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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 mai 1995

.0909

[Traduction]

La présidente: Bonjour et bienvenue à tous. Nous allons commencer. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous examinons les revendications du statut de réfugié fondées sur le sexe.

Aujourd'hui, nous avons l'honneur de recevoir des membres de l'Association du Barreau canadien. Nous accueillons Mme Joan Bercovitch, directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales; M. David Matas, secrétaire-trésorier, Section du droit de l'immigration.

Bienvenue. Nous commencerons dès que vous serez prêts.

Mme Joan Bercovitch (directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien): Je dois vous dire que nous attendons également Mme Catherine Sas, qui vient de Vancouver. Nous commencerons par l'exposé de M. Matas, et j'espère qu'elle pourra se joindre à nous entre-temps.

La présidente: Bien sûr.

[Français]

Mme Bercovitch: Comme vous le savez, l'Association du Barreau canadien est une association d'environ 35 000 avocats de partout au Canada.

[Traduction]

L'association représente 36 000 avocats, notaires, juges - membres de la profession juridique. L'amélioration des lois et de l'administration de la justice est au coeur du mandat de l'Association du Barreau. C'est dans cette perspective que nous vous faisons ces exposés ce matin.

.0910

Notre exposé sera présenté par Mme Catherine Sas et M. David Matas, qui travaillent tous les deux dans le domaine du droit de l'immigration. Catherine Sas exerce le droit en cabinet privé à Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle est co-vice-présidente de la Section du droit de l'immigration de l'ABC. Elle vous parlera de l'application des directives relatives aux revendications relatives au statut de réfugié fondées sur le sexe.

David Matas exerce le droit en cabinet privé à Winnipeg. Il est membre de l'exécutif de la Section du droit de l'immigration. Il vous parlera des réfugiés et de la règle de droit. Il est également l'auteur de ce livre, intitulé Closing the Doors: The Failure of Refugee Protection.

Je leur demanderais maintenant de faire leur exposé.

La présidente: Merci.

Bienvenue, madame Sas.

Mme Catherine Ann Sas (vice-présidente, Section du droit de l'immigration (nationale), Association du Barreau canadien): Bonjour.

J'ai préparé la première partie de l'exposé, que vous trouverez dans le document que nous vous avons remis. Je vais vous parler de l'application des directives concernant les revendications fondées sur le sexe, surtout au Canada. Je laisserai à M. Matas, qui a plus d'expérience dans ce domaine, le soin de vous présenter la perspective d'ensemble.

Afin de préparer ma contribution de ce matin, j'ai examiné la façon dont la commission traite les revendications. Vous trouverez sous le titre Case Summaries, dans le document d'information, les renseignements que j'ai reçus du service juridique de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Ces documents semblent indiquer que la commission examine ces revendications de façon assez équitable. D'après mon expérience et celle de mes collègues, ce n'est pas le cas. Pour vous le prouver, j'ai essayé de vous fournir des études de cas qui dénotent, à mon avis, un manque de sensibilité aux questions fondées sur le sexe dans l'application de la définition d'un réfugié.

Les directives présentées par la présidente, Mme Mawani, sont conformes à la jurisprudence établie par la Cour fédérale. Je vous ai également fourni un résumé de ces affaires.

Je vous signale en passant que j'ai omis une affaire importante, dans laquelle la Cour suprême du Canada reconnaît également la persécution en raison du sexe et le fait que les femmes menacées de persécution peuvent représenter un groupe social particulier. Il s'agit de la décision Ward, rendue par la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal.

Hier soir, j'ai suivi avec le plus grand intérêt les célébrations qui ont eu lieu dans tout le Canada pour commémorer la victoire en Europe et pour reconnaître que les Canadiens sont un peuple pacifique qui s'efforce de promouvoir la paix. Il est donc intéressant d'exercer le droit dans ce domaine et de voir de quelle manière nos principes sont perçus ou appliqués dans le processus de détermination du statut de réfugié.

D'après mon expérience, il y a pas mal de différence entre les principes qui sont chers au coeur des Canadiens et notre façon de traiter les réfugiés. Le Canada étant un pays pacifique qui ne ménage pas sa peine pour promouvoir la paix, il est un peu ironique que nous envoyions des forces de maintien de la paix en Somalie et en Yougoslavie, mais que nous ne reconnaissions pas nécessairement que les personnes qui viennent de ces pays sont des réfugiés. Il faut prendre en considération ces questions dans le cadre de l'examen des revendications fondées sur le sexe.

Lorsque nous examinons ces revendications, l'une des difficultés consiste à déterminer si nous élargissons trop la définition et si nous allons permettre à un trop grand nombre de demandeurs d'obtenir le statut de réfugié. Pour évaluer ce genre d'argument, je crois que nous devons examiner les fondements du processus de détermination du statut de réfugié et déterminer ce que les Canadiens veulent faire. Voulons-nous agir de façon humanitaire et compatissante et respecter ce genre de tradition en acceptant d'accueillir des réfugiés dans notre pays ou allons-nous refuser d'agir ainsi?

.0915

Quelle que soit la décision que nous prendrons, nous devrons être honnêtes et clairs au sujet de nos intentions afin de ne pas encourager des gens à venir au Canada avec l'espoir d'être acceptés, surtout ceux qui viennent de pays comme la Somalie, la Yougoslavie, le Rwanda ou le Salvador, des endroits qui sont clairement reconnus...

La présidente: Je vous interromps. Je vous demanderais de vous en tenir au sujet de notre discussion, soit les revendications du statut de réfugié fondées sur le sexe.

Mme Sas: Ce que j'essaie de dire, c'est que si nous acceptons les revendications fondées sur le sexe, nous devons les accepter pour les raisons pour lesquelles nous acceptons toute autre revendication. La question est de savoir si ces gens ont ou non besoin de notre protection. Nous devons être honnêtes, clairs et directs quant à notre objectif.

La présidente: Voulez-vous continuer, monsieur Matas?

M. David Matas (secrétaire-trésorier, Section du droit de l'immigration (National), Association du Barreau canadien): Oui. Je vais vous parler très brièvement des réfugiés et de la règle de droit dans le contexte des directives relatives aux revendications fondées sur le sexe.

Le problème que pose l'application de ces directives, ainsi que nous les voyons, c'est qu'elles souffrent du problème plus vaste d'absence d'uniformité dans le processus de décision au sein de la commission, de l'absence de cohérence entre la commission et les bureaux de visas à l'étranger, de même qu'entre le Canada et les autres pays.

La question de savoir qui est un réfugié et dans quel cas les directives relatives au sexe doivent s'appliquer amène des réponses très différentes. D'une année à l'autre, les taux d'acceptation de la commission peuvent varier entre 55 et 76 p. 100. Il y a des différences régionales assez spectaculaires. Les taux d'acceptation des membres de la commission sont très différents. Il y a des différences saisissantes entre ce que font les bureaux des visas à l'étranger et ce que fait la commission.

Aux États-Unis, il y a également des écarts qui peuvent varier entre 55 et 15 p. 100. En Europe, les écarts se situent enre 1,8 et 41 p. 100, et en Europe la définition d'un réfugié est divisée en plusieurs éléments; les pays européens ont différents types de statut de quasi-réfugié. Ensuite, si 5 p. 100 seulement des demandeurs sont reconnus comme étant de véritables réfugiés, 89 p. 100 d'entre eux sont placés dans diverses cartégories de réfugiés.

Certains de ces écarts peuvent s'expliquer par des différences dans les populations, mais c'est rarement le cas. La plupart de ces différences dépendent de la personne qui prend la décision. Les personnes compatissantes et les sceptiques ont des taux d'acceptation très différents.

