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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 4 mai 1995

.1535

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Nous allons continuer à parler du projet de loi C-76.

Nous accueillons aujourd'hui un groupe dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Ces gens produisent des granules qui ne sont pas très appétissantes, mais qui représentent une industrie de quelque 100 millions de dollars. Ce produit d'aspect répugnant plaît beaucoup à l'étranger et je suis bien content que nous exportions presque tout ce que nous produisons.

Je sais que vous avez réussi à le faire goûter à mes collègues, mais je n'ai aucunement l'intention de faire la même chose. Avant de vous permettre de nous adresser la parole, je veux voir chacun de vous avaler une de ces granules.

Bienvenue. Nous serons heureux d'écouter ce que vous avez à nous dire.

M. Garry Benoit (directeur exécutif, Canadian Dehydrators Association): Merci, monsieur le président.

Je vais vous faire un résumé de notre mémoire, que vous avez déjà en main. Mais avant de commencer, j'aimerais vous présenter les deux personnes qui m'accompagnent.

M. Roger Vansevenandt vient de Legal, en Alberta, juste au nord d'Edmonton. Il est président de l'entreprise Barrhead, qui exploite là-bas deux usines de transformation de la luzerne. Il est également président de la Alberta Dehydrators Association et membre du conseil d'administration de la Canadian Dehydrators Association. J'aimerais inviter Roger à vous dire quelques mots au sujet de la plante qui lui fournit son gagne-pain.

M. Roger Vansevenandt (membre du conseil d'administration, Canadian Dehydrators Association): Monsieur le président, mesdames et messieurs, bonjour. Je veux tout d'abord vous remercier de nous donner l'occasion de vous entretenir d'un sujet qui est d'une importance cruciale pour mes collègues et moi-même. Comme Garry m'a déjà présenté, je vais entrer tout de suite dans le vif du sujet.

Il y a vingt ans, la compagnie Legal Alfalfa produisait annuellement 5 000 tonnes de luzerne déshydratée. De nos jours, nous en produisons 14 fois plus, soit 70 000 tonnes de produits variés de la luzerne. Nous avons 35 employés permanents et nous embauchons en outre 60 personnes durant l'été, pour les opérations de déshydratation. Comme vous pouvez l'imaginer, cela me fait vraiment plaisir de pouvoir signer les chèques de paie de tous ces gens à chaque mois. Quand on pense que notre usine est seulement l'une des 26 installations membres de l'Association et qu'on additionne tous ces emplois permanents et ces emplois saisonniers, on se rend compte que les activités de déshydratation contribuent beaucoup à l'emploi dans l'Ouest canadien.

Les résultats de l'Accord du GATT laissaient présager avec certitude de gros changements à la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. En prévision d'une réforme inévitable, la Legal Alfalfa Barrhead a augmenté la production, amélioré l'efficacité des opérations et introduit de nouveaux produits. Nos usines tournent maintenant presque toute l'année. Et je sais que beaucoup d'autres propriétaires ont pris des mesures semblables. Mais nous ne nous attendions pas à la disparition totale de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, cette institution de l'Ouest s'il en est. Cette décision entraînera des coûts supplémentaires de 900 000$ à mon entreprise, des coûts impossibles à absorber.

L'annonce par le gouvernement fédéral de l'établissement d'un fonds de transition de 300 millions de dollars nous a un peu rassurés, mais les décisions relatives à la répartition de ce fonds devront être prises sans tarder pour que cela soit utile au secteur de la déshydratation. Si l'on tarde trop, notre industrie, que le gouvernement a aidé à se développer au cours des vingt dernières années, pourrait bien subir des dommages irréversibles. Nous avons déjà constaté cette année une diminution de 40 p. 100 de la superficie ensemencée.

Nous savons que le ministre Goodale a dit à votre comité qu'il réserverait de l'argent pour le secteur de la déshydratation. Évidemment, nous apprécions cette position. Cela dit, il faut dissiper immédiatement les icnertitudes, pour que nous puissions régler les questions de financement, d'ensemencement et autres.

Comme homme d'affaires et comme employeur, je ne voudrais pas voir s'envoler en fumée le fruit de tout ce travail et de tous les progrès accomplis dans notre secteur. Cela nous aiderait énormément de connaître la répartition du fonds de transition.

Merci, monsieur le président.

.1540

Le président: Merci, monsieur Vansevenandt.

M. Benoit: Allan Lindsay est propriétaire d'usines de traitement en Ontario et dans le sud de l'Alberta. Il possède un bon nombre d'années d'expérience dans ce secteur et il est membre du conseil d'administration de la Canadian Dehydrators Association. J'aimerais demander à Allan de parler un peu de ses activités et de certains aspects importants de la question.

M. Allan Lindsay (propriétaire, Ottawa Valley Grain Products et Alberta Dehydrating Company): Merci. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui.

Ma famille est en affaire dans le secteur de la transformation de la luzerne depuis les années trente. Je travaille dans ce secteur depuis quarante ans et je peux vous assurer, monsieur le président, que le fait d'inhaler un peu de ce produit chaque jour n'a absolument aucun effet, sauf que je suis père de quatre filles. Tiens, je me demande si cela pourrait avoir des effets estrogéniques...

Le président: Surtout, n'allez pas dire cela à ma femme. Elle pourrait bien décider de m'en faire manger.

M. Lindsay: Nous pourrions peut-être vous en laisser une provision de quelques mois.

Notre usine de l'Ouest se trouve dans le sud de l'Alberta, dans les terres irriguées en bordure de la voie de chemin de fer du Canadien Pacifique, qui nous fournit un service hebdomadaire. Nous avons déjà eu des problèmes l'année dernière parce que nous avons eu beaucoup de mal à faire nos livraisons, à cause d'une pénurie de wagons et de mouvements de grève. Nous appréhendons l'entrée en vigueur, le 1er août prochain, de coûts supplémentaires de fret terrestre de 15$ la tonne sur un produit que nous vendons 88$ la tonne. Comme vous pouvez le voir, il s'agit d'une augmentation très importante qui ne sera pas sans conséquence.

Le groupe de marketing avec lequel nous faisons affaire a des problèmes de surestaries. Et nous pensons que nous payons des surestaries parce que les wagons n'arrivent pas au port dans les délais fixés. De plus, on nous fera payer des droits de stationnement sur les wagons. Cela augmente encore les coûts d'environ deux ou trois dollars. Tout cela pour vous dire que notre crédibilité auprès de nos clients des pays côtiers du Pacifique souffre de ces problèmes de transport.

Le président: Vous expédiez vos produits de la vallée de l'Outaouais jusqu'au port de Vancouver?

M. Lindsay: Oh, non. Nous avons une usine à Renfrew, tout près d'ici, et nous en avons aussi une à Vauxhall, en Alberta.

Le président: Excusez-moi. Où sont vos installations, dans quelles provinces?

M. Lindsay: L'une d'elles se trouve à 60 milles à l'ouest d'ici; c'était notre première.

Le président: Quelle direction prennent les produits de cette usine? Expédiez-vous par Vancouver, ou par le Saint-Laurent?

M. Lindsay: Non. Dans ce cas, le transport se fait par camion, presque exclusivement vers l'est, et plus récemment vers l'État de New york, au sud.

Le président: Ce projet de loi n'a pas de répercussions sur ces activités?

M. Lindsay: Indirectement, mais je parle plus particulièrement de notre usine en place à Vauxhall depuis 1966.

Le président: Bon, je comprends. Merci.

M. Lindsay: Mais il y a des effets indirects. Nous connaissons un certain nombre de problèmes qui empireront le 1er août. Voilà, j'ai terminé.

M. Benoit: J'aimerais apporter des précisions. Les produits que vous venez de goûter sont du fourrage pour les animaux. Ils ne vous empoisonneront pas. C'est de la luzerne, sans plus. Je voulais seulement vous rassurer.

Le président: Dites-moi: est-ce que c'est une substance légale?

M. Benoit: Tout à fait légale. Les gens sont prêts à essayer n'importe quoi, alors...

M. Vansevenandt: Si cela vous inquiète, je veux bien en manger moi-même.

Le président: Vraiment? C'est ça, mâchez bien. Jane, s'il tourne de l'oeil, faites-lui la réanimation.

M. Benoit: En réalité, ce que nous faisons, c'est transformer un produit qui prend beaucoup de place, en le déshydratant et en le condensant pour en faire un ingrédient de fourrage de très haute qualité. Le Japon achète à peu près 70 p. 100 de la production. Mais comme je reparlerai bientôt de cela, je n'entrerai pas dans les détails pour le moment.

.1545

Pour vous faciliter la tâche, j'ai apporté une série de diapositives ainsi que des tableaux et des diagrammes pour accompagner les notes que j'ai en mains. Je pense que vous en avez tous une série. Je vais lire ma présentation afin de ne pas faire d'erreurs et, de temps à autre, je ferai référence à ces tableaux.

Au premier tableau, vous apercevez une carte délimitant les régions où se pratique le traitement de la luzerne. Vous constaterez que la majeure partie de la production destinée à l'exportation a lieu en Alberta et en Saskatchewan. Toutefois, il y a aussi quelques usines de traitement de la luzerne au Manitoba et une en Colombie-Britannique. Voilà donc la région qui se trouve la plus directement touchée par la perte de la subvention prévue par la Loi sur le transport du grain de l'Ouest.

Les chiffres du tableau suivant indiquent la répartition de la production de luzerne au sein de cette région. Essentiellement, au cours des dix dernières années, notre production globale est passée de 446 000 tonnes à 832 000 tonnes, ce qui représente une croissance intéressante.

Au prochain tableau, vous verrez nos exportations. À remarquer que nos exportations vers le Japon, qui achète près de 70 p. 100 de notre production, ont augmenté de 280 000 tonnes à 421 000 tonnes en dix ans.

Nous avons aussi travaillé très fort afin de développer des marchés ailleurs dans le monde. Je pense que l'an dernier, nous avons expédié de la luzerne à 29 pays, bien que nos principaux marchés soient le Japon, la Corée et Taïwan. Nous avons aussi une part assez importante du marché américain et notre luzerne est vendue dans quelques pays de la Communauté européenne.

Je suppose que 1994 représente l'année clé. Nos exportations ont dépassé les 100 millions de dollars.

Nous comptons 26 usines de traitement de la luzerne qui sont membres de la CDA. Elles paient chacune une taxe à la tonne afin de fournir à l'association les fonds nécessaires pour intervenir au nom de notre secteur dans divers domaines, notamment dans le développement des marchés, les questions de politique générale comme la LTGO, bref dans les domaines qui nous touchent.

Nous voulons qu'on comprenne notre situation dans ce processus de changement, afin d'être traités équitablement. Tout ce que nous demandons, c'est un traitement équitable.

Le président: Vous êtes le parfait exemple du producteur de biens à valeur ajoutée et vous êtes un exportateur très important.

M. Benoit: Oui, et nous sommes également un employeur.

Le président: J'ai bien peur que nous allons manquer de temps pour les questions. Je vous demande donc de nous expliquer en quoi la LTGO vous touche maintenant, et comment la perte de cette subvention vous touchera à l'avenir...

M. Benoit: Notre entreprise est un important producteur à valeur ajoutée dans un secteur relativement nouveau qui connaît une croissance intéressante. La subvention prévue à la LTGO faisait des merveilles pour notre industrie, car elle favorisait le traitement à valeur ajoutée. Contrairement à toutes les autres cultures, la subvention ne visait pas la matière première; par conséquent, nous n'exportions pas de matières premières, évitant ainsi de créer de problèmes aux usines de traitement.

Nous nous trouvions dans une situation inverse à celle des autres. Tout se passait comme il se devait: la subvention visait les produits déshydratés. Notre situation était relativement stable et tout marchait bien. Aussi, on nous interdisait pratiquement tous les autres programmes, notamment le CSRN et le RARB. Par exemple, le blé était beaucoup plus lourdement subventionné.

Le président: Vous êtes un fabricant qui expédie en vrac des produits agricoles à Vancouver par voie ferrée, aux fins d'exportation et, à ce titre, vous touchiez une subvention dans le cadre du régime actuel.

M. Benoit: C'est exact. Et nous allons perdre cette subvention le 1er août. Nous vivons actuellement dans un monde où les règles du jeu sont bien loin d'être équitables - nos concurrents jouissent encore d'énormes subventions - , et du jour au lendemain, nous abandonnons tout. Vous créez donc un problème montre pour notre secteur. Tout ce que nous demandons, ce sont des règles du jeu équitables.

Nous pouvons être les meilleurs au monde. Nous voulons tout simplement que vous nous accordiez une période de temps pour nous adapter, pour consolider notre assise, nous maintenir au-dessus de l'eau, protéger les emplois en cause.

.1550

Maintenant le gouvernement a reconnu que nous sommes un curieux morceau de casse-tête, en ce sens qu'il s'agit du seul morceau qui n'a pas été englobé dans le paiement de 1,6 milliard de dollars versé aux agriculteurs, en fonction de la superficie ensemencée. On avait prévu de régler notre cas en puisant dans le fonds d'adaptation de 300 millions de dollars.

Notre problème, en ce moment, c'est que nous ne savons pas ce que nous allons recevoir, ni en quoi consistera notre programme. Voilà qui crée un énorme problème pour nos usines de traitement. Il règne en ce moment un climat d'incertitude qui fera beaucoup de dégâts si le gouvernement ne se décide pas enfin à prendre des décisions relativement aux détails de notre programme et à notre part des 300 millions de dollars, afin de nous aider à nous adapter à la nouvelle situation.

Comme je l'ai dit, chaque tonne de luzerne traitée en Europe fait encore l'objet d'une subvention qui est plus élevée que la valeur totale de notre produit. En dépit de cela, nous soutenons la concurrence sur les marchés mondiaux et nous écoulons même des produits en Europe. Les règles du jeu ne sont donc pas équitables.

Ce que nous vous demandons de faire, c'est d'accélérer le processus et de prendre les décisions qui s'imposent en ce qui concerne le fonds d'adaptation dont une partie nous a été réservée.

Le président: Vous ne touchez à rien des 1,6 milliard de dollars car vous n'êtes pas propriétaires fonciers. Vous arrivez et vos louez le terrain, ou vous achetez les cultures et les récoltes vous-même, puis vous les transportez à vos installations de déshydratation.

M. Benoit: C'est la situation en partie. Mais aussi, les gens qui cultivent la matière première destinée à nos usines de déshydratation ne sont pas payés en fonction de la superficie ensemencée s'ils travaillent pour le compte d'une usine, parce que les cultures fourragères sont exclues.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Dubé, est-ce que vous aimeriez commencer les questions? Bienvenue au Comité. C'est la première fois que vous y assistez, je crois.

M. Dubé (Lévis): Oui, je remplace deux députés.

Le président: Vous êtes le bienvenu.

M. Dubé: Une question de simple curiosité. Je vois sur votre carte que vous avez une usine à Montréal. Est-ce que vous pourriez me donner un peu plus de détails?

[Traduction]

Le président: Pourriez-vous donner quelques détails au sujet de l'usine de Montréal? Quelles en sont les dimensions?

M. Benoit: Si vous le voulez bien, je demanderai à Allan Lindsay de répondre. Il est engagé dans l'exploitation des usines de déshydratation de l'est du pays.

M. Lindsay: La société Verdonck exploite une usine près de Hudson, au Québec, depuis un certain nombre d'années. On y produit de la luzerne, principalement pour la vente aux fabricants d'aliments pour animaux. Il y a beaucoup de chevaux dans cette région. Il paraît aussi qu'une nouvelle usine de production de luzerne en cubes ouvrira ses portes à Trois-Rivières plus tard cette année.

[Français]

M. Dubé: Vous avez parlé d'une période transition que vous souhaiteriez obtenir. Est-ce que vous pourriez nous dire ce que vous aimeriez obtenir en matière de délai à cet égard?

[Traduction]

M. Benoit: Ce que nous demandons équivaut à ce que l'on reçoit pour d'autres denrées expédiées en vertu de la LTGO, en fonction de la superficie ensemencée. Selon les calculs de M. Goodale, les 1,6 milliard de dollars équivalent à 2,2 milliards de dollars puisqu'il s'agit de revenu en capital et non de revenus imposables. Cette somme correspondait aussi à 2,8 milliards parce qu'il s'agit d'un paiement effectué d'avance au lieu d'être réparti sur une certaine période de temps, et elle représenterait exactement cinq ans de la subvention actuelle prévue à la LTGO, qui est de 560 millions de dollars.

Alors, ce que nous demandons c'est un calcul équivalent, et dans notre présentation détaillée, nous avons justement expliqué la façon dont nous calculerions notre part des 70,5 millions de dollars, que nous estimons juste et équitable par rapport à ce que d'autres reçoivent pour l'expédition des denrées qui étaient auparavant visées par la LTGO.

.1555

Nous savons bien que la situation est différente à chaque usine et que les besoins ne sont pas les mêmes d'un endroit à l'autre pour ce qui est de l'adaptation à tous ces changements annoncés. Par exemple, certaines usines devront investir dans des installations de stockage et de manutention à Vancouver afin d'éviter les droits de stationnement qui seront imposés après la disparition de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest le 1er août. D'autres usines qui perdront leur desserte ferroviaire devront déménager ou, pour le moins, ouvrir une installation de chargement à proximité d'une ligne qui sera encore exploitée. À certains endroits, il faudra investir dans des équipements en vue d'améliorer l'efficacité des activités de traitement.

Ces investissements à long terme leur permettront d'absorber cette perte subite de 15 p. 100 de leurs revenus et de subsister.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Si je comprends bien, en raison de la protection dont les chemins de fer bénéficient depuis très lontemps, le coût du transport ferroviaire au Canada est bien plus élevé qu'il ne serait à l'avenir, en raison des effets de la concurrence qui s'exercera. On me dit que les céréaliers sont particulièrement mécontents du fait que l'abolition de la subvention n'est pas assortie d'une déréglementation qui leur permettrait de choisir le moyen d'expédition le plus avantageux, y compris l'utilisation des chemins de fer américains, qui coûtent bien moins cher.

J'aimerais savoir si cela vous aiderait d'avoir accès facilement à d'autres moyens de transport. Y a-t-il des problèmes de ce côté dans votre secteur, comme il y en a dans le secteur du grain?

M. Benoit: Il n'y a pas de doute que nous verrions d'un bon oeil l'introduction de mesures d'amélioration de l'efficacité qui pourraient aider à réduire les coûts. Nous aimerions bien que rien ne s'oppose à cela. Mais notre taux de transport augmente de 15$ la tonne le 1er août et ces mesures ne seront pas en place à cette date pour commencer à compenser les coûts supplémentaires.

Pour en revenir à votre question, il faut se méfier... Prenez la Burlington Northern, par exemple. La Alberta Wheat Pool et d'autres ont fait des études détaillées sur ce qui se produit lorsqu'il y a déréglementation intégrale sans condurrence. Les prix de la Burlington Northern sont peut-être moins élevés aux endroits où elle est en concurrence avec d'autres moyens de transport, par exemple la voie navigable du Mississippi, mais entre le Dakota du Nord et la côte ouest, son taux est supérieur aux coûts totaux de transport sur les lignes du CN et du CP.

C'est pour cela que nos disons qu'il doit y avoir possibilité de concurrence, en plus de la déréglementation complète et des autres mesures envisagées. Lorsqu'on parle de mettre en place des mesures d'amélioration de l'efficacité, comme on les appelle, il faut s'assurer qu'il existera une certaine concurrence qui engendrera des prix raisonnables.

M. Grubel: Êtes-vous certain que les coûts de transport déréglementés aux États-Unis sont plus élevés que les coûts que vous payez, y compris les 15$ supplémentaires?

