(au nom du ministre de la Santé)
propose que le projet de loi , soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, je suis heureuse d'avoir l'occasion de prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi . Il porte sur un sujet délicat qui touche très personnellement de nombreux Canadiens.
Nous avons débattu de bon nombre des questions fondamentales, mais aujourd'hui, nous débattons du projet de loi qui propose de prolonger de trois ans, jusqu'au 17 mars 2027, l'exclusion temporaire de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale.
Soyons clairs: la question n'est pas de savoir si la maladie mentale peut causer des souffrances irrémédiables et intolérables au même titre que les maladies physiques. Cela ne fait aucun doute. Cependant, nous devons procéder avec prudence et bien faire les choses. Nous devons nous assurer de mettre en place des mesures appropriées dans l'ensemble du pays afin de valoriser et de protéger nos concitoyens les plus vulnérables.
Des préoccupations majeures ont été soulevées par des partenaires, des provinces, des territoires et le milieu médical en ce qui concerne l'état de préparation du système de santé. Dans son dernier rapport, déposé le 29 janvier dernier, le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a conclu que, même si des progrès considérables ont été réalisés pour préparer l'élargissement de l'admissibilité aux personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale, un délai supplémentaire est nécessaire pour que le système de santé puisse fournir en toute sécurité l'aide médicale à mourir dans ces types de cas complexes.
Ces préoccupations doivent être prises en compte avant que nous puissions élargir l'admissibilité aux personnes dont la seule affection sous-jacente est une maladie mentale. Ce travail essentiel est en cours, mais nous devons aussi prendre des mesures pour protéger les personnes vulnérables. À moins que le projet de loi ne soit adopté d'ici le 17 mars 2024, l'exclusion de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir sera automatiquement abrogée. Autrement dit, les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale pourraient être admissibles à l'aide médicale à mourir à partir de cette date, sans que le système soit prêt.
Bien que des progrès aient été réalisés pour soutenir l’évaluation et la prestation sécuritaires de l’aide médicale à mourir dans les cas complexes, ce n’est pas le moment de prolonger l’exclusion, comme le souligne la lettre que nous avons reçue des provinces et des territoires.
Au cours des dernières années, le gouvernement du Canada a collaboré étroitement et prudemment avec ses partenaires pour mettre en œuvre l'aide médicale à mourir. Nous avons adopté une approche compatissante et prudente à cet égard en veillant à l'évaluation sécuritaire de l'aide médicale à mourir dans les cas complexes, y compris lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.
J'aimerais prendre quelques minutes pour souligner certains des principaux domaines dans lesquels des progrès ont été réalisés. Comme l'exigeait l'ancien projet de loi , nous avons nommé un groupe d'experts indépendants ayant pour mandat de formuler des recommandations sur le protocole, l'orientation et les mesures de sauvegarde à appliquer aux demandes d'aide médicale à mourir présentées par des personnes atteintes d'une maladie mentale.
Le rapport final, présenté par le groupe d'experts au printemps 2022, comprenait 19 recommandations à l'intention des gouvernements et des partenaires du système de santé en vue de l'élargissement sécuritaire de l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale. Le groupe d'experts a souligné que les recommandations seraient bénéfiques pour toutes les évaluations et les dispositions visant les cas complexes de la voie 2, même lorsque la maladie mentale n'est pas un facteur. Par ailleurs, le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir, qui a également étudié la question, a conclu que, pour le moment, des travaux supplémentaires sont nécessaires avant d'aller de l'avant.
Les rapports du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir et du groupe d’experts ont tous deux souligné l’importance de la formation et du perfectionnement, d’un encadrement professionnel continu, de l'amélioration de la collecte de données et de leur analyse, d’une consultation en bonne et due forme des Autochtones et d’une surveillance rigoureuse. Le gouvernement a pris ces recommandations très au sérieux et il s’est employé avec diligence à les mettre en œuvre.
En septembre 2022, Santé Canada a convoqué un groupe de travail indépendant composé de cliniciens experts, de juristes et d’experts en réglementation pour élaborer un modèle de normes de pratique en matière d’aide médicale à mourir fondé sur les recommandations du groupe d’experts. Le groupe de travail avait pour mandat de mettre au point des ressources destinées aux autorités réglementaires en vue de l'application des recommandations du groupe d’experts en ce qui concerne les cas complexes d’aide médicale à mourir, entre autres ceux qui ne reposent que sur une maladie mentale. Les efforts du groupe de travail ont abouti à un modèle de norme de pratique en matière d’aide médicale à mourir et à un document complémentaire, le « Document de référence », qui ont tous deux été publiés en mars 2023.
À ce jour, la majorité des provinces et des territoires ont indiqué avoir mis à jour leurs normes de pratique en matière d'aide médicale à mourir ou être en train de les examiner en utilisant comme guide les ressources que j'ai mentionnées. Le « Document de référence » sert à soutenir et à informer les organismes de réglementation, les autorités publiques et les organisations de professionnels de la santé. Il vise à favoriser une approche uniforme et sûre de la pratique de l'aide médicale à mourir partout au Canada.
Par ailleurs, Santé Canada travaille en étroite collaboration avec l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'aide médicale à mourir, ou ACEPA, à un certain nombre d'activités importantes visant à soutenir la préparation des praticiens. Parmi ces activités figure le financement de l’élaboration d’un programme bilingue reconnu à l’échelle nationale sur l’aide médicale à mourir, dans le but de faciliter l’accès à une formation de grande qualité et à une approche normalisée des soins dans ce domaine dans tout le pays, tout en reconnaissant que la prestation des services de santé n'est pas identique dans l'ensemble des provinces et des territoires. À la fin de janvier, plus de 1 100 cliniciens s'étaient déjà inscrits auprès de l'ACEPA pour suivre la formation.
Nous avons appuyé un atelier d'échange de connaissances sur l'aide médicale à mourir et les troubles mentaux qui a eu lieu en juin 2023. L’atelier a réuni des évaluateurs et des fournisseurs de l’aide médicale à mourir ainsi que des psychiatres de partout au pays pour: discuter de l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir pour une raison de maladie mentale seulement; établir un réseau d’échange continu de connaissances; et éclairer les pratiques futures. Des séances supplémentaires d'échange de connaissances sont prévues en mai 2024 et 2025, pour soutenir le partage continu de leçons et des conseils cliniques entre les diverses instances administratives pour l'évaluation des cas complexes, y compris pour les cas où la maladie mentale est la seule affection sous-jacente.
Lorsqu'il est question des critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir, nous devons tenir compte de toutes les situations et de toutes les conséquences. Même si un travail important a bel et bien été accompli, nos partenaires nous ont clairement dit qu'ils ont besoin de suffisamment de temps pour mettre en œuvre des mesures de sauvegarde et répondre aux préoccupations en matière de capacité qui devraient découler de l'élargissement de l'aide médicale à mourir. Comme mon collègue, le , l’a souligné, nous essayons d'harmoniser deux aspects fondamentaux: l’autonomie de la personne pour ce qui est de prendre des décisions dans la dignité au sujet du moment de son trépas, et la protection des groupes et des personnes vulnérables.
À l'approche de la date prévue pour la levée de l'exclusion de l'admissibilité en cas de maladie mentale, les appels à un nouveau report de l'échéance se sont multipliés. Nous savons, grâce à nos efforts de consultation et de communication auprès des intervenants du milieu de la santé, qu'il existe différents niveaux de préparation à la gestion et à l'évaluation des demandes d'aide médicale à mourir lorsque la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale. Toutes les provinces et tous les territoires ont indiqué qu'ils n'étaient pas encore prêts à aller de l'avant. Il reste encore du travail à faire.
