrait de décrire certains des projets communautaires qu'adoptent les conseils scolaires avec d'autres organismes de services sociaux. C'est une façon de transmettre cette information aux conseils scolaires.

Nous pouvons également envisager les nouvelles technologies pour le partage de l'information.

Mme Morris: En ce qui concerne les organisations d'enseignants, le plus gros de ce travail se fait à l'échelle provinciale et est partagé entre les provinces. Presque toutes les des fédérations d'enseignants ont fait une étude sur la nature de la violence dans les écoles et mis au point des stratégies. Celle qui me vient presque immédiatement à l'esprit est celle de la Federation of Women Teachers' Associations of Ontario. Cette fédération a fait un travail fort important sur la question de la violence, sur les stratégies et sur la meilleure marche à suivre; le tout a été partagé dans l'ensemble du pays. Il y a donc des choses qui se font.

La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants a un programme conjoint avec la Roy C. Hill Charitable Foundation. Ce programme s'appelle le Roy C. Hill Awards; les enseignants présentent des projets qu'ils ont mis en pratique pendant au moins une année dans leur école. Ces dernières années, beaucoup des ces projets étaient axés sur des stratégies qui permettent de régler le problème de la violence dans les écoles, dans les cours d'école, dans les couloirs, etc. - stratégies et meilleure marche à suivre. Il y a donc des choses qui se passent.

Les projets qui reçoivent des prix sont compilés dans un livret qui est envoyé aux enseignants, aux conseils scolaires et aux parents dans tout le Canada. Il y a donc des choses qui se passent.

Mme Torsney: Fred et Maybelle avaient quelque chose à dire.

Le président: Nous avons dépassé le temps qui nous est accordé et nous n'allons pas pouvoir entendre tout le monde. Pouvez-vous être très bref? Vous prenez de nouveau trop de temps.

M. Grant: Au Nouveau-Brunswick, nous avons également un document sur la meilleure marche à suivre préparé par l'Association des commissaires d'école du Nouveau-Brunswick, le gouvernement et l'administration scolaire. Il a été distribué l'an passé et nous sommes actuellement en train de le mettre à jour pour cette année. Nous procédons par district; nous examinons la meilleure marche à suivre selon les enseignants.

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Nous examinons également l'autre aspect de la situation. En d'autres termes, quelle formation et quelles compétences sont nécessaires pour que cela fonctionne? Laquelle de ces marches à suivre souhaitez-vous dans votre école? Chaque école est une collectivité à part entière.

Mme Torsney: Madame Durkin allait faire une observation au sujet du concept de défenseur public.

Mme Durkin: Oh! Je ne suis pas sûre d'avoir indiqué que j'allais le faire.

Ce que nous voulons dire à cet égard, je pense, c'est que nous préférerions que les jeunes n'aient pas à régler leurs problèmes dans un cadre judiciaire, dans la mesure du possible.

Mme Torsney: Vous favorisez l'option de l'intercesseur.

Mme Durkin: Oui.

Le président: Nous n'avons plus de temps, vous avez parlé huit minutes au lieu de cinq.

Monsieur Ramsay, cinq minutes.

M. Ramsay: À la page trois de votre mémoire, vous parlez de l'abaissement possible de l'âge minimum en dessous de l'âge de douze ans. Vous dites qu'il s'agit d'une solution partielle seulement qui n'est peut-être pas la plus efficace. Pensez-vous que les actes criminels commis par des enfants de moins de douze ans devraient...? Que ces problèmes soient réglés par le système judiciaire ou non, pensez-vous que ce système devrait avoir l'autorité de s'occuper de ces genres d'infractions, d'agressions, comme celle qui s'est produite en C.B. dernièrement?

M. Grant: Nous pensons qu'il faudrait adopter une procédure uniforme dans tout le pays en ce qui concerne les jeunes de moins de douze ans qui commettent des actes criminels, mais nous ne voulons pas criminaliser les enfants de moins de douze ans. Nous pensons simplement qu'il faut envisager des mesures proactives et adopter une procédure uniforme à l'égard des enfants de moins de douze ans de manière à pouvoir les atteindre plus tôt.

