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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 15 juin 1995

.1538

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Barnes): La séance est ouverte. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-72, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire). Nous en sommes à l'étude article par article.

Nous recevons le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, Russell MacLellan, ainsi que les fonctionnaires du ministère.

Monsieur MacLellan.

M. Russell MacLellan (secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et procureur général du Canada): Avant de commencer, je me demandais si je ne pourrais pas déposer des documents dont le ministère s'est servi pour ce projet de loi.

Il y en a un qui accompagnait le projet de loi lors de son dépôt. Il s'intitule: «La responsabilité pour l'intoxication volontaire». Il s'agit d'une note d'information du ministère. Nous avons également les bulletins de Juristat sur les femmes battues, les résultats d'une enquête nationale sur la toxicomanie et la criminalité ainsi que le numéro du 18 novembre 1993 de l'enquête quotidienne de Statistiques Canada sur la violence dont sont victimes les femmes. Il y a aussi une publication du ministère de la Justice intitulée: «Violence et intoxication : Survol de la documentation en sciences sociales».

Tous ces documents sont dans les deux langues officielles. Je me demande si nous ne pourrions pas les distribuer aux membres du Comité.

La vice-présidente (Mme Barnes): Oui. Voulez-vous une motion pour annexer ces documents aux procès-verbaux?

M. MacLellan: Oui, s'il vous plaît.

La vice-présidente (Mme Barnes): Avons-nous le consentement unanime pour les annexer?

Des voix: D'accord.

La vice-présidente (Mme Barnes): Nous avons le consentement unanime.

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Nous allons maintenant passer à l'étude de l'article 1 du projet de loi.

Article 1

La vice-présidente (Mme Barnes): Nous avons deux amendements, LW-1 et LW-2.

M. Wappel (Scarborough-Ouest): Je vais proposer l'amendement LW-1, mais selon ce qu'il adviendra de l'autre, il se peut qu'il y ait un petit problème.

La motion LW-1 tend à modifier l'article 1 à la ligne 7, page 3. Le seul changement est que l'on remplace les mots «de base» par le mot «générale». C'est très simple et parfaitement conforme à la recommandation de l'Association du Barreau canadien.

Le ministère de la Justice a peut-être employé l'expression «de base» pour une raison précise et, si c'est le cas, qu'il nous le dise. Autrement, je pense que le Barreau a cité des arguments convaincants d'autant plus que le préambule parle d'«intention générale». Pour une question d'uniformité, il faudrait donc reprendre cette expression au lieu de parler d'une «intention de base».

Tel est le but de la motion.

M. MacLellan: Je ne vois pas d'objection à cet amendement.

La vice-présidente (Mme Barnes): Souhaitez-vous en discuter?

Monsieur Wappel, voulez-vous que nous votions immédiatement sur cette motion avant de passer à la motion LW-2? Je n'ai pas très bien compris...

M. Wappel: Oui. Nous pourrions aussi bien voter, car selon ce qu'il adviendra de la motion LW-2, j'en aurais une autre.

L'amendement est adopté

La vice-présidente (Mme Barnes): Nous allons maintenant passer à la motion LW-2.

M. Wappel: La motion LW-2 porte sur le paragraphe 33.1(3) à la page 3.

Je propose que les lignes 22 à 27 inclusivement, à la page 3, soient supprimées.

Je voudrais simplement souligner que, d'après ce que j'ai compris, le but de cette mesure était de ramener la loi à ce qu'elle était avant l'arrêt rendu dans l'affaire Daviault. Quand nous avons parlé aux psychiatres, nous avons établi qu'avant l'affaire Daviault, l'intoxication pouvait être invoquée comme un moyen de défense uniquement dans des circonstances limitées, soit pour les infractions d'intention spécifique. L'affaire Daviault a permis de l'invoquer également pour toutes les infractions d'intention générale.