Le 29 janvier, le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir a déposé son plus récent rapport, qui porte sur le degré de préparation pour une application sûre de l'aide médicale à mourir pour les personnes dont la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale. Tout en reconnaissant les progrès considérables réalisés dans la préparation de l'élargissement prévu de l'admissibilité, le comité recommande un délai supplémentaire pour assurer que le système de soins de santé peut fournir en toute sécurité l'aide médicale à mourir dans ces cas complexes.
Je tiens à être claire: je comprends que la souffrance liée à une maladie mentale est tout aussi réelle et tout aussi grave que la souffrance liée à une maladie physique. C'est pourquoi nous avons prévu un échéancier précis de trois ans avant la levée de l'exclusion, délai durant lequel les provinces, les territoires et les partenaires du milieu de la santé peuvent continuer leurs travaux, ainsi qu'un engagement ferme de la part des parlementaires d'évaluer les progrès réalisés après deux ans. Ce travail se poursuivra sérieusement, et nous pouvons être assurés que toutes les mesures nécessaires seront en place pour procéder en toute sécurité.
Je sais qu'il y a des gens qui souffrent depuis de nombreuses années sans que leurs souffrances puissent être atténuées et qui pourraient envisager sérieusement l'aide médicale à mourir après mûre réflexion. Le changement annoncé pourrait être une source de grande détresse pour eux. Je tiens à leur dire que nous sommes déterminés à continuer dans la même direction. Toutefois, nous devons le faire de la manière la plus bienveillante, responsable et prudente possible. Le système doit être prêt. Il faut faire les choses correctement. Les conversations que nous avons eues nous indiquent clairement que le système n'est pas encore prêt. Je le répète, nous avons travaillé fort pour que tous les soutiens nécessaires soient en place pour les professionnels de la santé et nos partenaires des provinces et des territoires avant de permettre l'élargissement de l'admissibilité de l'aide médicale à mourir aux personnes dont la seule affection est une maladie mentale. On nous a également dit clairement qu'il faut plus de temps pour se préparer, et c'est pour cela que nous proposons une prolongation de trois ans.
L'existence de modules de formation accrédités à l'échelle nationale pour les évaluateurs des demandes d'aide médicale à mourir et les prestataires de ce service permettrait de nous assurer que les fournisseurs connaissent bien les exigences de la loi et les pratiques cliniques exemplaires. Par contre, il faudra un certain temps aux médecins et aux infirmières praticiennes pour assimiler et intégrer ces normes dans leur pratique.
Les organismes de réglementation provinciaux et territoriaux doivent achever le travail de mise à jour des normes. Ils doivent s'assurer que les cliniciens disposent de la formation nécessaire pour garantir une évaluation sûre et cohérente avant que la maladie mentale soit incluse dans les critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir. Les mécanismes d'évaluation et de soutien existants doivent également être examinés et révisés afin de garantir la mise en place des mesures robustes nécessaires pour ce type de demandes complexes. Sur ce point, nous nous engageons à continuer de soutenir les provinces et les territoires et à aider les partenaires du système à renforcer et à améliorer les services et le soutien en santé mentale, ainsi que la collecte de données, afin de mieux comprendre qui demande l'aide médicale à mourir et pourquoi, ainsi que le soutien et la surveillance appropriés pour les praticiens.
Même si la gestion et la prestation des services de santé, y compris l'aide médicale à mourir, relèvent des provinces et des territoires, un groupe de travail visant à faciliter la communication d'informations et la collaboration permet la participation régulière des provinces et des territoires au sujet de la mise en œuvre de l'aide médicale à mourir. Au sein de ce groupe, les provinces et les territoires participent de façon continue au travail dirigé par le fédéral pour l'établissement de normes de pratique et collaborent avec nous dans l'ensemble du dossier de l'aide médicale à mourir.
Le gouvernement a également fait d'importants investissements dans le but de soutenir les provinces et les territoires dans la prestation de services de santé mentale. Le budget de 2023 a confirmé l'engagement du gouvernement à investir près de 200 milliards de dollars sur 10 ans à partir de 2023-2024 afin d'améliorer les soins de santé pour l'ensemble des Canadiens. Cela comprend une somme de 25 milliards de dollars à l'intention des provinces et des territoires par l'entremise d'ententes bilatérales adaptées et axées sur quatre grandes priorités, dont l'amélioration de l'accès aux services en santé mentale et en toxicomanie, ainsi que l'intégration de ces services à toutes les autres priorités. Cela s'ajoute aux 5 milliards de dollars promis en 2017 pour soutenir les services en santé mentale et en toxicomanie.
Notre gouvernement a aussi investi plus de 175 millions de dollars afin de soutenir la mise en œuvre et le fonctionnement du service 988, qui permettra à tous les Canadiens d'avoir accès à un soutien immédiat et sûr en matière de prévention du suicide et de détresse émotionnelle.
Tandis que l'aide médicale continue d'évoluer, nous devons veiller à fournir au public des renseignements clairs et précis. Nous prenons également très au sérieux les préoccupations soulevées par les personnes qui pourraient être systématiquement désavantagées. C'est pourquoi nous avons élargi la collecte de données sur l'aide médicale à mourir afin de mieux comprendre qui demande l'aide médicale à mourir et pourquoi. Cela comprend la collecte de données sur la race, l'identité autochtone et la situation de handicap. On ne peut diminuer les risques éventuels que si on les connaît.
Nous continuons de collaborer avec les peuples autochtones dans le cadre d'activités dirigées tant par les Autochtones que par le gouvernement, pour mieux comprendre le point de vue des Premières Nations sur l'aide médicale à mourir. En 2025, nous publierons un rapport sur ce que nous aurons entendu. Ce processus contribuera à la transparence, donnera un aperçu du fonctionnement de la loi et rassurera la population au sujet de l'obtention et de la prestation de l'aide médicale à mourir au Canada.
Enfin, tant le Groupe d'experts sur l'aide médicale à mourir et la maladie mentale que le comité parlementaire mixte spécial sur l'aide médicale à mourir ont souligné l'importance des mécanismes d'examen et de surveillance des cas pour appuyer une évaluation et une prestation sûre de l'aide médicale à mourir. La plupart des provinces et des territoires ont déjà mis en place des processus à cette fin, mais d'après ce que nous avons compris, il est possible d'en faire davantage. Nous collaborons avec les provinces et les territoires pour trouver de meilleurs modèles d'examen et de surveillance des cas, en particulier pour les demandes plus complexes, afin d'assurer l'uniformité et la qualité de l'aide médicale à mourir à l'échelle du Canada.
Je reconnais que l'aide médicale à mourir est une question complexe associée à des croyances et à des opinions bien enracinées. Je comprends les préoccupations qui ont été exprimées en ce qui concerne l'élargissement de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale. La mesure législative proposée donnerait aux médecins plus de temps pour se familiariser avec la formation et les mesures de soutien offertes et donnera également à la population le temps de prendre connaissance des robustes mesures de sauvegarde et processus qui sont en place.
Le gouvernement du Canada s'est également engagé à ce qu'un comité parlementaire mixte entreprenne une étude approfondie du régime d'aide médicale à mourir dans les deux ans suivant l'obtention de la sanction royale. Cette mesure permettrait d'examiner les progrès accomplis par les provinces, les territoires et les différents partenaires en vue de préparer les systèmes de soins de santé.