M. Ramsay: Ma recherche - et elle n'est aucunement exhaustive - indique qu'il n'est question nulle part, dans la documentation écrite jusqu'à maintenant, d'augmentation du taux de criminalité chez les jeunes avant l'introduction de la Loi sur les jeunes contrevenants, alors que nous appliquions l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants qui autorisait le système judiciaire à se charger de toute infraction criminelle commise par une personne de plus de sept ou huit ans. Il n'est pas non plus évident que les demandes et les préoccupations du grand public ont été le moteur du processus de changement apporté à la Loi sur les jeunes contrevenants.

À cette époque - et lorsque j'étais policier nous avions l'habitude d'appliquer la Loi sur les jeunes délinquants - nous étions accoutumés à nous charger de toutes ces infractions criminelles et nous avions l'autorité pour le faire. La plupart du temps nous procédions de façon informelle. Nous ne recourrions pour ainsi dire jamais à l'incarcération. Nous procédions dans le meilleur intérêt de l'enfant.

À l'heure actuelle, nous avons en Alberta des cas où de jeunes contrevenants de moins de 12 ans ont volé une voiture après l'autre et à l'égard desquels la police est impuissante. Les policiers ne peuvent même pas arrêter ces jeunes et les ramener chez eux.

Croyez-vous que les autorités de police et les autres composantes du système judiciaire ne devraient pas être autorisées à intervenir dans ces cas?

M. Grant: Il y a d'autres solutions de rechange dans la communauté, qu'il s'agisse services de santé tant physique que mentale, qui peuvent venir en aide aux enfants de moins de 12 ans à risque élevé qui ont déjà des problèmes. Il y a d'autres organismes de jeunesse qui peuvent intervenir sans que l'on ait à recourir à un tribunal et à criminaliser le délit. Je crois qu'il faudrait s'occuper de ces cas autrement qu'en appliquant la Loi sur les jeunes contrevenants à des jeunes de moins de 12 ans.

M. Ramsay: Vous êtes donc d'avis que peu importe la nature de l'infraction, par exemple celle qui a été commise en Colombie- Britannique et qui s'est soldée par une voie de fait sur une autre personne, il faut procéder de façon informelle.

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M. Grant: Oui. D'autres mesures existent au sein de la collectivité, qu'il s'agisse des services de protection de l'enfant et de santé communautaire de même que des organismes de santé mentale, des psychologues et des psychiatres, qui aideraient à venir en aide aux jeunes à risque. Il y a des cliniques. Il existe d'autres ressources qui permettraient de mieux s'occuper de cette question.

M. Ramsay: Vous estimez que c'est agir selon la justice.

M. Grant: Oui, je le crois.

M. Ramsay: Merci.

Le président: Monsieur MacLellan, vous avez cinq minutes.

M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Merci, monsieur le président.

Je crois qu'il y a ici deux volets très importants. Il y a d'une part la violence dans les écoles et, d'autre part, le dépistage des enfants à risque. Il s'agit selon moi de deux problèmes distincts.

Je sais que le premier est très important. Je ne suis pas très au courant de ce par quoi vous passez dans les écoles aujourd'hui mais je sais que votre tâche n'est pas facile.

Le deuxième volet, du moins en ce qui concerne la société, est probablement le plus important. D'après les psychiatres et les psychologues, c'est entre leur naissance et leur troisième anniversaire qu'il importe avant tout de s'occuper des enfants à risque et d'empêcher que des jeunes ne tombent dans cette catégorie. Malheureusement, il faut attendre que les enfants fréquentent l'école pour les voir évoluer en société. L'école devient la véritable frontière. C'est important, si nous le pouvons, de régler la question.

Vos ministères de l'éducation vous appuient-ils lorsqu'il s'agit de dépister ces enfants? Les enseignants ont-ils l'impression de posséder l'expérience nécessaire pour régler le problème? Assurez-vous un suivi, de concert avec les services d'aide à l'enfance par exemple, par rapport à ce que vous découvrez pour que l'information que vous obtenez sur les enfants qui sont à risque ne se perde pas et que les enfants se dirigent dans une direction et les enseignants dans l'autre?

Croyez-vous que l'on devrait mettre au point un cours, un diplôme de maîtrise ou que le milieu de l'éducation et les services sociaux pour enfants des enfants devraient unir leurs efforts pour s'occuper de cette question? Que faisons-nous à partir de maintenant à cet égard?