À cause de ces différences dans les méthodes, il n'y a pas de règle de droit. Nous avons plutôt la règle d'hommes et de femmes, la règle de ceux qui décident chaque cas de réfugié. Le système d'administration de la justice a échoué dans ce domaine, et il faudra des changements institutionnels pour corriger la situation.

Les directives elles-mêmes sont un élément de réponse, et nous vous félicitons de les examiner. La formation est un autre élément de réponse. La nomination de professionnels, ce que le gouvernement a entrepris de faire en créant un comité consultatif, est un élément de réponse. Les efforts visant à assurer l'uniformité entre les décisions des bureaux de visas à l'étranger et les bureaux au Canada constituent un autre élément de réponse, et, encore une fois, le gouvernement a pris des mesures dans ce sens.

Mais, en plus de ces solutions partielles, nous aimerions vous suggérer quatre modifications institutionnelles précises qui, d'après nous, aideraient à assurer l'uniformité.

Premièrement, la détermination du statut de réfugié dans les bureaux de visas à l'étranger doit être faite par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Nous vous signalons que ce sont déjà des experts, et non pas des agents des visas, qui prennent les décisions médicales dans les bureaux de visas à l'étranger et que ce sont les experts du Service canadien du renseignement de sécurité qui émettent les autorisations de sécurité. Nous pensons qu'il serait raisonnable que le statut de réfugié soit déterminé par des spécialistes indépendants.

Deuxièmement, dans le processus d'appel des décisions de la Section du statut de réfugié de la commission, il devrait être possible de demander une audience orale. À l'heure actuelle, il n'y a qu'un examen judiciaire, qui est un mécanisme trop général pour assurer l'uniformité des décisions dont nous avons besoin.

Troisièmement, nous penson qu'il faudrait un mécanisme d'évaluation de l'application internationale de la Convention relative au statut des réfugiés. Aussi bizarre que cela peut sembler, il n'y a aucun moyen de déterminer si la définition d'un réfugié est bien ou mal appliquée à l'échelle internationale. Nous avons un certain nombre de recommandations détaillées pour corriger cette situation. Il est évident que le Canada ne peut pas à lui seul infléchir la position des Nations Unies, mais le Canada peut faire preuve de leadership et faire des propositions. Nous en avons certaines à vous suggérer.

Enfin, nous croyons que le projet de protocole d'entente entre les États-Unis et le Canada quant à la répartition et la détermination des revendications du statut de réfugié devrait comprendre des normes minimales d'équité relative à la procédure. Il faudrait y inclure des directives relatives au sexe et prévoir également la possibilité d'un tribunal d'appel mixte, toujours par souci d'uniformité.

.0920

Nous croyons que ces changements produiraient un cadre institutionnel qui permettrait l'application uniforme des directives relatives au sexe dans le processus de détermination du statut de réfugié.

Merci.

La présidente: Merci, monsieur Matas. Merci, madame Sas.

Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Bercovitch?

Mme Bercovitch: Non, merci.

La présidente: Merci beaucoup pour cet exposé. Nous allons commencer.

[Français]

avec M. Nunez.

M. Nunez (Bourassa): Merci, monsieur Matas, madame Sas et madame Bercovitch.

Je lis toujours avec beaucoup d'attention les mémoires présentés par le Barreau canadien. En général, ils sont très bien étoffés, bien préparés et d'une grande autorité. En même temps que vous mettez de l'avant les principes de loi, vous examinez aussi parfois la jurisprudence et la pratique. J'aime ça.

J'ai été surpris de votre position. Vous ne voulez pas changer la définition de «réfugié», que ce soit au niveau de la Convention de Genève ou au niveau de la loi. Certains nous ont dit que ce n'était pas le temps de procéder à un tel changement. Si on regarde à plus long terme, est-ce que vous ne croyez pas qu'un jour, il faudra redéfinir le concept de «réfugié» et y inclure le sexe?

Quand on a commencé à définir relativement à la charte des droits de la personne, on n'avait jamais pensé à certains motifs de discrimination, comme l'orientation sexuelle. On disait que c'était compris dans le sexe. Aujourd'hui, la définition dans la charte est très claire. Je pense que c'est bon parce que les directives peuvent changer s'il y a un président de la Commission qui voit un peu plus loin ou moins loin, qui est conservateur ou moins conservateur, tandis que la loi et la Convention sont plus permanents. Qu'est-ce que vous pensez de ça?

[Traduction]

Mme Sas: Merci d'avoir soulevé cette question. Oui, le Barreau croit que ce serait une bonne idée d'élargir la définition pour inclure le sexe; toutefois, nous envisageons un processus international plutôt qu'un processus engendré au Canada.

À cette fin, je crois que la première recommandation de notre mémoire préconise que l'application des directives soit prévue dans la Loi sur l'immigration. À notre avis, l'inclusion de directives dans la loi aurait pour effet de modifier l'application de la définition dans le processus canadien.

[Français]

M. Nunez: D'accord. Maintenant, je vous comprends un peu mieux.

Concernant les directives de la CISR, qu'est-ce que vous pensez de leur impact? Est-ce que c'est positif pour les femmes ou s'il y a encore des lacunes? Est-ce que vous pouvez nous dire quelle est votre expérience concernant l'application de ces directives? Il y a des témoins qui nous disent que les directives sont bonnes, mais qu'elles ne sont pas bien appliquées par les commissaires. L'application, concrètement, laisse beaucoup à désirer. Quelle est votre expérience?

[Traduction]

M. Matas: Nous avons chacun notre propre expérience, dont nous pourrions vous parler, mais je pense qu'elle est assez semblable, c'est-à-dire que l'application est assez inégale. Certains commissaires la jugent importante, et elle a eu pour effet de les rendre plus sensibles au problème.

La définition est toujours là et elle n'a pas changé. Le simple fait de dire aux commissaires que c'est un élément qu'ils doivent prendre en considération leur permet d'en tenir compte ou attire leur attention sur quelque chose qu'ils ont peut-être négligé d'examiner auparavant.

Il n'y a pas que les commissaires, il y a également les avocats. Parfois, ils pensent tout simplement que cela n'a aucun rapport avec le dossier - ou plutôt, avant l'adoption des directives, ils pensaient que ce n'était pas pertinent pour la présentation de leur cause devant la commission, et souvent ces questions n'étaient pas mentionnées malgré l'existence des faits. Ces faits n'étaient donc tout simplement pas présentés à la commission.

.0925

Les directives ont ceci de bon qu'elles forcent tous les intervenants à penser à ces choses et à leur accorder leur attention. Mais le problème, c'est qu'il s'agit uniquement de directives qui sont parfois ignorées, oubliées ou considérées comme étant moins importantes simplement parce qu'elles n'ont pas force de loi.

[Français]

M. Nunez: Concernant la taxe à l'immigration de 975$, est-ce que vous croyez qu'elle va favoriser...

La présidente: Monsieur Nunez, je ne crois pas que c'est le sujet de nos discussions.

M. Nunez: C'est pertinent. J'aimerais savoir si, selon votre expérience, une taxe additionnelle favorisera les femmes qui demandent le statut de réfugié ou leur nuira.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Nunez, votre question est irrecevable. Merci.

Monsieur Mayfield.

[Français]

M. Nunez: Madame, je regrette. Vous êtes très dictatoriale et je n'accepterai plus que vous rejetiez cela, parce que c'est très pertinent. Je vais protester ici et à la Chambre, parce que ce n'est pas la première fois que vous me faites ça.

La présidente: Monsieur Nunez, ça n'a aucun lien avec le sujet qu'on traite aujourd'hui.

M. Nunez: Oui, parce que je demande si cela favorise ou non la venue des réfugiés.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Mayfield, voulez-vous poser une question?

[Français]

M. Nunez: Il s'agit du droit de tous les membres du Comité. Je ne vais plus accepter cela. Chaque fois que vous direz que je contreviens au Règlement, je vais protester.