Entre-temps, le gouvernement continuera à collaborer avec les provinces et les territoires pour appuyer les améliorations constantes apportées au système et veiller à ce que les lois protègent les personnes vulnérables, reflètent les besoins de la population canadienne et favorisent l'autonomie et la liberté de choix. C'est pourquoi, après de longues délibérations, nous avons présenté le projet de loi visant à prolonger jusqu'au 17 mars 2027 l'exclusion temporaire de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.
En d'autres termes, nous avons besoin de plus de temps pour bien faire les choses. J'invite tous les députés à appuyer le projet de loi .
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Madame la Présidente, nous revoilà dans la même situation qu'en février dernier. Nous sommes confrontés à une date limite arbitraire fixée par les libéraux pour leur plan radical visant à élargir l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale. Le gouvernement libéral n'est pas du tout préparé et, par conséquent, il doit présenter un projet de loi à la dernière minute pour repousser la date limite de mise en œuvre qu'il a lui-même fixée.
Je ne peux pas me rappeler un autre moment où un gouvernement a dû présenter deux mesures législatives d’urgence afin de repousser la date limite de la mise en œuvre de sa propre loi. C'est vraiment chaotique. Qu'ont fait les libéraux pour que nous en arrivions là? En termes simples, nous avons un gouvernement radical et irresponsable qui fait passer une idéologie aveugle avant la prise de décisions fondées sur des données probantes. Cette tendance a été constante dans les décisions que le gouvernement a prises au sujet de ce projet d'élargissement de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir. Tout a commencé avec David Lametti, l’ancien ministre de la Justice, qui a accepté un amendement radical du Sénat en 2021 afin de mettre en œuvre l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale puis, qui a fixé un délai arbitraire de deux ans pour sa mise en œuvre.
Il convient de souligner que l'énoncé concernant la Charte relatif au projet de loi pour lequel le ministre Lametti a accepté l'amendement radical du Sénat expliquait pourquoi il fallait exclure la maladie mentale des motifs donnant accès à l'aide médicale à mourir. Le ministre avait dit à l'époque que le gouvernement et lui ne voulaient pas que les problèmes de santé mentale donnent accès à l'aide médicale à mourir en raison de risques et problèmes inhérents. Il avait bien raison, mais il a soudainement fait volte-face et forcé l'adoption de cet amendement sans véritable débat, à peine une journée et demie y ayant été consacrée. Il n'y a pas eu d'étude parlementaire, pas de consultations auprès des experts et des groupes concernés et pas de preuves indiquant que l'aide médicale à mourir peut être offerte de façon sûre et appropriée dans les cas de maladie mentale.
Les libéraux ont tout fait de travers. Au lieu d'étudier la question d'abord afin de déterminer si cette mesure peut être mise en œuvre de façon sécuritaire, ils ont décidé de foncer tête baissée et d'étudier la question dans un second temps. S'ils avaient abordé cette question de façon responsable, ils auraient compris très rapidement qu'élargir l'aide médicale à mourir aux cas de maladie mentale présente des problèmes cliniques, juridiques et éthiques importants.
Parmi ces problèmes, il y a deux problèmes cliniques fondamentaux. Tout d'abord, il est difficile de prédire le caractère irrémédiable d'une maladie mentale. Autrement dit, il est difficile de prédire si une personne ayant un problème de santé mentale sous-jacent ira mieux. Cela pose problème à deux égards.
Il y a d'abord l'aspect juridique. Aux termes du Code criminel, pour être admissible à l'aide médicale à mourir, une personne doit avoir un problème de santé irrémédiable. Plus précisément, un problème de santé irrémédiable est défini comme une situation où la personne est atteinte d'une maladie ou d'une affection incurable et est dans un état de déclin irréversible. S’il n’est pas possible de déterminer avec précision qu’une personne atteinte d’une maladie mentale est dans un état de déclin irréversible et ne se rétablira pas, alors comment l’aide médicale à mourir peut-elle être administrée conformément à la loi aux personnes ayant des problèmes de santé mentale? C'est impossible.
Plus important encore, d’un point de vue éthique, s’il est difficile de prédire si une personne ira mieux, il est certain que des personnes qui pourraient aller mieux verront leur vie prématurément se terminer. Or, ces personnes pourraient mener une vie saine et productive. On l'a d'ailleurs souligné dans les témoignages entendus par le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir lors de son étude initiale, il y a deux ans, et lors de son étude plus récente, l'automne dernier. Des témoins ont expliqué au comité mixte spécial que les cliniciens peuvent se tromper sur la prévisibilité du caractère irrémédiable dans 50 % des cas. Autrement dit, c'est comme tirer à pile ou face avec la vie des gens. Est-ce un risque que les députés sont prêts à prendre?
Lorsque j'ai posé la question à la , elle a essentiellement répondu par l'affirmative. En trois ans seulement, elle a redoublé son appui à un élargissement de l'aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale. Tirer à pile ou face, jouer avec la vie des gens: voilà ce qui résultera de l'aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale.
Un deuxième problème fondamental est la difficulté qu'éprouvent les cliniciens à faire la distinction entre une demande rationnelle d'aide médicale à mourir et une demande motivée par des idées suicidaires. Cela est mis en évidence par le fait que, dans 90 % des décès par suicide, les personnes souffrent d'un trouble mental pouvant être diagnostiqué, sans compter que les pensées suicidaires sont souvent un symptôme de troubles mentaux. C'est pourquoi les psychiatres qui ont comparu devant le comité mixte spécial ont dit qu'il n'est pas possible de faire la distinction entre l'aide médicale à mourir pour les maladies mentales et le suicide. À tout le moins, l'aide médicale à mourir en cas de maladie mentale brouille considérablement les limites entre la prévention du suicide et la facilitation du suicide. Cela change fondamentalement la nature de l'aide médicale à mourir en la transformant en quelque chose qui s'apparente au suicide facilité par l'État. Cela montre à quel point nous nous sommes engagés sur une pente glissante sous le gouvernement libéral.
Pour paraphraser les propos de la , elle a affirmé qu'il existait des mesures de sauvegarde strictes, en ce sens que les personnes atteintes d'une maladie mentale ne pourraient être admissibles qu'après avoir reçu des traitements pendant des années sans voir leur état s'améliorer. Cependant, ce n'est tout simplement pas exact; aucune loi proposée par les libéraux ne contient de telles garanties. En fait, le groupe d'experts que les libéraux ont nommé a recommandé, chose incroyable, qu'il n'y ait pas de garanties supplémentaires. Par conséquent, dans le cadre de l'élargissement de l'aide médicale à mourir, il n'est tout simplement pas vrai qu'une personne doive suivre des traitements ou qu'elle doive souffrir pendant une période prolongée avant de pouvoir y être admissible. En fait, les libéraux ont expressément rejeté ces garanties supplémentaires.
Au vu de ces obstacles politiques, les conservateurs ont demandé aux libéraux de suspendre l'élargissement pour une durée indéterminée. De même, à l'approche de la date limite de mise en œuvre — fixée arbitrairement à mars 2023 par les libéraux —, les directeurs des départements de psychiatrie des 17 facultés de médecine ont demandé aux libéraux de suspendre cet élargissement.
Qu'ont fait les libéraux? Ils ont essentiellement remis les choses à plus tard. Ils ont présenté le projet de loi , qui a tout simplement fait passer la date limite de la mise en œuvre de mars 2023 à mars 2024. Autrement dit, les libéraux ont encore une fois privilégié l'idéologie au détriment des données probantes, en prenant une mesure qui revenait à une décision politique assortie d'un nouveau délai arbitraire.
