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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 14 juin 1995

.1533

[Traduction]

Le président: Mesdames et messieurs, bienvenue à la suite de nos travaux sur la radiodiffusion directe par satellite. Nous avons devant nous un après-midi très chargé et assez incertain, car nous serons peut-être interrompu par un vote. Certains disent qu'il aura lieu à 17h30 tandis que d'autres disent que ce sera 18h30. Nous allons devoir faire notre possible malgré tout cela, et je demande l'indulgence de nos invités, particulièrement ceux qui comparaissent en fin d'après-midi.

Afin de ne pas perdre de temps, je demanderais à nos premiers invités, les Friends of Canadian Broacasting dirigés par Ian Morrison - qui est accompagné par Tim Woods - de faire leur exposé liminaire à ce sujet. Nous passerons ensuite immédiatement aux questions.

Monsieur Morrison, je vous souhaite la bienvenue.

M. Ian Morrison (Friends of Canadian Broadcasting): Merci beaucoup, monsieur le président.

Nous avons déposé un mémoire qui est plus long que les remarques que je voudrais faire aujourd'hui, alors je vais vous en faire un résumé et ensuite répondre aux questions que vous et les membres du Comité pourriez avoir.

M. Hanrahan (Edmonton - Strathcona): Rappel au Règlement. Je comprends que notre temps est limité, mais je vous demanderais de faire un sommaire exécutif aussi exhaustif que possible, parce que plusieurs d'entre nous n'ont fait qu'une lecture très rapide de ce document, tout au mieux. Nous avons besoin d'autant d'information que possible.

Le président: Bonne chance.

.1535

M. Morrison: Monsieur le président, j'apprécie toujours les souhaits de bonne chance, mais je pense que la chance n'a rien à voir là-dedans.

Je disais donc que notre Association, Friends of Canadian Broadcasting, estime que le principal problème en matière de radiodiffusion au Canada est de faire parvenir l'argent des téléspectateurs entre les mains de celles et ceux qui réalisent des émissions de fiction canadiennes de grande qualité.

FCB considère que l'inefficacité du système monopolistique de distribution actuelle le condamne à l'échec car il engloutit une trop grande partie de cet argent - et ne permet aux véritables réalisateurs des émissions canadiennes de fiction d'en recevoir qu'une proportion trop faible.

[Français]

Nous favorisons la concurrence en matière de transmission des signaux vidéos à domicile et en ce sens, nous appuyons la volonté des consommateurs canadiens ainsi que, selon la proposition du décret qui est devant vous, celle du gouvernement du Canada.

[Traduction]

Il y a plus d'un an, FCB a dit au CRTC qu'à notre avis, un SRD canadien devrait être assujetti à l'obligation de détenir une licence d'exploitation. À la mi-mai 1994, lorsqu'un consortium canadien a annoncé sa constitution lors de l'Assemblée annuelle de l'Association de télévision par câble à Montréal, une des principales sociétés de câblodistribution associée à ce consortium a annoncé, au cours d'une conférence de presse, que le consortium ne chercherait pas activement à concurerencer les câblodistributeurs dans les zones qu'ils desservent.

Au mois de juin, FCB a obtenu un exemplaire d'un projet de lettre que l'on demandait avec insistance aux réseaux spécialisés de signer et qui offrait les droits exclusifs de la distribution des SRD à ce consortium. Vous trouverez une note en bas de page à cet effet dans le mémoire écrit. Cette proposition serait illégale aux États-Unis ainsi que selon les recommandations du groupe de travail sur la radioffusion par satellite, de même que selon les décrets proposés.

Au cours de l'été 1994, FCB a reçu un exemplaire d'une lettre adressée par le CRTC à un particulier qui posait des questions au sujet des SRD - le Conseil s'y exprimait comme s'il était le service commercial du consortium. Le 10 septembre, le Globe and Mail a publié une lettre adressée au journal par le président du CRTC, qui déclarait que le Conseil «encourageait publiquement les entrepreneurs canadiens à mettre au point un service canadien de radiodiffusion directe du satellite au foyer». Le même mois, dans une lettre adressée au même journal, l'Association canadienne de télévision par câble attribuait publiquement aux grandes sociétés de câblodistribution le mérite d'avoir réussi à constituer ce consortium.

Entre-temps, le Bureau de la politique de concurrence, un organisme fédéral, a commencé à faire enquête sur la possibilité que les conflits d'intérêt inhérents aux activités des câblodistributeurs associés au consortium constituent des pratiques commerciales restrictives passibles de poursuites, ce qui les a amenés à quitter le consortium.

Voilà notre conclusion, mesdames et messieurs membres du Comité. Ils n'ont pas expliqué eux-mêmes les motifs de leur départ du consortium. L'ordonnance d'exemption émise par le CRTC à la fin août 1994 favorisait nettement le consortium par rapport à l'autre intervenant canadien, Power DirectTV, car cette ordonnance exigeait qu'un fournisseur canadien de SRD exempté n'utilise que des satellites canadiens.

[Français]

En concert avec d'autres, les Amis sont intervenus auprès du gouvernement afin de rouvrir la politique de télévision par satellite. À la lumière du refus du CRTC de veiller à ses responsabilités, nous avons accueilli favorablement la décision annoncée le 12 septembre par les ministres de l'Industrie et du Patrimoine canadien ainsi que la nomination du comité de révision le 26 novembre.

Nos recherches nous indiquent qu'un seul dollar sur huit perçus auprès des consommateurs par les câblodistributeurs se rend jusqu'aux fournisseurs de programmation canadienne. Ce maigre rendement est tout simplement insuffisant, surtout lorsque l'on calcule que seule une partie de ce huitième se rend jusqu'aux créateurs du contenu canadien. Dans le cadre fiscal restreint, où les gouvernements retirent leur soutien aux arts, ceci est tout simplement aberrant.

[Traduction]

Notre associaiton considère la croissance du marché gris comme l'un des principaux problèmes auxquels fait face la politique canadienne de radiodiffusion. Le fait qu'un demi-million de foyers n'ont, en pratique, pas accès à la radiodiffusion canadienne compromet gravement notre identité culturelle et notre sens d'appartenance, tout autant que notre économie.

.1540

Cela signifie que des millions de Canadiennes et de Canadiens - et le nombre croît de jour en jour - sont en fait déconnectés du système de radiodiffusion canadien. Ils sont exclus de ce qui contribue le plus à renforcer un sentiment commun d'identité et d'appartenance au sein de la population du Canada et ils sont hors de portée des annonceurs canadiens. Ce problème, aussi important qu'il soit, sera considérablement amplifié si, par son inaction, le gouvernement devait laisser toute une nouvelle génération de satellites américains étendre le marché gris des SRD sans y opposer une résistance efficace.

La meilleure défense est de créer des conditions favorisant la concurrence en matière de SRC canadiens, notamment grâce à des politiques visant à mettre les SRC américains au service des besoins du Canada, comme la Power Corporation propose de le faire. Nous encourageons les autres entreprises canadiennes à suivre l'exemple de Power Corporation en constituant des partenariats commerciaux avec les réseaux américains de SRC concurrents - Echostar, Primestar, et j'en passe.

[Français]

Selon les politiques proposées, de telles associations pourraient se qualifier en se conformant aux exigences de la propriété canadienne et en respectant les normes de contenu canadien, ainsi que par une contribution appropriée au financement de la production canadienne.

Nous sommes très favorables à un décret exigeant que le CRTC retire son décret d'exemption tel que proposé par le gouvernement. À la lumière de la croissance très menaçante du marché gris, nous sommes également très favorables à des décrets qui seraient pleinement en vigueur avant l'ajournement d'été du Parlement fédéral.

[Traduction]

Notre association doute que la direction du CRTC accepte le leadership politique du gouvernement élu. Nous estimons que le CRTC est complice de Expressvu et nous pensons qu'il utilisera toute la latitude dont il dispose pour aider Expressvu à se soustraire à la procédure d'attribution d'une licence et pour faire perdre du temps à Power DirecTv et permettre ainsi à Expressvu de s'implanter solidement sur le marché, faussant par là même l'application de règles du jeu équitable aux SRC concurrents.

Les téléspectateurs souhaitent un tel choix de SRD canadiens et l'existence d'options canadiennes contrera la menace du marché gris. Pour notre association, une plus grande compétition donnera lieu à une plus grande efficacité et des sommes plus élevées pourront se retrouver entre les mains des gens qui réalisent véritablement les émissions canadiennes de grande qualité que le public canadien, comme il l'a prouvé à maintes reprises, est prêt à regarder dans la mesure où elles sont disponibles.

[Français]

La concurrence est un moyen d'augmenter le poids des créateurs et des programmateurs dans leurs négociations avec les distributeurs de signaux.

[Traduction]

Nous sommes également fermement en faveur de l'insistance du décret sur la télévision à la carte pour que les achats de droits d'exploitation soient non exclusifs. Dans le cas de la télévision à la carte, ces droits non exclusifs sont acquis en consignation et leurs détenteurs reçoivent une partie du revenu découlant de chaque vente à un particulier. Il ne s'agit pas d'un paiement pour des droits canadiens ou américains, mais seulement d'un droit non exclusif à offrir le produit à la vente au détail auprès d'acheteurs individuels dans chaque pays.

Vu le problème que pose le marché gris, il est essentiel que le Conseil entame la procédure d'attribution d'une licence pour ces propositions en temps opportun. Nous insistons sur les termes «en temps opportun». En vertu de la nouvelle politique gouvernementale, le rôle du Conseil, plus simple que jusqu'à présent, consistera à déterminer qu'une proposition répond aux critères canadiens en matière de propriété, de contribution à la production et de contenu avant de passer à l'attribution d'une licence - en d'autres termes, il en évaluera les qualifications, et non pas les retombées économiques sur les autres intervenants.

Il n'existe aucune raison objective de faire attendre Expressvu. Il faudrait permettre à tous les postulants - au cas où d'autres se signaleraient - d'agir rapidement et nous entendons par là septembre 1995. Nous savons très bien que le CRTC a prouvé qu'il était tout à fait capable d'agir rapidement quand il le désire, mais notre association craint toutefois que le Conseil ne s'efforce de faire traîner la procédure d'attribution de licences pour la raison suivante.

[Français]

Selon son habitude, la Commission favorise les monopoles du câble.

.1545

Je me réfère à la décision de juin 1993 d'imposer aux consommateurs, à leur insu, de subventionner l'acquisition des fameuses boîtes noires, ces décodeurs qui permettront l'interactivité du câble et son entrée dans plusieurs nouveaux secteurs d'activités.

[Traduction]

Le gouvernement et les télespectateurs doivent se montrer vigilants pour faire en sorte que les dirigeants actuels du CRTC - vu le favoritisme dont ils font traditionnellement preuve en faveur des principaux câblodistributeurs - ne fassent pas traîner inutilement la procédure d'attribution de licences de radiodiffusion par satellite pour protéger les câblodistributeurs contre la concurrence des satellites jusqu'à ce qu'ils puissent installer les boîtes noires subventionnées par les consommateurs. On nous informe que ce sera en automne 1996.

[Français]

Pourtant, le CRTC fait preuve d'agilité lorsque cela fait son affaire. Par exemple, son récent rapport sur la convergence contenait un engagement à examiner sans tarder les demandes faites par d'autres entreprises de distribution potentielles. Néanmoins, une concurrence réelle de la part des entreprises de téléphone est encore loin, tandis que la concurrence par satellite est à notre portée immédiate et sujette uniquement à des barrières réglementaires artificielles que certains commissaires du CRTC chercheront peut-être à ériger si la politique du gouvernement leur en laisse la possibilité.

