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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mai 1995

.0935

[Traduction*]

Le président: La séance est ouverte. Le comité reprend son examen du projet de loi C-76. Nos premiers témoins ce matin représentent l'Organisation nationale anti-pauvreté. Lynne Toupin en est la directrice, et François Dumaine, le directeur adjoint.

Bienvenue.

Mme Lynne Toupin (directrice, Organisation nationale anti-pauvreté): Je voudrais commencer par vous remercier de nous donner aujourd'hui l'occasion de présenter notre point de vue au sujet de ce projet de loi très important.

Comme vous l'aurez remarqué, notre document n'est pas très volumineux. Mais ce n'est certainement pas parce que ce projet de loi ne nous préoccupe guère; le fait est que nous avons été très pris par notre assemblée générale annuelle et la réunion des administrateurs de l'organisation qui ont eu lieu la semaine dernière à Régina. Lors de la rencontre des administrateurs, l'abrogation du RAPC prévue par le projet de loi C-76 a en effet fait l'objet d'une longue discussion.

Notre conseil d'administration est composé de 22 membres représentant toutes les régions du pays. À l'heure actuelle, je dirais que plus de 90 p. 100 de nos administrateurs sont des personnes qui vivent bien au-dessous du seuil de la pauvreté. Ce projet de loi aura une incidence très réelle et importante sur leur vie et sur leur avenir.

Nous avons préparé un mémoire à votre intention. Nous savons très bien qu'on vous a déjà fait valoir les mêmes arguments. Nous croyons comprendre en effet que vous avez déjà reçu plusieurs témoins dont la position est sensiblement la même que la nôtre. Nous allons donc éviter d'aborder en détail toutes nos préoccupations concernant le projet de loi C-76. Nous allons nous en tenir aujourd'hui à quatre points clé.

D'abord, dans l'optique de nos membres, quelle va être l'incidence de l'abrogation du régime d'assistance publique du Canada?

Deuxièmement, nous aimerions vous communiquer certaines données que nous avons obtenues, concernant notamment la situation dans certains États américains, qui illustrent bien les conséquences pour la population lorsque le gouvernement fédéral n'a plus aucune responsabilité vis-à-vis des programmes sociaux et lorsque les États - puisqu'il s'agit en l'occurrence d'États américains - peuvent modifier à leur guise les programmes sociaux.

Nous voulons également vous parler brièvement des obligations du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits économiques, sociaux et culturels.

Enfin, nous allons exhorter le comité à prévoir une procédure distincte pour le traitement de certains articles du projet de loi.

En ce qui concerne l'incidence de l'abrogation du RAPC, je crois que de nombreux témoins vous en ont déjà parlé en long et en large au cours des quelques dernières semaines. Nous allons donc nous contenter de vous présenter les préoccupations des Canadiens à faible revenu.

D'abord, comme d'autres organisations l'ont déjà dit avant nous, le projet de financement global prévu dans ce projet de loi est tel que les programmes de soutien du revenu et de services sociaux vont nécessairement être le parent pauvre des deux autres programmes, puisque les crédits qui permettent de financer les trois programmes vont maintenant être regroupés. Certains premiers ministres provinciaux ont déjà déclaré, d'ailleurs, qu'il ne sera pas possible de maintenir le même niveau de financement pour les programmes de soutien du revenu.

Nous nous rendons très bien compte que dans les provinces, les hommes et femmes politiques qui veulent rester au pouvoir préféreront financer les programmes d'éducation postsecondaire et de soins de santé, plutôt que les programmes sociaux. La semaine dernière, nous avons eu l'occasion de rencontrer plusieurs ministres qui font partie du gouvernement de la Saskatchewan pendant notre séjour à Régina. L'un des ministres a d'ailleurs confirmé nos soupçons puisqu'elle nous a clairement indiqué qu'une réduction des crédits fédéraux diminuera nécessairement les sommes disponibles pour financer les programmes de soutien du revenu. Elle nous a dit cela très clairement, en nous expliquant que nous aurions à faire face à cette nouvelle réalité. Nous avons donc la certitude que les programmes d'assistance sociale vont faire l'objet de compressions.

Troisièmement, nous craignons que des catégories entières de bénéficiaires ne puissent plus recevoir l'assistance sociale. En Alberta, le premier ministre Klein a déjà dit qu'il voudrait, dans les plus brefs délais, retirer les prestations d'assistance sociale à toutes les personnes seules qui sont aptent à travailler. À ce sujet, nous aimerions justement vous parler de l'expérience américaine et des conséquences pour la population d'une telle orientation, surtout si le taux de chômage reste élevé.

Comme il n'y aura aucune voie de recours si vous décidez d'abroger le RAPC, les gens vont peut-être recevoir une somme qui ne correspond aucunement à leurs besoins réels.

De plus, pendant des périodes de récession économique, il est très peu probable qu'on décide d'augmenter les crédits consacrés à ces programmes face à l'accroissement du nombre de personnes nécessiteuses. Encore une fois, c'est une de nos plus grandes craintes. Nous craignons que les crédits disponibles soient moins importants, alors que le nombre de personnes nécessiteuses augmente, ou inversement, que les provinces décident de prévoir une somme fixe pour des programmes de ce genre et que même si vous leur expliquez que vous avez besoin de prestations de soutien du revenu, elles vont simplement vous répondre qu'il n'y a plus d'argent.

.1010

[Français]

Nous, et beaucoup d'autres groupes, avions donné des exemples concrets pour expliquer où on pouvait aller chercher de l'argent pour éviter de couper dans les programmes sociaux.

On trouve qu'il est essentiel d'informer les Canadiens et les Canadiennes de ce débat pour qu'ils comprennent, de façon très claire, ce qui est à risque, ce qui pourrait être fait et comment on peut continuer à payer pour nos programmes sociaux, parce qu'on est convaincu qu'on peut le faire et parce qu'on veut quand même rester distincts et différents des États-Unis.

Un commentaire d'un journaliste, que j'ai trouvé absolument intéressant, était à cet effet: «Écoute, dans cinq ou dix ans, si notre système de santé est tel qu'on en est à deux niveaux, qu'on n'a plus accès à un revenu minimum si on est en difficulté, si on a besoin d'aide, pourquoi est-ce que je resterais au Canada? Pourquoi est-ce que beaucoup de gens resteraient ici? Il n'y a rien qui va différencier ce qu'on est comme pays, comme nation.

J'ai trouvé quand même intéressant que, dans 10 ans, peut-être que beaucoup de gens vont arriver à cette même conclusion et dire : «À vrai dire, il fait plus beau et plus chaud là-bas; pourquoi ne pas aller m'y installer, parce qu'il n'y a rien qui nous différencie?»

M. Loubier: On a souvent l'impression que les décisions gouvernementales sont prises pour faire plaisir à mes collègues réformistes absents aujourd'hui. Vous voyez quelle compassion ils ont, quelle complicité ils ont avec les personnes les plus pauvres de la société. C'est comme ça chaque fois qu'il y a des groupes antipauvreté, des groupes qui se préoccupent du chômage ou de groupes sociaux, c'est ça, la présence des réformistes. Ce gouvernement essaie de satisfaire des gens qui ne se soucient même pas de l'avenir des plus démunis. Alors, qu'est-ce que vous voulez! Je trouve ça horrible.

Le président: Ce n'était pas une question.

M. Loubier: Non, j'ai le droit de dire ce que je veux.

[Traduction]

Le président: Madame Toupin et monsieur Dumaine, il y a une chose que notre Comité des finances peut faire - même si cela ne correspond pas nécessairement à son mandat traditionnel - et c'est mettre en relief les arguments que vous avez fait valoir devant nous aujourd'hui. L'ensemble des études indiquent que la proportion des personnes qui abusent du système d'assistance sociale est de 3 p. 100 au maximum. Nous ne pouvons donc invoquer cet abus pour réduire cet l'accès à nos programmes. À mon avis, il faut absolument bien faire comprendre cela à tous les Canadiens.

Deuxièmement, vous avez clairement indiqué qu'en l'absence d'une contribution pécuniaire fédérale, il nous sera impossible d'établir des normes pan-canadiennes ou de nous assurer que les besoins des personnes les plus défavorisées sont satisfaits. À mon avis, vous allez constater que les députés de notre parti appuient vivement l'idée que les transferts fédéraux comprennent une contribution pécuniaire.

Encore une fois, vous avez défendu vos membres avec conviction et éloquence.

Excusez-moi, monsieur Discepola.

M. Discepola: Madame Toupin a également attiré notre attention sur un autre fait important, à savoir que la période maximale pendant laquelle un bénéficiaire moyen reçoit des prestations va de six mois à un an.

Mme Toupin: Oui, cela varie d'une région à l'autre, mais dans l'ensemble, on peut dire que la moyenne nationale est de 6 à 12 mois environ.

M. Discepola: C'est un élément très important, car il existe encore ce mythe que les gens continuent à recevoir l'assistance sociale pendant des générations.

Mme Toupin: J'ajouterais, monsieur Discepola, que plus de 70 p. 100 des assistés sociaux travaillent pendant qu'ils reçoivent des prestations. De plus en plus, les faibles salariés sont obligés de demander l'assistance sociale pour joindre les deux bouts.

Encore une fois, je crois que le profil de la pauvreté préparé par le Conseil national du Bien-être en 1993 a bien insisté sur ce point. Il y a énormément d'assistés sociaux qui ne se contentent pas de rester à la maison à attendre leurs chèques. Souvent ils travaillent à temps partiel ou ils continuent à chercher du travail ou à décrocher des contrats. Très souvent ils y arrivent. Donc, je crois que nous avons une idée stéréotypée de l'assisté social moyen. Vous rendriez un grand service à ces personnes si vous pouviez dissiper un certain nombre de mythes concernant les Canadiens à faible revenu.

Le président: L'un des témoins que nous avons reçus précédemment travaillait également avec les personnes les plus pauvres au Canada. Elle nous a dit qu'elle n'avait encore jamais rencontré un assisté social qui ne voulait pas travailler.

Vous avez fait valoir vos arguments avec beaucoup de conviction, comme d'habitude. J'admire beaucoup votre organisation. Vous faites un excellent travail avec peu de ressources. Votre groupe défend les droits de personnes qui ont besoin d'être représentées devant la majorité des comités parlementaires, et surtout le nôtre. Donc, je vous félicite ainsi que votre organisation pour votre contribution fort valable aux travaux du comité.

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Nous vous remercions infiniment de votre présence.

Notre prochain témoin est la

[Français]

Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université.

Le président: Monsieur Denis, je vous souhaite la bienvenue.

M. Roch Denis (président, Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université): Merci, monsieur le président.

Je suis Roch Denis, président de la Fédération québécoise des professeurs d'université. Notre fédération regroupe 18 associations et syndicats de professeurs dans autant d'établissements universitaires du Québec. Elle a été fondée en 1991. Elle poursuit des buts d'action concertée, démocratique, de défense des intérêts de ses membres et elle se porte aussi à la défense des intérêts du statut de l'institution universitaire au Québec.

Je vais, si vous me le permettez, présenter les grandes lignes de la démarche que constitue notre comparution de ce matin. J'illustrerai mon propos, vous le comprendrez, par un certain nombre d'exemples plus particulièrement reliés à la situation des universités au Québec même et à la question telle qu'elle s'y pose.

Voulez-vous m'indiquer, monsieur le président, de combien de temps je dispose environ pour faire mon exposé?

Le président: Nous vous avons alloué 45 minutes pour la présentation de votre exposé et pour les questions et réponses. En principe, les meilleurs témoins qui se sont présentés devant nous ont laissé une plus grande partie du temps aux questions.

M. Denis: Je vais essayer de faire partie des meilleurs.

Le président: Merci.

M. Denis: La Fédération des professeurs d'université remercie le Comité permanent des finances de la Chambre des communes de lui donner l'occasion d'exposer son point de vue sur le projet de loi C-76.

La FQPPU, notre fédération, a été reçue le 7 décembre 1994 dans le cadre des audiences sur le projet de réforme Axworthy tenues par le Comité permanent de la Chambre des communes sur le développement des ressources humaines.

À cette occasion, nous avons joint notre voix à celle de dizaines d'autres organismes canadiens et québécois pour témoigner notre opposition à cette réforme.

Tant du point de vue de la philosophie qui l'inspirait que de ses mobiles financiers liés à un programme sans précédent de compressions budgétaires, cette réforme était porteuse d'effets très négatifs pour l'enseignement postsecondaire, d'un bout à l'autre du Canada.

Nous avons, à cette occasion, souligné l'impact inévitable de la réforme et de la politique budgétaire fédérale sur l'accessibilité de milliers d'étudiants et d'étudiantes à l'enseignement supérieur, sur la qualité de la formation offerte en lien avec le manque de moyens et de ressources allouées aux provinces et sur la capacité spécifique du Québec de poursuivre, conformément à ses responsabilités constitutionnelles, l'effort de société consenti depuis 30 ans au développement universitaire, face au processus de normalisation-centralisation mis en oeuvre par le gouvernement fédéral.

Nous avons cru pendant un moment que les témoignages exprimés par de nombreuses personnes et de nombreux groupes avaient inspiré la sagesse au gouvernement et qu'il avait, en conséquence, retiré le projet piloté par le ministre Axworthy.

Or il n'aura fallu que quelques semaines, en février et en mars 1995, pour que notre espoir soit déçu. Par le budget déposé et par le projet de loi C-76 destiné à le mettre en oeuvre, le gouvernement s'engageait à réaliser sous un autre nom, celui de Transfert social canadien, l'essentiel du contenu de la réforme tant décriée. À tel point, qu'on pouvait se demander à quoi avait bien pu servir la consultation de l'automne 1994.

Pire encore, alors que dans le document de travail servant de base à la réforme Axworthy l'enseignement postsecondaire était traité en tant que tel et pouvait faire l'objet d'un débat public explicite, il est cette fois à peu près totalement camouflé, et c'est par déduction et en référence à l'impact des compressions budgétaires imposées aux provinces par le gouvernement fédéral, que l'intervention des organismes comme le nôtre doit se faire.

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Après que nous ayons en vain demander au gouvernement d'Ottawa une analyse des impacts de son budget et de sa réforme des programmes sociaux, et que nous ayons sollicité, encore récemment, auprès du ministère des Finances des documents d'information permettant de discuter à fond des effets de sa politique sur l'éducation postsecondaire, des scénarios, des hypothèses, rien de cela de tout cela n'a pu nous être fourni. Nous avons dû nous résigner à l'absence complète de cette information. La Fédération considère que cette façon de procéder révèle un manque de transparence inacceptable sur un enjeu de société aussi majeur que celui de l'éducation, et en particulier de l'éducation postsecondaire.

En vertu des plans du gouvernement fédéral, sept milliards de dollars seront retranchés dans les transferts aux provinces d'ici 1998, en deux tranches successives de 2,5 milliards de dollars en 1996-1997 et de 4,5 milliards de dollars en 1997-1998.

Considérant le cas spécifique du Québec, le désengagement fédéral signifiera un manque à gagner de 650 millions de dollars en 1996-1997 et de 1,2 milliard en de dollars 1997-1998. Si la répartition de l'enveloppe du Transfert social canadien entre les provinces devait se faire selon le critère de la population, on évoque même le chiffre de 1,9 milliard de dollars de pertes que devrait subir le Québec en 1997-1998.

Un des aspects les plus importants du projet de Transfert social canadien concerne l'extension de la politique des «normes nationales» qui avaient et a toujours cours dans la santé au domaine de l'éducation.

En effet, le projet de loi C-76 assimile l'éducation postsecondaire aux programmes sociaux visés. Outre la santé qui est d'ores et déjà l'objet de normes en vertu desquelles le gouvernement fédéral régit ses transferts aux provinces, le dispositif de C-76 annonce une recrudescence de la volonté fédérale d'introduire des normes et principes pan-canadiens dans l'éducation postsecondaire.

Notre Fédération rejette totalement cette politique.

D'une part, l'édiction de normes constituerait une ingérence dans les prérogatives du Québec en matière d'éducation et l'argument selon lequel cette normalisation se ferait par consentement mutuel, plutôt que d'être imposée, ne change rien à l'affaire, selon nous. Après avoir sollicité le consentement des provinces, le gouvernement fédéral se réserve implicitement le droit, en cas de désaccord, d'établir ces normes.

Au lieu de cette politique centralisatrice, Ottawa devrait laisser aux provinces, et au Québec en particulier, l'entière conception et définition de son système d'éducation.

Cette orientation reflète la position traditionnelle du Québec. Cité en 1988 dans un avis transmis par le Conseil des universités au ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science du Québec, le ministre québécois des Finances de l'époque, M. Gérard D. Lévesque, établissait ainsi la position du Québec: «Il faut d'abord que le gouvernement fédéral assume pleinement ses responsabilités dans le financement de ces programmes à croissance rapide qui font aujourd'hui problème. Pour respecter l'esprit qui a prévalu lors de l'implantation de ces programmes, il ne doit pas se retirer comme il le fait présentement sans compensation, d'autant plus que ce faisant, le gouvernement fédéral transfère aux provinces les moins bien nanties un fardeau additionnel relativement plus lourd. Le gouvernement fédéral devrait plutôt se retirer de ces secteurs, moyennant une compensation sous forme de points d'impôt additionnels et laisser aux provinces la pleine autonomie dans l'exercice de leurs responsabilités constitutionnelles». C'était en 1988 dans le discours du Budget prononcé à l'époque par le ministre des Finances.

À l'heure actuelle, c'est dans le cadre du processus des États généraux sur l'éducation que le Québec est appelé à faire un examen de ses normes et valeurs dans ce domaine. Le gouvernement fédéral devrait abandonner une bonne fois pour toutes ses intentions de s'ingérer dans le domaine de l'éducation. Et si, comme il l'affirme, Ottawa a à coeur le développement de l'enseignement postsecondaire, qu'il remette aux provinces, par les points d'impôt nécessaires, les moyens leur permettant d'assumer pleinement leurs responsabilités.

La Fédération fait sienne la proposition mise de l'avant par les grandes centrales syndicales du Québec invitant le gouvernement fédéral à augmenter les points d'impôt actuels de l'équivalent de sa contribution en espèces, de sorte que les provinces soient assurées d'un financement plus stable et plus respectueux de leur juridiction exclusive, pour relever les nouveaux défis éducatifs qui sont aujourd'hui les leurs.