Près d'un an plus tard, où en sommes-nous dans la résolution des problèmes fondamentaux concernant la mise en œuvre sécuritaire de l'aide médicale à mourir en cas de maladie mentale? Il n'y a eu aucun progrès.
En effet, les psychiatres qui ont témoigné devant le comité mixte spécial ont dit très clairement que nous ne devrions pas aller de l'avant. Cet élargissement n'est pas sécuritaire et il ne peut pas être mis en œuvre de façon appropriée. Le gouvernement doit adopter une approche responsable en reconnaissant qu'il s'est tout simplement trompé et en suspendant indéfiniment l'élargissement prévu.
Il n'est pas étonnant que, devant ces défis, un consensus professionnel se dégage contre l'élargissement. Nous l'avons constaté la semaine dernière, lorsqu'un sondage de l'Association des psychiatres de l'Ontario a été publié. On peut y lire que 80 % des psychiatres de l'Ontario ne pensent pas que le système de santé au Canada peut mettre en œuvre de façon sécuritaire l'aide médicale à mourir en cas de maladie mentale. La semaine dernière, 7 ministres provinciaux de la Santé sur 10, ainsi que les ministres de la Santé des trois territoires, ont demandé aux libéraux de suspendre indéfiniment l'élargissement de cette procédure.
Quelle a été la réaction des libéraux? Une fois de plus, ils ont remis les choses à plus tard avec le projet de loi , dont nous sommes saisis. Ils ont fait fi de l'avis des experts, des provinces et des territoires, et du bon sens. Ce projet de loi est essentiellement le même que celui dont nous avons débattu il y a un an. Au lieu d'un délai d'un an, il prévoit un délai de trois ans, alors que rien ne laisse croire que les problèmes cliniques fondamentaux peuvent être résolus. Ces problèmes incluent la prédiction du caractère irrémédiable de la condition invoquée et la distinction entre une demande suicidaire et une demande rationnelle.
Le gouvernement nous dit d'ignorer les données. La a déclaré qu'il n'y avait même pas lieu d'en débattre, que le gouvernement ne voulait pas parler de données dans le cadre du présent débat. En substance, elle a affirmé qu'il fallait ignorer le caractère irrémédiable de la condition invoquée. En fin de compte, nous avons un gouvernement libéral qui est déterminé à mettre en œuvre la politique radicale qui va à l'encontre d'un consensus parmi les psychiatres et d'autres défenseurs.
En effet, pour donner un aperçu de l'état d'esprit qui règne de l'autre côté de l'allée, je souligne que, la semaine dernière, lors d'une conférence de presse, le a déclaré qu'il y avait un impératif moral à se préparer à offrir l'aide médicale à mourir dans les cas où la condition invoquée est la maladie mentale. Quel est cet impératif moral? S'agit-il de renoncer à aider les personnes qui luttent contre la maladie mentale? S'agit-il d'offrir la mort aux personnes qui luttent contre des problèmes de santé mentale en leur fournissant l'aide médicale à mourir?
Est-ce vraiment ce que les libéraux considèrent comme un impératif moral? J'y vois davantage la marque de leur déchéance morale après huit ans sous la gouverne du .
Quand les libéraux parlent de l'aide médicale à mourir en lien avec la maladie mentale, ils s'expriment toujours de façon très vague. Ils savent que la plupart des Canadiens seraient tout à fait horrifiés s'ils prenaient pleinement conscience de ce que signifie l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale. Le a fait allusion, je crois, à la norme de pratique modèle élaborée par le soi-disant groupe de travail formé d'experts mis en place par le gouvernement. Selon cette norme de pratique, on considérerait comme un trouble mental tout ce qui figure dans le DSM‑5. Pour déterminer quels troubles de santé mentale rendraient une personne admissible à l'aide médicale à mourir, les libéraux envisagent d'inclure tous les troubles figurant dans le DSM‑5.
Que trouve-t-on dans le DSM‑5? Il y est notamment question de troubles de la personnalité, de dépression, de schizophrénie et de troubles liés à des dépendances. Voilà de quoi parlent les libéraux quand il est question de donner accès à l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale. C'est absolument révoltant, c'est profondément immoral, et cela met en évidence tout ce que les Canadiens doivent savoir à propos des valeurs des libéraux.
Il n'y a qu'une seule bonne nouvelle dans tout cela, et c'est que ce projet de loi met sur la glace l'élargissement de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir pour trois ans et qu'entre aujourd'hui et la fin de ces trois années, il y aura des élections fédérales. Les Canadiens auront le choix. Ils pourront choisir entre un gouvernement libéral qui veut offrir la mort aux personnes qui sont aux prises avec une maladie mentale ou un gouvernement conservateur du gros bon sens qui n'abandonnera personne, qui s'engagera à donner de l'espoir et à offrir des soins aux personnes qui sont aux prises avec une maladie mentale et qui mettra fin une bonne fois pour toutes à cette expérience libérale radicale qui met en jeu la vie des Canadiens vulnérables.
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Madame la Présidente, je n'aurais jamais pensé me retrouver dans un débat sur l'aide médicale à mourir à la Chambre et revivre ce que nous avons vécu lorsque nous avons adopté le projet de loi , une mauvaise loi. Je n'aurais jamais pensé que les libéraux se retrouveraient dans la même position et feraient preuve du même manque de courage qu'avec le projet de loi C‑14, qui était prescrit par l'arrêt Carter-Taylor.
Le Québec avait adopté sa loi concernant les soins de fin de vie avant l'arrêt Carter. Dans l'arrêt Carter, on a statué que le Québec devait réviser sa loi parce qu'il fallait couvrir davantage que les seules questions de fin de vie. On indiquait aussi au Parlement canadien, qui n'avait jamais réfléchi à cela, qu'il devait régler non seulement la question des phrases terminales de vie, mais aussi la question des maladies dégénératives, dont souffraient notamment Mmes Carter et Taylor. Mme Carter était atteinte de sténose spinale, et Mme Taylor, de sclérose latérale amyotrophique. Dans l'arrêt, on a statué que le Parlement devait légiférer parce qu'on portait atteinte à leur droit à la vie.
Pourquoi portait-on atteinte à leur droit à la vie? Le droit à la vie n'est pas un petit droit. Cela devrait intéresser les conservateurs, qui sont pro-vie. Moi aussi je le suis, en ce sens-là. On portait atteinte au droit à la vie parce que ces gens devaient écourter leur vie alors qu'ils auraient voulu vivre jusqu'au moment où leur souffrance franchirait le seuil de l'intolérable.
Comme députés du Parlement, comme représentants de l'État et du peuple, notre devoir n'est pas de décider à la place du patient, relativement à une question aussi intime que celle de sa mort, ce qui est son bien. Le rôle de l'État, c'est de pouvoir assurer les conditions d'exercice du libre choix, un choix libre et éclairé. C'est le rôle de l'État. Sinon, on tombe dans le paternalisme d'État.
J'invite mon collègue conservateur à faire un peu de lecture dans le domaine de l'éthique clinique, et à ne pas se limiter à ce que disent les psychiatres de l'Ontario. On sait que les psychiatres sont divisés sur la question. Or, s'il y a un domaine où le paternalisme médical règne encore, c'est bien en psychiatrie. Jamais on n'aurait connu les avancées qu'on a connues en matière d'éthique clinique si le paternalisme médical en général était encore omnipuissant.
Qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'on redonne au patient un contrôle sur sa fin de vie? C'est dans la littérature bioéthique qu'on découvre cela. Il s'est passé que des médecins atteints de cancer à l'époque ont dit non à un traitement. Il y a une bonne pratique médicale maintenant, alors qu'à l'époque, il y avait de l'acharnement thérapeutique. Les médecins ont dit qu'ils voulaient vivre les deux années qu'il leur restait sans avoir à subir des traitements qui allaient les invalider. Ils ont dit qu'ils voulaient passer du temps de qualité avec leurs proches. Il a fallu que des médecins atteints du cancer revendiquent la possibilité pour le patient de discuter avec son médecin. Dans les années 1960, il y a des patients qui apprenaient qu'ils étaient atteints de façon incurable et qu'ils étaient au bout du rouleau quand le curé rentrait pour donner l'extrême-onction dans la chambre. Ils n'avaient même pas été avertis qu'ils étaient en phase terminale. C'était le paternalisme médical.
Avec le temps, on a donc acquis le droit de mourir. Le patient a acquis le droit de mourir et la possibilité de mettre de côté l'acharnement thérapeutique. C'est là que sont apparus les soins palliatifs, qui sont si chers à mes amis conservateurs. Avant cela, les soins palliatifs, cela s'appelait de l'euthanasie passive. Ce n'était pas permis.
Le paternalisme médical a été mis de côté progressivement. Qu'est-ce que cela a donné?
Cela a donné le droit au refus de traitement vital, à la cessation de traitement. Ce sont tous des acquis qu'on a actuellement.
Or, on est devant un projet de loi qui remet aux calendes grecques la souffrance des personnes atteintes d'un trouble mental sévère et dont aucun traitement n'a pu régler leurs souffrances. Ce n'est pas rien. Elles ont passé 10, 20, 30 ans à souffrir, à essayer de multiples traitements, à se retrouver stigmatisées par la société dans laquelle elles vivent.
On est capable d'établir la capacité décisionnelle des personnes atteintes d'un trouble mental sévère. Face aux personnes qui ont une capacité décisionnelle, la cour nous dit qu'il serait discriminatoire et stigmatisant que, parce qu'elles sont atteintes d'un trouble mental sévère pour lequel la psychiatrie est incapable d'altérer leurs souffrances correctement ou de les soulager, on leur dise ce qui est bien pour elles, de continuer à souffrir éternellement et que la psychiatrie n'a à leur offrir qu'un couloir de soins palliatifs ad vitam æternam. Voilà ce dont on parle aujourd'hui.
Je vais me calmer. C'est que j'ai entendu des absurdités tout à l'heure.
Là, qu'arrive-t-il? Il y a eu le projet de loi qui était quand même assez prudent. Il se donnait un délai de deux ans pour la création d'un comité d'experts. Qui a lu le rapport du comité d'experts à la Chambre? Qui l'a lu avant de voter? C'est le deuxième vote qu'on a à ce sujet. Il faut lire le rapport du comité d'experts. Certes, l'aspect irrémédiable est quelque chose de difficile à mettre en place. Effectivement, on admet qu'il y a une difficulté supplémentaire; le rapport d'experts met justement en place des balises. Voilà ce dont il est question.
Là, les libéraux nous arrivent aujourd'hui après avoir mis une clause qui disait qu'on allait travailler pendant deux ans avec un comité d'experts et qu'on mettrait en place un comité mixte. Le problème, c'est que le comité mixte a toujours été mis en place à la dernière minute, trop près des échéances.
Quand nous avons remis notre rapport la dernière fois, nous avons été obligés de dire qu'avant d'aller de l'avant au sujet des troubles mentaux, il faudrait pouvoir évaluer l'état du terrain. J'ai été obligé de dire, même si je pense qu'il y a des balises intéressantes et que les normes de pratiques qui ont été élaborées par le groupe qui devait y travailler sont intéressantes, qu'il manquait encore un peu de temps. Tous les gens nous l'ont dit, le Collège des médecins du Québec l'a aussi dit — je vais parler tantôt de ses critères et de ses balises pour procéder qui sont intéressants.
Comment se fait-il que, il y a un an, on se donnait un an comme délai et qu'on pensait que cela serait suffisant? Alors que plein de travail a été fait pendant cette année, on dit qu'on va remettre cela en 2027.
Là, on a vu ce que les conservateurs viennent de dire: on peut oublier cela s'ils prennent le pouvoir, ils mettront fin à cela ad vitam æternam. Donc, ad vitam æternam, des gens vont continuer de souffrir de façon intolérable parce que la psychiatrie n'est pas capable de soulager leurs souffrances autrement qu'en les mettant dans un état débilitant, et nous trouvons cela moral. Je ne sais pas où est la morale là-dedans. Il y a des gens qui ont la morale élastique. En tout cas, elle n'a pas à voir avec la souffrance.
Quand des gens prétendent qu'un dépressif pourrait avoir accès à l'aide médicale à mourir, c'est faux. Ce n'est pas parce qu'on fait une demande d'aide médicale à mourir qu'on va y avoir accès. Les évaluateurs vont faire leur travail. Stefanie Green disait qu'une personne en crise suicidaire n'est pas admissible à l'aide médicale à mourir. Donc, la personne qui lèverait la main, parce qu'on permet l'ouverture des troubles mentaux à l'aide médicale à mourir, en disant qu'elle veut l'aide médicale à mourir, n'aurait pas accès à cela parce qu'elle n'a jamais été prise en charge.
Par contre, il y aurait une vertu préventive parce qu’on pourrait la prendre en charge à ce moment-là. C'est faux de dire que 90 % des gens qui avaient des idées suicidaires et qui se suicident ont été pris en charge. Non, ces gens ne sont pas pris en charge. Très souvent, lorsque les gens se suicident, on n'a pas vu cela venir du tout.
Que va-t-on faire? Que vont faire les conservateurs avec des gens désespérés et souffrants qui ont espoir actuellement que nous allons entendre leur souffrance et trouver une solution pour que ça se fasse dans les règles de l’art? Qu’est-ce qu’on pense que ces gens vont faire dans le désespoir? Le suicide est-il moralement acceptable? Le suicide, c’est l’échec du système et de notre société. Jamais je n’accepterai le suicide, jamais. C’est pour ça, quand on parle d’aide médicale à mourir, qu’on n’est pas du tout dans le même registre.
En état de crise suicidaire, on n’a pas le droit. Quand on est nouvellement pris en charge et diagnostiqué, on n’a pas le droit. La demande repose sur des vulnérabilités structurelles. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre et qu’on n'a pas accès aux soins qu’on va pouvoir avoir accès à l’aide médicale à mourir. On n’y aura pas accès, parce qu’il va falloir qu’on ait essayé tous les traitements possibles. Quelqu’un qui refuserait sans justification les traitements qui pourraient améliorer sa condition ne sera pas admissible. S’il existe des traitements accessibles et efficaces et que la personne les refuse, elle n’est pas admissible. Si les évaluateurs ne sont pas capables de s’entendre sur le fait qu’on satisfait à ces critères, on n’est pas admissible non plus.
Le Collège des médecins du Québec nous a dit qu'il est encore à l'étape de la discussion, qu’il a mis en place ses balises et qu’il a encore besoin de temps pour qu’un jour, on puisse y arriver. Moi, je pense que le délai d’un an aurait été suffisant, sinon on abandonne, on est hypocrite et on laisse la chance jouer. C’est pile ou face.