La présidente: Monsieur Nunez, vous avez le droit de protester, comme je vous l'ai déjà dit. Demandez aux membres du Comité s'ils sont d'accord. On peut voter. C'est votre droit.

M. Nunez: Alors, pourquoi est-ce que vous établissez tout de suite que ce n'est pas pertinent?

La présidente: Monsieur Nunez, voulez-vous proposer la question à tous les membres du Comité? Ils peuvent voter si vous le voulez.

M. Nunez: Oui.

[Traduction]

La présidente: D'accord, nous allons voter sur ma décision.

Vous avez entendu la décision que conteste l'honorable député. La question est la suivante: la décision de la présidence sera-t-elle maintenue?

Il y a égalité des voix.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Il ne peut pas y avoir égalité.

La présidente: C'est pourtant le cas.

Je vais donc mettre la question aux voix une deuxième fois. Nous allons essayer à nouveau.

Vous avez entendu la décision que j'ai rendue...

[Français]

Mme Debien (Laval-Est): Pardon, madame la présidente. Il serait peut-être bon que vous rappeliez, avant qu'on passe au vote, la nature de la question et le fondement de votre décision.

La présidente: M. Nunez a posé une question aux témoins.

[Traduction]

Monsieur Nunez, je vais m'expliquer en anglais.

M. Nunez a posé aux témoins une question sur le droit d'établissement de 975$, qui, d'après moi, n'a aucun rapport avec la question que nous examinons aujourd'hui, à savoir les lignes directrices et les revendications du statut de réfugié fondées sur le sexe.

Vous avez entendu ma décision. J'ai décidé que cette question était irrecevable. Je vous demande de voter une deuxième fois, puisqu'il y avait égalité des voix. Je ne peux évidemment pas voter, en tant que présidente, puisqu'il s'agit de ma propre décision.

La décision de la présidence sera-t-elle maintenue? Il y a encore égalité.

Puisque ma décision n'a pas été rejetée, je déclare que la décision est maintenue.

Nous allons continuer. Monsieur Mayfield.

M. Mayfield (Cariboo - Chilcotin): Bonjour.

J'ai trouvé votre mémoire très intéressant. J'aurais simplement souhaité avoir le temps de l'étudier et de le comprendre avant d'engager cette conversation. Je vous demande donc d'être un peu indulgents envers moi.

Vous commencez votre mémoire en disant qu'il a été préparé par la Section du droit de l'immigration, je crois. Avez-vous l'appui de l'ensemble de l'Association du Barreau canadien, ou est-ce simplement l'opinion de votre section?

Mme Bercovitch: La section est composée d'avocats en droit de l'immigration de tout le pays. La section prépare le mémoire et élabore la politique qui sont ensuite approuvés par l'exécutif avant d'être soumis au processus d'approbation très rigoureux de l'Association du Barreau canadien. Le mémoire est envoyé à notre Comité de la législation et de la réforme du droit, qui compte des membres qui travaillent dans divers domaines dans tout le pays et qui examinent les grandes orientations politiques. Il est ensuite soumis à l'exécutif national.

M. Mayfield: Nous pouvons donc accepter ce mémoire comme étant la position de l'Association du Barreau canadien?

.0930

Mme Bercovitch: C'est la position de la section du droit de l'immigration. Pour qu'elle soit acceptée comme politique générale de l'Association du Barreau canadien, il faudrait que notre conseil national, qui se réunit deux fois par année, l'entérine. Ainsi, lorsque nous présentons des mémoires à des comités de la Chambre, nous les présentons comme étant la politique de cette section, mais sous l'égide de l'ABC.

M. Mayfield: Donc, cette politique a été approuvée par la Section du droit de l'immigration.

Mme Bercovitch: Oui.

M. Mayfield: Je suis plutôt encouragé par plusieurs aspects de ce mémoire, mais j'aimerais commencer par vous demander comment, à votre avis, on utilise actuellement ces directives sur le sexe dans le processus de détermination du statut de réfugié.

Mme Sas: Je pense que mon expérience est semblable à celle de M. Matas, au cas par cas. Lorsque l'on suit et que l'on applique les directives, en général, c'est assez bien fait. Le problème se pose là où on ne tient même pas compte des directives.

Dans la documentation, j'ai inclus deux exemples de dossiers où clairement les directives s'appliquaient, mais où on en a même pas fait mention. Le problème, c'est que certains membres de la commission tiennent compte des directives, d'autres les rejettent et d'autres les appliquent.

D'ailleurs, ce n'est pas parce que l'on applique les directives que l'on gagne nécessairement sa cause. Vous pouvez appliquer les directives et quand même voir votre affaire rejetée. Malheureusement, dans certains dossiers, on ne tient même pas compte des directives.

M. Mayfield: Est-ce que certains considèrent ces directives comme une deuxième chance d'obtenir le statut de réfugié pour le client, et donc pour son avocat, si l'on a échoué à la première tentative?

Mme Sas: Non. Il n'y a qu'une chance. Si vous n'êtes pas admissible en vertu d'un des cinq motifs, vous pouvez ajouter celui-ci si vous le souhaitez. Même si les autres motifs sont pertinents, vous pouvez invoquer les six ou les cinq motifs en même temps. Le tout fait partie d'une seule question. ll n'y a pas d'autre chance.

M. Matas: C'est une question de procédure. Il est impossible de présenter deux demandes. Si vous avez déjà présenté une demande, qui a été rejetée, vous ne pouvez représenter la demande. Il y a quelques exceptions, par exemple si vous quittez le pays pendant 90 jours ou si la Cour fédérale vous autorise à recommencer. Toutefois, règle générale, si vous présentez une demande et qu'elle est rejetée, vous n'avez pas de deuxième chance.

M. Mayfield: Je me demande s'il y a une différence depuis l'entrée en vigueur de ces directives. Avez-vous constaté une différence dans les taux d'acceptation ou de rejet? A-t-on accepté plus ou moins de réfugiés? Est-ce que cela a une incidence sur le nombre d'appels? Quelles ont été les répercussions de ces directives?

M. Matas: Les nombres sont trop faibles pour influencer les taux. Il y a des milliers de demandes, mais seulement quelques centaines visées par les directives. Il n'y a pas d'incidence sur les taux, vu les nombres en cause.

A mon avis, les directives ont servi, comme je l'ai déjà mentionné, à sensibiliser, à porter des preuves et des questions à l'attention de la commission, des avocats et des revendicateurs du statut de réfugié qu'on n'aurait peut-être pas auparavant considérées comme visées par la définition de réfugié.

Mme Sas: J'ai tenté d'obtenir de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié les statistiques dont vous parlez, mais je n'ai pas réussi. Souvent le genre de données que l'on s'imagine disponibles ne le sont pas, et votre comité est peut-être mieux placé que nous pour obtenir l'information directement de la commission.

Toutefois, je peux vous dire que dans ma propre pratique et dans mon examen de cette question avec mes collègues il n'y a pas eu de grande augmentation des demandes fondées sur ce motif. J'ai relevé dans le témoignage d'une personne qui a comparu devant ce comité, M. Bauer, qu'il s'inquiète du fait que maintenant une foule de personnes vont invoquer ce motif. Or, ce n'est pas le cas. Je fais probablement 25 causes par année, et au cours des deux dernières années j'en ai eu trois qui portaient sur la question du sexe.

La présidente: Merci, monsieur Mayfield.

M. Mayfield: Ai-je terminé?

La présidente: Oui. Vos cinq minutes sont écoulées. Nous reviendrons.

Madame Clancy.