Sur le programme des prêts et bourses remboursables aux étudiants, déjà dans les années 1980, le gouvernement fédéral menaçait de contourner le refus des provinces, et particulièrement le refus du Québec, de céder une partie de leur juridiction dans l'éducation postsecondaire, en finançant ou en offrant directement un financement aux étudiants. La Loi C-28, la réforme Axworthy et le Transfert social canadien ont mis cette menace à exécution.

La Fédération s'oppose à cette politique pour les raisons suivantes:

- Le principe des prêts à remboursement proportionnel au revenu fait reposer l'accès à l'enseignement postsecondaire sur les individus, sur les choix et les possibilités des personnes, alors que l'accessibilité à l'enseignement postsecondaire doit être plus que jamais un choix de société, un effort collectif conscient, une priorité désignée comme le meilleur investissement d'une société, une politique d'incitation sociale globale, plutôt que la résultante d'une série d'opportunités d'emprunts bancaires offertes aux individus.

Le gouvernement fédéral tourne le dos à cet engagement collectif et il invite les provinces à faire de même.

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- Le projet de programme de prêts remboursables est tout aussi inacceptable parce qu'il tire son origine d'un plan de compressions budgétaires massives imposées par le gouvernement fédéral aux provinces, compressions qui forceront les étudiants à assumer le fardeau de ce définancement public et les établissements universitaires à réduire encore les conditions de la qualité de l'enseignement et de la recherche.

- Le projet de programme de prêts est enfin tout aussi condamnable parce qu'il court-circuite les prérogatives provinciales et en particulier celles du Québec et prétend donner au gouvernement fédéral un accès direct aux personnes en matière d'éducation postsecondaire. Cela devrait être rejeté avec le maximum d'énergie. L'enseignement supérieur, le financement de l'enseignement supérieur, l'accessibilité, les objectifs de rattrapage de notre société en matière de fréquentation et de diplomation universitaire, tout cela relève exclusivement du Québec. C'est le Québec qui a fait ses choix et doit pouvoir continuer de les faire librement et non pas en devant subir l'ingérence, directe ou indirecte, d'un gouvernement qui tente de faire indirectement ce que la loi lui interdit de faire directement.

En octobre 1994, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec s'était, elle aussi, opposée à ce programme. Son président, M. Claude Hamel, disait: «Pour ce qui est de la proposition de mettre en place un système de «bons d'études» assorti d'un programme de prêts remboursables en fonction du revenu, dont un des effets pourrait être d'entraîner une hausse majeure des droits de scolarité, les universités sont d'avis qu'elle est irréaliste et dangereuse, et qu'elle aura de graves conséquences tant pour les étudiants que pour les établissements. Il importe d'ailleura de rappeler que le Québec n'adhère pas au système canadien d'aide financière aux étudiants et qu'il s'est donné son propre régime».

Au moment où il importe plus que jamais de poursuivre les objectifs de rattrapage en matière d'accessibilité si l'on veut que le Québec puisse faire face aux exigences de la concurrence, et alors que les universités continuent de connaître une situation financière difficile, il est impératif que dans le respect de leurs compétences respectives, les gouvernements trouvent les moyens de sauvegarder l'économie d'un système qui a fait ses preuves, qui fonctionne bien, et qui est essentiel au fonctionnement de notre société.

Sur l'accessibilité, de tous les impacts éventuels qui résulteraient des coupures brutales que le gouvernement fédéral a décidé de faire dans ses transferts aux provinces, le plus dramatique est sans nul doute l'important recul qu'il provoquerait dans l'accessibilité des jeunes et des adultes aux études universitaires. Or, cette accessibilité, comme le reconnaît d'ailleurs le gouvernement fédéral, demeure un élément déterminant du développement socio-économique des nations.

Pour les Québécoises et les Québécois, et je pense pour les Canadiennes et les Canadiens, il importe de le rappeler, la possibilité d'accéder aux études universitaires représente un acquis relativement récent. Au Québec, il y a à peine 30 ans, seule une infime minorité de la population, généralement issue du de milieux bien nantis, avait un accès réel aux universités. Les jeunes du Québec, et particulièrement ceux de langue française, souffraient d'un retard historique majeur en cette matière.

Il aura fallu une grande réforme de l'éducation, initiée par le gouvernement du Québec dans les années 1960 et axée notamment sur l'accessibilité aux études supérieures ainsi que la création de l'Université du Québec pour transformer cette situation. Les progrès ont été rapides et remarquables.

En à peine une décennie, le réseau d'institutions universitaires se développa considérablement et les effectifs étudiants quadruplèrent. Les femmes et les jeunes des régions qui, auparavant, étaient à toutes fins pratiques exclus du monde universitaire y firent une entrée massive. Aujourd'hui, près de 250 000 étudiantes et étudiants poursuivent des études universitaires au Québec.

Pourtant, en dépit des progrès accomplis, le Québec doit poursuivre ses efforts. En 1992, la proportion de la population âgée de 15 ans et plus qui détenait un diplôme universitaire était de11,5 p. 100 au Québec, comparativement à 13,9 p. 100 et à 12,4 p. 100 pour l'ensemble du Canada.

Qui plus est, pour la première fois en 30 ans, le nombre d'inscriptions dans les universités québécoises affiche une baisse de 3 p. 100 à l'automne 1994. Pour notre Fédération, il s'avère difficile de n'établir aucun lien entre cette diminution et la hausse spectaculaire des droits de scolarité exigés des étudiants au cours des dernières années.

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En effet, alors que pendant deux décennies, les frais de scolarité avaient été maintenus à 547$ par année, le gouvernement québécois, subissant lui-même les effets des compressions, a entrepris de les hausser depuis 1989-1990. En fait, les droits de scolarité ont presque triplé en quelques années. Ils se situent aujourd'hui en moyenne à plus de 1 500$ par année.

Imagine-t-on l'impact désastreux qu'aurait une nouvelle hausse brutale des droits de scolarité, mise en oeuvre et propulsée par le programme des compressions fédérales imposées aux provinces, qui risqueraient de doubler dans le meilleur des cas et même, selon certaines estimations, notamment celle de l'AUCC, pourraient grimper rapidement à environ 5 000$ par année.

La mise en place d'un nouveau système de prêts et bourses, tel que l'envisage le gouvernement fédéral, ne compenserait pas, loin s'en faut, l'effet dissuasif certain qu'entraînerait une hausse aussi substantielle des droits de scolarité. Le Québec bénéficie déjà d'un régime gouvernemental de prêts et bourses. Cent quarante-sept mille étudiantes et étudiants y ont fait appel cette année. Mais le niveau d'endettement moyen d'un finissant est déjà en hausse et se situe aujourd'hui à plus de 7 400$. Ce sont des chiffres très conservateurs. Près de 12 000 diplômés rencontrent des difficultés de remboursement et un nombre grandissant de finissants (plus de 500 cette année) n'ont d'autre recours que de déclarer faillite.

Croit-on sérieusement que provoquer la croissance de l'endettement étudiant ne constituerait pas un nouvel obstacle à l'accessibilité aux études supérieures?

La Fédération invite le gouvernement fédéral à renoncer à son projet et à réaffirmer plutôt l'importance pour une société d'assurer au plus grand nombre l'accessibilité à l'université.

Monsieur le président, je vais laisser le soin aux membres de ce Comité la chance de lire les pages qui suivent de notre déclaration. Je m'achemine tout de suite à la conclusion et aux recommandations.

Plutôt que d'être perçue comme une des principales causes de l'endettement fédéral et d'être ainsi identifiée comme une cible naturelle et acceptable des compressions budgétaires envisagées, l'éducation postsecondaire devrait être reconnue comme un investissement indispensable.

La FQPPU croit qu'un gouvernement qui s'avère incapable ou qui refuse de mettre fin aux énormes gaspillages dénoncés chaque année par le vérificateur général, qui continue aussi, malgré certaines compressions, à consacrer trop de ressources au budget de la défense, qui se refuse enfin à réformer un système fiscal qui prive l'État de revenus considérables, n'a pas la légitimité de s'en prendre ainsi, en priorité, à l'éducation postsecondaire et aux programmes sociaux.

La Fédération invite le gouvernement fédéral à fixer d'autres cibles à ses compressions budgétaires que les instruments collectifs de développement que les sociétés canadiennes et québécoises se sont donnés.

En dernier lieu, vous avez les trois recommandations que nous formulons. Je vous remercie de m'avoir écouté.

Le président: Merci, monsieur Denis. Monsieur Loubier, s'il vous plaît.

M. Loubier: Merci, monsieur le président. Merci, monsieur Denis pour cette excellente présentation.

J'aimerais vous poser une seule question. Comment expliquez-vous, malgré l'Histoire - les 30 dernières années surtout - et ce que le Québec a vécu comme communauté avec le Canada, que le gouvernement fédéral ne comprenne toujours pas qu'il s'immisce dans des domaines de juridiction provinciale, au Québec en particulier, et surtout dans le domaine de l'éducation, qui est un des piliers de la culture québécoise, celui qui permet un transfert de génération en génération de cette culture, de la survivance aussi, et qu'un gouvernement Libéral reprend les mêmes travers qu'il avait lors du premier mandat de Pierre Elliott Trudeau et tente d'enfoncer encore une fois dans la gorge du Québec une réforme dont, à l'unanimité, ce dernier ne veut pas? Comment expliquer cela?

M. Denis: Je vais vous répondre de la façon suivante, monsieur Loubier. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement fédéral s'acharne, mais je sais comment, nous, nous avons établi un accord de coopération politique en ce qui a trait à l'université et le monde universitaire avec nos collègues de l'Association canadienne des professeurs d'université. Ces collègues, qui sont d'ailleurs venus témoigner devant ce Comité, ont une orientation différente de la nôtre en ce qui a trait au rôle du gouvernement fédéral dans l'enseignement postsecondaire.

Ils favorisent, par exemple, l'établissement de normes. Chaque fois qu'ils font ces représentations, ils font explicitement exclusion du cas du Québec. Cette orientation, ils ne la défendent pas pour le Québec.

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Ils savent que nous défendons une orientation différente parce que la société québécoise, que le gouvernement fédéral s'acharne à ne pas reconnaître dans sa culture et sa spécificité, ne peut pas adhérer à ce type de politique en vertu duquel, par exemple, un système d'agrément - on dira en français un système d'accréditation des établissements universitaires - puisse traverser le pays d'un bord à l'autre, l'ensemble des provinces, alors qu'au Québec, il y a un système d'accréditation spécifique, il y a une loi des établissements universitaires, il y a des mécanismes et des instances d'élaboration et d'adoption des programmes universitaires, etc.

Je pense que l'appétit de normalisation du gouvernement fédéral grandit avec le programme des compressions budgétaires qu'il impose. Cela ne fait qu'accroître, si vous voulez, ne fait qu'exacerber la contradiction entre ses appétits et les besoins particuliers de notre société et de notre réseau universitaire comme tel.

Je pense qu'il n'y a pas de développement plus innovateur, plus créatif que celui qu'on a vu dans le développement universitaire québécois depuis 30 ans. J'ai lu tous les documents traitant du projet de loi C-76 et les interventions à la Chambre des communes. Or, je ne sais pas pourquoi le ministre Martin nous annonce, comme un avenir brillant, les capacités innovatrices qui seraient données aux provinces en vertu de l'ensemble de compressions budgétaires qui leur sont imposées, alors que depuis 30 ans nous ne faisons que cela, de l'innovation et de la création.

Qui plus est, actuellement, il y a un processus d'états généraux qui est engagé pour toute la société québécoise sur l'éducation et dans le cadre duquel nous faisons l'examen de nos normes et de nos valeurs nationales. Nous n'avons pas besoin d'une espèce de surveillant général ou de régisseur central pour nous encarcaner dans des normes définissant ce que nous voulons comme société, avoir un système d'éducation.

M. Loubier: Monsieur Denis, les défenseurs de l'établissement de ces normes pancanadiennes ont ajouté une nouvelle corde à leur arc en disant qu'avec la mondialisation, l'internationalisation des échanges, il faut s'assurer que, non seulement notre formation ou notre compétence soit reconnue à la grandeur du monde, mais que, d'abord et avant tout, elle soit reconnue dans toutes les provinces canadiennes, qu'il y a une mobilité des ressources humaines pancanadiennes. C'est l'argument principal justificatif pour en arriver à l'établissement des normes pancanadiennes. Que pensez-vous de cet argument?

M. Denis: Je pense que c'est en particulier lié à une conception de l'université comme s'il s'agissait d'une grande école de formation professionnelle. Or, l'université n'est pas une école de formation professionnelle. Elle n'est pas une série de professions pour lesquelles on forme des individus en leur attribuant des diplômes et en leur assurant la mobilité de main-d'oeuvre.

Elle fait, elle remplit en partie cette mission à l'égard du marché de l'emploi, mais on ne saurait respecter sa spécificité en formation fondamentale, en recherche fondamentale. On ne saurait reconnaître sa spécificité si on ne lui donne comme mission que de délivrer des diplômes professionnels. Elle doit pouvoir assurer le développement et la transmission des connaissances et le développement de la recherche.

Lisez toute la documentation des organismes subventionnaires qui subissent l'impact des compressions budgétaires. Je parle des organismes subventionnaires fédéraux et bien sûr aussi des organismes subventionnaires des provinces et en particulier du Québec. Lisez toutes leur documentation; ils vont toutes dans le même sens. L'orientation actuelle met en cause, met en péril le développement universitaire dans les sociétés canadiennes et québécoises. Tous les plaidoyers vont dans le même sens.

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Or, parler d'une harmonisation des critères et de la diplômation dans ce contexte-là, c'est comme discuter de la couleur de la voiture ou des options que nous pourrions vouloir définir en commun sans assurer la base, la fondation de l'édifice. Depuis quand, en Europe, la souveraineté des États a-t-elle empêché ces mêmes États d'établir des normes paneuropéennes ou internationales en matière de diplômation?

Je suis professeur à l'université depuis 25 ans. Mon diplôme, obtenu en Europe, a été l'objet d'une évaluation de sa correspondance avec les diplômes en vigueur ici et en Amérique du Nord. Nous faisons constamment ce type d'équivalence. Cela existe au Canada et existera au Canada quelle que soit l'évolution des situations politiques.

Je ne vois pas pourquoi il faille enrégimenter dans des normes bureaucratiques tous ces dispositifs pour pouvoir faire des choses que nous faisons d'ores et déjà adéquatement dans le respect des juridictions constitutionnelles des provinces.

M. Loubier: Merci, monsieur Denis. C'est clair.

Le président: Merci, monsieur Loubier. Monsieur Discepola, s'il vous plaît.

M. Discepola: Merci, monsieur le président.

Je n'ai pas saisi votre intervention. Êtes-vous d'accord ou non avec l'établissement d'une ou de plusieurs normes pancanadiennes?

M. Denis: Non, pas du tout.

M. Discepola: Donc, vous trouvez tout à fait normal qu'un jeune diplômé du Québec n'ayant pas complété ses études ne peuve pas aller dans une autre province ou vice versa pour compléter ses études?

M. Loubier: C'est faux. Cela se fait...

M. Discepola: Est-ce que je vous ai interrompu quand vous avez parlé, cher collègue?

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

M. Discepola: Est-ce que vous trouvez cela tout à fait normal...?

Le président: Le père Peterson veut un peu d'ordre.

M. Discepola: Dans le contexte, vous avez déjà dit qu'un diplômé d'Europe peut aller ailleurs et pratiquer sa discipline. C'est totalement faux. Un diplômé, un jeune ingénieur, par exemple, qui a un diplôme des État-Unis ou vice versa ne peut pas automatiquement pratiquer sa discipline au Québec ou au Canada sans passer d'examens. La même chose s'applique aux dentistes ou autres médecins qui doivent toujours passer des examens.

En l'absence d'au moins une norme - pour ma part, il s'agit de la mobilité des étudiants - comment pouvez-vous avancer l'idée que le gouvernement fédéral doit débourser de l'argent, et ce, sans avoir un seul mot à dire? Je trouve cela inacceptable. On devient des percepteurs des taxes, puis on les donne.

Deuxièmement, pourriez-vous expliquer pourquoi le Canada dépense le plus en éducation per capita parmi tous les pays industrialisés, sans toutefois obtenir le rendement nécessaire ou requis selon les standards des autres pays industrialisés?

Trouvez-vous cela tout à fait normal que les étudiants ne paient qu'à peine 25 p. 100 des frais de scolarité? Avant-hier ou la semaine passée, une jeune femme qui terminait son doctorat est venue témoigner devant ce Comité. Elle a dit que c'était le devoir du gouvernement fédéral de lui permettre et de lui donner les moyens de finir son doctorat.

Donc, ma question est: Qui bénéficie de ce diplôme par la suite? Est-ce l'État, et dans quelle proportion, ou l'individu qui peut aller se chercher un emploi plus rémunérateur? Dans ce dernier cas, est-ce équitable que l'étudiant ne paie que 25 p. 100 de la note totale et que le gouvernement paie le reste?

Il y a trois ou quatre volets dans mes questions et commentaires.

M. Denis: Je m'excuse, monsieur, je ne vois pas bien votre nom.

M. Discepola: Nick.

M. Denis: Lorsque vous dites que l'absence de normes empêche les diplômés d'autres pays, par exemple, de venir travailler ici, prenez l'exemple des dentistes, ou d'une profession qui stipule que si vous avez fait vos études dans tel pays, vous devez repasser ici des examens.

.1045

J'ai remarqué que vous ne prenez que l'exemple de type professionnel. C'est pourquoi j'ai dit qu'il y avait derrière cette préoccupation la conception de l'université ramenée à ses grandes écoles professionnelles, par exemple, dans le domaine de la médecine. Alors, cher monsieur, l'université est un univers beaucoup plus vaste. Nous engageons constamment, dans les universités québécoises ou canadiennes, des professeurs d'autres pays qui viennent travailler ici parce qu'ils détiennent un doctorat, que ce soit en histoire, en géographie, dans le domaine de la physique ou dans le domaine des mathématiques.

L'établissement de l'équivalence des diplômes et l'évaluation des dossiers se fait sans normes comme celles que vous indiquez par rapport aux corporations professionnelles. Les normes, et surtout les normes académiques, sont la reconnaisance internationale de la valeur des diplômes. Donc, il n'est pas nécessaire que nous ayons un diplômé d'une université québécoise qui ait un doctorat en physique; il n'est pas nécessaire que nous ayons des normes fédérales ou pancanadiennes pour qu'il puisse aller travailler en Colombie-Britannique. J'ai des confrères qui le font.