Les libéraux ont besoin de travailler fort s’ils veulent gagner les élections, sinon ils vont laisser le sort de personnes qui souffrent entre les mains de gens qui viennent de nous dire aujourd’hui qu’il n’en est pas question; vive la souffrance ad vitam aeternam, eux savent ce qui est moral et bien pour ces gens.
Voici ce que dit le Collège des médecins du Québec: « la décision d’accorder l’aide médicale à mourir dans un cas de trouble mental doit être prise au terme d’une évaluation globale et juste de la situation de la patiente ou du patient, et non uniquement s’inscrire dans un épisode de soins. » On parle d'un laps de temps; il faut établir la chronicité du problème.
Le Collège énonce une deuxième balise importante: « il ne doit pas y avoir d’idéation suicidaire, comme dans un cas de trouble dépressif majeur. » Ce serait peut-être intéressant que ceux qui siégeaient au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir entendent ça. Pourtant, ils étaient dans le même comité que moi. Ça a été dit au Comité.
On est loin de la question du de l’opposition de la démagogie, qui se lève à la Chambre et qui pose la question au , à l’heure de grande écoute, à savoir que les gens ont de la misère à joindre les deux bouts, qu’ils sont dépressifs, et ce qu’a à offrir le premier ministre, c’est l’aide médicale à mourir. Ça fait dur.
Comme troisième critère, le Collège affirme que « la souffrance psychique intense et continue, confirmée par des symptômes [graves] et une atteinte du fonctionnement global, est présente sur une longue période et enlève à la patiente ou au patient tout espoir d’allègement quant à la lourdeur de sa situation. Cela l’empêche de se réaliser dans un projet de vie et fait perdre toute signification à son existence. »
Les experts nous disent qu’ils ne peuvent pas, de façon catégorielle, quand il s’agit de mesurer l’irrémédiabilité et le degré de souffrance, y aller de façon à appliquer cela comme une catégorie. Il faut y aller au cas par cas. Toutes les questions d’éthique clinique, en termes d’évaluation clinique, s'examinent au cas par cas. Maintenant, c’est comme si le cas par cas était l’enfer et que ce n’était pas un processus rigoureux. C’est très rigoureux.
Voici la quatrième condition: « […] on doit être en présence d’un long parcours de soins, avec des suivis appropriés [...] » On doit avoir eu accès à des soins. Si on n'a pas eu accès à des soins, on n'a pas accès à l'aide médicale à mourir pour un trouble mental. Il me semble que nous avons vécu la même chose en comité. Nous avons entendu les mêmes critères.
À un moment donné, il faut avoir le courage de nos convictions. Ma conviction, c'est que nous devons soulager les gens qui souffrent de façon intolérable et qui sont à bout et que nous ne devons pas décider à leur place de leur existence et de la qualité de leur vie. C'est à eux de décider ce qui est tolérable ou intolérable.
Quand on me parle d'une pente glissante, c'est comme si tous les intervenants du domaine de la santé étaient malfaisants d'entrée de jeu. Pourtant, il faut être bienveillant pour travailler dans le domaine de la santé. À ce que je sache, être admis en médecine, ce n'est pas quelque chose qui se fait facilement. J'imagine que les critères de sélection sont assez intéressants et rigoureux. C'est la même chose pour les soins infirmiers.
Voici la cinquième condition: « [...] une évaluation multidisciplinaire des demandes [des travailleurs sociaux] doit avoir été faite, en présence essentielle du médecin ou de l’infirmière praticienne spécialisée [...] en santé mentale ayant assumé le suivi de la personne [...] » On parle ici d'un suivi, pas d'un épisode. On ne peut pas simplement obtenir l'aide médicale à mourir en déclarant que sa vie n'a plus de sens. Faire une demande ne signifie pas qu'on est admissible.
Le Collège des médecins du Québec conclut en disant ceci: « Avec le respect de ces balises, nous estimons que les personnes souffrant d’un trouble sévère et irréversible de santé mentale pourraient bénéficier, elles aussi, de l’aide médicale à mourir. Il faut éviter que des personnes qui n’ont pas accès aux soins appropriés, qui ne jugent pas acceptables les services offerts, par exemple l’hébergement prolongé sans perspective de regagner davantage d’autonomie, optent en désespoir de cause pour l’aide médicale à mourir. »
C'est tout le contraire du charabia qu'on nous a présenté tantôt. On nous a dit que c'était le musée des horreurs, qu'on était en face d'experts et de médecins qui voulaient tout simplement porter atteinte à l'intégrité physique des gens. Il faut faire attention.
Pour avoir accès à l'aide médicale à mourir, il faut d'abord en faire une demande et ensuite, cela prend un consentement éclairé. En ce qui a trait au trouble mental, présentement, sur le terrain, on évalue tous les jours la capacité décisionnelle des gens aux prises avec un trouble mental et une comorbidité, une maladie qui les entraîne vers la phase terminale. On admet effectivement qu'ils sont capables de décider et de consentir à l'aide médicale à mourir. Il n'est pas nouveau pour les praticiens de l'aide médicale à mourir de déterminer la capacité décisionnelle des personnes qui ont un trouble mental. Ce n'est pas parce qu'une personne a un trouble mental qu'il faut qu'on porte atteinte à son autodétermination et à sa capacité décisionnelle. Cela s'appelle de la discrimination et de la stigmatisation.
Quand les gens me disent qu'ils veulent protéger les personnes vulnérables, je me demande qui est plus vulnérable qu'une personne qui souffre depuis des décennies d'un trouble mental et qui a essayé tous les traitements. Qui de plus vulnérable qu'une telle personne qui est aux prises avec un psychiatre paternaliste — je me mesure mes mots — qui pense savoir mieux que son patient quel traitement il doit recevoir, et qui l'incarcère ad vitam aeternam à l'intérieur d'un couloir voué aux soins palliatifs parce que c'est trop pour lui d'admettre qu'il ne peut pas soulager son patient?
En comité, j'ai posé la question à des psychiatres qui venaient nous dire que nous faisions fausse route. Ils ont admis que, en 25 ou 30 ans de pratique, ils échappaient certains patients. C'est pour ce petit groupe de personnes qu'on échappe en psychiatrie qu'il faut effectivement permettre cette ouverture. Il faut avoir un peu d'humanisme ici à la Chambre.
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Madame la Présidente, je suis heureux de prendre la parole à la Chambre aujourd'hui pour participer au débat sur le projet de loi . Pardonnez-moi si j'ai une impression de déjà vu en ce moment, car, il y a précisément un an, en février 2023, la Chambre se trouvait dans une situation similaire avec le projet de loi précédent, le projet de loi .
Ce projet de loi, bien entendu, a prolongé le délai de mise en œuvre de l'acceptation des troubles mentaux comme seule condition médicale sous-jacente pour accéder à l'aide médicale à mourir. Ce projet de loi a retardé d'un an l'entrée en vigueur de la loi. Par conséquent, nous nous trouvons dans une situation où nous approchons de la date limite, qui est le 17 mars 2024.
Pour entrer un peu dans les détails du contenu du projet de loi , il ne s'agit pas d'une mesure très complexe. Il doit être clair que le projet de loi lui-même ne revient pas sur la question qui a été soulevée pour la première fois par le projet de loi . Je reviendrai sur le projet de loi C‑7 dans un instant. Le projet de loi dont nous sommes saisis vise à retarder davantage l'acceptation des troubles mentaux comme seule condition médicale sous-jacente pour avoir accès à l'aide médicale à mourir jusqu'au 17 mars 2027, c'est-à-dire dans trois ans.