[Traduction]

Si Télésat a besoin d'une nouvelle structure tarifaire pour survivre - et cela ne nous paraît pas être le cas - il faut régler ce problème séparément. Notre association est également d'avis que les avantages que les cinéastes canadiens retireraient d'un accès de Power DirecTv au marché américain dépassent largement tout avantage que pourrait retirer le Canada si Télésat exigeait que les services canadiens de télévision à la carte soient distribués sur des satellites canadiens.

Le problème clé qui se pose aux pouvoirs publics canadiens est d'utiliser des technologies compétitives pour réduire les frais de distribution et permettre aux créateurs canadiens d'émissions de fiction de recevoir une part plus grande des sommes versées par les télespectateurs. Si un réseau tel que Power DirecTv peut également créer des marchés d'exportation pour ces mêmes créateurs canadiens de fiction, tant mieux.

À notre connaissance, les décrets ont été rédigés par le ministère de la Justice. Nous avons une grande confiance dans l'expertise constitutionnelle de ce Ministère, en particulier par rapport à celle des avocats du secteur privé, dont un ou deux sont présents dans cette salle, et dont les clients sont directement intéressés par la nature des conseils qu'ils leur donnent. D'après notre interprétation de la situation, le gouvernement a tout à fait le droit d'émettre ces décrets.

On assiste cependant maintenant à une floraison d'avis juridiques. La semaine dernière, devant ce Comité - ce qui ne nous a pas surpris - le CRTC est intervenu en présentant un avis favorable à la position d'Expressvu. La question de la légalité devra peut-être être tranchée par les juges. Si cela s'avere nécessaire, vous devriez, selon nous, recommander au gouvernement d'accélérer cette procédure judiciaire si cela est également nécessaire pour nous faire entrer plus vite dans une ère nouvelle de concurrence en ce qui concerne la fourniture de services vidéo aux foyers canadiens.

Voilà notre résumé, monsieur le président. Je serais heureux de répondre à vos questions ainsi qu'à celles des membres du Comité.

Le président: Merci beaucoup. Étant donné nos contraintes de temps,

[Français]

je passe tout de suite à Mme Tremblay pour cinq minutes.

Mme Tremblay (Rimouski - Témiscouata): J'ai quelques questions à vous poser, monsieur Morrison. En fait, j'aurais plusieurs questions à poser. Si vous pouviez me donner des réponses rapides, je l'apprécierais.

Est-ce que vous pouvez me dire depuis quand M. Rabinovitch n'est plus un de vos conseillers?

[Traduction]

M. Morrison: Vous parlez de M. Bob Rabinovitch.

[Français]

Mme Tremblay: Bob Rabinovitch, oui.

[Traduction]

M. Morrison: Il siégeait au Conseil consultatif jusqu'à qu'il accepte un poste de conseiller auprès du gouvernement en matière de radiodiffusion directe par satellite. Il estimait qu'il pouvait y avoir conflit d'intérêts, alors il a démissionné.

[Français]

Mme Tremblay: J'ai ici des lettres écrites sur votre papier. Je veux simplement connaître la date. Depuis quand a-t-il cessé de travailler pour vous? J'ai des lettres où je vois son nom inscrit parmi ceux des membres de votre conseil consultatif. Alors, je veux avoir une date. Depuis quand avez-vous enlevé le nom de M. Bob Rabinovitch de votre papier à lettre?

[Traduction]

M. Morrison: Si ma mémoire est bonne, c'était autour de Noël. Il faudrait que je vous fasse parvenir les détails plus tard.

[Français]

Mme Tremblay: Parfait. Deuxièmement, est-ce que vous pouvez me dire pour qui vous agissez comme lobbyiste? Est-ce que vous agissez pour des compagnies ou non?

M. Morrison: Moi-même personnellement? Oui, j'ai trois clients: les Amis de la radiodiffusion canadienne, les Amis des universités ontariennes et troisièmement, j'ai été engagé par un groupe qui veut établir une sorte de soutien au développement international sur la Colline parlementaire.

.1550

C'est tout.

Mme Tremblay: Parfait. Maintenant, comment les Amis de la radiffusion canadienne sont-ils financés? Qui vous donne des fonds?

M. Morrison: Nous recevons environ 25 000 contributions chaque année, madame. La moyenne se situe entre 30$ et 40$. Ce sont des contributions de citoyens et de citoyennes. Nous ne sommes pas un organisme de charité.

Mme Tremblay: Vous n'êtes pas aussi chanceux que le Conseil canadien!

M. Morrison: Les gens nous donnent nécessairement leurs contributions avec de l'argent «après impôts»; la plus grande contribution que nous ayons reçue récemment s'élevait à 1 000$.

Mme Tremblay: Est-ce qu'elle venait de Power Corporation?

M. Morrison: Non, pas du tout, madame.

[Traduction]

Que je sache, nous n'avons reçu aucune contribution d'une société.

[Français]

Mme Tremblay: Parfait.

Maintenant, dans le texte que j'ai en main, vous commencez par une citation qui vient d'un ministre du gouvernement qui vend la culture canadienne pièce après pièce: Ginn Publishing, Viacom. Et il s'apprête à régler les cas de Turner et Polygram.

Vous faites des allégations très fortes à l'égard du CRTC...

M. Morrison: Juste à l'égard des leaders, madame.

Mme Tremblay: ...et même relativement à Expressvu.

M. Morrison: Par contre, j'aimerais faire une distinction entre le rôle de la Commission et le rôle des présents leaders du CRTC.

Mme Tremblay: Quelque part dans le texte, vous comparez les satellites au câble coaxial en cuivre, qu'on peut aussi utiliser et qui pourrait être importé des États-Unis. Je trouve assez étrange et même inquiétant que quelqu'un comme vous se présente devant nous. D'abord, je vous suggérerais de proposer aux Friends of Canadian Broadcasting de devenir les Friends of American Broadcasting. Ce serait peut-être plus vrai. Friends of Government serait peut-être aussi vrai.

[Traduction]

M. Morrison: Il y a peut-être un malentendu, madame Tremblay, parce que vous avez mentionné Viacom...

[Français]

Mme Tremblay: Je vous demande où vous mettez la culture là-dedans. On a un ministre de l'Industrie qui vend la culture comme il vend des chaussures et vous, vous comparez les satellites au câble coaxial en cuivre. Vous avez dit ça quelque part dans votre texte.

Qu'est-ce que vous faites de la culture? Vous qui êtes un ardent participant à presque toutes les audiences du CRTC pour défendre la culture canadienne contre l'invasion américaine, je n'ai rien compris à votre document. Je ne sais pas où vous voulez aller et qui vous voulez protéger.

[Traduction]

M. Morrison: Il est possible qu'il y ait malentendu parce que vous avez mentionné Viacom et un autre organisme, et nous ne faisons pas allusion à Viacom dans notre mémoire. Votre commentaire s'adresse peut-être à un futur témoin; je ne sais pas.

Mme Tremblay: Non, je vous dis que vous utilisez une citation d'un ministre de ce gouvernement, qui vend la culture à la pièce - Ginn Publishing et Viacom. C'est déjà fait.

Vous citez surtout M. Manley dans le Financial Post. Que faites-vous de la culture? Vous êtes les Friends of Canadian Broadcasting.

M. Morrison: Oui, mais je suis également un ami du Financial Post et j'étais l'ami du président de ce Comité lorsqu'il en était le rédacteur en chef.

Pour répondre à vos questions une à la fois, pour ce qui du cuivre et des satellites, nous croyons que notre culture attache peut-être une valeur aux satellites qui ne correspond pas à leur vraie valeur. Il ne s'agit que d'outils pour transmettre les signaux. En tant que tels, ils sont en tout point sembles aux fils de cuivre.

Je crois que vous avez relevé nos propos là où nous expliquons que pour nous, il n'y a aucune distinction entre l'utilisation d'un satellite américain pour transmettre les signaux aux Canadiens et l'utilisation de fils de cuivre américains aux mêmes fins.

Pour ce qui est de M. Manley, le ministre de l'Industrie, je veux m'assurer que madame Tremblay a bien une copie du mémoire que nous avons déposé devant le comité car nous ne citons pas M. Manley. Ce que vous avez, c'est le mémoire que nous avons déposé auprès du ministère des Communications suite à leur demande.

.1555

Si nous avons cité les propos de M. Manley, c'est parce qu'il essayait de faire comprendre au monopole de la câblodistribution que le gouvernement ne lui accorderait plus la moindre protection ni le moindre appui et qu'il devait se lancer dans la concurrence. Nous l'avons fait parce que nous estimons que c'est une déclaration très importante et favorable pour la politique canadienne de radiodiffusion.

[Français]

Mme Tremblay: Simplement pour les fins du procès-verbal, j'ai en main la page frontispice de la télécopie: «Recipient, Suzanne Tremblay; Organization: Chambre des communes». On donne mon numéro de télécopieur - je ne veux pas le donner à la télévision parce que je ne veux pas que trop de gens m'écrivent - et on voit: «Sender: Ian Morrison». Le document que j'ai en main ne vient pas des catacombes. Il vient de celui qui l'a envoyé.

[Traduction]

Le président: Il se peut que l'organisation de M. Morrison publie de nombreux documents et que vous ayez la chance d'en avoir reçu plus d'un.

[Français]

Mme Tremblay: Merci.

[Traduction]

M. Morrison: Nous continuerons certainement à vous les envoyer.

Le président: Oui. Il a votre numéro de télécopieur.

M. Hanrahan: Merci d'être venu aujourd'hui, monsieur Morrison. Je trouve que les Réformistes que nous sommes sont d'accord sur la plupart des points dont vous avez discuté avec nous. Toute politique doit être fondée sur le principe du choix. En outre, c'est la liberté des consommateurs de choisir leurs émissions et leurs réseaux de distribution qui doit primer. Par conséquent, il faut laisser à l'industrie privée la liberté d'offrir diverses possibilités.

Nous estimons également que l'autoroute de l'information offre aux artistes canadiens, qu'il s'agisse de musiciens, de génies de l'infographie ou de réalisateurs de films, d'énormes possibilités d'élargir leur champ d'action et de profiter d'un marché mondial illimité.

Cela dit, je voudrais que vous précisiez quelque chose. Vous avez critiqué le Fonds de câblodistribution. Vous voulez que les producteurs reçoivent une part égale de l'argent versé par les téléspectateurs. Je ne sais plus très bien si vous parlez d'une proportion d'un huitième. Pourriez-vous préciser un peu comment vous envisagez ce système? Pourriez-vous nous dire également comment vous envisagez le fonctionnement d'une organisation autonome?

M. Morrison: En premier lieu, je vous signalerais que, dans le mémoire que vous avez sous les yeux, nous n'avions pas l'intention de critiquer le Fonds de câblodistribution. Je reprocherais plutôt au CRTC d'offrir un pot-de-vin aux sociétés du câblodistribution pour créer ce fonds en leur permettant de garder deux fois plus d'argent qu'elles n'en versent.

Il ne s'agit toutefois pas d'une critique du Fonds proprement dit. Il est nécessaire et je suis convaincu qu'il aura du bon.

M. Hanrahan: C'est de l'extorsion.

M. Morrison: Pas tellement. C'est plutôt...

M. Hanrahan: C'est percevoir le double et garder la moitié des dons.

M. Morrison: J'essayerai de répondre brièvement car ce n'est pas vraiment là-dessus que porte votre question. Nous estimons qu'à notre époque, les fonds ne sont pas à ce point abondants qu'on puisse permettre au monopole de la câblodistribution d'enpocher la moitié du supplément que les consommateurs versent pour le fonds de production.