M. Benoit: Plusieurs organisations de bonne réputation ont fait à ce sujet des études poussées qui montrent que là où il n'y a pas de concurrence, où les expéditeurs constituent un marché captif, le transport coûte de 10$ à 20$ de plus la tonne.

M. Grubel: J'ai proposé à plusieurs reprises que le gouvernement crée un organisme à qui appartiendraient toutes les voies ferrées. Les propriétaires seraient en fait les sociétés ferroviaires, mais ces voies ferrées seraient louées à n'importe quelle société ferroviaire du Canada ou de l'étranger qui souhaiterait les utiliser. Que pensez-vous de cette possibilité?

M. Benoit: Roger a mentionné bon nombre de fois qu'il aimerait bien que cela se fasse. Accorder des droits de circulation au CN sur les lignes du CP et vice versa, leur donner un accès réel aux lignes de l'autre pour que naisse la concurrence est une possibilité intéressante qu'on pourrait envisager.

M. Grubel: Et aussi la Burlington, si cela les intéresse, ou la Santa Fe, ou d'autres.

M. Benoit: Oui, et aussi les lignes courtes. C'est vrai. Je pense que c'est une option très intéressante qu'il faudrait examiner.

M. Grubel: Si cela se faisait rapidement, cela réduirait l'impact des changements imminents et faciliterait votre adaptation, n'est-ce pas?

.1600

M. Vansevenandt: Je ne pense pas que cela pourrait se faire assez vite. Il faudrait du temps.

M. Grubel: Tout dépendrait des efforts qu'on y mettrait, je pense. Merci de votre réponse.

Le président: J'aimerais avoir juste un éclaircissement: de quel pourcentage estimez-vous que vos coûts vont augmenter?

M. Benoit: Je dirais, en gros, de 15 p. 100.

Le président: Bon, c'est ce que nous devons utiliser. C'est une hausse importante.

M. Benoit: Allan a retenu un prix de 87$ la tonne. C'est le plus bas prix possible.

Le président: Je veux seulement savoir le pourcentage. Je ne comprends rien à toutes ces autres choses, c'est bien trop compliqué pour moi.

Monsieur Fewchuk, vous aviez une question?

M. Fewchuk (Selkirk - Red River): J'ai une petite question à poser aux témoins. Quelles sortes de contrats passez-vous avec les producteurs? Est-ce que ce sont des contrats sur 12 mois ou sur deux ans? Quelle sorte d'entente avez-vous avec les producteurs?

M. Vansevenandt: Nous avons des contrats de trois ans, parce que la rotation des cultures se fait généralement sur trois ans. Chaque année, nous devons ensemencer un certain nombre d'acres supplémentaires, parce que nous en mettons autant en jachère. C'est comme cela que ça se passe pour les gens qui ont des contrats. Dans le cas de certains produits, on achète la récolte annuelle.

M. Fewchuk: Vous parlez des graines, n'est-ce pas?

M. Vansevenandt: Oui, surtout pour des produits séchés au soleil.

M. Fewchuk: Dans le cas des contrats que vous avez actuellement avec les producteurs de l'Ouest du Canada, quelle est leur date d'échéance? Est-ce pour cette année, ou pour dans deux ans, que vous vous êtes engagés à payer tant la tonne aux producteurs? Quand prennent fin les contrats?

M. Vansevenandt: Chaque année, un certain nombre de contrats représentant une certaine superficie, arrivent à terme. Il s'agit d'un cycle de trois ans. La somme versée au producteur est déterminée chaque année. Il n'y a pas de garantie que pendant trois ans, ils pourront...

M. Fewchuk: Donc, votre compagnie ne garantit rien pour trois ans?

M. Vansevenandt: Le prix n'est pas garanti pour trois ans.

M. Fewchuk: Seulement la superficie en acres?

M. Vansevenandt: Le nombre d'acres est garanti. Nous leur garantissons que nous achèterons la récolte.

M. Fewchuk: Très bien. Merci.

M. Benoit: Je pense qu'il faut mentionner aussi que, quand Roger signe un contrat pour une acre, il verse environ 28$ à 30$ la tonne à l'agriculteur pour la matière première, ce qui veut dire que le produit revient entre 100$ et 125$ la tonne.

M. Fewchuk: J'ai posé cette question pour une raison particulière: je pense que vous voyez venir le 1er août, date à laquelle vous ne bénéficierez plus de la subvention prévue dans la LTGO, et vous voulez obtenir une partie du fonds d'adaptation. J'essaie de comprendre ce que veut votre compagnie. Je pense que la perte de la subvention vous occasionne des problèmes à cause de vos contrats en cours. J'essaie aussi de comprendre ce que le gouvernement se propose de faire. Est-ce que nous sommes en train de vous tirer d'affaire quant aux contrats que vous avez déjà signés? Voilà ma question.

M. Vansevenandt: Pas...

M. Fewchuk: Pas nécessairement, mais il y a un peu de vrai dans tout cela.

M. Vansevenandt: Oui. Le plus gros problème est que les producteurs n'arrivent pas à décider s'ils doivent en semencer, parce qu'ils ne savent pas combien ils toucheront pour la récolte.

M. Fewchuk: C'est ce que je pensais. Merci.

Le président: Je ne vois vraiment pas quel est le problème. La plante repousse chaque année, n'est-ce pas? Pourquoi l'ensemencement est-il un problème? Est-ce que vous devez faire la rotation des cultures?

M. Vansevenandt: Oui. Normalement, il faut faire une rotation aux trois ou quatre ans. C'est-à-dire qu'après trois ou quatre ans, il faut mettre la parcelle en jachère. Il faut donc ensemencer chaque année un certain nombre d'acres de plus.

M. Benoit: Ce que Roger dit, c'est qu'à cause de l'incertitude, il a des problèmes avec environ 40 p. 100 de ses acres.

Le président: Oui, je le comprends. D'accord.

Du point de vue nutritif, comment la luzerne granulée se compare-t-elle à la luzerne séchée dans les champs?

M. Benoit: Elle a à peu près la même valeur nutritive, sauf que le traitement thermique utilisé produit ce que nous appelons des protéines absorbables dans l'intestin. Ce conditionnement a certains avantages, mais surtout celui de fixer les vitamines à leur meilleur, tandis que la luzerne qui sèche, dans les champs se détériore avec le temps et sous l'effet des intempéries.

.1605

Le président: Cela semble être un produit extraordinaire. Sa vue me met en appétit.

Faites donc passer aux agriculteurs de ce côté-ci de la table. Je sais que cela les intéressera beaucoup.

M. Fewchuk: Monsieur le président, il vaut mieux que je vous avertisse que lorsque les animaux en mangent trop et boivent ensuite trop d'eau, ils enflent et meurent. Allez-y mollo!

M. Vansevenandt: Parce que c'est un produit comprimé, on peut en transporter de grandes quantités à des coûts moins élevés.

Le président: De toute évidence.

M. Benoit: Le produit déshydraté contient à peu près 18,85 p. 100 de protéines.

M. Walker (Winnipeg-Nord-Centre): Vous avez mentionné le fonds d'adaptation et vos démarches en vue d'y avoir accès. Pouvez-vous résumer les discussions que vous avez eues avec Agriculture Canada?

M. Benoit: Nous avons eu de nombreuses discussions avec le ministère à ce sujet au cours des deux dernières années parce que nous voyions venir les changements. Nous avons tenté de faire comprendre notre point de vue. Comme notre secteur n'est pas comme les autres, l'idée d'un fonds d'adaptation était d'abord de... L'université de la Saskatchewan a effectué des études approfondies, dont certaines que nous avons financées, sur ce qui se passerait si l'on mettait un terme au programme dont bénéficie le secteur de la déshydratation. Agriculture Canada sait très bien ce qu'il en est. Ils savent très bien qu'ils étaient en train de créer un gros problème et ils ont toujours dit que notre secteur devrait recevoir une partie du fonds d'adaptation.

Maintenant qu'il y a 300 millions de dollars à répartir, toutes sortes de nouveaux intéressés pouraient vouloir réclamer leur part pour toutes sortes de raisons, alors qu'il était clair pour presque toutes les personnes à qui j'ai parlé au cours des deux dernières années que ce fonds d'adaptation servirait en partie à régler le problème que les changements créeront pour notre secteur. Agriculture Canada est au courant de tout cela. Nous leur parlons régulièrement.

M. Walker: Ont-ils des chiffres? Est-ce que vous leur avez présenté une proposition?

M. Benoit: Oui.

M. Walker: Quand ont-ils dit que vous auriez une réponse?

M. Benoit: M. Goodale l'a rencontré peu après l'annonce du budget et il lui a présenté son calendrier sur papier. Il a dit que les 300 millions de dollars... C'était vers la fin de la période de mise en application, parce que les fonds ne seront pas disponibles avant avril 1996. Il pensait qu'il n'était pas nécessaire de prendre de décisions sur la répartition du fonds avant janvier 1996. Ce que nous disons, c'est que même si l'argent ne sera pas disponible avant avril 1996, nous avons besoin de savoir quelle sera notre part.

M. Walker: Vous avez besoin de le savoir avant cet automne.

M. Benoit: Nous avions besoin de le savoir le mois dernier, et nous devons le savoir le mois prochain, ce mois-ci.

M. Walker: Quel sera votre découvert pour votre récolte entre le 1er août et le 1er avril?

M. Vansevenandt: Notre découvert? Eh bien, pour commencer, j'ai déjà parlé à mon gérant de banque, parce que je vais devoir trouver un demi million de dollars de plus pour payer les frais de transport supplémentaires. Il m'a dit de lui fournir une preuve quelconque que je bénéficierais de l'aide annoncée.

Si vous n'annoncez pas votre décision assez vite, nous ne pourrons rien faire et nous n'aurons pas assez d'argent pour continuer. Les risques sont donc très grands, si l'annonce tarde à venir.

M. Benoit: Il y a trois aspects à cette question. Le deuxième est qu'il a du mal à convaincre les producteurs de semer ce produit, et le troisième...

M. Walker: Ils ont signé un contrat, non?

M. Vansevenandt: Oui, mais il faut chaque année ensemencer une superficie additionnelle, parce qu'un certain nombre d'acres sont mis en jachère.

M. Fewchuk: Alors, vous passez toujours de nouveaux contrats.

M. Vansevenandt: Oui. Chaque année, environ un tiers de la superficie est ensemencée en vertu de nouveaux contrats.

M. Benoit: Nous sommes en train de parler d'un fonds d'adaptation. Il ne s'agit pas seulement d'argent qui servirait à payer les frais de transport. Ce que nous voulons, c'est pouvoir prendre les mesures qui s'imposent pour rationaliser davantage le traitement et le transport.

S'il y a un retard d'un an, par exemple, s'il faut trouver de l'espace de stockage au port de Vancouver, il faut pouvoir planifier en conséquence. Même si l'argent ne sera pas disponible avant quelque temps, nous devons savoir combien nous pourrons recevoir, afin de pouvoir prendre les mesures nécessaires d'amélioration de l'efficacité.

.1610

M. Fewchuk: Vous avez dit que vous transportez par camion 99 p. 100 de votre production dans l'est du Canada, ici en Ontario ou au Québec. Cela ne pourrait-il pas être fait à partir de l'Alberta?

M. Lindsay: Dans l'est du pays, l'expérience nous montre que nous pouvons assurer le camionnage de façon efficace sur une distance d'environ 350 milles, compte tenu du réseau routier et de la taille des camions dont nous disposons, des permis à obtenir et de la charge autorisée qui est d'environ 40 tonnes métriques. On calcule environ 1,50$ en devises canadiennes pour chaque mille parcouru. Donc, 350 milles donneraient à peu près...

M. St. Denis (Algoma): Cinq cents dollars.

M. Lindsay: Eh bien, le total est un peu plus élevé que cela, et ensuite vous divisez par...

Ainsi, l'industrie du camionnage s'est très bien développée en Ontario et elle représente un compétiteur de taille. Là où nous sommes installés, dans le sud de l'Alberta, cette industrie a également les reins très solides. C'est un système solide. En fait chaque année, cette industrie semble faire la concurrence toujours un peu plus loin. Mais notre usine est l'une des plus proches de Vancouver, et il s'agit encore d'une distance de 750 milles dans une région très accidentée. Ce n'est pas encore une option très intéressante pour nous, mais on commence à y penser.

M. Benoit: Chaque étude que j'ai vue.

M. Fewchuk: [Inaudible - Éditeur]...à cause de la nouvelle autoroute. Comme vous le savez, vous embarquez là-dessus et - voilà - , vous êtes à Vancouver en deux heures et demie, trois heures. C'est une longue distance. J'oublie la distance exacte, mais par camion, il nous faudrait peut-être quelques heures de plus. C'est une grosse différence.

M. Benoit: À partir de nos usines, nous parlons de 15 à 20 heures au moins.

M. Fewchuk: Oui, en comptant Kamloops, et vous voulez emprunter l'autoroute de Coquihalla.

M. Lindsay: Il est déjà assez difficile de manipuler la charge des wagons de deux compagnies ferroviaires. Si vous arrivez avec une forte quantité de camions, il faudrait qu'il y ait une installation pour l'acheminement de tout ce trafic, qui sera important.

M. Pillitteri (Niagara Falls): Dans votre présentation, vous avez déclaré qu'il s'agit d'une industrie de quelque 70 millions de dollars.

M. Benoit: Des exportations d'une valeur de 100 millions de dollars.

M. Pillitteri: Des exportations de 100 millions de dollars par année. Vous avez déclaré que vous alliez demander des fonds d'adaptation de l'ordre de 70 millions de dollars.

M. Benoit: Nous parlons d'une somme globale échelonnée sur six ans.

M. Pillitteri: Estimez-vous que cette indemnité devrait être versée aux cultivateurs ou aux propriétaires fonciers?

M. Benoit: L'argent doit aller aux usines qui ont la responsabilité de l'expédition, qui doivent payer la facture.

M. Pillitteri: Oh, il s'agit là du fonds d'adaptation, mais la somme de 1,6 milliard de dollars est destinée aux propriétaires fonciers, disons, dans la LTGO. Alors vous cherchez également à obtenir une partie du fonds d'adaptation de 300 millions de dollars... Cela n'a rien à voir avec la LTGO.

M. Benoit: Non, mais ils n'ont pas inclus les superficies ensemencées de cultures fourragères dans la somme de 1,6 million de dollars. Alors, si un cultivateur travaillait pour le compte de...

M. Pillitteri: Je comprends cette partie-là, mais ce que j'essaie de vous dire c'est ceci: pensez-vous que cet argent devrait être versé directement aux particuliers à qui appartiennent les usines? Cela n'a rien à voir avec le droit de propriété, c'est-à-dire la propriété du bien foncier ou la propriété de ceux qui gèrent les biens fonciers, rien que pour une indemnisation...

M. Benoit: Une aide d'adaptation pour les usines de traitement.

M. Pillitteri: ...les usines de traitement, justement. J'espère que vous l'aurez. Vous ne savez pas pourquoi je veux que vous l'ayez, mais j'espère que vous l'aurez.

Le président: Je suis très heureux d'avoir appris à connaître votre secteur d'activités, qui est en plein essor. De toute évidence, les changements vous touchent très directement et très rapidement.

Il me semble que dans ces circonstances, nous essayons de fournir une indemnisation à certains producteurs tout en prévoyant le retrait de certains autres. Je crains que vous ne soyez passés entre les mailles du filet.

La décision ne nous appartient pas, mais je pense que les députés assis autour de la table ont été très sympathiques à la position que vous venez de présenter. Je vous remercie beaucoup d'être venu devant le comité.

M. Benoit: Merci beaucoup.

Le président: Est-ce qu'il vous reste encore de ce truc? Notre greffière m'informe qu'elle en utilise dans ses mets italiens, et je viens juste de refuser une invitation à dîner ce soir.

.1615

M. Vansevenandt: Monsieur le président, je voudrais souligner qu'il ne convient pas de manipuler ce produit trop souvent, alors en le transportant d'un endroit à l'autre par camion...

Le président: Oh, il se briserait.

M. Vansevenandt: ...on pourrait le briser. Donc, il faut ni plus ni moins le charger une fois, le décharger et ne plus y toucher.

Le président: J'ai goûté à quelques-unes de ces granules et elles sont bonnes. Elles ont vraiment bon goût.

M. Vansevenandt: Il existe une panoplie de renseignements techniques sur la composition exacte de la luzerne. Vous seriez étonnés de voir ce que l'on est en train de faire de cette denrée. Un des produits extraits de la luzerne vaut environ 80 000$ le gramme.

Le président: Si je mange de ce produit, est-ce que je vais finir par vous ressembler?

M. Vansevenandt: J'espère que non.

Le président: J'ai été heureux de vous accueillir. Bonne chance.

Notre prochain témoignage sera celui du Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario. Vous devez goûter à cette luzerne avant de pouvoir témoigner devant le comité.

M. Bill Kuehnbaum (vice-président du Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario): Je regrette énormément de ne pas avoir apporté d'aides visuelles avec moi, comme du gâteau au fromage ou des bagels ou quelque chose du genre, mais je n'ai qu'un petit budget pour les dépenses de représentation.

Je m'appelle Bill Kuehnbaum. Je suis vice-président du Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario. Je suis accompagné de Tracy Mussett. Elle est membre du syndicat et elle a participé aux recherches en vue de préparer ce document.

Le président: C'est bon. Je vous souhaite la bienvenue. Nous avons hâte d'entendre votre témoignage.

M. Kuehnbaum: Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants de nous donner la possibilité de vous soumettre nos préoccupations à l'égard du projet de loi C-76. On m'a fait savoir que le comité, reconnaissant l'importance de cette mesure législative, a accepté de recevoir un plus grand nombre de mémoires. Je pense que ce geste est louable, car il démontre que vous reconnaissez les préoccupations que le projet de loi suscite dans tout le pays.

Le Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario représente environ 110 000 fonctionaires de cette province.

Le projet de loi C-76 remplace le Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) et le mode actuel de financement des programmes par un régime de financement global appelé Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Dans le cadre des programmes actuels du RAPC, le gouvernemnet fédéral transfère des fonds aux provinces afin de les aider à dispenser des services d'aide sociale et d'autres services sociaux.

Le SEEFPO représente des travailleurs de nombreux secteurs qui sont financés par le biais de ce programme. Par exemple, parmi nos membres, nous comptons des agents de maintien du revenu travaillant pour la province de l'Ontario, des travailleurs sociaux de diversres agences, des gens qui oeuvrent au sein de sociétés d'aide à l'enfance dans toute la province ainsi que d'associations chargées de programmes d'initiation à la vie en société. Certains de nos membres travaillent dasn divers centres de traitement et de services à l'enfance. Les membres du Comité qui représentent la région métropolitaine ont peut-être suivi une partie du débat entourant la fermeture éventuelle du Thistletown Regional Centre for Children and Adolescents, un centre de traitement de renommée mondiale où travaillent certains de nos membres.

C'est par le biais de l'entente sur le FPE que le gouvernement fédéral aide à financer l'enseignement postsecondaire et les services de soins de santé fournis par les provinces. Le SEEFPO représente des membres du corps professoral et du personnel de soutien de tout le réseau de colèges communautaires en Ontario, ainsi que le personne de soutien du Ryerson Polytechnical Institute.

Dans le domaine des soins médicaux, nous représentons des travailleurs de nombreux hôpitaux, notamment dans les laboratoires, les entrepôts, les services alimentaires, les services d'entretien ménager, ainsi que dans des établissements de soins prolongés. Certains de nos membres dispensent aussi des soins médicaux à domicile.

Comme fonctionnaires provinciaux, nous serons directement touchés par les changements financiers proposés dans le projet de loi et dans le budget fédéral auquel il est lié. Mais, et c'est tout aussi important, comme citoyens canadiens, nous sommes profondément troublés par les répercussions de cette mesure législative sur le pays.