Mme Clancy (Halifax): Merci. Merci de votre exposé. En ce qui concerne les revendications du statut de réfugié fondées sur le sexe, est-ce qu'en fait nous ne disons pas - et je suis enchantée, Madame Sas, que vous ayez fait valoir que nous n'avons pas du tout été débordés - que la vaste majorité des femmes qui pourraient faire valoir de telles revendications ne parviendront même pas à se rendre ici? En fait, elles ne passeront même pas le processus de sélection dans les camps de réfugiés non plus. N'est-ce pas?

.0935

Mme Sas: Je pense que c'est juste.

Mme Clancy: En fait, donc, le principal problème de discrimination fondée sur le sexe, c'est l'accès au processus de détermination du statut de réfugié bien avant la procédure officielle de la CISR.

M. Matas: En ce qui concerne l'accès, c'est justement pourquoi nous estimons important qu'il y ait des directives et qu'il y ait un tribunal spécialisé indépendant pour les appliquer à nos missions à l'étranger qui délivrent des visas, car il est beaucoup plus facile de s'adresser là qu'au Canada. Il y a de grandes différences administratives à l'heure actuelle. À nos missions à l'étranger nous n'avons pas du tout les mécanismes que nous avons au Canada. Voilà le problème pour les femmes et pour tous.

Mme Clancy: En ce qui concerne toute cette question, êtes-vous au courant des réactions bizarres? Je sais que vous pensez que nous avons encore beaucoup de chemin à faire, et j'y réfléchirai. Savez-vous, par exemple, quelle a été la réaction de la Communauté européenne et de certains autres groupes lors de la conférence pré-Beijing à New York il y a quelques semaines? Non? Nous en reparlerons après.

Mme Sas: Je ne suis pas au courant.

M. Matas: J'ai apporté un document intitulé Directives sur la protection des femmes réfugiées publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Ces directives ne valent pas les directives canadiennes, mais ce n'est pas mauvais.

Mme Clancy: Ce n'est pas mauvais, mais regardez bien. La conférence de Beijing sera vraiment très intéressante.

Au début, j'ai commencé par me fâcher, et ensuite je me suis dit: c'est très bien, c'est l'Association du Barreau canadien, reste calme. À la fin, je me suis rendu compte que vous étiez très corrects.

Ma préoccupation - a-t-elle dit sur son ton condescendant habituel - c'est que d'anciens membres de la CISR prétendent qu'il n'est absolument pas nécessaire d'avoir des directives, parce que tous, à la commission, par le passé, aujourd'hui et dans l'avenir, comprennent ce genre de choses et y sont très ouverts. Ma réaction à cela est quelque peu cynique.

Ma deuxième préoccupation, toutefois, vient de ce que le HCNUR nous dit, et c'est dans ce contexte que j'ai lu les documents produits par la conférence pré-Beijing. La Communauté européenne, par exemple, refuse d'utilisr le terme «sexe». On veut y parler de violence familiale. On veut y utiliser des termes neutres plutôt que des termes qui signifient vraiment quelque chose.

Le HCNUR nous dit que si nous utilisions la discrimination fondée sur le sexe - ce qui est ma préférence naturelle - cela susciterait une réaction profonde et défavorable.

Qu'en pensez-vous? Que devons-nous faire?

M. Matas: Manifestement, la lutte sera dure, mais je pense que nous pouvons gagner, et je ne pense pas que le Canada doive se gêner.

Songez à la Conférence de Vienne sur les droits humains et à la déclaration qui y a fait suite. Son élément le plus fort était justement les droits des femmes, et ce, parce qu'il y a eu au niveau international des pressions énormes, organisées et coordonnées par des groupes de femmes.

Je pense que la situation est semblable ici. Le Canada a tenté de faire accepter des directives fondées sur le sexe par le comité exécutif du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, sans succès, et s'est donc retiré. Je pense que c'est une erreur.

Mme Clancy: Je vous arrête lorsque vous dites que nous nous sommes retirés, mais nous pourrons en reparler plus tard.

M. Matas: Très bien.

Mme Clancy: Je ne pense pas que nous nous soyons retirés, mais parfois il faut faire marche arrière pour rassembler ses forces et lutter à nouveau. En fait, les ONG à la réunion des Nations Unies ont critiqué la position du gouvernement canadien et des ONG canadiennes à coeur joie, ce qui a été pénible pour ceux qui étaient là.

.0940

Je veux savoir ce que vous proposez pour mener cette lutte, car il semble que les Américains ne sont pas disposés à nous appuyer tant qu'ils n'auront pas leurs propres directives, soit après la conférence de Beijing. Il ne semble pas que les Nations Unies soient intéressées à inclure dans leur documentation la terminologie que nous proposons, et il semble aussi que la Communauté européenne, qu'on pouvait supposer être un allié, s'oppose aussi à l'expression «discrimination fondée sur le sexe». Où trouver des alliés à l'échelle internationale?

M. Matas: Je pense que nous pouvons avoir recours à ces ententes sur l'attribution du statut de réfugié que nous négocions avec les États-Unis, comme nous le mentionnons dans notre mémoire. Nous devons nous assurer que les directives sur le sexe font partie de cette entente. Il nous faudra peut-être attendre que les Américains rédigent les leurs, mais il y a un processus de négociation en cours, les deux parties veulent une entente, et donc on pourrait l'y inclure.

Je pense que nous devons nous trouver des alliés et je pense aussi... Ce qui a donné des résultats à Vienne, à la conférence mondiale, c'était la coordination des efforts entre les gouvernements amicaux et les ONG. Je pense qu'il est important que ce secteur se mobilise, et cette responsabilité nous incombe.

Je pense qu'il est important que les gouvernements qui sont sympathiques coordonnent leurs efforts avec ceux du secteur non gouvernemental, ce que le Canada a fait jusqu'à un certain point. Je pense que l'on pourrait faire appel dans une plus grande mesure à la coopération. Dans le secteur non gouvernemental nous avons des alliés partout, dans tous les pays, qui peuvent traiter avec leurs propres gouvernements. Je pense donc que le gouvernement canadien devrait se prévaloir de ce réseau beaucoup plus que par le passé.

[Français]

Mme Debien: Bonjour. J'aimerais poser une question concernant l'application des directives pour la sélection des réfugiés à l'étranger. Vous avez dit qu'ici même, il y avait de graves problèmes d'application quant aux directives, et plusieurs organismes sont aussi venus nous dire que les agents de visas à l'étranger ne respectaient pas toujours l'esprit et la lettre des directives.

De plus, vous avez fait la proposition, parmi les quatre que vous avez soumises tout à l'heure, de confier à la division des réfugiés... Enfin, je n'ai pas très bien compris la première de vos propositions qui visait à conférer un statut différent aux missions à l'étranger, à confier cela à des spécialistes. Vous avez abordé très rapidement cette question et, malheureusement, je n'ai pas eu le plaisir de lire votre mémoire. J'aimerais, concernant cette partie particulière de vos propositions, que vous élaboriez un peu.

M. Matas: Oui.

[Traduction]

Avec plaisir.

[Français]

Mme Debien: Je vous remercie.

[Traduction]

M. Matas: Ces agents sont dans une situation intenable parce qu'ils ne sont pas assez nombreux, qu'ils sont surchargés de travail et dépassés par les événements et qu'ils sont là essentiellement pour étudier des demandes d'immigration pour des raisons économiques. Leur formation et le gros du travail vont dans ce sens. Ils appliquent le système de pointage. Ils tentent d'évaluer les chances de réussite de quelqu'un qui s'établirait au Canada.

En droit, l'application de la définition du statut de réfugié est un domaine très spécialisé à cause des conditions du pays. L'agent des visas doit toujours tenir compte de conditions qui diffèrent de celles du pays dans lequel il se trouve. Il ne dispose pas d'un centre de documentation et ne possède pas de connaissances spécialisées sur la définition du statut de réfugié. À une certaine époque, on donnait deux heures de formation à ces agents; maintenant, je pense qu'on leur donne deux jours; c'est insuffisant.