Pour en venir à l'essentiel de votre question, je dirais que nous estimons que tous les participants au réseau de télédiffusion devraient verser une somme suffisante pour contribuer au financement de la production canadienne en échange du privilège d'utiliser les ondes métaphoriques si je puis dire.

En ce sens, nous approuvons par exemple les recommandations faites dans le rapport du groupe d'experts sur la radiodiffusion par satellite, c'est-à-dire celui dont faisait partie M. Rabinovitch, et dont Mme Temblay a cité le nom. Je disais donc que chaque exploitant de SRD devrait verser un pourcentage de ses recettes pour financer la production canadienne.

Voilà en gros le contexte que nous voulons vous exposer. D'après nos recherches - et nous serions très heureux que nos conclusions s'avèrent fausses - , ceux qui fournissent et créent les émissions canadiennes ne reçoivent qu'un huitième des sommes payées par les consommateurs canadiens aux entreprises de câblodistribution.

Par conséquent, nous estimons pour le moment que le réseau de câblodistribution est inefficace. A une époque où le gouvernement n'a pas assez d'argent pour soutenir la production canadienne, il faut trouver un moyen de financer les réalisateurs d'émissions canadiennes avec l'argent versé par les téléspectateurs. Le système est trop inefficace.

.1600

Monsieur Hanrahan, ce qui nous a incité à nous intéresser à la question, c'est que le fait d'offrir un certain choix, comme vous dites, au niveau du mode de transmission des signaux vidéo aux foyers canadiens créera un marché ordonné, ce qui donnera plus de pouvoir aux réalisateurs d'émissions et moins aux diffuseurs. Voilà justement ce que nous souhaitons.

M. Hanrahan: Cela permet effectivement d'établir un marché plus important.

M. Morrison: Il faut d'abord un marché. Ce marché est en fait inexistant à l'heure actuelle.

M. Hanrahan: Vous avez parlé du marché gris. Plusieurs autres témoins y ont fait allusion également. On pense qu'à mesure que ce marché gris s'étend, - et il le fait très rapidement - , on perd les consommateurs à jamais. Ne pensez-vous pas que l'avènement de la radiodiffusion directe permettra de récupérer une partie de la clientèle qui possède les grandes antennes paraboliques?

M. Morrison: Peut-être, monsieur Hanrahan. C'est une question d'opinion. Il est très difficile d'obtenir des données à ce sujet. Je vous signale en passant que d'après les données que je possède, qui sont anecdotiques, c'est dans votre ville, c'est-à-dire à Edmonton, que la pénétration des nouvelles antennes paraboliques est la plus forte au Canada. Les gens qui se débranchent du réseau de radiodiffusion canadien sont branchés au réseau américain, si vous voulez. En fait, un demi-million de ménages, en grande majorité anglophones pour l'instant, sont débranchés, ce que nous trouvons inquiétant.

En ce qui concerne le changement technologique, le fait que les entreprises canadiennes soient en mesure de conclure des marchés avec des services américains de radiodiffusion directe par satellite est encourageant, car c'est une chose importante pour l'avenir. J'ai toutefois remarqué avec une vive inquiétude que le président du CRTC n'a même pas fait allusion au marché gris dans ses observations liminaires quand il est venu témoigner ici. En concluant ce type de marché, par exemple, la Power Corporation rapatrie en fait ces services ou les canadianise.

Cela pose un problème pour les habitants de votre circonscription qui ont dépensé 2 500$ pour acheter à gros prix une antenne parabolique américaine pour capter DirectTv. En effet, quand la Power Corporation arrivera à obtenir une licence, ces gens-là ne pourront plus capter ses émissions. Leur investissement de 2 500$ ne vaudra plus rien. Ils devront recommencer à zéro. On pourra dire que cela résout d'une certaine façon le problème du marché gris mais vos électeurs ne seront pas très heureux.

M. Hanrahan: Même si l'investissement n'aura plus baucoup de valeur, estimez-vous que les progrès technologiques, le choix élargi et la concurrence accrue exerceront davantage de pression sur les réalisateurs canadiens et les inciteront à faire de meilleures émissions pour être concurrentiels à l'échelle nationale et internationale?

M. Morrison: Oui. Je ne parlerais pas de pression; j'estime qu'il s'agit plutôt d'une occasion. Nous avons des réalisateurs très talentueux, qu'il s'agisse d'émissions en anglais, en français ou dans d'autres langues. Un des avantages de la technique de radiodiffusion directe est qu'elle permet d'exporter les oeuvres de ces créateurs talentueux et de tirer des profits de la vente des droits correspondants.

Nous pensons que le marché des émissions s'élargira à mesure que les affinités entre les réalisateurs de ces émissions et les acheteurs augmenteront.

.1605

C'est particulièrement vrai dans le domaine des services de télévision à la carte. Tout le monde aura plus d'argent à sa disposition.

D'un point de vue purement canadien, je dirais que nous devenons un exportateur important d'émissions de divertissement. Dans le contexte de l'évaluation de ces décrets, il ne faut pas oublier les possibilités d'exportation, qui constituent un élément très important, puisque cela devrait rapporter davantage aux créateurs canadiens.

M. Hanrahan: La date du 1er septembre pour l'entrée en exploitation d'Expressvu ne vous dérange pas?

M. Morrison: C'est une question très importante, monsieur Hanrahan. Mais puisque le président dit que vous ne disposez que d'un temps limité, très bref.

Nous approuvons les décrets à l'étude. Autrement dit, nous estimons que le Décret d'exemption du CRTC doit être retiré et que divers exploitants doivent être autorisés à faire une demande de licence. On a vu le CRTC fournir une licence à certains postulants dans de très brefs délais, quand cela lui convient. Je l'ai dit dans mes remarques liminaires. Nous ne voyons pas pourquoi il ne pourrait pas accorder de licence pour le 1er septembre. En tout cas, il pourrait le faire pour le 30 septembre. Cela résoudrait à notre avis le problème d'Expressvu parce que cela lui permettrait de commencer à diffuser à titre d'entreprise de radiodiffusion autorisée.

Le CRTC prétend qu'il faudra un plus long délai pour l'accorder et nous estimons qu'il s'agit d'un conflit d'intérêts parce qu'il essaie de protéger les câblodistributeurs qui ne seront pas vraiment en mesure de soutenir la concurrence tant que les boîtes noires ne seront pas disponibles.

M. McKinnon (Brandon - Souris): Rebonjour, monsieur Morrison. Je crois que vous commenciez à aborder un sujet qui me préoccupe. Nous faisons face à des difficultés d'ordre juridique de taille.

J'ai l'impression que la solution que vous préconisez consiste à supprimer le marché gris et à favoriser la concurrence sur le marché de la radiodiffusion directe du satellite au foyer. Quelle solution préconiseriez-vous au juste pour qu'il y ait effectivement concurrence et que les fournisseurs de matériel puissent répondre à la demande de façon à pouvoir se mettre à commercialiser et à instaurer ce système?

M. Morrison: Monsieur McKinnon, cela paraîtra encore une fois un peu simpliste, car j'essaie d'être bref. Je modifierais les décrets pour enjoindre le CRTC à agir rapidement. Il n'a pas besoin d'attendre le mois de décembre. Ce n'est rien d'autres que des tracasseries de la part des dirigeants du CRTC qui, comme je l'ai dit dans mon témoignage, ne sont à notre avis pas disposés à accepter le leadership politique du gouvernement du Canada. Il faudrait leur demander de faire vite.

Il ne faut pas de six à huit mois pour attribuer une licence. Le système d'attribution des licences est un système simplifié; nous l'avons dit dans notre témoignage et par écrit, et je n'insisterai donc pas là-dessus. Lorsqu'on opte pour la concurrence, on n'a pas besoin de se demander si la demande faite par une entreprise risque de nuire à une autre. C'est le marché qui réglera le problème. Les gens ont le droit souverain de faire faillite. On croirait entendre parler le rédacteur en chef du Financial Post. C'est ainsi que doit fonctionner un marché libre.

Le gouvernement devrait ordonner au CRTC d'agir rapidement et je vous conseille de le lui recommander. Cela réglerait le problème.

M. McKinnon: Hier ainsi qu'à d'autres occasions, nous avons entendu parler d'incompatibilitéde matériel. Est-il trop tard pour résoudre ce problème, avec les entreprises qui se présentent maintenant?

M. Morrison: On croira peut-être que je parle comme M. Nixon lorsqu'il a dit «je ne suis pas un escroc». C'est peut-être ce que j'aurais dû dire à Mme Tremblay. Je vous signale en tout cas que je ne suis pas ingénieur. D'après ce que je peux comprendre, et je m'y connais dans ce domaine, Expressvu vient propose d'employer une nouvelle technologie et du nouveau matériel. Cette entreprise ne vient pas remplacer un système existant.

Monsieur McKinnon, comme je l'ai dit précédemment à M. Hanrahan, tous ceux qui ont investi de l'argent dans l'achat d'une antenne et d'un décodeur de DirectTv qui leur ont été revendus aux États-Unis par un magasin de la chaîne Wal-Mart n'ont pas de chance, parce que ce matériel n'est pas compatible avec celui que la Société Power Corporation compte utiliser. Si j'ai bien compris, cette société va utiliser une antenne ultra moderne capable de capter simultanément les ondes transmises par le satellite de Telesat et par celui de Hughes qui sont à six degrés de distance.

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Par conséquent, l'antenne sera différente. Elle obligera également sa clientèle à utiliser sa boîte noire et ses cartes à mémoire, principalement pour bloquer tous les signaux de DirectTv transmis par des compagnies qui n'ont pas de licence ou dont la diffusion n'est pas autorisée par le CRTC.

M. Ianno (Trinity - Spadina): Merci beaucoup de nous avoir aidé un peu à comprendre la situation. Quel est l'objectif de votre organisation?

Quel est votre but? Je ne parle pas de SRD mais de votre organisation dans son ensemble.

M. Morrison: Notre but est d'accroître la qualité et la quantité d'émissions canadiennes disponibles sur nos ondes.

M. Ianno: Est-ce, dans le cadre des audiences du CRTC, quelqu'un a signalé, à votre connaissance, qu'il était préférable de procéder par voie d'exemption que d'octroyer des licences?

M. Morrison: J'imagine que toute une série d'intérêts commerciaux qui se seraient ralliés derrière ce qu'est devenu le consortium et ce qui est maintenant Expressvu, aurait dit cela.

Les organisations de défense de l'intérêt public que je connais ont dit que l'essentiel était que ceux qui ont eu au départ l'idée de prévoir dans la loi la possibilité d'un décret d'exemption ne voulaient pas que ce dernier puisse nuire à la politique de radiodiffusion canadienne. Pour notre part, nous pensons que le décret d'exemption est de l'opportunisme de la part du CRTC et que celui-ci a tenté d'édicter une politique ou d'usurper son rôle au gouvernement du Canada dans un nouveau domaine d'une importance capitale qui rappelle l'avènement de la télévision au Canada.

M. Ianno: Autrement dit, le Cabinet a donné au CRTC l'instruction générale de revoir sa décision d'exclusion. Est-ce bien votre avis?

M. Morrison: À mon avis, par le biais des décrets présentement à l'étude, le Cabinet ordonne en fait au CRTC de retirer ce décret d'exemption et de procéder à l'attribution de licences. C'est une initiative que j'appuie fortement et c'est ce que Friends of Canadian Broadcasting préconise depuis longtemps.