.1620

Nous avons cinq principaux sujets de préoccupation. Premièrement, nous croyons que le projet de loi C-76 représente une diminution des normes nationales applicables, ce qui entraînera une plus grande disparité entre les provinces et très certainement une perte d'identité nationale. Nous pensons que le financement global pourrait bien monter les gens les uns contre les autres alors que les groupes divergents se disputeront le contenu d'une caisse de plus en plus vide.

Nous craignons que les provinces ne réagissent à la diminution des transferts fédéraux en ayant de plus en plus recours à la privatisation et en imposant plus de frais d'utilisation. Nous pensons qu'ensemble, les réductions de fonds et le changement dans les mécanismes de financement auront de graves répercussions sur l'universalité et l'accessibilité.

Les membres du SEEFPO craignent que le résultat final pour notre milieu de travail sera une baisse radicale de la qualité des services et une détérioration accrue des conditions de travail des employés du secteur public. C'est d'abord la question des normes nationales qui nous préoccupe. Nous pensons que le projet de loi C-76 représente une perte du caractère exécutoire des normes nationales, qui entraînera une plus grande disparité entre les provinces. Le RAPC, au moins, incitait les provincese à garder en place un filet de sécurité sociale. L'Ontario devait d'abord s'engager financièrement envers les services sociaux avant de percevoir l'argent du gouvernement fédéral. Il y avait donc un incitatif; le gouvernement fédéral disait à l'Ontario: souscrivez à ces programmes, et nous vous aiderons.

Le projet de loi C-76 annule cette obligation. Aucune loi ne viendra exiger qu'une province mette en place un filet de sécurité sociale. Les fonds fédéraux...

Le président: Excusez-moi. Est-ce qu'il existe en ce moment un programme qui exige d'une province qu'elle mette un filet de sécurité sociale en place?

M. Kuehnbaum: Tracy, si vous voulez bien répondre.

Mme Tracy Mussett (membre du Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario): C'est une question d'incitation. Avant, quand les provinces prenaient un engagement et dépensaient de l'argent, le gouvernement fédéral leur accordait des fonds par le biais du RAPC. Nous reconnaissons certainement que ce régime a aussi des problèmes, car...

Le président: D'après ce que vous avez dit, il ne sera plus nécessaire de... Je ne connais aucun programme actuel qui exige qu'une province établisse un filet de sécurité sociale.

Mme Mussett: Le RAPC donne de l'argent aux provinces pour qu'elles assurent un filet de sécurité sociale.

Le président: Mais seulement si elles le veulent bien. Nous leur offrons une somme équivalente à toute somme qu'elles versent dans ce genre de programme. Si elles ne veulent pas de ce filet, nous ne pouvons pas leur forcer la main.

M. Kuehnbaum: C'est exact. Nous essayons de traiter ici de la question d'incitation.

Le président: Dans ce cas-là, utilisez le mot «doivent», ou quelque chose du genre.

Mme Mussett: C'était peut-être une obligation morale plutôt qu'une obligation légale.

M. Kuehnbaum: Je suis désolé; cette seule phrase est probablement plus forte que ce que nous pouvons...

Le président: Quelque chose m'a peut-être échappé. Je ne sais pas.

M. Kuehnbaum: Non, je ne pense pas. Une province pourrait utiliser les fonds qu'elle reçoit du gouvernement fédéral pour faire baisser sa dette - bien qu'en Ontario, le Skydome semble être le destinataire de choix - s'il s'agit d'une priorité plus importante sur le plan politique que les services sociaux. Essentiellement, si on diminue fortement l'incitatif financier aux provinces, on fait un énorme pas en arrière en cessant d'encourager les provinces à exécuter ces programmes.

Selon le régime du FPE, les provinces sont assujetties à certaines exigences, en ce sens qu'elles doivent maintenir des services de santé universels, généraux, accessibles, transférables et administrés par le secteur public. Avec le FPE, si un de ces principes était violé, le gouvernement fédéral pouvait retirer son aide intégralement. Le gouvernement fédéral semble peu enclin à user de ce levier, et peut-être avec raison - les événements en Alberta nous le prouvent bien - mais malgré tout, ce levier semble avoir fonctionné.

En élargissant le régime de financement global pour inclure tous ces programmes cela veut dire qu'aussi longtemps qu'il y aura des apports en espèces dans le transfert, une province peut être pénalisée pour toute infraction à la Loi canadienne sur la santé. Mais ces provinces pourraient transférer toute baisse de financement subie en guise de pénalité à leurs programmes d'enseignement postsecondaire ou à leurs services sociaux, ou aux deux. Ce n'est pas nécessairement une pénalité contre les soins de santé.

Par le passé, nous nous sommes inquiétés du fait que le FPE n'est pas doté de critères applicables à l'enseignement postsecondaire comme pour les soins de santé. À l'instar des restrictions qui s'appliquaient aux soins de santé et aux services sociaux, nous voyons le projet de loi C-76 prendre un mauvais virage, car il enlève ou affaiblit les critères de financement, alors qu'il devrait plutôt accroître ou renforcer les obligations provinciales face à ces trois programmes.

Le président: ... [Inaudible - Éditeur]... les obligations provinciales maintenant?

Mme Mussett: Les cinq principales de la Loi canadienne sur la santé.

.1625

Le président: Nous comprenons cela.

Mme Mussett: Il existe actuellement certaines restrictions au sujet du financement de l'assistance sociale.

Le président: Outre les exigences en matière de résidence, quelles sont ces restrictions?

Mme Mussett: Il y en a d'autres actuellement, en plus des exigences en matière de résidence. D'après notre interprétation des conditions du RAPC, il existe d'autres restrictions, et les seules qui resteront seront les exigences en matièe de résidence.

Le président: Pourriez-vous me dire quelles sont ces autres restrictions?

Mme Mussett: Il faudra que j'aille chercher certaines choses.

Le président: Bon. Merci.

À vous la parole, monsieur Kuehnbaum.

M. Kuehnbaum: Les provinces recevront moins d'argent, mais elles bénéficieront de vastes nouveaux pouvoirs qui leur permettront de décider comment les transferts fédéraux seront dépensés et dans quels secteurs. Il n'y aura aucune garantie que l'argent prévu à des fins particulières ne sera pas utilisé pour autre chose.

M. Grubel: ... [Inaudible - Éditeur]...

M. Kuehnbaum: C'est vrai. En fait, comme je le dis au premier paragraphe de cette page, nous aurions préféré qu'il y ait des critères quant à l'éducation postsecondaire.

M. Grubel: Mais il aurait fallu pour cela un amendement constitutionnel de toute façon...

M. Kuehnbaum: Oui.

Les provinces doivent jouir d'une plus grande flexibilité et d'une capacité accrue d'innovation - ce sont les mots utilisés - pour ce qui est d'offrir les programmes, de déterminer les critères d'admissibilité et même de ne pas offrir du tout un programme particulier. Elles seront astreintes à quelques restrictions seulement, des restrictions vagues qui seront interprétées de diverses façons, selon les priorités politiques de chaque province.

Selon le projet de loi, le gouvernement fédéral pourrait négocier avec les provinces que cet élément du projet de loi n'est pas très réaliste, parce qu'il faudait recueillir le consensus de toutes les provinces. D'après nous, cela serait difficile.

Le gouvernement fédéral pourrait bien sûr imposer unilatéralement des principes ou des normes, mais cela irait à l'encontre de la flexibilité accrue qu'il promet aux provinces. On ne peut pas imposer unilatéralement des conditions en même temps qu'on cherche à recueillir un consensus. Cela serait absurde.

Même les estimations modérées montrent que d'ici dix ans au plus, l'Ontario ne recevra plus de contributions pécuniaires. À partir de ce moment-là, le gouvernement fédéral n'aura plus de moyen de faire respecter des principes, et qu'ils soient négociés ou imposés n'aura aucune importance. Sans la menace de la retenue de l'argent, le gouvernement ne pourra rien faire.

Le président: Je suis d'accord.

M. Kuehnbaum: Le nouveau mode de financement change le rôle du gouvernement fédéral parce qu'il décentralise encore davantage la responsabilité des programmes nationaux. Les mesures proposées diminuent le pouvoir fédéral et les sommes transférées et permettent plus facilement aux provinces de ne pas offrir les programmes. Il ne fait aucun doute pour nous que ce projet de loi aggravera encore les écarts et les différences qui existent déjà à travers le pays dans les services de santé, les services sociaux et l'éducation postsecondaire.

Le deuxième point que nous aimerions soulever est celui des intérêts opposés. D'après nous, le financement global créera des rivalités.

Le président: Pourriez-vous revenir en arrière un peu? Vous dites que nous allons voir disparaître les cinq principes du régime d'assurance-maladie.

Mme Mussett: Non, nous n'avons pas dit cela.

M. Kuehnbaum: Non, nous n'avons pas dit cela.

Le président: Bon, ok.

Mme Mussett: Le pouvoir de faire respecter les principes.

Le président: Le pouvoir de faire respecter les principes, quand nous n'aurons plus d'argent. Je suis d'accord, en supposant qu'il n'y aura plus d'argent.

Quels sont les autres normes nationales que nous allons perdre? C'est ce que vous vouliez faire valoir, la disparition de normes nationales. Je ne comprends pas. Désolé.

M. Kuehnbaum: Nous allons perdre certaines normes nationales en matière de soins de santé.

Le président: S'il n'y a plus d'argent, dans 100 ans, ou dans 50 ans.

M. Kuehnbaum: Oui.

Mme Mussett: Dans dix ans, au plus.

M. Kuehnbaum: Il ne faudra pas si longtemps.

Le président: Combien d'années, d'après vous?

M. Kuehnbaum: À peu près dix ans.

Mme Mussett: Dès qu'il n'y aura plus de contributions pécuniaires.

Le président: Voulez-vous dire quand il n'y aura plus d'argent?

M. Kuehnbaum: Oui.

Le président: On pourrait régler le problème dans dix ans en promettant plus d'argent.

Mme Mussett: Cela rejoint nos suggestions. Nous sommes persuadés que les contributions pécuniaires aideraient à préserver les normes nationales dans le domaine de la santé.

Le président: Mais quelles sont ces autres normes nationales qui vont disparaître? Je voudrais comprendre très clairement ce que vous dites. Vous dites que si nous ne mettons pas d'argent dans la balance, avant dix ans, il n'y aura plus de normes nationales en matière de soins de santé... la Loi canadienne sur la santé. De quelles normes nationales parlez-vous?

Mme Mussett: Nous avons constaté qu'il existe un haut degré de transférabilité dans le domaine de l'éducation à l'heure actuelle, malgré l'absence de normes. Cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord avec l'absence de normes, mais les mesures proposées vont rendre impossible le maintien de cette transférabilité.

.1630

Le président: Ces normes nationales n'existent pas.

M. Kuehnbaum: Il existe actuellement des normes nationales en matière de soins de santé.

Le président: Nous savons cela. Mais quelles sont ces autres normes que nous allons perdre? C'est à cela que je veux en venir.

M. Kuehnbaum: Notre position est que nous voulons qu'il existe des normes nationales.

Le président: Il n'est pas question de l'impossibilité d'établir de nouvelles normes nationales en plus de celles qui existent déjà.

M. Kuehnbaum: Mais la disparition des normes en matière de soins de santé est une perte.

Le président: Quelles autres...?

M. Kuehnbaum: La disparition des contributions pécuniaires qui pouvaient servir à inciter les provinces à préserver les programmes sociaux est une perte.

Le président: Je suis désolé. Je ne vous interromprai plus. C'est que vous n'avez pas fait mention d'autres normes nationales que nous allons perdre.

Mme Mussett: Nous ne disons pas qu'il n'existera plus de normes nationales. Nous disons que des normes nationales vont disparaître, précisément celles que prévoit la Loi canadienne sur la santé.

Le président: O.K. C'est ce que je vous ai demandé. Mais ne prétendons pas qu'il existe d'autres normes nationales qui vont disparaître.

M. Kuehnbaum: Nous ne prétendons pas cela. Il n'en existe pas pour l'éducation postsecondaire.

Le président: Bien. Nous aurions pu régler cette question bien avant si vous aviez dit cela.

Quelles autres questions vouliez-vous soulever?

M. Kuehnbaum: La question des rivalités d'intérêts. Nous pensons que le financement global créera des rivalités entre divers segments de la population qui voudront chacun obtenir leur part d'un budget réduit. Bien qu'il puisse sembler logique à première vue de rapprocher des collectivités le pouvoir de décision au sujet des services, la réalité montre que l'objectivité et l'équité sont plus facilement atteintes lorsqu'il existe une zone tampon entre les décisionaires et les exécutants. L'expérience montre que plus on se rapproche de la rue, moins il y a de compassion.

Je vous donne deux exemples: tout d'abord la Commission des affaires municipales de l'Ontario, dont le rôle consiste essentiellement à protéger les citoyens des promoteurs immobiliers malhonnêtes. Le deuxième exemple est très récent: à Manhattan, un groupe s'appelant Grand Central Partnership, qui s'était donné pour mission de nettoyer les quartiers intermédiaires de Manhattan, a payé des fiers à bras pour forcer les sans-abri à aller vivre dans un autre quartier.

D'après notre expérience, l'idée selon laquelle rapprocher la prise des décisios des exécutants mènera à des décisions plus judicieuses et à une plus grande compassion n'est pas prouvée par les faits. En prenant jusqu'ici les décisions très difficiles au sujet de la valeur de certains programmes, le gouvernement fédéral limitait ce genre de conflit et de discrimination. Nous pensons que le gouvernement fédéral joue un très important rôle de médiateur, de ce point de vue.

La décision de réduire les fonds tout en augmentant la capacité de choisir unilatéralement à quels programmes ces fonds seront affectés pourrait entraîner une situation très difficile en Ontario. La province pourra déplacer les fonds entre les programmes au gré des priorités politiques et des pressions et si les baby-boomers, qui vieillissent, et j'en suis un, mettent suffisamment de pression sur le gouvernement provincial pour qu'il consacre plus d'argent aux services de santé, il restera moins d'argent pour l'éducation postsecondaire et il ne fait aucun doute que le bduget de l'assistance sociale s'en ressentira.

M. Fewchuk: Qu'est-ce qui les empêche de faire cela à l'heure actuelle?

M. Kuehnbaum: Qu'est-ce qui les en empêche?

M. Fewchuk: Je pense que c'est que...ils ne savent pas s'organiser.

M. Kuehnbaum: Il existe des pénalités pour cela. Ces pénalités constituent des moyens dissuasifs réels contre ce genre de stratagèmes.

M. Grubel: Quelles sont-elles en matière d'éducation?

M. Kuehnbaum: Nous avons déjà parlé de cela. Cela a déjà été précisé.

M. Grubel: Mais il n'y a pas de pénalités.

M. Kuehnbaum: Non, pas pour l'éducation postsecondaire. Il en existe pour les deux autres secteurs.

Mme Mussett: En ajoutant le troisième programme au financement global, vous ne faites qu'ajouter.

M. Kuehnbaum: Ce que vous avez fait, c'est multiplier les possibilités de transfert entre les programmes.

Une voix: Cette possibilité existe déjà.

Mme Mussett: Entre la santé et l'éducation.

[Français]

M. Dubé: On assiste plutôt à...

[Traduction]

Le président: Je vous demanderais de bien vouloir continuer. Il nous reste à peu près 25 minutes, et si vous voulez des questions... N'hésitez pas à résumer ce que vous voulez nous dire, parce que nous avons tous lu votre mémoire de toute façon.

M. Kuehnbaum: Cela aggrave la discrimination contre les membres défavorisés de notre société, les sans-emploi, les femmes chefs de famille, les personnes handicapées et les nouveaux Canadiens, c'est-à-dire les groupes qui ont le plus de mal à se faire entendre et qui ont le moins d'influence politique.

.1635

Les Canadiens pourraient bien se voir obligés de déménager chaque fois que leurs besoins ou leurs priorités changeront pour, par exemple, aller vivre dans telle province pour y faire leurs études postsecondaires, dans telle autre pour obtenir des soins de santé spéciaux et dans une autre encore pour avoir accès à l'aide sociale. Le projet de loi C-76 encouragera l'individualisme «égoïste» que les Canadiens ont rejeté pendant pendant 50 ans en appuyant le principe de l'universalité des programmes sociaux.

Nous nous attendons à ce que les réactions des provinces aux changements annoncés exacerbent les problèmes. Les changements prévus dans le système des paiements de transfert prévoient une réduction générale de l'aide fournie aux provinces, l'élimination des contributions pécuniaires et la possibilité d'un financement global des trois programmes. Nous présentons des détails sur l'effet des coupures pour l'Ontario.

Nous pensons que ces coupures annoncées auront des incidences importantes sur le budget des soins médicaux en Ontario et sur les crédits affectés aux collèges communautaires. Nous nous attendons à une réduction d'environ 20 p. 100 à 25 p. 100 en plus des deux milliards de dollars déjà coupés en vertu du contrat social et des deux milliards de dollars de réductions prévues dans le programme de contrôle des dépenses. Tout cela sans compter les 32 millions de dollars de compressions que doivent absorber les hôpitaux psychiatriques publics.

Par ailleurs, durant la campagne électorale en cours, tous les partis ont promis des coupures supplémentaires. Ces coupures entraînent une réduction du niveau de service et l'impossibilité de répondre aux besoins grandissants. Or, il ne fait aucun doute que les besoins continuent d'augmenter: le vieillissement de la population engendre un besoin accru de services de santé, la récession qui n'en finit plus accroît la demande de services sociaux et la mondialisation de l'économie appellle une scolarité plus poussée.

Toutes ces réductions budgétaires mèneront inévitablement à la restructuration ou à la réorganisation des programmes. Nous n'avons jamais caché ce que nous pensons de la privatisation. Nous croyons que les profits dans la prestation des services publics sont réalisés au détriment de la qualité du service ou aux dépens des travailleurs de première ligne. Nous préférerions de loin que les économies réalisables dans la prestation des services publics servent à améliorer la qualité des services publics, à accroître ces services ou à offrir de meilleures conditions de travail aux travailleurs de première ligne.

Les pages d'affaires des journaux de l'Ontario mentionnent régulièrement les profits élevés qui peuvent être réalisés dans le secteur des soins de santé, et surtout dans les soins de longue durée. Ces gagnants, que certains appelleraient des profiteurs, disent qu'ils tirent profit du vieillissement de la population. Il est évident que ce qui les intéresse, ce n'est ni la santé, ni les soins, mais plutôt les profits, sans plus.

La privatisation poussée à l'extrême est le transfert de la responsabilité et du coût des services publics aux familles et aux particuliers. Les membres de la famille et les bénévoles de la collectivité sont obligés de s'acquitter de tâches qui incombaient auparavant à des travailleurs payés qui avaient la formation voulue. Les particuliers et les familles doivent assumer une part de plus en plus grande des coûts.

D'autre part, nous craignons que la réduction du financement et les changements apportés aux paiement de transfert compromettent l'universalité et l'accessibilité des programmes. Or, l'universalité et l'accessibilité des programmes sociaux sont essentielles à notre identité nationale, comme le montre le débat passionné au sujet du régime d'assurance-maladie. L'universalité engendre une société plus équitable. En réduisant ou en éliminant ces programmes, nous renonçons à l'équité et peut-être même à notre identité nationale. Nous pensons que le projet de loi C-76 et le budget fédéral attaqueront ce principe en réduisant l'accès aux programmes sociaux.

Parce qu'il y aura moins d'argent à répartir entre les programmes, le gouvernement devra décider quels secteurs de la société devront se passer de services dont ils ont besoin pour que d'autres groupes puissent bénéficier de services dont ils ont également besoin. Les provinces resserreront les critères d'admissibilité à l'assistance sociale et elles favoriseront les programmes de travail ou de formation obligatoire forçant les prestataires à suivre des cours ou à faire des travaux communautaires. Les syndicats et les associations de bénévoles réprouvent ce genre de programmes.