De même, la mobilité des étudiants et des étudiantes existe déjà sans normes dans ce pays, comme vis-à-vis les États-Unis la France, l'Allemagne ou l'Angleterre. Mais je conviens avec vous que là où les corporations professionnelles ont un pied dans l'université, elles ont, en plus du diplôme universitaire, des normes corporatives qui font qu'elles exigent des examens qui viennent coiffer en quelque sorte la formation universitaire.

C'est limité à un certain nombre de domaines. Il ne faut surtout pas que l'université devienne ainsi arrimée seulement aux besoins des corporations professionnelles parce qu'il n'y aura plus de recherche fondamentale, et tout le monde dans notre milieu en convient. L'avenir des sociétés comme la nôtre, c'est la recherche et le développement, et ce n'est pas seulement la recherche appliquée pour les besoins immédiats du marché. C'est le premier élément de réponse que je vous ferais.

Le président: Un instant, s'il vous plaît. La cloche sonnera jusqu'à environ 11h15. Il y aura un vote sur la procédure. Avec votre permission, nous allons continuer à entendre les témoins. Pour la plupart d'entre nous, nous pouvons ignorer le vote. Merci beaucoup.

Excusez-moi, monsieur Denis.

M. Denis: Vous me posez la question, et je pense que c'est certainement la question la plus populaire en cette Chambre, si on se fie aux journaux. Pourquoi le gouvernement fédéral n'aurait-il pas son mot à dire, étant donné qu'il paye? Selon moi, l'argent du gouvernement fédéral n'est pas l'argent d'une compagnie privée. Ce sont les fonds publics qui proviennent des taxes et des impôts des citoyens.

M. Discepola: Comment reconciliez-vous le fait que tous les groupes de la société, les groupes de pauvreté, les groupes dans le milieu de l'éducation viennent ici, jour après jour, et nous disent: «S'il vous plaît, en tant que gouvernement fédéral, exigez des standards.»

M. Denis: Je suis assez convaincu que cela peut correspondre aux besoins de la société canadienne, à l'exception du Québec. Je suis assez convaincu. Je vous l'ai dit en ce qui concerne nos collègues professeurs des universités canadiennes. D'ailleurs, nous venons de signer avec eux un accord, je ne fais pas de mauvaise blague, mais c'est un véritable accord de souveraineté-association ou de souveraineté-coopération. Nous sommes deux organisations distinctes. La Fédération québécoise des des professeurs d'universités n'est pas affiliée à l'Association canadienne, tandis que les fédérations de toutes les autres provinces sont membres de l'Association canadienne. Nous ne sommes pas affiliés à cette Association. Pourtant, nous avons un protocole de coopération qui fonctionne très bien.

On vient de le renouveler. Lorsque nos propositions et nos intérèts convergent, nous avons une action commune. Dans des domaines où nos positions ne peuvent pas se rencontrer, en particulier sur le rôle du gouvernement fédéral dans l'enseignement postsecondaire, dans le respect mutuel, nos positions sont différentes.

.1050

L'ACPU ne parle pas en notre nom en ce qui concerne l'enseignement postsecondaire parce qu'elle prône une influence, une présence et un poids plus grand du gouvernement fédéral dans l'enseignement postsecondaire. La FQPPU ne parle pas au nom de l'ACPU. Nous favorisons le respect entier des prérogatives constitutionnelles du Québec en matière d'éducation, et cela couvre l'ensemble des ordres d'enseignement.

Ainsi, si le gouvernement fédéral est si favorable au développement de l'enseignement postsecondaire dans ce pays, qu'il donne aux provinces les moyens de s'acquitter de leurs responsabilités constitutionnelles plutôt que de jouer le rôle d'une espèce de surveillant ou de régisseur qui prétend être le définisseur des normes, comme si les provinces étaient en quelque sorte des incapables ou des incompétentes en matière d'éducation.

C'est notre point de vue, monsieur. Je sais que nous n'avons pas le même point de vue.

M. Discepola: Non, je ne peux pas partager votre point de vue. En tant que Québécois, je trouve que c'est une vision très fixe et très étroite dans le contexte de la globalisation. Au lieu de s'ouvrir sur cette globalisation et d'en prendre avantage, on veut toujours ériger des barrières autour du peuple québécois. Je ne peux pas accepter cela.

Pourrions-nous revenir à ma deuxième intervention? Tous les jours, en tant que député, je me demande: Quelle est la limite de la responsabilité de l'État de fournir une éducation primaire, secondaire et postsecondaire? Jusqu'à la maîtrise? Jusqu'au doctorat? Jusqu'où devrait aller cette responsabilité? Le bénéfice est parfois à l'individu et parfois à la société. Pourriez-vous nous dire si on devrait assurer une éducation postsecondaire et jusqu'à quel niveau devrait-on aller? Quel pourcentage le bénéficiaire devrait-il payer pour ces services?

M. Denis: Actuellement, la part des fonds publics dans le financement des universités au Québec est d'environ 70 p. 100, et nous ne voulons pas qu'elle baisse. Nous voulons qu'elle reste la même. Notre conception veut que l'enseignement ou l'éducation à tous les niveaux soit un choix de société. Comme je le dis dans notre déclaration, nous ne voulons pas que ce choix de société, par l'abdication de l'État et de ses responsabilités au nom du collectif, soit abandonné aux profits d'une série de responsabilités individuelles qui feront que telle personne...

C'était la problématique de la Réforme Axworthy dans l'acquisition continue du savoir. On donnera des opportunités aux gens qui veulent étudier et retourner aux études, et on leur donnera des opportunités d'emprunts bancaires. C'est la façon, si vous voulez, de présenter sous un jour positif, l'impact extrêmement négatif d'une politique fondée sur le désengagement de l'État. Tout à fait.

Au Québec, si vous regardez les progrès accomplis depuis 30 ans, - j'aimerais parler des cas dans d'autres provinces parce qu'ils doivent être semblables - vous êtes obligés de constater que l'État s'en est mêlé à fond la caisse, à fond de train. Quand vous pensez que l'État a créé le réseau de l'université du Québec en 1969, et quand vous regardez ce que sont maintenant ces universités dans les villes, à Chicoutimi, à Rimouski, à Hull, en Abitibi, et quand vous voyez les populations tenir à ces universités comme à leur âme, vous êtes obligés de constater que c'est grâce à l'investissement collectif et à la présence de l'État.

.1055

S'il avait fallu en 1970 que l'État, au Québec, dise: «Bien, écoutez, c'est trop cher. Nous allons permettre aux individus d'aller emprunter.» Imaginez ce que ce serait comme accessibilité à l'enseignement supérieur et aux universités en Abitibi, à Hull, à Chicoutimi, à Rimouski. On aurait visé encore plus les régions. Cela n'a pas de sens. C'est parce que l'État s'est mis les pieds dedant qu'on a quelque chance de progrès. Il devrait y rester. À mon avis, le gouvernemnt défend une philosophie différente. I ltourne le dos à l'engagement collectif au profit d'une problématique d'individualisation des choix quant à l'éducation. Est-ce que je me fais comprendre?

M. Discepola: Oui.

Le président: Merci, monsieur Discepola. Monsieur Denis, vous nous avez exprimé d'une façon très forte que le système actuel a bien servi la province du Québec, et que vous ne pouvez pas supporter les changements. Vous avez été très clair. Le débat continue et continuera. Merci beaucoup.

M. Denis: Merci, monsieur le président. Merci, mesdames et messieurs.

Le président: Nous allons prendre une petite pause de cinq minutes.

.1056

.1100

.1102

Le président: Nos prochains témoins sont de l'Association des collèges communautaires du Canada,

[Traduction]

Tom Norton, président, et Bill Day, président du conseil d'administration.

Messieurs, merci d'être venus.

Je suis désolé au sujet du timbre. Il y en a encore pour environ 15 minutes, mais certains disent que j'ai l'habitude de me faire sonner les cloches, alors cela ne me dérange pas.

M. Tom Norton (président, Association des collèges communautaires du Canada): Merci, monsieur, de nous avoir invités à nous adresser au comité aujourd'hui.

C'est un peu étonnant. Ce comité s'occupe de finances, et pourtant, si nous examinons les propos tenus ici et le genre de sujets abordés au cours des dernières semaines, il est difficile de voir le rapport. Mais...

Le président: Monsieur, il est question d'argent.

M. Norton: Nous tenterons de plaider notre cause sous cet angle.

Notre association représente 175 collèges qu'on peut aussi bien appeler collèges communautaires qu'instituts de technologie CÉGEPs selon la région du Canada. Comme neuf collèges n'en font pas partie, nous ne prétendons pas représenter l'ensemble, mais nous représentons 175 établissements répartis dans toutes les provinces du pays.

Permettez-moi de commencer en reprenant deux affirmations que nous avons je crois clairement faites devant votre comité et d'autres comités. Comme une foule d'autres groupes, nous avons appuyé sans réserve l'objectif de réduire rapidement la dette publique. Nous serions donc malvenus de nous plaindre maintenant des compressions. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Nous ne vous adresserons pas ce reproche.

Mme Stewart: Vous devrez en parler pourtant.

Le président: Merci. Vous êtes le premier témoin à préciser ce point.

M. Norton: Deuxièmement, nous nous sommes déclarés d'avis que le gouvernement fédéral avait un rôle à jouer au niveau national en matière d'éducation. Nous croyons que ce rôle doit être exercé par l'entremise du Conseil des ministres de l'Éducation, parce que la prestation des services d'éducation relève de la compétence des provinces.

Lorsque nous parlons d'éducation et de prestation des services d'éducation au Canada, nous estimons donc toujours qu'il s'agit d'une responsabilité provinciale exercée par l'entremise du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, représentant toutes les provinces et dont toutes les provinces font partie.

Cela dit, notre position devant le Comité des finances est claire: l'époque où les droits régnaient en maître est révolue. Certains d'entre nous représentent des établissements qui depuis 30 ans baignent pratiquement dans une mer de soutien qui nous a permis de croître et de constituer des maisons d'enseignement qui comptent parmi les plus respectées du monde dans leur secteur d'activité. Par conséquent, des habitudes se sont créées et nombre d'établissements ont l'impression d'avoir droit à un soutien illimité à un niveau non précisé par le gouvernement. Nous reconnaissons que cette époque est révolue.

.1105

Il est donc normal que le gouvernement fédéral réduise sa participation à un certain nombre de programmes. Mais en se désengageant - à mesure qu'il réglemente, contrôle et diminue les paiements de transfert aux provinces dans les domaines qui touchent plus particulièrement nos membres - le gouvernement ne doit pas renoncer à ses responsabilités en matière d'éducation et de formation. Il ne faut pas lui permettre de cesser de percevoir ce secteur d'activité comme une responsabilité nationale.

Nous tenons absolument à ce qu'un régime national de normes qui corresponde aux normes internationales soit maintenu. On ne parle pas des ordinateurs de l'Ontario, des tours de Singapour, des avions de la Russie; on parle de technologie mondiale. Nous pouvons bien discuter entre nous du contrôle de normes nationales en technologie et en formation, mais nous avons parfois l'impression que le reste du monde se moque bien de nous et adopte des normes internationales dont de nombreux pays collaborent à l'élaboration.

Prenons un exemple. Nous représentons le Canada au sein de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, aux côtés des nations asiatiques les plus dynamiques. Au sein de cette communauté, dont une partie des membres se sont justement réunis hier à Toronto pour examiner les normes applicables à la formation en technologie, on ne croit pas à la validité de normes qui ne seraient pas internationales, parce que c'est au niveau international qu'on travaille. Et nous sommes résolus à oeuvrer en ce sens.

Nous nous inquiétons d'un éventuel désengagement du gouvernement fédéral en matière d'éducation supérieure et de formation, et nous craignons notamment que l'ardeur mise par le gouvernement à l'établissement de normes internationales ne disparaisse. Nous croyons qu'un tel changement d'attitude serait catastrophique pour notre compétitivité et nous souhaitons donc vivement que le gouvernement fédéral continue d'appuyer le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada et assume un rôle directeur pour nous permettre de fixer des normes transférables non seulement sur le plan national, mais aussi sur la scène internationale.

Pour tout dire, si nous agissions autrement, nous priverions nos diplômés d'une partie de l'instruction et de l'accessibilité qu'ils méritent.

Nous avons préparé un mémoire dans lequel nous avons tenté de cerner quelques secteurs vitaux pour nous-mêmes et pour la poursuite de la participation nationale. L'élaboration d'une stratégie nationale de mise en valeur des ressources humaines en est un thème à nos yeux.

Au Canada, de l'avis des intéressés dans les milieux collégiaux, il serait absurde de jeter les bases d'une stratégie nationale en matière de sciences et de technologie, qui sera bientôt dévoilée, et certainement d'une stratégie économique nationale, qui englobe l'ALENA, l'APEC et d'autres organisations et nécessite des discussions internes qui portent actuellement sur le commerce interprovincial, sans prévoir aussi les grandes lignes d'une stratégie de développement des ressources humaines à l'intention de la population.

Nous représentons les collèges, mais il faut bien comprendre que nous ne considérons pas la question comme le domaine exclusif des établissements d'enseignement. Ceux-ci ont un rôle à jouer, tout comme les employeurs, les syndicats et le gouvernement fédéral, qui est le seul intervenant pouvant orienter l'élaboration d'une stratégie nationale apte à promouvoir notre compétitivité à nous tous.

Pour terminer, je veux mentionner qu'à mesure que le gouvernement fédéral réduit, d'après nous à juste titre, ses dépenses, l'inquiétude et les difficultés augmentent dans les provinces et au sein des collectivités relativement au financement de l'éducation supérieure et de la formation. Nous espérons que le gouvernement fédéral n'y verra pas l'occasion de renoncer à ses responsabilités. Il doit continuer d'assurer le leadership, en collaboration avec le CMEC, en matière d'élaboration de normes nationales s'harmonisant avec les normes internationales, d'une part, et pour l'établissement, d'autre part, d'une stratégie nationale de mise en valeur des ressources humaines qui complétera notre stratégie scientifique et technologique et notre stratégie économique de manière à renforcer le Canada.

J'aimerais maintenant laisser la parole à Bill Day, président du conseil d'administration de l'ACC et président du Douglas College, à Vancouver, en Colombie-Britannique.

.1110

M. Bill Day (président, conseil d'administration, Association des collèges communautaires du Canada): Monsieur le président, j'aimerais donner suite aux propos de M. Norton, qui a exposé l'orientation générale de notre monde de l'éducation et de la formation au Canada, et traiter de certains aspects plus précis en me fondant peut-être sur mon expérience personnelle à titre de président d'un collège communautaire.

Lorsque j'utilise l'expression «collège communautaire», il faut bien comprendre que je parle d'un groupe d'établissements qui pourraient être considérés comme «tertiaires» par rapport aux établissements dits «d'enseignement supérieur». Nous nous distinguons nous-mêmes des universités. Nous dirigeons des établissements qui s'adressent à deux clientèles principales dont nous vous présenterons les divers besoins.

L'activité de nos collèges, cégeps et maisons d'enseignement cible un groupe de jeunes étudiants, généralement des personnes qui ont terminé leurs études secondaires, qui étudient à temps plein et qui planifient d'entrer soit à l'université soit sur le marché du travail après avoir suivi des programmes de formation technique et professionnelle très variés. Ces étudiants à temps plein ont dans l'ensemble le même type de besoins et de préoccupations que ceux que vous ont communiqués les représentants des milieux universitaires.

Dans l'ensemble cependant, nos étudiants sont issus de foyers moins à l'aise que ceux qui passent immédiatement au niveau universitaire. Autrement dit, nous avons affaire à un segment de la population qui est notablement moins prospère.

C'est un fait qui ne peut être contesté. Statistique Canada fournit des données indiscutables à cet égard. Je ne prétends pas que nos étudiants sont pauvres, mais en moyenne leur revenu familial est sensiblement inférieur à celui de la clientèle universitaire.

Deuxièmement, nous desservons un très grand nombre de Canadiens qui ne viennent pas de terminer leurs études secondaires, des gens qui ont un emploi ou qui sont en transition sur le marché du travail. Ces Canadiens sont plus âgés. Nombre d'entre eux sont mariés, et beaucoup sont chefs de familles monoparentales. Ils sont inscrits à divers programmes de formation à temps partiel ou à temps plein, mais ils représentent des tendances du marché du travail: la jeune mère qui a été mise à pied et qui tente de se recycler pour se trouver du travail dans un autre secteur, la personne qui revient aux études après avoir travaillé sept ou huit ans dans un restaurant-minute et qui s'est rendu compte que la formation était la seule façon de se sortir d'une impasse.

Une statistique élémentaire permet de mieux comprendre cet aspect. L'âge moyen de nos étudiants dans l'ensemble du pays est de 26 ans. Nous nous adressons donc à une population nettement adulte.

Nous voulons simplement souligner un fait. À la suite des changements structuraux du financement qui ont maintenant été réalisés - et, comme le disait M. Norton, nous ne nous en plaignons pas parce que, comme tous les autres Canadiens, nous souhaitons un budget équilibré et une économie saine - ces étudiants devront supporter une très forte hausse de coûts. Il est certain que les droits de scolarité augmenteront énormément au cours des prochaines années, quels que soient les efforts que déploieront les gouvernements provinciaux pour atténuer ce phénomène. Cette évolution touchera aussi bien le jeune étudiant à temps plein que l'étudiant adulte fréquentant un établissement à temps partiel ou à temps plein. Le vieux cliché voulant qu'un étudiant ait un emploi et soit donc en mesure d'assumer pleinement le coût de son instruction ne résisterait pas à l'examen.

L'éducation et la formation coûtent cher. Il est de toute évidence impossible à un étudiant à temps partiel, même s'il a un emploi à temps partiel, de payer entièrement le coût de ses études. Il faut donc prévoir une augmentation spectaculaire des besoins au titre de l'aide aux étudiants, sous une forme ou une autre.