M. Ianno: Les représentants de Telesat étaient ici hier. Ils nous ont dit - c'est du moins ainsi que j'interprète leurs propos et on pourra toujours vérifier si c'est rigoureusement exact - que la plupart des participants ont été encouragés à faire une proposition et à collaborer pour instaurer un SRD, au lieu de se faire concurrence. Pensez-vous que c'est le cas?

M. Morrison: Vous voulez dire par le Conseil?

M. Ianno: Oui.

M. Morrison: Il est difficile de savoir ce qu'il...

M. Ianno: J'ai d'abord parlé de Telesat, mais il y avait également d'autres participants. Etant donné que personne ne se présentait, je suppose que ceux qui voulaient instaurer un système de radiodiffusion directe du satellite au foyer doivent avoir encouragé quelqu'un à se lancer dans ce domaine, n'est-ce pas?

M. Morrison: Voici brièvement le contexte. Je m'en tiens à l'essentiel. Depuis des années, le monopole de la câbledistribution menace d'utiliser des satellites de radiodiffusion directe américains pour encourager le CRTC à bien les traiter. Ils ont inventé l'expression «étoile de la mort». Monsieur Ianno, si vous lisez le New York Times, vous pourriez croire qu'il s'agit d'une allusion à un film des années 1970 mais tous les Canadiens savent que cela désigne un certain type de satellite. Ce sont les doreurs d'image des télédistributeurs qui ont inventé cette expression.

À la longue, cela a incité le CRTC à vouloir créer un système canadien. Cette idée semble louable mais de la façon dont il s'y prenait, il allait créer en fait - si on le laissait faire - un SRD qui serait un monopole canadien. À cet égard, je suis en partie d'accord avec le gouvernement.

M. Ianno: Êtes-vous au courant de la tenue de certaines réunions? À vous entendre parler et en relisant cela, j'ai quasi l'impression qu'il s'agit de... Je ne tiens pas à employer le terme «collusion» parce que ce n'est probablement pas exact, mais d'une sorte de...

.1615

M. Morrison: Nous employons le terme «complicité» mais je suppose que le choix du terme dépend de sa perception de l'éventuelle gravité de la situation. À nos yeux, il est évident que le CRTC encourage ce regroupement. Il était présent quand on l'a annoncé. Avant que cela devienne une question aussi délicate, j'ai cité dans mon témoignage des extraits de la lettre que Keith Spicer avait fait parvenir au rédacteur en chef du Globe and Mail au mois de septembre. Le secrétaire général du Conseil avait écrit aux citoyens des lettres qui ressemblent à celles que je cite dans ma note 4, où il indiquait même le numéro de télécopieur des représentants de l'industrie des télécommunications. Par conséquent le Conseil a outrepassé son rôle de tribunal quasi-judiciaire.

M. Ianno: Autrement dit, étant donné que dans votre document, vous dites «il»... selon vos observations, un représentant du CRTC aurait-il encouragé la formation d'Expressvu, c'est-à-dire du consortium, ou la protection des sociétés de télédistribution ou manifesté le désir d'essayer d'empêcher quelqu'un d'autre de participer au processus? J'essaie de deviner.

M. Morrison: Je profite de votre question pour dire ce qui suit. D'après les rumeurs qui courent, le vrai dirigeant du CRTC depuis deux ou trois ans n'est pas son président mais son vice-président, M. Bélisle. C'est lui qui a influencé la majorité des décisions dans la plupart des cas. C'est un fait connu dans les milieux de la télédiffusion. Tout le monde le sait. C'est connu même dans les milieux financiers de Toronto.

M. Ianno: Il est autrement dit le «motivateur» en quelque sorte.

M. Morrison: Je pense qu'il est logique de supposer que toutes les décisions prises par le CRTC avant ce décret d'exemption sont probablement l'oeuvre de M. Bélisle. Il en est le leader intellectuel et c'est surtout lui qui définit la politique.

M. Ianno: A-t-il rencontré ces gens-là?

M. Morrison: Je souhaiterais ardemment qu'une tribune comme celle-ci lui pose directement la question pour pouvoir obtenir une réponse directe, mais il a la réputation d'être un ami intime de l'ex-président du CRTC, M. Bureau. Il a la réputation d'être proche de M. Gourd, ainsi que de M. Racine, qui était sous-ministre adjoint du ministère du Patrimoine.

[Français]

Mme Tremblay: C'est assez délicat. On nage dans les allégations, dans le ouï-dire, dans ceci, dans cela. Je trouve ça très dérangeant.

[Traduction]

Le président: Étant donné que nous sommes à court de temps, me permettez-vous de vous poser une toute petite question? Il faudra peut-être convoquer à nouveau M. Bélisle pour avoir des explications à ce sujet.

M. Ianno: Avant cela, il me reste juste une chose à dire, puis j'aurai fini. Il s'agit des 5 p. 100 recommandés par le groupe d'experts.

Le groupe d'experts qui est venu témoigner hier a dit qu'il voudrait que les sociétés de télédiffusion directe par satellite versent 5 p. 100 de leurs recettes brutes pour financer la production, afin d'améliorer la qualité du contenu des émissions canadiennes. Êtes-vous du même avis?

M. Morrison: Le principe que nous admettons c'est que tous ceux qui interviennent au niveau de la transmission de signaux vidéo dans les foyers versent une quote-part équivalente. Il faudrait que vous demandiez au groupe d'experts pourquoi il a recommandé 5 p. 100. D'après moi, c'est parce qu'il estime que la contribution actuelle des télédistributeurs - vous comprenez qu'il s'agit de l'argent des abonnés - équivaut à 5 p. 100 de leurs recettes nettes et que les fournisseurs de services de SRD devraient faire quelque chose d'équivalent.

Si vous voulez savoir si Friends of Canadian Broadcasting approuve la proportion de 5 p. 100, je vous réponds non.

M. Ianno: Je comprends.

M. Morrison: À notre avis, il faudrait un pourcentage plus élevé mais il serait injuste de demander aux fournisseurs de SRD une contribution plus forte que celle des télédistributeurs.

M. Ianno: Je suppose que la câblodistribution ne produit que 400 000$ par an, ou s'agit-il des services de télévision à la carte?

M. Morrison: C'est une autre question.

Le président: Étant donné que le temps presse et que l'on a abordé des sujets délicats, je voudrais tout simplement poser la question suivante. La semaine dernière, lorsque le CRTC est venu témoigner, je lui ai demandé si un de ses responsables avait directement ou indirectement encouragé activement la formation de ce consortium il y a un an, et c'est M. Bélisle qui a répondu. Il l'a nié catégoriquement, je pense. Tout ce qu'il pouvait dire, c'est que le Conseil avait été mis au courant du projet.

.1620

Trouvez-vous qu'il existe des contradictions entre ce qu'il a dit et la réalité, selon vous?

M. Morrison: Il existe une contradiction entre ce qu'il vous a dit, semble-t-il, et ce que, d'après le Globe and Mail, M. Spicer a écrit au journal le 10 septembre. Et quiconque est le moindrement au courant ne pourrait jamais croire que le Conseil n'a pas encouragé ce consortium.

Monsieur le président, la formation du consortium a été annoncée en mai 1994. Le postulant, Expressvu, dont la direction est composée de quelques membres de ce consortium et d'autres personnes, a annoncé publiquement la nouvelle à la fin de novembre 1994. Il s'agit d'un consortium qui a quelque peu évolué depuis l'époque où le Conseil en a encouragé la formation.

Le président: Merci beaucoup. Ce sera à mes collègues de décider s'ils désirent éclaircir la discordance qui existe entre le témoignage de la semaine dernière et celui-ci.

[Français]

Mme Tremblay: Je voudrais qu'on fasse revenir monsieur pour qu'on mette ça au clair.

Le président: Monsieur Bélisle?

Mme Tremblay: Oui. Je crois qu'il a le droit de nous donner son...

Le président: On va en parler plus tard.

[Traduction]

Je crois qu'il est temps de faire ses adieux. C'était tellement intéressant que nous avons dépassé le délai prévu, mais il ne faut pas continuer à faire attendre nos autres témoins.

Nous ferons une courte pause, puis nous poursuivrons nos délibérations.

.1622

PAUSE

.1627

[Français]

Le président: Nous recommençons à siéger. Nous sommes une fois de plus soumis à des pressions parce que nous ne savons jamais quand nous serons appelés à voter. Je demande votre indulgence, monsieur Pilon.

M. Pilon représente l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, l'ADISQ. Je crois qu'il faut que nous nous lancions tout de suite dans votre présentation sur les satellites.

M. Robert Pilon (vice-président, Affaires publiques, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo ): Merci, monsieur le président. Je suis accompagné de ma collègue, Me Solange Drouin, conseillère juridique à l'ADISQ.

L'ADISQ représente les producteurs de disques et de spectacles indépendants du Québec. Peut-être que les membres du Comité s'étonneront du fait qu'une association qui représente les producteurs de disques et les producteurs de spectacles ait consacré autant d'énergie à un dossier qui, à première vue, ne semble toucher que le monde de la télévision.

Si nous avons décidé d'intervenir dans ce dossier, c'est que nous croyons que les décisions qui seront prises risquent éventuellement de créer des précédents et des précédents qui pourraient avoir des conséquences assez dramatiques pour l'ensemble des industries culturelles au Canada, y compris l'industrie du disque et du spectacle de variétés.

Nous avons préparé un mémoire pour le Comité. Malheureusement, l'ADISQ étant une association dont les ressources et le temps sont limités, nous n'avons pu traduire notre mémoire. Si vous n'y voyez pas d'objections, ma collègue Nathalie Filion va vous distribuer ce mémoire de même que des copies des mémoires que nous avons déposés aux différentes étapes de consultation du CRTC dans les mois qui ont précédé les travaux du Comité des sages.

[Traduction]

M. Hanrahan: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Nous n'avons pas de traduction anglaise, je comprends pourquoi, mais je tiens seulement à signaler à notre interlocuteur que si je regarde dans cette direction, c'est uniquement pour me concentrer. Merci.

Le président: Merci d'être aussi coopératif.

[Français]

M. Pilon: Donc, je voulais remercier les membres du Comité de nous avoir invités.

.1630

L'ADISQ considère que les travaux de ce comité, comme les travaux du comité du Sénat sur la question, sont extrêmement importants.

Vous savez tous que c'est la première fois, depuis que la loi de 1991 a été adoptée, que le gouvernement a l'intention de se prévaloir du pouvoir de directives qui est prévu à l'article 7. C'est un geste extrêmement important. C'est un pouvoir qui a beaucoup d'ampleur et qui doit être utilisé avec sagesse.

Je pense que les conseils que le Comité de la Chambre des communes et le Comité du Sénat pourront donner au gouvernement dans l'exercice de ce pouvoir seront extrêmement utiles.

Nous espérons donc que le Comité fera un rapport écrit au gouvernement à la fin de ses travaux et nous espérons également que ce dernier ne précipitera pas sa décision de façon à pouvoir prendre en compte les recommandations et les suggestions du Comité de la Chambre.

Essentiellement, en ce qui concerne les projets de directives, l'ADISQ considère qu'il y a des éléments qui sont très positifs et d'autres qui sont négatifs, qui sont des lacunes majeures.

L'élément positif principal des projets de décrets, c'est que le gouvernement se propose enfin, suite aux recommandations du Comité des sages, de donner comme directive aux CRTC de procéder, non pas par exemptions, mais par un processus normal d'octroi de licences. Nous croyons que c'est extrêmement important.