J'estime aussi que l'ajout d'une exigence législative voulant que le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir doive procéder à un examen avant la mise en œuvre de ce changement, de sorte qu'un comité composé de députés et de sénateurs puisse déterminer si notre pays est prêt avant la date butoir, est un aspect important du projet de loi.
Je siège à ce comité depuis sa création lors de la 43e législature. Personnellement, je dois dire que je suis très heureux que le projet de loi renferme cette exigence législative et, surtout, que le comité ait le temps qu'il aurait dû avoir pour examiner cet enjeu extrêmement complexe et délicat avant l'entrée en vigueur de ce régime. Avoir eu plus de temps dans les étapes précédentes du processus législatif aurait été une très bonne chose.
Je pense qu'il est important de revenir un peu en arrière pour voir comment nous en sommes arrivés là. En tant que membre du comité mixte spécial, j'ai eu l'impression que nous essayions de faire du rattrapage par rapport à un changement apporté à la loi avant que nous ayons la possibilité de nous pencher sérieusement sur le sujet.
Le projet de loi , présenté au cours de la 43 e législature, était, bien sûr, la réponse du gouvernement du Canada à la décision Truchon. Elle a créé une voie distincte dans le Code criminel pour les personnes dont la mort n’était pas naturellement prévisible. Avant cela, il fallait être atteint d'un problème de santé dont la mort naturelle était prévisible. Donc, essentiellement, c'était pour les personnes atteintes d'un cancer en phase terminale, qui éprouvaient de grandes souffrances, et cetera.
Cependant, il est important de souligner que lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi pour la première fois, il y avait déjà des questions à ce moment-là, avant le dépôt du projet de loi, sur ce qu'il fallait faire pour les personnes atteintes d'une maladie mentale qui, dans certains cas — comme mon collègue l'a souligné —, souffrent depuis des décennies, et pour qui les traitements n'ont pas fonctionné. Que devions-nous faire dans ces cas-là?
D'entrée de jeu, le gouvernement était légalement tenu d'accompagner la mesure législative d'un énoncé concernant la Charte. Or, les troubles mentaux étaient expressément exclus de la version initiale du projet de loi . Selon moi, le gouvernement a fourni à l'époque un énoncé concernant la Charte plutôt bien étayé. On savait qu'exclure les troubles mentaux pouvait faire intervenir deux articles majeurs de la Charte des droits et libertés, à savoir l’article 7, qui porte sur la sécurité de la personne et qui indique essentiellement que chacun a le droit de décider quoi faire de son propre corps, et l’article 15, qui porte sur le droit à l’égalité et qui indique que la loi doit s’appliquer à tous sans distinction. Ainsi, l'exclusion risquait d'enfreindre ces deux articles.
Dans son énoncé concernant la Charte, le gouvernement a indiqué ceci:
D’abord, les données probantes démontrent qu’il est particulièrement difficile d’évaluer la capacité décisionnelle des personnes qui sont atteintes d’une maladie mentale qui est suffisamment grave pour justifier la présentation d’une demande d’aide médicale à mourir, et le risque d’erreur est élevé lors d’une telle évaluation. Ensuite, il est généralement plus difficile de prévoir l’évolution d’une maladie mentale que l’évolution d’une maladie physique. Enfin, l’expérience récente dans les quelques pays où l’aide médicale à mourir est permise (Belgique, Pays‑Bas et Luxembourg) a soulevé quelques préoccupations.
C'était la position initiale du gouvernement sur le projet de loi .
La Chambre a adopté le projet de loi , qui a été renvoyé au Sénat. Là, pour des motifs qui demeurent obscurs à mes yeux, le gouvernement a décidé d'accepter, essentiellement à la dernière minute, un amendement qui a eu d'importantes répercussions pour le projet de loi. En gros, le Sénat a renversé la position d'origine du gouvernement concernant l'admissibilité des troubles mentaux dans le cas de l'aide médicale à mourir.
Le gouvernement a accepté l'amendement du Sénat. Bien entendu, comme le projet de loi avait été amendé, il a dû être renvoyé à la Chambre, où le gouvernement est parvenu de peine et de misère à recueillir suffisamment de votes pour le faire adopter.
Nous, les parlementaires, avons donc hérité d'une loi qui avait été modifiée avant le dur travail consistant à mener des consultations et des recherches appropriées, et à discuter de la question avec des témoins experts et des représentants des systèmes de santé qui étaient les principaux responsables de superviser le changement dans la loi.
Un groupe d'experts a effectivement été formé. Le comité mixte spécial s'est réuni. Bien entendu, ses travaux ont été interrompus par le déclenchement inutile d'élections à l'été 2021. On a ainsi perdu un temps très précieux car, bien entendu, il a fallu attendre la convocation de la 44e législature.
Cependant, il est important de comprendre que tout ce qui s'est passé depuis lors découle du fait que le gouvernement a accepté l'amendement du Sénat. Comme je l'ai dit, j'ai l'impression — et je pense que l'impression d'un membre du comité mixte spécial a une certaine validité à la Chambre — que nous avons essayé de faire du rattrapage depuis ce moment-là.
La période pendant laquelle j'ai siégé au comité mixte spécial n'a pas été de tout repos. Il ne s'agit pas d'un sujet facile à traiter, car les opinions des personnes ayant une expérience vécue et celles des professionnels vont vraiment d'une extrémité du spectre à l'autre. Il peut être assez difficile pour un parlementaire de s'y retrouver et d'essayer de comprendre les arguments juridiques et médicaux complexes qui sous-tendent la question, mais c'est important.
Personnellement, je dirais que, dans le cadre de mon travail au sein du comité, j'ai vraiment eu de la difficulté à trouver un équilibre entre deux concepts qui semblent parfois s'opposer. Je crois fermement en la Charte canadienne des droits et libertés. Je pense qu'il s'agit d'un document très important dans l'histoire du Canada, et je crois que nous devons respecter le droit d'une personne de décider de ce qu'elle fait de son propre corps. Cependant, mon système de croyances a toujours eu du mal à concilier ce droit avec un autre concept, à savoir que la société se trouve parfois dans une position où il est nécessaire qu'elle intervienne pour protéger ses membres les plus vulnérables. Je pense que ces deux thèmes ont été repris non seulement par moi, mais aussi par de nombreux témoins qui ont comparu devant notre comité et dans les nombreux mémoires que nous avons reçus.
Je tiens également à souligner que le comité mixte spécial s'est réuni à deux reprises au cours de la présente législature. Nous avons présenté notre deuxième rapport en février de l'an dernier en vue de l'étude du projet de loi . À l'époque, le mandat du comité était guidé par cinq thèmes que nous devions examiner, et l'aide médicale à mourir dans les cas où le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale était l'un d'entre eux. Bien sûr, le comité s'est réuni de nouveau après l'adoption du projet de loi , mais, comme l'a souligné mon collègue de , le délai était extrêmement court. Ce délai ne rendait pas justice à l'extrême complexité de la question, qui nécessitait une réflexion plus longue.
Pour que les choses soient bien claires pour les gens qui nous écoutent, précisons que la première réunion de notre comité a eu lieu le 31 octobre. Nous avons d’abord dû nous occuper de certaines formalités administratives et procéder à l’élection des présidents et des vice-présidents. Nous n’avons tenu que trois réunions de trois heures pour entendre des témoins, soit neuf heures en tout. Par la force des choses, nous avons exclu beaucoup de gens que j’aurais beaucoup aimé entendre, notamment des administrateurs de notre système de santé publique, des élus des gouvernements provinciaux et ainsi de suite.