Si nous avons mis en place un tribunal spécialisé indépendant au Canada, c'est parce que l'ancien modèle du comité consultatif sur le statut de réfugié, dont les membres étaient à temps partiel, ne fonctionnait pas. Les membres du comité confondaient la question de savoir si une personne ferait ou non un bon immigrant avec la détermination du statut de réfugié, une question différente. Il nous faut des gens indépendants et spécialisés.

Le choix évident serait la Section du statut de réfugié qui existe déjà, qui est indépendante et spécialisée. Ce n'est pas très différent de ce que nous faisons par exemple pour les attestations de sécurité ou le bilan médical, qui relèvent maintenant du ministère de l'Immigration, et qui relevaient autrefois du ministère de la Santé. Évidemment, il s'agit de médecins, et non pas d'agents des visas. Ils décident si la personne est malade ou en santé. Vous ne demandez pas à un agent des visas de décider si quelqu'un est malade ou en santé.

À mon avis, on devrait procéder de la même façon pour déterminer si quelqu'un est ou non un réfugié. Le processus de détermination du statut de réfugié devrait être confié à la Section du statut de réfugié.

.0945

Je présume que les questions portent sur les aspects techniques: quelle devrait être la procédure? Comment faut-il l'évaluer? Ce sont des questions de procédure que l'on peut mettre au point. Nous n'entrons pas vraiment dans les détails ici; ce que nous voulons faire, c'est tenter d'établir le principe.

Par l'entremise du Conseil canadien pour les réfugiés, j'ai participé à la rédaction d'un rapport intitulé The Report of the Task Force on Overseas Protection. On y propose un modèle d'un système qui permettrait de prendre les décisions à l'étranger. Le Barreau n'appuie pas tout le système, mais si le comité souhaite avoir une idée du fonctionnement d'un système qui verrait la Section du statut de réfugié rendre ses décisions à l'étranger, c'est dans ce rapport.

Ce qui intéresse le Barreau, c'est le principe de faire appel à du personnel spécialisé et indépendant pour rendre les décisions plutôt que de faire appel à des agents des visas touche-à-tout.

[Français]

M. Nunez: Vous avez examiné l'application des directives ici, au Canada. Vous venez de décrire votre expérience et vos connaissances à l'extérieur du Canada dans le domaine de la sélection de femmes réfugiées.

Maintenant, concernant la révision des décisions de la CISR, le ministre peut renverser une décision pour des motifs humanitaires. Parfois, il y a beaucoup de femmes qui se présentent devant le ministre. Moi-même, j'ai soumis des cas de femmes victimes de violence conjugale. Parfois, le ministre les rejette et parfois, il les accepte. Il n'y a pas de fil conducteur. Comment voyez-vous l'application de ces principes au niveau de la révision par le ministre pour des considérations humanitaires?

[Traduction]

Mme Sas: J'en parle dans mon mémoire, monsieur Nunez. Je pense qu'il va de soi qu'il faut appliquer les directives ou tout au moins faire une analyse du même genre. Je fais également allusion au discours de M. Marchi sur ce point au cours duquel il a reconnu ou affirmé que c'était son intention de mettre en place ce genre d'approche. Toutefois, si vous vous référez au dossier que je cite, l'affaire de Mme Gill, vous pouvez constater que ce genre d'analyse ne se fait pas - il s'agit d'une décision toute récente; elle remonte au mois dernier, ou au mois précédent.

Le Barreau appuie l'initiative de M. Marchi voulant que la révision pour des considérations humanitaires se fasse dans le contexte des directives ou d'une analyse semblable. Malheureusement, il semblerait que l'on n'ait pas encore donné suite aux instructions de M. Marchi.

M. Mayfield: À la page 3 de votre mémoire, vous mentionnez que le résumé des causes révèle de grandes différences au niveau de l'analyse. Dans certains cas on conclut que tel traitement constitue de la persécution alors que le même traitement dans une autre cause n'en constitue pas. En se fondant sur les mêmes faits, on conclut dans certains cas qu'il y a protection de l'État, etc.

Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?

Mme Sas: Très bien. Cela ressort le plus clairement lorsque l'on prend le temps, comme je l'ai fait, de lire tous les petits résumés. Par exemple, on constate qu'il y a deux dossiers de la Chine qui semblent fondés sur des faits presque identiques. Il y a justement deux dossiers qui portent, je pense, sur le harcèlement sexuel par un fonctionnaire en Chine. Dans un cas, on a considéré qu'il s'agissait de persécution et qu'il n'y avait pas de protection de l'État. Dans l'autre cause, il ne s'agissait pas de persécution, et donc l'État n'avait pas à offrir de protection.

Évidemment il s'agit de résumés. Nous n'avons pas toutes les données, mais c'est ce genre de problèmes que l'on retrouve dans la pratique générale. Vous avez des causes identiques ou tout au moins très semblables au niveau des faits, et pourtant les résultats sont tout à fait différents. C'est de cela que je voulais parler.

M. Mayfield: Ce qu'a dit Mme Clancy, à savoir que parfois ce sont les plus capables qui profitent de la protection que le Canada offre aux réfugiés, m'a intéressé. Je suppose que l'on peut en conclure que ceux qui sont les moins capables ne parviennent même pas à passer au premier rang pour se faire connaître. À mon avis, c'est un grave problème. C'est d'ailleurs ainsi que je vois la situation moi-même.

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Je m'inquiète notamment du fait que tout le processus est injuste, car ceux qui ont les moyens d'arriver en tête de liste embauchent un avocat, sont bien représentés...

Mme Clancy: Ce n'est pas ce que je voulais dire. Permettez-moi de préciser; j'ai parlé de l'accès réel.

M. Mayfield: C'est exact. Les malades n'ont pas tout à fait la même chance que ceux qui peuvent courir jusqu'à l'avant.

Mme Clancy: Les femmes que l'on enferme dans les placards non plus.

La présidente: Madame Clancy, je vous en prie.

Monsieur Mayfield, voulez-vous, s'il vous plaît, poser vos questions au témoin. Merci.

M. Mayfield: Certainement. Pensez-vous qu'il serait plus avantageux pour les femmes réfugiées de présenter leurs demandes à l'étranger plutôt que de les présenter ici? Est-ce ce que vous suggérez? Je n'ai pas très bien compris.

Mme Sas: Je pense que la question de l'accès que vous soulevez - je pense que M. Matas aimerait aussi dire quelques mots à ce sujet - et centrale à toute cette approche face aux réfugiés. Oui, ceux qui parviennent à se rendre au Canada ont de meilleures chances d'obtenir un examen juste de leur dossier, surtout à la lumière de ce que M. Matas a dit au sujet des résultats que l'on obtient à l'étranger. Toutefois, je pense que cela dépasse le cadre de ce qui est à l'examen ici. Tout le processus de détermination du statut de réfugié doit être considéré. Va-t-on maintenant axer nos efforts sur l'examen des demandes à l'étranger plutôt qu'au Canada?

Je suis persuadée que M. Matas aimerait répondre.

M. Matas: Manifestement, nous avons un problème, car il y a des obstacles à l'accès, ce qui entraîne toutes sortes de difficultés. L'un de ces problèmes systémiques a une incidence généralisée sur le sexe. Le problème vient du fait que nos obstacles à l'accès ne font pas de distinction. Ce ne sont pas des obstacles fondés sur le fait que quelqu'un est ou n'est pas un réfugié. Ces obstacles sont fondés sur des critères qui n'ont pas la moindre pertinence du point de vue du réfugié; par exemple, a-t-il ou non la documentation appropriée? Certaines personnes dans des circonstances désespérées possèdent la documentation, d'autres ne l'ont pas. Certains dont les circonstances sont beaucoup moins désespérées ont peut-être la documentation appropriée. Cela a une incidence selon le sexe.