Nous croyons que le CRTC avait commis une erreur. Le CRTC avait fait une interprétation, à notre avis, incorrecte, abusive de son pouvoir d'exemption prévu au paragraphe 9(4) de la loi.

Le paragraphe 9(4) prévoit effectivement la possibilité d'exemption - nous pourrons y revenir tantôt - , mais c'est uniquement pour des services de portée restreinte, ce qui n'est visiblement pas le cas d'un service aussi important que le service par satellite à diffusion directe. Donc, sur cet aspect des exemptions, l'ADISQ est tout à fait d'accord.

Par ailleurs, il y a d'autres éléments des projets de directives qui nous inquiètent grandement.

Comme on a peu de temps, je me concentrerai sur un élément principal, quitte à revenir sur d'autres éléments au moment des questions.

Nous croyons que certaines dispositions des deux décrets, si elles sont mises en oeuvre et combinées à certains éléments de la réglementation des entreprises de distribution qui existent au CRTC présentement, pourraient avoir un résultat peut-être inattendu de certains, mais extrêmement négatif. Essentiellement, cela pourrait favoriser la pénétration à terme sur le marché canadien de la radiodiffusion de dizaines et éventuellement de centaines de nouveaux services américains qui présentement ne sont pas autorisés ici, ce qui pourrait créer un déséquilibre fondamental à l'intérieur du système.

J'utiliserai mes cinq dernières minutes à une certaine fin au lieu de reprendre en long en large les éléments du mémoire que vous avez devant vos yeux. On a essayé d'illustrer de façon concrète un scénario sur l'impact possible les décrets.

Nous avons pris l'exemple des services de télévision qui sont offerts au public à Toronto par l'intermédiaire du système de câble Rogers, à Toronto. Ce sont les graphiques que vous avez ici, en haut. En bas, vous avez les services qui sont présentement offerts par le service de câble de Vidéotron, à Montréal. Vous avez ces mêmes graphiques en annexe du mémoire.

Sur ce graphique-là, chez Rogers, vous avez 60 services de télévision, 60 canaux distincts de télévision, à Toronto. Vous en avez 44 qui sont des canaux de télévision canadiens et 16 qui sont des canaux de télévision américains autorisés au Canada. Sur les 44 canaux de télévision canadiens, vous avez, bien sûr, les services de télévision publique comme Radio-Canada, en anglais et en français, et TVO en anglais et en français. Vous avez les grandes chaînes et les grands réseaux privés canadiens anglais comme CTV, Global, etc, et les stations indépendantes comme CHCH. Vous avez ensuite des services spécialisés comme TSN, MuchMusic, etc. Il y a maintenant une quinzaine de services spécialisés, y compris les nouveaux services spécialisés comme Bravo, Showcase, etc. Vous avez également des chaînes de télévision payante comme The Movie Network, SuperÉcran, et finalement, vous avez les services de télévision à la carte canadiens Viewer's Choice, qui utilise pour la diffusion quatre canaux de Rogers.

À l'autre bout, vous avez les 16 canaux américains. Parmi ceux-là, vous avez les chaînes conventionnelles, les networks ABC, NBC, CBS, de même qu'un certain nombre de services spécialisés américains qui sont autorisés au Canada comme CNN, Arts and Entertainment, etc.

.1635

La réglementation du câble, à l'heure actuelle, dit qu'un système de câblodistribution doit consacrer une majorité de ses canaux à la distribution de services canadiens.

Vous remarquerez que Rogers y consacre une très grande majorité de ses canaux; en fait, sur 60 canaux, 44 sont consacrés à la distribution de services canadiens, ce qui est vraiment bien, alors que pour être purement en accord avec la réglementation, il suffirait d'avoir 31 canaux canadiens et 29 américains.

Par ailleurs, si on regarde les canaux canadiens, en rouge, on a le pourcentage de contenu canadien et, en bleu, le pourcentage de contenu américain. Vous voyez que ce pourcentage-là est très variable. À Radio-Canada, je pense qu'il est de 85 p. 100; à la CBC, 65 p. 100; aux chaînes privées, environ 60 p. 100, ce qui est la limite prévue par la loi. Il s'agit de pourcentages qui sont très variables dans le cas des services spécialisés et évidemment, pour les 16 canaux américains, vous n'avez pas de contenu canadien.

Donc, chez Rogers, on a une grande majorité de canaux canadiens, 44 sur 60, et la moyenne du contenu canadien sur les 60 canaux est de 38 p. 100. Sur Vidéotron - je ne ferai pas toute la démonstration pour Vidéotron - , la moyenne du contenu canadien est de 51 p. 100.

À notre avis, ce qu'il y a de dangereux dans les projets de décrets - on pourra en parler plus en détail au moment des questions - , c'est que s'ils sont acceptés dans leurs libellés actuels, ils vont permettre l'importation au Canada, par un service de SRD licencié, de plusieurs dizaines de canaux de télévision à la carte américains qui présentement ne sont pas autorisés au Canada.

Je me tourne vers ce tableau-ci. Vous retrouvez Rogers. Ce graphique-ci, c'est le même que celui-là. Imaginons qu'on donne à un service de diffusion par satellite essentiellement les mêmes canaux qu'à Rogers, sauf les canaux régionaux, plus 60 canaux de pay-per-view.

La règle des décrets dit: 5 p. 100 de contenu canadien. Donc, on a trois canaux sur 60, 5 p. 100; 57 canaux entièrement américains, entièrement programmés éventuellement aux États-Unis et importés au Canada. Le pourcentage de contenu canadien de ceci, c'est 20 p. 100. Immédiatement, le problème qui va se poser, c'est que Rogers et Vidéotron vont vouloir avoir les mêmes règles. Rogers et Vidéotron vont dire au CRTC: «Si on a autorisé un service de diffusion par satellite à distribuer 57 canaux de télévision à la carte américains, pourquoi pas nous?» Ces services-là vont faire la même chose.

Le pourcentage de contenu canadien, qui est de 38 p. 100 chez Rogers maintenant, tombe à 21 p. 100 quand on ajoute 57 canaux américains. Chez Vidéotron, ça tombe de 51 à 22 p. 100. Vous voyez tout de suite que ça change drôlement.

Mais ce n'est pas tout. Une fois qu'on aura permis à un service par satellite à diffusion directe de diffuser, par exemple, les 57 canaux de télévision de DirecTv USA, comment va-t-on par la suite être capable de refuser à HBO la même permission? Cela va devenir très difficile. Cela va devenir très difficile aussi en vertu des règles du commerce international, malgré l'exception relative à la culture. Ça va créer un précédent. On va laisser entrer les services d'une entreprise. Nous pensons que les autres services comme HBO, ESPN et MTV - et il y en a 150 ou plus aux États-Unis - vont pouvoir invoquer ce précédent et dire: «Nous aussi, nous voulons entrer sur le marché canadien». Il va suffire qu'ils se trouvent un partenaire canadien pour les sous-distribuer et éventuellement, avec l'effet domino, les autres canaux vont être distribués.

L'hypothèse suivante est peut-être un peu radicale, mais on pense que cela peut se produire sur une période de cinq ans.

.1640

Si on prend ce qui est distribué par le service, et qui ressemble à ce qu'il y a chez Rogers, et qu'on ajoute les 57 canaux de télévision à la carte et, par la suite, 60 canaux de télévision payante comme HBO, ESPN, MTV et le reste, le pourcentage global de contenu canadien va tomber à13 p. 100.

Par la suite, évidemment, Rogers et Vidéotron vont vouloir faire la même chose. Le pourcentage de contenu canadien ici va tomber à 14 p. 100.

Ce n'est pas tout. Le jour où on aura laissé entrer, par exemple, MTV, pensez-vous que MuchMusic et Musique Plus, qui a des difficultés présentement, vont être capables de résister à la concurrence de ces services américains qui ont beaucoup plus de moyens et qui n'ont pas d'obligation de contenu canadien et de création canadienne?

Nous pensons qu'à la fin du scénario, à la limite, après cinq ans, les services comme RDS, Musique Plus, MuchMusic, The Movie Network, etc., de même que les services spécialisés et payants canadiens vont disparaître.

Ça nous donne le scénario suivant. Prenons Rogers, parce que ça va d'abord affecter le service par satellite. Dans cinq ans, la même chose se retrouvera sur satellite et sur câble. Pour Rogers, tel qu'il est aujourd'hui, les services spécialisés disparaissent. Vous voyez le trou ici. Donc, sur l'ensemble, on est à 10 p. 100 de contenu canadien.

Je vous invite à lire attentivement notre mémoire. En dix minutes, il est diffile d'exprimer tout ça. À la lecture, vous verrez que ce scénario-là n'est pas si farfelu qu'il peut en avoir l'air à première vue. Il y a un jeu de dominos et lorsqu'un domino tombe, il en entraîne un autre dans sa chute et ainsi de suite.

Nous pensons que la réglementation du système de radiodiffusion canadien n'est pas parfaite, bien sûr, mais il a fallu 70 ans pour la construire. Il y a un certain équilibre entre les services canadiens et les services étrangers américains, entre le contenu canadien et le contenu étranger. Cet équilibre-là risque d'être bouleversé si on permet l'introduction massive de services qui sont, dans le fond, programmés à l'étranger et que les compagnies canadiennes ne serviraient qu'à sous-distribuer.

Nous suggérons des principes pour la rédaction d'un nouveau libellé de certains articles des projets de directives.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci bien, monsieur Pilon, pour votre excellente présentation. On l'apprécie beaucoup, surtout la présentation graphique qui est très frappante et dramatique.

Comme d'habitude, nous n'avons pas assez de temps. Donc, nous accordons tout de suite cinq minutes à Mme Tremblay.

Mme Tremblay: Bonjour. Je veux vous féliciter pour la qualité du mémoire. Effectivement, il y a beaucoup de matériel à digérer et on ne l'a pas eu longtemps à l'avance. J'y suis allée rapidement et le personnel de mon bureau aussi.

J'ai beaucoup de questions à vous poser. Depuis qu'on fait nos réunions, on essaie de savoir comment on pourrait faire pour protéger la culture canadienne. C'est le souci que nous avons, et c'est notre mandat essentiel.

Ce que vous venez de nous démontrer, personnellement je trouve ça très dramatique. Depuis le début, je crains que les satellites entrent à pleines portes et que le bulldozer passe...

Le CRTC a déjà autorisé, dans le domaine de la télévision à la carte, sept services. Ils ont tous fait faillite l'un après l'autre et on a maintenant deux monopoles, un pour l'Ouest et un pour l'Est.

Ce qui s'en vient, c'est peut-être deux monopoles, les deux seuls qui vont avoir les reins assez solides, ou peut-être même un seul monopole.

Je voudrais comprendre une chose. Vous êtes peut-être bien placé pour me l'expliquer, étant donné que vous n'êtes pas trop partie prenante dans ce débat-là. Dans les débats qui ont eu lieu jusqu'à maintenant, j'ai vu seulement quatre personnes ou groupes qui étaient en faveur de l'exemption. Votre groupe est catégoriquement contre l'exemption.

.1645

Le CRTC prétend qu'il était obligé de donner une exemption. Pouvez-vous m'expliquer ça?

M. Pilon: Je vais laisser la parole à ma collègue juriste, Me Drouin.

Maître Solange Drouin (conseillère juridique, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo): Il nous fait très plaisir que vous nous donniez l'occasion d'expliquer notre position là-dessus.