Ce projet de loi propose de retourner en arrière, mais pas complètement, semble-t-il, vu qu'il ne reconnaît pas d'autres moyens de défense que l'intoxication générale qui conduit à une atteinte de l'intégrité physique d'une personne. Cela élimine, en partie, les effets de l'affaire Daviault, mais il serait toujours possible d'invoquer ce moyen de défense pour les infractions d'intention générale qui ne causeraient pas d'atteinte à l'intégrité physique.

Si cette mesure vise à redonner à la loi l'intention qui était la sienne avant l'affaire Daviault, à savoir que l'intoxication ne peut être invoquée comme moyen de défense que pour les infractions d'intention spécifique, la seule façon de le faire est de supprimer le paragraphe 33.1(3) si bien que la loi s'appliquera à toutes les infractions d'intention générale.

Si le Comité désire supprimer le paragraphe 33.1(3) et rétablir ainsi les intentions antérieures à l'arrêt Daviault, nous devrons remanier un peu le paragraphe 33.1(1) étant donné que le paragraphe 3 y est mentionné. Je ne vais même pas en parler, si le gouvernement ne veut pas supprimer le paragraphe 33.1(3), il est inutile que j'aille plus loin.

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Je tenais à préciser que ce projet de loi ne nous ramène pas aux intentions de la loi précédant l'affaire Daviault. Nous nous arrêtons à mi-chemin. Si c'est ce que souhaite le gouvernement, nous en resterons là, mais si nous voulons rétablir les choses telles qu'elles étaient avant l'arrêt Daviault et interdire d'invoquer l'ivresse comme moyen de défense pour toute infraction sauf les infractions d'intention spécifique, nous devrons supprimer le paragraphe 33.1(3).

La vice-présidente (Mme Barnes): Monsieur MacLellan, voulez-vous dire ce que vous en pensez?

M. MacLellan: Oui, merci, madame la présidente.

Je comprends ce que demande M. Wappel et j'aimerais pouvoir dire que nous souhaitons également le faire. L'ennui c'est que nous devons tenir compte de la Cour suprême du Canada. Si nous apportons ce changement, nous devrons nous occuper de toutes les infractions. Ce que nous visons vraiment ici, ce sont les actes de violence.

Si nous allons plus loin, nous dépasserons plus ou moins le cadre du préambule étant donné qu'il précise le genre d'intoxication dont il s'agit. Celle qui est visée est l'intoxication extrême frisant l'automatisme qui conduit à des actes violents. Nous n'avons pas de statistiques indiquant que l'intoxication extrême pose un problème en ce qui concerne les infractions non violentes telles que les crimes contre les biens. Nous ne voulons donc pas aller aussi loin pour le moment.

En réalité, le projet de loi C-72 fait suite à l'arrêt Daviault. Cela ne fait aucun doute. Nous voulons régler ce problème comme il faut au lieu de nous risquer à faire des choses que nous ne pourrons peut-être pas justifier. D'autre part, c'est ce que les Canadiens attendent de nous. Voilà la situation qu'ils veulent nous voir améliorer.

Si nous changeons cette disposition, nous pouvons le justifier moralement, mais pas socialement. Il y a quatre aspects à considérer à l'égard du projet de loi C-72. Si nous ne les examinons pas tous les quatre, nous affaiblirons le projet de loi vis-à-vis de la charte.

Le premier aspect est, comme je l'ai dit, l'aspect moral. Les personnes qui s'intoxiquent volontairement au point de perdre conscience de ce qu'elles font et qui portent atteinte à l'intégrité physique de quelqu'un en sont criminellement responsables.

Le deuxième aspect est d'ordre médical. En effet, selon les experts dans ce domaine, la plupart des intoxicants dont l'alcool ne causent pas l'automatisme ou un état similaire invoqué dans les causes où l'intoxication extrême a été acceptée comme moyen de défense.