La privatisation accrue des services et l'imposition de frais modérateurs de toutes sortes pourraient bien restreindre encore davantage les programmes, les fournisseurs et les services auxquels les gens auront accès selon leur revenu et l'endroit où ils vivent.

.1640

Les Canadiens ont décidé il y a longtemps que l'éducation était trop importante pour la laisser au hasard ou aux caprices du marché. Les coupures budgétaires dans les collèges de l'Ontario représentent la suppression d'à peu près le quart des programmes. L'autre solution n'est pas acceptable et ni le hasard, ni les caprices du marché ne garantiront l'accès à une éducation postsecondaire de qualité.

Nous représentons les enseignants des collèges communautaires de l'Ontario. Les collèges établis dans tous les centres importants et le vaste éventail de programmes offerts forment un réseau qui fait l'envie de beaucoup de gens. Nous devinons déjà les effets des réductions budgétaires: bon nombre de collèges conserveront seulement les programmes les moins coûteux, et le pays aura un surplus de diplômés dans des domaines comme l'application de la loi et la sécurité, tandis que les programmes d'enseignement des technologies de pointe, qui coûtent très cher mais qui offrent les meilleures perspectives d'emploi, seront réservés aux grandes villes. Fermer des collèges ou réduire les programmes signifie limiter l'accès des gens qui vivent hors des grands centres urbains.

Les membres du SEEPO craignent les effets que ce projet de loi aura sur leur travail et dans la collectivité. Le projet de loi laisse entendre que nous n'accordons plus d'importance aux services publics et à la contribution des fonctionnaires. L'érosion des budgets et la course aux profits incitent à confier la prestation des services aux moins-disants. Dans le secteur de la santé, cela risque d'entraîner la déréglementation, avec ses effets inévitables sur le service et sur les conditions de travail. Dans certains cas, des services qui sont essentiels retomberont sur les bénévoles surexploités et sur les membres de la famille qui se sentent obligés d'aider, c'est-à-dire le plus souvent les femmes.

La réduction des budgets forcera à accroître les charges de travail et la taille des classes au point où la tâche deviendra impossible. La rationalisation à outrance des services gouvernementaux transforme les gens en unités de soins, en statistiques, en objectifs de réduction des dépenses, en produits qu'il faut traiter le plus rapidement possible et au moindre coût. De nombreuses études ont été effectuées dernièrement en Ontario au sujet de la détérioration du régime de soins de santé. Les rapports d'études faits par des groupes comme la Fédération du travail de l'Ontario, la Ontario Nurses Association et un groupe de travail formé de citoyens sonnent l'alarme au sujet des effets que les réductions budgétaires ont sur la qualité des soins.

Nous représentons aussi les travailleurs qui donnent ces soins et nous nous soucions beaucoup de leurs conditions de travail. Les réductions budgétaires et la privatisation ont des effets négatifs notables sur les travailleurs et sur leurs conditions de travail à plusieurs points de vue: l'augmentation considérable du stress la disparition de la sécurité d'emploi, l'attention réduite portée à la sécurité au travail, la stagnation des salaires et des avantages sociaux, et la diminution de la satisfaction professionnelle.

Lorsque les budgets sont réduits, les programmes sont annulés, les services sont réduits et les emplois disparaissent, entraînant avec eux le gagne-pain des gens et leurs espoirs. Les gens qui ont de bons emplois n'ont pas besoion d'assistance sociale; ces gens-là paient des impôts. Les deux partis politiques semblaient pourtant avoir compris cette réalité. Il y a eu une campagne une année dont le leitmotiv était la création d'emplois, et une autre...

Le président: Je dois vous interrompre pour vous dire que nous avons encore beaucoup à faire et que si vous voulez continuer à lire... Nous savons que les gens qui travaillent paient des impôts. Nous savons aussi que l'éducation est une priorité.

Qu'est-ce que vous préférez? Voulez-vous que nous commencions à vous poser des questions, puisque nous avons déjà pris connaissance de votre mémoire, ou préférez-vous continuer de le lire pour le procès-verbal? C'est à vous de décider.

M. Kuehnbaum: Nous sommes venus ici pour témoigner. Je pensais que le comité était là pour nous écouter.

Le président: Oui, bien sûr, mais je veux seulement vous dire que nous avons lu votre mémoire et que nous aimerions pouvoir vous poser des questions. C'est comme vous voulez. À vous de choisir.

M. Kuehnbaum: Je n'en ai plus que pour quelques minutes, comme vous pouvez le voir.

Le président: Très bien. Comme vous voulez. Je vous fais seulement remarquer que vous aurez plus d'influence sur les membres si vous leur permettez de prendre part au dialogue parce que vous saurez ainsi ce qui les intéresse et vous pourrez leur répondre. Mais comme je l'ai dit, c'est à vous de décider.

M. Kuehnbaum: Mais nous sommes en partie venus pour vous dire ce qui nous préoccupe.

.1645

Le président: Vous nous l'avez dit. Nous avons lu le document, merci.

Mme Mussett: Donc, si je comprends bien, vous n'êtes pas intéressés à entendre...

Le président: Non allez-y. Nous sommes intéressés. Je vous dis tout simplement que nous avons déjà lu ce qui se trouve devant nous. Il nous reste quatorze minutes et certains députés veulent poser des questions. C'est à vous de décider si vous voulez continuer à lire le document pour qu'il soit reproduit dans le procès-verbal, mais nous l'avons déjà à l'esprit. Alors, à vous de décider. Je vous donne les deux possibilités et je vous dis que nous n'avons presque plus de temps.

M. Kuehnbaum: Je suis désolé, monsieur le président.

Le président: Mais pas du tout.

M. Kuehnbaum: On nous avait dit que nous allions jusqu'à 15 minutes après...

Le président: On vous a donné 45 minutes.

M. Kuehnbaum: Je suis désolé.

Le président: Aucun témoin n'a reçu plus de 45 minutes.

M. Kuehnbaum: je suis désolé, j'ai mal calculé. J'ai ajouté 45 minutes par erreur. Bon, je suis à vous.

Le président: Non, c'est à vous de décider. Je pense que vous seriez plus à l'aise si vous lisiez le document pour qu'il soit reproduit dans le procès-verbal.

M. Grubel: Est-ce qu'il est déjà au procès-verbal? Est-il accessible à tous?

Le président: [Inaudible-Éditeur:]...tout le monde, mais le texte ne sera pas enregistré sur la bande si quelqu'un veut... La décision vous appartient totalement, à vous de choisir.

M. Kuehnbaum: Nous savons que dans le régime provincial, un document fait partie du procès-verbal uniquement si vous en faites la lecture.

Mme Mussett: Le Hansard.

Le président: Nous n'avons plus le Hansard.

Mme Mussett: Alors, comment pouvons-nous nous assurer que nos autres partenaires du secteur de la justice sociale auront accès à nos mémoires si le journal The Globe n'en fait pas mention?

Le président: Le texte sera sur la bande ou la greffière peut leur en envoyer une copie. Alors, ce que vous lirez ne se retrouvera que sur la bande. Donc, sentez-vous libre de le lire si vous le voulez.

M. Grubel: Si on se limitait aux conclusions?

M. Kuehnbaum: Vous pouvez lire les conclusions tout aussi bien que moi. Ce qui se trouve maintenant sur la bande n'avait pas tellement d'importance pour moi. L'important, c'était de venir ici et de témoigner devant le comité.

Les conséquences de ce projet de loi pour nos membres ont suscité de vives réactions, tant à l'échelle du pays que dans ma propre organisation. Nous sommes ici pour vous dire que nous entrevoyons de très graves conséquences, dont nous vous avons fait part, non seulement pour nos membres mais aussi pour ce que nous considérons comme faisant partie de la base même de ce qui fait du Canada un pays aussi extraordinaire.

Le président: Bien sûr. Je vous suggère de lire le reste du document pour qu'il soit versé au procès-verbal officiellement. Je pense que vous aurez l'impression d'avoir accompli votre tâche ici si vous le faites.

M. Kuehnbaum: Je me sens très bien, merci. Je suis à vous.

[Français]

Le président: Monsieur Dubé, vous avez des questions?

M. Dubé: Je voudrais tout d'abord dire que c'est une coïncidence si je me retrouve ici. J'ai dû remplacer mes collègues. Je fais partie du Comité du développement des ressources humaines, qui a fait la tournée de la réforme Axworthy sur les programmes sociaux.

J'ai bien compris vos préoccupations. Finalement, si je comprends bien, vos réserves ne portent pas tant sur les normes nationales. Je viens du Québec et nous avons une conception tout à fait différente à cet égard. Au Québec, nous souhaitons avoir des programmes sociaux qui soient plus près de notre manière de vivre et de notre culture.

Par contre, je suis d'accord avec vous quand vous vous inquiétez de la diminution des fonds. Dans votre mémoire, vous dites que pour 1996-1997, il y aura une diminution de 1,4 milliard de dollars et, l'année suivante, une diminution de 2,2 milliards de dollars. C'est important.

Est-ce que je me trompe si je comprends que votre préoccupation se situe au niveau de la diminution des montants d'argent et des paiements de transfert ainsi que de la concurrence que cela va amener dans les trois domaines?

Le secteur de la santé va continuer à être régi par les cinq normes contenues dans la Loi canadienne sur la santé. Pour ce qui est de l'éducation postsecondaire, c'est plus flou. Quant au Régime d'assistance publique, on sait que l'Ontario a déjà, depuis trois ans, gelé ce qu'elle faisait. L'Ontario faisait 50 p. 100 au niveau du sytème d'aide sociale. Cela fait un bon bout de temps que vous êtes sous ce niveau. Est-il exact que c'est plus la diminution des montants d'argent que les normes qui vous inquiètent?

.1650

[Traduction]

M. Kuehnbaum: Non. Si vous croyez dans un pays où, peu importe où vous êtes, que ce soit en C.-B., en Alberta, en Ontario, à Terre-Neuve ou au Québec - quoique cette question doive être tranchée - le simple fait d'en être citoyen ou citoyenne vous donne droit à exiger ou à jouir de certaines normes en matière de soins de santé, d'enseignement postsecondaire ou de services sociaux, voilà un élément important de l'identité du pays, au même titre que les gens qui se rallient derrière une armée ou les pays qui défilent sous un même drapeau. Cela leur donne un sentiment d'identité et d'importance. Or, nous pensons que certains des programmes dont il est question ici provoquent chez de nombreux gens la même émotion que le fait de marcher sous un drapeau.

[Français]

M. Dubé: Étant donné que vous êtes un syndicat d'employés de la Fonction publique de l'Ontario, vous avez parlé d'argent, mais vous n'avez pas parlé des conséquences en matière de nombre d'emplois. Normalement, lorsqu'on rencontre un syndicat, on s'attend à ce genre de réponse. Est-ce que vous avez évalué cela? Dans l'affirmative, combien de vos membres seraient affectés?

[Traduction]

Mme Mussett: Il nous a été difficile de faire les calculs en Ontario... Comme vous savez, nous aurons bientôt des élections, et chacune des trois provinces a promis une démarche légèrement différente des autres pour composer avec les coupures fédérales avant qu'elles n'aillent de l'avant et qu'elles essaient d'équilibrer leur budget dans quatre ans. Nous savons qu'à l'heure actuelle, des coupures de l'ordre de 25 p. 100 sont prévues dans le réseau des collèges communautaires.

M. Fewchuck: Immédiatement?

Mme Mussett: Ce sont là les prévisions actuelles. C'est ce qu'ils disent, alors...

M. Fewchuck: Les coupures ont été amorcées l'an dernier, en réalité.

Mme Mussett: Ces prévisions sont fondées sur la baisse des fonds du fédéral.

M. Fewchuck: À l'échelle provinciale aussi.

M. Kuehnbaum: Oui. Dans le système des collèges, environ 20 millions de dollars seront...

M. Fewchuck: Vous devez vous rappeler que ce sont les provinces qui sont à blâmer pour cette situation. Rappelez-vous que, maintenant, vous faites affaire avec des représentants provinciaux et les enseignants que vous représentez. Certains d'eux me téléphonent et me disent qu'ils ont un problème avec leur propre syndicat. Nous leur demandons des normes afin de nous aider avec les provinces, et ils nous négligent. Désolé.

[Français]

M. Dubé: En terminant, parce que je ne veux pas prendre le temps de tout le monde, je veux simplement dire que vous auriez davantage d'appui des syndicats du Québec si, dans ce que vous faites, vous vous appuyiez davantage sur votre objection à la réduction des transferts plutôt que sur l'aspect des normes nationales. C'est simplement un conseil que je vous donne pour améliorer votre appui.

[Traduction]

M. Kuehnbaum: Oui, je suis sûr que tout pays, peu importe comment il se définit, aimerait défendre ses normes nationales.

M. Grubel: Je pense qu'en général, les gens de l'Ontario sont très compatissants. Après tout, n'ont-ils pas élu un gouvernement NPD?

Pensez-vous que les députés qu'ils ont élu agissaient de façon rationnelle quand ils ont réparti les ressources parmi les usagers concurrentiels, laissant une partie de l'argent dans la poche du consommateurs, une partie pour les soins de santé et ainsi de suite? Êtes-vous prêt à dire qu'il s'agit d'un modèle raisonnable de fonctionnement de la société?

M. Kuehnbaum: Oui.

M. Grubel: Merci beaucoup. Maintenant dans de telles circonstances, s'il n'y avait pas de partage des coûts liés aux services d'aide sociale, ils dépenseraient une certaine somme d'argent sur le bien-être social, le RAPC. Cependant, il y a environ 25 ou 30 ans, nous avons mis au point un régime où l'on disait ceci: «Vous, les gens raisonnables et compatissants de l'Ontario, qui répartissez vos ressources de cette manière, chaque fois que vous dépenserez un dollar, nous vous en donnerons un autre. Pour 50c. dépensés, nous en offrirons cinquante.

.1655

Maintenant, certaines personnes prétendent que cette mesure a poussé les autorités de l'Ontario à dépenser trop d'argent sur les programmes sociaux étant donné que l'argent dépensé ne provenait pas de leurs poches. Ces gens disent maintenant qu'en éliminant cette mesure, nous revenons à un système plus rationnel selon lequel les Ontariens ne reçoivent, pour les programmes de bien-être social, que l'argent qu'ils auraient s'ils n'étaient pas aux prises avec des mesures incitatives dénaturantes créées par Ottawa. Comment allez-vous répondre à cette objection?

M. Kuehnbaum: Si je pousse votre logique à l'extrême, faut-il penser que toutes les mesures incitatives sont mauvaises?

M. Grubel: Non, pas du tout. Toute incitation est bonne. La question, c'est de déterminer si elles proviennent du gouvernement, ou des citoyens eux-mêmes - si ces mesures incitatives sont prises par l'élite, qui est très loin des lieux où l'argent est cueilli et dépensé, ou par le peuple concerné.

M. Kuehnbaum: Je n'appuie pas nécessairement l'élite éloignée. Mais je pense que les gens qui sont légèrement à l'écart des dures réalités de la vie peuvent souvent se montrer plus compatissants.

M. Grubel: Plus compatissants que les gens mêmes qui sont dans le besoin?

M. Kuehnbaum: Les gens ont voulu qu'on lance les chiens aux trousses des sans-abris. Nous pouvons nous passer de ce genre de compassion.

M. Grubel: Nous parlons de l'Ontarien moyen, pas d'un groupe marginal. Il y a des gens comme ça dans chaque société.

M. Peterson avait proposé que l'on donne à quelqu'un d'autre la chance de répondre.

Mme Mussett: Je voudrais revenir à votre commentaire sur les dépenses excessives, car cette expression peut tout simplement vouloir dire que l'argent disponible n'a pas répondu au besoin, ou que le besoin était beaucoup plus grand que les sommes prévues.

M. Grubel: Vous rejetez un modèle de démocratie. Vous dites que les gens de l'Ontario ne savent pas ce qui leur convient mieux. Vous dites que ce régime démocratique n'a pas fonctionné.

Mme Mussett: Non, ce que je dis c'est que quand vous laissez entendre que l'Ontario a dépensé plus d'argent sur l'assistance sociale qu'elle aurait dû, c'est peut-être qu'elle avait des besoins plus grands.

M. Grubel: Non. Avant que ce régime de partage de coûts ne soit adopté, l'Ontario dépensait exactement ce qu'elle pensait être le bon montant, compte tenu de tous les autres usages possibles de son argent. Alors le gouvernement fédéral est arrivé et il a dit: «Maintenant vous dépensez plus, car pour chaque somme que vous dépenserez, nous vous donnerons une somme équivalente». Ce sont là, par définition, des dépenses excessives.

Mme Mussett: Pas selon mon dictionnaire. La qualité des programmes a peut-être atteint le niveau qu'il aurait fallu dès le départ.

M. Grubel: Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose pour les autos, le lait, et tout le reste?

M. Kuehnbaum: En plus de tout cela, ces mêmes Ontariens compatissants ont envoyé à Ottawa les députés fédéraux qui prennent ces décisions.

Le président: Je pense que M. Grubel devrait peut-êre vous inviter au restaurant du Parlement où vous pourriez poursuivre la discussion.

M. Pillitteri: Si je puis me permettre un aparté ici. Aujourd'hui en Chambre, certains d'entre vous avez peut-être quitté plus tôt, mais je suis resté pour quelques rappels au Règlement, monsieur le président, entourant le débat sur un projet de loi visant les pensions.

Après avoir entendu ce témoignage aujourd'hui - je veux faire un parallèle entre les deux - , à la page 5, par exemple, je ne vois rien qui parle de cette incidence du projet de loi C-76. Est-ce que je peux lire ce passage, monsieur le président? Ensuite je veux des réponses.

Voilà un paragraphe. Je passe ensuite à un autre:

Et je poursuis: «On continue de berner les électeurs de l'Ontario avec le mythe...».

À mon avis, cela ressemble étrangement à une plafe-forme électorale. Vous contestez le gouvernement de Bob Rae, vous contestez les Libéraux et vous contestez les «autres mythes». Est-ce que j'ai sauté un passage de votre mémoire où vous manifestez votre intention de créer un nouveau parti?

M. Kuehnbaum: Non. Le syndicat interdit à ses membres toute affiliation politique. Vous ne devez rien interpréter de tel dans notre présentation.

M. Pillitteri: Monsieur le président, au contraire, j'interprète bien des choses dans ce que je viens de lire. Et si vous avez l'intention d'obtenir des votes ici, je puis vous assurer que, pour ma part, vous n'aurez aucun vote de ce côté-ci, ceux de l'Ontario. J'ai senti qu'il se créait un nouveau parti politique.

.1700

Mme Mussett: Pas du tout.

M. Kuehnbaum: Non.

M. Pillitteri: C'est tout ce que j'ai à dire pour aujourd'hui.

Le président: Votre témoignage a été plutôt stimulant. J'aimerais que les faits soient exactement comme ils sont exposés ici.

Ce qui m'a le plus dérangé dans votre mémoire - j'en ai même été scandalisé à la lecture - , c'est le passage qui le lit comme suit: «Ce projet de loi prouve que nous ne valorisons plus les services publics et que nous ne valorisons plus le travail des employés de la Fonction publique.» Même si nous faisons des coupures, cela ne veut pas dire que nous estimons moins nos fonctionnaires. Nous essayerons d'effectuer les réductions en procédant de la façon la plus humaine possible. Ces coupures ne nous enchantent pas, mais nous sommes tous assiégés à ce moment-ci. Tout le monde subit des réductions budgétaires. Ce n'est pas une attaque personnelle contre les fonctionnaires.