Dans vos chemises et dans les autres chemises surtout, vous trouverez les mémoires que nous avons présentés au CRTC, dans lesquels nous avons vraiment élaboré toute notre position.

Dans le cadre de l'analyse du processus d'exemption, on avait fait une analyse très fouillée, avec des tableaux à l'appui, pour démontrer que le CRTC avait interprété son pouvoir d'exemption de façon abusive. Je ne veux pas être plus légaliste qu'il ne le faut, mais le paragraphe 9(4) de la loi prévoit, et on le reconnaît, que le CRTC a effectivement le pouvoir d'ordonner des exemptions. Il a le droit d'exempter des entreprises en vertu du paragraphe 9(4) de la loi. Cependant, cette disposition encadre ce pouvoir de façon très précise. Au paragraphe 9(4), on dit que:

Donc, oui, le CRTC a un pouvoir d'exemption, mais un pouvoir d'exemption limité aux entreprises qui ont un impact restreint sur le système canadien de radiodiffusion. On a fait une analyse, dans nos mémoires, de la façon dont le CRTC avait exercé ce pouvoir d'exemption. On s'est aperçu que jusqu'à maintenant, 16 entreprises jouissent d'une exemption, mais ce sont des entreprises telles que des camps de bûcherons en Colombie-Britannique, pour vous donner un exemple. Cela a vraiment une portée restreinte. C'est vraiment très limité. Les débats de la Chambre des communes sont aussi quelque chose de très limité. Les SRD entrent-ils dans cette catégorie? Nous sommes convaincus que non. Ce n'est sûrement pas la situation.

D'ailleurs, le CRTC l'a reconnu dans un avis public qu'il a publié en juin 1993 où il dit carrément - et on le reprend dans nos mémoires - que les SRD constitueront un élément majeur du système canadien de radiodiffusion. Alors, comment le CRTC pouvait-il légitimement prétendre que les SRD n'auraient pas de conséquences majeures sur la mise en oeuvre de la politique canadienne de radiodiffusion et les exempter? Pour nous, c'était carrément une interprétation abusive. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à le penser.

Mme Tremblay: Je pense avoir compris...

M. Pilon: En Grande-Bretagne, à l'heure actuelle, il y a 4 millions d'abonnés au service par satellite de diffusion directe. Quand on parle de quatre millions d'abonnés, on ne peut pas dire que c'est de portée restreinte.

Mme Tremblay: Vous dites à la page 11 de la version française que la première lacune est que les obligations de contribution à la création d'émissions canadiennes sont insuffisantes et imprécises. Pouvez-vous élaborer là-dessus, s'il vous plaît? Ne croyez-vous pas que 5 p. 100, c'est déjà pas mal?

M. Pilon: Dans la pochette qu'on vous a remise, il y a une série de tableaux extraits d'un autre mémoire qu'on a fait dans le cadre de l'audience sur la convergence. Ces tableaux résument toutes les obligations qui sont imposées à l'heure actuelle à l'ensemble des services payants et spécialisés, soit une quinzaine de services. On se rend compte que dans plusieurs cas, les obligations de contribution financière imposées à tel ou tel service spécialisé ou tel ou tel service de télévision payante sont nettement plus importantes que 5 p. 100.

On a pris le taux le plus bas possible. Je pense que des obligations de l'ordre de 10 p. 100 des recettes qui augenteraient graduellement à 20 p. 100 au cours de la période de licence seraient beaucoup plus raisonnables. C'est la première lacune.

Il y a une autre lacune ou une imprécision à tout le moins. Le système canadien de la radiodiffusion comprend la télévision, mais il comprend aussi la radio. À la télévison, on diffuse des émissions de télévision et des films. À la radio, une grande partie de la programmation est de la musique, de la musique canadienne entre autres, parce qu'il y a des obligations de 30 p. 100 de contenu canadien à la radio.

Les deux promoteurs de services par SRD à l'heure actuelle, autant Expressvu que Power DirecTv, ont tous les deux fait savoir que leurs services comprendraient un certain nombre de canaux sonores. Donc, il y aura également de la musique assimilable à la programmation musicale d'une station MF jusqu'à un certain point. Donc, ces entreprises devraient contribuer autant au développement de la programmation sonore qu'au développement de la programmation télévisuelle. La programmation sonore, c'est d'abord et avant tout des disques.

.1650

De la même façon que la plupart des grandes stations de radio sont tenues de contribuer un pourcentage de leurs recettes à FACTOR et Musicaction, des fondations qui soutiennent ces choses, ces entreprises devraient être également tenues de contribuer à la production de contenu musical.

Mme Tremblay: Vous voulez dire qu'à l'heure actuelle, il n'y a rien dans le décret à ce sujet?

M. Pilon: Il y a une ambiguïté.

Mme Tremblay: Il y a de l'ambiguïté et vous voudriez que ce soit précisé.

M. Pilon: C'est ça. On dit qu'on doit aider à la programmation d'émissions canadiennes. Est-ce que ça comprend la musique ou pas? Ce n'est pas clair.

Me Drouin: D'ailleurs, on a souvent été échaudés au CRTC; donc, on aimerait que ce soit précisé.

Mme Tremblay: Oui, je comprends.

[Traduction]

M. Hanrahan: Merci de votre excellent exposé dont j'ai compris la plus grande partie, même si nous n'en avons pas de traduction en anglais.

Voici la première question que j'aimerais vous poser. Jusqu'ici, vous avez parlé de contenu plutôt que d'auditoire. Quel rapport y a-t-il entre l'auditoire canadien, pour les émissions canadiennes, et les données que vous avez ici?

M. Pilon: Je ne puis vous répondre précisément, il faudrait que j'analyse les chiffres. Je vais m'y intéresser et je vous répondrai plus tard.

Si je me rappelle bien, de toute évidence, au Québec, l'auditoire intéressé par les émissions canadiennes, en français, est très élevé, mais c'est également le cas au Canada anglais. D'ailleurs, si les gens étaient aussi peu intéressés, pourquoi Rogers aurait-il décidé de distribuer autant de services canadiens, puisqu'il a maintenant la possibilité d'offrir plus de services américains? Même dans le Canada anglais, les médias ont souvent eu tendance à sous-estimer la popularité des émissions canadiennes. Je pense que l'auditoire est assez important.

M. Hanrahan: Ne pensez-vous que le marché gris risque de gagner en importance, de toute façon, sauf si nous optons pour une télévision directe canadienne?

M. Pilon: Il est difficile de répondre à cette question, mais je pense qu'il y aura toujours un «marché gris». Il y aura toujours de nombreux marchés parallèles, dans tous les segments de l'activité commerciale. Je ne pense pas que le Parlement devrait agir et légiférer en fonction de ce marché gris. Si c'était le cas, votre tâche serait impossible à assumer.

J'estime que nous devrions réglementer le système de télédiffusion canadien en regard des objectifs énoncés dans la loi, voté par le Parlement canadien, et pas en fonction de la menace que présente le marché gris.

M. Hanrahan: Bien d'autres témoins, en fait la plupart d'entre eux, nous ont laissé entendre que si nous n'agissions pas rapidement à cet égard, nous risquerions de perdre complètement ce marché, parce que le marché semi-clandestin connaît une expansion très rapide. Si tel était le cas, nous finirions par adopter des règlements ou par formuler des recommandations visant un marché inexistant. Vous ne pensez pas que ce soit là une possibilité?

M. Pilon: Nous avons perdu beaucoup de temps. Si, il y a trois ans de cela, le CRTC et le gouvernement avaient adopté la bonne politique, nous disposerions actuellement de réseaux de SRD diffusant des émissions canadiennes. Nous avons perdu beaucoup de temps.

Mais ce n'est pas pour cela que nous devons précipiter les choses au risque de prendre les mauvaises décisions. Au point où nous en sommes, je ne pense pas que si le Comité prend une semaine de plus pour rédiger son rapport et le communiquer au gouvernement, cela changera grand-chose à l'essor du marché gris.

M. Hanrahan: S'il me reste un peu de temps, monsieur le président, je serais très heureux de le céder à Mme Tremblay, parce que je crois que nous profiterions tous de ses connaissances et des liens qu'elle a avec le témoin.

.1655

[Français]

Le président: Je n'ai qu'une petite question à poser et j'aimerais bien ensuite donner la parole à Mme Tremblay. Je ne sais pas s'il y a des questions de ce côté.

Ma question est un peu liée à ce que M. Hanrahan vient de vous demander. Entre l'offre de tous ces canaux américains et la demande canadienne, il se peut qu'il y ait un certain écart. C'est une question de goût, de système de guidage, etc. Le seul fait qu'en principe, tout ce qui est offert ne représente que 8 p. 100 de contenu canadien ne veut pas nécessairement dire que le pourcentage de l'auditoire ne sera que de 8 p. 100. Il peut y avoir un décalage entre la possibilité et la demande, et ce n'est pas une division mathématique, si j'ai bien compris.

M. Pilon: Tout à fait, monsieur Godfrey. Cependant, l'histoire et l'analyse empirique nous enseignent - et ce n'est pas uniquement dans le domaine de la radiodiffusion, mais dans tous les secteurs d'activités - , que la demande est en grande partie entraînée par l'offre plutôt que l'inverse. On ne peut pas demander aux Canadiens de regarder des émissions si on ne leur en donne pas l'occasion. Essayez d'imaginer la situation dans cinq ans. Vous avez accès à 300 canaux. Sur votre décodeur, cela va du numéro 1 jusqu'à 300.

[Traduction]

Vous aurez 300 possibilités. Si de ce nombre, vous n'avez que 40 émissions canadiennes,

[Français]

il y a beaucoup de chances que l'écoute globale canadienne soit très faible. Je concède que ce n'est pas mathématique, mais les chances de ceci sont élevées.

Le président: Si, par exemple, on dit que, dans notre système, les premières 40 positions seront canadiennes alors que les dernières positions seront toutes américaines, j'aimerais qu'on ait une autre carte qui indiquerait l'usage plutôt que l'offre, même actuellement. Cela nous donnerait une indication de ce décalage.

M. Pilon: Je vais faire une comparaison avec les supermarchés. Tout le monde sait que dans un supermarché, l'espace coûte cher. Évidemment, vous souhaitez toujours que votre produit, que ce soit du beurre d'arachides ou n'importe quoi d'autre, soit sur la tablette du haut. Je comprends que les systèmes de navigation auxquels vous faites allusion sont importants. Pour moi, un système de navigation qui mettrait le contenu canadien vers le début équivaudrait à mettre un pot de confitures sur la tablette du haut. C'est bien. On peut se bagarrer pour obtenir de la place sur les tablettes de supermarché quand on n'a qu'une rangée et cinq tablettes pour les confitures. C'est bien d'être sur la tablette du haut, mais si vous n'êtes pas du tout sur une tablette ou si l'ensemble de ces tablettes sont occupées à 95 p. 100 par des produits de votre concurrent et seulement à 5 p. 100 par votre produit, les consommateurs n'achèteront jamais de votre produit ou en achèteront rarement.

Le président: Madame Tremblay.

Mme Tremblay: J'ai deux questions à poser pour l'instant. Hier, un groupe est passé devant nous et nous a dit que les 5 p. 100 devraient être donnés aux radiodiffuseurs plutôt qu'aux entreprises privées pour réaliser des émissions canadiennes. Il prétendait que, d'après les statistiques, plusieurs de ces entreprises vivent un peu comme des champignons. Que pensez-vous de l'idée de donner cet argent aux radiodiffuseurs plutôt qu'aux entreprises privées?