Le troisième aspect, sur lequel nous perdrions en allant trop loin, est l'aspect social. La violence suscitée par l'ivresse est un problème qui préoccupe grandement la plupart des Canadiens, surtout parce que cela touche les femmes et les enfants. Ce problème requiert une solution législative spécifique. Je pense que les groupes de femmes ont demandé cette solution. Les groupes de femmes ne voulaient pas du projet de loi sur l'intoxication criminelle parce qu'il ne remédiait pas à leurs préoccupations. Celui-ci le fait.

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Le quatrième aspect est celui de l'égalité des droits. La raison pour laquelle on ne permet pas comme moyen de défense l'intoxication extrême est dû au fait que l'on veut protéger les droits des femmes et des enfants qui pourraient être victimes ou sont victimes de violence.

Madame la présidente, dans le préambule, on parle en long et en large de la violence dans le contexte de l'intoxication. Comme je l'ai dit précédemment, je pense vraiment que si nous adoptons l'amendement, nous perdrons l'appui des groupes de femmes qui estiment que ce projet de loi s'attaque à la violence contre les femmes.

La vice-présidente (Mme Barnes): Monsieur Langlois.

[Français]

M. Langlois (Bellechasse): Dans votre argumentation, monsieur MacLellan, vous avez dit que la constitutionnalité était l'une de vos préoccupations dans la rédaction du projet de loi.

J'ai également un peu de difficulté à suivre M. Wappel, non pas dans son argumentation, mais dans les effets que l'adoption de son amendement pourrait avoir. Une première analyse me fait croire que l'article 1 du projet de loi, c'est-à-dire le nouvel article 33.1 du Code criminel, ne résistera pas au test constitutionnel, et que, suivant les conditions posées dans l'arrêt Oakes, la Cour suprême ou les tribunaux auront à se demander si cette disposition se justifie dans une société libre et démocratique.

Les «attendus», qui sont un ensemble de poids et de contrepoids, sont-ils là pour démontrer aux tribunaux qu'il s'agit d'une mesure qui peut être justifiée, car on enlève à des accusés potentiels une défense que la Cour suprême vient de reconnaître? Il faut être prudent. J'ai l'impression que si l'on adoptait l'amendement de M. Wappel, on enlèverait un argement extrêmement important qui pourrait être plaidé devant nos tribunaux et ultimement devant la Cour suprême pour reconnaître la validité du nouvel article 33.1. Cela faisait-il partie des préoccupations du ministère?

[Traduction]

M. MacLellan: Également, comme M. Wappel l'a dit, nous nous servons de l'intoxication comme moyen de défense en général et non dans un cas particulier. Il faut être prudent évidemment.

Nous disons qu'il s'agit là d'un élément nécessaire, que le projet de loi est important et nous précisons dans le préambule ce qui est ressorti des audiences et de tout ce que les députés ont entendu dire sur la question.

Si l'on veut élargir la portée du projet de loi, il serait alors difficile de le défendre dans un préambule. C'est ce que je pense en tout cas. Aucune statistique ne me prouve que l'intoxication extrême est un problème dans des cas de non-violence. Le projet de loi pourrait certainement faire l'objet d'une contestation aux termes de la Charte.

Au cours des audiences du Comité, nous voulions accumuler des raisons qui nous permettent de montrer pourquoi ce projet de loi est nécessaire et pourquoi il nous permet d'aboutir au but que nous cherchons. En fait, si nous adoptons la motion, aussi louable soit-elle, nous mettons tout cela en péril. Je comprends ce que veut M. Wappel, et quand nous procéderons à une révision législative de la partie générale du Code criminel, nous pourrions peut-être traiter de cette question alors.

M. Wappel: C'est très bien. On vient de me donner une explication et je vois ce que le gouvernement veut faire.

J'aimerais simplement dire deux choses. Tout d'abord, je ne crois pas que l'on parle dans le préambule d'intoxication excessive - si c'est bien cela le terme que vous avez utilisé, monsieur MacLellan. En fait, j'ai oublié le terme précis que vous avez utilisé. Dans le préambule, il est question d'intoxication extrême, d'intoxication volontaire. Il est vrai que du point de vue juridique, le paragraphe 33.1(2) fait intervenir également la capacité de formuler une intention.