Nous tentons de faire valoir qu'il faut uniformiser les décisions où que celles-ci soient prises. Personnellement, je n'aime pas tout ce système d'accès, mais je pense que c'est une question qui dépasse le cadre du mandat du comité. Quel que soit le système d'accès que nous ayons, que nous maintenions le même ou que nous en ayons un différent, il ne devrait pas y avoir de différence dans l'application de la définition du statut de réfugié fondée sur où vous êtes, comme c'est le cas actuellement.

M. Mayfield: À votre avis, le HCNUR constitue-t-il un meilleur véhicule pour déterminer le statut de réfugié que la formule actuelle?

M. Matas: Il y a un problème si c'est le HCNUR. Cet organisme, comme tous les autres des Nations Unies, n'a pas du tout le financement nécessaire. Lorsque vous confiez une tâche administrative ou pratique aux Nations Unies, il leur est très difficile normalement de s'acquitter de leurs responsabilités, faute d'argent. Voilà un problème.

Ensuite il y a le fait que le HCNUR a de nombreuses fonctions, non pas uniquement l'interprétation de la définition de réfugié. Certaines de ses fonctions en fait vont à l'encontre de l'application de la définition du statut de réfugié. Le Haut Commissariat doit avoir accès aux camps et à l'argent des gouvernements. C'est un organisme intergouvernemental qui n'a pas la même indépendance que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Troisièmement, le HCNUR n'a pas comme seule responsabilité d'appliquer la définition du statut de réfugié: le Haut Commissariat doit s'acquitter de son mandat, qui dépasse largement cette seule définition. Et certaines personnes qui tombent sous le coup de son mandat ne répondent pas à la définition. Il serait donc problématique pour le Haut Commissariat de se prononcer sur le statut de réfugié, ce qui le forcerait à scinder son mandat en deux.

Dans l'ensemble, le modèle de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est préférable, puisqu'il permet une prise de décisions indépendantes et spécialisées à l'échelle nationale. La difficulté consiste à mettre en place un mécanisme institutionnalisé qui assure l'uniformité des décisions, de sorte que lorsque la commission prend des décisions, que je qualifierais de bonnes et juste, celles-ci sont conformes aux décisions prises par d'autres éléments du système ailleurs dans le monde.

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M. Assadourian: Ma question s'adresse à Catherine Sas, de la Section du droit de l'immigration. Elle porte sur la conférence internationale, qui se poursuit toujours au Caire, où le Canada a pris position pour dire que le viol par le conjoint devrait être considéré comme une forme de violation des droits de la personne. Cette position a été rejetée, si je ne m'abuse, par le Pakistan, l'Iran et l'Égypte. Quel effet cette décision aurait-elle sur la politique que nous appliquons ici?

Par ailleurs, comment faites-vous pour concilier les différences culturelles de certains pays...? Vraisemblablement, dans les trois pays en cause, et peut-être aussi dans d'autres pays, le viol par le conjoint est considéré comme la norme ou comme acceptable. Comment concilier cela avec notre position ici au Canada?

Mme Sas: Tout d'abord, la position du Canada est que le viol est un crime, peu importe qui le commet. Dès qu'on admet ce principe, la question est de savoir s'il existe une protection quelconque contre le viol.

Pour ce qui est des normes culturelles, la Cour fédérale et la Cour suprême du Canada cherchent à déterminer si la persécution qui fait l'objet de la plainte constitue une violation d'un droit de la personne reconnu à l'échelle internationale. Dans l'affirmative, c'est un droit qui mérite d'être protégé. D'après l'analyse que j'en fais, le viol est une violation d'un droit humain international, et ce droit mérite donc d'être protégé aux termes des lignes directrices.

La question de ce qui se fait dans d'autres pays est toujours problématique. Cela n'enlève rien toutefois à la validité des lignes directrices ou de l'analyse dont je vous ai parlé.

M. Assadourian: Le fait que notre position n'ait pas reçu l'approbation unanime à cette conférence du Caire aurait-il une incidence dans les cas de persécution fondée sur le sexe à l'échelle internationale?

Mme Sas: Je laisserai à M. Matas le soin de vous répondre, puisqu'il connaît mieux que moi le rôle international du Canada. Il peut peut-être vous éclairer.

M. Matas: Je dois répondre par la négative. Même quand un pays en particulier refuse de reconnaître un droit de la personne ou une violation d'un droit de la personne, ce droit n'en existe pas moins; c'est seulement l'exercice de ce droit qui se trouve touché. Ainsi, il serait manifestement difficile en Égypte d'obtenir la protection garantie par la Convention sur les réfugiés contre une violation de ce genre. Cependant, cela ne change rien ni ne devrait rien changer à l'application de la définition de réfugié au Canada.

Mme Terrana (Vancouver-Est): Merci de votre présence ici aujourd'hui.

Encore une fois, je veux explorer un peu plus une question soulevée par Mme Debien. Nous avons entendu des témoins qui nous ont dit que nous avions les meilleures lignes directrices qui soient en ce qui concerne les demandes de statut de réfugié motivées par la persécution fondée sur le sexe. Êtes-vous d'accord avec ces personnes?

M. Matas: Oui, je suis d'accord avec elles. J'ajouterai qu'on pourrait faire mieux encore.

Mme Terrana: Malheureusement, on peut toujours faire mieux. Je ne prétends pas moi non plus être parfaite.

Cela dit, vous avez parlé du décideur spécialisé. Nous savons que le monde est grand et qu'il existe des différences importantes entre les divers pays. Qu'envisagez-vous au juste quand vous dites qu'il faudra s'en remettre à un décideur spécialisé? Comment vous y prendriez-vous? Comment feriez-vous pour trouver un décideur spécialisé dans chacun des pays du monde?

M. Matas: J'entends par là quelqu'un que nous avons déjà, c'est-à-dire un des commissaires qui siègent à la Section des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Ces commissaires sont spécialisés, en ce sens qu'ils s'occupent uniquement des demandes du statut de réfugié, qu'ils se spécialisent dans ces demandes. Il serait irréaliste à mon avis de penser que nous pourrions avoir un spécialiste pour chaque pays d'origine. Je ne crois pas que ce soit le cas à l'heure actuelle, même si l'on fait quand même certains efforts dans ce sens. La spécialisation ne va pas jusque-là, du moins pas officiellement.

Naturellement, si l'on peut en arriver ainsi à une spécialisation par pays d'origine, c'est ce que l'on devrait faire. Je songe en particulier à certaines personnes qui ne font que cela et qui ont une formation et des compétences spécialisées.

Mme Terrana: Ce serait donc une personne qui se déplacerait d'un endroit à l'autre?

M. Matas: Pas forcément, car, dans certains pays, on reçoit énormément de demandes de statut de réfugié aux bureaux des visas. Si la personne était en poste à Hong Kong, en Turquie, à Damas ou dans certains autres endroits d'où nous proviennent la majorité de nos réfugiés, elle n'aurait pas à se déplacer; elle pourrait rester là où elle est.

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Mme Terrana: Enfin, je veux vous interroger sur l'application uniforme des lignes directrices. Je suis préoccupée par le fait qu'on nous dise qu'elles ne sont pas appliquées de façon uniforme. Je ne comprends pas, puisque les personnes qui siègent à la CISR ont reçu une formation en conséquence...

D'après vous, les décisions témoignent-elles d'un manque flagrant d'uniformité?

Mme Sas: Comme vous, je suis préoccupée par cette question, d'autant plus que, quand les commissaires ont reçu les lignes directrices, Mme Mawani avait clairement indiqué qu'ils étaient tenus de les suivre et que, chaque fois qu'ils s'en écarteraient, il leur faudrait motiver clairement leur décision.