Ceux d'entre nous qui travaillons sur la Colline depuis longtemps ont justement appris à valoriser grandement le travail des professionnels ici. Par conséquent, vous avez droit à votre opinion au sujet de la Fonction publique, mais ce n'est pas la nôtre, et je veux que l'on en prenne bonne note.

Merci d'être venus.

Nous allons nous arrêter cinq minutes. Nous avons des problèmes d'interprétation simultanée.

.1702

.PAUSE

.1711

Le président: Nous entendrons maintenant l'organisme Citizens for Public Justice. Stephanie Baker-Collins en est la directrice nationale chargée de la recherche et Gerald Vandezande, le directeur national des relations publiques. Le Citizens for Public Justice est un organisme bien connu du Parlement et du présent comité, et nous sommes très reconnaissants à ses représentants d'avoir fait un effort pour se joindre à nous.

Mme Stephanie Baker-Collins (directrice nationale de la recherche, Citizens for Public Justice): Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du comité.

Comme vous n'avez pas eu l'occasion de lire notre mémoire, nous aimerions d'abord vous présenter un exposé de dix minutes. Il y aura ensuite suffisamment de temps pour les questions.

Le président: Nous aimerions cela. Merci.

Mme Baker-Collins: L'organisme Citizens for Public Justice est heureux de l'occasion qui lui est offerte de rencontrer le comité pour discuter du projet de loi C-76. Nous sommes surtout préoccupés par les dispositions du projet de loi traitant du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Le projet de loi C-76 représente un virage important dans la politique sociale au Canada. Rien n'indique cependant qu'on veuille réaliser une réforme complète et intégrée. Plutôt, le système de sécurité sociale au Canada fait l'objet d'un remaniement majeur fondé sur la mise en oeuvre de dispositions fiscales complexes dans le contexte d'un projet de loi budgétaire. Nous croyons que le présent gouvernement s'engage ainsi dans un remodelage de la politique sociale qui a beaucoup nui au gouvernement précédent.

Ce n'est pas ainsi que l'on modifiera le sens que revêt pour nous le fait d'être citoyen canadien et d'avoir droit à un minimum vital pour faire face aux besoins de la vie. Comme l'a précisé un auteur: «La politique sociale est trop importante pour la laisser aux mains des négociateurs fiscaux.»

Essentiellement, le projet de loi C-76 réduit le rôle du gouvernement fédéral face aux objectifs nationaux en matière de politique sociale. Une fois que des mesures auront été prises, il sera très difficile de faire machine arrière.

Un des grands principes qui sous-tendent les programmes sociaux au Canada est celui de l'équité nationale, tant entre les particuliers eux-mêmes qu'entre les régions du Canada. La responsabilité fédérale à l'égard de cette équité est exprimée dans les paragraphes 37(1) et 36(2) de la Constitution.

L'application du pouvoir fédéral de dépenser, avec les conditions qui régissent l'utilisation des fonds, est le principal moyen par lequel le gouvernement fédéral peut garantir l'équité à l'échelle nationale. Le projet de loi C-76 diminue et pourrait, à la longue, éliminer le pouvoir fédéral de dépenser, et il supprime les conditions liées à ces dépenses qui définissent les objectifs nationaux. Le gouvernement fédéral renonce donc à ses responsabilités constitutionnelles dans ce domaine.

J'aimerais traiter dans un premier temps de l'équité entre les particuliers. Comme l'ont démontré le Caledon Institute et d'autres organismes, les contributions pécunières rattachées au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux diminuera à un rythme plus rapide que les points d'impôt. Les contributions pécunières disparaîtront peu après l'an 2000, et même plus vite si le TCSPS est visé par d'autres réductions dans les budgets à venir. La capacité de faire respecter les normes nationales diminuera donc avec le temps, avant de disparaître complètement.

Nous nous demandons de quelle façon le présent gouvernement s'y prendra pour assumer sa responsabilité de maintenir l'équité verticale en vertu de l'article 36.1 de la Constitution, en pourvoyant aux besoins des canadiens pauvres par le truchement d'une nouvelle répartition des ressources et des possibilités, alors que le projet de loi C-76 fait en sorte que le rôle du gouvernement fédéral face aux programmes sociaux diminuera graduellement pour, avec le temps, disparaître complètement.

J'aimerais maintenant traiter de la question de l'équité entre les régions. Les paiements de transfert fédéraux servent à réduire les disparités régionales, principalement grâce aux paiements de péréquation. Il faut noter, cependant, qu'une majorité de Canadiens vivant dans la pauvreté habitent dans les trois provinces les plus riches. La réduction des disparités régionales constitue donc un objectif très différent de celui de l'élimination de la pauvreté. On a tenté, grâce aux programmes sociaux de faire l'équilibre entre ces deux objectifs. Non seulement le projet de loi C-76 ne réussit pas à combler les lacunes résultant des limites imposées au Régime d'assistance publique du canada, mais il ajoute à ces lacunes. Le projet de loi fait en sorte qu'on s'occupera moins des injustices entre particuliers pour s'attaquer davantage aux disparités régionales.

.1715

Citizens for Public Justice (CPJ) appuie les paiements de péréquation. Cependant, en s'occupant des disparités régionales au détriment de l'équité des particuliers, on risque, à long terme, de nuire à la péréquation. Avec le temps, l'engagement des provinces les plus riches à l'égard de la péréquation diminuera.

Nous nous demandons de quelle façon le présent gouvernement s'y prendra pour s'acquitter de sa responsabilité, selon le paragraphe 36(2) de la Constitution, de réaliser l'équité horizontale, c'est-à-dire l'équité entre les régions, quand le projet de loi C-76 repose sur ce que le gouvernement reconnaît être une répartition injuste des ressources aux provinces, par suite des limites imposées au Régime d'assistance publique du Canada (RAPC). Le RAPC est plus qu'un mécanisme de partage des coûts de l'aide sociale et des services sociaux. Il représente un engagement national à l'égard de l'aide aux plus vulnérables.

Le Canada est une grande collectivité envers laquelle nous avons tous une obligation nationale. Nous devons donc tous faire en sorte que chaque membre de cette collectivité ait accès aux ressources dont il a besoin pour mener une vie responsable face à Dieu et aux autres. On trouve des groupes vulnérables (les pauvres, les chômeurs, les personnes handicapées, etc.) dans toutes les provinces. Le seul ordre de gouvernement capable de mettre en place un ensemble de normes et de principes nationaux est le gouvernement fédéral.

Le RAPC a contribué à maintenir les normes nationales suivantes: l'aide est fondée sur le besoin, et non sur la cause du besoin; les bénéficiaires peuvent se prévaloir d'un processus d'appel et l'aide est offerte peu importe la province de résidence. Nous reconnaissons que le RAPC présente des difficultés auxquelles il faut s'attaquer, des difficultés qui concernent l'aide à accorder aux pauvrres qui travaillent, qui concernent l'éventail des programmes admissibles. Cependant, notre principale question est la suivante: le projet de loi C-76 réglera-t-il les problèmes du RAPC? Nous nous posons cette question parce que ce projet de loi donne suite aux problèmes soulevés, que nous mentionnons aussi dans notre mémoire, en supprimant toutes les normes nationales concernant le soutien du revenu, sauf les problèmes qui ont trait aux critères relatifs à l'interdiction de résidence.

En éliminant les normes nationales concernant le soutien du revenu et les services sociaux, on veut donner aux provinces une plus grande souplesse pour régler les problèmes soulevés. Nous nous demandons si ce projet de loi sera vraiment très utile à cet égard.

Plus précisément, le projet de loi C-76 consolidera-t-il les normes relatives au soutien du revenu et aux services sociaux de manière à créer un niveau uniforme de services au public partout au pays? Garantira-t-il que les provinces vont étendre leur programme de soutien du revenu de manière à y inclure une aide pour les pauvres qui travaillent? Verra-t-il à ce qu'un éventail plus large de services sociaux soit financé par la province, si ce sont là les lacunes du Régime d'assistance publique du Canada?

D'après le CPJ, la législation soumise à l'examen du comité ne fera rien de tout cela. Sous prétexte d'améliorer le RAPC, le projet de loi C-76 compromettra tout le système de soutien qui a été financé dans le cadre de ce régime.

Et maintenant, passons à des problèmes plus précis.

Si l'on a fondé l'aide sur le besoin, peu importe la cause, c'était dans le but premier d'enrayer la nature restrictive des programmes spécifiques, les particuliers devant, dans ce contexte, faire partie d'une certaine catégorie pour avoir droit à de l'aide. Avec la suppression de cette protection, les provinces pourront décider d'elles-mêmes quels sont ceux qui méritent un soutien du revenu.

Par exemple, comment le gouvernement fédéral s'assurera-t-il que les provinces ne commencent pas à distinguer entre les pauvres qui méritent de l'aide et ceux qui n'en méritent pas, en déclarant certaines catégories de personnes non admissibles au soutien du revenu? Aussi, en maintenant d'une part son engagement à l'égard des principes liés aux soins de santé et en réduisant d'autre part les normes relatives au soutien du revenu, le projet de loi C-76 pourrait inciter les provinces à utiliser à d'autres fins les fonds destinés aux secteurs qui comportent le moins d'exigences.

Les programmes de soutien du revenu, qui s'adressent aux Canadiens les plus vulnérables, seront pénalisés en faveur des domaines de la santé et de l'éducation. Nous nous posons trois questions à ce sujet.

Pourquoi le gouvernement s'engage-t-il de façon non équivoque à maintenir les cinq normes de la Loi canadienne sur la santé, en soumettant à la négociation avec les provinces les normes relatives au soutien du revenu et aux services sociaux, et ce, à un moment de notre histoire où l'harmonisation entre les provinces semble avoir le moins de chances de réussir?

.1720

Quelle garantie cette législation donne-t-elle que les sommes transférées aux provinces seront utilisées aux fins prévues?

Quelle protection offre-t-elle qu'un montant minimal équitable sera attribué aux secteurs des soins de santé, de l'éducation et de l'aide sociale, de manière que les normes nationales applicables puissent être respectées?

En sommes, ce gouvernement se fait un devoir de maintenir, dans l'intérêt de l'ensemble de la population canadienne, un certain nombre de valeurs fondamentales. Par exemple, il reconnaît qu'un gouvernement doit être jugé d'après son efficacité à promouvoir la dignité, la justice, l'impartialité et l'égalité des chances pour les êtres humains. Ce gouvernement s'est engagé à maintenir un système national de soins de santé pour tous les Canadiens.

Citizens for Public Justice estime qu'il faut mettre en place un système universel minimal semblable, fondé sur la citoyenneté canadienne, pour les programmes liés au soutien du revenu et aux services sociaux. Sinon, les personnes les plus vulnérables y perdront et on reprochera au gouvernement de n'avoir pas réussi à promouvoir la dignité, la justice, l'impartialité et l'égalité des chances pour tous les citoyens.

Pour conclure, j'aimerais mentionner les cinq recommandations que nous avons énumérées à la fin de notre mémoire.

Citizens for Public Justice recommande que l'adoption de la structure législative concernant le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux soit retardée jusqu'à ce qu'on ait pu tenir de plus vastes consultations publiques, et ce, dans le but d'aider le gouvernement fédéral à respecter ses responsabilités constitutionnelles.

Citizens for Public Justice recommande aussi que le gouvernement fédéral prenne des mesures en vue de garder intacte la partie des contributions pécunières du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, en indiquant un pourcentage minimal équitable du PIB.

Citizens for Public Justice recommande que les normes initiales prévues dans le Régime d'assistance publique du Canada, notamment le principe selon lequel l'aide doit être accordée selon le besoin, peu importe le coût, et le droit d'appel, deviennent des normes nationales dans le contexte du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Citizens for Public Justice recommande qu'on mette davantage l'accent, dans le projet de loi C-76, sur les mécanismes d'établissement de rapports, afin d'obliger les provinces à rendre compte au gouvernement fédéral des montants qui leur sont transférés. Les provinces devraient être tenues de présenter chaque année, par l'entremise du gouvernement fédéral, un rapport sur leur façon d'administrer le Transfert canadien en matière de santé et de programme sociaux.

Pour terminer, Citizens for Public Justice recommande que les consultations visant à développer plus à fond des objectifs pour les programmes sociaux, aient un caractère multilatéral et incluent des représentants des municipalités et des organismes non gouvernementaux qui exécutent des programmes sociaux.

Le président: Merci bien.

Voulez-vous dire quelque chose?

M. Gerald Vandezande (directeur national des relations publiques, Citizens for Public Justice): Non, je n'ai rien à ajouter à ce moment-ci.

[Français]

Le président: Nous allons commencer les questions avec M. Dubé, s'il vous plait.

M. Dubé: Merci, monsieur le président.

Je trouve votre présentation intéressante et très claire. Évidemment, venant du Québec, vous vous doutez bien que j'ai quelques réserves quant à l'interprétation que vous faites des paragraphes 36(1) et 36(2) de la Constitution. Selon vous, ces paragraphes donnent des obligations constitutionnelles au gouvernement fédéral en ce qui a trait à la justice dans les programmes sociaux et à la lutte contre la pauvreté, etc...

Cependant, vous savez que ce domaine est de juridiction provinciale, selon la Constitution. Étant donné que vous êtes dans le domaine de la justice, j'aimerais que vous appuyiez cela davantage, car selon la Constitution, il est clair que la santé et l'éducation relèvent exclusivement de la compétence des provinces. J'aimerais entendre vos arguments qui donnent l'obligation au gouvernement fédéral de s'occuper de programmes sociaux.

[Traduction]

Mme Baker-Collins: L'obligation du gouvernement fédéral est fondée sur ses engagements envers les citoyens canadiens. Je reconnais que, d'après la Constitution, ce sont les provinces qui ont compétence en matière d'éducation et de santé, mais, en même temps, le gouvernement fédéral a assumé une responsabilité dans ces domaines, dans le contexte de son pouvoir de dépenser, afin d'assurer que des services équitables sont offerts partout au pays et aussi pour garantir, étant donné les écarts de revenu entre les provinces, l'équité entre les régions. Je considère qu'au fil des ans le gouvernement fédéral a montré qu'il avait une responsabilité dans ces domaines.

.1725

M. Vandezande: J'aimerais ajouter que les paragraphes 36(1) et 36(2) parlent tous deux de la responsabilité du Parlement, des assemblées législatives et du gouvernement du Canada. Il n'y est pas fait de distinction entre les différents services. On y parle de tous les services publics, sans exception. Il existe donc une responsabilité commune à l'égard de tous les services publics auxquels ont droit les citoyens canadiens.

[Français]

M. Dubé: De la façon dont vous présentez le problème, le gouvernement fédéral devrait établir des normes et les provinces, lui rendre des comptes. C'est comme si vous instituiez deux niveaux, celui du gouvernement fédéral, qui serait le dirigeant, et celui des provinces, qui seraient les exécutants. Est-ce que je vous comprends bien?

[Traduction]

Mme Baker-Collins: Non, je ne pense pas que c'est ce que nous voulons dire. Je pense que le Régime d'assistance publique du Canada est un bon exemple de la façon dont le fédéralisme peut bien fonctionner.

Nous mentionnons certains problèmes au sujet du RAPC dans notre mémoire, mais il n'empêche que le Régime est un bon exemple du genre de partenariat qui, à mon avis, peut exister entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

[Français]

M. Dubé: J'aimerais poser une dernière question à propos, justement, du RAPC. Vous mentionniez qu'il existe certains problèmes. J'en connais quelques uns. Pourtant, j'aimerais que vous me décriviez certains de ceux que vous rattachez au RAPC.

[Traduction]

Mme Baker-Collins: Nous mentionnons trois problèmes dans notre mémoire. La première difficulté vient du fait que le RAPC est fondé sur une évaluation du besoin. Or, il est difficile dans certaines circonstances d'établir l'existence d'un besoin d'après le revenu; les travailleurs à faible revenu, par exemple, ont souvent du mal à obtenir l'aide dont ils peuvent avoir besoin.

Le deuxième problème découle de la définition des programmes qui peuvent être financés dans le cadre du RAPC; cette définition exclut certains programmes, de même que certains secteurs de la formation professionnelle aussi, je pense.

Le troisième problème avait déjà été cerné dans le rapport du Comité des ressources humaines: les normes ne sont pas assez précises pour garantir un niveau de service comparable dans tout le pays.

M. Vandezande: Monsieur le président, j'aimerais faire une observation au sujet de votre avant-dernière question.

Il est important de se rappeler que le gouvernement fédéral n'est pas seulement une agence de perception d'impôts qui sont ensuite redistribués dans tout le Canada sans qu'il y ait obligation de rendre compte. Les Canadiens ont toujours su que pour que le fédéralisme canadien fonctionne bien, il fallait trouver des façons de veiller à ce que des comptes soient rendus. Différents mécanismes sont établis dans diverses lois afin de définir comment le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux voient à ce que les fonds affectés à des fins particulières soient effectivement utilisés pour ces programmes et ces services, et à ce que des comptes soient rendus à ce sujet.

Nous ne voyons pas le gouvernement fédéral comme une institution hiérarchique donnant des ordres. Il s'agit plutôt d'un organisme qui, en collaboration avec les provinces, comme cela a été le cas pour la Loi canadienne sur la santé, et le Régime d'assistance publique du Canada, définit des conditions et des structures de reddition de comptes qui conviennent à tous les intéressés et qui permettent d'utiliser les fonds de la façon la plus efficace possible tout en garantissant qu'ils sont dépensés aux fins prévues.

Le Régime d'assistance publique du Canada est un exemple de fédéralisme coopératif où le gouvernement fédéral, qui a pris l'initiative dans ce domaine, avec l'accord de toutes les provinces à l'époque, en 1966, demande maintenant de rendre des comptes. En fait, l'obligation de rendre compte est très clairement définie dans la Loi canadienne sur la santé et l'une de nos suggestions serait que les dispositions prévues à ce sujet dans le projet de loi C-76 soient renforcées de façon à les rapprocher de celles de la Loi canadienne sur la santé, pour qu'il soit clair que non seulement les ministres fédéraux peuvent présenter un rapport, mais qu'ils sont tenus de le faire. Là où le projet de loi dit qu'ils «peuvent présenter un rapport au Parlement», nous pensons qu'il faudrait écrire «doivent présenter un rapport au Parlement».

Toutefois, pour rendre justice aux contribuables canadiens, y compris ceux du Québec, je pense que les gouvernements provinciaux devraient fournir un compte rendu détaillé de la façon dont ils ont dépensé l'argent provenant des impôts fédéraux, afin que les citoyens de tout le pays sachent comment leur argent a été dépensé et si les critères fixés ont été respectés.

.1730

[Français]

Le président: Est-ce que vous avez d'autres questions, monsieur Dubé?

M. Dubé: Je vais laisser... S'il reste du temps, je reprendrai la parole plus tard.

[Traduction]

M. Grubel: Je vois que les Citizens for Public Justice ont une association affiliée en Colombie-Britannique. Est-ce que celle-ci présente des mémoires, comme elle le fait ici, à l'assemblée législative et aux comités de la Colombie-Britannique au sujet des finances et des affaires publiques provinciales?

M. Vandezande: Nous l'avons déjà fait auparavant, mais comme nous ne recevons pas de subventions gouvernementales et comme nos membres n'ont pas pu nous donner assez d'argent pour que nous puissions intercéder efficacement, nous avons dû fermer notre bureau de la Colombie-Britannique il y a environ deux ans. Nous avons toutefois la ferme intention de reprendre nos activités, surtout si le projet de loi C-76 est adopté, et il ne devrait pas l'être à notre avis, du moins cet article ne devrait pas l'être, parce que les gouvernements provinciaux auront alors un bien plus grand pouvoir arbitraire de procéder comme bon leur semble sans avoir à rendre de comptes au gouvernement fédéral, et nous nous efforcerons certainement d'obliger le gouvernement provincial à rendre des comptes.