M. Pilon: De manière générale, madame Tremblay, je ne serais pas très favorable à cela. Je pense qu'on a réussi, dans les 15 ou 20 dernières années au Canada, à développer une industrie indépendante de la production télévisuelle, un peu moins de la production de films, surtout au Canada anglais et un peu plus au Québec - la production télévisuelle s'est beaucoup développée au Canada anglais, où elle est très bonne, très forte - et de la production de disques, où de plus petites entreprises font de la production. On a réussi.

.1700

Aujourd'hui, autant au niveau de la musique que de la télévision, mais un peu moins malheureusement au niveau du film, on a une offre de produits canadiens, en français et en anglais, infiniment plus importante qu'il y a 20 ans. Je pense que c'est attribuable à la coopération entre les radiodiffuseurs, les télédiffuseurs et les producteurs et au fait que se sont développées tout d'abord de petites entreprises, et parfois des entreprises un peu plus grosses, de production de films, de disques et d'émissions de télévision. Le dynamisme des petites et moyennes entreprises en production de produits culturels comme le disque, le film ou la télévision ne peut être remplacé par la production faite par les radiodiffuseurs qui, malheureusement, à cause de leur taille, ont parfois des structures bureaucratiques un peu lourdes.

Mme Tremblay: Pour obtenir une subvention de Téléfilm Canada, il ne faut pas avoir plus d'un projet ou deux. Pensez-vous que ce critère peut être l'un des facteurs qui forcent les gens à créer une nouvelle compagnie pour avoir une subvention qu'ils n'auraient pas autrement? Comment est-ce que cela s'explique? On nous a dit que les entreprises poussaient comme des champignons, mais qu'elles mouraient aussi vite, parfois au bout de 48 heures.

M. Pilon: Pour ce qui est de la production de films, les gens qui nous succéderont à cette table, les gens de l'APFTQ et de l'ACPFT, pourront répondre plus adéquatement que moi. D'une manière générale - on a connu le phénomène dans le domaine du disque - , la multiplication indue du nombre de producteurs n'est pas une bonne chose. Il doit y en avoir un certain nombre et on ne doit pas éparpiller l'aide financière. Il ne faut pas multiplier artificiellement le nombre d'entreprises. Cela étant dit, je demeure convaincu que rien ne peut remplacer le dynamisme des entreprises indépendantes en production d'émissions de télévision et de disques.

Mme Tremblay: Vous nous parlez à plusieurs endroits des décrets, des points sur lesquels vous êtes d'accord, des points faibles, des lacunes. Vous mentionnez aussi, à la page 16, qu'on devrait globalement donner la priorité aux services canadiens plutôt qu'aux services étrangers. Est-ce que les décrets sont trop ou pas assez précis?

M. Pilon: Nous avons élaboré sur cette question aux pages 13 à 17 de notre mémoire. Ces pages n'étaient pas dans le mémoire que nous avons présenté au Comité du Sénat.

Vous soulevez une question extrêmement importante, madame Tremblay. À notre avis, c'est un peu un faux débat, en ce sens que la question n'est pas de savoir si on a un libellé trop ou pas assez détaillé. Il s'agit de savoir si ce qu'on met dans le libellé est une question de principe de politique de radiodiffusion ou non. Si c'est une question de principe de radiodiffusion, même si c'est détaillé, cela ne pose pas de problème. Je vais vous donner un exemple.

Mme Tremblay: Est-ce que vous renvoyez au paragraphe 3(1) de la loi?

M. Pilon: Tout à fait.

Mme Tremblay: Ce pourrait être notre barème. Si cela se rattache à l'un ou à l'autre de ces points-là, qui sont assez nombreux puisqu'on va jusqu'à t), il est légitime que ce soit dans le décret, peu importe que ce soit précis ou pas.

Me Drouin: D'ailleurs, dans l'article 7, qui donne au gouvernement le pouvoir de donner des directives, on dit clairement:

La politique canadienne de radiodiffusion, c'est l'article 3. Si le projet de décret se rattache de près ou de loin à un des objectifs de l'article 3,...

Mme Tremblay: ...on ne peut pas le juger précis ou pas assez précis. La précision est un mauvais critère.

Me Drouin: Je vous invite à lire l'article 3, qui est souvent très précis. On parle de dualité linguistique, de minorités, de programmation autochtone, du reflet de toutes ces choses. C'est très précis.

Mme Tremblay: Ce n'est donc pas un critère?

.1705

M. Pilon: C'est un critère. On a indiqué, à la page 19 du mémoire, un certain nombre de grands principes qui doivent apparaître dans le décret. Ces grands principes, qu'on retrouve à l'article 3, n'apparaissent malheureusement pas tous dans le décret. Il y a d'abord le principe de la propriété canadienne effective des entreprises, et pas seulement sur papier; c'est-à-dire que l'entreprise et la programmation doivent être réellement contrôlées par des Canadiens. Il y a aussi le principe de la présentation de la dualité linguistique dans la programmation des entreprises, qui est très important. Je n'en ai pas parlé tantôt, mais un des articles du décret précise que lorsqu'une entreprise de SRD offrira un service anglophone, elle devra également offrir un service francophone, mais avec ce libellé, on pourrait aboutir à une situation où l'entreprise se conforme au décret parce qu'elle offre un seul service francophone: 60 canaux dont un seul canal francophone. Ce serait formellement correct par rapport au décret, mais cela ne respecterait visiblement pas le principe de la dualité linguistique qui apparaît à l'article 3 de la loi. Il y a aussi le principe de la contribution de toutes les entreprises à la création et à la présentation d'une programmation canadienne, le principe de l'utilisation maximale ou à tout le moins prédominante de ressources créatrices canadiennes et le principe de la responsabilité des entreprises.

À notre avis, tous ces principes doivent apparaître clairement. Ce sont des principes qui s'appliquent à l'heure actuelle pour les entreprises de programmation comme TVA ou CTV. Ce sont des principes qui s'appliquent pour la radio, pour la télévision spécialisée et pour le câble. Il n'y a aucune raison pour que ces principes ne s'appliquent pas également pour les entreprises de diffusion par SRD.

Mme Tremblay: Pourriez-vous me dire brièvement quel intérêt l'ADISQ a à se présenter devant nous? Qu'avez-vous à gagner ou à perdre de la télévision par satellite?

M. Pilon: Dans notre mémoire, on fait allusion au dossier de la radio câblée. Je laisserai Me Drouin vous en parler; c'est ce qui nous préoccupe.

Me Drouin: C'est très simple. On a eu à se battre devant le CRTC au cours des deux dernières années face à une tentative d'introduction d'un service du même genre, de plusieurs canaux, dans le domaine de la radio. Il s'agit du dossier de la radio câblée payante.

Je vous fait un rappel historique très bref. Il y a eu plusieurs étapes. Le CRTC a octroyé en juin 1993 deux licences de radio câblée payante à Shaw et à COGECO. Ces licences autorisaient Shaw et COGECO à offrir aux Canadiens un éventail d'une quarantaine de services de programmation de radio spécialisée, comme un canal jazz, un canal rock, etc. On offrait un éventail d'une quarantaine de canaux, dont la majorité - plus d'une trentaine - étaient des canaux américains programmés aux États-Unis et importés au Canada sans aucune modification. Tout le milieu canadien de la musique était convaincu que ces décisions du CRTC allaient complètement à l'encontre des fameux objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion.

On a demandé au gouverneur en conseil de forcer le CRTC à réviser ses décisions. Le gouverneur en conseil a accueilli notre demande et finalement, le CRTC, en août 1994, a décidé d'annuler ses décisions. Vous comprendrez que les services proposés par Shaw et COGECO étaient de nature similaire à ceux qui sont proposés dans les décrets relativement aux services de télévision à la carte.

On se demande comment le CRTC pourrait refuser d'accorder des licences de radio câblée payante, si jamais de nouvelles demandes de licences étaient déposées, s'il était obligé de respecter les décrets tels qu'ils sont proposés par le gouvernement. D'ailleurs, ce n'est pas une question théorique, mais une question pratique puisque le CRTC a publié, le 1er juin 1995, un avis public dans lequel il dit avoir reçu des demandes de licences pour de nouveaux services de radio câblée payante.

Pour nous, si le gouvernement adoptait des décrets comme ceux-là, il créerait un précédent très dangereux et nous n'aurions aucune base pour aller devant le CRTC et faire valoir nos représentations. Le CRTC pourrait nous opposer ce genre de décret en disant: «On est une organisation cachère en ce qui a trait aux directives du gouvernement.»

Mme Tremblay: Vous pensez que c'est un précédent moins dangereux d'utiliser les décrets comme il l'a fait?

Me Drouin: Oui.

Le président: Comme d'habitude, nous ne savons pas ce qui se passe ailleurs, à la Chambre. Je crois qu'on ferait mieux de vous remercier, de faire une petite pause de deux minutes et de demander à nos prochains invités de faire leur présentation. Nous serons probablement interrompus, mais nous reviendrons plus tard. Je remercie les représentants de l'ADISQ.

.1710

PAUSE

.1713

[Traduction]

Le président: Nous sommes à nouveau de retour et Dieu seul sait combien de temps cela durera avant que le timbre ne se fasse entendre à nouveau. Je propose que nous ne fassions pas attention au timbre tout de suite, quitte à partir à la course pendant les cinq dernières. Alors sans plus tarder, nous allons commencer, et j'inviterais nos invités à se présenter et à faire leur exposé collectif.

[Français]

Mme Louise Baillargeon (présidente et directrice générale, Association des producteurs de films et de télévision du Québec): Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité. Je m'appelle Louise Baillargeon et je suis présidente et directrice générale de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec.

Nous sommes heureux de répondre à votre invitation et de vous faire part de nos commentaires sur les projets de décrets d'instruction au CRTC. Mme Suzanne D'Amours, directrice générale adjointe de l'Association, vous présentera un court résumé de notre mémoire.

Mme Suzanne D'Amours (directrice générale adjointe, Association des producteurs de films et de télévision du Québec): Nos premières préoccupations en ce qui a trait aux projets de décrets concernent le caractère trop spécifique, d'une part, et la portée rétroactive, d'autre part, de certaines de leurs dispositions.

Lorsque la Commission de réforme du droit du Canada, dans son rapport portant sur les organismes administratifs autonomes, aborde la question du pouvoir de directive du gouvernement, elle en souligne les dangers. Un tel pouvoir inspire la crainte de l'arbitraire politique, surtout quand il s'exerce envers un organisme de réglementation.

C'est pourquoi elle recommande un certain nombre de règles qui devraient impérativement circonscrire ce pouvoir, parmi lesquelles figurent notamment: 1) que les directives n'aient pas d'effets rétroactifs; 2) qu'elles soient formulées en termes généraux.

.1715

À la lecture des projets de décrets, il nous semble évident que ceux-ci échappent à ces deux règles de base. D'une part, les projets de décrets sont trop spécifiques. Ils interfèrent dans le processus de mise en oeuvre de la politique, voire même dans le processus concret d'attribution de licences.

Ce faisant, ils remettent en cause les principes d'autonomie, d'intégrité et d'indépendance du CRTC, principes auxquels nous accordons une importance primordiale dans la mesure où ils fondent la crédibilité du Conseil auprès de l'industrie comme auprès du public.

D'autre part, les projets de décrets auront incontestablement un effet rétroactif, cela puisqu'une entreprise canadienne de distribution par SRD se conformant en tous points à la loi et à la réglementation a été dûment autorisée à entrer en service et que cette autorisation serait annulée par les décrets.