.1115

Nous ne critiquons pas le système actuel de prêts canadiens aux étudiants ni les divers systèmes provinciaux, qui tous aident les étudiants. Nous voulons simplement indiquer que tous ces systèmes doivent être grandement développés, et qu'il faut examiner très attentivement la question des prêts et des bourses - et je précise les bourses, pour veiller à ce que l'éducation et la formation soient effectivement accessibles - non pas du point de vue des droits, comme le mentionnait M. Norton, cette notion voulant que parce que je suis là, vous deviez me donner de l'argent... mais il faut offrir un système d'aide aux personnes, quel que soit leur âge, qui veulent vraiment investir, à temps plein ou à temps partiel, pour s'instruire et se former.

Nos systèmes actuels seront tout à fait inadéquats pour répondre à la marée de besoins qui déferlera lorsque les droits de scolarité augmenteront de 100 et de 200 p. 100, ces prochaines années. Nous croyons que des mécanismes d'aide indirecte pouvant prendre la forme de crédits d'impôt constitueraient un outil puissant, surtout dans le cas des étudiants à temps partiel et des personnes en transition au sein de l'économie - passant d'un emploi à l'autre ou revenant au sein de la main-d'oeuvre active après une période de chômage.

Votre comité examine les finances, et nous avons structuré notre mémoire de façon à aborder la question monétaire très directement. Nous demandons que les crédits d'impôt pour études et droits de scolarité, dans le cas des programmes de recyclage autofinancés pour lesquels il faudra prévoir une norme nationale - autrement dit, il faut assurer le contrôle de la qualité - soient révisés et bonifiés en fonction de l'augmentation des coûts des programmes de recyclage, attendu la réduction de l'aide directe et indirecte. Nous croyons, par conséquent, que les crédits d'impôt doivent faire l'objet d'un examen vraiment très approfondi.

Le président: Les crédits d'impôt remboursables.

M. Day: En effet.

Dans cette optique, il serait toutefois bon, si nous songeons à fournir une aide substantielle sous la forme de crédits d'impôt, que les programmes de formation y donnant droit, qu'ils soient publics ou privés, satisfassent à certaines normes objectives. Logiquement, nous nous devons de proposer que des normes nationales ou, comme le mentionnait M. Norton, internationales soient respectées. Nous ne prêchons pas ici en faveur des établissements publics; nous préconisons la qualité de l'éducation et de la formation, publique ou privée, et nous songeons aussi bien aux universités qu'aux collèges, aux instituts et aux cégeps.

Nous croyons en outre qu'il faudra de plus en plus s'assurer la participation des organisations ouvrières, des entreprises et de l'industrie, même s'il faut littéralement les obliger à établir des partenariats avec les établissements publics et privés, pour compenser la diminution de l'aide publique. Les entreprises ne peuvent plus tenter d'exporter leurs coûts en demandant au Trésor public de payer la formation.

Par ailleurs, les entreprises elles-mêmes luttent pour leur survie et elles auront besoin d'encouragement pour assumer cette responsabilité. Nous demandons donc au gouvernement fédéral d'examiner la possibilité d'établir une obligation fiscale pour les sociétés en matière de formation, qui serait compensée par la prestation d'une formation de base pour les employés qui satisfont aux normes nationales.

Ici encore, si nous devons mettre en place un système de récompenses, de punitions et d'encouragements en matière de formation à l'intention des entreprises et de l'industrie, nous croyons qu'il faut s'arrêter à la question des normes. Permettez-moi de signaler qu'à notre avis, nos collègues du Québec nous ouvrent la voie à cet égard. Nous croyons que leur stratégie globale devrait être appliquée à l'échelle du pays.

Voilà donc, en bref, notre position, monsieur le président. Nous avons tenté d'insister sur les mécanismes fiscaux qui sous-tendraient un système de possibilités offertes aux étudiants adultes dans le contexte d'une réduction notable du soutien accordé aux sytèmes publics.

Notre analyse englobe le secteur privé. Je répète que nous ne tentons pas de plaider en faveur des établissements publics. Évidemment, nous ne disparaîtrons pas; nous sommes la cheville ouvrière de notre système de formation national. Ce sont nos établissements qui accomplissent le plus dans ce domaine. Mais il est tout aussi évident que nos politiques doivent reconnaître le rôle très important qu'assument les établissements privés, les entreprises, les industries et les organisations ouvrières.

Monsieur le président, nous vous remercions.

Le président: Merci, monsieur Day.

.1120

[Français]

Monsieur Loubier, avez-vous des questions? Ils ont félicité le Québec de ses accomplissements jusqu'à maintenant.

M. Loubier (Saint-Hyacinthe - Bagot): Malgré le fait que je trouve que c'est une décision judicieuse de la part du gouvernement du Québec d'avoir prévu 1 p. 100 de la masse salariale pour la formation, il y a des représentants des grandes entreprises privées au Québec qui ont décrié cette mesure, même si le Québec, comme le Canada, se retrouve dans le peloton de queue au niveau de la formation.

Vous l'avez mentionné dans votre mémoire, on est parmi les derniers pays industrialisés en matière de formation de la main-d'oeuvre. Il y a beaucoup de réticence, même si on arrive à prouver que la formation est essentielle pour la croissance - et même la survie - de l'entreprise dans un environnmeent qui s'internationalise de plus en plus. Il y a encore beaucoup de réticence de la part des grandes entreprises. C'est spécial. Les petites et les moyennes entreprises ont moins de réticence que les très grandes entreprises. Normalement, on devrait s'attendre au contraire de la part des leaders.

Justement, j'aimerais vous poser une question par rapport à ça. Vous recommandez «que le gouvernement fédéral examine la possibilité d'établir une obligation fiscale pour les sociétés en matière de formation qui serait compensée par la prestation d'une formation de base pour les employés qui satisfont aux normes nationales». Pouvez-vous expliquer de quelle façon le gouvernement fédéral pourrait envisager une telle disposition fiscale pour encourager la formation?

[Traduction]

M. Day: Monsieur le président, M. Norton a insisté sur le fait que le traitement de cette question au niveau national devrait respecter entièrement les obligations que notre Constitution impose aux provinces. À notre avis, le Conseil des ministres de l'Éducation serait l'organisme par l'entremise duquel ces discussions pourraient se dérouler, et le gouvernement fédéral y participerait de plein droit. Nous supposons simplement que ce type de discussion profiterait à tous.

Il existe déjà divers modèles de mesures fiscales incitatives ou dissuasives ciblant l'entreprise - et j'aimerais souligner que celui de la France élaboré dans les années 1970, est sans doute le plus intéressant. Un certain nombre de modèles des pays d'Europe de l'Ouest pourraient être retenus, ceux du Danemark et de la Suède sont remarquables, et la Hollande en applique une version modifiée.

Toutefois, la situation en Amérique du Nord et au Canada est fort différente, ce qui constitue en soi un défi qu'à notre avis, il convient d'examiner. Il serait absurde que je tente de définir un mécanisme politique et fiscal très complexe. C'est justement là, le défi. Je demanderais plutôt, et c'est ce que demande aussi notre organisation, que nous nous acquittions ensemble de ce travail.

Je crois que la question de la réaction des entreprises face à un tel projet peut être abordée de deux façons. Toute entreprise a nettement avantage à faire assumer des coûts par la population dans son ensemble. Les entreprises recherchent après tout leur propre intérêt. Par conséquent, on ne saurait se surprendre que des entreprises particulières voient d'un mauvais oeil le projet de modification du régime fiscal. Toutefois, au niveau collectif, le monde des affaires s'entend sur la nécessité d'un accroissement de la formation.

M. Norton: On pourrait notamment envisager immédiatement le recours aux conseils sectoriels qui ont été créés au Canada, à l'initiative du ministère du Développement des ressources humaines, comme moyen d'examiner les normes, les mécanismes et les systèmes de financement qui régissent la formation et ce, dans l'ensemble d'un secteur de l'industrie.

Dans la plupart des cas, les grandes entreprises sont représentées au sein de ces conseils sectoriels, tout comme les principaux syndicats, et la collaboration entre l'industrie et la main-d'oeuvre a permis, au cours des dernières années, de concevoir divers modèles de formation. Je crois qu'on pourrait envisager d'aborder de cette façon la question du financement qui, à mon avis, concerne peut-être tout autant les syndicats que les entreprises. Les conseils sectoriels pourraient offrir la tribune tout indiquée pour l'examen de cette question.

[Français]

M. Loubier: Monsieur Norton et monsieur Day, vous étiez là, tout à l'heure, lorsque M. Roch Denis a comparu devant le Comité. Il disait qu'entre la Fédération québécoise des professeurs d'université et la fédération canadienne, le pendant canadien, il y avait un pacte de souveraineté-coopération ou de souveraineté-association, si vous voulez.

.1625

Ce pacte dit à peu près ceci: Lorsque la fédération canadienne défend l'établissement de normes pancanadiennes en matière d'éducation post-secondaire, elle ne le fait pas au nom du Québec. Lorsque le Québec parle, il parle pour lui-même et non pas par l'entremise de la fédération canadienne. Alors, la fédération canadienne défend des normes nationales appliquées partout au Canada sauf au Québec. Est-ce que vous avez le pendant de ce pacte de souveraineté-coopération ou de souveraineté-association avec votre pendant québécois? Si vous ne l'avez pas, seriez-vous prêt à construire ce pacte?

[Traduction]

M. Norton: Notre organisation reflète la volonté de ses membres et, bien sûr, nous envisagerons toute forme d'accord que nos membres nous demanderont. Pour l'instant, la grande majorité des cégeps du Québec font partie de notre organisation, et lorsque l'ACCC se prononce, elle se prononce au nom de ses membres.

Dans cinq provinces, les établissements sont aussi regroupés au sein de leurs propres organisations provinciales, qui s'expriment de ce point de vue. C'est le cas au Québec également. La Fédération des cégeps du Québec parle au nom de ses collèges, comme le font nos associations en Ontario, en Alberta et ailleurs.

Cela dit, nous venons témoigner ici au nom de 175 établissements dont environ 26 cégeps du Québec. Nos positions sont communiquées à la Fédération des cégeps, qui a reçu notre mémoire il y a quelque temps déjà.

Nous invitons les provinces à s'exprimer et, le cas échéant, à préciser qu'elles ne partagent pas notre opinion. Dans le cas présent, deux des cinq organisations provinciales nous ont fait parvenir leurs réponses, et nous avons modifié notre mémoire en conséquence.

[Français]

M. Loubier: Vous êtes en train de me dire, monsieur Norton, que la Fédération des CÉGEP du Québec appuie une position qui favoriserait l'établissement de normes pancanadiennes en matière d'éducation? C'est ça?

[Traduction]

M. Norton: Non. J'espère que j'y ai soigneusement veillé.

Si la Fédération des CÉGEPs du Québec, tout comme l'Association des collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario et d'autres organisations, adopte une position différente, elle la fera connaître elle-même. Ce que je dis, c'est que la position que nous avons adoptée ici est partagée par l'ensemble des membres de notre association et reflétée par notre conseil d'administration, et qu'un certain nombre des CÉGEPs en ont pris connaissance et ont eu l'occasion de s'exprimer à ce sujet.

Je ne prétends d'aucune façon représenter des opinions spécifiques que les provinces dotées de leurs propres organisations pourraient avoir, mais bien uniquement celles des membres de notre association.

M. Day: Monsieur le président, j'aimerais développer un peu l'explication de M. Norton. En ce qui concerne les documents Axworthy qui ont circulé au début de l'année, nous y avons répondu au nom de l'ACCC. L'ACCC, collectivement, a adopté une certaine position relativement à des éléments des propositions Axworthy - et notamment au chapitre du remboursement des droits en fonction du revenu, par exemple.

Dans ce cas, l'Advanced Education Council of British Columbia, notre organisation provinciale, a adopté une position notablement différente de celle de l'ACCC. Je fais bien sûr partie des deux organisations. Nous avons poliment pris note de nos divergences respectives. Au niveau national, nous sommes parvenus à un consensus après de chaudes discussions au niveau du conseil, et ce consensus se distinguait de l'opinion de l'association provinciale.

Nous respectons nos différences. Elles sont publiques.

Le président: Une touche de schizophrénie s'explique, et c'est peut-être sain dans un pays composé d'éléments très divers.

M. Day: C'est très canadien.

[Français]

Le président: Merci, monsieur Loubier.

[Traduction]

Madame Stewart, vous aviez une question?

Mme Stewart: Certains des CÉGEPs qui font partie de votre organisation vous ont-ils dit s'opposer à la position que vous présentez ici?

M. Norton: Non. Mais je veux être bien clair. Le mémoire a été transmis à la Fédération des CÉGEPs, l'organisation provinciale. Je ne veux pas interpréter le fait qu'elle n'a pas répondu comme un appui, mais la fédération a eu l'occasion de s'exprimer sur le contenu du document.

.1130

Les CÉGEPs qui font partie de notre association - soit la majorité des CÉGEPs - ont certainement eu amplement l'occasion d'y travailler avec nous, tant à l'étape de la formulation que par la suite, lorsqu'il s'agissait d'en faire la critique.

Mme Stewart: Mais vous n'avez pas eu de communication d'eux, que ce soit positif ou négatif, n'est-ce pas?

M. Norton: Non, pas du tout.

Mme Stewart: Combien y en a-t-il?

M. Norton: Il y a 46 CÉGEPs au Québec. Nous avons différentes catégories de membres: Il y a les membres à part entière et les membres provisoires. Sur les 46, 26 sont membres à part entière, et je pense qu'il y en a encore sept ou huit qui sont membres provisoires, ce qui veut dire qu'ils vont finir par devenir membres à part entière eux aussi.

Mme Stewart: Et ces 26 CÉGEPs sont-ils représentatifs de toutes les régions du Québec?

M. Norton: Oui.

Mme Stewart: Les neuf collèges qui ne sont pas membres sont-ils situés dans une région en particulier?

M. Norton: Non. Un ou deux sont à Montréal, un ou deux à Québec, un ou deux en Gaspésie et il y en a un également dans la région du Lac-Saint-Jean.

Mme Stewart: Ce sont là les neuf dont vous avez parlé tout à l'heure et qui ne sont pas membres de votre organisation.

M. Norton: Oui.

Mme Stewart: Ils se trouvent tous au Québec. C'est cela que vous me dites?

M. Norton: Oui, c'est exact. Tous les autres collèges du Canada sont maintenant membres.

M. Day: Tous les autres collèges du Canada sont maintenant membres.

M. Day: Tous les autres collèges publics.

M. Norton: Je tiens à préciser que trois nouveaux membres du Québec se sont joints à nous l'an dernier, ce qui nous a fait plaisir.

Mme Stewart: Très bien. L'idée d'une stratégie de mise en valeur des ressources humaines me plaît beaucoup. J'aurais beaucoup de temps à y consacrer. Vous dites qu'il importe que cette stratégie soit nationale et que si l'on veut que la nouvelle main-d'oeuvre que l'on vise à créer puisse être mise aui travail rapidement il nous faudrait une stratégie de mesures fiscales, y compris des crédits d'impôt pour les particuliers et un programme d'obligations contributives pour les sociétés.

Suite à la présentation que nous a faite l'Organisation nationale anti-pauvreté, je dois convenir, comme elle nous l'a dit, que notre plus gros défi à l'heure actuelle est d'essayer de déterminer, de comprendre et de reduire au maximum les délais pour la nouvelle main-d'oeuvre dans cette nouvelle économie. Dans ce contexte, un rôle important vous revient, à vous. Dans le contexte de votre évaluation de ce qui fonctionnera pour préparer les Canadiens et pour appuyer l'industrie au fur et à mesure qu'on avance tous vers cette nouvelle stratégie, une telle stratégie de mise en valeur des ressources humaines semble tout à fait indiquée. Il faut qu'elle soit de nature nationale et qu'elle soit appuyée non pas uniquement par des subventions et des xxxxxxxx distiincts et satellites mais également par des stratégies de dépenses fiscales.

M. Norton: Je ne voudrais pas diminuer l'importance de ce dont vous venez de parler, mais nombre des facteurs clés dans la stratégie de mise en valeur des ressources humaines ne sont pas d'ordre financier. Cependant, du point de vue financier, nous avons 1,5 millions de Canadiens qui travaillent et qui sont étudiants à temps partiel dans nos collèges. Il faut être certains d'atteindre ce groupe de travailleurs: Ils sont en train «d'apprendre à gagner leur vie» en y consacrant leurs propres ressources avant de se retrouver au chômage.

Comment faire pour encourager les Canadiens actifs à passer au niveau supérieur pendant qu'ils ont toujours un emploi? C'est ce que nous essayons de faire. Si nous n'intervenons pas à ce niveau-là, il faudra le faire plus tard, et cela coûtera sans doute beaucoup plus cher... Ou bien il se sera déjà installé un état de désanchantement social, ce qui est une chose fort désagréable.

Il s'agit donc pour nous d'avoir un système mixte, en encourageant d'un côté les sociétés et en récompensant l'acquisition de compétences chez les Canadiens qui travaillent de l'autre: C'est ainsi que l'on va trouver des solutions et que l'on sera en mesure de sevrer les sociétés canadiennes, de leur faire abandonner cette idée qu'elles peuvent exporter les coûts de la formation, que le gouvernement en paiera les frais. Je pense que ce porocessus s'opère déjà. Avec un peu plus d'encouragement, dans 10 ans d'ici, nos successeurs diront: Bon sang, on se souvient de l'époque où... mais ce sera du passé.

Mme Stewart: Pour ce qui est de l'impôt des sociétés, pensez-vous que les sociétés vont tout simplement laisser tomber ceux et celles qui n'ont pas les compétences qui les intéressent et aller embaucher des personnes qui les possèdent, de façon à avoir le bon mélange?

M. Norton: Je ne pense pas que ce soit cela qui arrive, mais je respecterai davantage votre opinion sur le monde des affaires que la mienne. Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que cela va se produire.

Notre expérience en ce qui concerne les sociétés - la mienne, en tout cas, des 25 dernières années - fait ressortir qu'il y a vraiment eu un changement d'attitude. Nous sommes tous pris dans le tourbillon et la course pour suivre l'évolution de la technologie.

.1135

De question qui était à l'arrière-plan dans les années 1960, cela est devenu une force motrice dans l'industrie d'aujourd'hui. La population active comprend qu'elle n'a pas le choix: c'est cela, ou bien l'on sort des rangs de l'économie.