M. Grubel: Vous aurez beau jeu, parce que l'argent qui est continuellement envoyé à Ottawa pour être redistribué aux habitants de la Colombie-Britannique en vertu du régime de points d'impôts ne quittera désormais plus la province.

Je suis sûr que vous et vos membres affiliés de la Colombie-Britannique saurez convaincre l'assemblée législative provinciale de respecter les principes établis, comme vous cherchez à la faire avec nous aujourd'hui. Pourquoi cela serait-il catastrophique? Pourquoi cela serait-il un problème?

M. Vandezande: Je n'ai pas dit que cela serait «catastrophique». Nous aimerions bien pouvoir faire les deux. Nous aimerions obliger l'assemblée législative provinciale à rendre des comptes, tout comme nous voulons tenir les députés fédéraux, y compris les membres du Comité, responsables des décisions que le Parlement canadien prendra dans les domaines de la santé et des programmes sociaux.

M. Grubel: Oui, mais à quoi sert le gouvernement fédéral, si vous pouvez... Vos arguments sont si persuasifs. Pourquoi ne pas persuader le gouvernement de la Colombie-Britannique? Pourquoi faudrait-il avoir un autre niveau et faire envoyer tout l'argent ici pour qu'il soit renvoyé là-bas?

M. Vandezande: Nous ne tenons pas à ce qu'il y ait un niveau de plus. Nous disons que la citoyenneté canadienne, et nous choisissons, comme je l'ai fait, de devenir citoyens du Canada, et non pas de la Colombie-Britannique... Je suis devenu citoyen du Canada et je dois mon allégeance à la Reine et au gouvernement du Canada. Le Parlement du Canada est l'institution chargée de veiller au bien-être des Canadiens et c'est pour cela que je m'adresse d'abord à cette institution.

Vu les circonstances, nous interviendrons également auprès du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique, et si cela s'impose, auprès de ceux de l'Alberta et du Québec. Nous ne considérons pas cela comme un chevauchement de responsabilités; nous constatons simplement que nous vivons dans un régime fédéral où le gouvernement fédéral a clairement l'obligation de voir à ce que tous les Canadiens bénéficient également des droits que leur confère leur citoyenneté.

M. Grubel: Nous aimerions qu'il en soit ainsi. Mais cela n'est pas un droit naturel immuable, n'est-ce pas?

M. Vandezande: Non, mais c'est un droit inhérent.

M. Grubel: [Inaudible - Éditeur] ...bien avant qu'il y ait un Canada prospère où règne un niveau de vie élevé, se sont passés d'un gouvernement central ayant toutes ces responsabilités, qu'il doit maintenant conserver, selon vous.

M. Vandezande: J'aimerais faire encore une petite observation, et je passerai ensuite la parole à mon collègue.

La Constitution du Canada a toujours établi clairement que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont ces responsabilités conjointes, telles qu'elles sont énoncées dans les paragraphes 36(1) et 36(2). Nous disons simplement que les deux paliers de gouvernement doivent veiller à ce que les Canadiens bénéficient de services de santé, de services et de programmes d'assistance sociale et de possibilités d'éducation post-secondaire qui sont adéquats et qui respectent les principes fondamentaux que le pays a toujours soutenus.

M. Grubel: Même si ce n'est pas ce que les habitants de la Colombie-Britannique veulent.

M. Vandezande: C'est ce que veulent les habitants de la Colombie-Britannique. C'est pour cela qu'ils ont élu une majorité de députés libéraux au Parlement canadien.

.1735

Mme Baker-Collins: Si vous le permettez, j'aimerais ajouter quelque chose. Vous avez parlé de la façon dont les choses se passaient auparavant. Il y avait de bonnes raisons de créer le Régime d'assistance publique du Canada. À l'époque, les programmes sociaux constituaient un ensemble compliqué d'éléments disparates et les critères d'admissibilité n'étaient pas partout les mêmes. Le changement ne s'est pas fait aussi facilement qu'on aimerait bien le croire.

M. Grubel: Pour qui était-ce compliqué? Qui a eu des difficultés à cause de cela?

M. Vandezande: C'est bien sûr l'Ontario qui s'est montrée la plus récalcitrante. La province a beaucoup résisté avant de finalement se rallier au Régime d'assistance publique du Canada. Je pense que cela a été à l'avantage de tous les Canadiens, dans le bon sens du mot, que les Ontariens adhèrent au Régime. Personne ne s'est jamais retiré du Régime. Toutes les provinces et tous les territoires ont toujours voulu en faire partie et je ne vois aucune raison pour les gouvernements provinciaux ou territoriaux de vouloir s'en retirer maintenant.

M. Grubel: Bien sûr; ils reçoivent 50c. du gouvernement fédéral pour chaque demi-dollar qu'ils dépensent.

M. Vandezande: Est-ce que vous vous opposez à l'universalité des programmes sociaux?

M. Grubel: Non, je voudrais qu'ils soient administrés par les contribuables eux-mêmes, par des gens qui sont loin des besoins et qui ne se rendent pas compte des autres usages possible de l'argent. Les décisions sont actuellement prises par une élite moralisante à Ottawa, que personne n'a choisie, et qui semble dire au gouvernement de la Colombie-Britannique: «Vous ne savez pas ce qui est bon pour votre province et ses habitants même si vous avez un Parlement élu démocratiquement. Il faut laisser au gouvernement fédéral et à l'élite le soin de décider ce que vous pouvez faire de votre argent.» Je trouve cela totalement antidémocratique.

Mme Baker-Collins: Je pense pour ma part que ce n'est pas comme cela que les choses se passent pour le Régime d'assistance publique du Canada. Il y a une différence entre le fait de dire aux provinces exactement quels programmes doivent être offerts, quand et où, et veiller à ce qu'il existe des normes minimales garantissant à tous les Canadiens l'accès aux services publics. Je pense que le RAPC sert à faire respecter des normes minimales, pas à mettre des entraves aux provinces.

M. Grubel: Je ne suis pas d'accord; c'est exactement ce que nous faisons avec l'assurance-maladie. On ne cesse pas de nous dire que le régime d'assurance-maladie doit être sauvegardé et qu'il faut faire de même avec l'éducation supérieure. Le RAPC incite à la dépense, parce que pour chaque dollar que les Canadiens de la Colombie-Britannique dépensent, Ottawa leur donne un dollar. C'est ainsi que les dépenses augmentent sans cesse.

Mme Baker-Collins: On pourrait très bien faire respecter les normes sans conserver un régime de partage des frais non plafonné. L'un n'empêche pas l'autre.

M. Fewchuk: Je me demande pourquoi, M. Grubel, si vous permettez... C'est pour cela que vous retournez dans votre circonscription toutes les fins de semaine, pour rester en contact avec les gens qui vous ont élu et pour savoir ce que veut la province. Je me demande si vous ne savez pas ce que le gouvernement de la Colombie-Britannique... Ils veulent trouver des principes. Les gens veulent s'occuper de... Vous êtes contre?

M. Grubel: Les gens de ma circonscription m'ont envoyé ici...

M. Fewchuk: Sont-ils contre?

M. Grubel: ...pour qu'on économise afin qu'ils aient de l'argent... Je vous expliquerai cela plus tard.

M. Walker: J'aimerais vous remercier beaucoup de votre témoignage. Je tiens personnellement à le faire parce que les gens s'intéressent beaucoup à ces questions ces temps-ci et que vous avez soulevé un certain nombre de questions auxquelles nous devrions nous arrêter. J'aimerais en particulier revenir sur...

Vous avez mentionné l'un des principes qui ne se trouve pas dans la première version du projet de loi, le critère du besoin prévu dans le Régime d'assistance publique du Canada. L'une des raisons pour lesquelles ce principe n'est pas là, et j'aimerais avoir votre opinion à ce sujet, est que beaucoup de gens estiment que la question du besoin a été définie... C'est un principe qui rejoint les valeurs altruistes que nous avons, mais qui d'une certaine façon est considéré comme un obstacle à l'innovation, par exemple dans le cas des programmes de formation au Nouveau-Brunswick et de leurs liens avec le marché du travail, etc. La question du besoin...

Le président: Ou le programme du Québec. La province n'a pas pu autoriser la mise en place de programmes de transition facilitant l'insertion sur le marché du travail.

M. Walker: Je me demande comment vous voyez la chose. Pensez-vous qu'il fallait modifier la définition du besoin qui existait dans le RAPC, ou pensez-vous qu'elle était satisfaisante? Est-ce que vous vous êtes penchés sur cette question, ou est-ce que cela vous prend de court?

Mme Baker-Collins: Non, cela ne nous prend pas de court. Je pense que ce que nous disons - à vrai dire, cela ne se trouve pas dans le mémoire - c'est qu'il aurait été préférable d'entamer une réforme complète des programmes sociaux, comme il avait été proposé, du moins à court terme

.1740

Il aurait probablement fallu chercher une solution au problème d'aide aux travailleurs à faible revenu ailleurs que dans le RAPC, mais cela nécessiterait une réforme en profondeur des programmes sociaux. Certaines bonnes suggestions sont ressorties des consultations, auxquelles nous avons également participé.

Ce que nous disons, c'est que la formule présentée ici nous préoccupe à tel point que nous croyons qu'il faut maintenir le RAPC, aussi imparfait soit-il.

M. Walker: L'une des difficultés qui est apparue évidente à tous est qu'il n'y avait aucun consensus quant au programme de réforme sociale au moment où M. Axworthy a entrepris ses consultations. Peut-être avons-nous tous été surpris de l'intensité du débat et des nombreux points de vue différents qui ont été exprimés - certains en toute bonne foi, d'autres non, mais cela fait partie des jeux politiques.

Sur de nombreux points, nous avons tellement changé de position que nous nous retrouvons presque à l'opposé. Ainsi, les gens qui exécutent les services ont eu carte blahcne. Je me demande parfois si la réaction d'opposition à la réforme ne vient pas de la crainte de l'inconnu, plutôt que d'un examen sérieux de l'expérience passée. La plupart des provinces ont fait preuve d'un grand sens des responsabilités en appliquant leur politique sociale.

J'ai bien hâte d'entendre votre réponse à ce commentaire.

M. Vandezande: Je crois qu'il est vrai que beaucoup de gens sont très inquiets, pour ne pas dire craintifs, face à l'avenir et que c'est pourquoi ils ont de sérieuses préoccupations au sujet de ce qui les attend. À mon avis, ces inquiétudes justifient d'autant plus que nous fassions preuve d'une grande prudence pour ne pas exclure, par l'entremise du projet de loi C-76, certains engagements historiques du gouvernement fédéral au sujet des personnes dans le besoin ni la disposition selon laquelle la loi devrait favoriser la prévention et l'élimination des causes de pauvreté.

D'ici à l'adoption de nouveaux critères et de nouvelles conditios, les gens seront de plus en plus inquiets. Voilà pourquoi nous avons recommandé, comme cela est prévu dans le projet de loi et comme M. Martin l'a mentionné dans son Discours du budget, que ces consultations aient lieu avant l'adoption en troisième lecture du projet de loi C-76, ou du moins de la dispositions du projet de loi C-76 qui porte sur le transfert, et qu'elles englobent les administrations municipales et régionales qui offrent ces services. Ces consultations sont, à mon avis, très importantes.

La loi actuelle fait déjà problème: les normes varient entre municipalités d'une même province. Ainsi, les gens se déplacent, non seulement de l'Alberta en Ontario, mais même à l'intérieur de l'Ontario, où on leur dit d'aller dans la municipalité voisine, où le service est meilleur.

À mon avis, ces consultations doivent avoir lieu avant l'adoption définitive du projet de loi, de façon que vous ne devanciez pas ce qu'il faut élaborer par voie de consultation: la possibilité de s'entendre sur des normes qui ne visent pas seulement les gouvernements fédéral et provincial, mais qui seront également appliquées au moment de la mise en oeuvre des programmes à l'échelle locale.

Comme vous le savez probablement, les sommes reçues pour les programmes sociaux et les services de soutien sont utilisées de façon très différente dans le Grand Toronto et à St. Catharines, par exemple, d'où vient mon collègue. Nous estimons que pour éviter d'autres conflits, d'autres craintes, d'autres divisions et d'autres polarisations, il est essentiel que nous ne présumions pas de la possibilité de réaliser un accord véritable sur les normes qui devraient s'appliquer à l'échelle de tout le pays.

Il se peut que nous désirions apporter certains changements de fond au RAPC, dans sa forme actuelle. Nous ne sommes pas satisfaits du RAPC non plus. Mais si vous l'amoindrissez davantage, les gens vous dirons: attendez, que se passe-t-il? Et cela irait à l'encontre du Livre rouge, évidemment.

Le président: Et c'est un péché mortel.

M. Vandezande: Ce n'est pas un péché mortel, mais il faut le prendre au sérieux. Vous l'avez dit dans votre rapport précédent du Comité permanent des finances, au moment des consultations prébudgétaires.

Le président: En effet.

[Français]

Monsieur Dubé, est-ce que vous avez fini?

M. Dubé: Vous dites quelque chose d'intéressant et vous allez peut-être trouver curieux que, tout d'un coup, je semble me raccrocher au Parti réformiste sur un aspect, le mot «équité».

.1745

Je n'ai pas de dictionnaire, mais le mot «équité» ne veut-il pas dire justement «égal», «uniforme partout»? Vous donnez l'exemple de Toronto ou de Guelph, ou peut-être d'une autre région de l'Ontario, ou d'ailleurs, mais, si vous permettez, je trouve que vous citez un mauvais exemple. À Toronto, par exemple, tout le monde sait que le coût de la vie est plus élevé, le logement plus cher, et il y a le transport et beaucoup d'autres choses encore. Ce n'est peut-être pas ce que vous avez voulu dire, mais je fais un peu exprès d'exagérer pour que vous précisiez davantage la notion d'équité. Parce que, de la façon dont vous venez de le faire, je suis tenté de donner raison à mon collègue du Parti réformiste qui dit qu'il faut laisser aux gens les plus proches le soin d'évaluer les besoins.

[Traduction]

M. Vandezande: Permettez-moi d'abord une remarque au sujet du mot «équité». »Équité» ne veut pas dire «égalité»; l'équité est ancrée dans la notion de justice et la justice est un concept dynamique. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut tenir compte des conditons de vie des gens. Pour certaines personnes, la vie est différente dans le nord de l'Ontario de ce qu'elle est au centre-ville de Toronto ou dans la région de Niagara, par exemple. C'est dans ce contexte que l'équité prend toute son importance. Et c'est pourquoi les chiffres de Statistique Canada qui traduisent les besoins des gens d'un bout à l'autre du pays varient, à preuve l'indice du coût de la vie.

Prenons un exemple concret: les services sociaux du Grand Toronto offrent des programmes de soins dentaires qui ne sont pas offerts dans d'autres municipalités. Je crois que de bons soins dentaires sont tout aussi essentiels au bien-être des personnes, au sens de la Constitution, qu'on habite à Toronto, à St. Catharines, à Guelph, au Québec ou en Colombie-Britannique.

Il est donc primordial que les Canadiens et les Canadiennes sachent que s'ils vont d'une région à làutre, ou d'une province à l'autre, ils pourront bénéficier des services et des programmes de soutien qui leur permettront, comme le prévoit la Constitution canadienne, de jouir d'un véritable bien-être.

Ainsi, l'équité pour les personnes handicapées est différente de ce qu'elle est pour les personnes qui ne le sont pas, comme moi-même - du moins pas à certains égards, car au fond, nous sommes tous handicapés. Voilà où je veux en venir: dans ma paroisse, un ami dont l'enfant gravement handicapé nécessite des soins nuit et jour - et que les membres du conseil paroissial et d'autres personnes aident - a le droit de recevoir plus d'aide que ma fille et son mari, dont les enfants n'ont pas à rester dans un fauteuil roulant toute la journée. Voilà où le mot «équité» devient très important.

Il est essentiel que l'on s'entende, dans tout le pays, sur le fait que nous devons veiller à ce que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes, qu'ils soient ou non handicapés, jouissent d'un niveau de vie équitable leur permettant de rechercher leur bien-être, comme le prévoit la Constitution. Ainsi, il faudrait tenir compte des écarts dans les taux de pauvreté au pays, du coût de la vie, etc. Pour moi, c'est là que la citoyenneté canadienne devient un concept important, car tous les Canadiens et Canadiennes, peu importe où ils vivent, ont droit à un traitement équitable partout, ce qui est différent d'un traitement égal.

Je sais que certains de mes amis qui vivent en Colombie-Britannique ne voudraient pas être séparés du reste du Canada, parce qu'ils savent que le gouvernement fédéral s'est très bien acquitté de son mandat en veillant à ce qu'ils aient un accès convenable aux programmes sociaux.

[Français]

M. Dubé: En terminant, je pense que je voudrais vous rendre hommage pour avoir parlé des besoins sociaux, car c'est important. Il se trouve qu'actuellement, étant donné le contexte budgétaire des restrictions un peu partout, et pas seulement au Canada, on aura encore besoin - permettez-moi l'expression - d'apôtres pour défendre les gens les plus démunis de notre société. Il y a peut-être une chose que je voulais ajouter : les gens, souvent, ne se rendent pas compte que les pays qui jouissent encore d'un meilleur niveau de vie, et qui sont reconnus comme tels, sont ceux qui offrent de bons programmes sociaux.

Certains diront qu'ils ne sont pas d'accord, mais plus un pays est avant-gardiste à cet égard là, plus c'est un incitatif économique.

.1750

[Traduction]

M. Vandezande: Monsieur le président, si vous me le permettez, je voudrais faire une observation.

Une chose nous inquiète: les affectations budgétaires prévues au titre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux doivent subir une baisse de 50 p. 100 d'ici à 1997-1998. Cela représentera alors un écart, en pourcentage du PIB, de 2,4 p. 100 à 1,2 p. 100. Je cite des chiffres publiés par le ministère des Finances. La réduction est assez considérable, et elle nous inquiète. Il va de soi que nous devons nous attaquer au déficit et à la dette. Toutefois, ce faisant, comme votre propre comité l'a déclaré dans son rapport précédent, nous devons éviter d'engendrer un déficit social et, partant, un déficit environnemental; il faut faire en sorte d'adopter une solution intégrée et équilibrée à ce problème.

Un regard sur les chiffres nous apprend que pour chaque dollar des contribuables, 37c. sont affectés à la dette et uniquement 7c. au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Il faut s'attaquer à la situation. Je crois que nous devons examiner plus attentivement la question; vous connaissez mon sentiment à ce propos. Nous devrions passer au crible les dépenses fiscales qui vont à l'encontre des subventions; cela nous aiderait à obtenir les recettes nécessaires, surtout de la tranche supérieure des revenus. Nous devons procéder ainsi pour que les plus démunis parmi nous, qui sont clairement mentionnés dans la Constitution, la Loi canadienne sur la santé et le Régime d'assistance publique du Canada, ne soient pas laissés pour compte. Il faut au contraire faire l'impossible pour que la solidarité sociale préside aussi à l'établissement du budget.

Je forme le voeu que, dans les consultations à venir, quelque chose soit fait. À mon avis et de l'avis des CPJ, cet article de la loi ne devrait pas êre adopté avant que le Parlement n'ait pu tenir l'engagement qu'il a pris en 1966 à l'égard du RAPC?

Pourquoi ne retenez-vous qu'un critère du RAPC au détriment des autres? Pourquoi conservez-vous les cinq éléments de la Loi canadienne sur la santé? J'ai ici une lettre du premier ministre. Il affirme qu'ils ne sont pas négociables, et je suis d'accord avec lui. Toutefois, à mon avis, nous avons besoin des critères du RAPC, auxquels le gouvernement libéral a toujours souscrit, en particulier pendant la campagne électorale. Donc, nous devons reprendre ces points dans la nouvelle loi et les renforcer, les définir avec plus de clarté et, s'il y a lieu, les assouplir pour que l'on puisse faire davantage qu'auparavant. Nous désirons des normes universelles minimales pour l'ensemble du pays, que la Colombie-Britannique acceptera également, espérons-nous.