Je sais que je ne dispose que de cinq minutes, mais je vous saurais gré de toute information que vous pouvez me donner sur les points que j'ai relevés.

Mme Morris: On trouve de plus en plus souvent dans les écoles des conseils d'enseignants qui se rencontrent à intervalles réguliers pour discuter de cas, plus particulièrement d'élèves qu'ils ont dépistés et qui auraient besoin d'aide. Les enseignants disposent de façons de procéder, bien que ce ne soit pas toujours le cas, selon la province où ils habitent; ils disposent en outre normalement de programmes d'intervention.

Tout ne fonctionne comme cela le devrait et cela est en partie dû à un manque de ressources. Si l'école recommande que l'enfant et la famille aient l'appui des services sociaux, il n'est pas facile de faire venir le travailleur social à l'école. Ils ne suffisent tout simplement pas à la tâche.

On procède donc un peu au petit bonheur à l'heure actuelle. Mais il s'agit du genre de solution de rechange auquel nous songeons lorsque nous parlons de plans d'actions.

Si dans une école nous dépistons un jeune qui représente selon nous un risque en 1re, 2e ou 4e année ou à quelque autre niveau, et que nous mettons au point, de concert avec les conseils scolaires et les parents, une marche à suivre efficace, il faut alors que nous puissions disposer de ressources pour assurer le suivi dans la collectivité. C'est là où le problème se pose.

M. Grant: Il serait très utile que le comité accepte d'envisager la possibilité de redistribuer une partie des 140 millions de dollars consacrés à notre jeunesse pour que celle-ci soit remise directement aux conseils scolaires qui pourraient ainsi commencer à maintenir nos ressources. Nous sommes aux prises avec un financement décroissant. Nous ne cessons d'essayer de réinventer et de réorganiser afin de faire face à la situation. Si les districts scolaires pouvaient obtenir des fonds de démarrage, ils pourraient s'occuper de ce problème; ce serait très utile.

M. Damien Solomon (directeur adjoint, Services de développement professionnel, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants): L'une des façons de procéder au dépistage précoce, comme l'a dit M. MacLellan... J'ai entendu parler des psychologues à cet égard. En fait, à notre conférence de 1994, nous avions fait venir un psychologue qui, dans un discours-programme, nous a parlé de cet âge précoce où il est possible de déterminer si des enfants risquent d'avoir des comportements antisociaux et à avoir maille à partir avec la justice.

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Nous devrions alors, dans de tels cas, offrir des services de conseils aux parents, vu que les enfants ne fréquenteront pas l'école, même s'ils suivent des programmes d'éducation de la prime enfance, tant qu'ils n'ont pas dépassé cet âge. Nous devons insister sur les compétences parentales, sur la prestation de services aux parents pour qu'ils puissent eux-mêmes, s'ils ont reçu la formation pour dépister ces tendances, avoir accès à des ressources qui les aideront à les vaincre.

Vous avez raison lorsque vous dites que lorsqu'ils commencent l'école il est parfois un peu tard. Comme l'a dit Mme Morris, ces services ne sont pas toujours facilement accessibles. Il s'agit donc d'un point que vous voudrez peut-être explorer.

M. MacLellan: Merci.

Le président: Merci beaucoup de vos commentaires d'aujourd'hui. Je crois que l'organisation scolaire montre l'importance du dépistage précoce des personnes à haut risque. Nous avons entendu la même chose dans le cadre des audiences sur les amendements au projet de loi C-37. Il va sans dire que les écoles peuvent jouer un plus grand rôle auprès des jeunes de ce pays. Heureusement que notre comité peut, dans le cadre de ses audiences, faire des recommandations qui profitent à tout le monde et, au bout du compte, aider les jeunes du Canada. Merci beaucoup.

En ce qui concerne les documents, on a fait allusion aux documents de l'Association des enseignantes et des enseignants du Nouveau-Brunswick. Si vous en avez des exemplaires, veuillez s'il vous plaît les faire parvenir au greffier pour qu'il les distribue.

M. Grant: Oui.

Le président: En outre, il serait peut-être bon que nous jetions un coup d'oeil à cette brochure rédigée par Roy C. Hill, si vous pouvez nous en remettre une copie. Merci beaucoup.

La séance est levée jusqu'à 15h30.

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