Les gens sont prêts à parler beaucoup plus de cela, en collaboration les uns avec les autres et ce, plus que jamais auparavant. Et cela se passe au moment précis où le gouvernement fédéral semble perdre de son - je ne dirais pas intérêt, car ce serait injuste - de ces mécanismes traditionnels qu'il utilisait pour progresser en tant que présence nationale. C'est cela qui nous préoccupe.

M. Day: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose aux propos de Tom, l'idée qu'une compagnie laisse tomber un groupe d'employés pour aller en recruter un autre ne correspond pas à la réalité des sociétés. Elles ne peuvent tout simplement pas faire ce genre de choses. Il existe de nombreuses entraves structurelles, notamment les syndicats. Lorsqu'on parle grosse boîte, on parle également souvent gros syndicat.

Nous avons souligné à maintes reprises que nous ne concevons pas ces activités comme excluant la participation des syndicats, bien au contraire. Nous voyons là-dedans un important investissement, sur tous les plans. Nous voyons déjà autour de nous dans l'économie une bonne collaboration.

J'aimerais rappeler au comité certains des effets plus subtiles d'une réduction des paiements de transfert. Au niveau institutionnel, les collèges, les CÉGEPs et les autres établissements ont très bien réussi à utiliser le financement public de base de manière à offrir une vaste gamme de services destinés aux étudiants à temps partiel et autres. En effet, il existe aujourd'hui des programmes à temps plein, à temps partiel, le jour, le soir, la fin de semaine, tout au long de l'année.

Si les programmes ont pu être offerts aux étudiants à temps partiel à un coût raisonnable, c'est que le financement de base a été adéquat. Ainsi, une classe payée en grande partie par la CEIC peut également englober cinq ou six étudiants à temps partiel qui y participent indépendamment. Les droits exigibles de ces gens-là sont minimes.

L'on constate aujourd'hui une réduction générale des paiements de transfert. Cela viendra réduire le financement des institutions et créera beaucoup de difficultés pour celles qui tiennent à offrir des services aux étudiants à temps partiel. Ces coûts vont augmenter encore plus que ceux correspondant aux étudiants à temps plein, car il est plus coûteux, selon une formule horaire, d'enseigner à un étudiant à temps partiel qu'à un étudiant à temps plein. C'est pourquoi nous tenons à souligner l'importance de la question des travailleurs qui étudient à temps partiel. On parle ici de soutien et d'incitation indirects qui garderont ces gens-là dans le jeu, qui les encourageront à investir dans leur avenir.

M. St. Denis (Algoma): Deux petites questions. Au début de vos remarques, monsieur Norton, vous avez mentionné que le secteur des collèges a cessé de compter sur les gouvernements pour un apport financier sans fin - mais peut-être que je vous fais dire des choses que vous n'avez pas dites - et qu'il est temps d'apprendre à mieux se débrouiller. Je suis certain que vous essayez de faire cela.

Pourriez-vous nous dire quel pourcentage des revenus des collèges communautaires viendrait typiquement de sources non gouvernementales, par exemple de services fournis par le secteur privé? S'agit-il là d'une tendance qui va grandissant?

M. Norton: Les chiffres varient énormément. Les établissements en milieu urbain ont une bien plus grande capacité d'aller chercher de l'argent que les établissements à Yellowknife, à Whitehorse et dans certaines régions du Labrador, par exemple.

Cela dit, il y a des établissements qui recevaient 85 p. 100 de leur financement sous forme de subventions gouvernementales il y a 25 ans et qui aujourd'hui ne reçoivent plus que 55 ou 58 p. 100 de ces subventions. Le reste correspond à de véritables revenus.

Je vais être franc. Certains de ces revenus proviennent de la vente de cours de formation à l'industrie, et une certaine partie de cette formation est payée à même les deniers publics. Mais du point de vue des collèges, la tendance est de considérer l'éducation non plus du point de vue de l'offre, mais plutôt du point de vue de la demande. C'est ce que demandent l'industrie, l'économie et la société. C'est là la transition essentielle qui s'est opérée, et cette tendance ne cesse de s'accélérer.

.1140

Par exemple, nous avons des collèges qui tirent aujourd'hui jusqu'à 15 p. 100 de leurs revenus d'exploitation de la vente de leurs compétences dans d'autres pays. Notre seule association travaille dans 64 pays, mais nombre de nos membres ne passent pas par nous pour oeuvrer à l'échelle internationale.

Pour conclure, donc, je pense qu'avant la fin de ma vie active, la majorité des collèges urbains - et, je le répète, c'est dans les régions urbaines qu'il existe le plus de possibilités, - vont compter sur le financement direct gouvernemental pour 40 à 45 p. 100 de leurs revenus - et cela se présentera sans doute pratiquement sous forme de subventions - et le reste, ils le gagneront en vendant leurs compétences à l'échelle nationale ainsi qu'à l'échelle internationale.

M. St. Denis: Excellent.

Le président: Serait-il possible d'avoir un deuxième...

M. St. Denis: Vous avez dit autre chose qui m'a vraiment impressionné: vous avez parlé de normes internationales. Nous avons demandé à un grand nombre de témoins que nous avons entendus de nous parler un petit peu de normes nationales en matière d'éducation, mais si je ne m'abuse, vous êtes le premier à mentionner qu'il y a des pressions internationales...

M. Day: Absolument.

M. St. Denis: ...en matière de normes. En fait, le meilleur argument en faveur de normes nationales est peut-être de dire que c'est le moyen pour nous de nous maintenir au niveau du reste du monde.

On entend sans cesse répéter qu'au fur et à mesure que le gouvernement se retire du financement de l'éducation postsecondaire en abondonnant les transferts pécuniaires, il perd en fait sa force de frappe en ce qui concerne le potentiel de création de normes nationales. J'entends un si grand nombre de témoins dire que cela est important que je me demande si le leadership fédéral n'est pas plus important que l'argent fédéral.

M. Norton: Permettez-moi de dire quelques mots au sujet de l'aspect leadership. Je pense que le leadership fédéral est fondamental dans tout cela car qui d'autre que le gouvernement fédéral peut élaborer des normes internationales? Je vais vous donner un exemple.

Le gouvernement fédéral est lié à l'APEC. C'est par l'intermédiaire du gouvernement fédéral que nous sommes liés à la Coopération économique Asie-Pacifique. C'est à cette tribune que l'on exerce des pressions sur nous en nous demandant quelles sont nos normes. Voici les normes de la Polytechnique de Singapour. Vos étudiants peuvent-ils venir ici? Vos étudiants peuvent-ils aller là-bas?

Le gouvernement fédéral est l'organe grâce auquel notre association fait partie du monde de l'éducation supérieure dans l'ALENA. La question est la suivante: si je suis une compagnie, si je suis General Motors, il me faut avoir les mêmes normes pour mes techniciens à Monterrey qu'à Detroit ou à Oshawa. Le problème n'est pas la question théorique des normes internationales, mais plutôt celle d'assurer une formation qui se tienne dans une fourchette d'activités et d'entreprises.

La pression n'est pas uniquement théorique: il ne s'agit pas tout simplement de se dire qu'il est bon de parler de l'aspect international. C'est une pression très réelle que vivent les multinationales.

La Northern Telecom est allée bien au-delà de normes tout simplement nationales au Canada, où nos institutions... qu'elles soient à Longueuil, à Calgary ou ailleurs, Northern Telecom veut le même produit. Elle veut que tous les techniciens sortants aient le même niveau et elle ne s'intéresse pas aux autres différences dont vous et moi pouvons discuter à l'échelle politique. Ce qui l'intéresse, c'est le produit en bout de ligne. Northern Telecom, qui a une importante présence en matière de formation et de fabrication au Mexique, en Chine et en Inde, veut les mêmes normes, car la qualité du produit doit être uniforme.

Je m'excuse d'avoir pris autant de temps, mais ce n'est pas de la théorie de l'internationalisme que je veux parler. Ce qui m'intéresse, c'est la vie pratique des sociétés canadiennes qui essaient d'être concurrentielles sur un marché mondial.

M. St. Denis: J'apprécie le fait que vous souleviez ça. Merci beaucoup.

M. Fewchuk: Au sujet de votre projet, dans ma circonscription, nous sommes un petit groupe qui montrons la voie: nous sommes en train de mettre au point un devis aux côtés de l'industrie, de la municipalité et des gens d'affaires. L'école publique a donné son accord et les fonds sont là.

Vous connaissez C-STEC, n'est-ce pas?

M. Norton: C-STEC?

M. Fewchuk: Oui, on prend cela et on l'étend. On prend des chômeurs ou des décrocheurs et on les forme pour le genre d'emplois que les compagnies veulent offrir. Les compagnies ont convenu de les embaucher dans 20 semaines, et ces gens-là auront donc une place.

Ils avaient une question. Comme vous l'avez dit, les établissements d'enseignement ne faisaient pas ce travail dans ma localité. Les gens se présentaient, ils suivaient le programme pendant six ou dix semaines et ensuite ils n'avaient nulle part où aller.

.1145

Comme ils l'ont dit, le financement est là; tout simplement, on ne l'utilise pas à bon escient. S'il est bloqué dans tout cet ensemble, ce pourrait être un modèle pour le Canada.

M. Norton: Je pense que ces réseaux de formation communautaire ont tout un avenir devant eux. Il est cependant un certain nombre d'aspects-clés qui nous préoccupent.

Une des grandes désillusions - et l'on craint que cela ne se traduise en une fraude dont les Canadiens seront de plus en plus victimes - est que la formation est une solution de rechange à l'emploi ou que la formation est synonyme d'emploi. Chaque fois qu'il y a une profonde dislocation économique, la réponse est: on va offrir des programmes de recyclage à tout le monde. Mais ce n'est pas cela qui crée...

M. Fewchuk: Non, mais regardez...

M. Norton: ...du travail à...

M. Fewchuk: ...avant qu'on ne leur donne de la formation, il faut qu'ils aient une certaine instruction.

M. Norton: Oui.

M. Fewchuk: Ce groupe fait justement ce genre de choses. Il les amène à ce niveau-là, puis au niveau suivant, et au bout du compte, une fois qu'ils se sont améliorés, ils se retrouvent avec un emploi. Vous voyez, avec l'apprentissage...[Inaudible - Transéditeur] il ne fait pas cela. Vous pouvez prendre votre ordinateur, repartir au bout de six semaines, et c'est tout. Merci et au revoir.

M. Norton: Ces projets intégrés dont vous avez parlé sont la voie de l'avenir. Ils sont attachés...

M. Fewchuk: Tout à fait.

M. Norton: ...aux deux bouts.

Ils représentent une vraie transition, pas tout simplement la création d'espoir chez les gens...

M. Fewchuk: C'est vrai.

M. Norton: ...qui se disent bon, je suis maintenant formé en tant que technologue en électronique, mais je suis malheureusement dans un coin du pays où il n'y a aucune possibilité d'emploi dans ce domaine.

Je pense qu'il nous faut examiner cet aspect-là.

M. Fewchuk: Tout à fait.

M. Norton: Mais ce que vous faites dans le cadre de ce genre de projet est tout à fait formidable, car cela boucle la boucle et tend à produire des résultats concrets.

M. Fewchuk: Oui. Il y a encore d'autres éléments dans tout cela, mais je ne les connais pas sur le bout des doigts.

Le président: Vous savez, nous avons entendu de nombreux témoins, et je peux vous dire que votre exposé de ce matin sera des plus mémorables. Vu ce que vous avez dit sur ces disputes entre le fédéral et les provinces... C'est sûr, nous devrions penser perspectives internationales et travailler ensemble pour atteindre des normes internationales. Votre plaidoyer en faveur d'une stratégie nationale de mise en valeur des ressources humaines devant compléter notre stratégie économique nationale et nos stratégies nationales en matière de sciences et de technologie, tous des éléments qui ont une orientation mondiale, est un message qu'on ne saurait répéter trop souvent. Il faudrait que vous veniez plus souvent participer aux débats.

En ce qui concerne votre proposition en matière de crédits d'impôts pour étudiants, je vous invite à comparaître devant le comité à l'automne, à l'étape de nos consultations prébudgétaires, pour discuter de cette seule question.

Je sais le rôle formidable que vous jouez dans le recyclage de ces gens, en donnant à toutes ces personnes qui n'ont pas d'emploi les outils dont elles ont besoin pour en trouver. Cela fonctionne très bien dans ma région.

Je ne peux pas contester ce que vous avez dit. Je vous appuie et je vous encourage à porter votre message à d'autres encore, car il est extrêmement important. Votre exposé tombe dans le mille en ce qui me concerne et sera très mémorable. Je tiens à vous remercier au nom de tous les membres du comité.

Le vice-président (M. Campbell): Nous allons maintenant poursuivre nos audiences dans le cadre de notre examen du projet de loi C-76. Les témoins suivants représentent l'Association canadienne pour l'intégation communautaire.

La principale porte-parole de l'association pourrait-elle nous faire les présentations?

[Français]

Mme Paulette Berthiaume (présidente, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Bonjour. Je suis Paulette Berthiaume, présidente de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. J'aimerais vous présenter Mme Diane Richler, vice-présidente à la direction, et Mme Patty O'Donnell, membre du conseil d'administration et présidente du Comité consultatif des auto-intervenants.

Je ne pense pas qu'on ait besoin de présentation, car notre association est assez connue par les membres du Comité.

Le vice-président (M. Campbell): Oui, très bien connue par les membres du Comité.

Mme Berthiaume: Vous avez la description à la première page.

.1150

Nous sommes ici, ce matin, parce que nous sommes concernées en tant qu'association nationale et association de bénévoles à travers le Canada.

Nous sommes concernées à cause des transferts qui vont avoir lieu dans toutes les provinces. Nous avons peur qu'on oublie nos personnes, qu'on oublie nos fils et nos filles qui ont un handicap intellectuel, c'est-à-dire que l'argent peut aller aux services de santé, aux services sociaux, autant qu'aux autoroutes ou à l'éducation.

Depuis des décennies, nous, comme association, partageons nos expériences à travers le Canada. Nous savons ce qui se passe en ce qui a trait aux personnes qui ont une déficience intellectuelle, à travers le Canada. Souvent, le portrait que nous avons n'est pas toujours rose. Par notre association, comme parents, comme professionnels et comme auto-intervenants, nous travaillons très près l'un de l'autre, avec tous les intervenants à travers le Canada. Nous avons un peu peur que l'argent n'aille pas directement aux personnes. Nous avons déjà de la difficulté à faire entendre nos voix, et nos personnes encore plus.

En Ontario, vous avez le cas «Eaton», au sujet de l'éducation, que nous avons gagné en cour supérieure. Vous avez, cette semaine, un jugement sur le Centre d'accueil Pavillon St-Théophile Inc., au Québec. Il s'agit des abus que nos personnes subissent à travers le Canada.

On se demande comment le gouvernement fédéral peut faire des transferts automatiquement et si on peut avoir des balises pour que cet argent-là aille aux personnes plus vulnérables comme les personnes handicapées et les personnes âgées.

J'aimerais revenir sur le cas du Centre d'accueil Pavillon St-Théophile Inc. Il s'agit d'un parent qui a commencé cette bataille-là, il y a à peu près huit ans. Ce sont les associations, à travers le Canada, qui ont aidé ce parent-là avec des avocats qui, encore à ce jour, n'ont pas été payés. Ce sont toujours nos fils et nos filles qui doivent se battre pour des services, se battre pour l'éducation, se battre pour travailler. Encore aujourd'hui, en 1995, ils ne sont pas des citoyens à part entière. C'est ce manquement-là qui nous fait un peu peur. On se demande comment le gouvernement fédéral va pouvoir transférer cet argent-là sans avoir de balises. Je pense que j'ouvre les portes.

Je vais laisser la parole à Mme Diane Richler et à Mme O'Donnell. Ensuite, je parlerai plus tard.

[Traduction]

Mme Diane Richler (vice-présidente à la direction, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Patty aimerait prendre la parole maintenant, mais elle demande qu'on fasse un genre d'entrevue, comme nous l'avons fait la dernière fois que nous avons comparu devant le comité ici réuni.

Patty, pourriez-vous nous expliquer la nature du comité que vous présidez?

Mme Patty O'Donnell (membre du conseil d'administration et présidente du Comité consultatif des auto-intervenants, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Le comité que je préside s'appelle Comité consultatif des auto-intervenants. Il est formé de personnes atteintes de toutes sortes de handicaps et qui vivent un peu partout. Un certain nombre d'entre elles, qui vivaient autrefois dans des établissements, n'y sont plus aujourd'hui. Il y a des gens qui vivent dans des foyers ou qui vivent chez eux, avec leur famille et de l'aide.

Mme Richler: Votre comité a consacré pas mal de temps à discuter de l'examen de la sécurité sociale et des choses qui sont importantes pour vous. Pourriez-vous nous raconter un peu ce que disent les gens?

Mme O'Donnell: Les gens disent que c'est vraiment très important que... Ils veulent travailler, mais lorsqu'ils travaillent, ils perdent tous leurs avantages. Certains d'entre eux ont une certaine aide, et ils la perdent s'ils travaillent. Il se peut également qu'ils perdent leur logement et l'aide dont ils bénéficient.

Mme Richler: Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette aide?

.1155

Mme O'Donnell: On aidera par exemple les gens avec leurs transactions bancaires ou leurs courses, on les aidera à nettoyer leur appartement, à se rendre à l'école ou à se chercher un emploi.

Mme Richler: Ce que vous dites, donc, c'est que les gens craignent que s'ils se trouvent un emploi, ils perdront certaines de leurs prestations de santé supplémentaires et une partie de l'aide dont ils bénéficient et qui leur permet de vivre dans la communauté, c'est bien cela?

Mme O'Donnell: Oui.

Mme Richler: La raison à cela est qu'il faut être admissible au bien-être social pour avoir droit à ces formes d'aide. C'est bien cela?

Mme O'Donnell: Oui. Il faut être admissible au bien-être et à des soins à long terme pour pouvoir toucher la pension en question. Si vous n'êtes pas admissibles, vous n'en bénéficiez pas.

S'ils voient que vous travaillez, ils diront que vous êtes en mesure de travailler et que vous n'avez donc pas besoin d'aide.

Mme Richler: Seriez-vous prête à nous parler un petit peu de votre situation personnelle? Travaillez-vous à l'heure actuelle?