En raison du court délai, nous n’avons même pas eu le temps de faire traduire adéquatement tous les mémoires qui nous avaient été envoyés parce que, bien sûr, avant de pouvoir les distribuer aux membres du Comité, ils devaient être traduits en français et en anglais. C’est une exigence qui fait honneur au bilinguisme de notre pays. Les membres du comité n'ont même pas eu l’occasion d’examiner des mémoires importants, qui provenaient de personnes ayant une expérience personnelle et devant gérer la situation à la maison, mais aussi de nombreux professionnels dont la pratique est liée à ce domaine en particulier.
Ma position est claire là-dessus. Quand le député d’ a présenté le projet de loi l'automne dernier, j'ai voté en faveur, ce qui veut dire que mon vote sur la question est bien clair. Je m'appuie sur ce que j'ai constaté au sein de notre comité, c'est-à-dire que des médecins dans le domaine, ainsi que des psychiatres et des psychologues, ont dit éprouver un grand malaise sur le plan professionnel. Bien sûr, certains d’entre eux agissent peut-être de façon paternaliste, mais je ne pense pas que ce soit le cas de tout le monde. Je pense que dans le cas de certains, nous devons réévaluer leur point de vue. Nous devons tenir compte du contexte dans lequel ce point de vue a été exprimé. Je pense qu'ils méritent notre respect, étant donné qu’il s’agit d'une vocation et que, dans bien des cas, ils comptent des décennies d'expérience.
Je vais prendre quelques instants pour lire des extraits des témoignages entendus. Nous avons accueilli le Dr Jitender Sareen, du Département de psychiatrie de l'Université du Manitoba. Il représentait également les directeurs des départements de psychiatrie de l'École de médecine du Nord de l'Ontario, de l'Université McMaster, de l'Université McGill, de l'Université Memorial, de l'Université d'Ottawa et de l'Université Queen's. Il a dit que tous ces directeurs recommandaient instamment de « suspendre durablement l'élargissement de l'aide médicale à mourir aux troubles mentaux [...] tout simplement parce que nous ne sommes pas prêts ». Il a insisté sur l'idée que nous ne serions pas prêts dans un an.
M. Trudo Lemmens, qui est professeur en droit et en politique de la santé de la Faculté de droit de l'Université de Toronto, est venu témoigner pour préciser quelques arguments constitutionnels. Il a vraiment voulu insister sur l'idée qu'il fallait trouver le juste équilibre entre les droits prévus aux articles 7 et 15 et l'article 1, un point qui n'a pas été tranché par les tribunaux, contrairement à ce que certains témoins ont pu prétendre. Dans le cadre du débat de ce soir, des intervenants précédents ont aussi souligné que la décision Truchon ne faisait aucune mention des troubles mentaux. C'est un point important à prendre en compte.
Le Dr Sonu Gaind, qui est le chef du Département de psychiatrie du Centre des sciences de la santé Sunnybrook, a dit ce qui suit:
L'AMM est offerte aux personnes atteintes de problèmes de santé irrémédiables dont on peut prévoir qu'ils ne s'amélioreront pas. Or, les données produites un peu partout dans le monde démontrent que le caractère irrémédiable ne peut pas être prédit dans le cas des maladies mentales. Autrement dit, la première mesure de sauvegarde de l'AMM serait déjà court-circuitée selon les données qui révèlent que les prédictions sont erronées dans plus de la moitié des cas.
Les données scientifiques démontrent l'impossibilité de distinguer entre les idéations suicidaires causées par la maladie mentale et les conditions qui conduisent à faire une demande d'AMM pour des motifs psychiatriques. Les caractéristiques en commun dans les deux situations laissent entendre qu'il n'y a peut-être aucune distinction à établir.
Il a aussi indiqué que le programme utilisé n'enseigne pas aux évaluateurs à faire la distinction entre les pensées suicidaires et les demandes d'aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques, et ainsi de suite.
Nous avons également entendu le témoignage du Dr Tarek Rajji, médecin-chef du Comité médical consultatif au Centre de toxicomanie et de santé mentale. Il a dit:
Le CTSM craint que le système de soins de santé ne soit pas prêt pour mars 2024. Les lignes directrices cliniques, les ressources et les processus ne sont pas en place pour évaluer les personnes, déterminer leur admissibilité et dispenser l'aide médicale à mourir lorsque l'admissibilité est confirmée pour les personnes dont la seule condition médicale sous-jacente est la maladie mentale.
Ces témoignages donnent un aperçu du malaise généralisé qui existe parmi les professionnels, et je ne pense pas que nous puissions écarter ces voix.
Je conviens qu'il y avait aussi un certain nombre de professionnels qui, d'un autre côté, estimaient que nous étions prêts, et c'est ce qui rend le sujet très complexe et délicat à traiter pour les parlementaires que nous sommes. Comme je l'ai dit, le comité aurait dû avoir le temps et les moyens nécessaires pour vraiment approfondir ces questions et élargir considérablement sa liste de témoins pour s'assurer d'être vraiment prêt.
Les députés remarqueront que le récent rapport du comité ne contenait qu'une seule recommandation. Je reconnais que la recommandation émanait de la majorité des membres du comité. Il y a eu des opinions dissidentes, notamment de la part des sénateurs qui siégeaient au comité. Cependant, le comité a reconnu que le Canada n'est pas prêt à offrir l'aide médicale à mourir lorsqu'un trouble mental est le seul problème de santé invoqué, et nous n'avons pas fixé d'échéance arbitraire pour la recommandation. Nous avons demandé expressément que l'aide médicale à mourir ne soit pas offerte au Canada tant que les ministres de la Santé et de la Justice ne seront pas convaincus, à la lumière des recommandations de leur ministère respectif et des résultats des consultations auprès de leurs homologues provinciaux et territoriaux et des peuples autochtones, qu'elle peut être offerte de façon sûre et adéquate.
On s'attire toujours des ennuis quand on fixe des échéances arbitraires. L'établissement d'un échéancier arbitraire n'est pas un substitut acceptable au travail qualitatif qui doit être fait par ces ministères. Je préférerais de loin que nous respections l'exigence qualitative de la recommandation, car les ministères, les experts et nos collègues provinciaux et territoriaux se disent favorables à cela.
La recommandation et mon allusion aux provinces et aux territoires constituent une excellente transition vers le fait qu'une lettre a également été envoyée au . Cette lettre a été signée par 7 des 10 provinces et par les 3 territoires. Les signatures comprennent celles de tous les ministres de la Santé et des ministres responsables de la santé mentale et des dépendances dans ces provinces, y compris Adrian Dix et Jennifer Whiteside, en Colombie‑Britannique. Ce qu'ils disent est sans équivoque:
L'échéance actuelle du 17 mars 2024 ne laisse pas suffisamment de temps pour préparer pleinement et de façon appropriée toutes les provinces et tous les territoires du Canada [...]
Nous vous encourageons, ainsi que le ministre fédéral de la Justice, à suspendre indéfiniment la mise en œuvre des critères d'admissibilité élargis à l'aide médicale à mourir afin de permettre une collaboration accrue entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral.
Je conclurai en disant qu'il s'agit d'une question très délicate. Je pense que nous devrions adopter le projet de loi et honorer les appels que nous entendons de la part des professionnels intimement concernés par cette question, ainsi que les appels provenant des provinces et des territoires. Nous devons prendre les devants et faire en sorte de disposer d'un système pleinement prêt avant de modifier la moindre loi.