Nous recommandons à la Chambre de ne pas adopter les articles 4 et 5 du projet de loi. Ils ne sont pas nécessaires à l'adoption des autres mesures budgétaires. Je ne sais pas si vous pourrez le faire, parce que l'article 13, il me semble prévoit que vous consulterez les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Le président: Eh bien, non seulement...

M. Vandezande: Mais vous le ferez. Ce que je soutiens, c'est que vous pouvez écarter ces consultations si vous adoptez...

Le président: Le ministre Axworthy en a reçu la directive formelle.

M. Vandezande: C'est exact.

Le président: Permettez-moi de vous dire que votre annexe sur les lignes directrices pour la justice sociale - vos six principes - constitue une excellente entrée en matière pour quiconque participe à ce grand débat.

Deuxièmement, un comité des finances pourrait facilement s'empêtrer dans les chiffres, la dette, les déficits ainsi que dans la politique monétaire et financière sans jamais tenir compte de son rôle véritable, c'est-à-dire essayer de créer une société juste. Très souvent, ce ne sont pas les riches ni les puissants qui ont besoin de gouvernement; ce sont les autres. Vous vous êtes adressé à nous avec beaucoup de conviction aujourd'hui et nous avez rappelé, à moi et à nous tous, tous les nécessiteux. Vous nous incitez à nous demander si, par ce budget, nous ne sommes pas en train de les abandonner.

.1755

Je n'ai pas le temps de discuter avec vous de bon nombre de ces questions. En revanche, je présume que votre présence ici et certaines de vos recommandations pourraient avoir des effets sur le budget. Je trouve qu'il est intéressant et très important que nous puissions recevoir fréquemment des gens comme vous; c'est pourquoi je vous ai invité à revenir. Merci d'être revenu.

M. Vandezande: Merci.

Le président: Nous allons faire une pause de deux minutes pendant que nos prochains participants s'approchent.

.1756

PAUSE

.1758

Le président: Nous reprenons nos travaux. Nos derniers témoins de ce soir sont les porte-parole de Réseau CP Rail et de Canadien National.

Bienvenue au comité, je vous invite à vous présenter.

Mme Sandi J. Mielitz (vice-présidente, Grains et Ouest canadien, Canadien national Amérique du Nord): Je suis vice-présidente pour l'ouest du Canada. Je suis chargée de la commercialisation des grains et des questions politiques.

M. Axel H. Conradi (vice-président adjoint, Grains, Réseau CP Rail): Je suis vice-président adjoint de la commercialisation des grains pour le réseau ferroviaire du CP.

Le président: Bienvenue.

.1800

Mme Mielitz: Nous voudrions vous remercier tous sincèrement de nous donner l'occasion d'être ici aujourd'hui.

Nous vous avons remis un mémoire écrit. Si vous le permettez, nous voudrions commencer par quelques remarques qui ne font pas partie de notre mémoire avant de passer aux questions.

Il est rare que le CN et le CP présentent un mémoire. La plupart du temps, nous nous livrons une concurrence assez âpre, et nous sommes souvent en désaccord. Toutefois, dans ce cas-ci, il s'agit d'une transformation radicale du cadre réglementaire du transport du grain dans l'Ouest canadien. Les deux sociétés ferroviaires partagent de profondes inquiétudes en raison de l'incertitude et de l'iniquité qui entourent le cadre proposé, en particulier pendant la période quinquennale de transition. Ce sont ces craintes communes qui nous ont convaincus d'élaborer un mémoire commun.

Axel Conradi et moi-même avons décidé de coordonner nos observations. Je débuterai par un aperçu des marchés des céréales et de leur transport et vous exposerai notre vision de l'avenir. Axel vous fera ensuite un résumé de nos critiques particulières à l'égard du projet de loi C-76.

Je ne crois pas que l'agriculture de l'Ouest n'ait jamais eu la force ni les possibilités multiples dont elle dispose aujourd'hui et disposera pendant au moins les cinq prochaines années. La réforme de la politique agricole commune et l'accord du GATT ont aujourd'hui des effets très bénéfiques sur les marchés mondiaux. Les subventions diminuent, la surproduction se résorbe et les prix se raffermissent.

Les perspectives de la demande céréalière sur le marché mondial sont aussi extrêmement prometteuses. On s'attend que la Chine et l'Inde fassent tous deux augmenter la consommation de céréales, sous forme de pain et de nouilles, au profit de la viande. Les marchés de tous les principaux grains de l'Ouest canadien - le blé, l'orge, le canola, l'avoine et les cultures spécialisées - n'ont jamais été aussi porteurs, et les prix devraient se redresser ou demeurer élevés, prévoit-on.

De plus, l'avenir de la transformation des grains dans l'Ouest canadien n'a jamais été aussi brillant. Les investissements dans la production animale croissent rapidement, tous les grands triturateurs de canola ont agrandi leurs usines, et Cargill vient d'annoncer la construction d'une installation importante. De plus, de petits projets de transformation sont en voie de réalisation dans les Prairies. Et quand à nous du CN, nous collaborons avec au moins 24 groupes différents dans divers programmes allant de la transformation de l'avoine au nettoyage des semences.

Dans nos discussions avec nos clients américains, nous constatons que notre optimisme et notre opinion sur la tendance haussière sont tout à fait partagés. Ils investissent aussi ou prévoient d'investir et seront des concurrents tenaces. La rapidité avec laquelle nous pourrons bien concerter nos efforts au Canada dans les prochaines années déterminera assurément quelles seront nos parts de marché et notre prospérité à long terme. Si nous connaissons du succès, la demande aura une très forte incidence sur notre réseau de transport et de manutention. En fait, les grandes sociétés céréalières de l'Ouest canadien ont énoncé des prévisions communes pour l'avenir selon lesquelles, en 2005, notre capacité de transformation et de manutention devra avoir doublé. Non seulement avons-nous la possibilité d'exporter plus de grains et de produits céréaliers, mais la diversité des catégories de céréales et la quantité des produits vendus sur devis que nous acheminons vers le marché s'accentuent très rapidement.

Pour connaître le succès, le Canada a besoin d'un bon réseau concurrentiel de transport du grain; un réseau dans lequel les propriétaires sont prêts à investir et à risquer des capitaux.

Notre mémoire comporte un tableau où figurent les prix et les frais de manutention assumés par les agriculteurs pour le transport de Lethbridge à Vancouver par rapport à ceux de Shelby, au Montana, jusqu'à Portland. Le tableau montre que les prix canadiens ne constituent pas un problème sur le plan de la concurrence internationale. En revanche, les frais de manutention - les tarifs exigés par les élévateurs primaires et les terminaux céréaliers - sont, au Canada, plus de deux fois supérieurs à ceux pratiqués juste au sud de la frontière.

À l'heure actuelle, l'ensemble de notre réseau d'acheminement n'est pas bien adapté à l'avenir. Non seulement nos frais de manutention sont-ils trop élevés, mais notre réseau est plus tributaire de l'approvisionnement que de la demande. L'attribution du matériel remorqué gérée par l'industrie ne répond pas aux règles du marché. Souvent, le mauvais produit est acheminé dans le réseau au mauvais moment. Nous avons trop de petits élévateurs et trop d'embranchements.

.1805

À mesure que le nombre de types de grains, de catégories et de produits s'accroît, il sera de plus en plus difficile de transporter de petites charges de wagon d'une multitude de points avant de les regrouper afin de satisfaire les besoins de nos expéditeurs.

On s'est inquiété de ce que, si les déplacements des grains par rail sont soumis à la même réglementation que celle qui porte sur le transport de toutes les autres marchandises, les sociétés de chemin de fer ne puissent pas soutenir la concurrence et de ce que les tarifs ferroviaires augmentent considérablement.

En premier lieu, au contraire des autres grandes marchandises de l'Ouest, comme le charbon, le soufre ou la potasse, le grain est tout d'abord transporté par camion. À l'évidence, la plupart des agriculteurs ne sont pas aussi captifs qu'ils le croient. Près de 80 p. 100 des points de livraison du CN et du CP se trouvent à 35 milles d'un autre chemin de fer. En réalité, le taux pour le CP est légèrement supérieur à 80 p. 100 et, dans notre cas, il est légèrement inférieur à cela, puisqu'il se situe à 78,8 p. 100. En fait, le grain est une denrée beaucoup moins captive du chemin de fer que ne l'est le charbon ou le soufre.

En second lieu, les agriculteurs ont dit craindre qu'un si grand nombre de petits acteurs n'affaiblisse leur pouvoir commercial de traiter avec les chemins de fer. Nous voulons préciser que le Saskatchewan Wheat Pool est notre premier ou notre deuxième client en importance et que six entreprises céréalières seulement traitent plus de 85 p. 100 du commerce du grain. Nous pouvons vous assurer que les clients de cette envergure sont déterminants pour notre réussite et notre survie.

En troisième lieu, l'industrie céréalière rappelle souvent les tarifs ferroviaires pratiqués juste au sud de la frontière, dans les États septentrionaux des Prairies, craignant ainsi que les tarifs ferroviaires au pays n'atteignent les mêmes niveaux. Elle oublie deux facteurs essentiels. Tout d'abord, les frais de manutention au Canada sont suffisamment élevés pour que toute hausse des tarifs ferroviaires commence à placer le réseau canadien en situation de concurrence défavorable en regard des tarifs du réseau américain dans la zone juste au sud de la frontière. De plus, le régime de la réglementation américaine diffère énormément de celui établi par la Loi de 1987 sur les transports nationaux. Les expéditeurs par rail aux États-Unis n'ont absolument pas les avantages de l'accès concurrentiel dont bénéficie leur contrepartie canadienne, s'agissant des tarifs et des trajets qu'on peut lui imposer. Depuis l'adoption de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, il existe assez de chiffres qui montrent qu'une forte pression à la baisse s'exerçait sur les tarifs ferroviaires du Canada.

Enfin, les agriculteurs de l'Ouest ne sont plus obligés de se rendre à la tête de ligne la plus près; ils disposent de bien plus de possibilités que cela. Ils peuvent acheminer leurs grains par camions aux parcs d'engraissement ou aux transformateurs au Canada et aux États-Unis, juste au-delà de la frontière. Quant à nous, nous devons conserver nos tarifs concurrentiels pour espérer continuer à transporter les produits. Un grand nombre de ces produits à valeur ajoutée se prête mieux au transport par camion.

Je voudrais conclure mes remarques en résumant la perspective des chemins de fer quant à l'orientation future du réseau de transport du grain dans l'Ouest. Nous croyons que la réglementation qui vise toutes les autres marchandises devrait aussi s'appliquer au transport du grain. Nous appuyons un réseau d'embranchements rationalisé comprenant des dérivations ferroviaires à grande densité. Nous encourageons les producteurs à utiliser de grands terminaux intérieurs à forte cpacité, et partant à moindres frais; ceux-ci seraient alimentés de plus en plus par le camionnage commercial. Nous estimons que des ensembles de wagons multiples devraient transporter le plus de céréales possible à partir de points intérieurs. Les expéditeurs et les sociétés ferroviaires devraient être autorisés à négocier l'attribution du matériel remorqué, par exemple par voie de soumissions, pour une partie du parc du matériel roulant. Les expéditeurs et les transporteurs doivent tous deux élaborer une logistique axée sur le marché et menant à un système de mouvements des wagons au moment adéquat; cela abrégera le temps des cycles des wagons céréaliers et permettra la livraison du grain selon les besoins des clients.

Enfin nous croyons que la meilleure façon de changer le système est de laisser jouer la concurrence et les forces du marché.

Merci.

M. Conradi: Je vais entrer tout de suite dans le vif de nos observations et de notre point de vue sur le projet de loi C-76.

Mais auparavant, permettez-moi de répéter après Mme Mielitz comme nous sommes heureux de pouvoir présenter à votre comité nos opinion sur le projet de loi C-76. J'insiste sur «nos» opinions, car les propos que je vais tenir à l'instant traduisent le point de vue commun du CN et du CP sur le projet de loi.

.1810

Il faut se réjouir de l'intention apparente du projet de loi C-76 de commencer à appliquer au transport du grain les règles qui régissent le transport des autres marchandises. En revanche, nous faisons des réserves sur les modalités prévues dans le projet de loi pour y arriver, et sur ses compétences.

En bref, nous avons trois principales doléances au sujet du projet de loi C-76, à l'intérieur de la réforme globale des transports. En premier lieu, dans la réforme de la réglementation, le projet de loi mêle malheureusement les principes du marché et les contraintes administratives. En deuxième lieu, le projet de loi C-76 perpétue le flou législatif. Par conséquent, tous les intervenants du système pourraient retarder leur décision d'investir pour rendre le réseau de transport du grain plus efficace et plus réactif au marché. En troisième lieu, en soi, le projet de loi C-76 ne répond pas à des questions déterminantes auxquelles il faut trouver réponses avant qu'on ne détermine si l'ensemble de la réforme, dont le projet de loi C-76 fait partie, est réalisable.

Permettez-moi d'aborder chacun de ces points. Je parlerai d'abord du malheureux mixte de principes axés sur le marché et de contraintes administratives.

Le projet de loi C-76 a adapté le barème des tarifs marchandises fondés sur les frais, prévu à la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, de manière à ne pas écarter des questions comme la parité entre le port et l'itinéraire, après quoi il est présumé que le barème établi selon les frais constitue un prix plafond. Autrement dit, les prix marchandises réglementaires, fixés à un niveau inférieur à celui prévu par la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, qui visait à assurer la rentabilité du réseau de transport du grain, sont devenus un barème de tarifs maximums en-deça desquels la concurrence s'exercera.

Pour stimuler davantage la concurrence, les dispositions de la Loi sur les transports nationaux visant la protection des divers expéditeurs, comme les contrats confidentiels et l'arbitrage des offres définitives, s'appliquent aussi aux mouvements d'exportation des grains. Ces conditions s'appliquent depuis un certain temps aux entreprises ferroviaires qui pratiquent le transport intérieur et transfrontalier des grains.

Le projet de loi C-76 bloque aussi le barème des prix marchandises maximaux pour la campagne agricole de 1995-1996 au niveau de ceux de l'année précédente.

Enfin, le projet de loi C-76 élimine les dispositions de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest relatives à la révision des prix. Selon ces dispositions, les frais du transport du grain par le chemin de fer étaient révisés tous les quatre ans. Ainsi, les tarifs de transport du grain étaient réduits en fonction des gains de productivité des chemins de fer, et, en bout de ligne, les agriculteurs bénéficiaient de ces gains.

Dans un milieu axé sur le marché, les sociétés s'adaptent aux pressions de leurs concurrents en relevant ou en abaissant leurs prix selon la conjoncture du marché. Elles ont aussi recours à l'amélioration de leur productivité - des frais moindres - pour amortir les effets de la concurrence. Le projet de loi C-76 interdit aux chemins de fer de hausser leurs prix; il ne les autorise qu'à les ramener à un niveau inférieur à leurs coûts. Cela annihile en grande partie le recours à la différenciation dans les prix marchandises ou les prix des chemins de fer pour réagir aux nouvelles conjonctures du marché ou pour encourager le transport plus massif du grain à partir de points plus rentables.

De plus, le blocage des tarifs de 1995-1996 a déjà comme effet de faire bénéficier les agriculteurs du gros ou peut-être de la totalité des gains de productivité que les chemins de fer peuvent réaliser au cours des prochaines années. Cela s'ajoute aux risques d'un nouveau calcul des prix de revient à la fin de la période de transition.

Un tel amalgame de principes de libre-marché et de règles administratives est tout à fait malheureux. Les autres marchandises transportées par les chemins de fer échappent très certainement à cette situation ainsi que, très certainement, nos concurrents en matière de transport du grain - les entreprises de camionnage, les transporteurs maritimes et les chemins de fer des États-Unis. Nous craignons que, pour les cinq prochaines années, nous soyons soumis à un cadre réglementaire des grains qui n'assure ni la capacité d'adaptation d'un système axé sur le marché ni la stabilité du régime antérieur, fondé sur les règles administratives prévues par la LTGO.

.1815

Je vais maintenant parler de nos craintes au sujet du flou législatif.

Le projet de loi C-76 prévoit que les dispositions de la Loi sur les transports nationaux s'appliqueront aux grains après le 31 juillet 2000, sous réserve d'un examen de la loi au cours de l'année civile de 1999. Celui-ci visera à déterminer dans quelle mesure la réglementation des tarifs et les dispositions de la Loi sur les transports nationaux ont amélioré l'efficacité du système de transport et de manutention du grain. Un examen semblable mené par l'industrie devrait se tenir au cours de la campagne agricole de 1998-1999.

En d'autres termes, nous ne saurons pas ce que sera le cadre législatif pendant cinq autres années. C'est une longue période, compte tenu en particulier de la date limite de 2005 fixée pour la réalisation du projet avancé par l'industrie canadienne des grains et des oléagineux, à laquelle nous souscrivons. Cette vision, élaborée sous les auspices du ministre Goodale, prévoit:

Quant à l'incertitude, il est impossible de ne pas se demander si les examens précités n'entraîneront pas l'établissement de nouveaux prix de revient et de nouveaux prix de référence par le barème des prix marchandises maximaux relativement au transport du grain.

Devant une telle incertitude, pouvons-nous justifier des investissements pour améliorer notre productivité? Devrions-nous continuer à consacrer des fonds aux sociétés céréalières pour la construction de voies d'évitement aux élévateurs à grains nouveaux ou agrandis?

Devrions-nous, oui ou non, abaisser certains prix marchandises afin de favoriser une plus grande efficacité? Ou les prix marchandises commerciaux seront-ils réduits deux fois, la première, en réaction aux marchés et en raison des dispositions de la Loi sur les transports nationaux assurant la protection des expéditeurs et, la seconde, à la suite d'un nouveau calcul des prix de revient?

Une chose est sûre: le risque commercial normal que prend l'industrie ferroviaire du transport du grain vient d'être amplifié par le risque accru inhérent à la réglementation et par l'inégalité des règles qui s'appliquent d'une part aux chemins de fer canadiens et d'autre part à leurs concurrents.

J'en arrive à nos appréhensions devant les aspects que le projet de loi C-76 passe sous silence.

Dans un contexte de marché libre, outre qu'elles modulent leurs prix à la hausse et à la baisse, les sociétés soutiennent la concurrence en développant leurs actifs plus efficacement. Le projet de loi C-76 laisse les questions cruciales de la gestion des actifs aux mesures à venir du gouvernement, à propos desquelles les chemins de fer sont consultés.

L'avenir des wagons-trémies de l'État, qui constituent la base du parc de transport du grain pour le chemin de fer, doit être décidé avant la fin de la présente année. Il en va de même de la non moins épineuse question de l'attribution du matériel remorqué - l'emploi des wagons.

À l'heure actuelle, l'attribution du matériel remorqué est du ressort de l'Office de transport du grain et de la Commission canadienne du blé, dont le rôle en matière de transport est à l'étude. Selon nous, pour que le système du transport du grain soit plus efficace, il est temps de passer à l'attribution du matériel remorqué, en fonction du marché, par expédition directe.

Enfin, le régime de la rationalisation des lignes ferroviaires ne sera pas connu avant que les modifications n'aient été apportées à la Loi sur les transports nationaux, ce qui est également prévu plus tard cette année. En tant que sociétés ferroviaires, il nous est impossible de savoir quelle marge nous aurons pour fournir un service fiable et rentable aux clients, dans le contexte concurrentiel accru par le projet de loi C-76, avant que ne soient réglées ces questions épineuses. En d'autres termes, disposerons-nous des outils pour servir les agriculteurs ou serons-nous pris dans l'étau d'une réglementation restrictive?