De nombreux facteurs peuvent expliquer ce manque d'uniformité dans les décisions qui sont prises. Pour y remédier, nous proposons que les lignes directrices fassent partie de la loi, ou à défaut de cela, que les commissaires reçoivent une formation plus poussée sur la façon d'appliquer les lignes directrices.

La présidente: Vous aviez une question, monsieur Dromisky?

M. Dromisky (Thunder Bay - Atikokan): J'ai effectivement quelques questions à poser.

La présidente: Vous en avez quelques-unes. Bon, je vous reviendrai. Merci.

[Français]

M. Nunez: Concernant les programmes pour les femmes à risque ou en danger que le Canada a mis en place, par exemple en ancienne Yougoslavie, comment ont-ils fonctionné? Est-ce qu'ils ont donné de bons résultats? Quels sont les problèmes au niveau de l'application de ces programmes spéciaux pour les femmes à risque?

[Traduction]

M. Matas: Le programme pour les femmes à risque n'a pas du tout donné les résultats escomptés. Dans la pratique, il ne s'agit pas tant d'un programme pour les femmes à risque que d'un programme pour les personnes qui auraient du mal à se rétablir.

La lenteur et la lourdeur de notre système de délivrance de visas à l'étranger sont telles que la femme qui est à risque aura succombé au risque avant même que la décision ne soit prise. L'examen des demandes qui ont été acceptées nous permet de conclure que le programme sert à assurer le rétablissement de femmes qui, de l'avis de l'agent des visas, auraient du mal à se rétablir si elles ne pouvaient compter que sur le parrainage du gouvernement ou du secteur privé prévu par les programmes réguliers. Le programme est donc un échec par rapport à l'objectif initial.

Le problème tient en partie à l'application par les bureaux des visas à l'étranger des lignes directrices concernant la persécution fondée sur le sexe, mais il tient aussi à la lourdeur du système de délivrance des visas, qui exige des femmes qu'elles passent un examen médical et un examen sécuritaire avant d'être autorisées à entrer au Canada. Dans d'autres pays, par contre, qui ont aussi des programmes pour les femmes à risque - il s'agit en fait d'un programme des Nations Unies auquel le Canada participe - , les femmes sont admises d'abord, et l'examen médical de même que l'examen sécuritaire se font par la suite.

Je ne sais pas si votre comité peut se pencher sur le programme pour les femmes à risque. Je sais que des consultations intenses se poursuivent actuellement au gouvernement afin de rendre le programme efficace. Si vous décidez de vous pencher sur le programme, vous constaterez qu'il est très problématique et qu'il a besoin d'être restructuré.

M. Mayfield: Si le nombre de réfugiés que nous sommes prêts à accepter est limité, serait-il possible ou nécessaire d'en arriver à un certain équilibre entre les demandeurs qui sont déjà au Canada et ceux qui sont encore à l'étranger?

M. Matas: Un équilibre?

La présidente: Je vous interromps un moment. Il se peut qu'il y ait un vote. C'est pourquoi nos regards se tournent vers la lumière qui continue à clignoter.

Veuillez poursuivre, monsieur Matas.

M. Matas: Du point de vue des principes des droits humains internationaux, il n'est pas nécessaire à mon avis d'assurer un équilibre quelconque. Quand le demandeur se trouve déjà chez nous, nous avons l'obligation de ne pas le renvoyer dans le pays où il risque d'être persécuté. Quand il est encore à l'étranger, nous avons l'obligation d'assumer notre part de responsabilité pour les réfugiés du monde.

À l'heure actuelle, les modalités du système sont telles que le gouvernement se trouve à ériger un certain nombre d'obstacles à l'accès, de sorte que, même si certains sont admis, la plupart des demandeurs ne le sont pas. Le gouvernement assimile ces obstacles à des résistances semblables à celles d'un circuit électrique, en ce sens qu'ils permettent d'empêcher que le nombre de réfugiés ne dépasse le nombre que nous pouvons absorber. Nous réussissons effectivement à absorber les réfugiés que nous acceptons.

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Le système fonctionne assez bien, puisque nous accueillons le nombre de réfugiés que nous sommes prêts à accueillir au moins. Nous n'arrivons même pas depuis quelques années à atteindre le nombre prévu.

Nous ne sommes certainement pas submergés, bien au contraire. Le nombre de réfugiés que nous admettons est systématiquement inférieur au nombre prévu. Il n'y a qu'à voir les projections des dernières années pour constater que le nombre baisse constamment d'une année à l'autre. Nous prévoyons un certain nombre, mais nous ne l'atteignons pas. Nous rajustons ce nombre à la baisse, mais nous n'atteignons toujours pas le nombre prévu. C'est ce qui se passe depuis quelques années.

À mon avis, nous devrions nous fixer comme objectif global un nombre beaucoup plus élevé, qui correspondrait à une part beaucoup plus équitable, à mon sens, de la responsabilité de la communauté internationale pour les réfugiés, car nous perdons du terrain, non seulement en chiffres absolus, mais aussi dans le classement international. À une époque, nous étions en tête du classement ou presque, tandis que, maintenant, nous sommes loin d'être les premiers, qu'il s'agisse du nombre de réfugiés par habitant ou du nombre de réfugiés comme pourcentage du PNB.

Selon moi, nous devrions fixer le nombre de réfugiés que nous sommes prêts à admettre de manière à assumer une part plus équitable de la responsabilité de la communauté internationale pour les réfugiés. Quelle serait alors la répartition entre les demandeurs qui se trouvent ici et ceux qui se trouvent à l'étranger? Il me semble que, pour ceux qui se trouvent à l'étranger, nous devrions être bien plus ouverts au parrainage par le secteur privé que nous ne le sommes à l'heure actuelle.

D'après mes calculs, le secteur privé pourrait parrainer quelque 30 000 réfugiés par an. Voilà le nombre de ceux qui étaient parrainés par le secteur privé en 1979-1980, quand il n'y avait pas encore d'obstacles et quand nous accueillions les Vietnamiens réfugiés de la mer. À l'heure actuelle, le secteur privé ne parraine que de 2 500 à 3 000 réfugiés par an, et 90 p. 100 des demandes de parrainage par le secteur privé sont rejetées, le plus souvent par erreur à mon avis. Ces chiffres montrent la nécessité d'une plus grande uniformité dans les décisions, puisque les parrains font eux-mêmes une présélection. Si nous augmentions considérablement le taux de l'acceptation des réfugiés parrainés par le secteur privé et que nous maintenions le nombre de réfugiés parrainés par le gouvernement au niveau actuel, nous serions plus près d'assumer notre part de la responsabilité internationale.

M. Mayfield: Pouvez-vous nous donner des raisons qui expliquent que le nombre soit en baisse? Êtes-vous en mesure de nous expliquer ce phénomène, ne serait-ce que par des hypothèses personnelles? Je voudrais savoir pourquoi le nombre est en baisse.

M. Matas: Oui, la baisse tient à mon avis à l'inadéquation entre la planification et la prestation de programmes. Manifestement, quand le gouvernement se fixe un certain nombre et qu'il ne l'atteint pas, ce n'est pas faute de vouloir l'atteindre. C'est qu'il n'arrive pas à concrétiser ses engagements. Cela s'explique par le fait que le système de délivrance de visas ne fonctionne pas de façon très efficace pour ce qui est de la détermination du statut de réfugié.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est que les décideurs s'occupent essentiellement d'immigration économique. Ils ne sont pas particulièrement versés ni dans la définition de réfugié ni dans la situation qui prévaut dans le pays d'origine, de sorte qu'ils rejettent 90 p. 100 de toutes les demandes.

C'est la principale raison pour laquelle nous avons besoin, selon moi, de décideurs spécialisés et indépendants. Non seulement le système serait plus équitable, mais il permettrait aux réfugiés authentiques qui ont des parrains au Canada qui sont prêts à les aider de se présenter.