Mme O'Donnell: Non, je ne travaille pas en ce moment. Je le voudrais bien. J'aimerais travailler, tout comme d'autres auto-intervenants, mais si j'accepte un travail, je perdrai mes avantages. Je vis dans un foyer à l'heure actuelle, que je considère comme mien, il y a là des gens qui m'aident. Si je prends un emploi, je perdrai tout cela.

Mme Richler: Pourriez-vous nous parler un petit peu du genre d'aide dont vous bénéficiez à l'heure actuelle?

Mme O'Donnell: J'ai malheureusement deux incapacités, alors l'aide que j'obtiens... Il y a quelqu'un qui vient chez moi, qui m'aide à veiller à ce que tout soit propre et à ce que tout soit bien rangé. Il y a une autre personne qui m'aide à préparer mes repas afin que j'aie une alimentation équilibrée. Cette même personne m'aide également avec mon budget mensuel. Il y a des choses qu'on a envie d'avoir mais si on sort tout simplement pour aller les chercher sans en avoir l'argent... il faut sacrifier quelque chose.

Mme Richler: Comment cette personne vous aide-t-elle à planifier?

Le président: Je connais très bien ce problème. J'y suis très sensible.

Mme Richler: Comment cette personne vous aide-t-elle à planifier?

Mme O'Donnell: Par exemple, si on est en train de préparer un repas, on s'assoit et on parcourt ensemble les genres d'aliments que j'aime, et parce que j'ai un revenu mensuel avec lequel je dois me débrouiller, on parle de la façon de faire pour trouver les aubaines, pour acheter de la nourriture saine mais sans trop dépenser d'argent.

Mme Richler: Vous avez dit que vous ne travaillez pas. Que faites-vous?

Mme O'Donnell: Je vais à l'école. Je suis inscrite à un programme communautaire de récupération scolaire. Dans le cadre de ce programme, je prends des cours de lecture, d'écriture, de mathématiques - ce qui m'aide avec mon budget - et d'informatique. L'un de mes objectifs est de me trouver un emploi dans le cadre duquel je pourrais travailler avec des ordinateurs.

Mme Richler: Merci beaucoup.

Nous avons voulu qu'elle vous parle un petit peu des questions qui la préoccupent, car celle-là et celles qui préoccupent d'autres membres du Comité consultatif des auto-intervenants et du conseil d'administration sont, selon nous, au coeur même des services sociaux.

.1200

L'aide que les gens obtiennent actuellement pour leur permettre de vivre dans la collectivité fait depuis quelques années l'objet d'une entente de partage des coûts entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Lorsque M. Axworthy a annoncé son examen de la sécurité sociale l'an dernier, nous nous sommes dits qu'il y aurait des changements profonds. Nous étions d'ailleurs de ceux qui réclamaient une réforme radicale. Je ne sais pas si la réforme radicale prévue dans le budget correspond exactement à ce que nous recherchions, mais elle contient des éléments qui rejoignent ou qui pourraient rejoindre nos objectifs. Je résume les recommandations que nous faisons, à cet égard, aujourd'hui.

D'abord, les changements que représentent le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et le fonds d'investissement des ressources humaines devraient, selon nous, partir d'une vision et d'un cadre de politique sociale cohérents. Nous savons que le comité s'intéresse d'abord au transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et que le ministère de M. Axworthy ainsi que le Comité des ressources humaines seront chargés d'examiner plus en détail le fonds d'investissement des ressources humaines. Nous souhaitons cependant que ces deux processus soient menés de façon parallèle et se fondent sur des principes similaires. À cette fin, nous souhaitons qu'une vaste consultation ait lieu au sujet de ces deux nouveaux programmes et que les organismes locaux, comme les gouvernements provinciaux, soient conviés aux discussions jusqu'à ce qu'un consensus se développe.

Nous constatons également, comme Mme Berthiaume l'a indiqué, qu'il serait beaucoup plus difficile, avec les nouvelles structures, de vérifier si les fonds destinés aux services sociaux y sont bien affectés. Selon le budget, le gouvernement fédéral continuera de jouer un rôle dans le financement des services sociaux, en incluant les fonds qu'il y destine dans les paiements de transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Nous craignons qu'avec la formule de financement global pour la santé, l'éducation postsecondaire et les services sociaux, le public et les lobbies puissants, surtout dans le domaine de la santé, exercent des pressions inacceptables et que le public, de façon générale, ait finalement beaucoup de mal à déterminer quelle est la part réelle des fonds affectés aux services sociaux.

Nous recommandons que le gouvernement fédéral effectue une vérification publique des fonds transférés, de façon à ce qu'il puisse juger si le transfert en matière de santé et de programmes sociaux sert uniquement le domaine de la santé, s'il y en a une part qui va aux services sociaux, si les gouvernements provinciaux prennent l'argent destiné à la santé, à l'éducation postsecondaire et aux services sociaux pour construire des routes ou autre chose. Il doit y avoir un mécanisme public qui permette de vérifier l'affectation de ces fonds ou, du moins, de s'en soucier. Que le public ait l'occasion de juger si les provinces prennent de bonnes décisions en la matière.

Au cours des dernières années, il nous a été beaucoup plus difficile de vérifier les affectations de fonds dans le cadre du financement des programmes établis, une formule de financement global, que nous pouvions le faire avec les programmes à frais partagés. Nous voulons un mécanisme qui nous permette de voir quel investissement est fait dans les services sociaux.

Nous ne voulons pas non plus - c'est probablement plus une recommandation pour l'avenir que pour maintenant - que les transferts en espèces aux provinces diminuent à zéro ou à un montant si faible que les provinces en viennent à ne plus se soucier du gouvernement fédéral. Nous ne prétendons pas que le gouvernement fédéral ait des solutions magiques à offrir, mais nous pensons que le mécanisme qui réunit, à la même table, les ministres provinciaux et fédéraux et leur permet de discuter d'intérêts communs, est un atout pour tous les Canadiens.

.1205

Nous pensons qu'à moins qu'il y ait suffisamment de fonds pour que les provinces soient intéressées, ces réunions n'auront aucune raison d'être.

Nos deux dernières recommandations portent surtout sur le Fonds d'investissement en ressources humaines, mais nous vous demandons de réfléchir aux répercussions de ce fonds et de formuler des recommandations à cet égard, puisque le fonds a été créé dans le cadre du budget.

Dans notre première recommandation, nous demandons que le fonds soit utilisé de façon à renforcer une vision nationale, ainsi que des principes et objectifs nationaux, et nous exhortons ce comité à continuer de jouer un rôle pour que cette vision nationale voie le jour.

Finalement, nous demandons à votre comité d'encourager le ministre du Développement des ressources humaines à allouer une somme précise - nous avons recommandé 200 millions de dollars - à partir du Fonds d'investissement en ressources humaines pour promouvoir l'intégration sociale et économique des personnes handicapées. Nous proposons trois façons d'y arriver, que nous citons pour la première fois à la page 7 de notre rapport.

Premièrement, le gouvernement fédéral pourrait utiliser une partie de cette somme pour aider les gouvernements provinciaux à concrétiser cette vision. C'est précisément ce qu'a fait le gouvernement fédéral quand le système d'assurance-maladie a été mis sur pied, en créant un fonds qu'il a mis à la disposition des provinces pour la construction d'hôpitaux et la création d'une infrastructure en matière de soins de santé. C'est exactement ce qu'a fait ce gouvernement en créant les programmes d'initiatives stratégiques annoncés dans le budget précédent. Nous recommandons que vous continuiez de jouer un rôle similaire, surtout en ce qui a trait aux personnes handicapées, pour que le gouvernement fédéral puisse ainsi faire preuve de leadership dans ce domaine.

Nous recommandons aussi que le gouvernement fédéral soit très présent dans le financement de la recheche en politique sociale afin de promouvoir l'intégration des personnes handicapées.

Finalement, nous encourageons le gouvernement fédéral à allouer une partie de ces fonds aux activités de développement communautaire, afin que le secteur bénévole puisse participer à l'élaboration de nouveaux systèmes sensibles aux besoins des personnes vulnérables, des systèmes qui viendront soutenir leur participation économique et sociale.

Le vice-président (M. Campbell): Merci beaucoup, madame Richler.

[Français]

Est-ce que l'appareil d'interprétation fonctionne? Vous pouvez entendre l'interprétation?

Nous commençons avec M. Loubier.

M. Loubier: Merci, monsieur le président. Bienvenue Mme O'Donnell, Mme Richler et Mme Berthiaume au Comité des finances.

D'abord, je vous félicite pour votre excellente présentation, très explicite, qui comprenait un exemple de ce que vivait Mme O'Donnell, ce qui fut, à mon avis, très éducatif. J'aimerais savoir comment cela fonctionne aujourd'hui.

Comment peut-on s'assurer, à l'heure actuelle, qu'il y a une suffisance de fonds qui sont attribués aux personnes atteintes d'un handicap intellectuel et qu'une partie de l'argent aussi soit allouée pour l'insertion de ces gens dans le marché du travail? Comment, aujourd'hui, avez-vous cette assurance?

Mme Richler: Dans le Budget de l'année passée, M. Martin avait annoncé un projet devant avoir lieu à l'Île-du-Prince-Édouard, en collaboration avec notre association, dans lequel on essayerait de déterminer comment réallouer les fonds actuellement disponibles dans chaque province.

La recherche que nous avons effectuée à ce jour suggère que si nous pouvions changer le système qui existe actuellement, afin de mieux supporter chaque personne en tant qu'individu - c'est-à-dire permettre à ces personnes atteintes d'une déficience d'entrer dans le marché du travail - , nous pourrions éviter le gaspillage d'argent qui existe actuellement. Nous ne sommes pas ici du tout pour défendre le système qui existe actuellement.

.1210

Nous pensons que l'on dépense trop d'argent actuellement dans les services, ce qui empêche les gens de vraiment participer. Si on pouvait faire plus que le PARI actuellement, c'est-à-dire, demeurer dans la communauté, recevoir un peu d'appui - une heure par jour, cinq heures par semaine - cela pourrait changer et aider les personnes, avec l'approbation et l'appui du marché du travail, à travailler et on pourrait ainsi éviter le gaspillage d'argent.

Donc, nous sommes confiants que nous pouvons obtenir des bénéfices en dépensant plus intelligemment l'argent que nous avons. Un peu partout, on nous appuie sur ce sujet. Le problème, c'est que nous n'avons pas eu l'expérience de travailler dans un système et c'est cela que nous faisons actuellement à l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Loubier: C'est une expérience pilote à l'Île-du-Prince-Édouard.

Mme Richler: Oui.

M. Loubier: Qu'est-ce qu'elle comportait? Est-ce qu'il y avait des fonds vraiment spécifiques qui étaient alloués à l'aide à la réinsertion dans le marché du travail? Est-ce que c'était une gamme de services et quels étaient les montants prévus dans ce projet pilote?

Mme Richler: Pour le moment, à l'Île-du-Prince-Édouard, l'allocation du ministre Martin et de M. Axworthy se fixe à 5 millions de dollars pour cinq ans pour la recherche et la planification. Les fonds consacrés aux services et aux individus proviennent des fonds qui existent actuellement dans le système.

Et comme cela s'est passé cette année, lorsque le gouvernement provincial a réduit l'allocation provinciale, il s'agit de l'argent avec lequel nous pouvons jouer. Nous tentons alors de nous servir des fonds qui existent dans le système actuellement, afin de déterminer comment on pourrait les réallouer, en travaillant beaucoup plus avec les fonds donnés directement à l'individu pour l'achat des services - qui sont déterminés par l'individu - , mais avec un certain investissement dans la gamme de services dans la communauté.

M. Loubier: Est-ce que vous avez - si vous me le permettez, monsieur le président - jonglé avec l'idée d'utiliser des enveloppes prédéterminées pour des cas particuliers: la réinsertion des personnes atteintes d'un handicap intellectuel dans le marché du travail, ainsi que des enveloppes qui seraient prédéterminées et distribuées directement auprès des organismes communautaires qui détiennent une expertise de terrain beaucoup plus grande que celle des fonctionnaires à Ottawa?

Est-ce que vous avez envisagé une telle éventualité qui s'avérerait être une voie plus prometteuse et peut-être moins délicate, sur le plan politique, que l'établissement de normes pan-canadiennes?

Mme Richler: C'est un peu la direction du projet à l'Île-du-Prince-Édouard. Ce que nous essayons de déterminer actuellement, c'est le montant, parce qu'il est très difficile de déterminer combien d'argent est dépensé pour chaque personne, puisque l'argent ne va pas à la personne. On attribue une peu d'argent ici, un peu d'argent là. C'est très difficile de prévoir quel montant serait nécessaire, si on changeait le système pour allouer les fonds à l'individu directement.

Donc, ce que nous essayons de faire, c'est de déterminer les montants et la gamme de montants par individu, selon le type de déficience, afin de nous doter d'un système bien organisé, qui n'attribuerait pas à une certaine personne dans une certaine communauté la somme de 2 000$ et 100 000$ à une autre personne dans une autre communauté.

Comment peut-on obtenir un système qui fonctionne sans trop de discrétion? Je pense aussi que Mme Berthiaume pourrait décrire la situation de son fils, qui vit une même expérience.

.1215

Mme Berthiaume: Je ne sais pas, je pense que quelques membres ici, autour de la table, savent que mon fils est sorti de l'Hôpital de Rivière-des-Prairies. Il y a passé 32 ans. Il a maintenant 40 ans. Pendant des années, mon fils a coûté au gouvernement du Canada et à tous les Canadiens plus de 80 000$ par année. Il n'a jamais pris de médicament. Il était dans un hôpital psychiatrique. Il allait à des ateliers pendant deux heures à chaque matin et le reste de la journée, il marchait autour de l'hôpital ou il allait se baigner à la piscine de l'hôpital une fois ou deux par semaine. Il venait chez moi durant les fins de semaine.

Mon fils est sorti de l'hôpital depuis le 1er avril et on a dû se battre pour le sortir. On voulait en sortir 91. On a commencé par mon fils Louis et il y en a encore 90 à aller chercher comme cela.

En ce moment, on a alloué à mon fils Louis, 52 500$ par année parce qu'il a besoin de surveillance 24 heures sur 24. Nous, un groupe de parents avec quelques professionnels qui ont les mêmes valeurs et la même vocation, c'est-à-dire du personnel moins coûteux en vue d'une meilleure qualité de vie, c'est avec cet argent que nous nous débrouillons. Je pense que ça ne coûte pas autant à l'heure actuelle.

Il est vrai que Louis a intégré sa résidence depuis le milieu du mois de janvier. Nous regardons cela de très près. Nous avons un conseil d'administration composé de six personnes. Nous regardons le tout. C'est une expérience. Il y a beaucoup de parents qui nous regardent et qui veulent faire la même chose.

Mon fils a besoin de surveillance 24 heures sur 24, mais il y a d'autres gens que nous connaissons qui en ont besoin seulement pour quelques heures par semaine. Par exemple, à Saint-Théophile, il y a 88 adultes de 20 à 70 ans et la plupart sont dans des appartements supervisés. Il y en a qui sont mariés. Il y en a qui travaillent et tout ça après avoir passé plus de 10 ans en institution.

Donc, cet argent est récupéré dans le système. Je reviens à mon fils comme à d'autres personnes. Louis a peut-être besoin de surveillance 24 heures sur 24, mais si on lui trouve une occupation, une fois qu'on connaîtra ses besoins, il coûtera encore moins cher parce qu'on n'aura pas besoin de surveillance durant le jour. Il a besoin de surveillance à cause de son parler et jusqu'à ce qu'il commence à connaître les aires d'une communauté... Après 32 ans en institution, vous n'êtes plus une personne... Il commence à prendre sa vie en main, à être capable de contrôler sa vie et de pouvoir dire oui, je veux ceci ou non, je ne veux pas. C'est la base pour que nos personnes soient des citoyens à part entière, que ça coûte le moins cher possible à la communauté et que ces personnes vivent une vie comme vous et moi.

M. Loubier: Merci madame.

[Traduction]

M. St. Denis: Merci d'être venue.

J'ai écouté votre exposé, et ce qui m'a impressionné le plus est lié à ce que je... Une des choses que j'ai apprises en tant que député fédéral, c'est que bien que nous ayons marginalisé de nombreux citoyens, parce qu'ils étaient analphabètes ou pauvres - dans le cas des gens que vous représentez, ce sont des déficiences qui sont en cause - nos concitoyens relégués de la forte sont aussi de véritables mines d'or de ressources. Parmi les gens que vous représentez, se trouve un grand nombre de travailleurs en puissance qui ne peuvent accéder au marché du travail.

Je sais que vous en avez parlé dans votre mémoire. Vous avez dit que vous n'étiez pas particulièrement triste devant la disparition du Régime d'assistance publique du Canada. Sur le plan philosophique, comment pouvons-nous améliorer les choses dans notre pays pour pouvoir accéder à cette mine qui sont à ces travailleurs qui ne sont pas disponibles à l'heure actuelle, comme ils devraient l'être, pour se joindre à la main-d'oeuvre active? Les travailleurs sont aussi des consommateurs, et ce sont nos voisins.

Mme Richler: Nous comprenons que le rôle que joue le gouvernement fédéral dans la détermination de l'utilisation des fonds alloués aux services sociaux va évoluer. Nous avons noté avec intérêt les mots choisis par M. Martin, qui a parlé de principes et d'objectifs plutôt que de normes en ce qui a trait à l'allocation du transfert en matière de santé et de programmes sociaux.

.1220

Mais, comme l'a signalé Patty, un des obstacles majeurs auquel les personnes atteintes d'un handicap sont actuellement confrontées est le fait qu'elles perdent leurs prestations d'handicapés si elles vont travailler. Par conséquent, on les empêche de travailler parce qu'elles craignent perdre les prestations de santé... celles qui ont besoin de médicaments supplémentaires parce qu'elles font des crises ou parce que, à l'instar de Patty, elles ont besoin d'aide supplémentaire en raison d'une déficience de la vue, ont peur de ne plus être couvertes car les emplois auxquels elles ont accès ne sont pas assortis d'un régime d'assurance-maladie visant ce genre de besoins. Ces personnes risquent même de perdre leur logement parce qu'il peut y avoir certaines conditions d'admissibilité à remplir.