En conclusion, vous le voyez bien, nous croyons que le projet de loi C-76 est une mesure législative inachevée. À notre avis, elle ne contribuera pas à ce que la perspective de l'industrie céréalière élaborée sous les auspices du ministre Goodale se matérialise. Une fois la loi adoptée, les acteurs du système mettront du temps à s'adapter plus rapidement au marché, à accroître leur efficacité et à procéder aux investissements nécessaires.

.1820

Nous ne nous faisons pas d'illusions; à ce stade-ci, aucune modification fondamentale ne sera apportée au projet de loi. Nous espérons seulement qu'il y aura quelques amendements. Certes, nous aimerions que la période soit abrégée, disons qu'elle soit de trois ans ou moins.

Nous aimerions proposer l'adjonction d'un article au projet de loi C-76 qui permettrait à l'Office national des transports du Canada, à la suite d'une demande d'une société ferroviaire, de corriger le prix plafond réglementaire du transport du grain pour tenir compte de l'acquisition de wagons par celle-ci. L'idée sourit à l'industrie céréalière, et nous serions heureux de vous remettre un projet de libellé de l'article.

Permettez-nous de vous redire comme nous sommes heureux de pouvoir nous présenter devant vous et que nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions.

Le président: Une période de transition de trois ans et une échelle mobile de prix pour l'acquisition de wagons vous rendraient parfaitement heureux.

M. Conradi: Je ne dirais pas que nous serions parfaitement heureux.

Le président: S'il s'agit d'une mesure législative très malheureuse, ces deux petites modifications suffiraient à faire votre bonheur.

M. Conradi: Elles contribueraient beaucoup à arranger les choses. Toutefois, à notre avis, la plus grande faille du projet de loi est le malheureux amalgame d'un prix plafond fondé sur nos frais et de l'entrée en vigueur de toutes sortes de mesures de concurrence prévues par le projet de loi.

Le président: Uniquement pour les cinq premières années?

M. Conradi: Pour les cinq premières années.

Le président: Oui.

M. Conradi: Mais nous ne savons pas ce que sera le régime après ces cinq années, compte tenu des examens prévus.

Le président: Compte tenu de l'humeur politique changeante aussi.

M. Conradi: Exactement.

Mme Mielitz: Je suis sûre que vous comprenez l'objet des deux amendements que nous proposons. Nous essayons de faire preuve de réalisme au sujet de ce qu'il est possible de faire à ce stade-ci.

Le président: merci.

[Français]

M. Dubé: Comme vous l'avez souligné d'entrée de jeu, c'est intéressant de voir deux compagnies ferroviaires présenter un mémoire conjoint. Je dirais que c'est à la fois rassurant et d'un autre point de vue, je suis du Québec et non de l'Ouest, c'est peut-être également inquiétant d'une certaine façon puisque, à moins que je ne me trompe, vous avez l'air de favoriser les règles du marché à une partie réglementaire. Ce que vous dites, en réalité, c'est qu'il y a un mélange inapproprié des deux systèmes. Alors, lorsqu'on est en faveur de la concurrence, comment deux compagnies concurrentes font-elles pour s'entendre sur un tel point?

[Traduction]

M. Conradi: Vous avez sans doute noté que nous n'avons absolument pas dit être opposés à la concurrence. Vous avez bien raison d'affirmer que l'orientation de nos remarques favorise un système de marché libre. Nous pouvons certainement mener nos opérations sous les deux régimes. Nous avons assez bien accompli notre travail, croyons-nous, pour nos céréaliers clients aux termes de la LTGO depuis son entrée en vigueur en 1984. En revanche, nous estimons que la conjoncture et les marchés ont tellement changé que nous pourrions sans doute faire mieux encore et contribuer à conserver l'avantage concurrentiel du Canada sur les marchés du grain si le contexte était moins réglementé et plus axé sur la concurrence et les forces du marché.

Mme Mielitz: Permettez-moi d'ajouter quelques remarques à ce sujet. Si l'on jette un regard rétrospectif de 10 ou 15 ans, lorsque les cultures dominantes dans les Prairies étaient le blé et l'orge et que nos marchés étaient tous outre-mer et non aux États-Unis, il existait une grande voie d'exportation de céréales de types communs. Je crois qu'un système centralisé de gestion relevait du bon sens.

Maintenant, il existe une diversité de céréales de plus en plus grande autres que le blé et l'orge. Certains de nos principaux clients dans le monde, qui étaient auparavant des États acheteurs uniques, sont maintenant des entreprises particulières dans chacun des pays acheteurs. La complexité du marché, ce que nous produisons et essayons de livrer, tout cela a complètement changé. Il est temps de permettre aux transporteurs de traiter directement avec les expéditeurs de manière utile au lieu de confier la tâche a un système centralisé.

.1825

[Français]

M. Dubé: Vous avez dit, madame, à moins que je ne vous aie mal comprise, que les céréales étaient moins captives du système ferroviaire que les autres marchandises. Est-ce bien ce que vous avez dit?

Si c'est exact, j'aimerais que vous élaboriez puisque j'étais plutôt enclin à croire le contraire.

[Traduction]

Mme Mielitz: Je vais continuer à parler anglais, si vous n'avez pas d'objection, M. Dubé.

Je crois que votre point de vue est davantage celui d'un citoyen de l'est du Canada, où le chemin de fer est très concurrencé par le camion. Sur le chapitre de l'acheminement des grandes ressources dans l'Ouest canadien, les mines de charbon dans le nord et le sud de la Colombie-Britannique sont entièrement desservies par l'une des deux compagnies de chemin de fer. Les immenses champs de gaz naturel de l'Alberta, où le soufre constitue un sous-produit, sont aussi desservis par un seul chemin de fer, et la distance entre les chemins de fer est considérable. De plus, il n'y a pas de déplacements par camion entre la mine et la tête de ligne. Le minerai extrait de la mine est chargé directement dans des wagons. Il n'existe donc pas de possibilité de faire appel au camionnage entre les deux, ce qui permettrait de choisir la route ou le chemin de fer. Dans l'Ouest, les marchés sont beaucoup plus captifs que dans l'Est.

Nous avons le sentiment, je crois, que les céréales ont toujours fait l'objet d'une réglementation. Les prix du transport du grain sont réglementés depuis 1897. Les expéditeurs ne savent pas bien encore comment fonctioner et quel pouvoir réel ils auraient dan un marché normalement concurrentiel.

[Français]

M. Dubé: Est-ce que vous avez évalué, en argent, la différence entre l'application du projet de loi C-76 et la situation actuelle pour chacune de vos compagnies?

[Traduction]

M. Conradi: Il est facile d'établir l'écart entre les revenus découlant du blocage des prix et les tarifs qui auraient prévalu en 1995-1996 sans le blocage. En effet, l'Office national des transports a fait ces calculs parce qu'il a indiqué ce qu'aurait été le barème des tarifs pour la campagne agricole de 1995-1996 sans ces changements et ce qu'il sera avec les changements. L'écart est d'environ 1,89$ la tonne en moyenne. Si l'on multiplie ce chiffre par, en gros, 32 millions de tonnes - ce qui représente assez bien le transport moyen des produits culturaux visé par la Loi sur le transport du grain de l'Ouest - , l'incidence est d'environ 60 millions de dollars.

[Français]

M. Dubé: Pour le CP?

[Traduction]

M. Conradi: Pour les deux chemins de fer, 60 millions de dollars.

[Français]

M. Dubé: Merci.

[Traduction]

M. Grubel: Je tiens à vous dire que mes antécédents m'inciteraient à approuver toutes vos demandes sans grandes réserves, si j'étais ministre demain. Mais j'en ajouterais une autre. J'autoriserais Burlington Northern à utiliser vos rails également, ainsi que Santa Fe - si, évidemment, ces sociétés vous autoriseraient à utiliser les leurs. Ce serait mon premier but.

Quoi qu'il en soit, je n'ai qu'une question rapide. Je suis sidéré par le fait que vos tarifs sont beaucoup plus bas que ceux de Burlington Northern. Je sais que, dans le milieu du rail américain, le règne des syndicats a presque pris fin depuis la déréglementation - la position dominante dont jouissaient les syndicats à une époque a certainement disparu - tandis que nous savons que les syndicats sont extrêmement puissants et sont une source constante de soucis sur le chapitre des frais au Canada. Comment expliquez-vous ce grand écart dans les prix du transport?

Mme Mielitz: Je répondrais en disant, d'abord, que même si le mouvement syndical en général est plus faible aux États-Unis qu'au Canada, les syndicats exercent encore une grande influence dans l'industrie ferroviaire américaine. Quoique la productivité des entreprises syndiquées soit moins bonne au Canada qu'aux États-Unis, la situation est très sérieuse également dans les entreprises américaines. Voilà quel devrait être le point de départ.

.1830

Je crois qu'il existe certains facteurs. Le système est tout autre. Par exemple, la Commission canadienne du blé exerce un monopole sur la commercialisation du blé et de l'orge; les sociétés céréralières ne font donc pas d'argent en achetant et en vendant du blé et de l'orge, les deux denrées les plus importantes. Plutôt, elles sont autorisées - à bon droit, il faut dire - à exiger des tarifs de manutention des produits dans le pays et au port. Aux États-Unis, les sociétés céréalières tiennent compte du prix global, y compris de la somme qu'elles obtiendront sur le marché par le biais du mélange. Le tarif de la manutention ne constitue qu'une partie du prix considéré. Ainsi, le système canadien peut engendrer des frais de manutention plus élevés que ceux des États-Unis.

Ce que Burlington Northern fera, il me semble, comme toute autre entreprise ferroviaire concurrente ou tout le système ferroviaire, consistera à comparer le prix global au Canada au prix global aux États-Unis pour faire en sorte d'être concurrentiel.

Désirez-vous ajouter quelque chose?

M. Conradi: L'écart s'explique en partie ainsi: les prix marchandises aux États-Unis changent d'une région à l'autre, selon le degré de concurrence qui règne dans la région. Dans la région limitrophe des États septentrionaux, la concurrence faite à Burlington Northern est moindre que celle qui s'exerce au nord de la frontière où, comme Sandi Mielitz l'a expliqué, la grande majorité des céréales produites dans l'Ouest canadien.

M. Grubel: J'aimerais beaucoup discuter plus longuement avec vous de la question, mais je me contenterai d'une question rapide.

Nous savons que les subventions aux prix du transport ont donné lieu à de grandes inefficacités. Comme vous l'avez mentionné, il existe actuellement toutes sortes d'entreprises qui profitent du fait qu'il n'est pas plus rentable d'expédier le sable sur la côte ouest afin d'en faire le classement plutôt que de... et des produits à valeur ajoutée, des prix marchandises plus bas, et ainsi de suite. Quel effet aura la diminution de toutes ces expéditions inefficaces antérieures sur la demande de vos services de transport?

M. Conradi: Vous faites allusion à ce qu'on appelle généralement «les impuretés» dans les céréales, les scories nettoyées d'habitude au port d'exportation, avant que ces céréales ne soient acheminées à nos clients à l'étranger. Je ne crois pas que cela représente plus de 1 p. 100, en règle générale, de toutes les céréales que nous acheminons au port. Donc, cela aura une bien faible incidence sur la quantité de céréales à transporter par chemin de fer.

En revanche, uniquement parce que les agriculteurs devront désormais assumer tout le prix marchandise, leur tarif d'expédition en gros doublera. Ainsi, certains agriculteurs chercheront à diversifier la mise en valeur de leurs terres. Le plus évident serait d'affecter une partie de leurs terres à la culture fourragère et à la production animale.

Nous prévoyons que, dans les premières années suivant cette modification de la méthode de paiement, le volume des céréales à transporter par chemin de fer diminuera. Les estimations à cet égard varient beaucoup. Divers groupes ont étudié la question. Le phénomène pourrait aller de un million à quatre millions de tonnes par année. La réalité se situera sans doute quelque part au milieu.

Je crois qu'il faudra quelques années avant que ces effets ne se fassent sentir dans le système; par contre, le genre d'optimisme que Sandi a mentionné tantôt - la position concurrentielle en tant que producteur de céréales dans un régime de libre-échange international - devrait alors se matérialiser, et le Canada et les États-Unis deviendront ainsi les principaux bénéficiaires d'un marché mondial des céréales libéralisé.

Ainsi, à votre avis, dans les années qui suivront immédiatement l'adoption de cette loi, il y aura une certaine baisse du volume des céréales à transporter; par contre, nous estimons qu'elle ne surviendra qu'une seule fois et qu'elle s'atténuera avec le temps à mesure que le Canada gagnera des parts du marché mondial.

M. Grubel: À ce propos - c'est ma dernière question - ,quelle importance accordez-vous au fait qu'il était insensé d'expédier des céréales en Colombie-Britannique pour y élever du bétail plutôt que d'y expédier le boeuf, ce qui coûte moins cher? Cela aura-t-il un effet important sur la demande de vos services?

.1835

Mme Mielitz: Chaque membre de l'industrie essaie de prévoir où il est le plus avantageux économiquement de procéder à la transformation compte tenu des divers coûts. Pour l'instant, parce qu'il est le plus éloigné des ports, où qu'ils se trouvent, le Manitoba aura en définitive les prix marchandises les plus élevés et, de ce fait, la valeur céréalière la plus faible. L'industrie porcine au Manitoba connaît une croissance phénoménale. C'est formidable. La production de la viande aura tendance à se concentrer en Albera et au Manitoba. On pourrait constater une certaine croissance dans la partie inférieure du continent, région qui constitue pour nous actuellement un marché assez important. D'abord, les Prairies pourront ainsi bénéficier en quelque sorte de l'emploi et d'une certaine mise en train.

M. Grubel: Dans quelle mesure cela va-t-il réduire la demande des services ferroviaires?

M. Conradi: Pour répondre rapidement à votre question, je dirais qu'il faudrait prendre de un million à quatre millions de tonnes et diviser ce chiffre par trente millions de tonnes exportées pour avoir une idée de l'effet possible.

M. Grubel: Je suis très encouragé. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Enfin, quelqu'un du Manitoba a-t-il une question? Monsieur Walker?

M. Walker: Merci beaucoup, monsieur le président.

Pour situer ce débat dans son contexte, pour le mettre en évidence, puisque le Comité des finances ne traite pas normalement des questions de céréales et de transport, il faudrait saisir toute la complexité du domaine. Chacun des intervenants a son opinion, s'est bien préparé et est désobligeant envers tous les autres.

Vous serez heureux d'apprendre que le Syndicat national des cultivateurs (SNC) est d'accord avec vous aujourd'hui. C'est la première fois que je vois deux sociétés ferroviaires faire front commun et recevoir l'appui du SNC - il est évident que la loi n'est pas bonne.

Pour mettre les choses en perspective, je crois qu'il y a eu progrès. La question a été litigieuse dans l'Ouest canadien. Depuis les années soixante-dix, les gouvernements ont essayé de faire une réforme. Les compagnies ferroviaires connaîtront encore quelques années d'incertitude, mais les utilisateurs des services ferroviaires en éprouveront aussi beaucoup en essayant de découvrir où se trouvent les nouveaux marchés. Je sais qu'aucune des deux sociétés ne se réjouit de subir deux examens la quatrième et la cinquième année; cependant, soyons réalistes, l'adaptation nécessitera quelques années.

Selon le point de vue du ministre de l'Agriculture, je ne crois pas qu'il soit insensé de prendre quelques années pour voir comment la situation évolue. Je sais que vous aimeriez en avoir fini en trois ans; cependant, les changements les changements sont radicaux. Ceux qui viennent nous rencontrer individuellement au comité, non officiellement, mais au comité de la Chambre des communes, se livrent tous à leurs propres conjectures sur l'aboutissement du dossier.

À en juger par l'excitation de M. Grubel, on voit bien que les changements dans les Prairies sont fondamentaux. Nous devrions conquérir de nombreux nouveaux marchés. Il est difficile de déterminer quels en seront les effets sur chaque ville, sur chaque embranchement et sur chaque société. Selon le gouvernement, les deux sociétés ferroviaires seront en bien meilleure situation, une fois adopté le régime intégral de la LTN, à la fin des cinq années, que sous le régime actuel. Malgré l'incertitude de courte durée, à terme, la plus grande souplesse se traduira par une compétitivité accrue pour tous.

Les sociétés bénéficieront toutes d'une plus grande latitude grâce au Programme abandon des embranchements. Il faut bien préciser cela. Nous espérons que le système comportera des stimulants. Même si le plafond est décourageant au départ, vous reconnaîtrez que, d'un point de vue politique, étant donné les rapports traditionnels de collectivités agricoles avec les deux sociétés de chemin de fer, si elles n'obtenaient pas une certaine assurance de recevoir un traitement équitable au cours de la transition, la situation serait très difficile sur le plan politique.

Voilà le genre de compromis que le gouvernement a proposé. Nous sommes heureux de constater que les gains que représente cette première étape sont maintenus et que les changements se produiront à la fin du printemps.

Vos deux recommandations seront prises en considération. J'en ai discuté avant la réunion. Nous n'allons pas présenter nos amendements, je ne le crois pas, avant la mi-mai. Nous allons étudier ces deux propositions. Quoiqu'il s'agisse d'un projet de loi financier, M. Goodale aura beaucoup à dire à ce propos. Il en fait valoir les aspects politiques dans tous les sens du terme.

Ce n'était pas vraiment une question, mais plutôt une observation.

Le président: Vous êtes un très bon témoin, M. Walker.

M. Walker: Je vous ai dit tout ce que je savais.

Le président: Vous répondez exactement à la question que j'allais vous poser.

.1840

M. Walker: C'est exact. Je viens de vous dire tout ce que je savais au sujet de l'industrie; ne me posez pas une question de plus.

Le président: Entendu!

Mme Mielitz: Je répondrai à cela en disant que ce qui nous inquiète dans le maintien du plafond actuel, c'est l'incitation à ne rien faire - vous devez maintenir les tarifs, car ils sont à la baisse. Donc, je crains sincèrement que, à la fin, à mesure que les examens seront entrepris, l'on répète que les chemins de fer ne sont pas comportés comme ils l'auraient dû, qu'ils détiennent déjà tous les pouvoirs d'expéditeur, en vertu de la LTN, et que la dernière chose à faire est de leur donner toute latitude.

Nous ne préparons pas comme il faut ce débat qui aura lieu à la fin du délai de quatre ou cinq ans. Nous craignons fort, je crois, la situation qui pourrait en résulter: nous ne reviendrons pas à l'ancien régime, mais nous ne sommes pas encore dans le nouveau et entre les deux, nous aurions ce que nous appelons au CN, la brunante.

M. Conradi: Nous redoutons beaucoup une chose: venu le temps des examens, notre comportement pourrait être jugé selon des règles qui nous incitent à nous effacer et non pas à prendre une part active à l'incitation au changement. «Eh bien!» que pouvait-on attendre de ces chemins de fer?» dira-t-on. Lorsqu'on en arrive à ce genre de conclusion, à quoi peuvent bien servir des examens menant à la conclusion que oui! Le temps est venu de soumettre le transport du grain au régime de la Loi sur les transports nationaux?

En somme, la nature même du régime de transition pourrait, à terme, fausser le processus ou les conclusions de l'examen et, partant, l'aboutissement ultime du régime.

Le président: Au nom de tous, je vous remercie. Vous appartenez à une industrie d'importance critique pour l'avenir de notre pays. Vous jouez un rôle essentiel dans le vent de changement qui souffle sur l'esprit de beaucoup de gens et qui y a fait naître de grandes craintes. En revanche, ce vent a aussi suscité un formidable optimiste chez beaucoup de gens également. Nous allons travailler ensemble.

Merci beaucoup. Votre exposé était excellent.

Nous allons maintenant lever la séance.

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