Nous tenons à exprimer notre vive inquiétude face aux précédents qui seraient ainsi créés et surtout face au climat d'incertitude permanente et chronique qui risque d'en résulter pour l'ensemble des entreprises de radiodiffusion canadienne.

Les projets de décrets font obligation aux entreprises de distribution par SRD, d'une part, et aux entreprises de programmation de télévision à la carte par SRD, d'autre part, de détenir une licence.

Sur le fond, nous sommes en accord sur la première de ces recommandations. Nous avons en effet maintes fois insisté sur le fait que le pouvoir d'exemption du CRTC ne devait être utilisé qu'avec une extrême parcimonie. Nous aurions souhaité, en fait, que la décision d'obliger les entreprises de distribution par SRD à détenir une licence soit prise d'entrée de jeu. Mais, puisque tel n'a pas été le cas, nous croyons qu'il appartient au gouvernement de trouver une solution qui permette de concilier le respect des principes d'équité et des pratiques de droit généralement admises avec la volonté exprimée par le groupe de travail d'assujettir les entreprises de distribution par SRD à l'obligation de détenir une licence.

À cet égard, nous croyons que la formulation proposée par le CRTC, dans sa lettre du 24 avril 1995 au sous-ministre du Patrimoine canadien, permettrait, si elle était retenue, de concilier ces deux objectifs.

Nous sommes évidemment en accord sur le fait que le service canadien de télévision à la carte soit assujetti à l'obligation de détenir une licence. Nous nous interrogeons toutefois sur la nécessité d'assujettir ces entreprises à l'obligation de détenir des licences distinctes selon qu'elles sont distribuées via le câble ou via SRD.

Notre compréhension était que les entreprises de distribution par SRD ne seraient autorisées à distribuer que des services de programmation déjà licenciés exemptés ou autrement autorisés par le CRTC pour distribution au Canada et que les services canadiens déjà licenciés pourraient être distribués par les nouvelles entreprises de distribution par SRD sans avoir à requérir une nouvelle licence à cet effet.

Nous ne sommes pas opposés à ce que des services de télévision à la carte soient constitués exclusivement aux fins de distribution par SRD et, dans ce cas, ils devront évidemment être assujettis à l'obligation de détenir une licence. Mais il nous semble que toutes les entreprises de télévision à la carte, qu'elles soient distribuées exclusivement par le câble, exclusivement par SRD ou par les deux moyens de distribution, devraient être assujetties aux mêmes obligations et aux mêmes conditions de licence. Donc, une seule catégorie de licence serait suffisante.

Nous sommes extrêmement préoccupés par les effets désastreux qu'aurait l'extension au secteur de la radiodiffusion du concept de droit nord-américain de distribution, concept que nous imposent depuis des décennies les majors américaines dans le secteur du cinéma.

Dans son rapport, le groupe de travail affirme qu'en interdisant par condition de licence aux entreprises de programmation de télévision à la carte d'acquérir le droit exclusif de distribution de la programmation à la carte au Canada, y compris les longs métrages, il résout le problème et prévient la mise en place de pratiques d'acquisition de droits nord-américains.

Il nous semble que cette convinction est non fondée et repose sur une méconnaissance de la Charte des droits et des décisions. Ce sont évidemment les distributeurs américains titulaires des droits qui ont imposé le concept de droit nord-américain dans le secteur du cinéma, et non les exploitants de salles canadiens. Même si les entreprises canadiennes de télévision à la carte sont contraintes, par condition de licence, à n'acquérir que des droits non exclusifs de distribution, rien n'interdit aux entreprises de télévision à la carte américaines de conclure des ententes avec les majors américaines, leur conférant des droits nord-américains exclusifs de distribution à la télévision à la carte.

Dès que l'on accepte le principe d'autoriser un service de programmation de télévision à la carte, en rayonnement nord-américain, on favorise l'implantation du concept de droit nord-américain de distribution dans ce secteur et on risque de priver les entreprises canadiennes qui desservent exclusivement le marché canadien, qui est considéré comme marché de radiodiffusion distinct, de toute possibilité réelle de concurrencer pour acquérir des produits essentiels à leur formule de programmation.

En conséquence, elles risquent de se retrouver, tôt ou tard, dans la situation des distributeurs indépendants canadiens face aux majors.

.1720

Un autre aspect des recommandations du groupe de travail qui nous préoccupe, c'est la priorité absolue qu'il suggère d'accorder à la concurrence au détriment de toute autre considération, notamment des considérations de viabilité, de rentabilité et de bonne santé financière de l'ensemble du système de la radiodiffusion canadienne.

Une telle recommandation étonne et va radicalement à l'encontre de la politique établie depuis une douzaine d'années par le Conseil en ce qui a trait à l'attribution des licences et de nouveaux services de programmation. Cette politique soutenue et appuyée par l'ensemble des intervenants lors des audiences portant sur la structure de l'industrie considère comme constituants les facteurs importants dans l'évaluation des demandes, la demande du marché pour le service proposé, la viabilité financière des requérantes et de leurs propositions et les répercussions possibles sur les titulaires actuels.

Cette politique est saine. Elle nous apparaît même comme la seule politique raisonnable et viable dans une perspective tant industrielle que de développement culturel.

Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, l'essentiel de nos préoccupations. Nous sommes disposés à répondre à vos questions après la présentation de M. Allan King, qui représente un regroupement dont nous faisons partie.

[Traduction]

M. Allan King (Président, Guilde des réalisateurs du Canada): Bonjour, monsieur le président. Je m'appelle Allan King et je suis président de la Guilde des réalisateurs du Canada, qui représente plus de 1 500 créateurs dans l'industrie du film et de la télévision, à l'échelle du Canada.

Comme vous le savez, le 2 juin dernier, la Guilde des réalisateurs a déposé, de concert avec le gouvernement, une solution portant sur la politique en matière de SRD. Ce mémoire avait été préparé par des représentants de sept organismes de créateurs, producteurs et réalisateurs de programmes culturels canadiens. Vous venez juste d'entendre l'un de ces groupes, l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec, représentée par Louise Baillargeon et Suzanne D'Amours.

Deux autres groupes, qui ont également pris part à cette soumission commune, c'est-à-dire SARDEC et l'ADISQ, ont déjà comparu devant le comité. Nous avons aussi collaboré avec trois autres organismes canadiens, à savoir l'Association canadienne de producteurs de films et de télévision, la Canadian Independant Record Production Association et la Writers Guild of Canada.

Je tiens à vous présenter les excuses de Mireille Watson, présidente par intérim de la CPFT qui espérait être ici, mais qui n'a pu se joindre à nous.

Enfin, je tiens à vous présenter notre conseiller juridique, Me Peter Grant, expert reconnu en matière de droit de la communication et de politique culturelle. Il a récemment présidé un groupe d'experts sur les services de programmation complémentaires, qui a déposé son rapport auprès du ministre du Patrimoine canadien la semaine dernière. Louise Baillargeon et moi-même avons siégé à ce groupe.

Mes remarques liminaires seront brèves.

Nos divers organismes veulent surtout que notre système de radiodiffusion accorde un appui adéquat à l'expression de la culture canadienne. La constitution d'un service de radiodiffusion directe au Canada constitue une gageure, mais elle est aussi l'occasion pour nous de nous doter d'une structure destinée à protéger et à renforcer notre souveraineté culturelle.

Dans la soumission écrite que nous avons faite au gouvernement, nous soulignons qu'il y a, dans le rapport du groupe de travail sur le SRD, bien des choses avec lesquelles nous pouvons être d'accord. Nous n'avons certes pas de problème à envisager l'instauration d'une concurrence dans le domaine de la distribution du SRD. En fait, si l'on a reconnu les distributeurs canadiens officiels de SRD, c'était pour créer une concurrence à la câblodistribution.

Nous estimons également préférable la solution de l'attribution de licences de SRD à celle de l'exemption des services. Cela étant posé, nous avons cependant conclu que le groupe de travail a erré de façon fondamentale à certains égards et que le gouvernement ne doit pas perdre cela de vue avant de communiquer quelque orientation que ce soit au CRTC.

Nous estimons tout d'abord que l'analyse à laquelle le groupe de travail s'est livré au sujet des conséquences de l'instauration d'une concurrence au niveau des services de télévision à la carte est défaillant en ce qui touche à l'acquisition des droits. En outre, la recommandation du groupe de travail d'opter pour la non-exclusivité est plutôt superficielle et elle fait fi de toutes les autres pratiques commerciales risquant d'avoir des effets néfastes sur la concurrence.

Mais il y a plus important encore. Le groupe de travail ne s'est pas rendu compte que son modèle risquait de faire monter le prix des produits américains et de provoquer une diminution des sommes dont pourraient disposer les créateurs canadiens. Nous estimons que la question d'une concurrence possible dans le domaine du service de télévision à la carte doit être décidé dans le cadre des audiences du CRTC et fondé sur de véritables plans d'entreprise.

.1725

Deuxièmement, nous estimons que le groupe de travail a eu tort de ne pas tenir compte des problèmes que pouvait occasionner le fait d'autoriser un distributeur de SRD canadien à posséder et à exploiter un service de télévision à la carte, en se servant de son système de satellite, sans être contraint pour autant à donner accès à tous les services de programmation canadiens faisant l'objet d'une licence.

La structure à laquelle le groupe de travail a accordé sa préférence, qui favorise l'intégration verticale sans tenir compte de ses effets discriminatoires, finira par porter tort à tous les services canadiens de télévision à la carte. Cette structure est en contradiction avec la politique gouvernementale qui consiste à exiger de tous les services de distribution qu'ils accordent un accès équitable aux actuels titulaires de licences canadiennes. Plus important encore, elle débouchera sur une diminution des revenus disponibles pour les créateurs canadiens.

Troisièmement, nous pensons que, afin d'accorder les mêmes conditions à tous les distributeurs de SRD, le groupe de travail a favorisé un scénario où l'arrivée sur le marché d'un service officiel de SRD canadien risque d'être retardé d'un ou plus. Outre ses répercussions juridiques, nous pensons que cette décision sera simplement favorable au marché parallèle de la télévision directe par satellite, et retardera l'instauration d'une concurrence légale avec la câblodistribution, aux dépens des consommateurs canadiens.

Nous sommes donc favorables au maintien du décret d'exemption, pendant une période transitoire, jusqu'à ce que toutes les licences de SRD aient été accordées.

Quatrièmement, nous estimons que le groupe de travail a grossièrement sous-estimé la part que les entreprises de SRD et les services de télévision à la carte devraient jouer sur le plan du contenu canadien.

Enfin, nous croyons que le groupe de travail est passé à côté de la nécessité qu'il y a d'imposer aux services de télévision à la carte d'acquérir des films n'étant pas produits par des studios, auprès de distributeurs canadiens.

La plupart de ces aspects sont traités plus en profondeur dans notre soumission mixte.

Merci beaucoup, monsieur le président et vous-mêmes mesdames et messieurs les membres du comité, de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant vous. Nous allons à présent nous faire un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Merci d'avoir été aussi bref dans vos remarques liminaires.

Je crains que les membres du comité ne se montrent de plus en plus nerveux, à cause de la sonnerie qui nous appelle au vote. Je vous invite à prendre un thé, par exemple, pendant que nous allons nous absenter pour faire notre devoir.

Nous reviendrons le plus tôt possible, mais je ne puis vous dire quand exactement. Peu importe, nous allons venir et nous allons poursuivre ces audiences avec nos témoins. Encore une fois, acceptez toutes mes excuses pour le caractère désordonné de notre démocratie parlementaire.

Merci.

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