La présidente: Vous aurez le dernier mot, monsieur Dromisky.

M. Dromisky: Merci beaucoup. Je serai très bref.

Les décisions qui sont prises permettent-elles de conclure à l'existence de tendances quelconques à caractère politique? Les décisions qui sont prises sont-elles influencées par l'état de nos relations diplomatiques avec les pays en cause, c'est-à-dire des pays d'où viennent ou d'où pourraient venir les demandeurs du statut de réfugié?

Sommes-nous plus généreux, par exemple, à l'égard de demandeurs de pays avec lesquels le Canada a des relations diplomatiques normales, ou traitons-nous différemment les demandeurs qui viennent de pays avec lesquels le Canada a des relations diplomatiques tendues? Le traitement est-il différent quand il s'agit de pays avec lesquels nous n'avons pas de relations diplomatiques? Peut-on conclure à l'émergence de tendances quelconques?

M. Matas: C'est effectivement le problème qui se pose aux bureaux des visas à l'étranger. Je vous ai parlé du manque de spécialisation, mais il s'agit là d'un manque d'indépendance. Les agents des visas font partie de l'appareil gouvernemental et tiennent compte de considérations politiques. Ils prennent des décisions en fonction de la situation politique à l'échelle internationale.

Je songe à deux pays en particulier. D'abord l'Afghanistan. La presque totalité des réfugiés afghans au Canada sont acceptés. Cela n'est guère surprenant, étant donné la situation qui prévaut dans ce pays. Cependant, la presque totalité des demandeurs afghans à l'étranger sont refusés, la raison étant, selon moi, qu'on ne voulait pas encourager les Afghans qui se trouvaient dans les territoires avoisinants à partir. On voulait qu'ils restent là et que leur présence serve à aiguillonner le gouvernement à s'engager dans la voie de la réforme. C'était par peur, ou par crainte d'ouvrir les vannes, argument qui n'est d'aucune validité quand il s'agit de réfugiés.

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Ainsi, on rejetait la presque totalité des Afghans qui se présentaient aux bureaux des visas à l'étranger, bien souvent parce qu'on n'y appliquait pas la définition de réfugié de la même façon qu'on l'appliquait au Canada - on disait, par exemple, que les critères interdisaient d'admettre comme réfugié quiconque avait pris part à des combats armés, mais cet argument n'était jamais invoqué au Canada.

L'autre exemple auquel je pense, c'est le plan d'action global pour l'Indochine. Il s'agit non pas d'un traité, mais d'un accord; c'est un accord politique, mais nos bureaux des visas à l'étranger l'appliquent. On refuse même d'examiner le cas des Vietnamiens qui ne sont pas retenus lors du processus de présélection dans les divers pays asiatiques - notamment à Hong Kong et dans les Philippines - alors que ces Vietnamiens pourraient très bien être admis comme réfugiés s'ils faisaient une demande à partir du Canada.

Bien sûr que c'est un problème, et c'est une raison de plus pour faire en sorte que les décisions ne soient pas soumises aux aléas de la politique ni au pouvoir discrétionnaire des agents des visas.

M. Dromisky: D'accord, mais dans une de vos recommandations - c'est votre avant-dernière recommandation - , vous parlez d'un protocole d'entente avec les États-Unis. Autrement dit, les critères, les lignes directrices et toutes les autres modalités seront établis conjointement avec les États-Unis.

Nous avons des milliers d'accords et de protocoles d'entente avec les États-Unis, et l'on se rend généralement compte, à y regarder de près, que nous ne faisons qu'emboîter le pas aux États-Unis. Le cas du Salvador peut nous éclairer à ce sujet. Nous avons opté pour une démarche très particulière, qui était conforme à la politique américaine. Qui a le pouvoir? Qui tient le haut du pavé dans un cas comme celui-là?

Pour ce qui est maintenant de la toute première affirmation que vous avez faite ce matin, à savoir qu'il est temps que nous nous affirmions comme chef de file et que nous prenions certaines mesures pour bien montrer au monde que nous sommes prêts à donner l'exemple, si vous croyez vraiment que nous devons nous orienter en ce sens, pourquoi recommandez-vous que notre politique soit si étroitement liée à celle des États-Unis? Les États-Unis exercent une énorme influence sur nous, tant sur notre orientation politique que sur tous les autres aspects de notre vie.

M. Matas: Je tiens à préciser que je ne défends pas ce protocole d'entente. Je ne propose pas que nous le signions. Il semble toutefois que les négociations se poursuivent et que le protocole sera signé. Je dis simplement que, s'il est signé, comme il finira bien par l'être, selon moi, voici ce que nous devrions chercher à obtenir dans les négociations.

Je tiens toutefois à faire remarquer que vous semblez dire que nous sommes dans une situation désespérée, mais que, à mon avis, nous ne sommes pas si impuissants que vous le dites dans nos rapports avec les États-Unis.

En ce qui a trait aux réfugiés du Salvador et du Guatemala, par exemple, notre taux d'acceptation était très différent de ce qu'il était aux États-Unis à l'époque où les États-Unis, parce qu'ils fournissaient des armes aux gouvernements des deux pays, ne voulaient pas nuire à leur crédibilité en reconnaissant leurs opposants comme des réfugiés et en qualifiant ainsi les gouvernements en question de persécuteurs. C'est pourtant ce que nous avons fait de notre côté.

Vous n'avez qu'à écouter les fonctionnaires du ministère pour tirer vos propres conclusions. Les fonctionnaires disent que la négociation du protocole d'entente leur permet d'exercer une certaine influence sur le système américain de détermination du statut de réfugié. Ils ont peut-être bien raison.

Il s'agit à mon avis d'un domaine où nous pourrions influencer les États-Unis, mais peu importe que nos efforts portent fruit, je crois que nous ne devrions pas moins essayer de les influencer.

La présidente: Si vous me permettez d'intervenir, puisqu'il nous reste encore une minute, je serais curieuse de savoir comment vous vous y prendriez pour que les lignes directrices fassent partie de la Loi sur l'immigration, étant donné qu'elles ne sont pas rédigées sous forme de texte juridique; je considère plutôt qu'il s'agit d'une jurisprudence ou d'un ensemble de recommandations sur ce qui doit guider les membres de la CISR dans leur décision. Pourriez-vous nous expliquer cette recommandation de façon plus détaillée?

Mme Sas: On pourrait, par exemple, ajouter à la Loi sur l'immigration un article précisant que les lignes directrices doivent être suivies dans l'examen des demandes de statut de réfugié. Ce pourrait être aussi simple que cela.

La présidente: Mais vous conserveriez les lignes directrices telles quelles?

Mme Sas: Oui, car si l'on voulait faire plus que cela, il faudrait envisager de modifier la convention, et, comme je l'ai déjà indiqué, c'est là quelque chose que nous ne pourrions pas faire de manière unilatérale. Notre recommandation aurait pour effet de donner force de loi au Canada à ces lignes directrices, qui, à l'heure actuelle, ne sont que des directives.

La présidente: Merci beaucoup. Je tiens à remercier tous nos témoins de leur présence ici ce matin et à les remercier aussi, comme je l'ai déjà dit, pour leur mémoire très informatif. Nous espérons avoir l'occasion de vous rencontrer de nouveau.

Nous invitons maintenant Mme Audrey Macklin à prendre place à la table.

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Chers collègues, nous devons lever la séance, car il y a un vote à la Chambre. C'est la sonnerie de 30 minutes. Nous devons aller voter. Nous pourrions entendre l'exposé du témoin, mais nous n'aurions pas le temps de lui poser des questions. Il vaut mieux lever la séance et demander à Mme Macklin de revenir devant nous.

Merci, chers collègues, de votre présence ici aujourd'hui. La séance est levée.

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