Il est à notre avis essentiel de faire une distinction entre la nécessité d'avoir accès à une aide et à des services parce que l'on est atteint d'un handicap et la façon de gagner sa vie, et l'attitude qu'adoptera le gouvernement fédéral à cet égard d'ici quelques années est déterminante à nos yeux. Par conséquent, il ne faudrait pas priver les gens acceptant un emploi de l'aide dont ils ont besoin à cause de leur handicap.

Il existe à mon avis deux grandes solutions. L'une consiste à prévoir, dans le cadre de principes et d'objectifs communs, que l'on n'imposera aucune restriction de ce genre et que l'accès aux services sociaux pour les personnes handicapées ne dépendra pas du fait qu'elles ont ou non un emploi ou qu'elles sont aptes à travailler.

L'autre possibilité, c'est que le gouvernement fédéral verse directement des indemnités aux personnes handicapées, par l'intermédiaire du fonds d'investissement dans les ressources humaines. Dans ce cas, il faudra veiller toutefois à ce que personne ne soit implicitement ou explicitement exclu du marché du travail pour cette raison.

En fait, le Régime d'assistance publique du Canada ne spécifie pas que l'on ne peut pas travailler si l'on veut avoir droit aux prestations mais dans la pratique, comme il faut pouvoir déclarer que l'on est dans le besoin pour avoir droit à certaines prestations, il faut se déclarer non employable.

Cette situation commence déjà à avoir des effets sur les très jeunes enfants atteints d'un handicap, quand ils vont à l'école. Si leur famille et leurs professeurs reconnaissent qu'ils auront toujours besoin d'une certaine forme d'aide en raison de la nature même de leur handicap physique ou mental, à quoi cela servira-t-il de leur donner une formation destinée à les rendre aptes au travail? À quoi cela servira-t-il de leur apprendre à lire et à écrire ou même à les amener à s'attendre à devoir se frayer eux-mêmes un chemin dans la société? Jusqu'à présent, on a eu l'impression qu'ils auront besoin d'une aide quelconque et que le seul moyen d'y avoir droit consiste à recourir au mécanisme actuel qui exclut automatiquement les handicapés du marché du travail.

À mon avis, la première chose que le gouvernement fédéral peut faire, c'est d'exploiter, comme vous le dites, cette main-d'oeuvre gigantesque. C'est vraiment incroyable, mais un très grand nombre d'employeurs sont prêts à engager des personnes handicapées. Il y a dans le numéro du Globe and Mail d'aujourdui un super article consacré à la diversité au travail où l'on explique que celle-ci peut contribuer à la bonne marche de l'entreprise. Il n'était toutefois pas question du tout de travailleurs handicapés. Par contre, nous avons pu constater que les employeurs qui tiennent à engager des personnes atteintes d'un handicap les considèrent comme des atouts pour l'entreprise.

À mon avis, le problème n'est pas de trouver des emplois ou des employeurs disposés à offrir ces emplois. Il réside plutôt dans le fait que jusqu'à présent les personnes handicapées ont dû se couper du marché du travail pour avoir droit aux prestations. C'est d'ailleurs ainsi que s'est créée une classe de gens qui ont toujours été en état de dépendance et qui se considèreront toujours comme tel, d'où la nécessité de prévoir des services coûteux.

M. St. Denis: C'est intéressant. Merci.

Le vice-président (M. Campbell): Merci, monsieur St. Denis. Comme toujours, l'exposé que vous avez fait au nom de votre organisation, c'est-à-dire de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire, nous aide à comprendre que nous ne sommes pas toujours conscients de la valeur du travail accompli par des organisations comme la vôtre dans tout le pays, et à comprendre le rôle que le gouvernement fédéral joue auprès d'elles, que ce soit de façon directe ou qu'il s'agisse de leur ouvrir la voie ou d'assurer une participation en consultant d'autres paliers de gouvernement.

.1225

Cela nous aide beaucoup, et je crois que tous mes collègues sont d'accord sur ce point, que des gens qui participent à votre programme viennent témoigner dans le cadre de votre exposé. C'est une formule que je recommande à d'autres témoins, parce qu'elle nous aide à apprécier la qualité de votre travail à sa juste valeur.

Merci de votre exposé qui a été, comme d'habitude, de grande qualité, ainsi que pour vos recommandations dont nous tiendrons compte pour la suite des délibérations pour ce projet de loi.

Merci à toutes et à tous.

Notre témoin suivant est M. Craig Scott, professeur à l'université de Toronto.

Monsieur le professeur, nous avons un exemplaire de votre mémoire. Aviez-vous l'intention de le résumer puis d'avoir une discussion avec mes collègues et moi-même? Dans ce cas, allez-y.

M. Craig Scott (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.

J'ai effectivement l'intention de passer en revue certains passages de mon mémoire - la moitié, probablement - pour préciter certains points qui pourraient paraître obscurs si l'on se contentait de les survoler. J'espère que cela ne prendra pas plus de 15 minutes et je compte alors vous laisser la parole.

Le vice-président (M. Campbell): Merci, nous aurons ainsi le temps de vous poser des questions, ce qui nous sera très utile.

M. Scott: La plupart des députés savent que le projet de loi à l'étude, c'est-à-dire le projet de loi C-76, supprimera la protection qui existait auparavant dans la législation fédérale du moins. Je veux parler des garanties et des droits nationaux que l'on associe aux programmes d'assistance sociale depuis maintenant près de 30 ans.

Par contre, les parlementaires, vous-même et les Canadiens en général ignorez probablement qu'avec le projet de loi C-76, le Canada cessera de respecter les obligations internationales qu'il a contractées en matière des droits de la personne. Cela mis à part, il est quasi-certain qu'un groupe d'experts des Nations unies chargé de vérifier si les droits en question sont respectés, en arrivera à cette conclusion d'ici une année ou une année et demie - en 1996, probablement.

Je vais vous expliquer brièvement pourquoi ce pourrait être le cas et quelles sont les obligations légales qui seront compromises faute d'avoir maintenu dans le projet de loi C-76 certaines garanties prévues dans le cadre du régime d'assistance publique du Canada.

Le 4 mai dernier, c'est-à-dire il n'y a pas très longtemps, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a envoyé au Canada une lettre dans laquelle il laisse entendre clairement que si ce projet de loi est adopté sans amendement, il endreindra un traité international sur les droits de la personne auquel nous adhérons depuis 1976. Il s'agit du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que j'appellerai dorénavant «le Pacte». C'est un des deux traités que l'on considère généralement comme étant les piliers du système de protection des droits de l'homme instauré par les Nations unies, l'autre étant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans ce contexte, le Canada appuie de façon notoire les organismes officiels chargés d'interpréter ces deux pactes.

J'estime très important que le comité le sache. La décision d'envoyer la lettre il y a deux semaines à peine n'a pas été prise à la légère par les 18 membres du Comité. Celui-ci est composé d'experts indépendants de toutes les régions du monde et il comprend notamment des érudits et des juges renommés ayant de l'expérience dans le domaine de la protection des droits légaux.

Avant de décider à l'unanimité qu'il avait la responsabilité de mettre le Canada au courant des doutes qu'il entretient au sujet de ce que certains de ses membres ont qualifié de texte législatif pouvant être dangereux, le Comité a longuement étudié et débattu la question de savoir s'il convenait ou non de créer un tel précédent.

.1230

Ce comité voulait en fait se monter le plus coopératif possible et indiquer que ce projet de loi risque de poser certains problèmes qu'il vaudrait la peine que le Parlement examine, avant d'adopter ce texte. Il préférait donc agir ainsi que de devoir juger des lois en vigueur, avec toutes les conséquences plus graves que cela pourrait avoir.

Quelles mesures de protection de droits de la personne prévues dans ce pacte risquerait-on d'enfreindre, d'après ce comité des Nations Unies, si ce projet de loi n'était pas modifié? On peut répondre à la question en voyant quelles garanties, actuellement prévues dans le Régime d'assistance publique du Canada, (mieux connu par son sigle, RAPC), cesseront d'être consignées dans la législation fédérale après le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, à partir du 1er avril de l'année prochaine.

Les droits garantis par le RAPC - et je m'excuse d'énumérer des droits que vous connaissez tous, mais j'estime qu'il est important que nous sachions tous de quoi nous parlons - sont notamment le droit qu'ont les personnes dans le besoin de recevoir une aide financière, le droit à un niveau d'aide financière tenant compte des besoins budgétaires individuels, le droit d'avoir recours à des procédures légales d'appel pour contester tout point de détail concernant cette aide et le droit - qui est très important - de ne pas être forcé à travailler pour recevoir de l'aide financière ou sociale, ce que certains appellent maintenant «le travail obligatoire pour les prestataires d'aide sociale».

En outre, et ceci est encore plus important, en vertu d'une décision prise en 1986 par la Cour suprême du Canada, le jugement Finlay, en attendant que le RAPC soit mis au rancart, ces prestataires ont le droit de contester devant les tribunaux le financement de l'aide sociale provinciale par le gouvernement fédéral lorsqu'un des droits que je viens d'énumérer n'est pas respecté. Tous ces droits disparaîtront à partir du 1er avril 1996; ils cesseront alors d'être considérés comme des garanties juridiques nationales.

On n'a aucune peine à imaginer que l'on puisse perdre de vue la pauvreté, et par conséquent les pauvres, à l'occasion des remaniements qui seront faits en faveur d'autres éléments du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Il est probable que, par sa structure et sa teneur, le projet de loi à l'étude entraîne une certaine marginalisation des pauvres; par contre, il maintient les critères nationaux prévus dans la Loi canadienne sur la santé. Les cinq principaux critères nationaux n'ont pas disparu.

Ce que j'essaie d'expliquer à la page 3 de mon mémoire, c'est que le programme politique actuel axé sur la réduction du déficit et de la dette n'a pas été invoqué pour justifier une attaque - que j'ai qualifiée sans ambages d'attaque «de plein fouet» contre les droits garantis par les normes nationales en matière de santé que la plupart des membres de la classe moyenne et de l'aristocratie et, je suppose, la plupart des personnes ici présentes, moi y compris, associent étroitement à leurs intérêts personnels.

C'est une injustice flagrante à l'égard d'une des couches les plus vulnérables de notre société, à savoir la classe pauvre. L'article 2 de ce Pacte, de ce traité international assure une protection contre la discrimination, analogue à celle qui est offerte par l'article 15 de notre Charte des droits. Le Comité des Nations Unies s'est notamment basé sur cette clause pour dire qu'il faut tenir compte en priorité des couches les plus vulnérables et les plus démunies de la société lorsqu'il s'agit d'élaborer des politiques et des mesures législatives.

Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que, sur le plan juridique, le projet de loi C-76 n'est pas conforme aux dispositions de l'article 15 de notre Charte comme de l'article 2 du Pacte, en ce sens qu'on y envisage de faire supporter aux pauvres une part exagérée du fardeau que notre société devra supporter parce qu'il est nécessaire de mettre de l'ordre dans les finances de l'État.

La responsabilité financière est louable et nécessaire, c'est indéniable, mais les mesures d'austérité sont discriminatoires si elles visent ou touchent davantage les pauvres que les couches plus privilégiées de notre société.

.1235

Si le projet de loi C-76 est adopté sans modifications, c'est-à-dire si l'on ne maintient pas les garanties prévues dans le RAPC dont j'ai parlées, ou si elles ne sont pas remplacées par quelque chose d'équivalent, nous serons en présence d'une situation classique, quoiqu'involontaire, en ce sens que la priorité conférée aux droits d'une minorité vulnérable par la jurisprudence qui existe dans le domaine des droits de la personne ne sera pas respectée mais que ceux-ci seront considérés plutôt comme un privilège dont on peut se passer.

Le contenu de cette lettre a été inspiré par des événements antérieurs. Elle n'est pas sans fondement. D'après moi, on vous l'a envoyée pour vous inciter à assurer un suivi ou un certain contrôle. Elle est fondée sur des événements qui ont eu lieu en 1993, c'est-à-dire il y a deux ans, époque où le comité en question a livré ses conclusions, qui constituent en quelque sorte une opinion juridique, au sujet d'un rapport que le gouvernement Mulroney lui avait remis. D'après ces conclusions, le Canada n'avait pas respecté les obligations internationales qu'il avait contractées en vertu de ce traité du fait qu'il n'était pas parvenu à réaliser «des progrès visibles dans la lutte contre la pauvreté depuis une dizaine d'années», et plus particulièrement en ce qui concerne la misère dans laquelle vivent ceux et celles qui font partie des groupes très vulnérables. Le comité avait ensuite précisé certaines habitudes et certains problèmes en raison desquels le Canada omet de remplir ses engagements, à savoir de respecter le droit à un niveau de vie suffisant prévu à l'article 11 du Pacte. Je n'entrerai pas dans les détails. Il suffit de signaler ces constatations.

La lettre en question que vous avez sous les yeux, et qui fait suite aux conclusions de 1993, est rédigée dans un langage judicieux, on pourrait même dire diplomatique. En fait, je tiens à vous mettre en garde contre le faux sentiment de sécurité que pourrait vous inspirer ce langage.

Le comité des Nations Unies stipule dans la lettre qu'étant donné que le projet de loi à l'étude, c'est-à-dire le projet de loi C-76, n'a pas encore été adopté, «il ne serait pas approprié de faire des recommandations précises au gouvernement au sujet des problèmes en question». Étant donné qu'il considère que son rôle est plutôt restreint lorsqu'il s'agit de projet de loi et non d'une loi qui a été adoptée ou qui est en vigueur, le comité s'est contenté de dire qu'il attendait les observations du gouvernement du Canada dans le prochain rapport que celui-ci lui fera. Ce rapport doit être fourni à la fin de l'année et le comité l'examinera probablement et portera un jugement à la fin de 1996.

Les précautions prises s'expliquent du fait qu'il crée ainsi ou contribue à créer un double précédent en décidant, d'une part, qu'il était habilité à manifester certaines craintes au sujet d'un projet de loi et, d'autre part, qu'il pouvait le faire en dehors des délais prévus pour l'étude des rapports faits par les divers pays.

Ce qui est toutefois absolument clair pour ceux qui interprètent le langage diplomatique employé par l'Organisation des Nations Unies ou ailleurs - et c'est ce que je signale en haut de la page 5 de mon mémoire - , c'est qu'il y aurait des recommandations à faire si le projet de loi avait été adopté et si l'on avait consulté le comité sur certains problèmes concernant une loi plutôt qu'un projet de loi.

Il y a un dernier événement qui permet de mieux comprendre la prudence du langage utilisé dans la lettre et l'esprit de coopération dans lequel elle a été envoyée au gouvernement. En 1993, après que le comité eut donné ses conclusions, le gouvernement Mulroney a très mal réagi, je crois. Certains d'entre vous se souviennent peut-être que le gouvernement a été mis sur la sellette à la Chambre des communes par les députés de l'opposition libérale et néo-démocrate et qu'il a tenu le coup , et que par la suite il n'a pas tenu compte du tout des conclusions du comité en question.

.1240

Certains observateurs qui connaissent le comité et la façon dont fonctionnent les organismes de défense des droits de l'homme des Nations Unies estiment que les termes très mesurés choisis par le comité dans cette lettre visent à rétablir un certain dialogue avec l'État qui, de l'avis de certains membres du Comité, pour ne pas dire tous, s'est montré assez récalcitrant vis-à-vis de ces conclusions de 1993. Le Canada n'a pas répondu au Comité sur les questions de fond et l'on ne sait pas trop si le gouvernement actuel, qui n'est pas au pouvoir depuis très longtemps, a jugé bon de donner suite à ces conclusions.

Résultat, et c'est ce que j'essaie de faire comprendre aux députés: il ne faut pas se faire d'illusions quant à l'importance de cette lettre de ce comité des Nations Unies au Canada, surtout quand on sait que le Comité a dit de façon assez catégorique que l'on n'avait pas fait grand chose pour lutter contre la pauvreté entre 1983 et 1993. Cette remarque faisait en effet partie de ses dernières observations d'il y a deux ans.

Il me semble donc très probable que le comité jugera sans aucune ambiguité que les mesures régressives contenues dans le projet de loi C-76 - c'est-à-dire le non-maintien des protections du RAPC - sont contraires à ce traité international sur les droits de l'homme, la Convention, lorsque le Canada comparaîtra devant ce comité en 1996 pour présenter et défendre son prochain rapport.

Une telle constatation, c'est-à-dire que le projet de loi C-76 est une mesure rétrograde, serait normale pour ce comité et elle entrerait dans sa jurisprudence évolutive, à savoir que la Convention interdit ce qu'elle appelle «des mesures délibérément rétrogrades» en particulier celles qui mettent des groupes particulièrement vulnérables et défavorisés en situation de risques accrus par rapport à la situation préalable.

Peut-être les députés souhaiteraient-ils savoir à quel moment le comité des Nations Unies considérerait que des mesures «rétrogrades» en question ont été prises, du point de vue juridique. Pour résumer mes propos et souligner ce que vous trouverez essentiellement aux pages 5 et 6 de mon exposé, j'estime que le comité interprètera très probablement le fait que l'on supprime certaines des protections actuelles de la loi fédérale comme une mesure «rétrograde». En effet cette abrogation de garantie légale comporte le risque important que certaines provinces ne respectent pas les normes antérieures du RAPC.

Face à cette possibilité, même si, pour le moment, toutes les provinces continuent à respecter les normes du RAPC pour ce qui est des droits que j'ai énumérés au début de mon exposé, la mesure «rétrograde» en question créerait aux yeux de ce comité une vulnérabilité légale, un genre de protection légale précaire et toujours conditionnelle, ce qui n'était pas le cas dans le contexte du RAPC.

Cette vulnérabilité légale n'est pas simplement qu'à l'avenir une province peut modifier ses lois qui avaient été adoptées conformément aux dispositions du RAPC mais également il n'y aurait plus d'éléments clairs sur lesquels fonder une plainte à l'égard d'une province qui ne respecterait plus les normes du RAPC puisque celui-ci n'existerait plus, sauf si - et rien ne permet de l'assurer - la Charte canadienne ou la Charte du Québec pouvaient être invoquées à la place.

Ayant écouté l'exposé de quelqu'un qui m'a précédé, d'un professeur du Québec, j'ai également pensé qu'il serait très important d'indiquer au comité que nous ne parlons pas ici simplement du comité, lorsque nous disons que le Canada ayant établi certains minimums, certaines protections, ne peut pas faire machine arrière... Car il faut savoir que le comité interprétera vraisemblablement certaines, sinon toutes, les protections des droits qui existent dans le contexte du RAPC individuellement obligatoires aux termes de la Convention, qu'elles existent ou non déjà, dans le droit canadien.