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Je ne voudrais pas que l'on pense que le préambule invoque un critère tellement sévère qu'il faut pour ainsi dire être intoxiqué au point de ne plus savoir ce qui se passe, car, dans le préambule, on stipule bien que l'intoxication volontaire - et non l'intoxication extrême - ne peut être utilisée comme excuse dans la société canadienne. La plupart des Canadiens sont d'ailleurs d'accord avec cela. C'est ce que nous dit le préambule.

Cela dit, étant donné les propos du secrétaire parlementaire, j'aimerais obtenir le consentement unanime du Comité pour retirer mon amendement.

L'amendement est retiré

L'article premier tel que modifié est adopté

Le président: Passons maintenant au préambule. Nous avons maintenant un amendement au préambule, LW-3. Monsieur Wappel.

M. Wappel: Si je comprends bien, le gouvernement a un amendement qui est très semblable à LW-3 et je serais prêt à m'en remettre au gouvernement, pour parler comme les Américains.

Le président: Avons-nous l'amendement du gouvernement?

Le greffier du Comité: Oui.

Le président: Tous les membres ont-ils un exemplaire de cet amendement?

Le greffier: On est en train de le distribuer.

M. Wappel: Je serais ravi de faire la proposition si cela convient au secrétaire parlementaire.

Le président: Monsieur Wappel, si vous êtes prêt à faire la proposition, allez-y, faites-nous lecture de l'amendement et veuillez l'expliquer.

M. Wappel: Il s'agit de modifier la ligne 24 du préambule qui, à l'heure actuelle, se lit comme suit:

Dans leurs témoignages, les représentants de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie ainsi que ceux de l'Association canadienne de psychiatrie recommandent que le libellé soit amélioré et rendu plus clair. Ainsi, notre amendement se lirait comme suit:

Il s'agit là pratiquement mot pour mot de ce que les représentants des psychiatres et de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie avaient suggéré aux audiences. Évidemment, il ne s'agit pas là d'avocats et je suppose que le ministère de la Justice a étudié le libellé dans un contexte juridique. Mon amendement reprend les termes précis de l'Association de psychiatrie et l'on a vérifié le libellé du point de vue juridique. Je suis donc prêt à faire la proposition.

Le président: L'amendement a été proposé. Monsieur MacLellan, avez-vous quoi que ce soit à ajouter?

M. MacLellan: Cet amendement tient compte des commentaires des psychiatres particulièrement en ce qui concerne le texte français. On a procédé à des changements importants au texte français.

Le président: Y a-t-il des questions ou des commentaires en ce qui concerne cet amendement?

L'amendement est adopté

Le président: Le préambule tel que modifié est-il adopté?

Des voix: Adopté.

Le président: Le titre est-il adopté?

Des voix: Adopté.

Le président: Le projet de loi tel que modifié est-il adopté?

Des voix: Adopté.

Le président: Le président va-t-il faire rapport du projet de loi tel que modifié à la Chambre sous forme de neuvième rapport du Comité?

Des voix: D'accord.

.1600

Le président: Nous avons une réunion du comité directeur lundi après-midi. Mardi matin, nous nous pencherons sur la question de l'enquêteur correctionnel. Vous vous rappellerez qu'une des choses principales dans son rapport était l'incident qui est survenu à la prison des femmes. Son rapport contredisait le rapport interne du Service correctionnel sur la fouille pratiquée après avoir déshabillé les prisonnières qui avaient participé à l'émeute.

Je tiens à remercier le secrétaire parlementaire et les hauts fonctionnaires du ministère de la Justice d'être venus ici cet après-midi.

La séance est levée jusqu'à mardi matin.

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