.1245

Une interprétation qui irait en ce sens, relativement à tous ces droits, correspondrait non seulement à la jurisprudence évolutive de ce Comité mais également aux normes et protection reconnues de l'Organisation internationale du travail et à la jurisprudence pan-européenne en matière de droits de l'homme aux termes de la Convention européenne pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de la Charte sociale européenne.

Le témoin précédent a dit qu'en Europe il n'y existait pas nécessairement, en matière d'éducation, de normes pan-européennes aussi détaillées que ce qui nous occupe ici. Ce que je veux vous faire comprendre c'est qu'ici la question est le travail forcé ou l'obligation de travailler pour les assistés sociaux, les questions de droit à l'assistance sociale et de droit d'appel font toutes l'objet de normes pan-européennes relatives aux droits de l'homme, ce qui fera presque certainement l'objet d'interprétations semblables par le comité des Nations Unies.

Je terminerai en répétant que le Comité nous a, dans un sens, rendu service en nous invitant en quelque sorte à un dialogue coopératif. Son message est rédigé en termes diplomatiques mais il n'en est pas moins clair.

J'invite donc instamment le Comité permanent et par là le Parlement à considérer cette question avec le plus grand sérieux. Il ne s'agit pas simplement d'une violation de quelque chose que l'on pourrait appeller le droit international des droits de l'homme. C'est le fait de prendre délibérément une mesure qui constitue une infaction au droit international des droit de l'homme, au droit sur laquelle repose la Charte canadienne des droits de la personne, sans parler de la Charte des droits du Québec. Je vous invite donc instamment à modifier le projet de loi dans le sens indiqué par le comité des Nations Unies afin d'éviter ce qui risque de se produire d'ici un an et demi.

Le vice-président (M. Campbell): Merci, monsieur Scott.

Nous commencerons par monsieur Loubier.

[Français]

M. Loubier: Merci, monsieur Scott, pour cette présentation. J'aimerais savoir, de façon précise, ce qu'il faudrait apporter comme modifications au projet de loi C-76, pour atténuer ou éliminer les critiques du comité de l'ONU.

[Traduction]

M. Scott: Merci de cette question.

La réponse est en fait très simple et directe, dans la mesure où la préoccupation que j'exprime et qui est partagée par le Comité, concerne l'élimination des protections légales existantes dans le Régime d'assistance publique du Canada sous forme des divers droits que j'ai mentionnés. Puisque le projet de loi C-76 maintient des normes nationales en ce qui concerne la Loi canadienne sur la santé dans le contexte du transfert au titre de la Loi canadienne sur la santé, les normes du Régime d'assistance publique du Canada devraient également être maintenues afin que ces deux programmes soient traités de la même façon dans le contexte du transfert général.

Je pourrais également suggérer ce que l'on pourrait faire d'autre pour se conformer aux obligations de la Convention car il est possible que même le Régime d'assistance publique du Canada ne satisfasse pas entièrement à nos obligations. Toutefois, je m'en tiendrai à ce que j'ai dit.

[Français]

M. Loubier: Donc, on garde les dispositions actuelles qui sont liées au transfert au titre du Régime d'assistance publique du Canada. C'est uniquement cette question qui pose un problème et qui fait dire au comité de l'ONU que le Canada ne respecte pas le pacte? Il me semble qu'il y avait d'autres éléments...

[Traduction]

M. Scott: Merci de cette autre question.

Ceci est plus difficile à prévoir car je crois que ce sur quoi s'est penché immédiatement le comité dans les deux semaines dont il a disposé pour étudier la question est essentiellement le fait que le projet de loi supprimait les protections légales existantes, ce qui du point de vue doctrinaire ou juridique représente en soi une violation de la Convention. C'est aller contre le devoir de ne pas revenir sur les progrès réalisés.

.1250

À la toute fin j'ai essayé de mentionner... Je n'avais pas bien mesuré le temps qui me restait, je n'ai donc pas pu développer autant que j'aurais dû le faire. J'ai dit que la plupart des droits prévus aux articles 6 et 15 du RAPC actuel, où il est question de ce que j'appelle le travail forcé, ne serait-ce que le droit de ne pas forcer à travailler pour recevoir une assistance sociale... C'est, dans le domaine des droits de la personne à l'échéon internationale ce qu'on appellerait un «pedigree». Ce sont les mesures de protection que les États sont actuellement tenus d'offrir à leurs citoyens. Donc, si l'on ignorait ces droits dans la forme qu'ils avaient auparavant, on renforcerait la position du Comité qui est tenté de dire que ces mesures de protection sont nécessaires à cause des dispositions du droit international en matière de droits de la personne.

Une chose est certaine: les article 9 et 11 de la Convention qui portent sur les droits à la sécurité sociale et qui comprennent également des éléments d'assistance sociale, et l'article 11 qui porte sur le droit à un niveau de vie raisonnable, coincident avec les mesures prévues dans le Régime d'assistance publique du Canada. Dans le système européen de protection des droits de la personne, on considère que chacun de ces droits autorise un particulier à présenter des revendications sur la base de ses propres besoins, ce qui lui donne également accès à des procédures d'appel, y compris devant un tribunal juridique. On peut ainsi déterminer si les arrangements financiers prévus par l'état sont suffisants pour faire face aux besoins de l'intéressé.

Ainsi, en nous mettant ces protections prévues par le RAPC, on enfreint ces deux articles outre qu'on revient sur des droits acquis dans le cadre de notre droit national.

[Français]

M. Loubier: Merci.

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Merci. Pour rendre les choses plus claires... j'aimerais... comme je l'ai dit à d'autres témoins... j'apprécie beaucoup votre intervention ce matin, vous nous apportez une perspective que nous n'avions pas entendue jusqu'à présent, et cela est très important. Cela dit, j'aimerais préciser que le mémoire que nous nous avez soumis et les observations que vous faites aujourd'hui sont exclusivement le reflet de vos opinions personnelles, n'est-ce pas?

M. Scott: Oui, c'est mon...

Le vice-président (M. Campbell): Votre interprétation...

M. Scott: ...mon interprétation fondée sur une longue expérience en la matière.

Le vice-président (M. Campbell): Parfait. Personne n'en doute, mais j'ai voulu préciser qu'il s'agissait de votre opinion et de votre interprétation personnelle de la Convention.

Par exemple, dans le second paragraphe de votre mémoire, vous dites:

M. Scott: Évidemment.

Le vice-président (M. Campbell): Très bien. Ce n'est pas l'opinion du Comité. Le Comité se fonde sur les droits économiques, sociaux et culturels. Jusqu'ici, le Comité n'est pas parvenu à cette opinion.

M. Scott: Jusqu'ici.

Le vice-président (M. Campbell): Merci.

Deuxièmement, dans le paragraphe suivant vous dites:

Le Comité ne déclare cela nulle part dans la lettre. Vous...

M. Scott: Non.

Le vice-président (M. Campbell): ...vous dites que cela est sous-entendu dans la lettre, mais en fait, c'est seulement vous qui le sous-entendez.

M. Scott: Ce n'est pas seulement mon opinion, cela se fonde sur les discussions du Comité en préparation de cette mesure et sur la lettre qui sous-entend les choses délibérément.

Cette lettre exprime...

Le vice-président (M. Campbell): Est-ce que vous...

M. Scott: ...une véritable préoccupation.

Le vice-président (M. Campbell): Mais c'est votre opinion fondée sur votre participation...

M. Scott: Évidemment c'est mon opinion...

Le vice-président (M. Campbell): ...aux délibérations du Comité?

M. Scott: ...fondée sur des contacts que j'ai eu avec des observateurs qui ont observé les travaux du Comité tous les ans depuis sept ans.

Le vice-président (M. Campbell): Donc, il ne s'agit pas d'informations que vous avez recueillies directement, de conclusions fondées sur votre expérience personnelle.

Une dernière observation. Dans le second paragraphe, à la page 2 de votre lettre, vous posez la question suivante:

Puis dans le reste de votre lettre, vous parlez du RAPC et des changements proposés par le projet de loi C-76. Toutefois, dans votre exposé aujourd'hui, vous vous référez directement aux articles de la Convention.

Je tiens à signaler que l'analyse dans votre lettre... À mon avis, votre exposé oral et votre mémoire ne concordent pas. Dans votre mémoire vous ne discutez pas directement des dispositions de la convention. Vous avez peut-être l'impression que cette disposition est une contravention.

.1255

Pour terminer, une question, ou plutôt une observation.

M. Scott: Vous me permettez de répondre?

Le vice-président (M. Campbell): Certainement, excusez-moi, allez-y.

M. Scott: Monsieur le président, je vous ferai observer que c'est également là votre avis.

Le vice-président (M. Campbell): Absolument.

M. Scott: En fait, l'exposé porte sur chacun des articles en cause. La nécessité de ne pas adopter de mesures régressives découle essentiellement de l'article 2(1) de la Convention et du devoir de réalisation progressive. J'ai expliqué cela dans mon intervention. Il s'agit de toutes les formes de protection de droits qui figurent dans le droit national et qui sont en même temps prévues par la Convention. Je fais allusion à l'article 9, sur la sécurité sociale, à l'article 11, sur le droit à un niveau de vie acceptable, et sur l'article 6, sur le droit de travailler, y compris le droit de choisir son travail.

Le vice-président (M. Campbell): Excusez-moi, mais nous avons eu très peu de temps pour prendre connaissance de votre mémoire. En fait, vous faites allusion à la dernière page.

Vous y discutez, entre autres, du RAPC...

M. Scott: Mais pour être juste, étant donnée la confusion que vous percevez - et je trouve vos observations justifiées - si j'établis un lien entre le Régime d'assistance publique du Canada et les dispositions internationales de protection des droits de la personne, c'est à cause de cette obligation de ne pas revenir sur des protections qui figuraient déjà dans le droit national. Voilà le contexte.

Le vice-président (M. Campbell): Je ne voudrais pas que vous vous mépreniez. Je ne disais pas que vous ne vous étiez pas bien expliqués, étant donnée votre expérience, ou que vous n'auriez pas dû présenter ces arguments-là.

Ce qui m'inquiète, c'est qu'au deuxième paragraphe de la deuxième page, vous pourriez donner au lecteur l'impression que les dispositions actuelles du RAPC sont absolument parfaites et qu'elles sont entièrement et totalement conformes à la Convention, ni plus ni moins.

J'ai une dernière question. Il est certain qu'un principe fondamental du droit international exige que des États comme le Canada, et non pas les provinces, interviennent sur la scène internationale pour tout ce qui concerne les conventions des Nations Unies. Dans la mesure où une organisation des Nations Unies ou une autre organisation multilatérale s'inquiète des actes posés par une émanation d'un État membre, qu'il s'agisse des Nations Unies ou d'un autre organisme, ils ne peuvent pas traiter directement, dans ce cas, avec les provinces. C'est donc au niveau fédéral qu'ils expriment leurs préoccupations.

Si les provinces étaient membres des Nations Unies, cette lettre aurait fort bien pu s'adresser à elles, si leurs agissements avaient été source de préoccupations en vertu de la Convention. Ce que j'explique, c'est que dans le cas présent, le seul protagoniste est le Canada, et la seule façon pour les Nations Unies d'exprimer ses préoccupations au sujet de programmes provinciaux, est d'intervenir auprès de l'État membre.

M. Scott: Exactement. C'est la même chose dans tous les États fédéraux, qu'il s'agisse de l'Allemagne, des États-Unis ou du Canada.

Mais j'aimerais... Vos observations auront peut-être donné l'impression à ceux qui nous écoutent que le système international de protection des droits de la personne ne peut porter que sur le droit fédéral. Le gouvernement fédéral, qui est le porte-parole en matière de relations extérieures, est en réalité tenu de défendre les actes des provinces.

Le vice-président (M. Campbell): Autrement dit, nous devrions répondre aux consultations des Nations Unies et expliquer ce qui se produit à l'échelon provincial ou municipal.

M. Scott: Et en réalité, si le comité jugeait - ce qui est fort probable, à mon avis - qu'on a gravement porté atteinte à des protections légales qui existaient dans le RAPC, cela suffirait pour conclure que le Canada ne respecte pas la Convention.

En droit international, on ne peut pas invoquer des arrangements légaux ou constitutionnels nationaux pour se disculper de telles infractions. Si tout est allé pour le mieux au cours des 30 dernières années sur le plan de notre Régime d'assistance publique du Canada, un plan fédéral-provincial, nous ne pouvons pas revenir en arrière et décider rétrospectivement que c'était illicite sur le plan constitutionnel. Ce n'est absolument pas possible.

Ainsi...

Le vice-président (M. Campbell): Non, je vous remercie pour cette précision. Évidemment, je ne l'ignorais pas.

Le Canada ne pourrait pas chercher refuge derrière ses arrangements constitutionnels. Il est toujours responsable des engagements contractés aux termes de conventions internationales. Mais pour justifier ce projet de loi et ces changements, on pourrait citer des exemples de ce qui se produira aux paliers provinciaux et municipaux, des exemples qui rassureraient les gens sur nos obligations internationales.

C'est une simple précision que j'ai voulue...

.1300

M. Scott: En deux mots, effectivement, ce serait le cas. En fait, si le Canada pouvait convaincre le Comité qu'en remplacant le RAPC par ces nouvelles dispositions on n'instaure pas une telle situation de vulnérabilité, il pourrait peut-être également le convaincre d'attendre et de voir si certaines provinces cessent de respecter les normes antérieurs.

Cela dit, le simple fait que ce droit spécial dont Finlay a parlé, n'existe plus, ce droit de contester les programmes provinciaux sur la base du RAPC, pourrait empêcher de trouver des mécanismes de remplacement, à moins que le Canada et les provinces n'acceptent de démontrer que la Charte canadienne et la Charte du Québec offrent ces protections.

Le vice-président (M. Campbell): Ces détails ont été utiles, je vous en remercie.

M. Fewchuk: Je me suis rendu compte d'une chose intéressante dans ce comité: les économistes ne sont jamais d'accord, les avocats ne sont jamais d'accord, pas plus que les médecins. C'est très intéressant. Nous aurons beau siéger pendant des années encore, je ne crois pas que nous trouverons de solutions. Cela dit, leurs préoccupations sont importantes.

Merci d'être venu.

M. St. Denis: Merci d'être venu, M. Scott. Si je débarquais d'une autre planète, j'aurais eu l'impression en écoutant cette discussion, que le Canada est un endroit bien affreux. En fait, si l'on considère que le Canada est le pays du monde où il fait le mieux vivre, on se dit que le Comité des Nations Unies doit passer pas mal de temps à écrire à la Chine à l'Iran et à d'autres pays du monde qui ont une réputation bien pire que la nôtre.

Avez-vous des exemplaires des mémoires envoyés au Comité des Nations Unies par le CCN, L'ONAP et le CCQP?

M. Scott: Je les ai ici. J'ai cru comprendre que des représentants du Comité de la charte devaient comparaître dans le courant de la journée.

M. St. Denis: Serait-il possible d'obtenir...

M. Scott: Je crois qu'il en a des exemplaires.

M. St. Denis: D'accord.

Peut-être le greffier pourrait-il nous envoyer des exemplaires de ces trois mémoires au Comité des Nations Unies dont nous avons parlé.

M. Scott: Il s'agissait d'un mémoire commun.

Le vice-président (M. Campbell): Chacun de ces groupes a comparu; leurs mémoires se ressemblent peut-être.

M. St. Denis: J'aimerais voir le mémoire présenté au Comité des Nations Unies, si c'est possible.

M. Scott: Je crois que vous allez le recevoir, il sera distribué ce soir à 20 heures.

M. St. Denis: D'accord.

J'ai une question au sujet des normes. Dans sa déclaration sur le budget, M. Martin a expliqué que le gouvernement fédéral avait l'intention de négocier des normes avec les provinces au sujet des programmes du RAPC. Est-ce que vous pensez que les provinces et le gouvernement fédéral risquent de ne pas produire des normes qui satisfassent tout le monde, des normes qui compromettraient les normes actuelles?

M. Scott: Je n'ai pas tous les éléments qui me permettraient de prévoir ce qui est probable. Je crains qu'au moins un des droits en question, celui qui a trait à l'assistance sociale et le droit de ne pas être forcé à travailler pour recevoir l'assistance sociale, ne soit attaqué par certaines provinces. Il suffit de considérer les justifications et les programmes politiques actuels de certains partis pour conclure qu'on risque peu de se mettre d'accord sur ce point-là.

Je comprends votre observation, car le projet de loi C-76 prévoit ces négociations destinées à se mettre d'accord sur des normes qui, faute de cela, seraient imposées au niveau national. On pourrait penser que cela permettra de rétablir le mécanisme actuel du RAPC. Je le répète, l'argument fondamental selon lequel le droit d'appel devant un tribunal pourrait contester les versements d'assistance sociale, n'équivaut pas aux dispositions du RAPC...en soi, il ne suffirait pas pour se faire de réénoncer les dispositions du RAPC. Il faudrait convenir que les particuliers ont le droit de contester et ne pas se contenter d'un droit d'appel institutionnel dans le cadre des systèmes d'assistance sociale provinciaux, des sytèmes qui sont assujettis à des règlements et à des contraintes budgétaires prévus par les lois de la province. Il n'y a pas d'appel au-delà de ce palier-là.

.1305

Finlay estime que les tribunaux de ce pays peuvent se distancer des normes fixées par les lois provinciales pour juger de leur adéquation. Ainsi, même si ces normes mutuellement acceptées ressemblent aux protections prévues par le RAPC, en l'absence de dispositions plus précises, nous perdons une dimension qui existe actuellement dans le RAPC. Je pense que le Canada aurait beaucoup de mal à prouver sur la scène internationale qu'il n'y a pas eu perte de protection légale. C'est un danger que le comité doit prendre très au sérieux, et cela, même si vous êtes convaincus que les protections prévues par le RAPC vont resurgir d'une façon ou d'une autre et qu'elles ne disparaîtront pas.

M. St. Denis: Merci.

Le vice-président (M. Campbell): Merci beaucoup, professeur Scott, pour une intervention particiulièrement intéressante.

La séance est levée jusqu'à 15h30.

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